SAINT VINCENT DE PAUL

CORRESPONDANCE

Tome V.

 

1646. — A JEAN DEHORGNY

De Paris, ce 8 août 1653.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je me donne l’honneur d’écrire à Mgr le cardinal Altieri (1), selon votre souhait et le sens que vous m’avez marqué. Vous lui rendrez ma lettre, si vous la trouvez assez bonne ; sinon, vous me manderez ce qu’il y aura à réformer, afin que j’en fasse une autre. Je l’ai faite en français, supposant qu’il l’entend ; et s’il le faut, vous la ferez mettre en latin (2),

Je vous prie de rendre visite à Mgr le cardinal Antoine pour lui faire un renouvellement des offres de notre obéissance et l’assurer de ma part qu’aussitôt que j’ai su qu’une partie de son bagage et de ses gens ont été pris et menés en Alger (3), j’ai écrit au consul (4) pour les

Lettre 1646. — L. a — Dossier de Turin, original.

1). Jean-Baptiste Altieri, frère de Clément X, évêque de Todi (1643.1654), nommé cardinal en 1643, mort à Narni le 25 novembre 1654. Il fut un des plus puissants protecteurs du saint à Rome.

2). Ces derniers mots, depuis et s’il le faut, sont de la main du saint

3). Surpris par des pirates turcs le 5 juillet 1653 alors qu’il allait sur mer de France en Italie, le cardinal Antoine Barberini ne leur échappa qu’en s’échouant sur les côtes de Monaco. Les corsaires pillèrent le navire, qui portait ses bagages, et emmenèrent en Barbarie soixante-dix personnes de sa suite.

4.) Jean Barreau.

 

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y recommander, à ce qu’il les assiste et s’emploie pour eux de tout son pouvoir. Madame la duchesse d’Aiguillon a fait de même. Vous le trouverez un peu froid à mon égard ; ne laissez pas de le voir parfois, pendant que vous êtes à Rome (5)

M. Ozenne part demain avec notre frère Duperroy (6) pour la Pologne. Tout va son petit train de deçà, où vous êtes attendu avec désir et patience ; ce qui fait que je ne réponds autre chose à votre dernière lettre, persévérant à ce que je vous ai mandé par mes précédentes, notamment par ma dernière (7). Certes, si vous saviez l’accablement où je suis, vous quitteriez volontiers toute autre chose pour venir à notre secours ; et, dans cette espérance, je suis en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Dehorgny, supérieur des prêtres de la Mission, à Rome.

5) Ces mots, depuis Madame la duchesse, sont de la main du saint.

6). Nicolas Duperroy, né à Maulévrier (Seine-Inférieure), le 16 janvier 1625, entré dans la congrégation de la Mission le 13 septembre 1651 ordonné prêtre le 4 avril 1654, reçu aux vœux le 13 décembre 1663. Il fut brutalisé par les Suédois après la prise de Varsovie et laissé pour mort, fut deux fois atteint de la peste et souffrit longtemps d’une carie douloureuse. René Alméras le nomma supérieur en 1670. Sa maison le délégua à l’assemblée générale de 1673. Il revint en Pologne et continua de gouverner la Mission jusqu’en 1674. Nous perdons ensuite ses traces.

7). Ces mots notamment par ma dernière sont de la main du saint.

 

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1647. — AUX FILLES DE LA CHARITÉ DE NANTES

Mes chères Sœurs,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ayant su la retraite de votre maison d’une de vos sœurs, je suis obligé de vous en témoigner la douleur que j’en ai, qui m’est très sensible. Néanmoins son mauvais exemple ne vous doit point émouvoir. Il n’y a point de compagnies, pour saintes qu’elles soient, où il n’arrive de accidents ; ce qui est même arrivé en celle de Notre-Seigneur. Plusieurs milliers de personnes l’ont suivi, qui par après l’ont délaissé et abandonné au plus grand besoin. Ce n’est donc pas merveille si parmi des filles il y en a quelqu’unes qui perdent courage au fort de la tentation. N.-S. a permis cela d’une d’entre vous pour humilier les autres ; et comme les apôtres après avoir abandonné N.-S. et qu’un d’entre eux l’eut vendu, se réunirent pour ne se séparer de cœur et d’affection, en sorte que les menaces, ni la mort même, n’ont pu rompre cette union, ni] es empêcher de publier la foi que leur Maître leur avait enseignée, de même, mes Sœurs, vous devez profiter de la séparation de votre sœur et vous unir plus étroitement que jamais. Cependant je prie Dieu qu’il soit lui-même le lien de vos âmes ; car, en ce cas, mes Sœurs, rien ne sera capable de vous ébranler, vos travaux en seront plus légers, vos conversations plus saintes, vos personnes et vos exercices plus agréables à Dieu, enfin votre petite compagnie sera

Lettre 1647. — Manuscrit de la Chambre des Députés

 

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comme un petit paradis, qui répandra dedans et dehors une suave odeur.

Je me recommande à vos prières et suis….

 

1648. — A NICOLAS GUILLOT, PRÊTRE DE LA MISSION, A VARSOVIE (1)

Du 15 août 1653.

Je conçois de nouvelles espérances par toutes vos lettres que Dieu vous bénira de plus en plus en votre personne et en vos emplois. Je l’en prie de tout mon cœur. Néanmoins par une de ces lettres j’ai trouvé quelques mots qui sentent le murmure de ce que les affaires qui nous regardent n’avancent point et qu’on ne les prend pas ni du biais ni si fort à cœur que vous souhaitez. Or je vous dois dire, Monsieur, que vous ferez sagement de vous abstenir d’en parler à d’autres, parce que c’est un crime de décréditer la conduite et les intentions des grands, et qu’il est de la piété des personnes de notre sorte de penser bien des choses bonnes et de parler de même de ceux à qui nous avons quelque obligation. Je pense vous avoir déjà touché quelque chose sur ce sujet, et j’espère que ce sera ici la dernière fois, parce que, par votre dernière du 25° septembre (2) je vous vois non seulement persuadé de ces vérités, mais en soin d’établir les Filles de la Charité dans une grande retenue pour

Lettre 1648. — Reg. 2, p. 329.

1). Le registre 2 ne donne pas le nom du destinataire ; mais le contenu de la lettre, comparé au contenu des lettres 1624 et 1679, ne permet pas de douter que ce ne soit Nicolas Guillot, sur qui reposait la direction des Filles de la Charité de Pologne, dont l’établissement n’était pas encore bien assuré.

2). La lettre est datée du 15. août ; ou cette date est erronée, ou, si elle est exacte, nous devrions avoir ici 25 juillet et non 25 septembre. Le copiste a eu une distraction.

 

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ne se plaindre jamais du procédé d’autrui à leur égard, ni contrôler ses actions ; ce qui est d’autant plus à désirer qu’elles ne sont au monde, non plus que nous, que pour recevoir et accomplir les ordres de Dieu. Il nous suffit que de notre côté nous tâchions de ne rien omettre de ce qui peut avancer son œuvre, sans blâmer les autres du retardement. J’approuve le reste des bonnes leçons que vous leur avez faites, dont même je suis fort édifié, ne doutant pas que vous ne soyez le premier à faire ce que vous leur enseignez.

 

1649. — A MADAME DOUJAT (1)

16 août 1653.

Madame,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je me donne la confiance de vous supplier très humblement d’avoir agréable de recommander à M. Doujat (2) l’affaire de Mesdemoiselles de la Barre, mère et fille, qui ont épousé depuis peu M. le sénéchal de Richelieu et M. son fils, avocat de la cour, présent porteur, dont mondit sieur Doujat est rapporteur (3) Il s’agit d’un affaire qui regarde la gloire de Dieu et le salut de ces demoiselles, pource qu’étant ci-devant de la religion prétendue, elles se sont faites catholiques incontinent

Lettre 1649. — Reg. 1, f° 71, copie prise sur l’original, qui était de la main du saint.

1). Catherine Targer, fille de Louis Targer, secrétaire du roi et de Geneviève Soulas, mariée en 1649 à Jean Doujat.

2). Jean Doujat fut reçu conseiller au parlement le 30 août 1647, en devint doyen en 1693 et mourut en 1710.

3). Pierre de la Barre, sénéchal de Richelieu, avait un fils Armand et une fille Marie. Il épousa en 1653 une veuve, Marie Baratteau, mère de deux filles, Anne et Marie, et mourut quelques mois après, en octobre.

 

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après le mariage contracté ; et c’est ce qui fait que plusieurs de ce parti-là se remuent en faveur des enfants du premier lit de cette bonne demoiselle, qui agissent contre leur mère. Ayez agréable, Madame, je vous en supplie, de protéger ces bonnes demoiselles ; et, outre le mérite que vous en aurez devant Dieu, je vous en serai très obligé, qui ai obligation de servir en cet affaire, qui suis, en l’amour de N.-S…

 

1650. — A LA SŒUR JEANNE LEPEINTRE

De Paris, ce 20 août 1653.

Ma Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres. J’ai grande affliction de ce qui se passe parmi nos sœurs. C’est donner beau jeu au monde et à l’esprit malin pour se défaire de vous et d’elles. Dieu pardonne à ceux ou celles qui causent cette division ! Lorsque le dehors vous laisse en paix, vous vous faites la guerre au dedans ; oh ! quelle pitié ! Je sais bien que ce n’est pas votre faute et qu’il ne tiendra pas à vous que la mésintelligence ne cesse. Pour y remédier, j’ai prié M. Alméras de vous aller voir et de faire ce que M. Truchart lui ordonnera ; c’est un de nos anciens et de nos meilleurs prêtres, que nous envoyons en Bretagne pour y visiter nos maisons, et qui pourra être à Angers lorsque la présente vous sera rendue, et où je lui écris de s’en aller à Nantes, ma lettre reçue. N’en dites rien à personne (1)

Lettre 1650. — L- s Dossier des Filles de la Charité, original

1). René Alméras alla à Nantes, y fit la visite et demanda le

 

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Je communiquerai à Mademoiselle Le Gras ce que vous m’écrivez de cette bonne fille qui veut entrer en votre compagnie, et ensuite nous vous ferons savoir notre pensée.

Mademoiselle Le Gras se porte assez bien, grâces à Dieu, en qui je suis, ma Sœur, votre affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Mandez-moi au plus tôt si cette fille a été tourière à Sainte-Marie de Nantes, et combien de temps avant de l’être à La Flèche, ou si elle a été sœur domestique au même monastère de La Flèche. L’on vous écrira au plus tôt la résolution (2)

Suscription : A ma sœur la sœur Jeanne Lepeintre, Fille de la Charité, servante des pauvres malades de l’hôpital de Nantes, à Nantes.

 

1651 — A PIERRE DU CHESNE

[1653] (1)

J’ai prié M.. Chrétien de se tenir quelque temps à Marseille pour vous donner les lumières requises au fait de la charité qu’il exerce pour recevoir et faire tenir la rançon des pauvres esclaves de Barbarie ; en quoi il fait l’office des anges, qui négocient notre salut en terre, envoyant ou présentant à Notre-Seigneur les bonnes

déplacement de deux sœurs, ce qui rétablit l’ordre et la paix. (Cf Lettres de Louise de Marillac, 1. 372 et 1. 373.)

2). Ce post-scriptum est de la main du saint.

Lettre 1651 — Reg. 2, p. 143. La lettre est adressée "à M. du Chesne, qui devait aller supérieur à Marseille"

1) Ce fut en 1653, avant le mois de novembre, que Pierre du Chesne. alla remplacer Jean Chrétien à Marseille. (Cf. 1. 1668.)

 

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œuvres qu’il a plu à sa divine bonté nous faire faire pour le rachat de nos péchés. Je vous prie, à ce propos, d’offrir l’état de votre personne à Notre-Seigneur, afin qu’il vous redonne la santé pour aller visiter nos pauvres confrères qui sont en Barbarie.

 

1652.- LES ÉCHEVINS DE RETHEL A SAINT VINCENT

De Rethel, ce 8 septembre 1653 ;

Monsieur,

Depuis deux ans, la Champagne, et particulièrement cette ville, ne subsiste que des charités que vous y avez fait départir. et à présent tout le pays demeurerait désert et abandonné, et tous les habitants qui restent mourraient de faim si vous n’y aviez prévenu par l’envoi de l’un de votre maison qui en prend un soin très particulier et exerce, par vos ordres, des grandes charités envers eux, laquelle les relève de l’extrême misère et leur donne la vie. Tout le pays vous en est extraordinairement obligé, principalement cette communauté, qui a une prière à vous faire, laquelle elle se promet que vous ne lui dénierez pas, étant, comme elle est, juridique et pleine de compassion, qui n’est autre que d’assister les pauvres malades de l’armée et les blessés à notre reprise, que l’on a laissés dans notre hôpital ; lequel, n’étant point en état de leur donner le secours nécessaire, pour être privé du peu de revenu qu’il a par la dévastation de toute la campagne, est contraint de recourir à votre bonté et la supplier, en prenant compassion des pauvres misérables, exercer quelque charité vers eux, pour leur donner moyen de guérison et leur rendre la vie, afin de continuer dans le service qu’ils ont voué dès longtemps au roi. Si nos pertes, causées par quatre sièges que nous avons soufferts depuis deux ans ne nous avaient réduits dans l’impuissance de les pouvoir secourir, nous ne vous ferions cette prière importune, laquelle vous ne désagréerez pas, quand vous considérerez notre zèle et notre affection. Ce nous sera un surcroît des obligations que nous vous avons de vos bienfaits.

Suscription : A Monsieur Vincent, général des Pères de la Mission, à Paris.

Lettre 1652. — Arch. mun. de Rethel GG 80.

 

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1653. — A UNE DEMOISELLE D’ARRAS

10 septembre 1653.

Mademoiselle,

J’ai reçu et lu votre lettre avec grand respect, et la conserve de même, voyant par icelle l’esprit qui vous anime, qui est celui de N..-S., si me semble ; mais j’ai grande confusion de la proposition que vous me faites, qui suis l’homme du monde le plus indigne de vous donner avis sur cela. Je vous dirai néanmoins, dans la simplicité que je professe, qu’il est difficile de donner un solide avis si l’on ne sait les circonstances d’un affaire ; en celui-ci, par exemple, comme quoi la pensée de ces bonnes religieuses vous est venue, si vous en aviez une générale auparavant de faire quelque bien semblable ou dissemblable, ou si cela vous est venu tout d’un coup, sans y avoir pensé, d’où vient la pensée de changer de dessein, si c’est ou pource que vous n’avez pas trouvé ce que vous cherchiez en ces bonnes filles, ou pource que vous voyez un plus grand bien à faire, et comme cette pensée vous est venue. Bref il aurait été à souhaiter que vous m’eussiez fait l’honneur de m’écrire ces circonstances et semblables. Or je vous dirai, Mademoiselle, néanmoins que, si vous avez recommandé l’affaire des Brigittines à Dieu et avez pris conseil de personnes de piété et avez passé contrat ensuite avec ces bonnes religieuses, qu’il semble qu’il s’en faut tenir là ; mais, si quelqu’une de ces circonstances manque en cet affaire, notamment celle d’avoir passé contrat, et vous voyez quelque chose de plus important à la gloire de

Lettre 1653. — Reg. I, f° 32, copie prise sur la minute autographe

 

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Dieu et sentez attrait pour cela, je pense, Mademoiselle, que vous ferez bien de recommander la chose à N.-S., et de prendre avis des personnes de singulière piété et désintéressées, et de suivre l’attrait de N.-S., de l’avis de ces personnes-là. N.-S. ne permettra pas que vous vous trompiez en en usant de la sorte, ains vous fera la grâce de faire ce qui sera le mieux pour sa gloire, pour le bien de son Église et pour la sanctification de votre chère âme, que je recommande à N.-S. avec toutes les tendresses de mon cœur, qui suis, en son amour…

1653 bis. - à Charles Ozenne

à Douvres

Jeudi 11 septembre 1653

Voir le texte retrouvé à la fin de ce tome V.

 

1654. — A LA MÈRE MARIE-AGNES LE ROY

[Septembre 1653] (1)

Eh bien ! ma chère Mère, voilà de bonnes nouvelles, Dieu merci (2) ! Béni soit Jésus-Christ Notre-Seigneur ! Il me semble que votre cœur a un peu de douleur sur ce

Lettre 1654.Année sainte des religieuses de la Visitation Sainte-Marie, t. V, p. 543.

1). Voir note 2.

2). Le vaisseau qui portait Charles Ozenne et les filles de la Visitation destinées à la Pologne venait d’être capturé par des corsaires anglais ; ce fut la nouvelle de ce fâcheux accident qui provoqua la lettre ci-dessus

Par un contrat passé le 14 octobre 1649 avec la Mère Marie-Agnès Le Roy, supérieure du second monastère de Paris, la reine de Pologne s’était engagée à donner 60.000 livres pour la construction d’un monastère et 6.000 livres de rente pour frais d’entretien. Elle demandait aux religieuses de prendre gratuitement autant de jeunes filles qu’il serait possible, sans compter celles qui payeraient pension. La reine fit agir Madame de Lamoignon et envoya M. des Noyers en France pour traiter l’affaire. Les religieuses furent choisies et les meubles préparés. On n’attendait que la fin des troubles de Paris pour partir. Dans une de ses visites au couvent, l’archevêque parla des difficultés de l’entreprise et conseilla d’en retarder l’exécution. La reine de Pologne chercha vainement à le fléchir ; le prélat refusa les obédiences. Dans l’impossibilité où l’on se trouvait de supprimer la difficulté, on la tourna. La Mère Le Roy demanda aux supérieures des couvents d’Annecy et de Troyes de

 

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qu’on nous impute tout ceci. Tant mieux, ma chère Mère ; n’êtes-vous pas trop heureuse d’être blâmée pour un si bon sujet ? Vous pouvez bien penser que j’en ai ma bonne part. Certes, le bien n’est pas bien si l’on ne souffre en le faisant. "La charité est patiente (3)", dit l’Apôtre ; il y a donc à souffrir dans les devoirs de charité, et même il est fort à craindre que le bien qu’on fait sans souffrance ne soit pas un bien parfait ! Le Fils de Dieu nous montre cette vérité, ayant tant voulu souffrir en tous les biens qu’il nous a faits. Souffrons donc courageusement et humblement, ma chère Mère. Peut-être trouverez-vous au ciel que c’est ici un des biens plus agréables à Dieu que vous ayez jamais faits. Si vous avez quelque nouvelle, je vous prie de m’en faire part et de me mander les jours qu’on écrit à Douvres.

VINCENT DEPAUL.

 

1655. — A LA PROPAGANDE

Eminentissimi et Reverendissimi Domini,

Postquam audivimus eximia christianae fidei in regnis

vouloir bien donner le nombre de sœurs nécessaires. Les sœurs de Troyes arrivèrent au second monastère de Paris le 9 juin, et celles d’Annecy le 9 juillet. Elles quittèrent Paris le 9 août en compagnie de M. de Monthoux, leur confesseur, de Charles Ozenne et du frère Duperroy, et s’embarquèrent à Dieppe, le 20, sur un bateau hambourgeois. Le 21, à 2 heures de l’après-midi, le vaisseau fut attaqué, pris et pillé par des corsaires Un ordre venu de Londres permit aux passagers de descendre à terre, à Douvres où on les retint prisonniers. La liberté ne leur fut rendue que le 5 octobre, et ce jour-là les religieuses reprirent le bateau pour la France. Elles laissaient à Douvres Charles Ozenne et le frère Nicolas Duperroy, qui se proposaient de continuer leur voyage jusqu’en Pologne. (Bibl. Maz., ms. 2438)

3). Première épître aux Corinthiens XIII, 4.

Lettre 1655. — Le texte que nous suivons ici (Arch. des Missions-Etrangères, vol.114, p 434) n’est pas l’original, puisque toutes les

 

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Tunchini et Cocincinae incrementa, exarsimus omnes incredibili desiderio juvandi omni ope populos quos ex errorum tenebris erutos vocare incipit Christus, justitiae Sol. Id autem persuasum omnino habemus nulla ratione posse perfici, nisi eo duo aut tres episcopi quamprimum mittantur, qui nascenti huic Ecclesiae opem afferant, et, quod caput est, consecrent sacerdotes, quorum penuria efficit quotidie ut moriantur innumeri fideles absque praesidio ullo sacramentorum, quod sane dolendum est atque omni nostra cura impediendum.

Cui tanto ac tam gravi malo, ut pro virili parte nostra remedium aliquod afferatur, ab Eminentissimis Dominationibus Vestris omni obsecratione postulamus ut de aliquot episcopis ad eas provincias mittendis serio cogitare velint, praesertim cum habeamus hic ad manum selectos tres sacerdotes notissimae probitatis, qui ad id munus adeo asperum et difficile ultro animas suas devoveant, parati pro Christo difficillimum iter illud suscipere et in remotissimis illis regnis toto vit. ae tempore strenuissime laborare.

Deinde reditus etiam certi et stabiles ad eorum sustentationem parati habentur, quos si videatis collocari debere Avenioni, ultro etiam annuunt et facturos se pollicentur piissimi quidam viri qui ad opus hoc praestantissimum bona sua liberalissime contulerunt, gaudentque plurimum fructus illos dispensari dumtaxat illis qui laboraturi sunt in illis Ecclesiis ; qui vero aut in Europa consisterint, vel in eam postea redierint,

signatures sonl de la même écriture. D’autre part, les ratures laissent supposer que ce n’est pas une simple copie. Ce serait croyons-nous, la minute de l’original, à laquelle on aurait ajouté après coup la date, les signatures et la suscription, qui sont d’une autre main,

 

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illi pecuniarum earum partem nullam habeant, reservandam iis qui vineas eas excolent (1).

Quae cum ita sint fixa et constituta, speramus nihil esse posse quod negotium istud retardare possit, idque a vobis cupidissime postulant

Eminentissimarum Dominationum Vestrarum humillimi et devotissimi servi.

HENRICUS SABAUDIA, archiepiscopus dux Remensis nominatus, HENRICUS, episcopus Aniciensis (2) VINCENT DEPAUL, COLOMBET, curé de Saint-Germain, LAISNÉ-LA MARGUERIE, BARRILLON (3) ALBON (4) LA MOTHE-FÉNELON (5) INGRIN, DUFOUR, BOULEAU (6) DROUARD, BURLAMACCHY’(7) DU PLESSIS.

17 septembre 1653 (8)

Suscription : Eminentissimis ac Illustrissimis Dominis,

1) Chaque vicaire apostolique devait toucher deux cents écus de revenu, somme plus que suffisante pour des pays où la vie était à bon marché. L’acte de constitution des fonds a été publié par M. Launay dans les Documents historiques sur la Société des Mssions-Etrangères, p. 522.

2). Henri de Maupas du Tour.

3). Antoine Barrillon, seigneur de Morangis, conseiller d’État.

4). Gilbert Antoine, comte d’Albon, mort en 1680. Il avait épousé, le 2 août 1644, Claude Le Bouthillier de Rancé.

5). Antoine de Salignac, marquis de La Mothe-Fénelon, oncle de l’archevêque de Cambrai, était né en 1621. Sur les conseils de Jean-Jacques Olier, qui l’avait ramené à Dieu, il avait quitté momentanément l’armée pour s’adonner aux œuvres de zèle et de piété. Il fut l’âme et le chef de la ligue formée par plusieurs gentilshommes contre le duel Veuf à trente-trois ans, il perdit son fils au siège de Candie et mourut lui-même le 8 octobre 1683, digne des éloges que son illustre neveu devait lui décerner

6). Peut-être Abraham Bouleau, membre de la Compagnie du Saint- Sacrement.

7) Sauveur Burlamacchi de Lucues, marié à Marguerite Lumagne, mort en 1671

8) Une main étrangère a ajouté au début de la lettre : 29 septembre 1653.

 

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Secretario Congregationis de Propaganda Fide, Romae (9)

TRADUCTION

Ayant appris les étonnants progrès de la foi chrétienne dans les royaumes du Tonkin et de la Cochinchine, nous avons senti notre cœur brûler d’un désir ardent d’aller au secours de ces peuples ensevelis dans les ténèbres de l’erreur, qui commencent à entendre l’appel de Jésus-Christ, le soleil de justice Nous sommes fermement convaincus que la condition nécessaire pour aboutir est l’envoi immédiat de deux ou trois évêques dans cette Église naissante, pour l’évangéliser et surtout pour ordonner des prêtres ; car le nombre de ceux qui s’y trouvent est si réduit que beaucoup de fidèles, fait déplorable et auquel il faut porter remède à tout prix, meurent tous les jours sans sacrements.

Pour obvier dans la mesure de nos forces à un si grand mal, nous vous demandons avec instance, Eminentissimes Seigneurs, de vouloir bien songer sérieusement à l’envoi de quelques évêques dans ces provinces. Nous avons ici sous la main trois prêtres choisis, d’une probité connue, tout dévoués à cette œuvre si dure et si difficile, prêts à entreprendre pour le Christ ce voyage plein de dangers et à travailler sans répit toute leur vie dans ces royaumes lointains.

De plus, des revenus assurés et permanents ont été recueillis pour leur entretien. Si vous jugez bon que les fonds soient placés à Avignon, les personnes de piété qui ont concouru libéralement de leurs biens à ce bon œuvre y consentent volontiers et en font la promesse. Elles ont fort à cœur que ces revenus soient exclusivement réservés à ceux qui travailleront dans les Églises susdites, et qu’aucune partie n’en soit distraite pour ceux qui seraient restés en Europe ou y seraient retournés.

Les choses étant ainsi fixées et établies, nous avons la confiance qu’aucun obstacle ne retardera la réalisation de ce projet, et c’est ce que demandent avec insistance

9) A la suite du texte que nous suivons, sont écrits les mots : "Depuis, la chose étant agréée à Rome, l’on a nommé, pour et au nom des bienfaiteurs, Messieurs de la Marguerie Morangis et Drouard pour fondateurs, fait le contrat avec le collège de Rennes et le général, rescrit de la Congrégation de Propaganda Fide au général et au cardinal Antoine, et fait sa supplique pour sa fondation. Die 23 avril 1654."

 

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De Vos Seigneuries Illustrissimes les très humbles et très dévoués serviteurs,

HENRI DE SAVOIE, archevêque nommé et duc de Reims, HENRI, évêque du Puy, VINCENT DE PAUL, COLOMBERT, curé de Saint-Germain, LAISNÉ-LA MARGUERIE, BARRILLON, ALBON, LA MOTHE-FENELON INGRIN, DUFOUR, BOULEAU, DROUARD, BURLAMACCHY, DU PLESSIS.

17 septembre 1653.

Suscription : Aux Eminentissimes et Illustrissimes Seigneurs, au Secrétaire de la Congrégation de la Propagande, à Rome.

 

1656 — A LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE

De Paris, ce 20° septembre 1653.

Ma Sœur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu vos lettres. Je vous prie de remettre à Mademoiselle Rigault, qui a charité pour les pauvres et qui prend soin de ceux d’Étampes, les enfants orphelins que vous nourrissez et toutes les choses que vous avez qui appartiennent aux pauvres, soit argent, farine, bois, beurre et autres choses ; et, cela fait, venez-vous-en ici. Mademoiselle Le Gras a besoin de vous, et votre compagnie sera bien aise de vous voir, après avoir tant travaillé et si utilement que vous avez fait, dont je rends grâces à Dieu. Vous nous apporterez, s’il vous plaît, l’argent que vous avez reçu de la vente de notre blé ; et n’en vendez plus ; nous en aurons peut-être à faire

Je me recommande à vos prières et je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, ma Sœur, votre affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Lettre 1656. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

 

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Nous enverrons un frère de delà la semaine prochaine, auquel vous délivrerez l’argent de notre blé.

Suscription : A la sœur la sœur Jeanne, Fille de la Charité, servante des pauvres malades d’Étampes, à Étampes.

 

1657. — A JACQUES LE SOUDIER

De Paris, ce 20e septembre 1653.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Puisque votre santé n’est pas entièrement rétablie et que nous approchons de l’hiver, je tâcherai de faire en sorte que la maison de Toul s’échappe jusqu’au printemps sans chef, bien que, avec grand sujet, elle nous presse de lui en envoyer un. Cependant je vous prie de faire les missions que vous voyez qui sont à faire et que M. le grand vicaire de Meaux (1) nous demande.

Nous prierons Dieu qu’il bénisse vos travaux, et je ne puis que je ne le remercie de votre disposition à suivre promptement et amoureusement les ordres de la sainte obéissance. Je le remercie aussi du bon état de votre famille et je le prie qu’il y répande de plus en plus son esprit par votre moyen.

Il faut poser ce fondement que, M. de Lorthon (2) étant votre fondateur, nous devons faire pour lui tout ce qui nous est possible. Selon cela, je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, de tenir chez vous M. son neveu, et d’en avoir un soin tout particulier Je ne

Lettre 1657. — L s. — Dossier de Turin, original.

1) Antoine Caignet.

2). Conseiller-secrétaire du roi.

 

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doute pas qu’il ne vous donne à souffrir, mais c’est aussi un moyen pour reconnaître les bienfaits de M. son oncle et en mériter la continuation. Il n’est pas encore capable de la philosophie, et M. Florent (3) l’est de lui enseigner la rhétorique ; car il m’a dit, si je ne me trompe, qu’il l’a autrefois enseignée. C’est pourquoi, Monsieur, faites-lui-en faire un essai. Que si le jeune homme est déjà bon rhétoricien et en état de commencer sa philosophie, ce que je ne crois pas, en ce cas néanmoins il faudra proposer à M. de Lorthon d’avoir agréable qu’il la vienne étudier au séminaire de Saint-Charles, où on la doit enseigner après ces vacations.

Nous vous envoyons par ce porteur votre chemisette de ratine et de la toile Gautier, mais non pas le bandage, parce qu’il ne s’en est pas trouvé de faits qui vous fussent propre. Le frère Alexandre (4) en a commandé un, qui ne sera prêt qu’à ce soir ; il vous l’enverra par le messager.

Je vous prie d’envoyer ce porteur ou quelqu’autre à Montmirail porter la lettre que j’écris à M. Champion, qui est importante et pour chose pressée. Nous n’avons rien de nouveau de deçà. Je suis toujours, mais de toute l’étendue de mon cœur, en celui de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Depuis la présente écrite, j’ai pensé qu’il n’est pas expédient de faire la proposition de Saint-Charles à M. de Lorthon, pour quelque raison particulière que j’ai.

3) Jean-Baptiste Florent, né à Lille, reçu dans la congrégation de la Mission le 11 novembre 1645, à l’âge de vingt-trois ans.

4). Alexandre Véronne.

 

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Je vous prie de m’envoyer une composition du jeune homme, afin que je voie de quoi il est capable. Votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

suscription : A Monsieur Monsieur Le Soudier, supérieur des prêtres de la Mission de Crécy, à Crécy.

 

1658 — A LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE

De Paris, ce 25e septembre 1653.

Ma Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous ai écrit de remettre les enfants et tout ce que vous avez qui appartienne aux pauvres, ès mains de Mademoiselle Rigault ; mais pource qu’elle est encore à Paris, comme je crois, je vous prie de l’attendre, et, quand elle sera arrivée, de la presser fort de donner le soin desdits enfants à quelque bonne femme du lieu. On lui a donné ici de l’argent pour continuer à les nourrir. Vous ne partirez donc point d’Étampes qu’elle n’ait trouvé cette femme, pour faire ce que vous faites ; et alors vous me le manderez, et je vous écrirai de vous en venir ; mais ne le faites pas, s’il vous plaît, que vous n’ayez un nouvel ordre de moi ou de Mademoiselle Le Gras.

Je me recommande à vos prières et je prie Dieu qu’il vous bénisse. Ayez soin de votre santé

Lettre 1658 — L a — Dossier des Filles de la Charité, original

 

- 19 -

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, ma Sœur, votre affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. la Mission.

Suscription : A ma sœur la sœur Jeanne, Fille de la Charité, servante des pauvres d’Étampes, à Étampes.

 

1659. — AU CARDINAL FABIO CHIGI

3 octobre 1653.

Monseigneur,

Le rang que Votre Éminence tient en l’Église et la haute réputation où elle est parvenue par les incomparables mérites de sa personne sacrée, aussi bien que par l’heureux succès de tant d’affaires importantes qu’elle a négociées, m’obligent de me prosterner en esprit à ses pieds pour lui offrir les chétifs services de la petite congrégation de la Mission et les miens en particulier. Je vous supplie très humblement, Monseigneur, d’excuser la hardiesse que je me donne en cela et d’avoir agréable de prendre la même compagnie sous la protection de Votre Éminence, notamment les prêtres de la Mission de Rome, que le Pape Urbain VIII a eu la bonté d’y recevoir. Et combien que nous ne puissions mériter un si grand bien par nos services, étant indignes de vous les rendre et par conséquent de vous les offrir, nous tâcherons au moins de le reconnaître par nos prières, à ce qu’il plaise à Dieu, Monseigneur, de vous conserver longuement et d’accomplir de plus en plus vos saintes intentions pour

lettre 1659.- Reg. 1. f°,54, copie prise sur la minute "non signé"

 

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le bien de son Église. Certes, Monseigneur, ce m’a été une indicible joie d’apprendre combien Votre Éminence aime le bienheureux évêque de Genève et l’état qu’elle fait de ses écrits et de ses filles de la Visitation. La part que je prends à leurs intérêts, pour avoir été honoré de la bienveillance de ce digne prélat pendant sa vie et de la direction de leurs monastères de Paris depuis leur institution jusqu’à présent, m’obligent d’en remercier Votre Éminence avec toute l’humilité et la soumission qui me sont possibles, qui suis de même, en l’amour de N.-S., Monseigneur, son…

 

1660. — AU CARDINAL ANTOINE BARBERINI,

PRÉFET DE LA PROPAGANDE

3 octobre 1653.

Monseigneur,

Je me réservais à me donner l’honneur d’écrire à Votre Éminence jusqu’à ce que j’eusse reçu des lettres d’Alger sur l’état présent de ses domestiques menés esclaves en cette ville-là, d’autant que, dès lors que j’eus avis de cet accident, j’écrivis au consul pour lui recommander les intérêts et les gens de Votre Éminence, à ce qu’il eût grand soin de les servir de toutes les manières possibles ; ce qu’il fera sans doute. Mais, comme sa réponse tarde à venir, Monseigneur, je ne puis différer davantage de renouveler à Votre Éminence les offres des services très humbles de notre petite compagnie et de mon obéissance perpétuelle, ainsi que je fais avec le respect et l’affection que je

Lettre 1660 — Reg I, f° 54, copie sur la "minute non signée"

 

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le puis. Je supplie très humblement Votre Éminence de l’avoir agréable et d’avoir la bonté d’honorer de sa protection la même compagnie, particulièrement notre famille de Rome, ainsi qu’elle a toujours fait ; de quoi, Monseigneur, nous prierons Dieu qu’il soit votre éternelle récompense et qu’il nous fasse dignes des commandements de Votre Éminence, l’assurant que, si jamais nous en sommes honorés, nous les recevrons c : comme une bénédiction de Dieu et un moyen de reconnaître aucunement vos incomparables bienfaits, desquels j’espère la continuation de la bonté de Dieu et de celle de Votre Éminence, dont le propre est de se communiquer à ceux qui le méritent le moins. Avec cette grâce, Monseigneur, nous lui demanderons instamment votre chère conservation pour le bien de son Église. C’est ce que nous faisons tous les jours, Monseigneur, particulièrement moi, qui ai le bonheur d’être plus que personne du monde, en l’amour de N.-S., de Votre Éminence, Monseigneur, votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur.

 

1661. — A MATHURIN GENTIL

De Paris, ce 4° octobre 1653.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu plusieurs lettres de votre part devant et après ma retraite. Je ne me suis pas pressé de rien ordonner touchant les scandales arrivés sur les changements des images, pource que M. Alméras, qui est à

Lettre 1661. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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présent sur son retour de Bretagne, à charge de vous aller visiter, et que je lui ai laissé la connaissance de cet affaire, pour y appliquer le remède qu’il jugera convenable. Néanmoins, puisque je vous écris sur ce sujet, je pense vous devoir dire, et vous prier d’en avertir tous vos confrères de ma part, qu’il n’est pas loisible à personne qu’au supérieur de se mêler de ce qui est à faire ou à ne pas faire dans la maison ; et j’en renouvelle la défense à chacun en particulier, attendant que le visiteur vous la fasse à tous en général.

Je vous remercie des avis que vous m’avez donnés Nous faisons revenir M. Guesdon, et je lui écris à cet effet. J’espère que M. Alméras remédiera au reste et que vous contribuerez de plus en plus à l’union et au bon ordre de la famille l’en prie Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL

i.p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Gentil, prêtre de la Mission, au Mans.

 

662. — A MARC COGLÉE

De Paris, ce 3 octobre 1653.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je fis réponse à vos lettres mercredi, et n’ai rien à

Lettre 1662 — L s — Dossier de Turin, original

 

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vous dire de nouveau, sinon que je suis toujours en peine de vos malades et de vos accablements, et que nous continuons nos prières à Dieu qu’il vous conserve et vous fortifie tous, s’il lui plaît.

Le sujet de la présente est pour vous dire qu’hier nos dames de la Charité vous ont accordé 200 livres pour distribuer à vos pauvres malades et languissants, selon que vous avez accoutumé. J’en donne avis à M. de Séraucourt, à Reims, afin qu’il vous les fasse tenir ; sinon, vous les pourrez prendre à Sedan et en tirer lettre de change sur nous. Mandez-moi au plus tôt jusqu’à quel mois vous avez reçu les aumônes déjà ordonnées, et combien pour le dernier mois. Je suis cependant en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Coglée, supérieur des prêtres de la Mission de Sedan, à Sedan.

 

1663. — A NICOLAS GUILLOT

De Paris, ce 10° octobre 1653.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Depuis que je ne vous ai écrit, j’ai reçu deux de vos lettres, des 24 août et 8 de septembre. Cette réception m’a bien donné de la joie ; mais je vous avoue aussi que j’ai bien eu de la peine à les lire, à cause de votre mauvais caractère, qui me fait perdre du temps et quel

Lettre 1663 — L s — Dossier de Pologne, original

 

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que fois le sens de votre discours. Je vous prie de vous étudier à mieux écrire, à bien former les lettres et à séparer les mots ; et ainsi vos écrits m’apporteront une double consolation.

Les religieuses sont encore arrêtées à Douvres avec les ecclésiastiques qui les accompagnent (1) quoique le parlement d’Angleterre leur ait accordé la liberté et mainlevée du vaisseau et des hardes ; mais il faut que cet arrêt passe par l’amirauté ; en quoi ils trouvent plus de longueurs qu’au reste, ce qui commence à les ennuyer, ainsi que M. Ozenne me le mande par sa lettre du 3 de ce mois. Dieu veuille qu’ils en soient à présent dehors et en état de se remettre en mer ! Mais ce sera plutôt pour repasser en France que pour aller en Pologne, tant à cause que la mer est couverte de pirates, que de la saison avancée, qui rend ce voyage difficile et dangereux, particulièrement pour des filles. Quant à M. Ozenne, il me mande que, bien qu’elles demeurent, il ne laissera de s’en aller ; mais, comme il n’a aucun passeport et qu’il y a les mêmes dangers à craindre pour lui que pour les autres, je doute qu’il soit expédient. Nous attendons que le vaisseau soit arrivé à Calais, où ils doivent venir descendre, pour aviser au mieux. Il faut adorer Dieu en ses conduites et nous tenir prêts à tous événements. C’est ce que je vous conseille à l’égard de votre établissement, pour lequel il semble que vous ayez un peu trop de sollicitude. Laissons faire Dieu, lequel parfait les choses quand on y pense le moins. Je vous prie aussi de témoigner estime, respect et reconnaissance à ce bon ecclésiastique qui vous témoigne affection. Vous devez

1) Ils en étaient partis le 5

 

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penser qu’elle est sincère, bien qu’il ne s’y faille pas appuyer.

Je loue Dieu infiniment de la bonne disposition de la reine et de la continuation de ses bontés incomparables pour les pauvres et pour ceux qui ont obligation et volonté de les servir, comme nous et les Filles de la Charité. A propos de ces filles, je vous prie de me mander si elles observent bien leur petit règlement, surtout à l’égard de l’oraison tous les jours, de la confession et communion tous les dimanches et les fêtes, à s’entre-demander pardon et à conserver l’union entre elles. Tout cela se doit pratiquer partout où elles sont, autant qu’il est possible ; et si elles y manquent, mandez-moi d’où cela provient.

Je loue Dieu pareillement des forces qu’il vous donne et de la fidélité que vous avez à faire sa sainte volonté partout et en toutes choses. Je le remercie encore des mêmes grâces qu’il fait à nos confrères de Sokolka, à qui vous ferez part de nos nouvelles, s’il vous plaît, leur mandant que nous n’en avons point, que tout va son petit train ici et dans les autres maisons de la compagnie. Je vous dirai seulement que celles de Cahors, de La Rose, d’Agen et de Montauban sont assiégées de peste, laquelle est fort échauffée en ces pays-là et aussi en Languedoc. Continuons à nous offrir à Dieu les uns les autres et de nous entr’aimer en Notre-Seigneur, comme il nous a aimés. C’est par cet amour et en cet amour que je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Guillot, prêtre de la Mission, à Varsovie.

 

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1664 — A THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 10 octobre 1653.

Monsieur Jolly m’a fait savoir qu’il est content d’être pourvu de la maîtrise du Saint-Esprit de Toul, mais que M. Lambin n’en est pas d’avis, disant qu’on ne peut accepter un bénéfice qu’avec intention de le retenir ; ce qui est véritable en certains cas, mais non pas en celui-ci : 1° d’autant que ledit sieur Jolly est membre du corps auquel il remettra son droit, et par ce moyen il le retiendra en quelque façon ; et en second lieu, il s’agit d’un plus grand bien, lequel l’Église n’entend pas empêcher, quand les saints canons défendent de ne recevoir un bénéfice qu’avec intention de le garder ; au contraire, cette défense est faite fort à propos pour éviter les abus. Or il est constant qu’il y a plus de bien à espérer de l’union de cette maison à une communauté, que si la même maison était à un particulier. C’est pourquoi les docteurs d’ici sont de ce sentiment, qu’un particulier peut prendre un bénéfice avec intention de le résigner par après en manière d’union à une compagnie bien réglée, dans la vue qu’il a d’un plus grand bien, pourvu que cela n’entre pas en pacte avec celui qui lui donne le bénéfice, et que, l’ayant accepté, il demeure libre de le retenir ou de le résigner. Or M. Jolly sera dans cette liberté, aussi bien de notre part que de celle de M. Platel, lequel lui en fera sa

Lettre 1664. — Reg. 2, p. 233

1) Jean Dehorgny, précédemment supérieur à Rome, venait d’être rappelé à Paris, où il arriva le dernier jour de l’année. (Cf. lettres 1677 et 1693). Thomas Berthe, qui remplissait les fonctions de procureur général de la compagnie auprès du Saint-Siège, était tout désigné pour lui succéder.

 

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démission sans aucune condition, et nous ne voulons pas l’obliger, en l’acceptant, d’en disposer qu’en la manière qu’il lui plaira et selon les lumières que Dieu lui donnera pour lors. Je vous prie de consulter ceci avec les Jésuites de delà.

 

1665. — A FRANÇOIS FOURNIER, PRÊTRE DE LA MISSION, A AGEN

Du 12 d’octobre 1653.

Je vous ai déjà mandé quelque chose de la joie que j’avais reçue de ce que vous vous étiez présenté à Agen pour assister M. Edme (1) en sa maladie, nonobstant le danger de peste qui était dans la ville et le refus qu’il avait fait de votre secours, pour aimer mieux se priver de cette consolation que d’exposer votre personne. J’ai été si touché de cette sainte contestation que j’en ai fait part à la compagnie ; et même je lui ai mis en question qui avait fait un plus grand acte de vertu en cela, de vous ou de lui. Du depuis, j’ai vu par votre lettre du 20 septembre que votre charité a prévalu sur sa résistance et qu’enfin vous vous êtes rendu auprès du malade pour en avoir soin et le consoler ; ce qui contribuera sans doute beaucoup à son rétablissement, dont j’ai aussi averti la compagnie, pour l’en édifier et pour l’obliger d’en remercier Dieu et de vous recommander tous deux à sa divine bonté.

L’ecclésiastique de condition dont vous m’écrivez nous fait trop d’honneur de vouloir se retirer en quelqu’une de nos maisons, pour s’occuper à nos fonctions. Sur quoi

Lettre 1665. — Reg. 2, p. 329

1) Edme Menestrier. Saint Vincent ne le désigne jamais que par son petit nom.

 

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je vous dirai, Monsieur, que la règle générale parmi nous est de ne recevoir aucun externe que dans les séminaires. Il est vrai que nous avons ci-devant reçu céans feu M. de Vincy et que nous y avons eu depuis Messieurs les abbés de Chandenier, mais c’est pour des considérations qui ne se peuvent rencontrer en d’autres ; et les raisons que nous avons de n’en plus recevoir sont considérables, particulièrement celle-ci, qu’il faut de deux choses l’une : ou leur permettre de faire leur récréation avec nous, ou leur donner quelqu’un des nôtres pour la faire avec eux. Au premier cas, ils nous ôtent la sainte liberté qui se prend en ces occasions ; et au second, c’est diviser les personnes et l’esprit de la compagnie ; et en tous les deux, c’est leur donner moyen de connaître le fort et le faible de chacun de nous. Il y a un autre inconvénient : c’est que les malcontents, quand il y en a, se vont décharger à eux, et à même temps leur donnent connaissance de tout ce qui se passe dans la maison et dans la compagnie, jusques aux affaires les plus secrètes. Si cet honnête ecclésiastique veut demeurer en votre maison, qui est un séminaire, ou venir en celui des Bons-Enfants, il y sera reçu volontiers ; hors cela, faites-lui sentir la difficulté.

 

1666. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[octobre 1653] (1)

Je me suis trompée disant que quelqu’un des pères des pauvres s’est offert pour accompagner Monsieur Alméras chez Monseigneur de Nantes (3) ; il lui conseille seulement de l’aller

Lettre 1666. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Gabriel de Beauvau de Rivarennes.

 

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treuver. Mais sur la fin de la dernière lettre de Monsieur Alméras, il dit venir de conférer de l‘affaire à M. de Baspréau ; et ont résolu de le faire sans en parler à. Monseigneur, pour quelques raisons qu’il dit, et que peut-être ledit seigneur criera à son retour, mais qu’il n’en sera autre chose, que tout tombera sur lui (sieur de Baspréau), mais qu’il y est résolu et sait ce qu’il aura à répondre. Voilà ses propres termes

Quant à l’article de la distribution des offices le sentiment de Monsieur Alméras est que le soin en demeure à la sœur servante et je le crois absolument nécessaire pour y maintenir la paix et rendre la sœur servante dans l’état qu’elle paraisse effectivement avoir à diriger les autres ; et cela peut-être entendu plus par l’acte d’obéissance plus spirituel que temporel ; et encore qu’il n’a paru jusques à présent que les pères aient voulu connaître de cela qu’au sujet du vin. et encore qu’au sujet des brouilleries, si cela leur était accordé ils en viendraient à tout le reste l’un après l’autre. Une sœur servante saura bien faire treuver bon ce qu’elle fera à ceux des pères qui voudraient s’indigner sur sa conduite, se conduisant en tout avec prudence et respect dans toutes les autres fonctions de sa charge.

Monsieur Alméras ne se treuvera-t-il point au départ de nos sœurs (1) ? Cela serait bien nécessaire.

Ne faut-il rien mander d’Hennebont ?

 

1667. — AU FRÈRE JEAN BARREAU

De Paris, ce 17 octobre 1653.

Mon cher Frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 24° juillet et le duplicata d’icelle du 10° août. Je rends grâces à Dieu de ce que vous avez fait entendre aux survenants que vous ne pouvez plus continuer une si grosse dépense que par le passé et de ce qu’à présent vous n’en admettez que fort peu à votre ordinaire En quoi vous avez fait un

1) Les sœurs. Anne et Louise.

Lettre 1667. — L. s. — Dossier de la Mission, original

 

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acte de modestie et un autre de justice : de modestie, ne voulant paraître splendide et libéral, pour honorer l’humilité de N.-S. en la modération de sa table ; et de justice, en ce que les pauvres esclaves en seront mieux assistés. Je loue Dieu aussi de la bonne intelligence qui est entre vous et Monsieur Le Vacher (1), qui paraît par l’estime que vous avez pour lui et les bons témoignages que vous m’en rendez. Je prie Dieu qu’il confirme cette union et vous fasse la grâce de la conserver autant qu’en vous est.

Je remercie pareillement Notre-Seigneur de ce que ledit sieur Le Vacher n’a pas entrepris grand’chose sans vous le communiquer, si ce n’est quelques interdiction, pource, dites-vous, que vous n’avez pas voulu vous en mêler. En cela pourtant il devait vous demander conseil plus qu’en autre chose, et vous lui en dire votre sentiment, comme sur un sujet des plus importants de sa charge. J’espère que cela ne sera plus nécessaire, parce qu’il n’en viendra désormais à telles extrémités, Dieu aidant. Je ne doute pas que le soin qu’il a eu de ranger les prêtres et religieux à leur devoir ne soit la cause de leurs plaintes ; mais bienheureux qui souffre pour la justice, et vous et lui doublement heureux si vous l’exercez suavement, en esprit de charité et jamais par passion.

J’ai écrit à M. Chrétien, à Marseille, qu’il prenne mille livres et vous les envoie, au lieu de pareille somme que vous avez fournie à M. Dujardin.

Je n’ai pas rendu votre lettre à M. votre frère le procureur, parce qu’elle est un peu trop aigre et que nous avons tenté un accommodement, duquel il ne s’éloigne pas. Il est vrai que les embarras que j’ai eus et quel

1) philippe Le Vacher.

 

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qu’autre raison ont empêché que nous n’en sommes pas bien avant. Je tâcherai d’y vaquer le plus tôt et le plus que je pourrai.

Plaise à Dieu d’arrêter le succès des Turcs en la fréquente prise des chrétiens ! Lorsque j’ai su celle des gens de Monsieur le cardinal Antoine (2) je vous ai prié de les assister et servir autant que vous pourriez, et je vous en prie derechef.

Je crois bien que l’abord de tant de pauvres esclaves n’accommode pas votre bourse, mais pourtant il faut se régler selon vos forces. Après que vous avez fait ce que vous avez pu pour empêcher qu’il se pervertisse aucun chrétien, il faut se consoler en Notre-Seigneur, qui pourrait empêcher ce malheur et qui ne le fait pas.

Je vous prie de me mander ce que vous aurez fait pour les esclaves desquels je vous ai envoyé les rédemptions, savoir pour 4 de Cap-Breton, nommés Beauregard, de Sené, Campan et Douslieux ; pour Jacques Laval, du diocèse d’Agde ; pour Toussaint Le Rond, qui est de Paris ; pour Jean Sauvage, de Boulogne ; et ce qu’il faut pour le rachat de Joannes de Mauléon, basque, lequel pouvant être délivré pour 3 ou 400 livres, je vous ai prié de les fournir.

Je vous envoie une lettre pour François Ciral et une autre pour François Buisson, chirurgien. Un marchand de cette ville, nommé Baron, demeurant rue des Mauvaises-Paroles (3), me les a envoyées, avec un mémoire, qui porte qu’il payera jusques à 200 piastres pour ledit Ciral, et pour Buisson cinq cents. Mais comme ce n’est rien faire, s’il ne les envoie à Mar-

2) Antoine Barberini.

3 Petite rue du quartier Sainte-Opportune, allant de la rue des Bourdonnais à celle des Lavandières

 

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seille pour être tenues en Alger, je m’informerai s’il l’a fait et par quelle voie, pour vous en avertir, ou lui ferai dire qu’il le fasse au plus tôt, ou qu’autrement les pauvres gens ne seront pas délivrés, ainsi que peut-être il s’imagine, à cause des offres qu’il fait de donner l’argent après leur délivrance. Vous les pourrez cependant consoler de cette espérance.

On m’a prié de vous en recommander un autre, pris avec les gens de M. le cardinal Antoine, nommé Jacques Lambert, qui est d’auprès de Rethel, pour savoir ce qu’il faut pour son rachat. C’est Monsieur l’abbé de Bourzeis (4) qui m’en a écrit. Vous m’en ferez ressouvenir en me faisant réponse, ensemble des autres qui nous font de telles. recommandations, si je vous les nomme, afin que je leur fasse savoir ce que vous m’en écrirez.

Au nom de Notre-Seigneur, mon cher Frère, conservez-vous et bénissez Dieu des occasions qu’il vous donne de le servir et de vous perfectionner en tant de manières. Je suis, en son amour, mon cher frère, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Barreau, consul de la nation française, en Alger.

4) Amable de Bourzeis, abbé de Saint-Martin de Cores, né de parents protestants à Volvic, près de Riom, le 6 avril 1606, ordonné prêtre à Paris le 22 décembre 1640, mort doyen de l’Académie française le 2 août 1672. Il était lié avec le duc de Liancourt et fut quelque temps favorable aux jansénistes.

 

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1668. — A CHARLES OZENNE, PRÊTRE DE LA MISSION

De Paris, ce 22 octobre 1653.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Depuis que je ne vous ai écrit, j’ai reçu trois ou quatre de vos chères lettres, auxquelles je n’ai point fait réponse. Je remettais toujours d’un ordinaire à un autre, et les embarras extraordinaires que j’ai eus m’ont dérobé l’attention à cela ; je vous prie de m’en excuser.

Que vous dirai-je à présent, Monsieur ? Je rends grâces à Dieu de celle qu’il nous fait de [vous] (1) voir en l’état où vous êtes ; et comme il est le maître de la mer et des vents, je le prie qu’il vous les rende favorables, qu’il gouverne le vaisseau où vous irez, qu’il soit votre conducteur et votre pilote et qu’enfin il vous conduise heureusement en Pologne, où vous êtes attendu comme un homme qui doit donner le branle à quantité de bonnes œuvres et qu’on désire avec ardeur. A ce que je vois, on vous a donné de l’argent pour faire le voyage.

Vous m’avez dit par une de vos lettres que vous m’en aviez écrit une contenant la relation de tout ce qui s’était passé depuis votre départ, laquelle je n’ai pas reçue,, et vous ne me dites pas dans les autres si l’on vous a ôté l’argent que nous vous avons donné. Si j’avais été averti que vous en eussiez besoin et que j’eusse trouvé une voie assurée pour vous en envoyer, nous eussions fait. J’espère que la Providence, qui vous appelle, aura pourvu à tout.

Je vous embrasse, vous et notre frère Duperroy,

Lettre 1668. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

1) Le secrétaire a écrit nous par distraction.

 

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prosterné en esprit à vos pieds et avec toute La tendresse dont mon pauvre cœur est capable.

Pour nouvelles, nous nous portons assez bien, grâces à Dieu, et la famille de Troyes aussi, excepté le bon frère Dassonval (2) qui est comme paralytique et hors d’état de plus travailler, pour le moins de longtemps.

M. Alméras continue ses visites avec bénédiction ; M.. du Chesne est à Marseille et M. Husson à Tunis, où il est arrivé fort heureusement. Plaise à Dieu que je puisse dire de vous la même chose bientôt, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

 

1669. — A UN SEIGNEUR DE NORMANDIE

23 octobre 1653.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous remercier assez humblement et affectionnément à mon gré de la grâce que vous nous faites de repenser à notre chétive compagnie au sujet de votre fondation et de l’ajustement que vous agréez à nos petits usages. Je prie N.-S. qu’il soit votre remerciement et votre récompense ; et vous, Monsieur, je vous supplie

2) Jean Dassonval, clerc, né dans la ville d’Arras, atteint de cécité dès sa troisième année, bachelier en l’université de Douai, entré dans la congrégation de la Mission le 24 juillet 1641, à l’âge d’environ trente-cinq ans, reçu aux vœux à Troyes le 24 septembre 1645, mort dans cette ville en septembre 1654.

Lettre 1669. — Reg I, f° 15 v°, copie prise sur la "minute de la main"

 

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très humblement de nous excuser de ce que nous ne sommes pas en état de vous fournir présentement les missionnaires que vous demandez, à cause de quantité d’ouvriers que nous avons perdus cette année, et que nous avons été contraints de remplir les places vides depuis votre départ de cette ville et d’en envoyer quelques nouvelles fondations. Que s’il plaît à Dieu de bénir quelques écoliers que nous avons et leurs études en théologie, qu’ils achèveront cette année, nous serons en état de pouvoir fournir cinq ou six prêtres vers la fin de l’année, qui est le nombre d’ouvriers que la fondation peut entretenir, avec deux frères coadjuteurs. Il y a quantité de saintes communautés dans Paris qui sont préférables à nous ; j’ose vous supplier très humblement, Monsieur, de les préférer à nous.

 

1670. — RÉPONSE DE SAINT VINCENT

A DES QUESTIONS POSÉES PAR LOUISE DE MARILLAC

Ce lundi (Octobre 1653) (1)

Mon très honoré Père,

D. — Notre bonne dame m’a mandé que je l’allasse demain voir à une heure après midi. Elle veut peut-être savoir ce qu’il faudra faire pour passer un contrat. Si elle voulait que ce fût sans être nommée, je supplie votre charité prendre la peine me mander quelque expédient pour lui donner. Si l’on ne pourrait pas prier quelque personne d’agir pour ou au lieu à elle ?

R. — Il sera bon de lui dire que c’est à elle à dire son intention. Elle ne fera pas difficulté en cet affaire de stipuler elle-même, comme je crois. Je lui ferai dire que c’est à elle à donner l’ordre qu’il lui plaira.

Lettre 1670. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date marquée sur l’original par le frère Ducournau

 

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D. — J’ai reçu encore une lettre de Monsieur le curé de Vanteuil, qui dit que la sœur Judith est à Touquin-en-Brie (2) cure de M. Gallais (3) qu’elle s’en repent déjà et témoigne qu’elle serait prête à retourner, si Monsieur le curé de Nanteuil la voulait assurer pour sa vie. Que lui manderai-je à ce bon Monsieur ~

R. — La condition que cette fille propose porte son exclusion. C’est un trait (4) de l’esprit de son directeur.

D. — Je ne sais si notre frère Ducournau vous a dit une proposition pour s’accommoder avec les ouvriers, sans préjudicier à la maison qui est, mon très honoré Père, de faire prier la personne qui prend la peine de faire fouler les étoffes, de vous mander ce qui se donne aux ouvriers de son quartier pour la façon d’une presse de serge et ce qu’elle contient, ce que l’on donne pour la filer, tant au grand qu’au petit rouet. Cela facilitera bien le compte que l’on pourra faire avec les ouvriers, parce que le prix de Paris est trop haut, et avec raison, à cause que tout y est beaucoup plus cher.

R. — Ce bon homme m’enverra ou m’apportera un mémoire des frais.

Pardonnez mes importunités et me faites toujours l’honneur de me croire, mon très honoré Père, votre très humble et très obéissante fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1671. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du dernier octobre 1653.

]e vous remercie de l’avis que vous me donnez touchant ce prêtre lyonnais qui a passé à Gênes. Nous devons estimer que d’autres méritent mieux le nom de

2) Localité de Seine-et-Marne, arrondissement de Coulommiers

3). Guillaume Gallais venait de quitter la congrégation de la Mission.

4). Première rédaction : c’est un piège

Lettre 1671 — Reg 2, p 86

 

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missionnaires que nous et qu’ils en font mieux les fonctions ; et ainsi je prie Dieu qu’il bénisse le dessein de celui-là, si c’est pour sa gloire. Néanmoins, la ressemblance des noms en plusieurs corps est une confusion ; et même c’est un désordre, dans un royaume, d’y avoir différentes congrégations qui n’ont que les mêmes emplois, et il y a apparence que cela ne vient pas de Dieu.

J’écris au supérieur de Rome qu’il côtoie cette affaire, afin que, si l’on poursuit un établissement de nouveaux missionnaires en France, il fasse entendre les inconvénients qui peuvent arriver de cette multiplicité et de la ressemblance des noms.

Il serait voirement à désirer que nous eussions une maison à Lyon ; mais nous devons davantage aimer le bon plaisir de Dieu, qui ne le veut pas pour encore.

 

1672. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce vendredi, veille de tous les saints (31 octobre 1653) (1)

Mon très honoré Père,

Le mémoire que j’ai envoyé à votre charité et dont je n’ai point de copie, n’est que propositions faites par cette bonne dame qui en demande votre avis, mais qui ne veut pas être nommée ; et m’a obligée de lui mander la meilleure forme pour faire cette affaire sûrement ; ce qui me fait vous supplier très humblement, mon très honoré Père, prendre la peine de faire écrire la réponse sur chaque article et y ajouter s’il faut qu’il en soit fait contrat, et la forme du contrat ; car je crois qu’elle n’en prendra point d’autre avis.

Je n’ai point encore envoyé de sœur à Varize par mon mauvais soin et pour trop donner lieu à l’incertitude et irrésolution ordinaire de mon esprit. Devons-nous en exclure tout à

Lettre 1672. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date marquée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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fait la sœur Andrée, qui en est revenue y a trois mois ; et nous n’en avons point de propre qui sache ni lire ni écrire ; celle qui est restée (2) ne sait pas seulement saigner. Si votre charité le treuve à propos, nous n’aurions égard qu’à ce dernier besoin, et nous pourrions en faire partir une dès lundi ; et quand quelques-unes de Nantes seront reposées, l’on pourrait y envoyer une pour l’instruction de la jeunesse.

Ce sera quand il vous plaira que l’on fera partir les 3 pour Nantes ; mais il serait bien nécessaire que nous vous parlassions auparavant et même que votre charité leur parlât pour leur conduite en ce lieu-là (3).

Quelle réponse ferai-je, mon très honoré Père, à Monsieur le curé de Nanteuil (4) qui se voudrait plaindre à Monseigneur de Nantes (5) du tort que M. Gallais lui a fait.

Je crois qu’une autre suivra bientôt la sœur Judith par cette même voie. Ce sont mes péchés et ma mauvaise conduite qui causent tous ces désordres comme je crois. Pensez-y devant Dieu, mon très honoré Père, et, pour son saint amour, apportez-y tel remède que vous croirez que sa sainte volonté vous conseillera, et me faites la grâce de me donner votre sainte bénédiction comme à votre plus pauvre fille, en l’amour de Jésus crucifié, qui se dit, comme elle est, mon très honoré Père, votre très humble et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Je crois que votre charité a été avertie du décès de notre sœur Madeleine, à neuf heures ou neuf et demie ce matin.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1673. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

(Après 16491)

Mon très honoré Père,

La pauvre sœur Nicole, de Montmirail, a dit à nos sœurs

2) Sœur Françoise.

3) Saint Vincent vit les trois sœurs destinées à Nantes le 12 novembre 1653 pour leur faire ses recommandations, qu’on nous a conservées.

4) Nanteuil-le-Haudouin.

5) Gabriel de Beauvau de Ravarennes.

Lettre 1673. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre a été écrite longtemps après que les Filles de la Charité eurent quitté Issy, où elles se trouvaient en 1649

 

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que Mademoiselle Montdésir, mère de Madame Tubeuf, l’avait reçue pour aller servir les pauvres malades du village d’Issy à la place de nos sœurs, que nous en avons retirées y a déjà longtemps, et qu’elle ne quitterait point du tout l’habit ni la coiffure, et serait toujours comme une des sœurs.

Toutes nos sœurs en auront peine, et moi, qui le crains (tant que mon insensibilité pour le présent à toute chose me le peut permettre), je supplie très humblement votre charité y penser devant Dieu, et s’il ne serait point plus à propos d’empêcher qu’elle n’y aille avec l’habit (ce que nous pourrions par le moyen de Mademoiselle Viole), que de lui faire ôter, quand elle serait habituée au village, à cause que Mademoiselle de Montdésir ne sera pas pour nous

Je supplie notre bon Dieu que votre retour soit en bonne santé, et suis, mon très honoré Père, votre très obéissante et très humble servante.

L. DE MARILLAC.

 

1374. — A LOUISE DE MARILLAC

[Après 1649] (1)

Il ne se faut point mettre en peine pour tout de l’établissement ni de l’habit de cette créature. Au nom de Dieu, Mademoiselle, guérissons-nous de ce mal-là. Ces sentiments procèdent de l’esprit d’envie et de faiblesse. Que si néanmoins Mademoiselle Viole peut faire cela sans qu’il paraisse d’où cela vient, in nomine Domini ! Le cep de la vigne porte du fruit tandis qu’il est attaché à son tronc ; hors cela, non.

Suscription : Pour Mademoiselle Le Gras.

2) Dans la banlieue de Paris.

Lettre 1674. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle elle a été écrite.

 

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1675 — A NICOLAS BAGNI, NONCE EN FRANCE

Novembre 1653.

Monseigneur,

Il y a quelques jours que je suis détenu à la chambre à cause d’une fluxion, et c’est, Monseigneur, la raison pour Laquelle je ne suis pas allé rendre compte à Votre Seigneurie Illustrissime du commandement duquel elle m’a honoré au sujet du prêtre du diocèse de Sens et de M. l’ambassadeur de Portugal. Or je dirai à Votre Seigneurie Illustrissime, Monseigneur, que ce bon prêtre ne se plaindra point au parlement, que M. de la Marguerie et lui se sont soumis au jugement de Votre Seigneurie Illustrissime pour cela et pour toutes choses.

Je n’ai point pu voir mondit sieur l’ambassadeur, pour avoir été chez lui un jour qu’il avait pris médecine. J’espère retourner chez lui à la première sortie que je ferai, et d’aller rendre compte à Votre Seigneurie Illustrissime de ce que j’aurai fait avec ce bon seigneur, et prier Votre Seigneurie lllustrissime de m’honorer de quelques nouveaux commandements, que j’espère exécuter plus promptement que ceux-ci, avec l’aide de N.-S., en l’amour duquel je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i p. d. l. M.

Lettre 1675. — Reg. 1, f° 16, copie prise sur l’original, qui était de la main du saint.

 

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1676 — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

Du 5 novembre 1653

…Au reste, Monsieur, nous vous portons grande compassion de ce que vous avez deux malades dans la maison, et au dehors tant de morts, de moribonds et de pauvres gens qui vous accablent. Je prie Notre-Seigneur qu’il soit votre force pour soutenir une telle charge, qu’il soit votre premier et votre second dans ce travail extraordinaire et qu’il supplée au défaut de ce qui vous manque d’ouvriers, d’autant plus que nous ne pouvons présentement vous en envoyer aucun, à cause des missions que nous avons sur les bras et de ce qu’il nous a fallu envoyer plusieurs prêtres en d’autres maisons. Nous tâcherons pourtant de vous envoyer un prédicateur au plus tôt.

Pour les vingt écus que vous avez donnés aux pauvres soldats de l’argent de la maison, à la bonne heure, puisque cela est fait ; il en faut attendre la récompense de Dieu, et non pas les répéter sur l’argent que vous avez reçu de Paris pour distribuer aux pauvres ; mais pour l’avenir, vous assisterez, s’il vous plaît, lesdits soldats de l’argent des dames autant que vous pourrez.

Je crois bien ce que vous m’écrivez de M… ; mais je vous prie de le supporter comme Notre-Seigneur supportait ses disciples, desquels il recevait plusieurs sujets de mécontentement, au moins de quelques-uns ; et pourtant il les souffrait en sa compagnie et tâchait de les ramener doucement.

Lettre 1676.- Reg. 2, p. 155.

 

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1677. - A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 5 novembre 1653.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La dernière que j’ai reçue de votre part est du 17 octobre. Je suis toujours en grande peine de tant de traverses qui arrivent à votre ! affaire et d’un si long exercice dont il plaît à Dieu éprouver votre patience. Il faut qu’il ait de grands desseins sur ceux de la reine de Pologne et sur votre personne, puisqu’il permet toutes ces difficultés, afin de vous faire mériter, par le bon usage d’icelles, la grâce de l’exécution. Les œuvres de Dieu les plus considérables sont pour l’ordinaire traitées de la sorte. Je prie Notre-Seigneur qu’il soit votre force pour soutenir le poids de tant d’événements fâcheux.

Les religieuses sont toujours à Calais, résolues de ne point passer outre, nonobstant que la reine les en fasse prier et qu’elle ait envoyé à Hambourg un grand attirail pour les conduire sûrement par terre. Quant à vous, Monsieur, je ne vous donne point de conseil pour continuer ou remettre votre voyage. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous inspire lui-même ce qu’il désire de vous en cette occasion. Je m’attendais que vous me manderiez si vous avez de l’argent, et combien, pour entreprendre d’aller si loin ; mais comme vous ne m’en dites mot, je veux croire que la reine, ou ceux qui font pour elle, auront pourvu à cela.

Il y a douze ou quinze jours que je vous ai écrit. Je

Lettre 1677. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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crains que vous ne receviez pas mes lettres, à cause que j’y mets d’autre adresse que la vôtre, ne sachant ni votre logis, ni par qui vous les faire rendre à Douvres.

J’ai à vous donner une nouvelle qui vous affligera ; il n’y a remède ; c’est que le bon frère Dassonval est atteint d’une paralysie sur la moitié du corps (1), qui lui a ôté l’usage des membres et de l’esprit depuis un ou deux mois ; il est vrai qu’à présent il est un peu mieux. Nous avons envoyé à sa place M. Ennery.

Nous nous portons bien, grâces à Dieu, et nous n’avons rien de nouveau, sinon que M. Dehorgny revient de Rome pour nous aider ici, et M. Alméras achève ses visites de Poitou et de Bretagne pour se rendre bientôt à Paris.

Je prie et fais prier Dieu souvent pour vous et pour notre bon frère Duperroy, que j’embrasse en esprit. Au nom de Dieu, Monsieur, conservez-vous et vous confiez pleinement en la conduite de Dieu, qui m’a rendu, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, de la congrégation de la Mission, à Douvres.

 

1678. — A LOUIS CHAMPION, SUPÉRIEUR, A MONTMIRAIL

6 novembre 1653.

Il serait fâcheux que vous fussiez obligé de faire saisir la grange du fermier de la Chaussée, car les pauvres

Lettre 1678. — Collet, op. cit, t. II, p. 176.

 

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gens sont déjà trop affligés pour qu’on les afflige davantage…

Je vois bien qu’il est fort à craindre, comme vous le dites, qu’en donnant chez vous un asile à tant de réfugiés, votre maison n’en soit plus tôt pillée par les soldats. Mais c’est une question si pour ce danger vous devez refuser la pratique d’une aussi belle vertu que la charité.

 

1679. — A NICOLAS CUILLOT

De Paris, ce 7 novembre 1653.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 9 octobre, avec celle de M. Desdames, qui m’ont fort consolé. Je rends grâces à Dieu de ce qu’on est entré en traité de la cure de Sainte-Croix, et de l’ardeur que M. Fleury a pour cette affaire. Je prie Dieu qu’elle réussisse, si c’est pour sa gloire ; sinon, qu’il en empêche le succès. Je me donne l’honneur de remercier mondit sieur Fleury des peines qu’il y prend et des autres grâces qu’il vous fait. Je vous prie de me mander si cette cure a d’autres paroissiens que les domestiques du roi, combien il y faut de prêtres, de quel revenu elle est, s’il y a logement et lieu pour en faire ; bref donnez-moi bien à connaître ce que c’est que cette cure, ses charges et ses appartenances.

M. Ozenne est toujours à Douvres, mais en disposition de passer en Pologne, quelque temps qu’il fasse, sitôt que le vaisseau dans lequel il a été pris sera en état de le porter à Hambourg, d’où il est. Le parlement

Lettre 1679. — L. s. — Dossier de Cracovie, original

 

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l’a déclaré de mauvaise prise ; mais il a fallu que l’arrêt ait passé par l’amirauté, et c’est là que parties adverses chicanent et sont cause des longueurs qu’on apporte à leur délivrance. Dieu veuille la leur accorder bientôt, et à vous la consolation tant désirée de la présence de ce cher supérieur, qui, en vérité, est un homme de Dieu ! Je n’ai pas encore remarqué en ses lettres le moindre trait d’impatience de se voir retenu et maltraité, ni une parole de murmure, au contraire une grande douceur et beaucoup de prudence, comme si rien n’était.

Je loue Dieu de ce que vous avez averti les Filles de la Charité de mortifier ainsi leurs sentiments pour ne se plaindre ni rien blâmer du traitement ni de l’état où elles sont. Cela leur profitera, et à vous aussi, Monsieur, qui devez n’ouvrir la bouche que pour témoigner reconnaissance des bienfaits reçus, et jamais pour dire votre mécontentement, vous souvenant que les plaintes des inférieurs sont toujours rapportées aux grands. Vous le voyez à l’égard de ces filles, qui se sont échappées en cela et qui ont maintenant la confusion d’en être mal dans l’esprit de la personne (1)

Je loue Dieu de la bonne volonté que vous a. avez trouvée pour vous et pour la compagnie en monsieur l’official nouveau de Mgr de Posnanie. Je le remercie aussi de ce que vous me mandez de M. Zelazewski.

J’écris à M. Desdames, et je vous prie de m’offrir à Dieu, comme je continue de faire votre personne et vos exercices, à ce qu’il les bénisse. Je salue notre bon frère Posny et nos sœurs.

J’oubliais de vous dire que nous avons reçu ce bon

1) Le secrétaire avait écrit le mot reine, que le saint a biffé et remplacé par personne.

 

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enfant que M. Fleury nous a envoyé, que nous lui avons fait faire une retraite et qu’à présent il est au séminaire de Saint-Charles, où je l’ai bien recommandé et duquel nous aurons tous les soins possibles. C’est de quoi j’assure mondit sieur Fleury par celle que je me donne l’honneur de lui écrire, qui suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

ind. p. de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Guillot, prêtre de la Mission, à Varsovie.

 

1680. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 8 novembre 1653.

Monsieur,

la grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai déjà répondu à toutes vos lettres, excepté à celle du 28 octobre, que je reçus hier, par Laquelle vous vous plaignez de n’en recevoir aucune de ma part. Voici néanmoins la troisième que je vous. écris depuis que les Filles de Sainte-Marie sont à Calais.

Je loue Dieu de ce que le vaisseau a été visité et que vous avez l’usage de vos hardes. Dieu veuille que tout se termine en bien ! J’admire de plus en plus les conduites de Dieu sur vous et sur la troupe, et comme il fait tout pour le mieux ; j’espère qu’il sera glorifié de tant de traverses et de retardements. Dieu sait combien vous êtes attendu en Pologne, où j’écrivis hier votre

Lettre 1680. — L s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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disposition et l’état des choses. Je ne vous conseille ni déconseille de continuer votre voyage ; c’est à vous, Monsieur, à vous y résoudre selon le temps, la compagnie et les connaissances que vous aurez. Je prie Dieu qu’il soit votre conseil et votre force pour accomplir en cela et en tout sa sainte volonté, en laquelle et par laquelle je suis, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

S’il y a du danger dans le temps présent, au nom de Dieu, Monsieur, différez au printemps (1)

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, prêtre de la Mission, à Douvres.

 

1681. — A LA DUCHESSE D’AIGUILLON

9 novembre 1653

Madame,

M. le grand maître (2) a fait faire défense à vos maçons qui travaillaient à la Salpêtrière de continuer. leur travail, à peine de prison (3). Ayant envoyé l’exploit à

Lettre 1681. — Reg. I, f° 66 v°, copie prise sur la "minute de la main" 1) La lettre est adressée à une dame dont le nom n’est pas donné ; le ton et le contenu montrent bien que cette dame est la duchesse d’Aiguillon.

2). Louis de Bourbon, prince de Condé.

3). A la vue du bon ordre établi à l’hôpital du Nom-de-Jésus par son fondateur saint Vincent de Paul, les dames de. la Charité avaient pensé avec raison que le saint serait capable de mener à bonne fin une entreprise autrement considérable, conçue depuis longtemps par M. de Renty, mais hérissée de mille difficultés, qui en retardaient toujours l’exécution : la création d’un vaste hôpital

 

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Mademoiselle Viole pour avoir l’avis de M. Deffita, elle me manda hier au soir qu’il est d’avis que je vous donne avis de cette affaire et vous supplie très humblement de faire un petit voyage jusques ici pour voir M. le grand maître et aviser à ce qu’il il y aura à faire. Je doute que cela ne vienne d’un ordre supérieur, je ne dis pas de la cour, s’il ne vient de son bailli, pour avoir quelque chose. Cependant l’ouvrage cessera, si votre charité n’y met sa bonne main. J’ai bien de la peine, Madame, d’être le rabat-joie de votre repos, auquel il me semble que je participais sensiblement, et j’ose dire tendrement.

L’on fut hier assemblé chez M. Pepin pour l’exécution de l’accommodement avec M. Langlois, chacun ayant porté des contrats ou de l’argent, excepté M. Courtin, qui n’apporta pas 12.000 livres, faute desquelles l’on fut remis à vendredi prochain. Je n’y étais pas. M. Pepin me manda que j’avais dit que je f (ournirai) (4) pour le Canada ; ce qui n’est pas ; et je ne sais pas même qui doit fournir l’argent pour ces bonnes religieuses, ou signer pour elles (5).

Nous n’avons point encore de fermier pour Rouen ;

général, où seraient reçus les mendiants de Paris. Elles lui en parlèrent, lui offrirent d’importantes sommes d’argent et obtinrent de la reine la maison et les enclos de la Salpêtrière. La duchesse d’Aiguillon, présidente des dames de la Charité se hâta de faire à l’établissement les réparations et les aménagements qui s’imposaient. Cependant le projet n’était pas bien vu de tous ; des personnages haut placés le décrièrent et, par leur opposition, en retardèrent l’exécution quatre ou cinq ans Quand elles virent les pouvoirs publics gagnés à leur cause, grâce surtout au précieux concours de la Compagnie du Saint-Sacrement, et prendre l’œuvre en mains, les dames remirent aux administrateurs nommés la Salpêtrière et le château de Bicêtre, qui ne servait à rien depuis le transfert des enfants trouvés. (Abelly, op. Cit., 1. I, chap. XLV.)

4). La copie est abîmée en cet endroit.

5)." Les Hospitalières de la Miséricorde de Jésus, qui desservaient l’Hôtel-Dieu de Québec."

 

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celui qui l’est avait offert de donner 11.000 livres, au lieu de dix qu’il donne ; et il y a 3 ou 4 jours qu’il s’est dédit.

 

1682. — A HENRI D’ESTAMPES, AMBASSADEUR DE FRANCE, A ROME (1)

9 novembre 1653.

J’accompagne l’incluse que le roi vous écrit pour nous recommander à votre protection. J’avoue, Monseigneur, que nous aurions tort de recourir à cette recommandation, n’était pour vous donner un prétexte de parler plus souvent de nos petites affaires à Sa Sainteté et de la presser ; car votre charité, Monseigneur, est si grande pour nous, et elle le nous a si fort témoigne en toutes les occasions, qu’il nous semble que votre bonté prend nos petits intérêts à cœur comme s’ils étaient les siens. O Monseigneur, que cela oblige cette petite compagnie, et moi particulièrement, à prier Dieu pour vous, à ce qu’il sanctifie de plus en plus votre chère âme et bénisse ses conduites pour le bien de son Église et de cet État ! M. Berthe, qui fait à présent la charge de supérieur de notre petite famille, vous dira l’affaire présente que nous avons à négocier auprès de Sa Sainteté pour le bien de notre petite compagnie (2) ; et moi, Monseigneur, je vous fais un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, qui suis, en l’amour de N.-S…

Lettre 1682. — Reg. 1, f° 24 v°, copie prise sur la minute autographe.

1) Henri d’Estampes, bailli de Valancay. Il fut rappelé quelques jours après, eut son audience de congé le 19 décembre et quitta Rome en janvier

2) La question des vœux.

 

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1683. — LE CARDINAL ANTOINE BARBARINI A SAINT VINCENT

Rome, ce 10 novembre 1653.

Monsieur,

Je connais l’empressement que vous avez mis pour m’écrire, le 3 du mois passé, les soins que vous avez bien voulu user à l’égard de mes familiers en Algérie, dont je vous suis très reconnaissant, comme encore les expressions par lesquelles vous faites preuve de votre sollicitude pour les heureux événements que j’ai eus. Je puis de même vous assurer que je désirerais que ces événements me donnent des. moyens pour vous faire connaître l’estime que j’ai toujours eue pour votre compagnie et tout particulièrement pour votre personne.

J’attends de vous quelque occasion favorable pour vous montrer que je suis de tout mon cœur votre tout affectionné serviteur.

CARD. ANTOINE BARBERINI.

 

1684. — A UN ÉVÊQUE

[Entre 1652 et 1660] (1)

J’ai un sensible déplaisir, Monseigneur, de celui que vous avez reçu de la lettre qui vous a été écrite de la cour, ainsi que l’on me l’a fait entendre, dont j’ai été grandement surpris. Je souhaiterais être en lieu où je puisse dire mes raisons pour votre justification. Je vous prie de croire que je m’efforcerai de le faire lorsque Dieu m’en donnera les moyens, de même que j’ai toujours tâché d’insinuer en toutes rencontres et en tous lieux la plénitude de l’estime et de la révérence que j’ai pour votre personne sacrée, qui fait de nouvelles

Lettre 1683. — Dossier de la Mission, copie.

Lettre 1684. — Abelly, op cit., 1. III, chap. IV, sect. IV, p. 143.

1). Cette lettre semble du temps où saint Vincent ne faisait plus partie du conseil de conscience.

 

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impressions en moi toutes les fois que je considère la grâce que vous faites à vos pauvres missionnaires de les employer à l’instruction et au salut de vos peuples, et comme ils sont heureux et contents de travailler sous votre douce conduite.

 

1685. — A LA SŒUR HENRIETTE GESSEAUME

De Paris, ce 18 novembre 1653

Ma Sœur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nous avons envoyé trois de vos sœurs à Nantes, à la place de trois autres, que nous rappelons (1) et avons été obligés à ce changement pour remédier au petit désordre que vous avez vu. Je prie Notre-Seigneur qu’il ait agréable de l’ôter entièrement, et vous de contribuer ce que vous pourrez à ce qu’à l’avenir il n’arrive rien de semblable, et pour cela de ne dire jamais vos peines à personne du dehors, si ce n’est à M. Truchart, pour recevoir ses avis, mais toujours à la sœur servante, qui sera Marie-Marthe (2) une des meilleures et des plus capables de votre compagnie, à laquelle, par conséquent, vous devez avoir une grande créance. Je sais que vous êtes aussi une fort bonne fille, grâces à Dieu, et que, lorsque vous avez découvert vos sentiments aux externes en parlant des autres sœurs, vous n’aviez pas mauvaise intention ; non, je le sais bien ; mais je vous en parle à cause

Lettre 1685. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Les sœurs Jeanne Lepeintre, Anne et Louise.

2). Marie-Marthe Trumeau, précédemment à l’hôpital d’Angers. Elle quitta Nantes en 1655, fut envoyée à La Fère et de là à Cahors en 1659.

 

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de la désunion qui s’en est ensuivie, et que vous sachiez que telles communications ne produisent que de mauvais effets (3) J’espère donc, ma Sœur, que vous les éviterez désormais et que non seulement vous vous conserverez en bonne intelligence avec la sœur servante, mais que vous porterez les autres à lui obéir par votre exemple et à vous tenir toutes en paix pour vous avancer à la vertu, vous soulager les unes les autres et vous être à consolation dans vos grands travaux. Ce faisant, vous attirerez sur vous les bénédictions du ciel et de la terre. C’est la grâce que je demande à Dieu, qui suis, en son amour, ma Sœur, votre affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. prêtre de la Mission.

Suscription : A ma sœur la sœur, Fille de la Charité, servante des pauvres malades de l’hôpital de Nantes, à Nantes.

 

1686. — AU CHANOINE DUVAL (1)

Paris, 19 novembre 1653.

Monsieur,

Il y a près de trois semaines que je me suis proposé de vous écrire, en réponse à votre lettre du 24 septembre, mais les empêchements qui me sont survenus m’ont fait différer de jour à autre ; c’était pour vous

3) Louise de Marillac fit la même recommandation à toutes les sœurs dans une lettre qu’elle leur adressa vers la même date (1 388). Ce défaut était sans doute plus saillant chez la sœur Henriette.

Lettre 1686. — Pémartin, op. cit., t. II, p. 589, 1. 1002.

1) Chanoine théologal à Tréguier, né. à Paris, mort le 12 décembre 1680

 

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dire, Monsieur, qu’enfin Mgr et Madame de Vendôme (2) ont permis l’établissement de vos religieuses ursulines en leur ville de Guingamp, ainsi que vous aurez pu voir par l’acte ou patente que madite dame leur en a envoyé.

Je voudrais qu’il plût à Dieu me donner occasion de vous servir en votre particulier ; je le ferais avec autant de reconnaissance que vous avez de charité pour nous, de laquelle notre petite famille de Tréguier expérimente souvent les effets. Je vous supplie très humblement de les y continuer et d’user du pouvoir que vous avez sur moi, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

1687. — A THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR, A ROME

28 novembre 1653.

Je ne doute pas que vous ne sachiez très bien combien il importe que ceux qui conduisent ne fassent rien qui soit de quelque considération, que par concert. Je loue Dieu de ce que vous êtes déjà dans cette pratique, prenant l’avis de deux ou trois, lorsqu’il se présente des affaires qui requièrent cette circonspection. Depuis votre lettre reçue, j’ai écrit à deux ou trois de nos supérieurs d’en faire de même, et renouvellerai cet ordre partout, parce que tous les jours j’en expérimente la nécessité.

2) César de Bourbon, duc de Vendôme, né au château de Coucy en 1594 d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, marié à Françoise de Lorraine, fille du duc de Mercœur, mort à Paris le 22 octobre 1665. Il fut mêlé aux troubles de la régence, combattit la politique de Richelieu, sous lequel il connut la prison et l’exil, et se rallia à celle de Mazarin, qui le nomma grand maître de la navigation en 1650 et le combla de faveurs. son fils aîné épousa Laure Mancini nièce du cardinal

Lettre 1687. — Reg. 2, p. 267.

 

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1688. — AU FRÈRE JEAN PARRE

De Paris, ce 29 novembre 1653

Mon cher Frère,

La paix de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre touchant les souffrances du pauvre peuple et les petits remèdes que vous y apportez, dont j’ai donné connaissance à plusieurs personnes charitables, qui n’ont encore rien résolu là-dessus, mais qui s’affligent de tant de misères et se consolent tout ensemble, voyant vos soins et votre vigilance au soulagement des pauvres. Je ne vous recommande pas de continuer, mais de modérer vos travaux et de ménager votre santé.

Ces deux bons garçons de Saint-Quentin se disposent à s’en retourner par le premier coche, selon l’ordre que le plus grand en a reçu de M. son père ; ils sont toujours céans et y seront jusqu’à leur départ. Peut-être iront-ils se promener à Rueil demain ou après, pour voir si Madame (1) leur fera donner quelque chose pour les frais du voyage et rendre la valeur de ce qu’un voleur leur a pris.

Nous avons besoin céans d’un garçon tailleur ; si vous en trouvez quelqu’un qui soit bon enfant et sache bien travailler, envoyez-le-nous ; il pourra gagner quelque chose céans.

Je suis, en N.-S., mon cher Frère, votre très affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Lettre 1688. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) La duchesse d’Aiguillon.

 

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Suscription : A mon cher frère le frère Jean Parre, de la congrégation de la Mission, chez Monsieur Pannier, marchand, à Saint-Quentin.

 

1639. — A LA SŒUR BARBE ANGIBOUST

De Paris, ce 10 décembre 1653.

Ma chère Sœur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je reçus votre lettre ces jours passés, qui m’a beaucoup consolé, pource qu’elle venait de vous ; mais j’ai été également surpris de la retraite de M. Champion. Béni soit Dieu ! Peut-être qu’il s’est trouvé incommodé et que cela l’a obligé de s’en retourner à Montmirail. Nous avons envoyé à sa place un autre prêtre de notre compagnie nommé M. Daveroult, qui est nouveau en tels emplois (1) ; mais, comme il a beaucoup de charité pour les pauvres, il y a sujet d’espérer qu’il apprendra bientôt ce qu’il y a à faire et qu’il s’en acquittera dignement. Je faillis à vous écrire par lui, pour n’avoir pas eu du temps assez..J’écrivis dès lors à un autre missionnaire, qui travaille aux pauvres de Laon, de se transporter à Châlons pour voir avec lui et avec vous la meilleure manière d’assister vos malades spirituellement et corporellement. Vous me consolerez de me mander de fois à d’autre comme cela ira. Nous continuerons de notre côté à prier Dieu qu’il bénisse vos travaux.

Lettre 1689. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original

1). Pierre Daveroult, né le 20 janvier 1614 à Béthune, ordonné prêtre au carême de l’année 1638 entré dans la congrégation de la Mission le 13 avril 1653, reçu aux vœux à Saintes le 13 janvier 1656. Il s’embarqua deux fois pour Madagascar, et deux fois il rentra en France sans avoir pu mettre le pied sur cette île.

 

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Si la sœur que vous avez laissée à Brienne est toujours malade, je suis d’avis que vous y envoyiez la sœur Perrette (2) ou une autre, en cas que vous puissiez vous en passer et que Monseigneur de Châlons (3) l’ait agréable, auquel vous pourrez représenter le besoin de cette pauvre fille malade et l’abandon des pauvres du lieu (4).

Mademoiselle Le Gras se porte bien. Je salue nos bonnes sœurs qui travaillent avec vous, et je me recommande à leurs prières et aux vôtres. Ne doutez pas des miennes ; car souvent je vous offrirai à Notre-Seigneur, que vous servez, à ce que qu’il vous donne son esprit et bénisse les biens que vous faites.

Je suis, en son amour, ma chère Sœur, votre très affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A ma sœur la sœur Barbe Angiboust Fille de la Charité, servante des pauvres blessés de l’hôpital, à Châlons.

 

1690. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

Du 10 décembre 1653.

Je loue Dieu de ce que vous êtes allé à Balan (1) faire

2) Sœur Perrette Chefdeville.

3). Félix Vialart.

4).M. Cochois, doyen de * Brienne-le-Château (Aube), écrivait le 9 décembre à la sœur Barbe Angiboust "La sœur Jeanne a été fort malade incontinent que vous êtes partie ; elle se porte mieux… Il y a du monde suffisamment à Châlons. Je crois que vous seriez plus nécessaire à Brienne, sœur Jeanne, comme vous le savez, n’étant pas capable de se conduire elle-même… La bonne fille ne laisse pas de pleurer continuellement votre absence.

Lettre 1890. — Reg. 2, p. 156.

1) Annexe desservie par la cure de Sedan.

 

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les fonctions de curé au refus de M…. Vous avez bien fait d’en user ainsi plutôt que de le presser. Il y a des personnes bonnes qui craignent Dieu, qui ne laissent pas de tomber en certaines faiblesses, et il vaut mieux les supporter que de se raidir contre elles. Puisque Dieu donne bénédiction à ce sien serviteur dans le tribunal, je pense que vous ferez bien de le laisser faire et de donner quelque chose à ses petites volontés, vu que, par La grâce de Dieu, il n’en a pas de mauvaises, et que d’ailleurs il vous sera plus facile de le ramener au point que vous le désirez par la douceur et par la patience que par trop de fermeté.

Et au regard de M…, la parole qui lui est échappée est peut-être une saillie de la nature, et non pas une indisposition de l’esprit. Les plus sages disent souvent des choses, surpris de quelque passion, dont ils se repentent par après. Il y en a d’autres qui témoignent pour l’ordinaire leurs aversions et leurs sentiments tant à l’égard des personnes que des emplois et ne laissent pas pourtant de bien faire. Tant y a, Monsieur, qu’avec quelques esprits que nous soyons il y a toujours à souffrir, mais aussi à mériter. J’espère que celui-là pourra se gagner, moyennant qu’on le supporte charitablement, qu’on l’avertisse avec prudence et qu’on prie Dieu pour lui, comme je fais pour votre famille en général et pour vous en particulier.

 

1691. — A FÉLIX VIALART, ÉVÊQUE DE CHALONS-SUR-MARN

17 décembre 1653.

J’ai reçu votre lettre avec grande reconnaissance de

Lettre 1691 — Reg I, f° 31

 

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l’honneur que vous nous faites, de désirer de pauvres missionnaires pour les employer à une si sainte action que l’assistance des pauvres malades de votre diocèse, et certes avec admiration de la bonté avec laquelle vous avez supporté la faute de M. Champion, auquel, Monseigneur, je mande, selon votre commandement, qu’au plus tôt il s’aille jeter à vos pieds et vous rendre ses obéissances en tout ce qu’il vous plaira désirer de lui. Dieu veuille lui faire la grâce d’accomplir vos saintes intentions, ensemble M. Mugnier (1), lequel j’espère que vous aurez agréable de le renvoyer à Laon, après que vos hôpitaux seront en train ! Plût à Dieu, Monseigneur, que je fusse en état d’aller moi-même recevoir votre bénédiction et travailler avec eux ! Oh ! que de bon cœur je le ferais ! Mais, étant indigne de cette grâce, je tâcherai au moins de mériter par mes prières et soumissions celle que sa divine bonté m’a faite de me rendre en son amour, Monseigneur, votre…

VINCENT DEPAUL,

i. p.d.l.M.

 

1692. — A LOUISE DE MARILLAC

[ Décembre 1653] (1)

J’ai écrit à M. l’abbé de Vaux que vous êtes engagée de parole à fournir des filles en huit endroits avant de

1) Jean-Jacques Mugnier, né à l’Esvière, dans le diocèse de Genève, le 30 novembre 1608, ordonné prêtre le 18 décembre 1632, entré dans la congrégation de la Mission le 15 décembre 1642, reçu aux vœux le 16 mars 1645, supérieur à Agde (1654-1656)

Lettre 1692. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Le saint a écrit ces lignes en marge d’une lettre du doyen de Brienne, datée du 9 décembre 1653, lettre dont Louise de Marillac lui avait donné communication.

 

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lui en pouvoir donner. Voyez, Mademoiselle, si cela ne contredit pas ce que vous lui mandez, que je ne sais rien de cet affaire (2). Les filles qui sont à Châlons seront bientôt en état d’être rappelées ; celle de Sainte-Menehould est retournée à Châlons. Je saurai de M. de Châlons, qui [vient ?] (3) en cette ville, quand elles seront en état d’être rappelées. M. Champion demande qu’on laisse une compagne à celle de Montmirail

 

1693. — A THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR, A ROME

De Paris, ce 2 janvier 1654.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

L’offre que vous me faites de votre cœur, je l’ai faite à Dieu, et je l’ai prié qu’il unisse le mien avec le vôtre en celui de Notre-Seigneur.

Je loue Dieu de la piété de cette bonne princesse, qui a soin du salut et de la bonne nourriture des pauvres habitants de ses terres, comme aussi de l’affection qu’elle témoigne pour la compagnie. Je suis bien aise que vous lui ayez accordé un prêtre pour les aller visiter et leur distribuer ses aumônes, et que M. Legendre (1) se soit trouvé en lieu et en état de faire cela au plus tôt. Plaise

2) Louise de Marillac avait envoyé à saint Vincent une lettre qu’elle adressait à l’abbé de Vaux. Sur les observations du saint, elle déchira cette lettre et en écrivit une autre, celle qui dans sa correspondance porte le n° 399.

3). Mot oublié dans l’original.

Lettre 1693 — L. s. — Dossier de Turin, original.

1). Renault Legendre, né à Tours le 30 septembre 1622, entré dans la congrégation de la Mission le 16 août 1643, ordonné prêtre en mars 1647, reçu aux vœux à Rome en novembre 1647. Il était encore dans cette ville en 1659

 

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à Dieu qu’il s’en acquitte à sa plus grande gloire et selon les intentions de cette bonne dame ! C’est un sujet de consolation pour nous de ce qu’il semble que Notre-Seigneur veuille appliquer partout la compagnie au service et soulagement des plus pauvres.

M. Dehorgny est arrivé ici depuis deux jours, en bonne santé, grâces à Dieu. Je lui ai rendu votre lettre, mais il ne peut vous faire réponse aujourd’hui ; ce sera parle prochain ordinaire.

Je lui ai parlé des deux maisons dont vous avez proposé l’achat ; il n’est point d’avis pourtant que vous traitiez de la grange, et je vous prie de ne le faire pas. Il n’incline pas non plus à prendre la maison où vous demeurez, parce qu’elle est trop resserrée en ses bâtiments et située en lieu où l’on ne se peut étendre ; ce qui est fort à considérer pour une communauté. L’air néanmoins y est excellent, et si vous ne trouvez pas mieux ailleurs, je pense que vous ferez bien de vous y arrêter, de savoir précisément ce qu’on en veut avoir au dernier mot et de conclure la chose, si vous y voyez sûreté et que le prix soit raisonnable. Faites état de six à sept mille livres que nous devons recevoir ces jours ici pour vous aider à faire cette acquisition, et mandez-moi si vous les trouverez de delà et à combien de change.

Je ne vous écrivis point la semaine passée, a cause que j’étais en mission à trois lieues de Paris, où j’ai passé les fêtes.

M. Dehorgny va travailler pour l’affaire du frère Levasseur (2), selon sa lettre, et au premier jour il vous en écrira.

Je suis cependant, comme toujours et jusques dans

2.) Martin Levasseur, né dans la ville d’Eu (Seine-Inférieure) le 5 janvier 1630, entré dans la congrégation de la Mission le 7 mars 1651, reçu aux vœux en 1653, ordonné prêtre à Rome le 4 avril 1654.

 

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l’éternité, en l’amour de Jésus et Marie, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Au bas de le première page. M. Berthe.

 

1694. — A ÉTIENNE BLATIRON

De Paris, ce 2 janvier 1654.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

L’ordinaire de la semaine dernière m’échappa sans vous pouvoir donner de nos nouvelles, à cause que je suis allé travailler ces fêtes à une mission où nos ouvriers avaient besoin de secours. Je leur menai quatre prêtres et les ai ramenés au bout de 5 ou 6 jours ; ils sont encore six pour achever. C’est la troisième mission que nous faisons depuis la Toussaint. Ce n’est quasi rien en comparaison de celles que vous faites, et je ne puis penser aux fruits de vos travaux qu’avec confusion du peu que nous faisons. Plaise à Dieu de les multiplier à l’infini po

Nous n’avons rien de nouveau ici que l’arrivée de Messieurs Dehorgny et Chrétien depuis deux jours et une lettre de M. Ozenne, qui nous marque qu’il est arrivé à Hambourg et qu’il attendait occasion de passer en Pologne.

Les deux derniers ordinaires ne m’ont point porté de vos lettres ; j’en suis en peine et suis toujours, en l’amour

Lettre 1694 — L s — Dossier le Turin, original.

 

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de Jésus et de Marie, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, supérieur des prêtres de la Mission de Gênes, à Gênes.

 

1695. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

9 janvier 1654.

Vincent de Paul engage Louis Rivet à demander à Dieu, par l’entremise de saint Joseph, le bon succès d’une affaire qui regardait le salut du prochain.

 

1696.- A NICOLAS BAGNI, NONCE EN FRANCE

De Saint-Lazare, ce vendredi à midi (23 janvier 1654) (1)

Monseigneur,

J’eus hier enfin l’honneur de voir le seigneur que Votre (1). Seigneurie m’avait commandé de voir (2) qui me fit des excuses de ce qu’il ne m’était venu voir et reçut la proposition que je lui fis, avec application et respect, et me dit qu’il en écrirait à son maître. Je m’en revins consolé de la façon avec laquelle il reçut cette proposition (3). Il me dit qu’il me viendrait voir ; et moi, Monseigneur, je fais à Votre Seigneurie Illustrissime

Lettre 1695. — Collet, op. cit, t. II, p. 143.

Lettre 1696. - — L. s. — Arch. Vatic., Nunsiatura di Francia. t. XXI, f° 246, original.

1). Cette lettre était accompagnée d’une dépêche chiffrée écrite à Paris le vendredi 23 janvier 1654.

2). L’ambassadeur du Portugal à Paris.

3). Le sujet de cette entrevue nous est connu : il était question d’envoyer à Rome un régulier, apparemment pour s’occuper des affaires de son Ordre, en réalité pour traiter de la collation de bénéfices par le Pape.

 

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le renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

prêtre de la Mission.

Au bas de la page : Monseigneur le nonce.

 

1697. — A LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE

De Paris, ce 24 janvier 1654.

Ma Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Il y a longtemps que je ne vous ai écrit et que je n’ai reçu de vos lettres. Comment vous portez-vous et que faites-vous ? Avez-vous beaucoup d’enfants orphelins sur les bras ? Je vous prie de m’en mander le nombre et de quoi ils manquent le plus, ou de nourriture, ou d’habits, et s’il vous reste quelque chose de blé ou d’argent pour fournir au plus pressé, attendant que l’on vous envoie quelque nouveau secours.

Mademoiselle Le Gras se porte assez bien, et Dieu bénit votre petite compagnie. Je ne doute pas que vous ne soyez toujours fidèle à Dieu et à vos exercices, dont je remercie sa divine bonté, et le prie qu’il vous continue ses saintes grâces.

Je suis, en son amour, ma Sœur, votre affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. prêtre de la Mission.

Suscription : A ma sœur la sœur Jeanne-Françoise,

Lettre 1697. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

 

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Fille de la Charité et servante des pauvres malades et orphelins d’Étampes, à Étampes.

1698. — A NICOLAS GUILLOT

De Paris, ce 30° janvier 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne vous écris que pour entretenir le commerce de nos lettres, n’ayant encore reçu les vôtres du dernier ordinaire pour y répondre.

Si M. Ozenne est arrivé, je l’embrasse avec vous et le reste de la famille avec grande tendresse et dévotion. Plaise à Dieu de vous unir tous très intimement et d’un lien de charité indissoluble, afin que par cette mutuelle amitié on vous reconnaisse pour les vrais enfants de Notre-Seigneur, qui par exemple et par paroles voulez attirer les autres à son amour ! Je prie le Saint-Esprit, qui est l’union du Père et du Fils, de vous faire cette grâce.

Assurez, s’il vous plaît, de mon obéissance et de ma parfaite reconnaissance ceux. qui vous honorent de delà de leur protection et de leurs assistances, comme M. Fleury, M. l’ancien curé de Sainte-Croix, M. de Saliboski et M. l’official, s’il est revenu.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà, sinon que l’on me mande de Rome que la Sacrée Congrégation de Propaganda Fide nous veut demander sept ou huit prêtres pour les envoyer à Suède et en Danemark, d’où l’on a reçu de très bons avis qu’il y a grande apparence qu’ils y feront du fruit et qu’on ne les empêchera pas, pourvu

Lettre 1698. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

 

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qu’ils ne fassent en public aucun exercice de notre religion. J’attends le dernier ordre pour en disposer quelques-uns soit du dedans ou du dehors de la compagnie. A la semaine prochaine, Dieu aidant, trois partiront d’ici pour Madagascar, deux prêtres (1) et un frère (2), qui s’iront embarquer à Nantes, où le vaisseau les attend S’il en part un autre en peu de temps, ainsi que l’on nous le fait espérer, nous pourrons y en faire passer encore autant. Mon Dieu ! Monsieur, que le bon M. Nacquart aura de consolation de ce secours tant attendu, si Dieu leur fait la grâce d’arriver à bon port et qu’il ait conservé ce sien serviteur !

La compagnie va son train partout et travaille en plusieurs maisons avec bénédiction, particulièrement en Italie et en Barbarie. Nous n’avons aucune nouvelle de ceux d’Ecosse ; on m’a pourtant assuré que dans peu de jours j’en recevrai.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Guillot, prêtre de la Mission, à Varsovie.

 

1699. — A MARC COGLÉE

De Paris, ce dernier janvier 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

1) Toussaint Bourdaise et Jean-François Mousnier.

2) René Forest.

Lettre 1699. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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Envoyez-nous, quand il vous plaira, votre bon frère (1) ; nous le recevrons céans de bon cœur, pour l’amour de vous, et même dans la compagnie, s’il a la dévotion d’y entrer ; s’il ne la pas, il fera une retraite de sept ou huit jours, et ensuite nous verrons à quoi il sera propre, pour lui procurer condition, ou l’employer céans. Bref, nous en aurons soin comme de votre frère, vous le pouvez penser.

Envoyez-nous aussi deux filles converties que vous avez à Sedan et qui sont en danger de retourner en leur hérésie, si on les laisse plus longtemps auprès de leurs parents. C’est M. Cabel (2) qui en a écrit à M. Dufour, pour leur procurer une retraite à Paris ; et moi j’en ai parlé à notre assemblée, qui m’a chargé de les faire venir pour les mettre avec les autres dans la Propagation de la Foi (3), où une dame s’offrit de les faire recevoir. Nous les attendrons donc.

Je salue votre chère famille

Enfin il y a apparence qu’un vaisseau partira au prochain

1) Laurent Coglée, né à Carrick (Irlande) le 10 août…, entré dans la congrégation de la Mission au mois de février de l’année 1654, à titre de frère coadjuteur, reçu aux vœux le 25 mars 1659.

2) Pierre Cabel, né à Chézery (Ain), ordonné prêtre le 13 mars 1642, entré dans la congrégation de la Mission à Annecy en janvier 1643, à l’âge de vingt-six : ans, arrivé à Paris le 25 février 1644, placé à la maison de Sedan, où il fit les vœux le 9 août 1645 et qu’il dirigea de 1657 à 1663, puis à celle de Saint-Méen, dont il fut supérieur de 1670 à 1671, enfin rappelé à Saint-Lazare, où il mourut le 26 septembre 1688, laissant la réputation d’un prêtre exemplaire. Il fut visiteur de la province de Champagne et fit partie de l’assemblée générale qui nomma René Alméras supérieur général. Sa biographie a été écrite par un contemporain et publiée dans le t. II des Notices, pp 315-337-

3) L’œuvre de la Propagation de la Foi, fondée en 1632 par le P. Hyacinthe, capucin, en vue de favoriser la conversion des protestants et de venir en aide aux nouveaux catholiques, avait reçu l’approbation de l’archevêque de Paris et du Saint-Siège et la confirmation du roi. Elle fut dissoute par Mazarin à la suite de dissentiments survenus sur le choix du directeur. (Cf. Faillon, op. cit., t. II, pp. 458-462)

 

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mois pour Madagascar ; nous disposons 3 personnes pour les y envoyer.

Je suis pressé de finir et je suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Coglée, supérieur des prêtres de la Mission de Sedan, à Sedan.

 

1700. — A LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE

De Paris, ce 3e de février 1654.

Ma bonne Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour Jamais !

Je vous remercie de la lettre que vous m’avez envoyée. J’ai été bien aise d’apprendre de vos nouvelles et l’état des pauvres orphelins. Je loue Dieu des soins que vous en avez. J’ai porté votre lettre à l’assemblée des dames de la Charité. Mademoiselle Viole l’a retenue et s’est chargée de vous faire réponse et de faire ce qu’il faudra pour vous donner moyen d’assister ces pauvres enfants ; je lui en ferai ressouvenir un de ces jours que je la dois voir.

Cependant je vous renvoie ce garçon et je vous prie de continuer vos services à Notre-Seigneur en ces petites créatures ; il est père des orphelins ; et de ce que vous leur tenez lieu de mère, il en sera votre grande récompense ; je l’en prie de tout mon cœur, et de vous donner la patience et les autres grâces qui vous sont nécessaires pour ce bon œuvre.

Lettre 1700. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité., original

 

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Mademoiselle Le Gras se porte bien, grâces à Dieu, en l’amour duquel je suis, ma Sœur, votre très affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A ma sœur la sœur Jeanne, Fille de la Charité et servante des pauvres, à Étampes.

 

1701. — A NICOLAS GUILLOT, PRÊTRE DE LA MISSION, A VARSOVIE

De Paris, ce 6 février 1654.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Voici que deux ordinaires sont arrivés sans m’apporter de vos lettres ; j’en suis en peine pour ne savoir l’état de votre santé, ni celui de la compagnie, ni quelles nouvelles vous avez de M. Ozenne ; ce qui nous fait prier Dieu pour vous tous avec plus de soin et d’instance. J’attends donc cette chère consolation de vos lettres

Cependant vous saurez que nous [nous] (1) portons bien de deçà, grâce à Dieu, et chacun s’efforce d’avancer à la vertu, qui plus qui moins, particulièrement le séminaire, qui est composé de douze ou quinze sujets, dont la plupart sont de grande espérance, aussi bien que ceux du séminaire de Richelieu, où il y en a neuf ou dix sous la direction de M. de Beaumont ; et c’est M. Le Gros qui est le supérieur de la maison.

Une bonne partie de notre monde de céans est en mission. Notre collège des Bons-Enfants est plein et va

Lettre 1701. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

1) Mot oublié dans l’original.

 

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bien sous M. Cornuel. M. Alméras y a fait la visite, après laquelle nous l’avons prié d’y rester quelques jours pour mettre la famille dans la pratique des avis qu’il y a donnés. Cela fait, nous pourrons l’envoyer faire la même chose en d’autres maisons, parce que Dieu le bénit beaucoup en cet emploi tant important. Il a fait naguère un tour pour cela en Bretagne et en Poitou

Le séminaire de Saint-Charles se rétablit peu à peu sous M. Goblet, lequel est toujours infirme. Il n’a avec lui que 3 régents et 15 ou 16 écoliers, desquels 5 ou 6 viennent céans aux leçons de philosophie du frère Watebled (2) qui la montre avec bénédiction à 8 ou 10 de nos clercs, comme fait M. Cruoly la théologie à nos autres écoliers.

M. Mousnier et un autre prêtre (3) partiront, Dieu aidant, lundi pour aller à Madagascar, avec le frère René, qui déjà y a demeuré. C’est par un vaisseau que nous n’attendions pas, attendant que Messieurs les associés qui ont coutume d’y envoyer, fassent partir le leur, ce qui pourra être bientôt, ainsi qu’ils se proposent, et en ce cas nous y ferons passer encore d’autres missionnaires.

Ceux d’Ecosse et des Hébrides font bien, à ce qu’on m’a dit ; mais je n’en reçois point de lettres ; ce n’est pas qu’ils ne m’en envoient ; mais elles se perdent, ainsi que l’on m’a dit depuis peu.

2) Jean Watebled, né à Tully (Somme) le 29 août 1630, entré dans la congrégation de la Mission le 1er janvier 1646, reçu aux vœux le 2 janvier 1648, ordonné prêtre au mois d’octobre de l’année 1654. Il dirigea le collège des Bons-Enfants de 1659 à 1668, le séminaire Saint-Charles de 1671 à 1673, celui du Mans de 1673 à 1676, puis revint aux Bons-Enfants, où il resta de 1676 à 1679, toujours en qualité de supérieur. Il était visiteur de la province de Champagne en 1668. La province de France lui fut confiée en 1672 ou plus tôt, et il fut à sa tête jusqu’au 4 avril 1682.

3). Toussaint Bourdaise.

 

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Il y a sujet de louer Dieu des relations que j’ai de toutes nos maisons, où tout va bien, grâce à Dieu, tant pour la santé que pour les exercices.

Nos frontières sont toujours désolées, et Paris continue de les assister, y envoyant beaucoup d’aumônes, qui sont distribuées par plusieurs de nos frères et autres personnes charitables que nous employons à cela.

Voilà nos petites nouvelles ; faites-en part au bon Monsieur Ozenne, qui est à présent avec vous, comme je crois. Je l’embrasse, avec toute la famille, de toutes les affections de mon cœur, qui est tout à vous et en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d.l. M.

Au bas de la première page : M. Guillot.

 

1702. — AU CARDINAL ANTOINE BARBERINI

PRÉFET DE LA PROPAGANDE

[6 ou 7 février 1654] (1)

Monseigneur,

Comme vos bontés incomparables pour nous méritent que je me donne l’honneur de vous en remercier souvent. je le fais par la présente avec toute l’humilité et la reconnaissance que je dois, tant de la part de notre petite compagnie que de la mienne. Je vous assure, Monseigneur, qu’une de mes plus grandes consolations est de savoir que nous avons part aux tendresses de votre

Lettre 1702. — Arch. de la Propagande, India, China, Japonia, 1654, vol. 193, f° 400.

1). L’annonce du départ des prêtres de la Mission pour Madagascar dans trois jours impose cette date.

 

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aimable cœur, dont je remercie Dieu, et le prie qu’il nous rende dignes de ce bonheur ; aussi sommes-nous entièrement vôtres, et je puis dire doublement, puisque c’est par devoir et par affection.

On est ici attendant la détermination des évêques demandés pour le Tonkin et la Cochinchine, et l’on est après pour fonder leur entretien dans Avignon, ce qui serait déjà fait si l’importance de la chose et la diversité des personnes de qui elle dépend ne l’avaient retardée. L’un des ecclésiastiques proposés pour les accompagner m’est particulièrement ami et fort affidé. J’avais pensé de mettre avec eux une personne inconnue qui vous informât exactement de l’état de notre sainte religion en ces pays-là ; mais étant assuré que ce mien ami vous avertira de tout avec grande sincérité et diligence, il ne sera pas besoin d’y en commettre un autre. Je n’en connais point de plus assuré que celui-ci.

Nous sommes dans l’empressement du départ de deux missionnaires pour Madagascar, à l’occasion d’un vaisseau qui va aux Indes et que l’on m’a promis de faire passer et repasser en cette île-là. La Compagnie qui avait coutume d’y envoyer et qui ne l’a pas fait depuis cinq ans, à cause des troubles de ce royaume, se propose d’y faire aller bientôt un navire, dans lequel je me suis engagé de faire encore passer deux de nos prêtres pour aller joindre ceux-ci, qui s’en vont devant, pour ne perdre une occasion si prompte et si certaine que celle qui se présente, bien qu’elle soit extraordinaire. Et d’autant, Monseigneur, que de sept prêtres que nous avons ci-devant nommés à la Sacrée Congrégation quelques-uns sont morts, et quelques autres hors d’état de faire le voyage, j’en présenterai deux nouveaux à Monseigneur le nonce pour leur donner son agrément et la bénédiction de la part de Nosseigneurs de la Sacrée Congrégation,

 

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et nous enverrons les noms ensuite, conformément aux décrets de la Sacrée Congrégation du 10 février 1653. J’espère faire partir les premiers dans trois jours et que vous, Monseigneur, nous ferez la grâce de nous honorer de la continuation de votre bienveillance et protection, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1703. — AU CHANTRE DE LAON

[Février ou mars 1654] (1)

Nous envoyons un prêtre de notre congrégation (2) pour visiter les pauvres curés et autres prêtres de votre diocèse qui ont besoin d’être assistés, et pour tâcher de les assembler, sous le bon plaisir de M. le grand Vicaire, afin de traiter avec eux des moyens de secourir les paroisses abandonnées et de faire en sorte que nulle ne demeure sans assistance spirituelle. Il leur distribuera ensuite des habits et réglera ce qu’il leur faudra donner par mois ; il verra aussi l’état des pauvres, particulièrement de ceux de la campagne ; en quoi il suivra vos avis.

Lettre 1703. — Abelly, op. cit., 2e éd., 2e partie, p. 82.

1) René Alméras fut envoyé dans le diocèse de Laon en février ou mars 1654 (Cf. 1. 1713.)

2). René Alméras.

3). La présence de René Alméras dans la région de Laon fut très utile au rétablissement du culte. Nous lisons dans la Relation d’avril mai 1654 : "Le prêtre de la Mission… a assemblé les pauvres curés par doyennés ; il leur a donné de nouveaux désirs de desservir leurs cures. Quelques-uns en ont pris deux ou trois, dans lesquelles il n’y a que le débris de quelques pauvres familles cachées dans des cabines ou réfugiés dans les églises. On leur a donné quelques

 

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1704. — AU FRÈRE JACQUES RIVET, A TRÉGUIER

Onzième février 1654.

Je loue Dieu de votre candeur à me découvrir ce qui se passe en vous. Je ne crains pas que vos tentations prévalent. Il y a peu de personnes qui ne soient sujettes à celles que vous souffrez, même les plus grands serviteurs de Dieu, qui a permis que voire les saints et les apôtres aient été exercés de cette sorte ; mais sa grâce suffit pour n’y pas succomber ; et cette grâce, il la donne à qui la lui demande, surtout aux humbles et à ceux qui, pour ne pas donner sujet à ces sales tentations, fuient les occasions ; ce qui est absolument nécessaire. Comme vous avez déjà surmonté de pareils dangers, par la miséricorde de Dieu, même de plus dangereux, à cause qu’ils se trouvaient joints à l’honneur et aux intérêts temporels, j’espère qu’il vous fera la même grâce à cette heure, d’autant plus que vous êtes sincère à vous découvrir et prêt à suivre les ordres de la sainte obéissance. Or il est dit que le vrai obéissant parlera de ses victoires ; ce qui me fait tenir la vôtre pour assurée, avec la grâce de Dieu, à qui je vous offre à cet effet.,

Je ne puis répondre à fond à votre chère lettre, me trouvant pressé d’autres affaires. Pour conclusion, je vous prie de vous en revenir ici avec le messager. J’écris

soutanes et assuré par mois quelque petite subsistance. On leur a envoyé des ornements pour les églises, et des missels pour célébrer la messe Il a fallu recouvrir quelques églises, à l’endroit des autels, et faire quelques fenêtres, pour empêcher que la pluie ne tombât sur la sainte hostie ou que l’impétuosité des Vents ne l’emportât pendant la célébration du saint mystère. Enfin ces visites ont eu une telle bénédiction que l’on peut dise qu’il n’y a maintenant aucun village, à la réserve d’un seul, qui soit privé de la consolation du pasteur"

Lettre 1704 — Reg. 2, p. 330.

 

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à Monsieur Pennier (1) qu’il vous donne ce qu’il il faudra. J’aurai grande consolation de vous voir, ainsi que vous pouvez penser, et votre bonne mère n’en aura pas moins. Elle se porte bien. Nous vous attendrons avec désir et patience.

 

1705. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 13e février 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je viens d’apprendre par une lettre du 15 janvier que vous deviez arriver le même jour ou le lendemain à Varsovie ; c’est pourquoi je vous y embrasse en esprit avec une particulière tendresse. Il m’est difficile de vous dire la joie que j’en ai et combien sont fréquents les remercîments que j’en rends à Dieu, qui vous a conduit et soutenu dans un si long, si fâcheux et si pénible voyage. Je le prie qu’il tire sa gloire de votre séjour de delà. Vous y voyez l’état des choses, et ainsi je ne vous en dirai rien ; seulement je souhaite que Dieu nous donne l’esprit d’une grande reconnaissance pour tant de biens que le roi et la reine nous font, et les assistances que d’autres bonnes âmes rendent à la compagnie, pour l’amour de Dieu et de Leurs Majestés, comme aussi une continuelle application aux choses divines et au salut du prochain, selon leurs intentions.

Il serait à souhaiter que M. Desdames, qui commence à parler en public en langue vulgaire, fût à Varsovie,

1) Supérieur de l’établissement de Tréguier.

Lettre 1705 — L. s. — Dossier de Cracovie, original

 

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pour aider M. Zelazewski aux fonctions de la cure, et que Dieu vous fît rencontrer un bon curé pour le mettre à Sokolka. Je ne suis pas pourtant d’avis que vous en fassiez sitôt la proposition, si ce n’est que vous fussiez en état de commencer un séminaire, ou que quelqu’autre occasion vous rendît sa présence nécessaire.

Dieu continue à bénir la maison de Troyes et la conduite de M. Rose. Il y a 22 séminaristes, qui font bien. Nous y avons envoyé M. Ennery pour leur faire les leçons, ou plutôt la Providence l’y a conduit pour un autre bon œuvre que nous n’avions pas prévu ; c’est que l’on y a envoyé en quartier d’hiver deux régiments irlandais, où il y a plus de cent filles ou femmes, qui sont de bonne vie, et quantité de petits enfants, qui ont été chassés de leur pays pour la religion, tous en grandissime pauvreté. M. Ennery donc donques est leur curé ; il leur prêche et les instruit il leur administre les sacrements, donne des habits aux nus et quelqu’autre assistance aux plus nécessiteux, des aumônes qu’on lui envoie de Paris.

Le frère Dassonval n’est pas tout à fait guéri, mais il est en voie de cela.

Mgr a conféré depuis peu à M. Rose la cure de Barbuise (1) à dessein de l’unir à la compagnie ; elle est située auprès de…. (3) et vaut 2.000 livres de rente. Il y a un beau logement et peu de charges. Nous trouvons pourtant quelque difficulté à cela. Nous y penserons.

M. Mousnier et M. Bourdaise partirent mardi pour Nantes, où ils se vont embarquer pour Madagascar avec le frère René, qui a déjà fait ce voyage. Je les recommande à vos prières. Les religieuses parties avec vous sont encore à Abbeville

1) Local ! té de l’Aube, arrondissement de Nogent-sur-Seine.

2). Espace blanc dans l’original.

 

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avec M. de Monthoux (3) qui a demandé son retour à Mgr de Genève (4) et la mère de Pra (5) d’être déchargée de la fondation de Pologne. Je vous écrirai une autrefois l’état de cet affaire.

Cependant je prie Notre-Seigneur qu’il vous conduise selon ses volontés et bénisse l’œuvre qu’il vous a mis en main.

Je salue cordialement le bon frère Duperroy et suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d.l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, à Varsovie.

3) Directeur des filles de la Visitation envoyées en Pologne, où il devait les accompagner.

4). Charles-Auguste de Sales (1645-1660). Ce prélat se montra favorable aux prêtres de la Mission dans les premiers temps de son épiscopat. Il écrivait à Madame Royale le 13 mai 1646 "Ces bons prêtres nous sont parfaitement utiles pour les missions dans les villages, pour les ordinations, séminaires, exercices spirituels, instructions, catéchismes, sans que cela ne coûte rien." (Fleury, Histoire de l’Église. de Genève, Genève, 1880, 2 vol. in-8°, t. II, P. 230.) Ses sentiments se modifièrent dans la suite.

5). Anne-Françoise de Pra, née en Bourgogne, avait pris l’habit de Visitandine le 15 février 1639 au premier monastère d’Annecy. Elle fondait en 1646 le couvent de Dôle, dont elle fut la première supérieure. Les deux triennaux écoulés, elle revint à Annecy. Rentrée en France après son malheureux voyage à Douvres, elle céda le titre et la charge de supérieure de l’établissement de Pologne à la Mère Marie-Catherine de Glétain, qui était alors à Aix-la-Chapelle, et se retira au monastère d’Amiens, où on lui confia les fonctions de directrice. Elle passa de là au couvent de Bordeaux, dont elle fut supérieure de 1656 à 1662, dirigea la maison de Dôle de 1667 à 1673, après un séjour de quatre ans à Annecy, revint trois autres années au premier monastère de cette ville et fut élue en 1676 supérieure de la maison de Tours, où elle mourut le 4 mai 1677, à l’âge de soixante ans

 

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1706. — A NICOLAS GUILLOT

De Paris, ce 20 février 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu derechef de l’arrivée de M. Ozenne et de la bonne réception que vous lui avez faite, comme aussi de toutes les choses que vous me mandez, particulièrement de ce que l’on travaille fortement à l’établissement de la compagnie et de ce que M. Desdames a été rappelé à Varsovie. Ce rassemblage des membres et la présence du chef fortifiera la famille. en sorte qu’avec la grâce de Dieu elle pourra entreprendre de nouvelles œuvres au service de l’Église et surmonter les difficultés que le diable et le monde y pourront susciter. J’espère qu’il ne tiendra pas à vous, mais qu’au contraire vous contribuerez notablement à tous les biens qui se feront et dedans et dehors, et surtout à reconnaître, honorer et complaire à nos bienfaiteurs.

Je ne m’étonne pas que des personnes de la profession que vous me marquez aient voulu empêcher que la cure fût donnée à la compagnie ; car, outre qu’elles peuvent avoir eu bonne intention en cela, Dieu permet qu’il arrive pour l’ordinaire des traverses aux bons desseins, afin que, les faisant réussir, on connaisse que c’est lui qui l’a fait. Que son saint nom soit à jamais béni des heureux commencements de votre mission et des grands desseins qu’il a sur l’œuvre et sur les ouvriers ! Humilions-nous, Monsieur, dans la crainte qu’il y ait en

Lettre 1706. — L. s. — Dossier de cracovie, original.

 

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nous quelque chose qui ne lui plaise pas ; mais concevons aussi une grande espérance en ses miséricordes, qui sont infinies et qui feront qu’il n’aura pas égard à nos misères. Je vous prie d’implorer ses grâces sur moi, qui suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je viens de voir quelques mots que vous dites à ceux que vous écrivez à Auxerre (1) 0 Monsieur, que cela m’afflige ! Est-il possible que, Notre-Seigneur s’étant servi de vous si dignement, vous ayez le cœur d’abandonner son œuvre de la sorte ! Eh ! Monsieur, que dit-on de ceux qui abandonnent les enfants qu’ils ont mis au monde ! Oh ! que de regrets vous aurez un jour au jugement d’avoir déserté l’armée du Seigneur ! Au nom de Dieu, Monsieur, ne faisons point naufrage au port. Offrez vos peines à Notre-Seigneur et priez-le qu’il vous rende l’esprit principal et qu’il vous fasse la grâce de répondre à ses desseins éternels. Je suis, en espérance qu’il le fera…

Suscription : A Monsieur Monsieur Guillot, prêtre de la Mission, à Varsovie.

 

1707. — A FRANÇOIS FOURNIER, PRÊTRE DE LA MISSION A AGEN

Du 22 février 1654.

Encore que je sois assez pressé, je m’en vas néanmoins

1) Pays natal de Nicolas Guillot.

Lettre 1707. — Reg. 2, pp. 69 et 19. L’extrait qui est à la page 19 commence aux mots Sur ce que vous demandez et se termine à cette intention et cette espérance. Sa place n’est ni au début ni à la fin

 

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tacher de répondre à votre lettre, qui contient six ou sept demandes.

La 1re est si le vœu d’obéissance fait au supérieur général oblige d’obéir à un supérieur particulier. Je réponds que oui, parce que le vœu est fait a Dieu et que tout supérieur nous représente Dieu même, et que c’est l’intention du supérieur général qu’on obéisse aux supérieurs particuliers, qui tiennent sa place, pourvu que ce soit en la manière que nos règles prescrivent.

Pour réponse à la 2° question, je vous dirai, Monsieur, qu’il ne nous est pas permis de confesser dans les villes les séculiers, si on n’y fait la mission, si ce n’est, dans nos églises ou chapelles, ceux qui font leurs exercices en nos maisons, et non d’autres, encore que nous en soyons requis par des personnes de condition et des amis de la compagnie, et que Messieurs les grands vicaires ou les curés le permettent, parce que notre règle nous le défend.

Notre règle nous défend aussi de servir les religieuses, de quelque Ordre qu’elles soient ; et à moins que Nosseigneurs les évêques nous le commandent expressément, nous devons nous en éloigner, non seulement pour la direction ou les confessions, mais même pour la messe, soit qu’elles soient pauvres ou non. C’est à Nosseigneurs les évêques ou à leurs supérieurs de pourvoir à tels besoins, et à nous de nous tenir à nos fonctions, sans nous attacher à d’autres emplois qui peuvent nous en divertir, ainsi que ferait la sujétion aux religieuses ; et si j’ai permis à M. Edme (1) d’aller à celles de Sainte-Marie, pour suppléer au défaut d’un chapelain, c’est à cause de la nécessité et du commandement que lui en avait fait

du fragment de la page 69 ; nous l’avons intercalé à l’endroit, qui, semble-t-il, convient le mieux.

1). Edme Menestrier, supérieur de François Fournier.

 

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Monseigneur d’Agen (2), Mais maintenant que la peste a cessé dans la ville et que les ecclésiastiques y sont revenus, ces filles en trouveront assez pour les servir, et mondit seigneur trouvera fort bon que la compagnie s’en dispense. C’est pourquoi je la prie de leur faire ses excuses et de leur faire entendre que c’est une maxime parmi nous d’en user toujours de la sorte, parce que cet attachement-là nous empêcherait de vaquer au plus nécessaire, tel qu’est le salut des peuples de la campagne, qui pour l’ordinaire manquent d’instruction et de secours spirituel. Peut-être diront-elles que je suis le premier à contrevenir à cette pratique, en tant que j’ai le soin de leurs monastères de Paris ; mais il faut savoir que je l’avais auparavant que la Mission fût établie (3), et que depuis que Dieu l’a fait naître, j’ai fait tout ce que j’ai pu au monde pour me décharger de leur direction, jusqu’à passer près de 18 mois sans y aller (4) ; mais il a fallu céder à la force de l’autorité supérieure ; car Monseigneur le cardinal de Retz, coadjuteur de Paris, m’a commandé diverses fois de continuer Voilà pour réponse à trois ou quatre demandes que contient le 3e article de votre lettre.

Quant au 4e, par lequel vous desirez savoir si les prêtres que nous envoyons d’un diocèse à un autre ont pouvoir d’y confesser sans se présenter à l’Ordinaire, je réponds que non, sinon lorsque l’évêque a donné un mandement à la compagnie pour faire des missions en son diocèse, comme nous l’avons pour celui-ci et pour quantité d’autres. Nous sommes obligés, en quelque part que nous soyons établis, de faire commémoration dans l’office et de

2) Barthélemy d’Elbène (1638-1663).

3) Dès 1622

4) En 1646-1648.

 

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solenniser la fête, avec octave, du patron de la paroisse, encore que nous n’en soyons pas les curés.

Je ne puis répondre à la 6e question, à savoir si les ecclésiastiques de nos séminaires sont exempts de faire leurs Pâques à la paroisse, car cela doit être réglé par Monseigneur l’évêque ; et c’est à lui que je vous conseille de vous adresser, quand il sera de retour, afin de ne rien faire en cela contre son intention. Ce n’est pas de même à l’égard de nos frères coadjuteurs, parce que notre compagnie est un corps approuvé de l’Église, duquel ils sont membres, et que ce corps a un chef qui est comme leur pasteur.

Sur ce que vous demandez comment on s’acquitte du 4° vœu, qui est de s’employer au salut des pauvres gens des champs toute sa vie, n’étant toutefois employé qu’aux séminaires, je réponds que c’est, premièrement, en préparation d’esprit, se tenant prêt d’aller aux missions à la moindre signification qui nous en sera faite ; et, en second lieu, parce que c’est médiatement travailler au salut du pauvre peuple de la campagne que d’être employé à former de bons curés et de bons ecclésiastiques, qui par après les vont instruire et les exhorter à une bonne vie ; pour le moins nous devons avoir cette intention et cette espérance.

Enfin vous me demandez si Nosseigneurs les prélats ont donné généralement pouvoir à tous les missionnaires établis sous eux d’absoudre des cas réservés. Non, Monsieur, tous ne l’ont pas donné ; et entre ceux qui l’ont fait, quelques-uns l’ont restreint ; tant y a que nous n’avons aucun pouvoir dans les diocèses, que celui que nosdits seigneurs nous donnent ; encore le faut-il demander ; et ce pouvoir-là qu’ils nous donnent suppose toujours le consentement de Messieurs les curés, sans lequel nous ne devons pas nous en servir, sinon lors

 

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qu’on ne peut commodément le leur demander et qu’on juge probablement qu’ils ne le trouveront pas mauvais ; auquel cas nous le pouvons faire.

Il me semble qu’en voilà assez pour vous éclaircir en vos petits doutes, qui ne peuvent venir que de l’affection que vous avez pour accomplir la volonté de Dieu et nos petites observances en toutes choses, dont je remercie sa divine bonté.

 

1708. — A MONSIEUR DE LA HAYE-VANTELAY (1)

25 février 1654

Monseigneur,

Bien que je n’aie pas l’honneur d’être connu de vous, je me donne pourtant la confiance de vous offrir mes très humbles services et ceux de la petite compagnie de la Mission, de laquelle, quoiqu’indigne, je suis le supérieur. Je vous supplie de l’avoir agréable, comme aussi, Monseigneur, que je joigne ma très humble supplication à la lettre que le roi vous écrit pour vous employer vers le Grand Seigneur, à ce qu’il lui plaise accorder au sieur Husson, consul pour la nation française à Tunis, une déclaration authentique par laquelle il ordonne que, conformément aux articles des anciennes capitulations faites entre nos rois et Sa Hautesse (2), les nations suivantes payeront sans difficulté les droits consulaires audit consul de France et à ses successeurs, savoir : les Français, Vénitiens, Espagnols, Livournais, Italiens, Génois, Siciliens, Maltais, tous les Grecs, tant sujets de

Lettre 1708. — Reg. 1, f° 46

1) La lettre est adressée "à M. de la Haye-Vantelay, conseiller du roi en ses conseils et son ambassadeur en Levant".

2). On trouve le texte manuscrit de ces anciennes capitulations aux Arch. Nat., Marine, B7 520.

 

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Sa Hautesse que les autres, les Flamands, Hollandais, Allemands, Suédois, Juifs et généralement tous ceux, de quelque nation qu’ils puissent être (hormis les Anglais), qui trafiquent ou trafiqueront audit Tunis, au cap Nègre (3), [Fumaire] Salade (4), Bizerte, Sousse, Sfax et en tous les autres ports, havres et plages de l’étendue dudit royaume de Tunis. Et que ladite patente, Monseigneur, contienne de plus, s’il est possible, toutes les autres choses portées par le mémoire que je vous envoie ; autrement ledit consul, qui a été envoyé de la part du roi pour y maintenir son autorité entre ses sujets, terminer les différends qui arrivent entre les marchands résidents ou trafiquants en ladite ville, demander justice pour eux au dey ou bacha et autres principaux, lorsqu’ils sont maltraités des Turcs, ne pourrait pas accomplir les justes intentions de Sa Majesté, d’autant que le consul anglais veut entreprendre sur le consulat de France et usurper ses droits sur une partie des nations susdites, en vertu d’une nouvelle patente qu’il a obtenue du Grand Seigneur, contre l’ancien usage ; en quoi il se fait appuyer des Turcs, à force de présents (5)

Peut-être, Monseigneur, trouverez-vous étrange que des prêtres qui se sont donnés à Dieu comme nous pour instruire le pauvre peuple de la campagne et porter l’état ecclésiastique à la vertu, se mêlent néanmoins d’un affaire temporel et tant éloigné de leurs fonctions qu’est celui-ci. Je vous dirai à cela, Monseigneur, qu’ayant

3) Petit promontoire de la côte septentrionale de la Tunisie.

4). Texte du reg. I : "Suimare Salade." La Fumaire Salade ou Fumaire Salée est le point de la côte tunisienne où débouchait la rivière de ce nom, à soixante milles à l’ouest de Bizerte. On y trouvait du corail en abondance Aussi les marchands marseillais songèrent. ils à y établir un établissement semblable au Bastion d’Alger.

5). Cet abus remontait à plusieurs années. Lange de Martin et Jean Le Vacher en avaient souffert.

 

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entrepris depuis 6 ou 7 ans d’assister les pauvres chrétiens esclaves de Barbarie spirituellement et corporellement, tant en santé qu’en maladie, et envoyé à cet effet plusieurs de nos confrères, qui prennent soin de les encourager à persévérer en notre sainte religion, à souffrir leur captivité pour l’amour de Dieu et à faire leur salut dans les peines qu’ils souffrent, et cela par visites, aumônes, instructions et par l’administration des saints sacrements, même pendant la peste, en sorte qu’à la dernière maladie nous y en avons perdu quatre des meilleurs de notre compagnie (6), il a fallu, pour faciliter ce bon œuvre, que du commencement ils se soient mis en pension auprès des consuls, en qualité de leurs chapelains, de crainte qu’autrement les Turcs ne leur permissent pas les exercices de notre sainte religion. Mais, le consul étant mort, le dey ou le bacha commanda au prêtre de la Mission (7) d’exercer cette charge, à l’instance que lui en firent les marchands français. Et comme une personne de condition et d’insigne piété (8) eut vu le bien que faisait ce bon prêtre dans l’exercice de cette charge, elle s’est employée vers le roi, sans que nous en eussions aucune pensée, pour nous faire avoir les consulats de Tunis et d’Alger, et Sa Majesté nous a permis de les faire exercer par telles personnes capables que nous trouverons propres à notre dessein. Pour cela, Monseigneur, nous en avons choisi deux de notre compagnie qui ne sont pas prêtres, mais qui entendent les affaires (9) ; et celui que nous avons envoyé nouvellement à Tunis (10) était avocat au parlement de Paris, qui, sans autre

6) Nouelly, Lesage, Dieppe et Guérin.

7) Jean Le Vacher.

8) La duchesse d’Aiguillon.

9). Benjamin Huguier et Jean Barreau, clercs.

10) Martin Husson.

 

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intérêt que celui du service de Dieu et du prochain, s’en est allé là, ainsi qu’a fait en Alger le sieur Barreau, qui est aussi de Paris, d’une fort honnête famille ; de manière, Monseigneur, que n’ayant qu’une même intention avec nos prêtres, ils vivent ensemble comme frères, ils ont tout en commun et emploient les profits des consulats, avec ce que nous leur envoyons de France, après leur simple entretien pris, à l’assistance corporelle et spirituelles des pauvres chrétiens captifs et à procurer la liberté à quelques-uns qui ne tiennent qu’à peu de chose, et qui, faute de 30 ou 50 piastres, seraient en danger de demeurer esclaves toute leur vie et peut-être de se perdre par désespoir, ainsi qu’il est arrivé à plusieurs, depuis que les Pères Mathurins ont discontinué leurs rédemptions, y ayant tantôt dix ans qu’ils n’en ont fait aucune.

Outre tous ces biens-là, Monseigneur, ils en font un autre très considérable, c’est de contenir les prêtres et religieux esclaves en leur devoir, par douces semonces et par bienfaits, ou, quand ces moyens se trouvent faibles, par l’autorité du glaive spirituel qu’ils ont en main, en qualité de missionnaires apostoliques et grands vicaires de l’évêché de Carthage. Le grand libertinage qui régnait auparavant parmi ces personnes d’Église, décourageant les chrétiens, en faisait passer plusieurs en la religion de Mahomet et enflait le courage aux Turcs, spectateurs de ces désordres.

Je vous dis tout ceci, Monseigneur, pour vous faire connaître le mérite que vous acquerrez devant Dieu en l’expédition que nous vous demandons, puisqu’elle ne regarde pas seulement la personne ou la charge du consul de Tunis, mais le service de l’Église, en tant que cette patente donnera moyen à nos prêtres de mieux servir les âmes et de consoler les membres affligés de N.-S. les

 

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plus abandonnés du monde. Vous aurez par conséquent, Monseigneur, bonne part à leurs bonnes œuvres, et nous prierons incessamment sa divine bonté qu’elle vous conserve pour sa gloire et le bien de cet Etat.

Nous ne connaissons personne de delà qui puisse solliciter cet affaire, ni fournir aux frais ; c’est pourquoi, Monseigneur, nous osons espérer de votre grande bonté la grâce tout entière, en recommandant à votre secrétaire le soin de cette expédition, après qu’elle vous aura été accordée, et d’en lever deux copies bien en forme pour en envoyer l’une, s’il vous plaît, audit sieur Husson à Tunis, et nous adresser l’autre à Saint-Lazare-lez-Paris ; et me faisant l’honneur de me mander ce que vous aurez fait avancer pour tout cela, nous mettrons aussitôt l’argent ès mains de Madame l’ambassadrice (11), laquelle j’ai eu le bonheur de voir et qui m’a fait espérer celui de nous être favorable auprès de vous, à qui je suis, en l’amour de N.-S., Monseigneur, votre très…

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M. (12)

 

1709. — A NICOLAS GUILLOT

De Paris, ce 27 février 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais

Je suis en une affliction que je ne vous puis exprimer

11) née Louise. le Montholon.

12) La lettre du roi et celle de saint Vincent restèrent sans effet Le consul d’Angleterre réussit à faire approuver ses prétentions à Constantinople même. Ses empiétements continuèrent, et nous verrons Martin Husson réclamer de nouveau (Cf. Raymond Gleizes op cit, p. 87)

Lettre 1709. — L. a. — Dossier de Cracovie, original.

 

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de voir ce que vous mandez à Auxerre, que vous espérez y être bientôt. Hélas ! Monsieur, aurez-vous le cœur d’abandonner un œuvre que Notre-Seigneur vous a mis entre les mains et dans lequel il s’est servi de vous d’une manière toute sienne, auquel il vous a appelé et béni d’une façon qui n’en a guère de semblable ! Au nom de Dieu, Monsieur, n’acquiescez point à. cette horrible tentation. Je le vous demande, prosterné en esprit à vos pieds et les larmes aux yeux. J’espère cela de la bonté de Dieu et de la vôtre, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Guillot, prêtre de la Mission, à Varsovie.

1710. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

1654 (1)

Nous nous sommes exposés à La merci des coureurs et avons visité plus de cent villages. Nous y avons trouvé des vieillards et des enfants presque tout nus et tout gelés, et des femmes dans le désespoir, toutes transies de froid Nous en avons revêtu plus de quatre cents et distribué aux femmes des rouets et du chanvre pour les occuper.

L’assistance qu’on a commencé à rendre aux curés a toujours continué. Et les ayant assemblés par doyennés, nous en avons trouvé qui étaient presque tout dépouillés, auxquels nous avons donné des habits et des soutanes. Nous avons aussi

Lettre 1710. — Abelly, op. cit, 1. II, chap. XI, sect. III, 1er éd., p. 400. Abelly réunit ensemble plusieurs fragments de lettres distinctes, que nous préférons donner séparément.

1) Ces lignes ont été publiées dans la Relation de janvier. février mars 1654

 

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fourni leurs églises d’ornements et de missels et fait faire les réparations nécessaires pour la couverture et les fenêtres, afin d’empêcher que la pluie ne tombât sur la sainte hostie et que le vent ne l’emportât pendant la célébration de la messe. Cela est cause qu’il y a un grand nombre d’églises et de paroisses où l’on célèbre le saint sacrifice de la messe et où les peuples reçoivent les sacrements, lesquelles, sans ce secours, seraient entièrement désertes et abandonnées.

 

1711. — AUX RELIGIEUX DE L’ABBAYE DU MONT-SAINT-ELOY (1)

4 mars 1654.

Messieurs,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

L’estime que j’ai conçue, depuis longtemps de votre sainte maison, par la sainteté de votre prélat, que j’ai vu ci-devant à Paris (2), et par la bonne odeur de votre réputation, m’a toujours donné un grand désir de vous servir ; et je puis dire que j’ai tâché de le faire toutes les fois que les occasions s’en sont présentées, pendant que j’ai été en état de cela. A présent que la Providence permet que je n’y sois plus, elle me donne néanmoins sujet de vous témoigner ma bonne volonté.

Vous avez pu savoir que sur l’élection que vous avez faite (3) de 3 de vos religieux (4), dont les noms ont été envoyés au roi, afin d’en choisir un d’entre eux pour être votre abbé, selon la coutume d’Artois, une personne

Lettre 1711. — Reg. 1, f° 54 v°, copie prise sur la "minute non signée".

1) Dans cette localité, située près d’Arras, se trouvait une abbaye de l’ordre de Saint-Augustin.

2). Pierre Busquet, élu en 1651, mort le 23 novembre 1653.

3). Le 30 décembre 1653

4). Le Père Boulart, assistant du supérieur général de Sainte-Geneviève, était un des trois ; il n’avait pas l’intention d’accepter.

 

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de condition, (5) traversant ce dessein, a obtenu cette abbaye ; ce qui a fort affligé les deux religieux que vous avez envoyés ici pour solliciter cet affaire. Mais, dans cette consternation, le bon Dieu leur a ouvert un très bon expédient pour réparer un si fâcheux succès : c’est, Messieurs, de vous proposer de demander à Sa Majesté le Révérend Père Le Roy, religieux de Saint-Victor (6), pour votre abbé, par voie de postulation et non d’élection, attendu qu’il n’est pas de votre maison, à condition toutefois qu’il ne changera rien en ladite abbaye, ni à l’égard de la discipline, ni à l’égard du temporel. De quoi m’ayant donné avis, je me suis résolu de vous en dire mon petit sentiment, en vous marquant quelques avantages qui vous en doivent arriver. Je vous prie de l’avoir agréable.

Le 1er est que vous éviterez un grand mal, en évitant d’avoir pour supérieur une personne qui n’est pas dans l’esprit de votre saint Ordre.

Le 2e est que par ce moyen vous vous maintiendrez dans le droit d’élection.

Le 3e est que ledit R. P. Le Roy, étant religieux de Saint-Augustin comme vous et en réputation de bon religieux, est par conséquent capable de régir cette abbaye selon vos usages et vos intentions.

Et en 4e lieu il est frère de M. Le Roy, premier commis de M. Le Tellier, qui a grand crédit et qui est un des plus hommes de bien que je connaisse au monde. Cela étant, Messieurs, vous êtes assurés d’avoir un puissant protecteur à la cour et d’être conservés en vos privilèges

5) Le gouverneur d’Arras. Il avait demandé l’abbaye pour son oncle, religieux de l’ordre des Prémontrés.

6). Pierre Le Roy, chanoine régulier de l’abbaye Saint-Victor de Paris et supérieur du collège de Boncourt

 

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et en vos possessions, sans que personne ose faire tort à votre monastère, ni à vos fermes.

Je ne doute pas, Messieurs, qu’après ces raisons vous ne preniez résolution de postuler ce bon religieux, puisque vous trouverez en lui tout ce que vous pouviez espérer d’avantageux d’aucun des vôtres. Je le souhaite fort pour le bien de votre communauté, vous assurant que je n’ai autre intérêt à cela que celui de la gloire de Dieu, qui suis, en son amour, Messieurs, votre très… (7)

 

1712. — A JACQUES DESCLAUX, ÉVÊQUE DE DAX

[1653 ou 1654] (1)

J’avoue, Monseigneur, que j’aurais une grande joie de vous voir à Paris, mais j’aurais un égal regret que vous y vinssiez inutilement, ne croyant pas que votre présence ici dût avoir aucun bon succès en ce temps misérable, auquel le mal dont vous avez à vous plaindre est quasi universel dans tout le royaume. Partout où les armées ont passé, elles y ont commis les sacrilèges, les vols et les impiétés que votre diocèse a soufferts ; et non seulement dans la Guyenne et le Périgord, mais aussi en

7) Pierre Le Roy fut élu canoniquement abbé le 28 avril 1654 et dirigea l’abbaye du Mont-Saint-Eloy jusqu’au 17 février 1685 jour de sa mort. Il fut, dit Cardevacque (L’abbaye du Mont-Saint-Eloy, Arras, 1859, in-4°, p. 105), "l’une des lumières des États de la province, et plusieurs fois il obtint l’honneur d’être député en cour par le clergé. Le conseil d’Artois assistait en corps à ses funérailles" On trouve des détails intéressants sur son élection dans l’Histoire des chanoines réguliers de l’Oratoire de St-Augustin par le P. Cl. du Molinet, 5 vol. in-f°, t. III, f° 144 et suiv., bibl. Sainte-Geneviève, ms. 604.

Lettre 1712. — Abelly, op. cit., 1. I, chap. XLIII, p. 203.

1) Le contenu de cette lettre montre qu’elle a été écrite à la fin des guerres de la Fronde et avant 1655.

 

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Saintonge, Poitou, Bourgogne, Champagne, Picardie et en beaucoup d’autres, et même aux environs de Paris. et généralement partout les ecclésiastiques, aussi bien que le peuple, sont fort affligés et dépourvus, en sorte que de Paris on leur envoie dans les provinces plus proches du linge et des habits pour les couvrir, et quelques aumônes pour leur aider à vivre ; autrement, il en demeurerait fort peu pour administrer les sacrements aux malades. De s’adresser à Messieurs du clergé pour la diminution des décimes, ils disent que la plupart des diocèses demandent la même chose, et que, tous se ressentant de l’affliction de la guerre, ils ne savent sur qui rejeter cette diminution. C’est un fléau général, dont il plaît à Dieu exercer ce royaume. Et ainsi, Monseigneur, nous ne saurions mieux faire que de nous soumettre à sa justice, en attendant que sa miséricorde remédie à tant de misères. Si vous êtes député pour l’assemblée générale de 1655 Ce sera, alors que vous pourrez plus justement prétendre quelque soulagement pour votre clergé (2). Il sera cependant consolé de jouir de votre chère présence de delà, où elle fait tant de bien, même pour le service du roi…

 

1713. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 6 mars 1654.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Il ne nous est point arrivé de vos lettres cette semaine ;

2). L’évêque de Dax ne fut pas élu ; il vint quand même à Paris à la fin de l’année 1655 et exposa devant l’assemblée du clergé la détresse de son diocèse. (Cf. Degert, op. cit., p. 330.)

Lettre 1713. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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c’est pourquoi je n’ai rien à vous mander de particulier, sinon que voici un mot de lettre que j’écris à M. l’ancien curé de Sainte-Croix, pour le remercier de vous avoir adoptés pour ses enfants, en vous remettant sa cure et son logis. Vous verrez si la lettre sera comme il faut et s’il sera expédient de la lui rendre ; et, en ce cas, vous y ferez mettre un dessus tel qu’il le faut et la cachetterez.

Nos petites nouvelles n’ont pas changé. Notre disposition est encore bonne, grâces à Dieu. M. Dehorgny est supérieur aux Bons-Enfants, parce que nous avons eu besoin ailleurs de M. Cornuel. Nos ordinands se sont retirés fort satisfaits et ils nous ont laissés grandement édifiés. Deux jeunes docteurs de Sorbonne et très pieux leur ont fait les entretiens fort utilement. Il nous faudra bientôt recommencer les mêmes exercices, et Dieu veuille que ce soit avec pareille bénédiction ! Cependant nous allons faire quelques missions, qui dureront jusqu’après Pâques. Elles ne nous feront pas oublier votre personne et vos exercices ; car nous continuerons de les offrir à Dieu.

Le bon M. Alméras est allé parcourir les paroisses ruinées du diocèse de Laon et assister les pauvres curés, pour les obliger tant à la résidence qu’à étendre leur ministère sur leurs voisins destitués de prêtres. Il leur distribuera des ornements, des habits et quelque argent ; et le frère Jean Parre, qui est au même lieu, continuera d’assister par ses ordres les pauvres gens à qui la guerre n’a rien laissé. Les frères Mathieu (1) et Jean Proust (2) font la même chose aux diocèses de Reims et de Noyon.

1.) Mathieu Régnard.

2). Jean Proust, né à Parthenay le 12 mars 1620, entré dans la congrégation de la Mission le 25 juin 1645, reçu aux vœux le 28 octobre 1647.

 

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J’embrasse le bon M. Desdames, s’il est arrivé à Varsovie, avec le reste de votre chère famille, qui suis en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

 

1714. — A JACQUES CHIROYE, SUPÉRIEUR, A LUÇON

De Paris, ce 8e mars 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de l’arrivée de M. Pignay et de la satisfaction que Mgr de Luçon en a reçue, comme aussi des nouvelles charges qu’il lui a données, par lesquelles il rendra sans doute de grands services à Dieu et au diocèse.

Je loue Dieu aussi des dispositions que vous avez apportées pour faire les exercices des ordinands. l’espère que par le zèle et le secours de cet homme apostolique vous travaillerez désormais à ce bon œuvre.

Nous attendrons donc qu’il dispose mondit seigneur à faire l’union de la cure ; autrement elle ne se fera pas (1) ; et néanmoins je vois que toutes les unions de pareils bénéfices se font par Nosseigneurs les prélats et non par le Pape. Mandez-moi si je vous ai envoyé ci-devant, comme

Lettre 1714. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1). L’union ne dut pas se faire, car aucun document ne la signale.

 

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il me le semble, une copie des actes qu’il convient faire pour garder les formes et faire validement la chose, tels qu’ils ont été faits pour l’union de la cure de Saint-Preuil (2) au séminaire de Saintes. Si vous ne les avez pas, je vous les enverrai.

Je suis consolé de ce que vos ouvriers travaillent aux missions, pendant que vous aidez M. Pignay à se reconnaître et à s’établir en ce nouveau monde d’affaires.

Nous payerons donc à votre décharge la pension de Claude Bajoteau à la maison du Mans, en déduction de ce que nous vous devons, et j’en donnerai avis à M. Lucas par le premier ordinaire, afin qu’il tienne ce payement pour reçu.

La compagnie est ici en même état. Dieu la bénit en Italie d’une manière particulière. M. du Chesne, qui était à Marseille, est allé commencer un nouvel établissement à Agde, en Languedoc (3). M. Alméras est en Picardie pour assister les pauvres curés, leur distribuer des ornements, des habits et de l’argent, afin qu’ils n’abandonnent leurs paroisses. Il fait aussi assister les pauvres gens que la guerre a dépouillés de toutes choses, à quoi travaillent encore trois de nos frères, tant en Champagne que Picardie.

Je me trouve en ville, pressé de la nuit, ce qui m’oblige à finir en vous embrassant avec votre chère petite famille, prosterné en esprit à vos pieds et à ceux de M. Pignay, à qui je fais un renouvellement des offres de mon obéissance, et à vous de la donation de mon cœur, qui

2) Commune de l’arrondissement de Cognac (Charente).

3). L’évêque d’Agde avait préparé un contrat de fondation, que saint Vincent refusa de signer, à cause des clauses trop onéreuses qu’il contenait. Les choses en restèrent là jusqu’en 1671, date de la fermeture de l’établissement.

 

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suis, en celui de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Chiroye.

 

1715. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

1654 (1)

Le désespoir ayant porté plusieurs filles de condition qui se sont trouvées en divers lieux sur les frontières de la Champagne, en d’étranges extrémités, l’on a cru que le plus assuré remède était de les éloigner’du péril, et l’on a commencé à les retirer dans la communauté des Filles de Sainte-Marthe de la ville de Reims, où elles sont instruites à la crainte de Dieu et dressées à s’occuper à quelque petit travail. Il y a déjà dans cette charitable retraite trente filles de gentilshommes de ces quartiers, dont quelques-unes ont passé plusieurs jours cachées en des cavernes, pour éviter l’insolence des soldats La dépense qu’il faudra faire pour cette œuvre de charité et pour retirer et mettre en sûreté toutes les autres que nous trouverons en semblable péril, est très grande, parce que, outre la pension qu’il faut payer pour la nourriture, il faut encore les revêtir ; mais nous espérons que la charité des personnes qui ont si bien commencé, continuera et augmentera plutôt que de diminuer.

Lettre 1715. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. XI, sect. III, 1er éd, p. 401. Il y aurait lieu de renouveler ici la réflexion déjà faite à la note générale de la lettre 1710.

1). Ces lignes ont été publiées dans la Relation de janvier-février mars 1654.

2). Les filles hospitalières de Sainte-Marthe desservaient sous l’ancien régime un grand nombre d’hôpitaux en Bourgogne et en Champagne.

 

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1716. — A MONSEIGNEUR MASSARI,

SECRÉTAIRE DE LA PROPAGANDE

De Paris, ce 13 mars 1654

Monseigneur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La nouvelle que j’ai à vous donner vous pourra surprendre : c’est la mort de Monsieur l’archevêque de Myre (1), après une maladie de douze ou treize jours, qui provenait d’une grande fluxion sur la poitrine. Mgr le nonce m’a fait l’honneur de venir céans pour me le dire ; et comme je voulais l’aller voir le lendemain, qui était le mardi 10° de ce mois, j’appris qu’il était trépassé dès le matin ; et le soir on le porta aux Cordeliers, où le service s’étant fait le mercredi, mondit seigneur le nonce y assista ; et plusieurs personnes de condition s’y trouvèrent, particulièrement quelques gentilshommes, de la part de M. l’ambassadeur de Portugal, qui s’est montré affectionné pour le défunt et pour ses intérêts Il avait mis ordre à ses papiers, ayant fait cacheter les plus importants et donné ordre qu’ils soient rendus à la Sacrée Congrégation.

Lettre 1716 — L. s. — Arch. de la Propagande, III Gallia n° 200, f° 252, original

1) L’acte mortuaire de l’ancienne église des Cordeliers nous dit ce qu’était ce personnage. "10 mars 1654, mort d’Antoine-François de Saint-Félix, Napolitain, docteur de Rome, archevêque de Myre, missionnaire et administrateur des royaumes du Japon et de l’empire de Chine, avec pleine puissance de nos SS.-PP. les Papes Urbain et Innocent X, après plus de 25 ans de mission en toutes les portions du monde, avoir baptise des rois infidèles et avoir converti à la foi une Infinité de païens, juifs et hérétiques, passant ici pour aller à Rome, député à cet effet du roi de Portugal." (Bibl. Nat., n. acq. fr. 22.361)

 

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Il y a eu différend pour le lieu de son enterrement, parce que le curé du faubourg Saint-Germain, où il était logé, voulait qu’il se fît en son église ; mais enfin il l’a cédé à son Ordre.

J’ai tâché de servir ce bon archevêque en ce que j’ai pu et qu’il a désiré, selon votre commandement ; et j’ai regret de ne l’avoir fait plus utilement et d’être sitôt privé de cette occasion de vous obéir. J’en attendrai d’autres, et de Dieu la grâce de pouvoir aucunement reconnaître les protections et les bontés incomparables que vous avez pour nous.

Il reste en cette ville un bon vieillard de quatre-vingts ans, étranger, qui logeait avec feu Monsieur l’archevêque de Myre (2) que l’on dit être patriarche d’Antioche, quoiqu’il soit seul et n’ait aucune marque de prélature. Je lui ai voulu persuader de prendre la compagnie de quelques religieux qui s’en vont en son pays, pour s’en retourner ; mais son âge et ses incommodités ne lui permettent pas.

Je vous supplie très humblement, Monseigneur, d’user du pouvoir que vous avez sur moi en tout ce qu’il vous plaira, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : Mgr Massari.

2) Le secrétaire avait écrit Smyrne ici et plus haut ; le saint a de sa propre main changé Smyrne en Myrre.

 

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1717. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 13e mars 1654

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres en même temps, des 5 et 12 février, et les ai lues avec nouveaux sentiments de reconnaissance vers Dieu et vers la reine, qui ont tant de soin de vos personnes et de votre établissement. Comme Sa Majesté n’agit que pour le pur amour de Dieu, aussi n’y a-t-il que lui qui puisse reconnaître ses grandes charités. Je vois qu’elle vous en a fait de nouvelles et qu’en toutes occasions elle vous est une bonne mère. Plaise à Dieu que vous lui soyez tous de bons serviteurs et de vrais missionnaires !

Je loue Dieu du bon accueil que vous a fait Mgr de Posnanie et de sa bonne volonté pour la compagnie. Il faudra recevoir l’union de la cure (1) en la manière qu’il vous a proposée, puisque c’est l’usage du pays et qu’il donnera le titre à vie à celui que nous lui nommerons, avec telles conditions que ce titulaire ne puisse rien faire contre l’intention de la compagnie.

Je prie Dieu qu’il bénisse abondamment la mission que vous faites dans Sainte-Croix, et que cette première grâce serve de semence pour multiplier à l’infini cette sorte d’emploi et les fruits qui en réussiront. Mais comment ferez-vous, Monsieur, si Messieurs Guillot et Zelazewski vous quittent ? Certes, j’ai une grande affliction de l’envie qu’ils en ont, et je ne doute pas que vous

Lettre 1717. — L. s. — Doisier de Cracovie, original

1) La cure de Sainte-Croix à Varsovie.

 

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n’employiez toute sorte de moyens pour les retenir, particulièrement le dernier, puisque l’autre est tout résolu à s’en revenir. C’est grand dommage que, sur le point qu’il peut rendre de bons services à Dieu en Pologne, il tourne son cœur et ses pas vers la chair et le sang. Il a écrit en son pays qu’on l’y verra bientôt, et je ne doute pas que, sortant de celui où vous êtes, contre le sentiment de tout le monde et l’ordre de la sainte obéissance, il ne sorte aussi de la compagnie. J’espère pourtant que le bon Dieu ne le laissera pas aller où son inclination le porte.

J’approuve volontiers que vous nous renvoyiez le frère Posny, puisque M. Fleury le désire et qu’il il se comporte si mal en son endroit. J’ai un grand déplaisir de sa faute, pour les grandes obligations que nous avons à ce bon serviteur de Dieu.

Nous allons vous préparer un prêtre, un clerc et un coadjuteur, ou du moins deux clercs, dont l’un sera capable d’enseigner le séminaire et en état d’être fait prêtre bientôt, pour les faire partir à la première occasion.

Mademoiselle Le Gras vous écrit, et sa lettre me dispense de vous rien dire sur les demandes que vous me faites touchant les Filles de la Charité, parce qu’elle y répond, selon la résolution que nous en avons prise.

Je me recommande à vos prières et je vous assure de la continuation des nôtres. J’embrasse cordialement le bon M. Desdames et toute la petite compagnie, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de le première page : M Ozenne.

 

 

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1718. — A FIRMIN GET, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

13 mars 1654.

Il faut se résoudre à la patience au sujet de la maison qui a vue sur la votre et du voisin qui l’occupe et qui commence à vous faire peine ; car de prétendre d’avoir tout à souhait sans ressentir les incommodités que les hommes se donnent les uns aux autres, il ne le faut pas.

 

1719. — A FRANÇOIS PERROCHEL, ÉVÊQUE DE BOULOGNE

18 mars 1654.

Monseigneur,

Je vous fais La présente à deux fins : la première est pour vous renouveler les offres de mon obéissance, avec toute la révérence et l’affection que vous savez que N.-S. m’a données pour votre personne sacrée, et la seconde pour vous faire une très humble prière en faveur du chapitre de Beauvais. Vous avez pu savoir le différend qui s’est mû entre lui et Mgr l’évêque (1), au sujet du mandement

Lettre 1718. — Manuscrit de Marseille.

Lettre 1719. — Reg. 1, f° 43 v°.

1) Nicolas Choart, seigneur de Buzenval, né le 25 juillet 1611, conseiller au parlement de Bretagne le 19 octobre 1630, conseiller au grand conseil en septembre 1631, maître des requêtes le 11 août 1639, ambassadeur en Suisse, où il ne se rendit pas. Il donna en 1643 sa démission de maître des requêtes, embrassa l’état ecclésiastique et fut nommé en 1650 évêque de Beauvais. Il est surtout connu par son attachement à la doctrine janséniste. Il refusa de se soumettre à la condamnation des cinq propositions et de publier la bulle pontificale dans son diocèse, parce qu’elle lui semblait attentatoire aux libertés de l’Église gallicane et qu’elle exigeait, pour des faits non révélés, une adhésion due aux seules vérités de foi. Le chapitre pensa qu’à défaut de l`évêque la publication de la bulle lui revenait, et il s’exécuta. Grand fut le mécontentement du prélat, qui improuva

 

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pour la publication de la bulle donnée contre les nouvelles opinions, qui a donné sujet à Messieurs de ce chapitre de s’adresser au Saint-Siège pour avoir des commissaires qui prennent connaissance de cet affaire, mais ils n’ont pas obtenu ceux qu’ils souhaitaient ; car, au lieu de vous, Monseigneur, on leur a donné M. votre official, qu’ils ne connaissent pas ; et pour cela ils ont désiré que je vous supplie très humblement, comme je fais, d’avoir agréable de nous mander si mondit sieur l’official est un homme généreux pour porter les intérêts de Dieu comme il faut par-dessus les considérations humaines, et s’ils peuvent s’en assurer en cette occasion, et de plus, Monseigneur, d’avoir la bonté de lui recommander cet affaire comme un affaire de Dieu. Vous en savez l’importance, et moi je sais combien vous avez à cœur les intérêts de Dieu et de l’Église, et que les recommandations qu’on vous en fait ne vous importunent jamais. C’est pourquoi, Monseigneur, j’espère que vous n’aurez pas désagréable ma liberté, mais que vous m’honorerez d’un mot de réponse au plus tôt, parce que la chose presse pour agir.

Je suis cependant, en l’amour de N.-S., Monseigneur, votre….

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

et condamne la conduite de son chapitre par deux mandements successifs, et exigea le désaveu formel de cet acte sous peine de suspense et d’excommunication contre chaque chanoine. Ceux-ci en appelèrent à Rome le 1er décembre 1653. La réponse leur fut expédié le 17 janvier 1654 ; elle contenait ces mots : "La Sacrée Congrégation des cardinaux, sur ce qui a été proposé ci-dessus, a jugé que sous ce nom Ordinaire des lieux sont compris le doyen et chapitre de Beauvais et qu’il doit être ainsi signifié tant à l’évêque qu’audit chapitre" (cf Delettre, op cit, III, p 453)

 

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1720. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 20e mars 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n’ai rien à vous dire de particulier, n’ayant encore reçu vos lettres, quoique l’on soit allé deux fois les demander chez Madame des Essarts, qui m’a mandé n’être pas encore arrivées. Dieu veuille qu’elles ne nous apportent que de bonnes nouvelles !

Grâces à Dieu, nous n’en avons point de mauvaises de deçà. Il est vrai qu’à Gênes toute la maison quasi a été incommodée, qui d’une sorte, qui d’une autre ; mais à présent tous se portent mieux, quoique quelques-uns ne soient pas tout à fait guéris. Ils vont recommencer un séminaire interne et continuer une dévotion qu’ils ont commencée, et nous avec eux, pour demander à Dieu, par les mérites et les prières de saint Joseph, dont nous célébrions hier la fête, qu’il envoie de bons ouvriers en la compagnie pour travailler à sa vigne. Jamais nous n’en avons connu le besoin au point que nous le ressentons à présent, à cause que plusieurs cardinaux et évêques d’Italie nous pressent pour leur donner des missionnaires. Ceux de Rome et de Gênes continuent à travailler avec tant de ferveur et de bénédiction qu’ils y sont en très bonne odeur, par la miséricorde de Dieu.

M. Thibault, supérieur de notre maison de Saint-Méen, m’écrit qu’il a fait une mission de cinq semaines, où il a connu manifestement que la mission est purement l’ouvrage de Dieu ; et entre les fruits qu’il me

Lettre 1720. — L. s — Dossier de Cracovie, original.

 

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marque s’être faits en ce lieu-là, il dit que, les trois derniers jours du carnaval, tout le monde demeura à l’église depuis le matin jusqu’au soir, et que, pour de leurs débauches passées, ils se résolurent volontairement de ne manger que du pain, ni boire que de l’eau en ces jours-là, ce qui fut si exactement observé et si généralement par tous les habitants, qu’il n’y en a eu qu’un ou deux au plus qui se soient démentis en cet acte de pénitence ; cela est certes merveilleux.

Quelques-uns de nos prêtres sont allés faire une mission à quatre lieues d’ici ; c’est la cinquième ou la sixième de cet hiver. Voilà, d’un autre côté, les ordinands qui vont venir, et avec lesquels nous allons finir le carême, comme nous l’avons commencé. M. Alméras continue d’encourager les pauvres curés des frontières à la résidence et au soin de leurs charges, par entretiens et par distributions d’ornements, d’habits et d’aumônes, et veille en même temps aux assistances que nos frères rendent aux pauvres gens qui ont tout perdu.

Je recommande à vos prières tous nos emplois et nos besoins. Voici un paquet de lettres pour vous et une que j’écris à M. Desdames pour me réjouir avec lui du bonheur qu’il a d’être avec vous, à qui je suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d.l. M.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

 

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1721. — A STANISLAS ZELAZEWSKI, A VARSOVIE

De Paris ce 27 mars 1654

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Votre lettre m’a bien donné de la joie, à cause qu’elle venait de la part d’une personne que j’estime et chéris grandement ; mais elle ma apporté une égale affliction, voyant la résolution que vous avez prise de vous retirer de la compagnie, et ainsi abandonner l’œuvre de Dieu, lorsque vous avez plus d’obligation, ce semble, de vous y attacher. Certes, si vous considériez bien les conduites de Dieu sur vous, qui vous a fait venir en France et vous y a laissé pour vous faire entrer parmi nous et vous y élever aux lettres, à la piété et aux fonctions ecclésiastiques, qui vous a par après ramené en votre pays et à même temps ouvert la porte à quantité de biens que vous y pouvez faire, demeurant en l’état où il vous a mis, vous ne voudriez pas vous éloigner si fort de votre vocation, ni vous rendre responsable, au jour du jugement, d’avoir perdu une si belle occasion.

Vous dites que vous n’êtes pas content en la Mission. Ce n’est pas pour cela une marque que Dieu ne vous y veut pas ; car en quelque lieu et en quelque condition que l’on soit, on n’y trouve jamais son contentement accompli. Cette vie est pleine de fâcheries et de peines d’esprit aussi bien que de corps ; c’est une continuelle agitation, qui ôte le repos à ceux qui croient le posséder et qui en éloigne ceux qui le cherchent. Notre-Seigneur

Lettre 1721. — Dossier de Cracovie, copie du XVIIe ou du XVIIIe siècle

 

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y a-t-il mené une vie douce ? N’a-t-il pas expérimenté en lui les difficultés et les tribulations que nous appréhendons ? Il était l’homme de douleur, et nous voulons être exempts de souffrir ! Il ne nous parle que de croix pour avoir part à sa gloire, et nous voudrions le suivre sans rien endurer ! Cela ne se peut. Il faut renoncer à soi-même pour le servir, et l’évangile de demain nous assure que qui aime son âme la perdra, et qui hait son âme en Ce monde la gardera en la vie éternelle (1)

Ce qui peut aussi servir de réponse au prétexte que vous prenez d’en sortir, pour n’avoir point de santé, comme si elle vous devait être plus chère que la gloire de Dieu. Vous savez comment vous vous portez à présent, mais vous ne savez comment vous vous porterez ci-après. Qui vous a dit qu’en quittant votre vocation vous vous porterez mieux, ou qu’en la conservant vous serez toujours incommodé ? Personne n’en sait rien, et néanmoins sous cette imagination vous voulez faire une faute irréparable ! Nous voyons en la compagnie quelques-uns qui ont la même incommodité que vous, mais pas un qui n’en revienne. Je l’ai eue moi-même en ma jeunesse, et j’espère que vous en guérirez pareillement, lorsqu’avec l’âge votre sang sera plus tempéré.

La considération de Madame votre mère ne vous doit pas obliger non plus de vous retirer, puisque pour son soulagement vous savez ce que la reine vous a dit et ce que la compagnie vous a promis, et je ne doute pas qu’en demeurant missionnaire, vous ne la puissiez davantage assister qu’en retournant au monde.

Après toutes ces raisons, Monsieur, vous avez grand sujet de craindre qu’il n’y ait de la légèreté en votre fait et que, par un esprit de libertinage, vous ne veuillez

1) Évangile de saint Jean XII, 25.

 

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secouer le joug de J.-C. Que lui diriez-vous un jour quand il vous reprocherait la perte de tant d’âmes, si vous refusiez de leur prêter la main, les voyant sur le penchant de leur ruine, faute d’instruction et d’encouragement au bien ? Vous me repartirez à ceci que vous êtes résolu de travailler à leur salut hors de la Mission ; et moi je vous dis, Monsieur, que peut-être vous ferez comme quelques autres qui en sont sortis, qui, s’étant trouvés destitués de la grâce de leur vocation, n’ont quasi rien fait de ce qu’ils se sont proposé, et plusieurs se sont évanouis en leurs vaines prétentions. L’exemple de tant d’ecclésiastiques qui sont au monde, qui, pour trop aimer leurs aises, évitent le travail, courent après la convoitise des biens et s’attachent aux satisfactions de la vie présente, vous doit faire appréhender que ce torrent vous emporte, si vous sortez de la petite barque où Dieu vous a mis, en laquelle vous lui pouvez rendre de grands services par les grâces qu’il y a attachées et les talents qu’il a mis en vous. Pourquoi ne craindrez-vous pas qu’il vous abandonne si vous abandonnez de la sorte son parti ? Et si la compagnie vient à défaillir de delà par votre faute, il vous en pourra demander un compte très exact, en tant que par votre sortie vous empêcherez que d’autres y entrent ; et par ce scandale, faisant connaître que vous n’estimez pas son institut ni ses fonctions, vous lui ôterez sa bonne odeur et par conséquent les moyens de faire quelques fruits. Voyez où cela va, Monsieur, et, au nom de Dieu, résistez à cette tentation :

Quant à ce que vous me demandez, de demeurer avec les missionnaires sans être du corps, de vous occuper avec eux et demeurer néanmoins en votre liberté, c’est ce que nous ne ferons pas ; et ne l’avons jamais accordé à personne ; ce serait donner sujet aux autres de sortir et

 

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d’espérer la même chose ; car naturellement chacun aime la liberté ; mais il s’en faut garder comme d’un chemin large qui mène à perdition. Je vous prie donc, Monsieur, de ne pas vous attendre à cela, mais de vous donner à Dieu pour le servir toute votre vie en la manière et en l’état où il vous a mis. Vous en avez les occasions si favorables, que vous ne pouvez les refuser à moins de risquer votre salut avec celui d’une infinité d’âmes ; et au contraire, travaillant à leur sanctification, vous assurez la vôtre, et, en vous conservant à la Mission, vous la conserverez et serez cause qu’à votre exemple plusieurs Polonais s’y rangeront pour y recevoir l’esprit ecclésiastique et pour multiplier les ouvriers en la vigne du Seigneur, qui en a tant de besoin. C’est pour cela que vous y avez été appelé, et j’espère de sa divine bonté qu’elle vous fera la grâce de persévérer par l’intercession de saint Casimir, à qui je vous recommande, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

 

1722. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 27 mars 1654

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne doute pas de votre peine, voyant que deux ouvriers vous veulent quitter lorsque vous en avez plus de besoin ; mais je sais aussi que vous trouvez votre repos

Lettre 1722. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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en Dieu, qui permet cette secousse pour affermir son ouvrage et qui peut par mille autres moyens avancer la compagnie. Peut-être a-t-il permis que M. Guillot ait reçu une entorse à son pied pour éviter celle qu’il veut donner à sa vocation, qui certes serait en péril s’il revenait en France. Peut-être aussi qu’il veut éprouver M. Zelazewski par la tentation qu’il souffre, et les réduire tous deux à demeurer fermes au lieu et en l’état où il les a mis, après ces premières agitations, par la considération des biens que l’un et l’autre peuvent faire et des maux qu’ils éviteront. Je ne sais certes comme ils se pourraient laver d’une telle faute s’ils abandonnaient l’œuvre de Dieu en si beau chemin et une fondation tant importante dès son commencement. J’en écris quelque chose au dernier, et surtout je le désabuse de la pensée qu’il a de demeurer avec les missionnaires, lorsqu’il n’en sera plus, et d’être employé à leurs fonctions avec eux, quand il lui plaira, pourvu qu’il soit en sa liberté ; car cela est inouï en la compagnie, et tel exemple nous serait de grand préjudice. S’il en sort, il faut qu’il s’en éloigne ; autrement, il nous ferait un double mal.

Je loue Dieu de ce que vous avez à présent le bon M. Desdames avec vous. Je ne doute pas que la consolation n’en soit grande pour vous et pour lui, et je la sens telle en mon cœur. Je l’embrasse de toute mon affection. Faites prendre la prêtrise au frère Duperroy le plus tôt que vous pourrez (1). Un bon soldat en vaut dix, et Dieu bénira sans doute votre petit troupeau, encore que ce déchet que vous craignez arrive. C’est lui qui vous a appelés en Pologne, qui vous montre une si plantureuse

1) Il fut ordonné le 4 avril, avant par conséquent que cette lettre ne parvint à Charles Ozenne.

 

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moisson et qui veut vous la faire entreprendre, fondés sur une spéciale confiance en sa grâce, et non pas sur vos forces, puisque vous en avez si peu. Nous allons néanmoins vous préparer le secours que vous demandez, pour le faire partir à la première occasion, savoir un frère coadjuteur, qui sera, comme je pense, ce jeune homme d’Allemagne qui parle polonais et qui a demeuré à Varsovie (2) (il est fort, assez pieux et intelligent) un prêtre, et, si nous pouvons, un clerc capable d’enseigner le séminaire. J’en ai un en vue, qui est un très bon enfant, beaucoup capable et qui a même disposition d’aller en Pologne. Vous me parlez de M. Gigot ; mais il me semble qu’il ne parle pas bien latin et n’a pas aptitude aux langues ; je vous prie néanmoins de me mander ce que vous en pensez et ce que vous avez remarqué de bon en lui qui vous le fasse juger propre pour ce pays-là.

Dieu disposa samedi dernier de Monseigneur l’archevêque de Paris (3), et à même temps Mgr le cardinal de Retz prit possession de cette Église par procureur et y fut reçu par le chapitre, quoiqu’il soit toujours au bois de Vincennes. La Providence lui avait fait faire une procuration à cet effet et nommer deux grands vicaires, quelques jours avant qu’il fût arrêté, sur le dessein qu’il avait dès lors d’aller faire un voyage à Rome, et cela en

2) Peut-être Jean Meusnier, né dans le diocèse de Trèves, entré dans la congrégation de la Mission le 26 novembre 1653 à l’âge de Vingt ans, reçu aux vœux le 25 janvier 1656. Il n’’alla pas en Pologne.

3). Jean-François de Gondi mourut le 21 mars, à 4 heures du matin. A 5 heures, le sieur de Labour, délégué à cet effet, prenait possession du siège archiépiscopal au nom du cardinal de Retz. Quand Le Tellier vint à Notre-Dame pour empêcher les formalités d’usage, il était trop tard. Le prisonnier apprit la mort de son oncle le jour même par des signaux conventionnels. Le prêtre qui dit la messe le lendemain en sa présence éleva la voix en prononçant les mots : Joannes Franciscus Paulus, anistes noster.

 

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cas que Dieu disposât de M. son oncle pendant son voyage, de sorte que ces grands vicaires, qui sont deux chanoines de Notre-Dame, font à présent leurs fonctions, et nous avons les ordinands par leur ordre. Tout le monde admire cette prévoyance pour avoir eu son effet fort à propos, ou plutôt la conduite de Dieu, qui n’a pas laissé ce diocèse un seul jour sans pasteur, lorsqu’on lui en veut donner un autre que le sien.

Le temps et le papier me manquent. Je salue la petite famille et suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l.M.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

 

1723. — A LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE

De Paris, ce 28° mars 1654.

Ma Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous me faites plaisir de me mander de temps en temps l’état et le nombre de vos orphelins. Je continue de vous offrir à Dieu et de le prier qu’il bénisse votre travail.

J’ai fait voir votre lettre aux dames, qui ont trouvé à propos que vous rendiez compte de la dépense que vous faites, à Mademoiselle la lieutenante générale (1) ; et Mademoiselle Viole vous prie de lui mander si vous avez reçu une lettre qu’elle vous a écrite.

Faites-moi la charité de prier Dieu pour moi.

Lettre 1723. — I,. s. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Marguerite du Tartre, épouse de Gabriel de Bry, sieur d’Arcy, lieutenant général du bailliage d’Étampes.

 

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Mademoiselle Le Gras se porte assez bien, et votre petite compagnie va assez bien, grâces à Notre-Seigneur, en qui je suis, ma Sœur, votre très affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A ma sœur la sœur Jeanne-Françoise, Fille de la Charité, servante des pauvres malades, à Étampes.

 

1724. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 3° avril 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Votre lettre du 5 mars, comme les précédentes, m’a été à grande consolation, voyant que la bonté de la reine ne se lasse de vous bien faire en toute manière et en tous rencontres. Nous ne cessons non plus de remercier Dieu des grâces qu’il lui fait et de le prier qu’il les y continue abondamment.

Sa Majesté a bien sujet d’être mécontente du retour de M. Guillot et de la sortie de M. Zelazewski. Je prie Dieu qu’il leur pardonne. Pour moi, j’admire comme un soldat est fidèle à son capitaine, en sorte qu’il n’oserait reculer quand il faut combattre, ni le quitter sans son consentement, sur peine d’être puni comme un déserteur d’armée. Un homme d’honneur n’aurait garde d’abandonner son ami dans le besoin, surtout s’ils étaient en un pays étranger. Pourquoi ? C’est de crainte de faire

Lettre 1724. — L. s. — Dossier de Cracovie, or : ginal.

 

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une lâcheté, ou commettre une incivilité. J’admire, dis-je, de voir plus de fermeté en ces gens-là pour des respects humains, que des chrétiens et des prêtres n’en ont pour la charité, ni pour les bons desseins qu’ils ont entrepris. Et quand je pense à l’action de ces deux Messieurs, qui ont été appelés pour la première fondation de la Mission en un grand royaume où il y a des biens infinis à faire, où tout se dispose à souhait pour réussir heureusement et faire une ample moisson, et qui néanmoins abandonnent l’œuvre de Dieu en si beau chemin, quelques prières qu’on leur fasse et quelques raisons qu’on leur puisse apporter, je vous avoue que je ne sais qu’en dire, ni que penser. Mais en cela comme en tout nous devons nous conformer à la volonté de Dieu et adorer ses sages conduites. Nous vous enverrons donc d’autres hommes à leur place, et au plus tôt, Dieu aidant. Je vous ai prié de me mander à quoi vous avez dessein d’appliquer M. Gigot, que vous demandez.

Je loue Dieu de ce que M. Desdames a déjà prêché à Varsovie en polonais et de la disposition du frère Duperroy à faire progrès en cette langue. J’espère que peu à peu vous vous la rendrez familière et que le bon Dieu vous bénira en tous vos désirs, puisqu’ils tendent à lui, et qu’il bénira pareillement votre famille et vos emplois, pour le service de l’Église et la consolation de Leurs Majestés.

J’enverrai votre lettre à Mgr l’archevêque de Rouen (1), comme j’ai fait à Troyes celles que vous y avez écrites.

Nous n’avons rien de nouveau, et je ne pourrais pas vous en dire, à cause de l’office de ce saint jour (2), qui

1) François de Harlay de Champvallon. — Cette lettre avait probablement trait au frère Nicolas Duperroy, qui était originaire de ce diocèse et allait recevoir le sacerdoce le lendemain.

2) C’était le vendredi saint.

 

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nous occupe et qui m’oblige à finir en vous embrassant aux pieds de la croix de Notre-Seigneur, en qui je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, à Varsovie.

 

1725. — MARTIN HUSSON A SAINT VINCENT

De Tunis, ce 4 avril 1654.

C’est en l’absence de. Monsieur Le Vacher (1) que je vous écris cette fois Il partit le 18 du passé pour aller à Bizerte d’où il ne revint que le 26 ; et le 30 il. est allé à un lieu nommé la Cantara (2), où il fit un voyage les derniers jours de l’année dernière. J’envoie après dîner Le Sargy le joindre afin que demain matin ils puissent revenir ensemble. J’appréhende pour sa santé ; elle est forte, grâces à Dieu, nonobstant tout ce labeur, mais à la longue la nature ne peut qu’elle ne s’altère. Je ne sais comme il se trouvera au retour Au dernier voyage qu’il fit à la Cantara, il avait un prêtre pour le soulager ; mais il était alité quand il fallut partir, de sorte que, pendant deux jours et trois nuits qu’il aura seulement eus pour séjourner, il lui aura fallu porter seul le travail. Ils sont plus de 80 chrétiens. Il ne porta que cinquante piastres en réserve pour en assister les esclaves. Il n’en a porté qu’autant à la Cantara ; car c’est tout ce que nous pouvons faire ; grâces à N.-S., nous ne thésaurisons jamais.

Ces fêtes de Pâques étant passées, il ira faire une autre mission à la Mammedie (3), distante seulement de deux lieues d’ici, où il y a bien près de 60 chrétiens fort maltraités..

Nous vous écrivîmes l’un et l’autre peu après le commencement du mois passé, et j’espère qu’a présent nos lettres vous sont rendues.

Lettre 1725. —- L. s Dossier de Turin, original.

1). Jean Le Vacher.

2). Aujourd’hui Fondouk-el-Kantara, localité située à une trentaine de kilomètres au nord de Tunis.

3). Aujourd’hui Mohanimedia, localité située à une dizaine de kilomètres au sud de Tunis.

 

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Tous nos bagnes préparent à qui mieux mieux des sépulcres à N.-S. Si la barque eût différé un jour ou deux, j’aurais pu vous en dire quelque chose. Ce sera pour la première occasion

M. Le Vacher travaille à faire venir d’Alger l’argent dudit Toussaint Le Rond, pour, l’ayant reçu, tâcher d’effectuer son rachat. Voici des lettres d’esclaves de divers pays pour diverses provinces de la France, dont Monsieur Le Vacher m’a dit qu’il fallait faire le pli et vous l’envoyer.

Je ne saurais assez me recommander à vos prières et à celles de toute la compagnie, afin que je n’occupe pas inutilement une place en laquelle il y a tant à travailler pour Dieu, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble et très affectionné serviteur.

Husson

 

1726. — A JACQUES CHIROYE, SUPÉRIEUR, A LUÇON

De Paris, ce 8 avril 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Il n’est aucunement expédient de donner votre cure (1) à la personne que vous me nommez, soit qu’elle demeure, ou qu’elle sorte de la compagnie. Qui se comporte mal en une communauté ne fera pas bien en une cure. Il est pourtant à propos que vous vous déchargiez de ce fardeau, mais sur quelqu’autre sujet (2). Je vous en adresserai un ; laissez-y-moi penser.

Le petit prieuré que M. Pignay vous offre est mieux en ses mains que dans les vôtres. Je vous prie, ne vous embarrassez pas de cela. Les unions sont plus difficiles

Lettre 1726 — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) La cure de Chasnais (Vendée).

2) Première rédaction : "quelque bon sujet." La correction est de la main du saint.

 

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que vous ne pensez ; et s’il s’en démettait, comme il a fait de ceux qu’il avait en Gascogne, il pourrait arriver qu’il serait perdu pour vous et pour lui, comme sont ceux-là

Nous n’avons rien de nouveau, ni je n’ai autre chose à répondre à vos lettres des 10 et 18 mars, qui sont les dernières que j’ai reçues. M. Alméras est toujours en Picardie, employé à l’assistance des pauvres curés.

Je suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Chiroye.

 

1727. — A LA SŒUR MARGUERITE MOREAU, A VARSOVIE

8 avril 1654.

Pour obéir aux remontrances de la reine de Pologne Vincent de Paul recommande à la sœur Moreau de veiller avec un soin jaloux sur les jeunes personnes hospitalisées dans sa maison.

 

1728. —- A FIRMIN GET, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

10 avril 1654

Je vous envoie un gros paquet de lettres, comme je fis dernièrement un autre, pour les esclaves de Barbarie par la voie de M. Delaforcade, marchand à Lyon, et par le coche, pour épargner les grands frais de la poste.

Lettre 1727. — Collet, op. cit., t. II, p. 266.

Lettre 1728. — : Manuscrit de Marseille.

 

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1729. — DERMOT DUIGUIN MISSIONNAlRE EN ECOSSE,

A SAINT VINCENT

Avril 1654.

Nous sommes infiniment obligés de remercier sans cesse la bonté divine pour tant de bénédictions qu’il lui plaît verser sur nos petits travaux. Je vous en dirai seulement quelque chose, car il ne m’est pas possible de vous déclarer tout ce qui en est.

Les îles que j’ai fréquentées sont Uist Canna, Egga et Skye ; et dans le continent, le pays de Moydart, Arisaig, de Morar, de Knoydart et de Glengarry.

L’île de Uist appartient à deux seigneurs. L’un s’appelle le capitaine de et l’autre Mac Donald. Ce qui appartient au premier est tout converti, à la réserve de deux hommes seulement, qui ne veulent aucune religion, pour avoir plus de liberté de pécher. Il y a près. de mille ou. douze cents âmes ramenées au bercail de l’Église. Dans l’autre bout de l’île, qui appartient à Mac Donald, je n’y ai pas encore été, quoiqu’on m’y ait appelé. Il y a un ministre qui veut traiter de controverse avec moi par lettre, je lui ai répondu, et j’espère un bon succès de cette dispute. La noblesse m’invite d’aller sur les lieux, et le seigneur en sera bien aise. J’y suis d’autant plus résolu, que je sais que le ministre l’appréhende davantage et voudrait m’en détourner. Les deux serviteurs qu’ils m’ont envoyés s’en sont retournés catholiques, par la grâce de Dieu, et j’ai reçu la confession générale qu’ils m’ont faite, après les y avoir disposés.

Les habitants de la petite île de Canna sont la plupart convertis, et quelques-uns de celle d’Egga. Pour ce qui est de l’île de Skye, elle est gouvernée par trois ou, quatre seigneurs, une partie par Mac Donald et sa mère une autre par Mac Leod, et la troisième, par Mac Fimine. Or, dans les deux premières parties, il y a quantité de familles converties ; mais en celle qui appartient à Mac Fimine je n’y ai encore rien fait.

Quant à Moydart, Arisaig, Morar, Rnoydart et Glengarry, tous sont convertis ou résolus de recevoir instruction, quand nous aurons loisir d’aller en chaque village. Il y a six ou sept

Lettre 1729. — Abelly, op. cit., 1. Il, chap. I, sect. XI, 1er éd, p. 204

 

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mille. âmes dans tous ces lieux-là qui sont bien éloignés et difficiles à visiter à pied et inaccessibles aux gens de cheval.

Au commencement du printemps j’entrai dans une autre île nommée Barra, dans laquelle je trouvai le peuple si dévot et si désireux d’apprendre. que j’en fus ravi. c’était assez. de bien apprendre à un enfant de chaque village le Pater, l’Ave et le Credo, et à deux ou trois jours de là, tout le village les savait, les grands aussi bien que les petits J’ai reçu les principaux à l’Église, et entre eux le jeune seigneur avec ses frères et sœurs, avec espérance d’avoir le vieux seigneur au premier voyage. Parmi ces convertis il y a le fils d’un ministre, dont la dévotion donne une grande édification à tout le pays, où il est connu. Je diffère d’ordinaire la communion pour quelque temps après la confession générale, afin qu’ils soient mieux instruits et encore mieux disposés par une seconde confession, et aussi pour exciter en eux un plus grand désir et une plus grande affection pour communier.

Entre ceux qui ont reçu la sainte communion. il s’en trouva cinq que Dieu fit paraître n’être pas dans la disposition telle qu’ils devaient avoir, parce qu’ayant tiré la langue pour recevoir la sainte hostie, ils ne purent la retirer à eux ; et il y en eut trois qui demeurèrent en cet état jusqu’a ce qu’on eut repris la sainte hostie ; lesquels néanmoins, s’étant après derechef confessés avec une meilleure disposition, reçurent enfin ce pain de vie sans aucune difficulté. Les deux autres ne sont point encore revenus ; et Dieu a voulu permettre ces effets extraordinaires pour donner aux autres chrétiens de ce pays une plus grande crainte, lorsqu’ils s’approcheront de ce divin sacrement, afin qu’ils y apportent de meilleures dispositions.

On a vu aussi plusieurs choses merveilleuses opérées par la vertu de l’eau bénite ; ce qui a beaucoup servi pour donner de grands sentiments de piété à beaucoup de pauvres gens. Nous baptisons grand nombre d’enfants et même d’adultes de trente quarante, soixante et quatre-vingts ans et plus, étant assurés qu’ils n’ont jamais été baptisés. entre lesquels il s’en trouve qui, étant troublés et vexés par des fantômes ou malins esprits. en sont entièrement délivrés, après qu’ils ont reçu le baptême, en sorte qu’ils ne les voient jamais plus.

 

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1731. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

1654 (1)

Outre les quatre cents pauvres que l’on a revêtus, nous avons encore trouvé aux environs de la ville de Laon près de six cents orphelins au-dessous de l’âge de douze ans dans une pitoyable nudité et nécessité. Les. aumônes de Paris nous ont donné moyen de les revêtir et assister.

 

1731. — A PHILIPPE VAGEOT, SUPÉRIEUR, A SAINTES

De Paris, ce 15 avril 654

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris à la hâte à cause de la nuit, mais avec grande tendresse, en la vue des bénédictions que Dieu a données à votre mission de Thenac (1) et de vos grands travaux à la ville et aux champs, dont je rends grâces à Dieu, et le prie qu’il vous conserve et vous bénisse de plus en plus.

Pour le prêtre que vous attendez, nous n’avons encore pu le faire partir ; ce que nous ferons au plus tôt, Dieu aidant.

Je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, que la première mission que vous ferez, que ce soit celle de La Marguerie (2), dont nous sommes en demeure depuis long

Lettre 1730. — Abelly, op cit, 1. II, chap. XI, sect. III, 1er éd., p. 400. Il y aurait lieu de renouveler ici la réflexion déjà faite à la note générale de la lettre 1710.

1) Ces lignes ont été publiées dans la Relation d’avril-mai 1654.

Lettre 1731. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Commune de l’arrondissement de Saintes (Charente-Inférieure).

2) Voir lettre 290, note 4.

 

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temps ; et M. de La Marguerie s’en plaint non seulement à moi, mais à nos amis ; et afin que vous n’ayez pas ensemble et la peine et la dépense de cette mission, prenez cent livres pour cela, et nous les rendrons ici à qui vous nous marquerez, nonobstant notre pauvreté ; et si M. de La Roche est encore à Guimps (3), priez-le de vous venir aider ; il le fera volontiers.

Nous n’avons rien de nouveau, ni je n’ai autre chose à répondre à vos lettres des 7 et 28 mars, qui sont les dernières que j’ai reçues. J’ai envoyé à M. Alméras celle que vous lui avez écrite. Il est toujours en Picardie, employé à l’assistance des pauvres curés et de ceux de Champagne, avec trois de nos frères, qui assistent le pauvre peuple.

Je suis en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je vous prie, Monsieur, au nom de Notre-Seigneur, de faire cette mission dont je vous parle. J’ai donné charge qu’on vous fasse un transport de la fondation, et la vous enverrai au plus tôt ; mais je vous supplie de ne pas laisser de commencer (4).

Au bas de le première page : M. Vageot.

3) Commune de l’arrondissement de Barbezieux (Charente).

4) Ce post-scriptum est de la main du saint.

 

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1732. — A JACQUES CHIROYE, SUPÉRIEUR, A LUÇON

Du 16 avril 1654

Il n’est aucunement expédient de donner la cure de Chasnais (2) au personnage que vous me nommez, soit qu’il demeure ou qu’il sorte de la compagnie. L’expérience nous a fait voir que ceux qui ne se comportent pas bien en communauté, ne font pas mieux étant curés ; et cet exemple nous pourrait nuire, en tant que d’autres pourraient ensuite prétendre qu’en nous donnant sujet de les mettre dehors, nous serions obligés de les récompenser. Il est pourtant à propos que vous vous déchargiez de ce bénéfice, mais sur un autre homme ; je vous en adresserai un bon ; laissez-y-moi penser. Cependant je vous prie d’agir doucement avec ce prêtre, sans vous arrêter à ses défiances ni a ses inquiétudes, mais le supportant tant que vous pourrez. S’il s’en va, patience, ce sera sans sujet (3).

Le petit prieuré que M. Pignay vous offre est mieux en ses mains que dans les vôtres, à raison de l’état où vous êtes, qui vous a fait prendre Dieu pour votre partage et renoncer à toutes les possessions de la terre ; et il est inouï qu’un missionnaire ait accepté et tenu un bénéfice en la compagnie, si ce n’est pour l’unir au corps. Or l’union de celui-là ne se peut faire ni espérer pour plusieurs raisons, et il serait à craindre que, si M. Pignay s’en dépouillait, il en arrivât comme de ceux qu’il

Lettre 1732 — Reg. 2, pp. 52 et 162.

1) Cette lettre ressemble beaucoup à la lettre 1726, qui est datée du 8 avril. Ou cette dernière n’a pas été envoyée, ou en écrivant à Jacques Chiroye le 16, Vincent de Paul avait oublié sa lettre du 8

2). Commune de l’arrondissement de Fontenay-le. Comte (Vendée).

3). Ici se termine le premier fragment

 

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a voulu unir au séminaire d’Agen, qui sont perdus pour lui aussi bien que pour nous.

 

1733. - A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 17 avril 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai une grande douleur de la retraite de ces deux messieurs (1), qui pouvaient si utilement vous aider en l’œuvre du Seigneur ; mais il faut se soumettre à son adorable conduite et songer à d’autres pour les envoyer à leurs places. Je regarde partout et en chacun de tant que nous sommes pour faire un choix duquel Dieu soit honoré, la reine satisfaite et vous soulagé. Je suis résolu de vous envoyer deux clercs que nous avons ici, du diocèse du Mans, dont l’un est gentilhomme, qui maintenant enseigne les humanités au séminaire de Saint-Charles, et l’autre vient d’achever sa théologie, en laquelle il a parfaitement réussi, et se nomment les frères Simon (2) et Eveillard (3) qui dans quelque temps pourront être faits

Lettre 1733. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

1). Nicolas Guillot et Stanislas-Casimir Zelazewski.

2). René Simon, né le 21 septembre 1630 à Laval, reçu dans la congrégation de la Mission le 5 août 1650, professeur au séminaire Saint-Charles, puis missionnaire en Pologne, de retour en France en 1655 envoyé à Gènes, supérieur du séminaire d’Annecy en 1663, puis de la maison de Turin de 1665 à 1667, secrétaire général en 1668, et, après l’assemblée générale de cette année, dont il fit partie, supérieur à Rome et Visiteur de la province d’Italie, rappelé en France en 1677 et mis en 1678 à la tête de l’établissement de Cahors, où il mourut en 1682 ou peu après. Il fut très utile à sa congrégation, surtout par les faveurs qu’il sut lui obtenir du Saint-Siège. Sa biographie a été publiée dans le t. II des Notices, pp 447-451

3). Jacques Eveillard né à Nogent-le-Bernard (Sarthe), entré dans

 

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prêtres. J’écrirai à Rome pour leur faire avoir des extra tempora, dont M. Berthe vous fera l’adresse, afin qu’à leur arrivée à Varsovie, ou bientôt après, vous puissiez les faire passer aux ordres sacrés (4) J’ai aussi en pensée de vous envoyer un bon prêtre d’Artois que nous avons ici, mais qui est bon à merveille, qui a quelque facilité à parler latin, mais qui peut-être n’aura pas beaucoup de grâce extérieure pour la prédication. J’y penserai encore, et nous verrons, comme aussi à vous envoyer un frère coadjuteur ; et ce sera, comme je pense, celui que je vous ai nommé, ce bon frère d’Allemagne qui a demeuré en Pologne. Je n’en vois pas un plus propre, encore qu’il n’ait pas été dressé au soin des malades, comme vous désirez. Tant y a, Monsieur, que nous enverrons trois ou 4 personnes à Rouen au plus tôt, pour s’embarquer à la première occasion ; et nous choisirons d’autant plus de jeunes gens qu’ils ont plus d’aptitude aux langues étrangères que les anciens, qui fort difficilement les apprennent

Je vous ai écrit mes pensées touchant les désirs de

la congrégation de la Mission le 12 octobre 1647 à l’âge de seize ans reçu aux vœux le 13 octobre 1650, puis envoyé en Pologne Les troubles de ce pays l’ayant fait rentrer en France l’année d’après, saint Vincent lui confia la chaire de philosophie à Saint-Lazare. René Alméras le nomma en 1662 supérieur du séminaire Saint-Charles l’envoya la même année à Noyon, avec le même titre, et l’en retira en 1668 pour lui confier la direction du collège des Bons-Enfants. Jacques Eveillard quitta cette dernière charge en 1674 pour aller diriger la maison de Varsovie. Il entra si avant dans les bonnes grâces du roi, de la reine et des grands que Edme Jolly, mécontent de son administration, dut user de mille ménagements pour le rappeler Comme Jacques Eveillard continuait d’intriguer pour rester à son poste, le supérieur général l’expulsa de la congrégation et notifia cette sentence aux visiteurs par sa circulaire du 29 juin 1680

4). Ils furent tous deux ordonnés prêtres au mois de septembre.

5). Abel Pouchin, né à Aubigny (Pas-de-Calais), reçu dans la congrégation de la Mission le 28 octobre 1653, à l’âge de trente-quatre ans, mort le 10 septembre 1654.

 

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M. Zelazewski à demeurer avec les missionnaires et d’en porter le collet quand bon lui semblera, nonobstant sa sortie. Je vous prie de représenter à la reine que cela est sans exemple dans les religions (6) et les autres communautés, qui ne souffrent jamais que ceux qui en sont sortis y demeurent, ni en portent l’habit ; que cela serait à scandale à la compagnie et suivi de mauvais effets, parce que d’autres, pour avoir plus de liberté, pourraient désirer le même privilège ; car naturellement chacun est bien aise de ne dépendre de personne, d’aller, de venir et de faire ce que bon lui semble. Et si ce jeune homme, passant pour missionnaire parmi les externes, venait à faire quelque faute, ce qu’à Dieu ne plaise ! elle serait imputée à la compagnie. Et puis, il ne pourrait pas s’empêcher, quelque séjour qu’il y fasse et quelque marque qu’il porte d’être du corps, qu’il ne témoigne à ses amis qu’il ne l’est pas ; et par ce moyen tout le monde le pourra savoir ; et de cette connaissance il peut arriver plusieurs inconvénients ; ce qui fait qu’il est à désirer qu’il n’ait aucune communication avec la compagnie, mais qu’il en soit beaucoup éloigné. Si néanmoins Sa Majesté souhaite le contraire, elle n’a qu’à commander ; nous ferons en cela et en toutes autres choses ce qui lui plaira.

Je loue Dieu de la bonté qu’elle a de traiter avec vous avec grande ouverture de cœur. Il faut, pour ne vous rendre pas indigne de cette grâce, vous comporter avec elle fort candidement, confidemment, simplement et néanmoins avec grand respect et soumission, comme je sais que vous faites. Je loue Dieu aussi de la fondation que Sa Majesté veut faire, de ce que vous travaillez à

6) Les religions, les instituts religieux.

 

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trouver un lieu et à porter Monseigneur de Posnanie faire l’union de la cure (7) avant qu’il aille à Rome.

L’entrée des. Moscovites dans les États de Leurs Majestés est un sujet d’affliction ; mais aussi faut-il espérer de la bonté de Dieu qu’il mettra empêchement à leurs efforts et protégera ce royaume-là, en considération de la piété de Leurs Majestés et des grands biens qu’elles font. C’est de quoi nous prierons incessamment sa divine bonté, comme pour la cessation de la peste à Vilna et ailleurs.

J’aurais beaucoup de choses à vous dire touchant le voyage des religieuses de Sainte-Marie ; ce que je réserve pour une autre fois.

Je prie N.-S. qu’il vous honore toujours de ses bénédictions et votre petite famille, de laquelle et de vous en particulier je suis, Monsieur, votre très affectionné serviteur

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l. M.

J’ai pensé qu’il faut vous envoyer des jeunes gens, parce qu’ils auront plus de facilité. J’espère les faire partir dans un mois au plus tard avec un frère (8),

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1734. — THOMAS LUMSDEN, MISSIONNAIRE EN ÉCOSSE

A SAINT VINCENT

1654

Quant à La mission que nous faisons ici dans le plat pays,

7) La cure de Sainte-Croix.

8) Ce post-scriptum est de la main du saint.

Lettre 1734. — Abelly, op. cit, I. II, chap XI, 1er éd, p, 206.

 

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Dieu y donne une très grande bénédiction, et je puis dire que tous les habitants, tant riches que pauvres, n’ont jamais été, depuis le temps qu’ils sont tombés dans l’hérésie si bien disposés, à reconnaître la vérité pour se convertir à notre sainte foi. Nous en recevons tous les jours plusieurs qui viennent abjurer leurs erreurs, et quelques-uns même de très grande qualité : et avec cela, nous travaillons à confirmer les catholiques par la parole de Dieu et par l’administration des sacrements. Le jour de Pâques, j’étais dans la maison d’un seigneur, où il y eût plus de cinquante personnes qui communièrent parmi lesquelles il y en avait vingt nouvellement converties. Le bon succès de nos missions donne une grande jalousie aux ministres qui manquent plutôt de puissance que de volonté de nous sacrifier à leur passion ; mais nous nous confions en la bonté de Dieu, qui sera toujours, s’il lui plaît, notre protecteur.

 

1735. — JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

De Tunis, ce 6 mai 1654.

Votre bénédiction !

N’ayant pu vous écrire au commencement du mois précédent avec le très cher et très honoré Monsieur Husson, à cause que j’étais à la campagne, j’ai cru de ne devoir pas perdre cette occasion, quoiqu’indirecte, pour vous témoigner les bénédictions qu’il a plu à N. S. donner à notre pauvre Église souffrante tout ce carême jusqu’au jour de la triomphante résurrection et du depuis encore, telles que tous les pauvres esclaves en ce pays avouent n’y avoir jamais rien vu de semblable, ni tant de confessions, ni tant de communions, ni même tant de conversions. Les premières et secondes se sont montées en cette ville au nombre de plus de mille cinq cents, à Bizerte et en quelques masseries où j’ai eu bonheur d’aller, cinq cents et davantage ; et de conversions (7) : deux Anglais, deux Français calvinistes et trois Grecques schismatiques et plus de 30 catholiques, lesquels, portés de désespoir de se voir entièrement délaissés de leurs parents dans les misères de l’esclavage, avaient fait résolution de ne jamais se confesser ni communier

Lettre 1735L a — Dossier de Turin, original

 

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ni même entendre la sainte messe, il y avait qui 9, qui 10, 15, 20, 25 et davantage d’années, menant une vie scandaleuse, habitués a toute sorte de vices et péchés.

Pour intimider ceux-là, après avoir exercé toute la patience et la douceur possibles à leur endroit, sans jamais n’avoir pu rien avancer et porter un chacun à se confesser et communier à Pâques, avant que de partir pour aller à Bizerte et à quelques masseries, je fis pressentir à tous les chrétiens que, conformément à la pratique de Rome et de toute l’Italie, laquelle jamais n’avait été exercée en ce pays, je voulais qu’un chacun donnât son billet de confession et communion dans lequel serait écrit son nom, celui de sa nation et celui du prêtre ou religieux lequel lui aurait administré le sacrement, afin de pouvoir connaître les catholiques des hérétiques, et, entre les premiers, ceux lesquels voulaient scandaleusement persévérer à ne se vouloir confesser ni communier, pour les déclarer désobéissants à l’Église et par conséquent excommuniés, et que les seconds fussent connus d’un chacun pour tels.

J’avais encore dessein d’aller à une montagne nommée en la langue du pays Rasgibel, assez proche des ruines de la ville d’Utique, où il y a nombre de masseries, auxquelles résident quantité de pauvres esclaves, tant pour les pouvoir confesser et communier, à cause du temps de Pâques, que pour les disposer au voyage des galères, où de là ils sont ordinairement envoyés ; mais une petite indisposition, laquelle m’est survenue après avoir été à Bizerte et à quelques masseries, m’en a empêché. Ce sera incontinent après qu’il aura plu à N.-S. me donner la commodité d’y pouvoir aller.

O mon Dieu ! mon très cher et très honoré Père, que nous ferions de bien, ce semble humainement, si nous étions riches autant que nous sommes pauvres, en ce pays ! Les Turcs d’Alger venus en cette ville sur les vaisseaux de leur ville députés au service du Grand Seigneur, ont apporté vendre nombre de femmes et de petits enfants de différentes nations. Ayant eu un petit fonds de charité, il y avait en ce rencontre une bonne et sainte occasion de faire une véritable et très considérable rédemption. N’était qu’il n’y a rien en moi dont je puisse justement disposer, si vous ne m’en donnez le pouvoir j’aurais très volontiers engagé ma liberté pour la procurer à une de ces innocentes créatures, afin de la pouvoir conserver à N.-S.

Je viens présentement d’obtenir du dey en faveur de nos prêtres et religieux esclaves, l’exemption des galères et de toute sorte de travail, avec l’expresse défense à leurs patrons de ne rien exiger d’eux à cette considération, sur peine de vouloir encourir les châtiments qu’il trouvera bon de faire

 

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exercer envers ceux lesquels y contreviendront ; et, à ce que personne ne l’ignore, il a voulu que le laga l’ait intimé en douane à tous les gardiens bachis des bagnes, lesquels il a fait expressément appeler pour ce sujet

Je n’ai pas encore reçu la lettre qu’on m’a témoigné m’avoir écrite de Tripoli, par voie de Malte, touchant la mort de ce bon religieux de l’Ordre de Saint-François duquel je vous ai donné avis par mers dernières, n’y ayant aucun missionnaire qui réside de la part de la Sacrée Congrégation.

J’ai envoyé à un bon prêtre, français de nation, nommé Monsieur Gouion, de Lyon, lequel y est esclave, les facultés de la mission apostolique, avec le pouvoir de les exercer suivant le pouvoir que m’en a donné la Sacrée Congrégation en ce rencontre J’aurais bien souhaité pouvoir aller visiter cette pauvre Église ; mais et notre pauvreté et les nécessités de la nôtre, notamment a la campagne, ne me le permettent pas.

Je suis, en l’amour de l’Époux de l’une et de l’autre, Jésus-Christ, mon cher Maître, Monsieur, votre très obéissant et très affectionné fils et serviteur.

JEAN LE VACHER

indigne prêtre de la mission.

 

1736. — JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

De Tunis, ce 6 mai 1654.

Monsieur,

Votre bénédiction !

Dix vaisseaux d’Alger, envoyés à l’armée du Grand Seigneur, sont venus mouiller l’ancre au port de cette ville et nous ont apporté les incluses, lesquelles m’ont donné occasion de vous écrire par cette voie indirecte, tant pour vous les faire tenir que pour vous réitérer mes très humbles respects et obéissances et vous témoigner la peine en laquelle nous sommes de ne recevoir aucune de vos très chères lettres, après le grand nombre que je vous ai envoyé toute cette année et sur la fin de la précédente, desquelles nous n’avons reçu aucune réponse, bien qu’elles nous fussent de grandissime importance,

Lettre 1736 — L. a — Dossier de Turin, original

 

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Nous sommes dans l’impatience d’apprendre les diligences qu’il vous aura plu faire pour nous faire tenir les lettres du Grand Seigneur, pour les témoigner aux puissances de ce pays, qui nous les demandent

Depuis quelques jours, un maure de ce pays, de passage sur un vaisseau de Livourne, avec la patente de M. Husson, (pris) par M. Coglin, nous est venu trouver pour être remboursé du payement de son rachat et marchandises qu’il fait entendre lui avoir été prises, qu’ils estiment à une somme considérable, compris une montre qu’il dit qu’il avait de grande valeur. La peine en laquelle nous a mis le retour de ce maure était no seulement de (ne) (1) pouvoir satisfaire à ses prétentions, lorsque le bey serait de retour du camp, de l’ordre duquel il nous faisait pressentir avoir été envoyé à Livourne mais c’était de satisfaire aux prétentions des marchands juifs les marchandises desquels avaient été prises par ledit sieur Coglin sur cedit vaisseau de Livourne, après le passeport obtenu de Sa Majesté en leur faveur, et spécialement de ce que ce misérable maure a fait entendre au dey que Monsieur Husson n’était pas consul, à cause que ledit sieur Coglin, lequel l’avait pris, n’avait porté aucun respect à sa patente, l’ayant déchirée et mise en mille pièces incontinent après qu’il lui eut mise entre les mains. A cette considération, il a fallu que mondit sieur Husson ait porté une seconde fois les lettres de provision du roi au dey, afin de lui témoigner comme Sa Majesté l’avait pourvu de cette charge ; de quoi il lui témoigne qu’il n’avait pas douté, mais qu’il était à désirer qu’il fit venir des lettres du Grand Seigneur pour une plus grande assurance. Vous pouvez, Monsieur, connaître de là la nécessité que nous avons de ces lettres tant de fois demandées.

Deux vaisseaux corsaires de ce pays ont pris depuis quelques jours une barque de Marseille, laquelle avait chargé à la Calle (2) et un patache (3) de Gènes, lequel avait chargé à Tabarque (4), et ensuite les ont apportés en cette ville, d’autant que l’un et l’autre s’étaient rendus sans rendre aucun combat et que le dey, conformément à ses prédécesseurs, avait promis de rendre tous les Français avec le vaisseau et leurs marchandises, quand ils se rendraient de la sorte Monsieur Husson lui ayant été demander le tout, comme il lui avait promis de lui rendre, il ne put obtenir que quatre per

1) Mot oublié sur l’original.

2). Petit port d’Algérie, près des frontières de la Tunisie

3) Petit navire. Ce mot ne s’emploie plus qu’au féminin.

4) Petit port de mer, près de la frontière d’Algérie.

 

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sonnes : le patron de ladite barque, un sien fils, âgé d’environ onze ans son écrivain et le nocher, ayant donné tout le reste des personnes, qui étaient encore douze, avec le vaisseau et le chargement, à celui lequel les avait pris ; et a obligé ces quatre personnes qu’il avait rendues à payer le rachat de ce maure pris par Monsieur Coglin, et fait prendre le nom et surnom de toutes celles qu’il a faites esclaves, faisant entendre à Monsieur Husson que c’était pour les rendre pour le change d’un nombre pareil de maures ou turcs esclaves en France, en cas qu’on les fit venir, et que de la sorte il ferait rendre tous les Français esclaves en ce pays, si on apportait les maures ou turcs esclaves en France. O mon Dieu ! Monsieur, qu’il y aurait occasion de faire une belle et très utile rédemption, et avec très grande facilité, si nous avions un peu de bons correspondants !

Je vous remercie de l’ordre qu’il vous a plu de donner à M du Chesne de nous envoyer un peu de vin. La nécessité possible dans laquelle il s’est trouvé ne lui a pas permis de faire cette dépense. Il m’avait prié d’en prendre d’une barque de Marseille, laquelle en avait apporté quelques bouteilles en cette ville, mais notre insigne pauvreté ne m’a pas permis d’en donner le prix excessif qu’en prétendait le marchand. Nous entrons en une saison en laquelle l’eau nous pourra être favorable ; sinon, nous courons grand risque, notamment Monsieur Husson, lequel se trouve un peu indisposé.

Nous attendons une charitable et très nécessaire assistance humaine, avec la participation à vos saints sacrifices et aux prières de toute la compagnie, étant, en l’amour de N.S.. et en celui de sa sainte Mère, Monsieur, votre très obéissant et très affectionné fils et serviteur.

JEAN LE VACHER,

indigne prêtre de la Mission.

 

1737. — A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Lazare, ce jour de saint Michel (1) (8 mai 1654)

Nous voici donc de retour, Mademoiselle. Je rends

Lettre 1737 — L. a. — Original à la Miséricorde de Narbonne, 3, rue d’Aguesseau.

1) Saint Michel a deux fêtes dans l’année, celles du 8 mai et du 29 septembre Il s’agit évidemment ici de la. première, car le 29 sep

 

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grâces à Dieu du vôtre, de la santé qu’il vous a donnée en votre voyage et de toutes les grâces qu’il vous a faites, et le prie qu’il vous conserve en la même santé et qu’il sanctifie votre âme de plus en plus.

Je prends l’occasion de ce que l’on est accoutumé à mon absence pour faire une petite retraite. Je vous prie, Mademoiselle, de m’aider de vos prières, à ce que je la fasse en l’esprit de Notre-Seigneur, et de m’excuser si je n’ai le bonheur de vous voir avant que j’en sorte. Je ne doute point que nous n’ayons encore des affaires à traiter. Ce sera à la première sortie que je ferai, Dieu aidant, en l’amour duquel je suis, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. Perraud vous doit prier de souffrir que sa sœur demeure avec vos filles de Saint-Paul pour apprendre à écrire, et dit qu’elle se nourrira. Si sa présence ne nuit, il y aurait charité.

tembre, à la veille de sa retraite annuelle avec une partie de la communauté, saint Vincent n’aurait pas écrit : "Je prends l’occasion de ce que l’on est accoutumé à mon absence pour faire une petite retraite." D’autre part, Hugues Perraud fut ordonné prêtre en 1646, envoyé à Saintes après son ordination, en septembre ou octobre, puis placé à Richelieu, où il était encore en octobre 1651. Or il semble que, lorsque le saint écrivait cette lettre, Hugues Perraud faisait partie du personnel de la maison de Saint-Lazare. Elle est donc de 1652 au plus tôt et au plus tard de 1659, année de la mort de ce missionnaire. Si maintenant nous tenons compte de ce fait, que le saint venait de rentrer à Saint-Lazare et qu’on était accoutumé à son absence, seule la date de1654 paraît convenir.

 

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1738. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

De Paris, ce 8° mai 1654.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre dernière lettre du mois d’avril, où le jour est demeuré en blanc ; elle contient les principaux fruits qui se sont faits en la mission de Gavi (1) et les traverses que l’esprit malin y a suscitées. Je rends grâces à Dieu de cette bénédiction et le prie qu’il fasse la grâce à ce peuple de persévérer dans le bon état où vous l’avez laissé. Ce sont toujours de nouveaux sujets d’admirer les conduites de Dieu sur votre personne et sur vos emplois, et de vous humilier davantage en la vue de ses grandes miséricordes.

Je ne veux pas avoir d’autre sentiment que celui de ce grand cardinal, Mgr votre archevêque, au sujet de la fondation que désire faire ce bon sénateur. Il ne faut donc pas l’accepter, puisqu’il n’en est pas d’avis, ni vous non plus. Il me semble pourtant que, si de deçà on nous offrait une somme semblable, nous ne la refuserions pas, pourvu que les charges ne fussent pas excessives, mais raisonnables ; ayant laissé le soin de cet affaire, comme vous avez fait, à M. Christophe Monchia, j’espère qu’elle se fera, si elle est faisable.

Je vous prie de faire un renouvellement des offres de mon obéissance à ce bon serviteur de Dieu et me recommander à ses prières, et de faire la même chose à l’égard

Lettre 1738. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Ville du Piémont, dans la province d’Alexandrie

 

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de ces autres messieurs et bienfaiteurs, même de Son Éminence, quand vous le jugerez à propos.

Je rends grâces à Dieu de l’heureuse arrivée de Messieurs Jolly et Levasseur, et, dans l’accident arrivé au dernier, de l’avoir garanti de mal je vous prie de nous envoyer l’autre à la première occasion, si déjà il n’est parti. Il n’est pas expédient qu’il demeure à Gênes, ni pour sa santé, ni pour ses affaires, puisque nous le faisons revenir de Rome pour tout cela

M. Guillot, qui était en Pologne, en est revenu depuis deux jours. Il se porte bien, et nous allons disposer deux ou trois bons sujets pour les y envoyer. Cette fondation s’avance notablement et du côté de la reine et de la part de l’évêque même, à l’égard des fonctions de la compagnie, qui va commencer un séminaire et faire les exercices des ordinands.

L’établissement d’Agde est de fort belle espérance. M. du Chesne propose d’y commencer en même temps deux séminaires, l’un pour le diocèse et l’autre pour la compagnie.

Nous n’avons rien de nouveau des autres maisons Tout va son petit train ici et ailleurs, grâces à Dieu. Seulement nous sommes en peine de M. Alméras, qui est tombé malade à Laon depuis quelques jours, après avoir parcouru tout ce diocèse-là et fait quelques voyages en d’autres pour visiter et assister les pauvres curés et veiller à l’assistance des peuples, à quoi trois de nos frères sont employés. Je les recommande à vos prières, particulièrement M. Alméras, et généralement tous nos besoins.

Vous pourrez nous renvoyer le frère Claude, ou tel autre qu’il vous plaira, après que le frère Rivet sera arrivé à Gênes. Je vous en parlai amplement par ma dernière. Il pourra partir de Moulins vers la fin de mai

 

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pour continuer son voyage. Il a deux frères en la compagnie, l’un prêtre (2) et l’autre sur le point de l’être (3), et sa mère est sœur aux Filles de la Charité.

J’offre souvent votre personne, votre conduite et votre communauté à Notre-Seigneur, en qui je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron.

 

1739. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

Rome, 1654

Dans la dernière mission, laquelle fut sur les plus hautes montagnes de l’Apennin, nous trouvâmes un désordre général, lequel, bien qu’il soit commun à la Romagne, est néanmoins beaucoup plus grand en ces lieux écartés. C’est que toute la jeunesse, garçons et filles, s’entretiennent en des vaines et folles amourettes, et cela souvent sans aucun dessein de se marier ; de quoi pour l’ordinaire ils ne se confessent, point, et beaucoup moins des mauvais effets qui s’ensuivent, qui sont des entretiens dangereux à quoi ils passent souvent une partie des nuits ; ce qui arrive particulièrement les veilles des fêtes. Et ayant ces mauvaises attaches les uns envers les autres, ils ne portent aucun respect aux églises, où ils ne vont que pour se voir et s’entretenir d’œillades et de gestes immodestes. Outre les mauvaises pensées et autres désordres intérieurs, cela est quelquefois suivi de grandes chutes fort scandaleuses, qui pourtant ne rendent pas les autres plus retenus, ni les parents plus avisés pour en éviter de pareilles.

Ayant donc par occasion appris cet abus et toutes ces fâcheuses et dangereuses suites, nous parlâmes dans nos prédications

2). Louis Rivet, alors à saintes.

3) François Rivet.

Lettre 1739 — Abelly, op cit., 1. II, ch. ap. I, sect. III, § 1er éd., p. 59. Abelly ne nous a pas conservé le commencement de la lettre, qui parlait de plusieurs missions faites au diocèse de Sarsina.

 

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le plus fortement qu’il nous fut possible pour l’abolir. Mais le mal semblait incurable, et on ne manquait point de raisons pour s’y flatter ; ce qui nous donna beaucoup de peine. Mais enfin, avec la grâce de Dieu, nous y apportâmes remède en déniant l’absolution à tous ceux que nous ne voyions pas bien résolus de renoncer absolument à toutes ces folles amourettes ; ce qui les toucha grandement et fut cause que presque tous se rendirent. Je leur fis lecture publiquement en italien d’un chapitre du livre de Philothée, qui traite de ce défaut et qui leur découvrit évidemment les fautes qu’ils commettaient, comme si l’auteur l’avait fait exprès pour eux. Plusieurs témoignèrent avec larmes le regret du passé et leurs bonnes dispositions pour l’avenir. Dieu veuille leur donner la persévérance !

Enfin, Monsieur, quoique au commencement les curés de ces lieux-là nous tinssent pour des espions et qu’ils nous eussent fait passer dans l’esprit des peuples pour des gens suspects voyant néanmoins la simplicité de notre procédé, l’honneur que nous leur déférions, la façon que nous tenions en nos missions et principalement que nous étions sans aucun intérêt, ils nous sont restés tous affectionnés, et je puis dire que nous avons emporté leurs cœur ; ce que plusieurs même ont témoigné avec larmes.

Je ne puis ici omettre une chose arrivée dans un lieu de ces environs, où il y avait un prêtre fort débordé en sa vie lequel s’était vanté publiquement de n’être point venu à aucune de nos prédications ; et peu après il arriva, par un juste jugement de Dieu, qu’il fut misérablement tué au même lieu où il avait fait cette vanterie, par un autre méchant prêtre qui m’avait donné de belles paroles pour me faire croire qu’il voulait changer de vie, mais sans aucun effet.

 

1740. — A MONSIEUR DE CONTARMON

11 mai 1654.

Monsieur,

Encore que je n’aie pas l’honneur d’être connu de vous, je me donne néanmoins la confiance de vous offrir les services de la petite compagnie de la Mission, de

Lettre 1740. — Reg. I, f° 31

 

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laquelle je suis supérieur indigne ; et en cette qualité, Monsieur, je suis aussi supérieur des Filles de la Charité, qui servent les pauvres malades des paroisses et les enfants trouvés de la ville et faubourgs de Paris, nourris et élevés en un hôpital qui est au bout du faubourg Saint-Lazare, et premier administrateur d’un autre petit hôpital nouvellement fondé au faubourg Saint-Martin pour l’entretien de 40 pauvres. Or ces pauvres filles ayant fait venir de Compiègne environ 130 voies de bois (1) pour la provision de leur maison et de ces deux hôpitaux, ont recours à vous, Monsieur, et moi avec elles, pour vous supplier très humblement de les faire décharger par charité de la nouvelle taxe faite sur les entrées du bois et que les gardes de la porte veulent exiger de ces trois pauvres communautés, lesquelles seront obligées de prier Dieu pour vous, et je vous en serai obligé avec elles pour vous rendre mon obéissance, lorsqu’il plaira à Dieu m’en donner les occasions, qui suis, en son amour, Monsieur, votre…

VINCENT DEPAUL,

i. p.d.l. M.

 

1741. — A FIRMIN GET, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

13 mai 1654.

Vous faites bien de m’envoyer les gros paquets de Barbarie par amis ; mais ce sera bien fait aussi de les ouvrir pour en tirer les lettres qui s’adressent à moi, et me les envoyer par la poste, et les autres par quelque voie moins chère, après que vous les aurez derechef empaquetées.

1) Voie, de bois, charretée de bois.

Lettre 1741 — Manuscrit de Marseille.

 

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1742. — A FIRMIN GET, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

22 mai 1654.

]’espère de vous envoyer avec la présente une lettre de change de mille livres que l’on me doit apporter sur M. Napollon, que je vous prie de retirer et d’envoyer en Alger, avec la lettre que j’écris à Monsieur Le Vacher (1) pour le rachat d’un vieillard, capitaine de l’île de Ré, qui est esclave en ladite ville, et ce par la première occasion, après avoir fait assurer cette somme ; ce qu’il ne faut jamais oublier.

 

1743. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 22e mai 1654.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Dieu veuille que ce que j’ai mandé à M. Zelazewski lui touche efficacement le cœur ! Il n’y a pourtant pas de l’apparence, vu la légèreté de son esprit et l’amour qu’il a pour soi-même. Dieu a permis qu’au commencement de toutes les communautés plusieurs en soient sortis, et quelques-uns avec scandale ; il en sait la raison ; c’est à nous de nous préparer à cela et d’adorer ses conduites.

Nous hâtons, comme je vous ai dit, le départ de ceux que nous vous avons destinés, et j’espère qu’ils pourront

Lettre 1742. — Manuscrit de Marseille.

1) Philippe Le Vacher.

Lettre 1743. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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être prêts vers la fin de ce mois. Mandez-moi ce que vous pensez de M. Guillot, en cas qu’il se résolve de retourner en Pologne. S’il prend cette résolution bientôt, je l’enverrai avec les autres, sans attendre votre réponse.

Je suis bien aise que votre sentiment s’accorde avec le mien, à l’égard de M. Gigot et de son latin ; nous verrons si nous pourrons vous en donner un autre plus propre.

Nous avons envoyé nouvellement à Troyes M. Chardon (1), qui a assez bien étudié, afin qu’il se forme aux exercices des missions ; aussi ont-ils eu besoin de secours à cause de la cure de Barbuise (2) qu’ils desservent et dont Mgr l’évêque (3) veut faire servir le revenu, qui est d’environ 2.000 livres, à la subsistance du séminaire.

J’avoue qu’il est temps qu’on voie de delà nos fonctions et que la reine, qui a fait tant de dépense pour nous, aurait raison de se plaindre d’un plus long retardement. Dieu pardonne à ces deux messieurs qui vous ont quitté au besoin ! Il faut donc faire ce que vous pourrez avec M. Desdames et M. Duperroy.

Je vous ai écrit un moyen pour commencer un séminaire, et vous m’avez fait espérer qu’à cette Pentecôte vous auriez les ordinands. Si Dieu vous fait cette grâce, j’en aurai grande consolation pour le bien que les ecclésiastiques et l’édification que le public en pourront recevoir.

Quant aux assauts que vous craignez de la part de quelque communauté, j’espère de la bonté de Dieu qu’ils

1) Philibert Chardon, né en novembre 1629 à Annecy, entré dans la congrégation de la Mission le 3 octobre 1647, reçu aux vœux au mois d’octobre de l’année 1649, ordonné prêtre au carême de 1654. Nous verrons bientôt qu’il quitta la compagnie et fut réadmis à Rome, d’où on l’envoya à Gênes

2) Commune de l’arrondissement de Nogent (Aube).

3) François Malier du Houssaye (1641-1678).

 

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n’arriveront pas, et je vous prie de faire toutes les avances pour les empêcher, prévenant ces bons Pères de vos respects, services et déférences, comme nous tâchons de faire ici, à quoi nous n’avons pas beaucoup de peine ; et je suis bien résolu, quand ils me jetteraient de la boue sur le visage, de n’en témoigner jamais aucun ressentiment, pour ne rompre avec eux, ni m’éloigner de l’estime et de l’honneur que je leur dois, et cela en la vue de Dieu. Que s’ils s’échappent à dire ou à faire quelque chose de fâcheux contre votre petite barquette, quand ce serait même à dessein de la faire submerger, souffrez le pour l’amour de Dieu, qui saura vous garantir de naufrage et faire succéder le calme à la tempête. Ne vous en plaignez pas, n’en dites seulement un mot et ne cessez pour cela de les caresser aux rencontres, comme si rien n’était. Il ne se faut jamais étonner de ces accidents, mais se disposer à les bien recevoir ; car, comme il est arrivé du choc entre les apôtres et même entre les anges (4) sans pourtant qu’ils aient offensé Dieu, chacun agissant selon ses lumières, aussi Dieu permet quelquefois que ses serviteurs se contredisent et qu’une compagnie en persécute une autre ; et il y a bien plus de mal qu’on ne pense à cela, quoiqu’ils aient tous bonne intention (5) ; mais il y a toujours un grand bien pour ceux qui s’humilient et ne résistent pas. Dieu nous fasse la grâce d’être de ce nombre !

O Dieu ! Monsieur, que j’ai une joie bien sensible de ce que vous vivez avec M. Fleury comme un enfant avec son père, et de ce qu’il est plus satisfait à présent de votre franchise qu’il n’a été du commencement ! Aussi

4) Allusion au livre de Daniel X, 13.

5). Le secrétaire avait écrit : et il n’y a pas tant de mal qu’on ne pense à cela à cause qu’ils ont tous bonne intention ; saint Vincent a corrigé ces mots de sa propre main.

 

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ne pouvait-il pas la bien reconnaître d’abord, ni vous lui faire une assez grande ouverture de cœur, comme dans une longue suite d’occasions. J’espère que tant plus vous irez avant, tant plus il aura sujet de se louer de votre soumission et confiance à son égard, puisque vous aimerez mieux tomber dans l’excès que dans le défaut, après les obligations incomparables que nous lui avons et la reconnaissance parfaite que je vois que vous en avez. Assurez-le souvent que la mienne ne se peut exprimer.

Je loue Dieu de ce que la reine est restée satisfaite de la réponse que lui a faite M. Duperroy. Il me tromperait fort s’il manquait d’obéissance et de fermeté ; mais aussi faut-il qu’il les demande à Dieu.

Mgr le nonce ! me réjouit fort avant-hier, me disant que le Moscovite n’entreprend rien sur la Pologne, qu’il est sur le point d’envoyer un ambassadeur en France et un autre aux États de Hollande, et que son ambition est de s’arroger le titre d’empereur de tous les chrétiens. Plaise à Dieu réduire tout à sa gloire et à la paix universelle, de conserver le roi et la reine, de sanctifier leurs sacrées Majestés, de protéger leurs États et accomplir leurs desseins ! Ce sont les prières que nous lui faisons souvent et que nous continuerons de faire chaque jour, sans oublier leurs missionnaires, ni votre personne en particulier, de laquelle je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie

 

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1744. — AU PÈRE BOULART

De Saint-Lazare, le 26 mai 1654.

Mon Révérend Père,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je me donne la confiance de vous renouveler les offres de mon service avec toute l’humilité et l’affection que je le puis. Messieurs les grands vicaires, ayant su que nous faisons la mission à Charenton (1) ont désiré qu’un évêque y aille donner la confirmation, et il arrive que celui que M. le curé (2) a choisi n’a pas ici sa crosse ni sa mitre ; ce qui fait, mon Révérend Père, que je vous supplie d’avoir agréable de lui prêter les vôtres pour une si bonne action, et je vous en réponds, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, mon Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1745. — A FIRMIN GET

De Paris, ce 29 mai 1654.

Monsieur

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Voici la lettre de change dont je vous ai parlé par

Lettre 1744. — Bibl. de Sainte-Geneviève, ms. 2555 copie. L’original mis en vente par M Charavay et acheté par le marquis de Gerbéviller, a aujourd’hui disparu ; il n’y en a plus qu’une copie au château de Gerbéviller.

1) Localité voisine de Paris

2) Barthélemy Arches.

Lettre 1745. — L s. — Dossier de la sœur Hains, original.

 

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ma dernière ; elle est de Messieurs Simonnet sur Messieurs Napollon, de 1.000 livres, que je vous prie de retirer et de les envoyer en Alger pour le rachat d’un esclave de l’île de Ré, avec les lettres que j’écris à M. Le Vacher (1) et au frère Barreau. Vous en avez une, et voici l’autre. J’écris aussi à Tunis et encore à M. Jolly, en cas qu’il soit avec vous, pour quelques papiers qu’il nous doit envoyer ; mais je crains bien qu’il ne passe pas à Marseille, parce qu’on me mande de Gênes qu’il en est parti le 10° de ce mois pour venir à Nice sur mer d’où il pourra traverser la Provence et s’en venir droit à Paris, et ainsi vous laisser dans l’accablement où vous êtes, plus longtemps que je ne pensais. Si la Providence de Dieu le permet, je prie sa divine bonté qu’elle vous fortifie, attendant que nous vous ayons envoyé quelqu’un pour vous soulager ; mais, avant de le faire, nous attendrons des nouvelles de M. Jolly.

Madame la duchesse d’Aiguillon, qui a laissé égarer l’ordre qu’elle avait obtenu du roi pour appliquer l’argent que vous savez à votre bâtiment, travaille pour en avoir un autre. Je lui en ai envoyé deux modèles différents. Si cela ne se fait aujourd’hui, il est à. craindre qu’il ne se fasse de longtemps, à cause que le roi part demain pour s’aller faire sacrer à Reims.

Si Monseigneur vous a envoyé les ordinands, quel service leur rendez-vous et comment faites-vous, étant seul ? Je ne doute pas que vous n’ayez pris quelqu’un pour vous aider ; même je vous prie de donner le soin des malades de l’hôpital à quelque prêtre externe, jusqu’à ce que vous en ayez un de la compagnie. Il vaut mieux faire cela, quoi qu’il en coûte, que de vous porter

4) Philippe Le Vacher

 

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à un excès de travail. Je prie Notre-Seigneur qu’il soit votre premier et votre second.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

M. Dehorgny est d’avis que vous donniez votre jardin à ferme pour deux ou trois ans, et je vous en prie ; on verra cependant les commodités ou incommodités qui en arriveront.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, prêtre de la Mission, à Marseille.

 

1746. — AU FRÈRE JEAN BARREAU

De Paris, ce 29 mai 1654.

Mon cher Frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Il y a huit jours que j’écrivis à M. Le Vacher (1) au sujet d’une lettre de change de 1.000 livres que Mgr l’évêque de La Rochelle (2) vous a fait mettre en main pour le rachat d’un bon vieillard de l’île de Ré, qui est esclave en Alger ; et n’ayant pu vous écrire pour lors, je le fais à présent pour vous prier de contribuer de vos soins à la liberté de ce pauvre homme, et pour vous dire que j’ai reçu vos comptes, qui m’ont consolé, aussi bien que votre lettre, quoique courte. Je rends grâces à Dieu de vos bonnes conduites dans le ménage et dans les affaires.

Lettre 1746. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Philippe Le Vacher.

2) Jacques Raoul de la Guibourgère.

 

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J’espère de vous envoyer bientôt quelqu’un pour vous visiter et pareillement ceux de Tunis. Mgr l’archevêque d’Arles (3) nous y oblige aussi, désirant l’employer au rachat de quelques esclaves de son diocèse. M. du Chesne ferait bien cela, et peut-être que ce sera lui que nous choisirons, si toutefois nous le pouvons tirer d’Agde, en Languedoc, où il commence un séminaire. Je vous prie de nous envoyer à cet effet un passeport du bacha ou de la douane. Il faudra laisser le nom en blanc, s’il se peut, à cause de l’incertitude de celui qui fera le voyage, et faire mention que c’est pour le rachat de quelques esclaves (4).

Avez-vous envoyé à Tunis l’argent que je vous ai adressé pour le rachat du fils de Madame Le Rond, tonnelière ? Si vous ne l’avez fait, je vous prie de le faire au plus tôt.

Nous sommes en grande peine au sujet de cinq ou six esclaves, pour le rachat desquels je vous ai envoyé des sommes notables il y a tantôt un an ; et vous m’avez mandé que la barque qui vous les a portées était arrivée à Alger dès le commencement du carême, sans que depuis nous ayons pu savoir ce que vous avez fait, ni en quel état sont ces esclaves. Cependant leurs parents, qui ont raison de nous en demander des nouvelles, nous inquiètent un peu, et nous ne savons plus que leur répondre.

J’ai mandé à Bayonne qu’il faut 400 piastres pour délivrer Joannes de Mauléon, ainsi que vous m’avez écrit. Et parce que tout ce que ses parents pourront faire sera de lui en fournir cent cinquante, je leur ai proposé de les rendre à Dominique de Campan, de

l) Adhémar de Monteil de Grignan (1643-1689).

4) Ces derniers mots, depuis et faite, sont de la main du saint.

 

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Capbreton, qui est arrivé en son pays, au lieu de pareille somme que je vous ai envoyée pour ledit Campan et dont il nous demande le remboursement, et que vous la mettrez ès mains dudit Mauléon, qui peut-être trouvera moyen de la faire valoir par quelque petit trafic, pour gagner le reste de sa rançon ; ou peut-être que, si on va faire de France quelque rédemption en Alger, on lui pourra donner ce qui lui manquera. Je n’en ai pas encore reçu la réponse.

Pour nouvelles, nous nous portons bien, grâces à Dieu. Il est vrai que M. Alméras a pensé mourir en Picardie, où il assistait les pauvres curés d’ornements, d’habits et d’argent, pour les empêcher d’abandonner leurs paroisses (5), outre l’assistance qui se donne d’ailleurs au pauvre peuple, pour le soutenir en sa pauvreté ; ce qui se fait par quelqu’un de nos frères (6), Or ledit sieur Alméras, se trouvant à présent en meilleure disposition, a ordre de se venir remettre ici. M. Dehorgny conduit le collège des Bons-Enfants, et M. Cornuel y fait les leçons ; M. Goblet a le soin du séminaire de Saint-Charles ; et l’un et l’autre vont bien, grâces à Dieu, et aussi le reste de nos maisons, selon les relations que j’en ai. Voici la seconde ordination qui s’est faite depuis la mort de Mgr l’archevêque de Paris.

M. Guillot, qui est de retour de Pologne, nous a donné de grandes espérances de notre établissement en ce pays-là ; je dis des fruits qu’il y fera, avec la grâce de

5) Voir lettre 1703, note 3.

6). La misère atteignait toutes les Classes, les nobles et les bourgeois comme les autres Des filles de condition vendaient leur honneur pour avoir de quoi vivre. Partout on ne voyait que des malheureux presque nus, des agonisants mourant de faim, des orphelins abandonnés, des jeunes filles en fuite devant la soldatesque. Les envoyés se saint Vincent firent d’amples provisions de pain, d’habits et d’outils, et placèrent dans des maisons de refuge les jeunes filles sans asile.

 

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Dieu ; car, pour la fondation, elle est achevée ou du moins fort avancée. On nous demande plus d’ouvriers que nous n’en pouvons donner, tant pour celle-là que pour une autre, qu’un seigneur polonais désire faire. Nous en ferons partir trois ou quatre dans le mois prochain,

Nous n’avons aucune nouvelle du bon M. Nacquart, qui est à Madagascar, ni de Messieurs Mousnier et Bourdaise, qui sont allés à son secours ; mais pour ceux-ci, il ne s’en faut étonner, parce qu’ils ne sont pas encore arrivés.

Nous avons appris depuis peu, par une lettre de M. Lumsden, qui est en Ecosse, que sa mission et celle des autres missionnaires des îles Hébrides vont assez bien. Il n’en marque pas les particularités, parce qu’étant parmi les hérétiques et en un pays de guerre, les lettres sont vues ; ce qui fait que nous n’en recevons que rarement.

Nos maisons d’Italie n’ont encore été en si bonne odeur qu’elles sont ; aussi travaillent-elles à tout avec grande bénédiction. Plusieurs cardinaux et prélats demandent plus de missionnaires que l’on ne leur en peut donner Nous en élevons assez qui sont encore au séminaire et dans les études, mais ils ne sont pas formés suffisamment, et tous ne réussissent pas, de sorte que nous avons grand sujet de prier Dieu qu’il envoie de bons ouvriers à sa vigne ; aussi faisons-nous quelque petite dévotion extraordinaire pour cela, à l’imitation de la maison de Gênes, qui a commencé. Je vous prie de nous aider avec le bon M. Le Vacher et de lui faire part de ces petites nouvelles.

Je loue Dieu de ce que vous n’avez tous deux qu’un cœur et qu’une âme, cela étant ainsi à désirer pour plusieurs raisons, particulièrement afin de vous être à consolation

 

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l’un à l’autre dans un lieu et en des emplois où vous recevez quasi point de la part des hommes. Je prie Dieu que vous en trouviez en lui une très abondante, attendant celle de l’éternité bienheureuse.

Je suis, mon cher Frère, votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL

i. p. d. l. M.

M. votre frère le procureur est tombé malade d’une maladie pour laquelle messieurs vos frère et beau-frère ont désiré, par avis de parents, que nous le recevions à Saint-Lazare ; ce que nous ferons. Il faut honorer Notre-Seigneur et l’état auquel il s’est trouvé lorsqu’on le voulait lier, disant : quoniam in frenesim versus est (7), pour sanctifier cet état en ceux que sa divine providence y mettrait. Assurez-vous, Monsieur, que nous en aurons soin ; ayez agréable de conformer votre volonté à celle de Notre-Seigneur en cela, comme vous faites en toutes choses (8),

Suscription : A Monsieur Monsieur Barreau, consul de la nation française en Alger.

 

1747. — A FRANÇOIS ADHÉMAR DE MONTEIL DE GRIGNAN, ARCHEVÊQUE D’ARLES

[29 mai 1654]

J’ai reçu votre lettre, Monseigneur, avec le respect et la révérence que je dois à l’un des plus grands et des

7) Le texte scripturaire porte quoniam in furorem versus est (saint Marc III, 21) ; le saint a changé un mot pour mieux marquer sa pensée. Il y avait à Saint-Lazare un bâtiment pour aliénés.

8) Ce post-scriptum est de la mnin du saint.

Lettre 1747. — Abelly, op. cit, 1. III, chap. XI, sect. IV, p. 144.

1). Abelly ne donne pas la date de cette lettre ; il se contente de

 

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meilleurs prélats de ce royaume, et avec un très grand désir d’obéir à tout ce qu’il vous plaira me commander. Je rends grâces à Dieu de la dévotion qu’il vous donne de délivrer vos pauvres diocésains qui sont en esclavage. Vous ferez une très grande charité et une œuvre très agréable à Dieu de les tirer d’un péril éminent de se perdre, et vous donnerez un bel exemple aux autres prélats, pour faire revenir en leur bercail leurs pauvres brebis égarées, qui sont en grand nombre dans ce même danger ; et pour y coopérer de notre part et obéir à ce que vous désirez, nous enverrons très volontiers quelques-uns de nos prêtres pour faire cette rédemption J’écris aujourd’hui aux consuls de Tunis et d’Alger et leur mande qu’ils nous envoient des passeports, afin qu’ils puissent aller en sûreté, selon votre commandement.

 

1748. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 5° juin 1654

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres en même temps et de même date, avec celle que la reine m’a fait l’honneur de m’écrire. Je ne puis avoir celui de lui faire réponse aujourd’hui, ni à vous non plus, qu’en vous disant que nous ferons ce que vous désirez, et au plus tôt, avec la grâce de Dieu ; je parle d’envoyer des hommes, des livres et peut-être des sœurs. Ce qui m’empêche de vous écrire

dire qu’elle est adressée à un archevêque. Si on la rapproche de la précédente, on s’aperçoit aisément qu’elle a été écrite le 29 mai 1654 et adressée à l’archevêque d’Arles.

Lettre 1748. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

 

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plus au long, c’est que j’arrivais hier au soir des champs, et qu’aujourd’hui je me trouve embarrassé de beaucoup de lettres et d’affaires.

J’embrasse cordialement votre chère famille et votre personne en particulier, priant sans cesse N.-S. qu’il continue à les bénir. Je vous avoue en finissant que les bonnes choses que vous me mandez m’ont consolé extrêmement, et ensemble le témoignage que Sa Majesté me donne, qu’elle est bien satisfaite de vos conduites. Dieu en soit loué ! Je suis en lui, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i p.d.l.M.

Voici le nom et ce que me mande M. Berthe de ce seigneur polonais qui nous demande des missionnaires et qui m’a écrit une lettre en latin, sur le point de son retour pour son pays.

Il y a trois semaines que je vous mandai qu’un certain seigneur polonais, ayant appris en cette ville de Rome les fins de notre Institut, me fit l’honneur de me communiquer, avant que partir pour son pays, le dessein qu’il avait de fonder une mission en une ville nommée Velopole, d’où il se nomme comte de Velopolski. Il a, à ce que j’ai appris, un assez grand pays à lui, où il a justice si absolue et si indépendante que, hormis en cas de crime de lèse-majesté, personne n’a que voir sur le pays dont il est seigneur. Il est tellement considéré en Pologne que le roi l’a honoré du gouvernement de Biecz (1) et Bochnia (2). Je vous mets, Monsieur, toutes ces particularités, afin que vous sachiez que ce bon seigneur est homme de crédit, de pouvoir et de commodités. Il offre,

1) Petite ville de la Galicie occidentale.

2) Ville située non loin de Biecz.

 

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pour commencer cette fondation, la cure de sa ville, qui vaut six cents écus ou plus. Il fera bâtir une maison et fondera toute chose avec toute la satisfaction qu’on pourra souhaiter, à ce qu’il témoigne. Il dit que les vivres sont à si bon prix au pays qu’un homme peut vivre honnêtement avec cinquante écus de revenu. Ce quartier-là est sur les confins de Pologne, vers la ville de Dantzig ; et il y aurait grand bien à faire, à cause de beaucoup d’hérétiques qu’il y a aux environs du lieu où il veut fonder la mission. S’il vous plaît, Monsieur, faire réponse à sa lettre, que je vous envoie, vous pourrez, si vous l’avez pour agréable, nous adresser vos lettres, et je les donnerai ici à celui qui a ordre de les lui envoyer en Pologne.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1749. — A THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR, A ROME

De Paris, ce 5° juin 1654.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

M. Jolly est arrivé ici fort heureusement, grâces à Dieu. Nous lui ferons passer la résignation pour l’union, et je la vous enverrai, et une procuration pour l’envoyer à Toul, afin de prendre possession. J’ai reçu ses bulles. comme je vous ai mandé.

J’ai aussi reçu la lettre de ce bon seigneur de Pologne ; nous verrons la réponse que je lui dois faire. Il faut bénir Dieu de ce qu’il ne permet pas que la maison où vous êtes vous soit vendue, et avec patience attendre

Lettre 1749 — Dossier de Turin, original.

 

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un autre temps et une autre occasion. Je ne puis croire que N.-S. n’ait soin de votre établissement après les bons services qu’il plaît à sa divine bonté d’en retirer et l’édification que le prochain en reçoit. On en a parlé dans une gazette de Rome, qui, ayant été vue par la reine de Pologne, lui a donné grande consolation, et elle me l’a fait écrire par M. Ozenne.

Je rends grâces à Dieu du reste de votre lettre. Je ne puis m’étendre davantage en celle-ci, en ayant à faire quantité d’autres. Je suis allé rétablir une Charité aux champs, d’où je revins hier fort tard, et aujourd’hui je me trouve surchargé, et plus que jamais, si cela se peut, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Berthe.

 

1750. — A PIERRE-PAUL BALIANO, PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

12 juin 1654.

J’ai été consolé de voir par votre lettre l’attrait que Dieu vous donne pour le bien servir. Je remercie sa bonté de tout mon cœur des grâces qu’elle multiplie sur vous et sur beaucoup d’âmes par votre moyen, comme aussi de l’affection que vous en avez conçue pour faire toujours de mieux en mieux. Il est bon, Monsieur, d’enflammer ainsi les bons désirs ; car, encore quel es fruits n’y correspondent pas pour quelque empêchement involontaire, Dieu ne laisse pas d’en être honoré, parce que

Lettre 1750. — Reg. 2, p. 332.

 

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devant lui la volonté est réputé pour l’effet ; c’est pour cela qu’il donne une éternité de gloire à ses serviteurs, quoiqu’ils ne l’aient servi qu’un peu de temps, parce qu’il n’a pas seulement égard à ce qu’ils ont fait, mais encore à l’amour par lequel ils ont souhaité de faire davantage ; et plus ce souhait est étendu, plus en sont-ils récompensés. Je le prie qu’il augmente et qu’il anime de plus en plus votre zèle, afin que les pauvres gens de] a campagne s’en ressentent pour leur salut et que notre petite congrégation soit édifiée de vos exemples. J’apprends avec grande joie que la maison de Rome l’est déjà notablement et que même vous êtes allé travailler en une mission avec deux autres de nos prêtres italiens, que je salue par vous et que j’embrasse tendrement avec vous.

 

1751. — A MARC COGLEE

De Paris, ce 13 juin 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous envoie un mémoire tendant à nous envoyer ici la femme huguenote d’un nouveau converti qui est a Paris Vous agirez conformément à icelui ; et si vous pouvez fournir l’argent qu’il faudra pour l’acquit de ses dettes et les frais du voyage, je vous prie de le faire, pourvu que ces dettes-là ne soient pas fort considérables ; en ce cas, vous me manderez à quoi ils peuvent monter ; et ce que vous fournirez, je vous le ferai rendre (1)

Lettre 1751. — L. s — Dossier de Turin, original.

1). La question avait probablement été portée devant l’assemblée des dames de la Charité

 

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Un conseiller-clerc de ce parlement que j’ai consulté touchant les trois orphelines catholiques qui sont chez (leur) (2) mère huguenote n’estime pas que l’on les puisse ôter à cette mère et les faire élever ailleurs en notre sainte religion, si l’on plaide à Sedan, parce que le conseil souverain de ladite ville est composée de personnes de la religion prétendue, qui ne le permettront pas. Néanmoins ils ne pourraient pas refuser d’ordonner une assemblée de parents pour donner leur avis sur cela. Mais pource qu’ils sont peut-être huguenots pour la plupart et que leur avis irait sans doute à laisser ces pauvres filles dans le péril où elles sont, il vaut mieux, cela étant, de ne tenter pas cette voie. L’unique remède qu’on y trouve est d’obtenir des lettres patentes du roi pour évoquer cet affaire à son privé conseil et défendre à celui de Sedan d’en prendre connaissance. Je verrai s’il y a lieu d’espérer cela. Cependant envoyez-nous le nom du père, de la mère et des enfants et toutes les instructions que vous pourrez.

Pour réponse à 4 ou 5 de vos lettres, je vous dirai qu’il ne faut rien faire espérer aux Pères capucins sur le désir qu’ils ont de prêcher certains jours de l’année en votre église. Ce n’est pas que vous ne puissiez les prier d’y prêcher quelquefois, quand vous le jugerez à propos ; mais il ne faut pas leur marquer par avance ni le jour ni le mois, pour n’engager pas votre église, qui est chose qu’un curé ne doit jamais faire, surtout vers une communauté comme celle-là.

Je pense que vous ferez bien de vous conformer à cette maison ci pour les hauts-de-chausses de toile en été et pour les prières du matin, où nous omettons l’Angelus Dei, etc.

2) Mot de l’original : sa

 

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Je ferai chercher un crucifix d’ivoire pour l’envoyer à M. Demyon ; mais ne lui en parlez pas auparavant.

Nous ne saurions où mettre votre rôtisseuse que dans un petit hôpital que nous avons ici de vieilles gens qui travaillent selon qu’ils peuvent, et qui ne sortent point (1) ; or cette contrainte ennuierait cette pauvre femme, et ainsi il n’est pas à propos de l’y mettre.

Votre bon frère (4) vous écrit ; il commence de bien parler et d’entendre le français et n’a pas changé d’habit.

Je loue Dieu des abjurations que vous recevez, et je le prie qu’il vous donne grâce de plus en plus pour attirer quantité de ces âmes égarées au bercail de l’Église.

M. Dufour est en mission depuis 8 jours, et nous en allons commencer une seconde.

Vous me demandez s’il faut permettre ou défendre les sonneries des violons dans l’église pour des noces. (5)

Votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d.l.M

Suscription. A Monsieur Monsieur Coglée, supérieur de la Mission, à Sedan.

 

1752. — A THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR, A ROME

De Paris, ce 19 juin 1654

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

3) L’hôpital du Nom-de-Jésus.

4). Laurent Coglée né à Carrick (Irlande), entré dans la congrégation de la Mission en février 1654, en qualité de frère coadjuteur, reçu aux vœux le 25 mars 1659.

5). Saint Vincent a oublié d’achever la phrase.

Lettre 1752. — L. s. — Dossier de Turin, original

 

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Je suis bien aise que vous ayez mis la relation de Tunis en état d’être présentée à la Sacrée Congrégation et de ce que Nosseigneurs les cardinaux en soient restés satisfaits ; dont je rends grâces à Dieu et à vous, Monsieur, qui avez eu bonne part à ce travail.

Les lettres de Mgr l’évêque de Sarsina (1) et de M. Vincenzo Greco (2) que vous m’avez envoyées, m’ont donné de la joie et de la confusion. Je ne puis leur faire réponse à présent, parce qu’ayant été trois jours aux champs, j’ai trouvé beaucoup d’affaires au retour, qui m’ôtent le moyen de m’acquitter de Ce devoir ; ce sera une autre fois.

Quant à la maison des Hibernois, qui est à vendre, il ne faut pas penser à l’acheter, à ce que m’ont dit Messieurs Dehorgny et Alméras, pour les raisons que vous pouvez savoir ; il faut attendre une meilleure occasion

Nous tâcherons de vous envoyer les livres que vous demandez, de l’impression du Louvre, par la première occasion qui se présentera à peu de frais.

M. Alméras n’a plus de fièvre, ni moi d’autres nouvelles à vous donner.

Je prie N.-S. qu’il continue à bénir vos conduites, votre famille et vos missions, qui suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Berthe.

1) César Righini (1646-1657).

2). Prêtre de la Mission. Son nom ne figure pas dans le catalogue du personnel

 

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1753. — A JACQUES DOWLEY (1)

1654 (2)

Pax Dei, quae exsuperat omnem sensum, repleat corda et intelligentias nostras !

Inspectionem epistolae quam Dominatio Vestra scripsit ad Dominum Brin, admodum Reverende nomine, inter honorifica benevolentiae testimonia reputo, tum quod Reverendus Pater Artagan, jesuita, significavit mihi semel atque iterum Dominationi Vestrae eadem de re misisse litteras, de habenda videlicet a nobis summatim Instituti nostri ratione, quam viro praeexcellenti, quem nominat, exhibere velit.

Gratias Dominationi Vestrae ago quam maximas, eique, tum ob loci n. aturam et conditionem, in quo puslllae congregationi nostrae prospicit, cum ob finis praestantiam, justissimis de causis addicor. Deus retribuat ! Hanc vero quantulamcumque Instituti nostri delineationem dedi optimo Patri, qui pro sua humanitate recepit [et promisit] (3) se effecturum ut in manus Dominationis Vestrae perveniat. Ego autem, ut de me pollicear, cor meum in sinum [Dominationis] Vestrae depono, observantia plenus et timore reverenhali, ut offerat Deo optimo maximo ejusque misericordiam magnam super

Lettre * 1753. — Reg. I, f° 56 v°, copie prise sur la minute.

1) Jacques Dowley (ou du Lœus), docteur en théologie de l’Université de Paris (1644), remplissait à Limerick, sa ville natale, les fonctions de vicaire général quand les Protestants s’emparèrent de la cité. Après un assez long séjour en Espagne, il alla se fixer à Rome, où s’écoulèrent dix années de sa vie. La Propagande le nomma vicaire apostolique le 9 juillet 1669 et évêque de Limerick le 4 mai 1676. Il mourut en 1684 ou 1685.

2). Voir note 4.

3) Ces mots manquent dans la copie, mais le sens les réclame.

 

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me imploret. Ego autem in omnibus obsecrationibus et orationibus meis memor ero Dominationis Vestrae quoad vivam, ut illam in sanctis suis occupationibus ac directionibus sospitet et felicitet.

Dominus Brin non est modo Parisiis abestque quinquaginta et centum leucis, compendiosiore ad vos itinere et magna jam ex parte confecto ; in Vasconia exlguae familiae cujusdam nostrae curam gerit in loco dicto Domina Nostra de Rosa, dioecesis Agenensis. Faciam hunc certum quemadmodum mandatum implevimus.

Porro mors Reverendissimi episcopi de Limerick (4) quae Bruxellae accidit, vehementer me percutit ac pene consternavit, a tribus aut quatuor mensibus. Si forte Lutetiam venire libuisset, habitationem in nostra domo Sancti Lazari obtuli, verum tanti episcopi praesentiam nobis Deus non indulsit, utpote indignis tali hospite, cujus animam in aeterna tabernacula recepit. Utinam hic luculenta nobis occasio nasceretur animum memorem testandi in re quuae ad Suam Dominationem singulariter pertineret ! Illam studiose amplecteremur, ut tam beneficae et prolixae erga nos voluntati aliquomodo respondere possemus. Hoc omnibus votis exoptat, admodum Reverende Domine, Dominationis Vestrae humillimus ac obedientissimus servus.

VINCENTIUS A PAULO,

indignus superior generalis congregationis Missionis.

 

TRADUCTION

La paix de Dieu, qui surpasse tout sentiment, remplisse nos cœurs et nos esprits !

La lettre que Votre Seigneurie vient d’écrire à M. Brin

4) Edmond Dwyer, mort en 1654.

 

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est à mes yeux, très Révérend Monsieur, un témoignage des plus honorables de votre bienveillance à notre égard, d’autant plus que le Révérend Père Artagan, jésuite, m’a déclaré à diverses reprises avoir écrit à Votre Seigneurie sur ce sujet, dans le dessein d’obtenir de nous un abrégé de la nature de notre Institut, pour le communiquer à un personnage illustre dont il donne le nom. Je remercie vivement Votre Seigneurie, à laquelle je suis tout dévoué pour de très bonnes raisons, tant à cause de la nature et de la condition du lieu dans lequel elle voudrait voir notre petite congrégation, que pour l’excellence des fins qu’elle se propose. Que Dieu l’en récompense !

J’ai envoyé un abrégé sommaire de notre Institut à l’excellent Père Artagan, qui m’a promis obligeamment de le faire parvenir aux mains de Votre Seigneurie. Pour moi, je place mon cœur avec tout le respect et la révérence possibles dans celui de Votre Seigneurie, pour qu’elle veuille bien le présenter au Dieu très bon et très grand et me recommander à son infinie miséricorde. De mon côté je me souviendrai toute ma vie de Votre Seigneurie dans mes prières et mes supplications, et je demanderai à Dieu qu’il favorise et bénisse ses saints travaux et ses entreprises.

Monsieur Brin n’est pas à Paris ; cent cinquante lieues l’en séparent ; il est bien plus rapproché de Votre Seigneurie que nous le sommes. Il est à la tête de la petite maison que nous avons à Notre-Dame de La Rose dans le diocèse d’Agen, en Gascogne. Je lui ferai savoir que nous avons exécuté vos ordres.

La mort du vénérable évêque de Limerick, survenue à Bruxelles, il y a trois ou quatre mois, m’a vivement ému et presque consterné. Je lui avais offert l’hospitalité dans notre maison de Saint-Lazare, au cas où il aurait jugé bon de venir à Paris ; mais Dieu ne nous a pas estimés dignes de recevoir un si grand prélat, et il a préféré le prendre avec lui dans ses tabernacles éternels. Plaise à Dieu qu’il se présente une occasion favorable de témoigner notre reconnaissance à Votre Seigneurie en chose qui la touche tout particulièrement ! Nous la saisirons avec empressement, heureux de répondre de quelque façon au bienveillant intérêt qu’elle nous porte. C’est l’objet de tous les vœux de celui qui est, très Révérend Monsieur, de Votre Seigneurie le très humble et très obéissant serviteur

VINCENT DEPAUL,

indigne supérieur général de la congrégation de la Mission.

 

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1754. — A LA SŒUR JEANNE-FRANÇOISE

De Paris, ce 25 juin 1654.

Ma bonne Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai été consolé de recevoir de vos nouvelles et d’apprendre la continuation de vos soins pour les pauvres orphelins. J’en rends grâces à Dieu, et de l’affection qu’il vous donne pour le servir en ce bon œuvre. Je le prie qu’il vous continue ses grâces. Vous avez bien fait d’envoyer au village les plus grands enfants pour servir et gagner leur vie, et, fait à fait (1) que les autres seront en état d’y être aussi envoyés, je vous prie de vous en décharger, parce que les dames ont peine ou s’ennuient de plus (2) faire cette dépense. Je les verrai néanmoins demain pour tâcher de vous faire envoyer quelque chose, afin que vous puissiez continuer encore quelque temps de nourrir et élever les plus petits. Je prie derechef Notre-Seigneur, qui a voulu être lui-même enfant, qu’il vous donne son esprit pour cet emploi et pour tous les autres où sa providence vous mettra. Continuez à lui offrir souvent votre travail, à vous élever à lui pour le prier de vous bénir et pour lui dire que vous lui voulez être toujours fidèle. C’est la grâce que je lui demande, qui me recommande à vos prières pour en obtenir une pareille pour moi, qui suis, en son amour, ma chère Sœur, votre très affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Lettre 1754. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). A mesure que.

2). Première rédaction : ne peuvent ou ne veulent.

 

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Suscription : A ma sœur la sœur Jeanne-Françoise, Fille de la Charité, à Étampes.

 

1755. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 26 juin 1654

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour Jamais !

Vous me mandez que le roi a eu la bonté de vous. donner neuf cavales et un cheval, et la reine de vous continuer ses charitables et royales libéralités en plusieurs manières. Comme Leurs Majestés ne cessent de nous bien faire, aussi devons-nous prier incessamment pour elles.

Je vous prie de me mander si l’établissement que l’on demande à faire dans la grande Pologne est le même que celui dont un seigneur polonais m’a écrit de Rome, qui est gouverneur de ce pays-là, dont je vous ai déjà parlé (1), ou bien si c’en est un autre.

Nous espérons de faire partir, vers le 15 du mois prochain, le renfort que vous demandez, et on nous a fait espérer qu’en ce temps-là un vaisseau partira de Rouen pour Hambourg. Nous tâcherons de vous envoyer le frère Durand, qui enseigne à Saint-Charles (2) avec les deux que je vous ai déjà nommés, ensemble M. Guillot,

Lettre 1755. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

1). Voir lettre 1748

2) Antoine Durand était un sujet d’élite. né à Beaumont-sur-0ise (Seine-et-Oise) en avril 1629, il fut reçu dans la congrégation de la Mission le 15 septembre 1647, prononça les vœux en 1651 et fut ordonné prêtre en septembre 1654, quelques jours après son arrivée en Pologne. Il rentra en France en 1655 et fut placé à la maison d’Agde, dont il devint supérieur l’année suivante. La province de Savoie le députa à l’assemblée générale de 1661. En 1662, on confia la direction de la maison et de la cure de Fontainebleau poste des plus importants et des plus délicats à cause des rapports

 

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qui s’offre de retourner sur ses pas. Si M. Zelazewsli était plus ferme qu’il n’est, il y aurait sujet d’en bénir Dieu ; et je ne laisse pas d’adorer sa conduite dans l’inconstance de ce jeune homme et de prier Notre-Seigneur de lui faire part à sa fermeté.

Vous avez bien fait de payer les deux Jacobus (3) reçus en Angleterre, sans en parler à la reine.

J’ai été consolé de la prédication qu’a faite M. Fleury et rends grâces à Dieu de ce qu’il a béni cette action. Je prie Dieu qu’il le conserve pour la sanctification de cette cour-là et qu’il fasse réussir la diète qui se fait à présent, au contentement du roi, et la paix du royaume.

Voici la lettre de Tunis qui fut oubliée la semaine passée et une de M. du Chesne, qui est venue depuis.

Je suis en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

que le curé de cette ville devait avoir avec la cour. Dans des mémoires qui ne manquent pas d’intérêt et qui ont été publiés par l’abbé Octave Estournet (Journal de Antoine Durand, prêtre de la Mission, premier curé de Fontainebleau, Fontainebleau, 1900, in.16), il nous a retracé lui-même les événements principaux auxquels il fut mêlé pendant son séjour dans cette ville. de la maison de Fontainebleau Antoine Durand passa à celle d’Angers, où il resta peu de temps (1679-1681) ; puis nous le trouvons à Dijon (1681-1683, à Sedan (1683-1690), à Saint-Cyr (1691-1692), au séminaire d’Arras (1692-1695), toujours comme supérieur. Malgré son âge déjà avancé, on lui confia ensuite les fonctions de secrétaire général, qu’il garda jusqu’ en 1707 et qu’il cumula pendant deux ans ou plus avec celles de directeur des Filles de la Charité. Il a composé, outre ses mémoires, trois ouvrages restés manuscrits Vie de la Sœur Julienne Loret Fille de la Charité ; Livre contenant les marques d’un homme juste (Bibl. Maz, ms. 1250, in 8°) ; et Réflexions sur les masques, le bal et les danses, avec quelques pratiques pour les trois jours qui précèdent le carême, 1679, in-8° On trouve sa Biographie au t. II des Notices, pp. 389-424

3) Le Jacobus, ancienne monnaie d’or d’Angleterre, valait 14 livres 10 sols de France

 

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1756. — A FIRMIN GET, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

De Paris, ce 26 juin 1654.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais ! J

Je vous écris brièvement, me trouvant en ville bien tard et bien pressé, et quasi sans matière de vous écrire ; j’ai pourtant reçu votre lettre du 15 avec le paquet d’Alger.

Je suis bien aise que vous ayez trouvé un bon jardinier et un honnête revenu de votre jardin.

Je ne sais comment ces esclaves venus d’Alger se peuvent plaindre. Il est certain que j’ai toujours marqué à M. Barreau ce qu’il y avait d’argent pour chaque esclave en particulier. Il faut qu’il n’ait pas reçu mes lettres. Je n’ai pas encore vu celles de ces esclaves.

Je serais bien aise que Messieurs les administrateurs vous prêtassent l’argent qui vous manque pour le bâtiment, et je vous prie de faire ce que vous pourrez pour obtenir d’eux cette grâce, afin de ne tirer pas sur nous la lettre de change de 300 écus dont je vous ai parlé par ma dernière, à cause que nous aurions grand’peine à l’acquitter ; si néanmoins vous y êtes contraint, souvenez-vous, s’il vous plaît, de ne la rendre payable qu’à 15 jours de vue pour nous donner temps de chercher l’argent.

Je voudrais bien que vous donnassiez passage par votre jardin à M. Abeille, à cause qu’il est votre voisin et que vous en êtes prié par M. Sossin ; mais, comme c’est

Lettre 1756 — L s. — Dossier de la Sœur Hains, original.

 

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une servitude perpétuelle, vous les devez prier de vous en dispenser, si ce n’est que ledit sieur Abeille récompense cette servitude en vous donnant une partie de son eau ; en ce cas, je l’approuve volontiers.

Dieu soit loué de votre santé et de vos saintes occupations ! Je le prie qu’il vous continue ses grâces. Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M..

Suscription : A Monsieur Monsieur Get.

 

1757. — LOUISE-MARIE DE GONZAGUE, REINE DE POLOGNE,

A SAINT VINCENT

Ce dernier de juin [1654] (1)

Mon bon Père,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite, où je vois la continuation des soins que vous avez pour ce royaume. Je vous en remercie. Le roi, mon seigneur, a dessein de faire en cette maison de Meuporense, où je suis depuis deux jours, un petit séminaire et le donner à de vos missionnaires. Les guerres nous empêchent de faire beaucoup de choses, au moins si bien que nous le désirerions. Je vous prie de faire partir les Filles de la Charité le plus tôt que vous pourrez et de commander qu’une de ces nouvelles soit établie aussitôt qu’elle sera arrivée, supérieure de leur petite famille ; et je vous prie que vous la disposiez à vivre avec une grande confiance auprès de cette bonne demoiselle qui est auprès de moi, qui s’appelle de Villers. Demandez de ses nouvelles à des Noyers ; il vous dira sa vertu et ses emplois ici. Enfin jugez-en parce qu’il y a 4 ans qu’elle est à la cour sans que jamais une seule personne s’en soit plainte ; et

Lettre 1757. — Dossier de la Mission, copie prise par le frère Ducournau.

1) Date du retour en France de Nicolas Guillot.

 

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tous ont éprouvé sa charité. Son humilité est au plus haut point que l’on la saurait désirer en une personne.

Je vous avoue que je ne suis point satisfaite entièrement de la conduite de l’une de celles qui sont ici, non pas que ce ne. soit une bonne fille, mais c’est une humeur un peu trop rude et prompte. Les personnes qui se retirent chez elle ont peine de la souffrir, n’ayant nulle condescendance, et tout ce qu’on lui propose, excepté de recevoir des enfants, la choque à chaque fois ; et vous savez que la charité ne doit être bornée. Je vous prie donc, mon bon Père, de donner des instructions, avec Mlle Le Gras, à celle que vous enverrez pour être supérieure qu’elle se soumette à tout ce que cette bonne Mlle de Villers lui dira, et qu’elle reçoive charitablement les grandes filles comme les petites. Celles-ci sont souvent plus proches du mal que les autres. Et je vous prie de ne croire sur cet affaire que ce que je vous en écris. Je n’ai nulle passion que celle de voir la dépense que je fais bien employée ; autrement, je ne la pourrais plus en cette matière continuer.

Je reçus le refus que Mlle de Villers me fit de faire ce que vous lui mandiez par vos lettres, non seulement pour la satisfaire, mais encore pour ne point aller contre les sentiments de M. Ozenne, qui y répugnait, sur la répugnance qu’il me dit être aux sœurs qui sont ici, et la promesse qu’il me fit que les choses iraient mieux. Je le crus, mais je vois que je me suis trompée. J’espère que ces nouvelles que vous m’enverrez avec cet esprit d’obéissance n’y manqueront point. C’est toujours aux conditions de ne rien changer de leur Institut et direction des Pères de la Mission. Je vous dis tout franchement que sans cela je ne puis pas continuer le dessein que j’ai de les établir, ne trouvant jusqu’à cette heure rien de bien solide en leur conduite. J

Je vous prie de recevoir tout ceci de la part de la confiance que j’ai en vous, et je désire que vous n’en mandiez rien ici. M. Guillot vous dira les réponses qu’il a eues de Suède.

LOUISE-MARIE.

 

1758. — A THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR, A ROME

3 juillet 1654

Nous sommes obligés à ce bon ecclésiastique du Piémont

Lettre 1758. — Reg,. 2, p. 58

 

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du désir qu’il témoigne que notre compagnie soit établie à Turin. Peut-être que cela veut dire que nous demandions nous-mêmes la maison abandonnée dont il vous a parlé ; mais c’est ce que nous ne ferons pas, ayant pour maxime, comme vous savez, de ne nous introduire jamais en un lieu, si nous n’y sommes appelés. De dire que nous le devrions faire en cette occasion, parce que ce serait une porte ouverte pour avancer la gloire de Dieu en ce pays-là, nous devons estimer le contraire et espérer que Dieu sera plus honoré de notre soumission à sa providence, en attendant ses ordres, que si nous entreprenions de les prévenir.

 

1754. — A TOUSSAINT LEBAS, PRÊTRE DE LA MISSION, A AGDE (1)

Du 10 juillet 1654 (2)

Je rends grâces à Dieu de ce que vous savez l’art de vous bien déchirer, j’entends la manière de vous bien humilier, qui est de reconnaître vos fautes et de les découvrir. Vous avez raison de vous croire tel que vous vous dépeignez et fort impropre à toute sorte d’emplois ; car c’est sur ce fondement que Notre-Seigneur établira l’exécution des desseins qu’il a sur vous. Mais aussi, Monsieur, quand vous faites ces réflexions sur l’état de votre intérieur, vous devez élever votre esprit à la considération de son adorable bonté. Vous avez

Lettre 1759. — Reg. 2, p. 333

1). Toussaint Lebas, né à Josselin (Morbihan) le 1er novembre 1625, ordonné prêtre le 25 mai 1652, reçu dans la Congrégation de la Mission à Richelieu le 2 janvier 1653. Il fut envoyé peu après à la maison d’Agde, où il prononça les vœux en 1657. Il dirigea l’établissement de Narbonne de 1671 à 1673. Le manuscrit d’Avignon fait adresser cette lettre a un prêtre de la maison de Rome ; il est certainement dans l’erreur.

2). Le manuscrit d’Avignon date à tort la lettre du 12 juin 1654.

 

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grand sujet de vous défier de vous-même, il est vrai ; mais vous en avez un plus grand de vous confier en lui. Si vous êtes enclin au mal, vous savez qu’il l’est sans comparaison davantage à faire le bien et à le faire même en vous et par vous. Je vous prie de faire votre oraison sur ceci, et durant le jour quelques élévations à Dieu pour lui demander la grâce de vous bien établir sur ce principe, qu’après avoir jeté les yeux sur vos misères, vous les portiez toujours sur ses miséricordes, vous arrêtant beaucoup plus sur sa magnificence envers vous que sur votre indignité envers lui, et plus sur sa force que sur votre faiblesse, vous abandonnant dans cette vue entre ses bras paternels et dans l’espérance qu’il fera lui-même en vous ce qu’il prétend de vous, et qu’il bénira ce que vous ferez pour lui. Avec cela, Monsieur, tenez votre cœur préparé à recevoir la paix et la joie du Saint-Esprit.

 

1760. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 10e juillet 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ce qui s’est passé entre vous et M. Zelazewski me donne sujet de vous prier, au nom de Notre-Seigneur, de le supporter. Je ne veux pas dire que vous ne l’avertissiez pas ; mais cela se doit faire doucement, rarement et en particulier et après avoir pensé devant Dieu si vous le devez faire et en quelle manière. J’ai ouï dire que les Polonais se gagnent plus par cette voie cordiale

Lettre 1760. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

 

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et charitable que par la rigueur, et naturellement chacun se rebute des réprimandes sèches aussi bien que des corrections les plus amiables, quand elles sont fréquentes ou immodérées ou faites hors de propos. J’espère donc que vous prendrez ce bon prêtre par le biais qu’il faut, ainsi que faisait feu M. Lambert, et que peu à peu il pourra se ranger à nos petites observances ; et s’il ne le fait pas, Dieu prendra soin lui-même de vous en décharger ; et en ce cas il vaut mieux qu’il ait sujet de se louer ou gracieux traitement que vous lui aurez fait, que s’il s’en allait mécontent

Quoique ces signes extraordinaires arrivés de delà ne soient pas des indices assurés de quelque mauvais événement, et que pour l’ordinaire il ne se faille pas arrêter à tels prestiges, il est bon néanmoins de redoubler les prières, afin qu’il plaise à Dieu détourner de dessus son peuple les maux dont il aurait dessein de l’affliger. On nous menace ici d’une éclipse de soleil, la plus maligne qui soit arrivée depuis plusieurs siècles, et qui doit arriver le 12° août prochain, environ les 9 ou 10 heures du matin, à ce qu’on dit. Je vous prie de remarquer Si elle se fera voir en Pologne et de m’en mander les particularités

J’écris aux Filles de la Charité selon votre désir, et j’enverrai à M. Duperroy sa philosophie par ceux que vous attendez et qui seront prêts à partir quand ils auront leurs passeports et un vaisseau arrêté.

Je vous prie de faire ce que vous pourrez pour contenter M. l’ancien curé. Nous avons eu grand respect et grande déférence pour feu M. le prieur et tous les religieux de céans, et cela nous a fort bien réussi. Il est votre bienfaiteur ; il faut lui en témoigner grande reconnaissance ; et si vous m’en croyez, vous lui céderez la maison dont vous tirez 300 livres de rente, au lieu de son logement,

 

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en cas qu’il ait agréable de vous le remettre ; ce qui vous accommodera pour mettre bientôt sur pied votre séminaire. Dieu bénisse ce dessein et ensemble votre personne et votre famille, que je salue !

Quand nous serions incessamment appliqués à remercier la reine et à prier Dieu pour elle et pour l’accomplissement de ses souhaits, cela ne serait pas encore suffisant pour reconnaître les bontés admirables de Sa Majesté, dont vous recevez tous les jours de nouveaux effets. Dieu en soit béni !

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M

Au bas de la première page : M. Ozenne.

 

1761. — AUX FILLES DE LA CHARITÉ DE VARSOVIE

20 juillet 1654,

…Il le faut bien, mes bonnes Sœurs, car, si cela n’était pas, pour qui auriez-vous de l’amour ? Vous êtes Filles de la Charité, mais vous ne le seriez plus si vous viviez dans la mésintelligence, l’aversion ou la défiance les unes des autres. A Dieu ne plaise que cela se trouve parmi vous ! C’est le propre des filles du monde, qui ont l’esprit mal fait ; mais le devoir des filles de Notre-Seigneur qui vivent et qui le servent ensemble et qui n’ont qu’une même intention de se rendre agréables aux yeux de Dieu, est de s’entre-chérir, de se supporter, de se respecter

Lettre 1761. — Collet, op. cit, t. II, 1. VII, § 10, p. 164. Au début de sa lettre, dit Collet, saint Vincent félicitait les sœurs de Varsovie du bien qu’elles faisaient.

 

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et de s’aider mutuellement. Je vous prie, mes chères Sœurs, d’en user de la sorte, sans jamais vous plaindre, ni murmurer, sans vous contredire, ni vous harceler ; car, hélas ! si vous vous faisiez de la peine l’une à l’autre, ce serait grande pitié. Vous avez assez à souffrir des personnes du dehors et de vos emplois sans vous faire au dedans de nouvelles croix, qui sont les plus fâcheuses et qui feraient de votre maison un petit purgatoire, au lieu que l’amour en fera un petit paradis.

 

1762. — A FIRMIN GET

De Paris, ce 24 juillet 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu de ce que vous vous trouvez mieux de votre indisposition et je le prie que vous en soyez bientôt parfaitement guéri, si vous ne l’êtes déjà. Je l’espère à présent que vous pourrez vous reposer un peu et vous décharger d’une partie de vos occupations sur M. Champion, qui partit mardi par le coche de Lyon avec M. Huguier, que nous envoyons à Gênes. Pour M. du Chesne, il ne peut quitter Agde, ni s’en éloigner ; il me le mande, et je le crois, parce qu’il n’a personne en qui il se puisse fier.

Nous sommes à présent dans un état si pauvre que nous ne pouvons vous secourir d’argent ; néanmoins, puisque vous avez trouvé trois cents écus pour trois semaines et que vous êtes contraint de nous en tirer une lettre de change, nous ferons un effort pour l’acquitter ;

Lettre 1762. — L. s. — Dossier de la Sœur Hains, original

 

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mais je vous prie de ne la rendre payable qu’à quinze jours de vue. Je ne doute pas que votre bâtiment ne coûte plus qu’on ne pensait ; car cela est ordinaire. Je serai bien aise de voir cette dépense par le détail.

Les lettres que vous m’avez envoyées d’Alger ne sont que des copies des précédentes. Il me semble que je vous ai mandé les raisons pour lesquelles les esclaves rachetés qui ont passé à Marseille ont tort de se plaindre, qui est qu’on leur a donné les piastres à 3 livres 9 sols, comme elles valaient au temps qu’on nous a délivré leur argent, et pour cela ils en ont moins reçu. Nos gens ont reçu la même diminution pour leur argent propre. Le consul m’en a envoyé un petit état dans cette dernière dépêche.

Nous n’avons point d’autres nouvelles que celles que M. Champion vous dira. Je prie Dieu qu’il unisse vos cœurs et bénisse vos travaux.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription. A Monsieur Monsieur Get, prêtre de la Mission, à Marseille.

 

1763. — ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS,

A SAINT VINCENT

Monsieur,

Lorsque le Père Paulin fut sur le point de parler de la coadjutorerie, vous m’écrivîtes que M. Séguier trouvait de la difficulté que Monseigneur de Sarlat pût garder son évêché et être mon coadjuteur, et qu’encore qu’on y fit de la difficulté, comme il croyait qu’on ferait, comment est-ce que Monsei-

Lettre 1763. — L. a — Copie à l’évêché de Cahors, liasse 3, n° 33.

 

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gneur de Sarlat pourrait subsister. Je vous fis réponse et vous mandai qu’il n’y avait point de difficulté qu’il ne pût retenir son évêché et être mon coadjuteur, comme c’est vrai et nous en avons une multitude d’exemples ; néanmoins que, si on ne voulait lui accorder la coadjutorerie qu’en le démettant de son évêché, que j’offrais de lui donner 3000 livres de pension sur mon évêché pour sa subsistance ; et vous envoyai ma procuration pour consentir à ladite pension, et vous priai néanmoins de n’en parler point que dans l’extrémité et après qu’on aurait absolument refusé la coadjutorerie simple. M. de Brousse m’a écrit diverses fois que le Père Annat (1), qui lui a promis de s’employer pour cet affaire, lui a dit qu’il ne croyait point que M. le cardinal voulut accorder la coadjutorerie, que Monseigneur de Sarlat ne quittât l’évêché, et qu’ainsi il fallait penser à sa subsistance. Sur quoi je me suis oblige de vous dire que j’ai toujours fait grande difficulté que Monseigneur de Sarlat quitte son évêché, au moins pour le présent, difficulté ; qui est plus grande que jamais

Voilà mes raisons. Il est très assuré que le diocèse de Sarlat, en état où il est, a un extrême besoin des soins et des services de mondit seigneur de Sarlat. Je n’en vois point qui puisse le remettre en l’état qu’il doit être, comme lui, et ainsi je ne crois pas que ce soit rendre service à Dieu, ni que ce soit sa volonté, qu’il l’abandonne pour le présent pour prendre la coadjutorerie.

Voici qui augmente cette difficulté, ou qui en fait naître une autre. Dieu me donne une parfaite santé et des forces comme à l’âge de vingt ans, avec un grand désir de faire ma charge ; et, pour vous dire vrai, je ne trouve que plaisir et contentement dans toutes les fonctions d’icelle, pour pénibles qu’elles paraissent ; et j’ose vous dire qu’il y a de l’apparence, s’il n’arrive quelque accident d’être en état de servir plusieurs années mon diocèse sans avoir besoin d’assistance. De me faire assister sans besoin, vous voyez bien que cela ne se peut pas. Il faut que je fasse ma charge par moi-même, comme j’ai fait jusques ici ; car quoique j’aie des vicaires généraux, ils ne font pourtant rien. Que fera cependant

1) François Annat, né à Estaing (Aveyron) le 5 février 1590, fut reçu dans la Société de Jésus le 16 février 1607. Après avoir professé la philosophie et la théologie à Toulouse pendant treize ans et dirigé, comme recteur, les collèges de Montpellier et de Toulouse, il devint assistant du supérieur général, provincial de France et fut confesseur du roi de 1654 à 1601. 0n lui doit de nombreux écrits contre le jansénisme. Il mourut à Paris le 14 juin 1670.

 

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Monseigneur de Sarlat ? L’Église et son diocèse… privé des services d’un si digne prélat… (2) même ne pourrait-il pas lui donner de l’ennui de se voir sans emploi ? Voici donc bien ma pensée là-dessus, après avoir bien recommandé cet affaire à Notre-Seigneur : c’est que mondit seigneur de Sarlat consentît qu’on lui baille un coadjuteur, auquel il baillerait 3000 livres de pension sur son évêché et que je consentirais que mondit seigneur de Sarlat en prît autant sur le mien. Je crois que cela serait plus avantageux à celui qui serait nommé son coadjuteur, que s’il lui résignait son évêché présentement, parce que Mgr de Sarlat ne le retiendra que pour le remettre, et son diocèse, en l’état qu’il doit être, tant pour le spirituel que pour le temporel. Ainsi ce serait travailler pour le coadjuteur Je crois certainement que, si cela est bien donné à entendre, on ne fera point de difficulté d’accorder la coadjutorerie.

Voilà mes sentiments, après avoir recommandé incessamment cet affaire à Notre-Seigneur depuis 3 ou 4 ans. Je voudrais bien que vous pussiez en conférer avec le Père Annat, avant que l’on parlât. Mais on dit que le roi ne doit pas revenir de longtemps à Paris. Que si après avoir bien examiné cet affaire et recommandé à Notre-Seigneur, vous et le Père Annat jugez qu’on refuse la coadjutorerie, mondit seigneur de Sarlat retenant son évêché, je soumettrai mes sentiments aux vôtres et consentirai, comme j’ai fait, à la pension de 3000 livres en sa faveur.

Communiquez, s’il vous paît, celle-ci à M. de Brousse et croyez-moi toujours, Monsieur, votre très humble et très affectionné serviteur.

Alain

é (vêque) de Cahors

De Mercuès, ce 26 juillet 1654.

 

1764. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 31 juillet 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du second de ce mois avec consolation,

2) Passages omis par suite d’une déchirure de la copie.

Lettre 1764. — L. s. — Dossier de Pologne original.

 

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comme toutes celles qui partent de la même main. Je rends grâces à Dieu de l’arrivée de ces bonnes filles de Sainte-Marie et du contentement que la reine en a reçu, qui lui fera sans doute oublier toutes les peines passées, car une mère, après qu’elle a heureusement. enfanté, ne se sent plus des douleurs de l’accouchement ; or ce sont là ses filles, mais des filles longuement et ardemment désirées. Je prie Dieu qu’il bénisse leur établissement, en sorte qu’elles se multiplient à l’infini (1).

Je suis bien en peine de la maladie de la sœur assistante ; peut-être que le repos l’aura guérie, ou plutôt les prières qu’on aura faites pour elle. Je les salue toutes très humblement.

Le petit essaim de missionnaires que nous vous envoyons est à présent sur mer, comme je crois. Je n’ai point reçu de leurs nouvelles depuis le 24, qu’ils m’ont écrit se devoir embarquer à 3 heures après midi de ce jour-là, et que leur vaisseau s’allait joindre à une cinquantaine d’autres vaisseaux hambourgeois qui étaient au Havre-de-Grâce, prêts à partir. J’espère que vous les aurez à Varsovie au commencement de septembre ; j’en prie Dieu de tout mon cœur.

Je n’ai pas encore fait réponse à la lettre que m’a écrite ce bon seigneur de Pologne (2), qui veut faire un établissement de missionnaires. J’espère de la vous envoyer par le premier ordinaire pour lui faire tenir.

1) Les Filles de la Visitation, venues les unes du monastère d’Aix-la-Chapelle, les autres de celui de Troyes, et conduites par leur supérieure la Mère Marie-Catherine de Glétain, étaient arrivées à Varsovie le 30 juin, après avoir traversé la Belgique, la Hollande, la Westphalie, vogué sur la Baltique de Lubeck à Dantzig et suivi la route qui par Mariembourg et Thorn menait à la capitale de la Pologne. On trouve des détails circonstanciés sur leur voyage et la réception qui leur fut faite à Varsovie dans l’Année sainte des religieuses de la Visitation Sainte-Marie, t. VI, p. 373-384 ; t. VIII, p 596-597

2) M. Velopolski.

 

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Si M. de Monthoux a écrit à la reine par le paquet qu’il vous adressa dernièrement, et que vous voyiez Sa Majesté disposée à recevoir sa lettre, vous la lui pourrez donner.

J’ai une joie que je ne vous puis exprimer de la disposition de Mgr de Posnanie à vous envoyer les ordinands, et de l’ordre qu’il veut tenir afin qu’aucun ne s’en dispense. Je viens de recommander ce dessein aux prières de notre communauté. Nous offrirons ce bon œuvre à Dieu, comme le prémice de tous ceux que vous ferez. Je remercie sa divine bonté de ce que ce bon prélat est aussi résolu de faire l’union de Sainte-Croix. Si sa providence établit la compagnie en d’autres diocèses, les autres évêques pourront suivre son exemple en pareilles affaires. C’est pourquoi il faut tâcher que cela se fasse en la plus sûre forme et la plus authentique que faire se pourra.

Je ne vous dis rien à l’égard de M. Zelazewski, sinon que je prie Notre-Seigneur qu’il lui redonne son premier esprit, qui nous a paru au commencement rapportant à celui de saint Hyacinthe (3). Je ne sais ce que Notre-Seigneur fera de lui ; mais je ne puis m’empêcher d’espérer que sa divine bonté retirera de lui le service et la gloire qu’elle a prétendus de toute éternité.

Il paraît quelque chose de la conduite de Dieu dans le retour de M. Guillot.

Adieu, Monsieur. Je suis votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M..

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

3) Dominicain polonais, connu par le zèle apostolique qu’il déploya pour l’évangélisation de la Pologne et de la Prusse

 

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1785. — A THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR, A ROME

De Paris, ce 7 août 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Il y a longtemps que je n’ai vu Monseigneur le nonce, qui m’a fait l’honneur de me promettre d’envoyer les noms de Messieurs Mousnier et Bourdaise à la Sacrée Congrégation. Je l’en ferai ressouvenir la première fois que j’aurai l’honneur de le voir, qui sera le plus tôt que je pourrai. Je vous enverrai aussi la procuration de M. Jolly, et [ferai] (1) réponse à ce bon seigneur polonais (2).

Je vous remercie de l’extra tempore que vous avez envoyé à nos frères de Pologne (3), et [ferai] (4) de même quand vous me ferez savoir ce qui aura été jugé à l’égard des Pères de la Doctrine Chrétienne.

Il y a environ deux mois que le roi, la reine et Monseigneur le cardinal sont partis de cette ville (5), tant pour le sacre de Sa Majesté (6) que pour le siège de Stenay (7) où le roi et Son Éminence sont quasi incessamment occupés. Cela est cause que je n’ai pu servir Monseigneur

Lettre 1765. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) L’original porte : ferez.

2) M. Velopolski.

3) Antoine Durand, René Simon et Jacques Eveillard.

4) L’original porte : ferez.

5) La cour avait quitté Paris le 30 mai.

6) Le roi s’était fait sacrer à Reims le 7 juin. Le procès-verbal du sacre a été publié en 1654 à Reims sous ce titre : Le sacre et couronnement de Louis XIV, roi de France et de Navarre, dans l’église de Reims le septième juin 1654.

7) Stenay (Meuse) était occupé par les troupes du prince de Condé, renforcées par un contingent espagnol. La place, serrée de près par Abraham Fabert, qui avait la direction du siège, se rendit le 5 août.

 

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de Ferentilli et que je ne le pourrai qu’à leur retour. Plaise à Dieu que mes péchés ne me rendent point indigne de le faire efficacement en ce temps-là !

J’ai rendu à Mgr de Trébizonde (8) la lettre de Mgr le cardinal Antoine (9), et l’extra tempora à notre frère Watebled. O Monsieur, que je suis consolé de la paix et union que vous me mandez qui est en votre chère famille, et que j’ai prié Dieu de bon cœur, qu’il la conserve et la perfectionne de plus en plus ! Je la salue, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, et vous remercie de l’extra tempora que vous avez envoyé à notre frère Férot à Agde.

Nous tâcherons d’acquitter la lettre de change ; à quoi nous n’aurons pas peu de peine, à cause que votre revenu est saisi de la part du roi, il y a près d’un an.

Je prie le Roi des rois qu’il ait agréable de se rendre toujours l’unique objet de votre amour, qui suis, en ce même amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Berthe.

 

1768. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[entre le 5 et le 12 août 1654] (1)

Mon très honore Père,-

Je supplie votre charité prendre la peine de voir ces lettres

8) Augustin Fracioti, archevêque titulaire de Trébizonde (juin 1654-1657), nonce à Cologne, puis cardinal, mort le 20 juin 1670.

9) Antoine Barberini.

Lettre 1766. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Le secrétaire de saint Vincent a ajouté au dos de l’original : août 1654. Le post-scriptum permet plus de précision.

 

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qu’un garçon attend pour s’en retourner à Videuille (2). il n’est pas venu exprès pour la lettre. Si la réponse n’est bien, je prierai nos sœurs de faire mes excuses, si je n’en fais pour ce voyage.

Je me treuvai plus notre bonne demoiselle d’arras. Elle demanda à ma sœur Mathurine d’aller quérir du linge blanc et n’est pas revenue. Je ne sais s’il n’y a point eu de ma faute, n’ayant pas eu assez de soin de la visiter en sa retraite, et la laisser manger avec nos sœurs, avec néanmoins quelques exceptions.

Notre bon Dieu sait ce qu’il veut faire et ce qu’il fera pour la compagnie. J’ai grande confiance en sa bonté pour cela., si votre charité prend soin de lever de moi les oppositions que, par ma misère je puis apporter ; ce qui me fait vous supplier, pour l’amour de Notre-Seigneur, de prendre le temps pour en avoir une entière connaissance. Je ne réserverai rien qui en puisse empêcher, selon la grâce que Dieu m’a toujours faite de désirer que vous vissiez aussi intelligiblement toutes mes pensées, actions et intentions que sa bonté les voit, pour sa gloire, voulant renoncer à la satisfaction que j’en recevrais et accepter les humiliations que peut-être j’en recevrais aussi, étant toujours que trop misérable pécheresse et indigne de me dire, quoique je la sois, mon très honoré Père, votre très obéissante servante et très obligée fille.

LOUISE DE MARILLAC.

C’est mercredi le jour anniversaire de ma naissance ; si Dieu veut que ce soit celui de ma mort, je souhaite bien de m’y préparer.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1767. — A LA BARONNE DE RENTY

26 août 1654.

Madame,

Je suis confus, Madame, de ce que vous vous adressez à

2) Probablement Videlles, commune de l’arrondissement d’Étampes

Lettre 1767. — Collet, op. cit., t. II, p. 196.

1) Elisabeth de Balzac, fille de M. de Dunes, comte de Graville, mariée le 21 février 1631 au baron de Renty.

 

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un pauvre prêtre comme moi (2), puisque vous n’ignorez ni la pauvreté de mon esprit, ni mes misères… ; néanmoins, puisque vous le commandez, je vous dirai…

 

1768. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 28 août 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’estime que vous avez présentement Monsieur Guillot et ses confrères auprès de vous ; si cela est, je les embrasse, prosterné en esprit à leurs pieds et aux vôtres, et fais le même à l’égard de toute votre famille.

Si nous trouvons occasion de vous envoyer les Filles de la Charité que la reine demande, nous le ferons au plus tôt et tâcherons de leur donner ce qu’il faudra.

Je loue Dieu de tout ce que vous me mandez touchant l’union (1), les ordinands, le séminaire et Monsieur votre prédécesseur (2), et prie Notre-Seigneur qu’il bénisse tout cela, qu’il sanctifie les âmes du roi et de la reine et qu’il bénisse leur royaume.

Il me semble, Monsieur, que nous n’avons rien de considérable à vous mander, sinon la continuation de la maladie de Monsieur Ponchin et de notre frère Ducournau, qui n’est pas encore hors de danger, non plus que le premier, en qui il n’y a aucune espérance de vie.

Je souhaite bien fort que vous fassiez célébrer la

2) Elle avait demandé conseil au saint au sujet de l’hôpital de Vire

Lettre 1768. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

1) L’union de la cure de Sainte-Croix

2) L’ancien curé de Sainte-Croix

 

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sainte messe à nos clercs au plus tôt, à ce qu’ils puissent servir plus utilement.

Les ordres que j’ai eus par deux ou trois fois de la Sacrée Congrégation, d’envoyer quelque prêtre en Suède, et le rencontre que Monsieur Guillot a fait de Monsieur l’ambassadeur de France pour Suède (3), et tout ce qu’il lui a dit, me touche beaucoup et me fait souhaiter qu’il plaise à Dieu de bénir votre famille pour secourir les pauvres catholiques qui sont dans ledit royaume, où l’on me mande de Rome qu’il y en a de cachés.

Nos gens de Barbarie sont à telle édification, par la miséricorde de Dieu, que le bacha de Tripoli, en Barbarie, demande qu’on lui donne quelqu’un qui fasse comme eux, et se propose même d’en écrire au roi ; c’est ce que Monsieur le prévôt de Marseille (4) me mande, à l’instance de quelques-uns qui ont commerce en cette ville-là et qui en viennent. O Monsieur, que de portes ouvertes pour servir Notre-Seigneur ! Priez-le, Monsieur, qu’il envoie des ouvriers à sa vigne et que les abominations de ma vie ne rendent point la compagnie indigne de cette grâce.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Suscription. A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission de Varsovie, à Varsovie.

3) Le baron d’Avaugour, mort à Lubeck en septembre 1657.

4) Pierre de Bausset (1629-1678).

 

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1769. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

5 septembre 1654.

Jamais les personnes fondées n’auront assez de gratitude pour leur fondateur. Dieu. nous a fait la grâce, ces jours passés, d’offrir au fondateur d’une de nos maisons le bien qu’il nous a donné, pource qu’il me semblait qu’il en avait besoin. Et il me semble que, s’il l’avait accepté, j’en aurais senti une très sensible consolation, et crois qu’en ce cas sa divine bonté se rendrait elle-même notre fondatrice et que rien ne nous manquerait. Et quand cela n’arriverait pas, quel bonheur, Monsieur, de s’être appauvri pour accommoder celui qui nous aurait fait du bien ! Dieu nous a fait la grâce d’en user une fois comme cela, et j’en ai une consolation, toutes les fois que j’y pense, que je ne vous puis exprimer.

 

1770. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce onzième septembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vos chères lettres me donnent toujours sujet de rendre grâces à Dieu ; je le fais par celle-ci au sujet de toutes les bontés incomparables du roi et de la reine vers votre petite famille. O Monsieur, que je prie Dieu qu’il sanctifie de plus en plus Leurs Majestés et bénisse leur

Lettre 1769. — Cahier du frère Louis Robineau, p. 154.

Lettre 1770. — L. s. — Dossier de Pologne, original

 

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royaume pour l’amour d’eux ! Nous prions Dieu incessamment pour elles.

Béni soit Dieu, Monsieur, de ce que votre union (1) s’avance par le zèle et la sage conduite du bon Monsieur de Fleury ! Je vous supplie, Monsieur, de le saluer de ma part et lui faire un renouvellement des offres de mon obéissance.

Je ne vous dis rien de Monsieur Zelazewski, sinon que je le recommande à Notre-Seigneur de tout mon cœur, et je serais consolé d’apprendre comme il a pris la lettre que je lui ai écrite.

Je vous ai déjà écrit que nous cherchons commodité d’envoyer deux sœurs de la Charité. L’on nous en a parlé d’une qui ne me revient pas, c’est avec un huguenot qui s’en va de delà. Je vous prie, Monsieur, d’assurer la reine que nous ne perdrons pas un moment pour cela J’estime que M. Guillot et nos frères sont déjà arrivés ; je vous prie de les embrasser de ma part.

Nos astrologues de deçà assurent le public qu’il n’y a rien à craindre du côté de l’éclipse. J’ai vu Monsieur Cassandieux (2) qui est un des plus savants et des plus expérimentés du temps, qui se moque de tout ce que l’on a fait craindre et en donne de très pertinentes raisons, comme, entre autres, celle-ci, que nécessairement il arrive une éclipse de soleil tous les six mois, soit en notre hémisphère ou en l’autre, à cause du rencontre du soleil et de la lune en la ligne écliptique, et que, si l’éclipse avait cette malignité que vous me marquez par les mauvais

1) L’union de la cure de Sainte-Croix.

2) Le chanoine Pierre Gassendi, astronome célèbre et auteur de nombreux ouvrages, né à Champtercier, près de Digne, le 22 janvier 1592 mort à Paris le 24 octobre 1655. Expérimentateur habile et observateur sagace, il a vérifié les découvertes des autres et coordonné les faits déjà acquis ; on ne lui doit aucune découverte importante.

 

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effets dont l’on nous menace, que nous verrions plus souvent la famine, la peste et les autres fléaux de Dieu sur la terre. Il dit de plus que, si la privation de la lumière du soleil venant de l’interposition de la lune entre nous et le soleil faisait ce mauvais effet à cause de la suspension des bénignes influences du soleil sur la terre, il s’ensuivrait que la privation de la lumière du même soleil pendant la nuit produirait des effets plus malins, à cause que cette privation dure plus longtemps et que le corps de la terre est environ un tiers plus épais que celui de la lune ; il s’ensuivrait que cette éclipse qui se fait la nuit serait plus dangereuse que celle qui est arrivée le douzième d’août de cette année ; et infère de là avec raison que cette éclipse n’est point à craindre ; et en effet je pense bien que les esprits savants en l’astrologie ne s’en mettent guère en peine, et bien moins encore ceux qui sont instruits à l’école de Jésus-Christ, qui savent que l’homme sage dominabitur astris. Voilà, Monsieur, tout ce que je vous puis dire pour le présent, sinon que notre frère Ducournau est toujours dans le même danger et que Dieu a disposé de Monsieur Ponchin, prêtre du séminaire d’ici. Je recommande le mort et le vivant à vos saintes prières, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission, à Varsovie.

 

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1771. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 18e septembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je prie Dieu, Monsieur, qu’il bénisse votre entremise pour l’union de Sainte-Croix et qu’il ait agréable de vous conserver en parfaite santé pour sa gloire et le bien de son Église.

Je veux croire que le bon Monsieur Guillot et ses compagnons sont maintenant arrivés à Varsovie, où je les embrasse avec vous, Monsieur, avec toute l’affection qui m’est possible, prosterné en esprit à leurs pieds et aux vôtres.

Pour les Filles de la Charité, elles sont toutes prêtes et disposées pour partir à la première commodité qu’elles trouveront. Madame des Essarts leur fait espérer de trouver quelque personne pour les conduire ; je recommande à vos prières leur voyage.

Je ne sache point, Monsieur, avoir pour le présent autre chose à vous mander, sinon que le bon Monsieur Alméras est de retour de Sedan du jour d’hier, où il était allé depuis quelque temps, et la conduite duquel Dieu a béni, en sorte qu’il y a été à édification à toute la cour, qui y était pour lors ; que Notre-Seigneur a ramené en la compagnie Monsieur Chardon, qui en était sorti ; et Monsieur Berthe, qui l’a reçu à Rome, m’écrit qu’il le doit envoyer à Gênes, où il pourra remplir la place du bon Monsieur Martin, qui s’en revient en France pour aller prendre la direction de notre maison de Sedan ; que

Lettre 1771. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

 

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le bon Monsieur du Chesne est toujours malade à Agde, et auquel j’ai écrit de s’en aller à Cahors ou à Notre-Dame de Lorm, où j’espère qu’il recouvrera sa parfaite santé, et à Monsieur Mugnier d’aller prendre sa place à Agde ; que notre pauvre frère Ducournau est toujours malade, lequel je continue à le recommander à vos prières, avec le même Monsieur du Chesne, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Varsovie, à Varsovie.

 

1772. — A LA SŒUR ANNE HARDEMONT

De Paris, ce 22e septembre 1654.

Ma chère Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour. jamais !

Je suis fort réjoui, ma chère Sœur, de l’avis que vous m’avez donné par votre chère lettre, et loue Dieu des bénédictions qu’il donne à vos petits travaux, et l’en remercie de tout mon cœur, et le supplie que par sa bonté infinie il ait agréable de vous les continuer de plus en plus et de vous conserver en bonne santé, et toutes nos chères sœurs qui sont avec vous, lesquelles je salue avec toute l’affection qui m’est possible ; et vous supplie avec elles d’être toujours bien soigneuses, autant que vos emplois le vous pourront permettre, de bien et fidèlement

Lettre 1772. — L. s — Dossier des Filles de la Charité, original.

 

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observer vos règles, et d’être bien humbles et bien soumises à tout ce que vous ordonnera Monsieur l’abbé Dedroit touchant le service des pauvres, croyant que c’est là le vrai moyen de vous rendre de plus en plus agréables aux yeux de Dieu et vraies Filles de la Charité, [dans lequel (1)] je supplie Notre-Seigneur de vous conserver jusques à la mort, qui est le temps qu’il s’est réservé pour vous couronner et vous donner la récompense de vos travaux.

Adieu, ma chère Fille, je me recommande à vos prières, en vous disant que j’écris aussi un petit mot à mondit sieur l’abbé (2) pour vous recommander à lui, comme vous l’avez désiré, et que je suis toujours, comme vous savez, en l’amour de Jésus-Christ, ma chère Sœur, très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription. A ma très chère sœur ma très chère sœur Anne de Hardemont, Fille de la Charité, à Mouzon (3).

 

1773. — A LOUISE DE MARILLAC

[Septembre 1654] (1)

Il y aurait piété d’assister à cette première messe pour les raisons alléguées ; mais il est à craindre que les Filles de la Charité tirent à conséquence cet exemple pour aller voir leurs parents en pareilles occasions, ou semblables.

1) Texte de l’original : en laquelle

2) L’abbé de Mouzon.

3). Près de Sedan, dans les Ardennes.

Lettre 1773. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Cette lettre doit évidemment être rapprochée de la lettre 1774.

 

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Monsieur de Champlan est trop clairvoyant pour ne pas voir lui-même cela, et Mademoiselle Le Gras et toute la famille aussi (2).

Vous verrez par la lettre de la reine de Pologne qu’il n’est pas besoin d’envoyer les filles avant le printemps, et selon cela vous les pourrez occuper ailleurs.

Je ne manquerai de vous offrir à Notre-Seigneur en notre chétive retraite, laquelle je vous prie d’offrir à Notre-Seigneur.

 

1774. A LOUISE-MARIE DE GONZAGUE, REINE DE POLOGNE

24 septembre 1654.

Madame,

Il y a un mois que nous cherchions quelque compagnie sortable pour vous envoyer les Filles de la Charité que Votre Majesté m’a fait l’honneur de me commander de lui envoyer, sans qu’il s’en soit présenté. Nous différerons ce voyage jusques au printemps, selon le commandement que Votre Majesté m’en fait. Je suis bien consolé de la résolution qu’elle a prise d’éloigner un peu ces filles de la demeure de ses missionnaires ; mais je le serai bien aussi quand je saurai que Votre Majesté aura la consolation de voir commencer l’exercice des ordinands, le séminaire des ecclésiastiques et la mission parmi le peuple. Nous n’avons point de paroles assez exprimantes à notre gré la reconnaissance que nous avons des

2) La famille de Gabrielle Le Clerc, épouse de Michel Le Gras, habitait Champlan, en Seine-et-Oise. L’un de ses membres venait d’être ordonné prêtre et Louise de Marillac, pressée par ses parents, avait demandé au saint s’il trouverait bon qu’elle assistât à la première messe.

Lettre 1774. — Reg. I, f° 33, copie prise sur la minute autographe.

 

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incomparables bontés que Votre Majesté témoigne incessamment à ses missionnaires et des grands biens qu’elle leur fait. Je souhaite bien, Madame, que leurs prières et les nôtres contribuent quelque chose à tant d’autres qui se font pour obtenir de Dieu la victoire contre les Moscovites. O Madame, que je prie bien Dieu pour cela et le fais prier par cette petite compagnie !

 

1775. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 25e septembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La reine m’a fait l’honneur de m’écrire et me mande de ne pas envoyer les Filles de la Charité encore sitôt, conformément à ce que vous me dites aussi par la vôtre.

J’ai peine pour l’ordination que vous me dites n’avoir pu faire encore cette fois (1) ; néanmoins, Monsieur, il se faut conformer en cela au bon plaisir de Dieu et attendre le moment que sa divine Providence a ordonné pour cela. Je loue Dieu, Monsieur, de ce que Monseigneur de Posnanie a agréable de se mêler de l’union de votre cure (2) (j’espère, cela étant, qu’elle en sera encore plus assurée), comme aussi du dessein que vous me dites que la reine a d’acheter une maison plus éloignée pour les sœurs de la Charité ; aussi bien l’hôpital me semblait-il trop proche de vous, si elles y fussent demeurées.

Lettre 1775. — L. s — Dossier de Pologne, original.

1) Le catalogue du personnel porte pourtant que Antoine Durand et René Simon furent ordonnés prêtres en "septembre 1654", et Jacques Eveillard en "1654", probablement avec les deux autres. Il est à croire que les obstacles à l’ordination tombèrent entre le jour où M. Ozenne écrivit au saint et celui où le saint lui répondit.

2) La cure de Sainte. Croix

 

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Je suis fort consolé d’apprendre que Monsieur Guillot et ses compagnons soient si proches de vous. Je les salue et les embrasse avec vous de tout mon cœur, prosterné que je suis en esprit à leurs pieds et aux vôtres, et ne sais comme quoi ils manquent d’argent, pource que, Monsieur, il me semble que l’on leur en avait donné suffisamment ici pour leur voyage. Mais quoi ! je me suis trompé ; j’en suis bien fâché (3).

Je m’étonne que vous n’ayez point reçu ma lettre, comme vous me dites, pource que je ne manque point toutes les semaines de vous écrire.

Voici, Monsieur, une nouvelle qui, je m’assure, vous affligera ; mais quoi ! il faut se soumettre à tous les ordres de Dieu ; et c’est, Monsieur, que notre bon Dieu a disposé de notre bon frère Dassonval depuis quelques jours, à ce que m’a écrit Monsieur Senaux. Mon Dieu ! Monsieur, quelle perte pour la compagnie et particulièrement pour la petite maison de Troyes ! Je vous assure que je crains qu’avec ce saint homme le bon Dieu n’ait retiré les bénédictions qu’il versait sur la compagnie à son sujet. J’en suis si affligé que je ne puis à qui le dire. Le même Monsieur Senaux m’écrit qu’il est mort avec toutes les marques d’un saint. Je ne vous en dirai point davantage pour le présent, me réservant de vous envoyer les choses les plus remarquables qu’ils en auront recueillies, en cas qu’ils me les envoient de Troyes, comme je pense qu’ils le feront, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je ne puis écrire à la reine à ce voyage ; l’on m’a ôté

3) Ces mots, depuis "Mais quoi" sont de la main du saint.

 

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la plume de la main que je la commençais. Il ne sera pas besoin de lui dire que je vous ai écrit depuis avoir reçu sa lettre (4).

Au bas de la première page. M. Ozenne.

 

1776. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[Vers le 25 septembre 1654] (1)

Je recommande à vos prières l’âme de notre frère Dassonval, aveugle, duquel le bon Dieu a disposé ces jours passés en notre maison de Troyes, où Dieu bénissait les leçons et conférences qu’il faisait au séminaire à un point que je ne saurais vous exprimer. Certes elle a beaucoup perdu en lui. Il est mort avec toutes les marques d’un saint et grand serviteur de Dieu.

 

1777. — FIRMIN GET

De Paris, ce 2e octobre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres quasi en même jour, quoique de différentes dates ; elles me parlent toutes deux de la continuation de la maladie de Monsieur du Chesne et comme vous y avez envoyé Monsieur Huguier et les lettres que je lui écrivais à Marseille. Vous avez raison,

4) Ce post-scriptum est de la main du saint.

Lettre 1776. — Manuscrit de Lyon.

1). Ce fut le 25 septembre 1654 ou aux environs que saint Vincent apprit la mort de Jean Dassonval. (Cf. 1. 1775)

Lettre 1777. — L. s. — Dossier de la sœur Hains, original.

 

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Monsieur, de me dire qu’il avait peu d’inclination pour Marseille (1) ; et peut-être que c’est du ressort de la divine Providence, qui veut que je vous prie, comme je fais et ai fait ci-devant, ce me semble, de prendre la supériorité de cette maison-là, que vous avez exercée avec bénédiction jusques à cette heure, depuis le départ dudit sieur du Chesne et auparavant ; faites donc cette charité à la compagnie, Monsieur, je vous en prie avec toute l’affection que je le puis.

Si j’eusse su votre avis touchant ce changement de Monsieur Mugnier pour Agde et de Monsieur Huguier pour Toulon, je l’aurais pu suivre ; mais à présent que je l’ai écrit, fondé sur ce que Monsieur Mugnier pourra parler en public à Agde, ce que ne fera pas Monsieur Huguier, qui peut faire ce que ledit sieur Mugnier fait à Toulon, que ferons-nous à cela ? Certes j’y vois de la difficulté à en user autrement, attendu que j’en ai écrit par trois fois à Monsieur Mugnier et qu’il me mande qu’il s’en va à Agde. Si le changement n’est pas fait encore et Monsieur Mugnier est à Toulon et Monsieur Huguier à Agde, nous différerons la résolution jusques à ce que nous ayons de vos nouvelles, et j’écrirai cependant à Monsieur Mugnier qu’il diffère son départ jusques à un nouvel ordre.

Je suis bien étonné de ce que Monsieur Le Vacher vous a écrit d’acquitter le prix des étoffes que ce marchand lui a envoyées, pource que je lui avais déjà écrit qu’il ne s’appropriât rien de delà de ce que les marchands lui avaient envoyé pour d’autres fins ; et pource que je vois, d’un autre côté, qu’il n’a pu faire autrement, à cause que nous ne lui avons pas envoyé d’argent, je vous prie, Monsieur, de prendre à change les deux cents

1) Cette phrase a été biffée, peut-être par M. Get.

 

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livres qu’il faut rendre audit marchand, et nous tâcherons de l’acquitter ici à sept ou huit jours de vue. Nous avons quittance du trésorier de l’épargne des taxes que l’on a faites sur leur revenu de Barbarie et le vôtre, mais nous n’en avons point encore la mainlevée ; et ainsi sommes-nous toujours en peine d’en trouver en pareille rencontre.

Je dirai à Madame la duchesse d’Aiguillon l’appréhension que vous avez que les 500 écus qu’elle vous a envoyés pour les faire tenir par la première barque à Tunis, ne partent pas sitôt. Je vous prie, Monsieur, pourtant de les envoyer par la première barque et de vous employer à la délivrance d’un nommé Mariage, esclave à Tétouan (2), conformément au billet ci-inclus que je vous envoie, et de me donner avis par le premier courrier si vous pourrez négocier cela avec Monsieur Prag, qu’on dit être consul général en ces quartiers-là. Cette affaire m’est recommandée par des personnes que nous avons obligation de servir. Je vous prie derechef, Monsieur, d’y tenir la main et d’embrasser de ma part Monsieur Champion, auquel, comme à vous, je suis, Monsieur, très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je ne manquerai de faire tenir à Monsieur Lebel la seconde lettre de Monsieur Brosses et le ferai prier de lui donner avis de son affaire.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur de la Mission de Marseille, à Marseille.

2) Ville et port du Maroc, sur la Méditerranée,

 

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1778. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 2e octobre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Béni soit Dieu de l’arrivée de Monsieur Guillot et de nos frères et de l’accueil que vous leur avez fait ! O Monsieur, que je souhaite que ces missionnaires de Pologne aient un même cœur ensemble en celui de Notre-Seigneur ! Et c’est de quoi je le prie de tout mon cœur, et qu’il vous continue la grâce qu’il vous a faite d’unir si bien à vous et entre eux les missionnaires que vous aviez à Troyes. Je m’assure qu’il ne tiendra pas à vous.

Mon Dieu ! Monsieur, quelles actions de grâces rendrons-nous à Monsieur de Fleury, qui vous traite avec une si incomparable bonté ! Je prie Dieu qu’il soit son remerciement et sa récompense pour tous les biens qu’il nous fait ; et je vous prie, Monsieur, de lui faire un renouvellement des offres de mon obéissance et de lui témoigner la reconnaissance que j’ai de tous les biens qu’il vous fait.

Rien ne presse pour l’argent duquel vous me parlez, attendu même le besoin que vous en avez. Vous me marquez qu’il vous faut cinquante écus pour la contribution de la république ; les ecclésiastiques n’en sont-ils point exempts de cela ? Monsieur Martin, que nous avons fait venir de Gênes pour Sedan, me disait hier qu’entre les témoignages que cette république-là a rendus à la compagnie de sa bienveillance, celui de l’exemption de ces sortes de droits en est un. Je ne vous dis pas ceci pour

Lettre 1778. — L s. — Dossier de Pologne, original.

 

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demander le même, si ce n’est qu’on donne cela à d’autres communautés.

Je loue Dieu de la bonté que Monsieur l’official pour vous et de ce que Monseigneur de Posnanie lui mande qu’il veut achever votre affaire lui-même comme il faut.

Vous avez raison de ne pas souhaiter des cures qu’au cas que vous me mandez, elles empêchent le bien plus universel des missions et des séminaires. Avez-vous fait tenir ma lettre à ce bon seigneur qui m’a fait l’honneur de m’écrire de Rome pour une chose semblable ? Je vous prie, Monsieur, de m’en donner avis et d’embrasser de ma part Monsieur Guillot et nos frères. Je les salue tous, prosterné en esprit à leurs pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission, à Varsovie.

 

1779. — A MONSIEUR CHARRIN (1)

7 octobre 1654.

Monsieur,

J’ai reçu celle dont il vous a plu m’honorer, avec grand respect et reconnaissance des bontés incomparables que vous avez pour nous. Je vous en remercie très

Lettre 1779 — Reg. 1, f° 16, copie prise sur la minute de la main".

1). Le nom du destinataire nous est connu par la lettre du 10 septembre 1655 à M. Charrin

 

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humblement, Monsieur, et vous supplie d’agréer que je vous fasse un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle avec toute l’humilité et l’affection que Je le puis, et que je vous die que je suis plein de confusion de l’honneur que vous nous faites de jeter les yeux sur notre chétive compagnie et d’agréer la proposition qui vous a été faite pour l’établir dans votre bonne ville de Lyon ; et c’est, Monsieur, de quoi je vous remercie très humblement, et par vous, s’il vous plaît, Monseigneur l’archevêque (2), de la grâce qu’il nous fait de l’agréer, sur la proposition que vous lui en avez faite, et reçois la même proposition avec toute l’humilité que je le puis, et tâcherai de vous envoyer des ouvriers, lorsque vous, Monsieur, me ferez l’honneur de me le commander. Que si vous nous jugez (capables) (3) de vous pouvoir obéir, commandez donc, Monsieur, et vous serez obéir, non seulement au fait dont il s’agit, mais aussi en toutes les occasions qu’il vous plaira me faire l’honneur de me commander, qui suis….

 

1780. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 9e octobre 1654.

Monsieur,

O Monsieur, que je suis affligé pour la nouvelle que vous me donnez du progrès des armes des Moscovites dans la Pologne (1) et que je prie bien Dieu qu’il lui plaise

2) Camille de Neufville de Villeroy (1654-1693).

3) Le copiste a oublié ce mot ou un mot équivalent.

Lettre 1780. — L. s. — Dossier de Cracovie, original

1). Les Cosaques, soulevés par Bogdan Chmielnicki, s’étaient mis en 1654 sous la protection du tsar de Moscou, Alexis Mikhailovitch qui marcha avec eux contre la Pologne et réussit à rentrer dans Smolensk.

 

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de regarder la sainteté des âmes du roi et de la reine, et tant de bonnes œuvres qu’ils font dans leur royaume et au dehors, et celles qu’ils projettent de faire ci-après ! J’espère cela de sa divine bonté, et c’est ce que je lui ferai demander incessamment et demanderai moi-même, quoique très indigne pécheur.

Je ne sais point de raison pour laquelle toutes les personnes de la compagnie, deux exceptées (2), doivent priver le public de leur exemple au chœur, et eux-mêmes du mérite qu’ils en auront, et Notre-Seigneur de la gloire qu’il en retirera. Nous en usons ainsi partout où nous avons des cures, comme à Richelieu et à Sedan. Et n’importe de dire qu’on n’est point fait à ce chant-là ; leur récollection et leur modestie feront une harmonie très agréable à Dieu et d’édification aux hommes. Et puis vraisemblablement l’Église a désiré premièrement cette manière de dire son office ; et lorsqu’il y a eu des ecclésiastiques non attachés à quelque église particulière, c’est alors que l’on a permis à un chacun de dire l’office en particulier ; et Dieu nous ayant appelés pour servir à l’instruction des ordinands et des séminaires, devons-nous pas dès à cette heure nous dresser et nous habituer à cela ? Par la grâce de Dieu, nos trois frères savent chanter ; ils ne seront pas inutiles, sinon d’abord, pour le moins avec le temps, en cette sainte action. Hélas ! Monsieur, combien avons-nous de laïques dans Paris qui assistent tous les jours à matines et à vêpres dans leur paroisse ! L’usage ancien était d’y assister jour et nuit, d’où viennent les nocturnes de matines. Ces Messieurs de la conférence des mardis ont pour maxime de prendre le surplis et de chanter par toutes les églises où

2) Les mots "toutes les personnes de la" et "deux exceptées" sont de la main du saint.

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ils se trouveront, si l’on leur permet. Et tout cela étant ainsi (3), quelle raison y a-t-il donc de priver le public de cette édification, le bon Dieu de cette gloire et nous-mêmes de ce mérite ? Je vous prie, Monsieur, de leur dire de ma part que je les prie de se donner à Dieu pour laisser cet exemple à la postérité.

Monsieur Guillot m’a écrit, mais il m’est impossible de lui faire réponse ; les embarras me tiraillent d’un coté et d’autre ; aussi bien me semble-t-il qu’il n’y a rien en sa lettre qui presse.

J’embrasse Monsieur Desdames, et lui et tous nos frères pareillement, et cela avec toutes les tendresses de mon cœur.

J’oubliais à vous dire que Monsieur Le Gros vous envoie l’acte d’union de la cure de Richelieu à la Mission et une lettre qui contient leurs pratiques ; mais, pour bien faire et sans inconvénients cette union, il semble qu’il était à souhaiter qu’il plaise à Monseigneur de Posnanie d’unir en sorte la cure (4) à notre congrégation que celui qui aura la qualité de curé puisse être changé par le supérieur toutes fois et quantes, et qu’il plaise à mondit seigneur d’agréer celui qui lui sera présenté lorsque l’on changera le curé dans la compagnie ; et cela pour éviter un inconvénient fâcheux qui est arrivé en cette compagnie, en laquelle ayant présenté à (5) Monseigneur l’évêque un prêtre (6) du corps pour (7) une cure qui lui est unie, il refuse maintenant de résigner le titre à un autre et la veut garder pour lui, à quelque prix que

3) Ce commencement de phrase est de la main du saint.

4) La cure de Sainte-Croix.

5). Première rédaction : donné pour. La correction est de la main du saint.

6) Première rédaction : curé. Le mot prêtre est de la main du saint

7) Première rédaction : à. Le mot pour est de la main du saint.

 

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ce soit. Je vous supplie, Monsieur, d’en parler à Monsieur de Fleury, à ce qu’il ait agréable d’en parler à Sa Majesté, et * elle d’en écrire à mondit seigneur de Posnanie. Ce que je vous dis ici est de grand poids. Je vous supplie, Monsieur, d’y faire attention et de négocier cette affaire au plus tôt avec mondit sieur de Fleury, auquel je fais un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, à lui et à vous, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’oubliais encore à vous prier d’envoyer ma lettre au seigneur qui demande des prêtres de la Mission, et cela au plus tôt, parce qu’il me fait demander une réponse du côté de Rome.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission de Varsovie, à Varsovie.

 

1781. — A UN SUPÉRIEUR

Ah ! Monsieur, voudriez-vous bien être à vous sans souffrir, et ne vaudrait-il pas mieux avoir un démon dans le corps que d’être sans aucune croix ? Oui, car en cet état le démon ne nuirait point à l’âme ; mais n’ayant rien à souffrir, ni l’âme ni le corps ne seraient pas conformes à Jésus-Christ souffrant ; et cependant cette conformité est la marque de notre prédestination. Partant ne vous étonnez point de vos peines, puisque le Fils de Dieu les a choisies pour notre salut.

Lettre 1781. — Abelly, op. cit, 1. III, chap. XXII, p. 323. Bien qu’Abelly ne le dise pas clairement, il est probable que ces paroles sont extraites d’une lettre.

 

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1782. — A JEAN MARTIN

De Paris ce 14e Octobre 1654

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris à Sedan, où j’espère que vous serez arrivé, et que la présente vous y trouvera en bonne santé, et où je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ, Monsieur, d’avoir agréable de vous départir ses bénédictions en abondance et de vous donner les grâces nécessaires pour vous dignement acquitter de la charge qu’il lui a plu par sa divine providence de vous commettre.

Voici la lettre que je me suis donné l’honneur d’écrire à Monsieur le marquis de Fabert, laquelle je vous envoie, à l’effet de la lui présenter vous-même, lors de son retour à Sedan.

Je vous supplie, Monsieur, de saluer de ma part Messieurs Lucas et Coglée, avec toute la petite famille, et de leur dire que je les embrasse tous avec toute la tendresse de mon cœur qui m’est possible, prosterné que je suis en esprit à leurs pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur de la Mission de Sedan, à Sedan.

Lettre 1782. — L s. — Dossier de Turin, original.

 

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1783. — A FIRMIN CET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

De Paris, 16 octobre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Monsieur du Chesne m’ayant écrit, il y a huit ou dix jours, de la ville d’Agde qu’il prendrait la première barque qui partirait pour Marseille, il y a sujet d’estimer qu’il y est arrivé, et de remercier Dieu du meilleur état auquel sa bonté l’a mis. Il ne parle point d’amener Monsieur Lebas quand et lui (1), et je pense qu’il ne l’a pas fait. Je ne recommande point à vos soins ce serviteur de Dieu ; je suis assuré que vous en aurez plus que de votre propre santé. S’il plaît à Dieu de lui redonner la sienne, il semble que sa divine providence l’appelle ailleurs ; mais il faut qu’il ait du temps pour reprendre ses forces auparavant. J’espère cependant que Monsieur Mugnier sera parti au plus tôt après l’arrivée de Monsieur Huguier à Toulon, et cela pour aller prendre la place dudit sieur du Chesne à Agde. S’il ne l’est pas encore et qu’il ait besoin de quelque chose, Je vous prie de le lui fournir pour son voyage.

Comme vous persévérez par votre humilité à demander d’être déchargé de la direction de la maison de Marseille, je continue à vous prier du contraire, qui est d’en faire les fonctions, conformément à ce que je vous ai écrit. Je vous prie, Monsieur, de trouver bon que je vous demande quelle raison vous avez eue de me celer ce que vous me mandez par votre dernière, que vous avez emprunté

Lettre 1783 — L. s — Dossier de la sœur Hains, original

1) Quand et lui, avec lui. "

 

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douze cents livres de Messieurs les administrateurs de l’hôpital et comment vous avez souffert les dettes de la maison, montant à quinze cents livres d’un côté, et qu’il en faut autant pour achever. Je vous avoue, Monsieur, que j’ai été autant surpris de cela que de chose qui me soit arrivée il y a longtemps. Si vous étiez gascon ou normand, je ne le trouverais pas étrange ; mais qu’un franc Picard et une personne que je regarde pour une des plus sincères de la compagnie m’ait celé cela, est-ce que je puis ne pas m’en étonner, non plus que du moyen de satisfaire à tout cela ? Mon Dieu ! Monsieur, que ne me l’avez-vous dit ? Nous aurions mesuré la continuation de l’entreprise à nos forces, ou, pour mieux dire, à notre impuissance. Vos lettres étaient conçues en sorte que je croyais que les mille livres dernières que nous vous avons envoyées suffisaient pour achever cet ouvrage, et cependant nous voilà dans l’impuissance de satisfaire à ce que vous dites qui est dû et à fournir à la dépense qui reste à faire ; c’est pourquoi il faut honorer la toute-puissance de Dieu par notre impuissance, et en demeurer là, jusques à ce qu’il plaise à Dieu nous donner les moyens de satisfaire à ce que vous me mandez.

Souffrez, je vous prie, que je revienne encore à l’emprunt que vous me mandez que vous avez fait de douze cents livres du grand hôpital, et que je vous die qu’il est bien vrai que je vous ai écrit ci-devant, ou à Monsieur du Chesne, que vous empruntassiez de ces messieurs, et que vous m’avez mandé, ou lui, que ces messieurs faisaient difficulté de nous prêter cette somme. Agréez, Monsieur, je vous supplie, que dans l’esprit de simplicité je vous die ceci. Il est vrai que vous m’avez mandé, avant que d’entreprendre le bâtiment, qu’il coûterait plus que d’autres ne me disaient. Il aurait

 

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été à souhaiter que vous en eussiez usé de La sorte dans la suite ; nous ne nous fussions pas embarqués en cette entreprise, ou pour le moins à la continuation.

Je vous supplie, Monsieur, d’envoyer au plus tôt la lettre de change de 1.530 livres pour le rachat de la femme et de la fille de Michel François. Ce pauvre homme s’en va les attendre à Marseille ; et moi je prie Dieu qu’il vous conserve la santé qu’il vous a donnée, et de laquelle vous faites un si bon usage avec sa grâce, et suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

J’oubliais à vous parler de l’avis de Monsieur l’abbé de Sainte-Colombe ; quoi faire à cela ? Il faut attendre avec patience l’événement de cette affaire, et me mander si vous en avez appris quelqu’autre chose. Je suis derechef en attendant (2)…

Au bas de la première page : M. Get, supérieur de la Mission de Marseille

 

1784. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 16 octobre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu de ce que vous me mandez que notre

2) Ce post-scriptum a été ajouté, une fois la lettre finie dans l’espace blanc laissé entre les mots "suis en son amour" et la formule finale, de sorte que cette dernière formule sert de conclusion à la lettre et à son post-scriptum.

Lettre 1784 — L. s. — Dossier de Pologne, original.

 

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frère Eveillard se porte bien, et de ce que lui et nos autres chers frères sont maintenant dans les ordres sacrés ; mais je suis consolé au point que je ne vous puis exprimer des missions que Messieurs Desdames, Zelazewski, Guillot et Duperroy s’en vont commencer ; et que je prie Dieu de bon cœur qu’il bénisse leurs travaux et les vôtres, comme aussi les armes du roi, les libéralités duquel nous ne saurions jamais assez reconnaître, non plus que celles de la reine.

Je suis aussi fort consolé de ce que vous me dites que la sœur assistante se porte mieux, et prie Notre-Seigneur qu’il ait agréable de lui redonner sa première et parfaite santé, s’il le juge bon pour sa gloire.

Je loue Dieu aussi de ce que le décret de votre bien s’achève et de ce que vous me dites que vous allez envoyer le tout à Monseigneur de Posnanie pour faire l’union ; mais je vous supplie, Monsieur, au nom de Notre-Seigneur, de faire attention très particulière à ce que je vous ai mandé par ma dernière, qui est de faire en sorte surtout qu’il soit permis au supérieur général de La compagnie de changer ceux de la compagnie qui seront nommés pour exercer la cure, toutes fois et quantes qu’il trouvera à propos, et d’y en mettre d’autres en la place ; et ce point ici est de très grande importance pour les événements qui sont arrivés depuis peu à l’égard de quelques cures qu’a la compagnie (1) Que si la chose était déjà faite, je vous supplie, Monsieur, de faire votre possible (2) que cette condition y soit ajoutée, et d’en parler

1) Le secrétaire avait écrit "de quelques cures de la compagnie et dont l’évêque ne veut point en pourvoir qu’à ceux qu’il lui plaît et s’en réserver le titre" Le saint a changé de en qu’à et raturé ce qui suit le mot compagnie.

2). Première rédaction : de faire en sorte. La correction est de la main du saint.

 

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même à Monsieur de Fleury, afin qu’il fasse entendre cela à la reine, s’il l’a agréable (3).

Je vous supplie, Monsieur, de saluer de ma part le même Monsieur de Fleury et de lui dire que je lui fais un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, le suppliant très humblement de l’avoir agréable, et de l’assurer qu’il n’y a personne au monde sur qui il ait un pouvoir plus souverain que sur moi, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Varsovie, à Varsovie.

 

1785. — A MONSEIGNEUR DE FERENTILLI

16 octobre 1654.

Monseigneur,

J’ai reçu celle qu’il vous a plu me faire l’honneur de m’écrire, avec tout le respect et l’humilité que je vous dois, comme aussi la lettre et le livre que vous envoyez à l’ambassadeur de Portugal, entre les mains duquel je les ai remis moi-même, et lesquels il a reçus avec beaucoup de respect et de témoignage de reconnaissance vers vous, Monseigneur. J’ai pris de là occasion de lui dire deux mots de vous, Monseigneur, et de la considération en laquelle vous êtes dans la cour de Rome et en celle-ci, et cela, Monseigneur, en vue des choses que son maître demande à Rome et de la disposition qu’il doit faire des

3) Ces trois derniers mots ont été ajoutés par le saint de sa main.

Lettre 1785. — Reg. 1, f° 28 v°.

 

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mêmes choses qu’il demande. Il n’ouvrit pas votre lettre en ma présence, mais il me fit l’honneur de me dire qu’il désirait venir passer une journée tout entière chez nous à Saint-Lazare, pour me faire l’honneur de me parler plus à loisir. S’il me fait cet honneur, vous pouvez bien vous assurer, Monseigneur, que je n’oublierai rien de tout ce que je jugerai être à propos de lui dire pour votre service.

Je souhaiterais, Monseigneur, qu’il plût à Dieu de me faire naître souvent des occasions de vous servir qui fussent plus considérables, et Dieu sait, Monseigneur, avec quel cœur je vous y obéirais. Certes ce serait comme à un des plus grands protecteurs qu’ait aujourd’hui notre petite compagnie, dont je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ en être lui-même votre remerciement et votre récompense, et je vous prie de croire, Monseigneur, qu’il n’y a personne au monde qui ait plus grand désir de vous obéir et sur qui vous ayez un pouvoir plus souverain que sur moi, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre…

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

 

1786. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

17 octobre 1654.

Je ne vous écris qu’un mot pour vous témoigner la joie de mon cœur au sujet des bénédictions extraordinaires que Dieu vient de donner à vos travaux, et des miracles que vous avez faits dans votre mission… Certes, Monsieur, je ne puis me retenir : il faut que je vous dise tout

Lettre 1786. — Collet, op cit., t. II, p. 341.

 

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simplement que cela me donne de nouveaux et de si grands désirs de pouvoir, parmi mes petites infirmités, aller finir ma vie auprès d’un buisson, en travaillant dans quelque village, qu’il semble que je serais bien heureux, s’il plaisait à Dieu de me faire cette grâce.

 

1787. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÈNES

De Paris, ce 23e octobre 1654.

Monsieur,

J’ai reçu deux de vos lettres ensemble, l’une du mois passé et l’autre du 6 de ce mois. La première ne requiert point de réponse ; la seconde me fait voir l’entretien que Monseigneur le cardinal a daigné avoir avec vous au sujet de la maladie de Sa Sainteté (1) et de son voyage à Rome. Or, je rends grâces à Dieu, Monsieur, de ce qu’il vous suggéra sur-le-champ les choses les plus pressantes à faire pour la congrégation, les indulgences et l’approbation de nos vœux, et de l’incomparable bonté avec laquelle Son Éminence reçut cela. O Monsieur, que cela m’a touché et que je prie bien Notre-Seigneur qu’il conserve et sanctifie de plus en plus ce grand et saint prélat ! J’ai communiqué ce que vous me mandez à Messieurs nos assistants, lesquels sont ravis de cette nouvelle. M. Alméras me dit que c’est là l’entier bonheur de la compagnie et que, s’il plaît à Son Éminence nous procurer cette grâce au temps que la Providence mettra les choses en état, que c’est là donner l’être et la perfection à la compagnie et la rendre toute sienne pour le temps et pour l’éternité. Et moi, Monsieur, je n’ai point de parole

Lettre 1787 — L a — Original au séminaire de la Solitude à Issy

1) Innocent X. Il mourut en 1655.

 

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pour exprimer la reconnaissance que j’ai de tant et tant de biens et de grâces que nous recevons incessamment de ce grand et saint prélat.

Nous travaillerons au projet de la supplique et le vous enverrons, et prions Dieu cependant qu’il nous conserve et bénisse votre personne et vos conduites de plus en plus.

Il est bien juste, Monsieur, que nous vous envoyions des ouvriers à la place de ceux que vous nous avez envoyés à Rome et ici ; assurez-vous que j’aurai l’œil ouvert pour cela. J’ai eu la pensée de vous envoyer deux jeunes hommes qui doivent entrer aujourd’hui ou demain au séminaire, qui ont tous deux étudié en philosophie et sont très bons, à ce que M. Cuissot nous écrit de Cahors : l’un (2) où il a fait ses études et est neveu de M. Water, qui enseigne le séminaire il y a dix ou douze ans en ce lieu-là ; et l’autre a fait sa philosophie céans et est aussi un des plus vertueux jeunes hommes que je connaisse, aussi sage et judicieux, âgé d’environ 24 ans (3). Voyez si vous désirez que je les vous envoie. Avez-vous un directeur pour le séminaire ? Si non, nous les façonnerons ici pour vous, comme deux des meilleurs sujets que nous ayons, sinon nous tâcherons de vous en envoyer de plus faits au plus tôt, Dieu aidant.

J’écrirai, selon votre ordre, à M. d’Esmartins à Rome. Monsieur Rome ne nous a point encore envoyé le portrait de Monseigneur le cardinal. O Monsieur, que vous nous faites là un grand présent ! Je vous en remercie avec toutes les tendresses de mon cœur.

2) Nicolas Water, né à Cork (Irlande) en décembre 1632, reçu dans la congrégation de la Mission le 23 octobre 1654, ordonné prêtre en 1659. Il fut envoyé en Irlande peu après son ordination et y prêcha l’Évangile. avec fruit.

3.) Nicolas Water entra seul dans la congrégation le 23 octobre : la réception suivante n’eut lieue le 22 novembre

 

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Je vous salue cependant et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL.

i. p. d. l. M.

Notre pauvre frère Ducournau ne se peut ravoir. Je le recommande à vos prières.

Au bas de la première page : M. BLATIRON.

 

1788. — A JEAN MARTIN, SUPÉRIEUR, A SEDAN

De Paris, ce 28 octobre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres depuis votre arrivée à Sedan et vous en ai écrit une qui accompagnait celle que j’ai écrite à Monsieur le marquis de Fabert, le retour duquel je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse.

J’ai été bien consolé des personne, que vous avez visitées, et notamment des écoles, et de ce que vous m’en dites. Je pensais envoyer un second à notre frère la Manière (1) par ce coche ; mais celui sur qui j’avais jeté les yeux n’est pas venu. L’on m’en fait espérer un autre. Je prie cependant Notre-Seigneur qu’il soit la force et la conduite de notre frère pour ce grand ouvrage. Je voudrais être en lieu pour le faire, et Dieu sait de quel cœur je le ferais. Monsieur Prévost (2) aurait-il point

Lettre 1788. — Ls. — Dossier de Turin, original

1) Jacques de la Manière, né le 25 novembre 1624 à Gagny (Seine-et-Oise), entré dans la congrégation de la Mission le 7 octobre 1651, reçu aux vœux le 8 octobre 1653.

2) Nicolas Prévost, né à La Roche-Guyon (Seine-et-Oise), reçu dans la congrégation de la Mission le 20 octobre 1646 à l’âge de

 

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agréable de faire cette charité jusques au prochain coche ? Je suis consolé de ce que vous vous mettez en soin d’avoir un autre lieu propre pour les écoles, et prie Notre-Seigneur qu’il bénisse votre sollicitude pour cela et qu’il bénisse les exercices spirituels de Monsieur Regnault, lequel je vous prie de nous renvoyer dès qu’il les aura achevés, et de lui montrer à cet effet ce que je vous en dis.

L’on a besoin ici de notre sœur Marie (3), de la Charité. Mademoiselle Le Gras lui avait mandé de s’en venir ; ce qu’elle n’a pas fait ; et je ne sais par quel esprit elle en a été retenue. Je vous envoie la lettre que je lui écris, ouverte, laquelle vous cachetterez, s’il vous plaît, et lui ferez rendre ; et ferez en sorte, par vous et par ceux en qui elle a confiance, qu’elle s’en revienne par le premier coche ; et pource qu’elle a l’esprit moins docile et soumis et une tête fâcheuse, peut-être ne le fera-t-elle pas, tant elle est attachée au lieu où elle est. Et au cas qu’elle refuse d’obéir à s’en revenir, je vous prie d’en parler à Monsieur le gouverneur, à ce qu’il ait agréable de lui faire commander d’obéir et qu’elle parte par le premier coche. L’on m’a dit qu’elle s’est vantée qu’elle n’en ferait rien, si je ne lui en écrivais. Cette petite compagnie a vécu jusques à maintenant avec tant de soumission, que l’on n’a jamais vu rien de semblable. Nous envoyons de delà en sa place une fort vertueuse fille, douce et intelligente, et que Dieu a bénie partout où elle a été (4). Elle

trente-quatre ans. Il fut envoyé à Madagascar en 1655 et y mourut en septembre 1656, laissant la réputation d’un missionnaire plein de zèle et de vertu.

3) Sœur Marie Joly

4) La sœur Jeanne-Christine. Elle avait servi les pauvres à Liancourt, à Fontainebleau, sur la paroisse Saint-Gervais à Paris, et avait su mériter partout, suivant le mot de Louise de Marillac, l’applau-

 

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partira dans trois ou quatre jours, avec deux autres fille qu’elle va établir dans l’hôpital de Montmirail en Brie, d’où elle s’en ira à Reims, et de là à Sedan par la vole du coche. J’espère qu’elle édifiera autant que notre pauvre sœur y a malédifié plusieurs.

Je vous envoie des lettres de Monsieur Blatiron, qui vous diront l’état des choses de delà et du petit Raggio (5), qui a maintenant la soutane.

Nos petites nouvelles sont que Monsieur Alméras est à présent assistant de la maison, et Monsieur Chrétien sous-assistant ; que Monsieur Tholard fait la mission d’un côté avec Monsieur l’abbé de Chandenier, qui y est allé travailler, et quelques autres de la maison, et Monsieur Delville la fait en un autre lieu avec quelques autres ; que chacun se porte assez bien, Dieu merci ; qu’il n’y a que moi qui ai grand besoin de la miséricorde de Dieu, que je vous prie lui demander, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je salue très humblement Messieurs Lucas, Coglée et le reste de la petite compagnie (6),

Je vous supplie, Monsieur, de vous informer si le billet y contenu est vrai, et de m’en rendre réponse.

Au bas de la première page : M. Martin.

dissement de la population. Elle fut élue assistante de la communauté en 1660, mais les grandes difficultés qu’il y avait à la retirer de Sedan forcèrent ses supérieurs à l’y laisser.

5). Abelly met au nombre des principaux bienfaiteurs qui aidèrent le cardinal Durazzo à fonder la maison de Gênes Baliano, Raggio et Jean-Christophe Monchia, prêtres, nobles génois. (op. cit, 1. I, chap. XLVI, p. 223 Ce Raggio ne serait-il pas oncle du "petit Raggio"

6) Cette phrase est de la main du saint.

 

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1789. — A LA MÈRE MARIE-CATHERINE DE GLÉTAIN (1)

29 octobre 1654.

Il y a plus de trente ans que j’ai l’honneur de servir vos maisons de cette ville ; mais, hélas ! ma chère Mère, je n’en suis pas meilleur pour cela, moi qui devrais avoir fait un grand progrès en la vertu à la vue des âmes incomparablement saintes… Je vous supplie très humblement de m’aider à demander pardon à Dieu du mauvais usage que j’ai fait de toutes ses grâces.

 

1790. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce dernier octobre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu de ce que vous voilà maintenant dans l’exercice de votre charge, et prie Notre-Seigneur qu’il

Lettre 1789. — Collet, op. cit., t. II, p. 196.

1). La Mère de Glétain, d’abord religieuse dans l’ordre de Saint-Benoît, où elle avait fait profession dès l’âge de seize ans, en était sortie pour entrer au premier monastère de la. Visitation de Lyon dont elle fut supérieure de 1647 à 1652, après avoir exercé la même charge à Mâcon de 1637 à 1643. En 1652, on jeta les yeux sur elle pour la fondation d’un monastère à Aix-la-Chapeile. Là mille difficultés surgirent qu’on n’avait pas prévues ; les appuis sur lesquels on comptait firent défaut. Deux ans s’écoulèrent en vains efforts. Comme on cherchait une supérieure et des sœurs pour la fondation de Pologne, on la pria d’aller à Varsovie avec ses religieuses. Les guerres, la peste, l’exil, les continuelles alarmes et les incertitudes sur la fermeté de la fondation troublèrent ses deux triennaL (1654-1661) et manifestèrent sa grande vertu. Elle mourut à Varsovie le 1er juin 1666. Sa notice a été publiée dans l’Année sainte, t. P 369-384.

Lettre 1790. — L s. — Dossier de Turin, original

 

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ait agréable d’y donner sa sainte bénédiction, sans quoi l’on ne peut pas faire grand fruit.

Nous sommes toujours dans la recherche de quelque personne pour enseigner ; nous en avons un en main, lequel me doit revenir trouver dans cinq ou six jours. Il a désiré avoir le consentement de son père pour cela, et, en cas qu’il l’obtienne, nous vous l’enverrons ; car pour Monsieur de la Fosse, il n’y faut pas penser. Cependant notre frère de la Manière continuera de faire du mieux qu’il pourra. Je pense qu’il est à propos, pour la gloire de Dieu et le bien et utilité de ses écoliers, qu’il se comporte à leur égard d’une façon un peu grave, et je vous prie, Monsieur, d’avoir agréable de l’exhorter à cela, pource que cette façon d’agir les tiendra dans une plus grande vénération et respect envers lui.

Mon Dieu ! Monsieur, que je suis affligé de la mort de Monsieur l’abbé de Mouzon. C’est une personne à qui nous avions de grandes obligations, et pour lequel il est bon que vous fassiez le service dont vous me parlez. J’espère, Dieu aidant, de dire demain ou après la sainte messe à son intention.

J’embrasse de toute l’affection de mon cœur toute la famille de Sedan et particulièrement notre frère la Manière, aux prières duquel, de vous et de toute votre petite compagnie je me recommande très instamment, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL

i. p. d. l. M..

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur de la Mission, à Sedan.

 

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1791. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Je vous supplie, Monsieur, agréez la simplicité avec laquelle je vous parle, et ne vous en attristez pas, s’il vous plaît, mais faites comme ces bons pilotes, qui, se trouvant agités de la tempête, redoublent leur courage et tournent la pointe de leurs vaisseaux contre les flots de la mer les plus furieux qui semblent s’élever pour les engloutir.

 

1792. — A FIRMIN GET

De Paris, ce 6 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je viens de recevoir tout présentement la vôtre du 27 passé, qui me fait voir ingénuement l’augmentation des dettes que j’ignorais, et souhaite qu’il plaise à Dieu nous faire la grâce de toujours procéder de même. Vous avez pour cela un grand avantage : la candeur naturelle du pays et celle de la grâce. Au nom de Dieu, Monsieur, agissons toujours en cet esprit ; et pource que je ne l’ai pas tel naturellement, obtenez-moi la grâce d’en user toujours par la même grâce. Vous tâcherez, s’il vous plaît, de faire différer l’acquittement de ces sommes, et nous tâcherons de les acquitter peu à peu.

Monsieur Mugnier m’écrit ce que vous me mandez de M. du Chesne et qu’il s’en va à Marseille. Je prie Notre-Seigneur qu’il y recouvre la santé et qu’il soit votre ré

Lettre 1791. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XXIV, sect. I, p. 345

Lettre 1792. — L. s. — Dossier de la sœur Hains, original.

 

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compense du soin très cordial que je m’imagine que vous aurez de lui et que vous me faites espérer avec votre bonté accoutumée. Je l’embrasse de toute l’étendue de mon cœur, et vous aussi, Monsieur, avec Monsieur Champion.

Vous me ferez grand plaisir, si déjà vous ne l’avez fait, d’écrire à Monsieur le consul d’Alger (1) de négocier la liberté de Mariage, qui est à Tétouan, et d’envoyer Monsieur Levasseur à Cahors, s’il n’est absolument nécessaire à Agde. Je donnerai avis au mari de cette esclave de ce que vous me mandez.

Je ne vous dirai rien davantage pour le présent, pource que l’on m’ôte la plume de la main, sinon que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur de la Mission, à Marseille.

 

1793. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 6 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Monsieur Guillot m’a écrit qu’il sent mouvement pour s’en aller travailler en Suède, et s’offre à cela de fort bonne grâce, dont je suis bien consolé, et le prie

1) Jean Barreau.

Lettre 1793. — L. s. — Dossier de Pologne, original

 

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d’accomplir ce bon œuvre, et vous, Monsieur, de lui donner ce qu’il faudra pour se conduire jusque-là, et un livre de controverses qui le puisse servir en ce pays-là, et généralement ce qu’il aura besoin. Je vous prie, Monsieur, de faire cela de la meilleure grâce que vous pourrez.

Quant à la cure de ce seigneur, il n’est pas expédient que vous vous (1) en mêliez pour tout.

Je suis bien en peine de la perte que vous avez faite du papier de Sainte-Croix. Je veux espérer que vous l’aurez déjà trouvé ; mais je le suis encore davantage de l’appréhension que j’ai que Monsieur le curé ne soit pas satisfait. Au nom de Dieu, Monsieur, réconciliez-vous ce cœur-là et faites toutes les avances que vous pourrez pour cela.

Je loue votre patience et le support que vous avez pour les façons de faire de la personne dont vous me parlez.

O Monsieur, que j’attends volontiers la nouvelle de la bénédiction que Dieu donnera à la mission que vous faites en ce temps ici ! Je prie derechef Notre-Seigneur qu’il la bénisse et qu’il sanctifie votre personne et votre famille, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

1) Mot ajouté de la main du saint en interligne.

 

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1794. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Novembre 1654 (1).

Mon très honoré Père

J’ai toujours cru, depuis la communication de la lettre de la reine (2) faite à votre charité, qu’il y avait dessein formé de donner une directrice à nos chères sœurs et ma pensée passait plus outre, m’imaginant qu’il serait jugé nécessaire que pour n’en pas manquer après la mort de cette bonne demoiselle. elle pourrait faire entendre à Sa. Majesté que 3 où 4 de sa sorte seraient nécessaires ; que cela approcherait fort des établissements de la Charité étant ses principales officières et nos sœurs agiraient sous elles.

Si nos 2 sœurs ne sont pas changées d’humeur, je crains que la sœur Françoise (3) ne soit pas si franche que la Sœur Madeleine (4) et qu’elle n’ait pas tant de fermeté.

Pour celles que nous devons envoyer, je n’en vois point de plus propre que la sœur Cécile (5), à la réserve qu’étant avec la sœur Marguerite (6) à Angers, je doute qu’elles ne cordassent pas ensemble en toute chose. N’était l’incommodité de ma sœur Julienne (7), à cause des étourdissements et maux de cœur qu’elle a par toutes les voitures, je crois qu’elle y serait assez propre. le laisse à votre charité à juger de ma sœur Jeanne Lepeintre qui s’accorderait fort aux sentiments de Mademoiselle de Villers.

Je crois que nos sœurs se porteront facilement à suivre le sentiment de Monsieur Ozenne de ne se mêler que de ce qu’elles auront la conduite ; mais la difficulté sera que la bonté et familiarité de la reine, parlant à nos sœurs elle pourra leur ordonner de faire des choses que la demoiselle, soit pour maintenir son autorité soit pour d’autres bonnes raisons, leur fera différer, ou peut-être les en empêchera entièrement et ainsi cela peut émouvoir les contestes et jalousies.

Les rencontres des habits et des lits témoignent une puissante

Lettre 1794. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le secrétaire.

2). Louise-Marie de Gonzague, reine de Pologne.

3). Françoise Douelle.

4). Madeleine Drugeon.

5). Cécile Angiboust

6). Marguerite Moreau, alors en Pologne

7). Julienne Loret.

 

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entreprise, au cas que ma sœur. Marguerite l’ait bien rapportée.

Si les dames s’assemblent demain je supplie très humblement votre charité me mander si, dans un petit mémoire que nous avons à faire, nous leur parlerons des fautes des grandes filles treuvées qui étaient en condition.

J’aurais aussi grand besoin de vous parler, si vous le treuvez bon, avec 2 ou 3 de nos sœurs, pour les difficultés qui furent remises à la dernière petite assemblée, et pour moi en particulier, qui demande, pour l’amour de Dieu, à votre charité sa sainte bénédiction, mon très honoré Père, comme à la plus indigne fille et très obligée servante qu’elle est.

L. de M.

 

1795. — A FIRMIN GET

De Paris, ce 13 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Encore que je n’aie point reçu de vos lettres, je vous fais la présente pour vous dire la douleur que j’ai de la grandeur (1) de la maladie de Monsieur du Chesne. O Monsieur, quelle perte ferons-nous là, s’il plaît à Dieu d’en disposer ! Oh bien ! il faut être conforme au bon plaisir de Dieu et espérer qu’il suscitera des pierres (2) des enfants d’Abraham, et se soumettre à son bon plaisir. Je le croyais à Marseille, et le voilà en l’état que je vous dis.

Et vous, Monsieur, que faites-vous ? Avez-vous soin de votre santé ? Au nom de Dieu, Monsieur, ménagez-la et conservez-vous pour le bien de la compagnie.

Lettre 1795. — L. s. — Dossier de la sœur Hains, original.

1) Le secrétaire avait écrit gravité ; saint Vincent a de sa main remplacé ce mot par grandeur.

2). Ce mot est de la main du saint, le secrétaire avait oublié de l’écrire.

 

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L’on vous doit envoyer quelque lettre de change pour le rachat de quelques esclaves de Barbarie, et, si je le puis, je vous en enverrai une au prochain voyage, de deux mille livres, ou environ, pour les envoyer, l’une à Tunis et l’autre à Alger, pour subvenir à leur nécessité quasi extrême et détourner une avanie qu’ils craignent avec sujet à Tunis, faute de ne faire quelque présent honnête au dey. C’est leur bien ; il leur faudra envoyer ; j’en pourrai pourtant distraire les deux cents livres que vous tirez sur moi pour eux.

Je ne puis vous exprimer la difficulté que nous avons à retirer le peu de revenu que l’on a, et de leur envoyer ce qui leur appartient et de satisfaire à vos besoins. Il plaît à Notre-Seigneur de nous priver des commodités temporelles ; plaise à sa divine bonté de nous donner les spirituelles !

Je salue Monsieur Champion, et suis à vous et à lui, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M..

Je vous envoie une lettre de change de 630 livres pour le nommé Guillaume Servin, d’Amiens, détenu esclave. et un billet pour envoyer à Tunis et à Alger, à l’effet de s’informer de la personne y nommée.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur de la Mission, à Marseille.

 

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1796. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris ce 13 novembre 1654

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du quinzième du mois passé, qui ne m’a pas peu consolé par toutes les choses que vous me dites, dont je rends grâces à Dieu, et le prie qu’il bénisse et sanctifie votre personne et votre famille, et par tous deux ce bon peuple auquel vous me mandez que la Providence vous destine pour y faire la mission.

Béni soit Dieu, Monsieur, de ce que voilà Messieurs Durand, Eveillard et Simon qui ont célébré la sainte messe, et de l’honneur que la reine et Monseigneur le nonce leur ont fait d’y assister, et de tous les biens qu’il plaît à la reine de vous faire, et à Monsieur de Fleury de vous procurer !

Je ne puis vous exprimer la consolation que j’ai de ce que Notre-Seigneur vous a rétablis dans la bonne grâce de la dame qui était ci-devant patronne de la cure et qui vous a fait la charité de s’en dépouiller pour vous en revêtir. O Monsieur, que je souhaite qu’il plaise à Dieu faire la grâce à la compagnie d’avoir une éternelle reconnaissance de ce bienfait et de la témoigner souvent à cette bonne dame et à ses successeurs ! Car, quoiqu’elle l’ait fait pour l’amour de Dieu et de la reine, vous ne lui en restez pas moins obligés, puisque c’est vous qui jouissez de l’effet de ses bontés. Si ceci m’a consolé beaucoup, comme il a fait, je vous laisse à penser combien je le suis de la nouvelle que vous me dites de la bénédiction

Lettre 1796. — L. s. — Dossier de Pologne, original

 

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que Dieu donne aux armes du roi, et de la retraite des Moscovites. Je prie incessamment Notre-Seigneur qu’il bénisse de plus en plus ce royaume-là et toutes les conduites du roi et de la reine. Je ne puis vous exprimer les tendresses avec lesquelles je vous dis ceci

Mon Dieu ! Monsieur, que nous sommes obligés à l’ardeur du zèle de Monsieur de Fleury pour l’extension de la compagnie ! Au nom de Dieu, Monsieur, remerciez-l’en en mon nom, et représentez-lui, avec le respect et la soumission que vous lui devez, si ce n’est pas trop entreprendre que de s’offrir à servir dans le collège dont vous me parlez, et qu’il semble que c’est assez de travailler, pour le moins au commencement, à la mission de la campagne et à un séminaire dans la ville. La nature fait prendre des racines profondes aux arbres avant que de leur faire porter du fruit, et cela même elle le fait peu à peu. Notre-Seigneur en a usé de la sorte en sa mission, ayant mené une vie cachée un fort long temps. avant que de se manifester et de s’employer aux œuvres de notre rédemption. Vous lui représenterez cela, s’il vous plaît, le plus doucement et humblement que vous pourrez ; car après tout il faut se soumettre aux lumières que Notre-Seigneur lui donnera.

Vous lui ferez, s’il vous plaît, un renouvellement des offres de mon obéissance et saluerez votre chère famille de ma part, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Nous n’avons point de nouvelles de deçà, touchant la compagnie, qui méritent de vous être écrites, sinon la continuation de la maladie de Monsieur du Chesne à

 

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Agde et de toute sa famille, et celle de notre frère Ducournau ici. Je les recommande à vos prières.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

 

1797. — A LA SŒUR JEANNE DE LA CROIX, SUPÉRIEURE,

A CERQUEUX (1)

13 novembre 1654.

Ma chère Sœur

J’ai une joie sensible de lire votre lettre, parce qu’elle est votre lettre et que vous savez que Notre-Seigneur m’a donné de l’estime pour vous et pour vos conduites. Je vous en remercie très humblement, comme aussi de l’offre que vous me faites de votre cidre, lequel nous achèterions volontiers, s’il était plus proche d’ici ; et puis je pense que vous n’avez point d’autre bien que celui-là pour vous entretenir. Si Notre-Seigneur estime beaucoup la dragme que mit la veuve de l’Évangile dans le tronc, je vous assure, ma Sœur, que j’estime l’offre que vous me faites plus que beaucoup de biens que d’autres personnes pourraient nous offrir, parce que je sais que cela procède d’un fond de votre parfaite charité ; ce qui fait que je prie Notre-Seigneur qu’il soit votre récompense et qu’il bénisse vos travaux, qui ne sont pas petits, mais bien grands et bien méritoires devant Dieu. Continuez donc, ma chère Sœur, le soin de vos malades et de vos petites filles, en union du soin que Notre-Seigneur a eu des malades et des petits enfants, qu’il a tant recommandés. La vie est courte, la récompense est grande, et

Lettre 1797. — Registre intitulé : Recueil de piétés relatives aux Filles de la Charité, p. 651. (Arch. des Filles de la Charité.)

1) Localité de l’arrondissement de Lisieux (Calvados).

 

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moi, ma chère Sœur, je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

1798. — A UN ECCLÉSIASTIQUE

Il parait bien que l’esprit de Dieu a répandu abondamment ses grâces en votre aimable cœur et que le zèle et la charité y ont jeté de profondes racines, puisque rien n’est capable de vous rebuter du dessein que vous avez conçu de procurer la plus grande gloire de Dieu, pour le présent et pour l’avenir, dans votre bénéfice (1) Plaise à sa divine bonté, Monsieur, de seconder vos saintes intentions et de leur donner un heureux accomplissement ! Je vous remercie de toutes les affections de mon âme, de la patience que vous avez pour nous, qui n’avons pu recevoir l’honneur et les biens que vous nous avez offerts et qui n’aurions pu non plus répondre à votre attente. J’espère, Monsieur, que vous trouverez en d’autres la satisfaction entière. Je ne vois pourtant pas bien où vous pouvez vous adresser, parce que je doute si Messieurs de Saint-Sulpice ou Messieurs de Saint-Nicolas-du-Chardonnet voudront vous donner des prêtres. Ce sont deux saintes communautés qui font de grands biens dans l’Église et qui étendent beaucoup les fruits de leurs travaux ; mais la première, ayant pour fin les séminaires, ne s’établit pour l’ordinaire que dans les villes principales ; et la seconde, étant fort occupée dans un grand nombre de saints emplois auxquels elle s’applique pour

Lettre 1798. — Abelly, op. cit, 1. III, chap. XI, sect. V, p 149

1). En Anjou.

 

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le service de l’Église, ne pourra peut-être pas vous fournir sitôt les ouvriers que vous demandez.. J’estime néanmoins que vous ferez bien de leur en faire la proposition, étant toutes deux plus propres et plus capables que nous pour commencer et perfectionner cette bonne œuvre que vous avez tant à cœur.

 

1799. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 14 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je reçus hier tout au soir une de vos lettres, laquelle je n’ai point pu voir encore, si fait bien celle que j’ai reçue par la sœur Marie. Je vous ferai réponse à l’une et à l’autre par le premier ordinaire, comme aussi à Monsieur Coglée, lequel recevra par cet ordinaire une lettre de Monsieur Berthe.

La sœur qui doit aller remplir la place de la sœur Marie à Sedan est à Montmirail en Brie, d’où elle doit partir au plus tôt pour se rendre à Reims, qui en est à quatorze lieues, et de là à Sedan. Je ne crois pas qu’elle puisse aller par ce premier coche ; mais j’espère que ce sera par le second. Cependant, Monsieur, vous encouragerez la sœur qui est restée à Sedan de supporter le fardeau du mieux qu’elle pourra, en attendant

Toute la famille est toujours en même état ici ; il n’y a que notre frère Ducournau, qui a toujours beaucoup de peine à se ravoir. Je le recommande à vos prières, comme aussi Monsieur du Chesne, que l’on me mande être en

Lettre 1799 — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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danger de la vie à Agde, où il est malade ; et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je salue très humblement Monsieur Lucas et le reste de votre famille, et me recommande à leurs prières (1).

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur de la Mission, à Sedan.

 

1800. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Ce lundi 16 novembre 1651] (1)

Mon très honoré Père,

La bonne sœur Marie (2 de Sedan nous quitta après dînée et sans nous dire adieu. Elle a emporté son paquet. Je crains qu’elle parte demain pour s’en retourner à Sedan ; et peut-être la treuverait-on au coche, si votre charité treuvait bon d’y envoyer. Je crains que, quand nos sœurs iraient qu’elles n’eussent pas assez de force pour la retenir. Au moins, mon très honoré Père, je pense qu’il serait nécessaire d’écrire au plus tôt à Sedan pour donner avis de ce que l’on aura à faire si elle retourne à sa maison, car je crains qu’elle aille faire beau bruit et vendre tout ce qu’elle pourra pour faire bonne somme

Voilà une lettre pour ma sœur Jeanne-Christine, à ce qu’elle puisse partir si tôt que votre charité lui ordonnera. Cela sera bien fâcheux si la sœur Marie est de retour plus tôt qu’elle.

Monsieur Ménard m’a mandé que, si votre charité lui envoie un carrosse demain, à une heure ou environ, qu’il ne manquera pas d’aller où il vous plaira. Je crois qu’il jugera bien

1) Ce post-sCriptum est de la main du saint.

Lettre 1800. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Le frère Robineau a ajouté au dos de l’original : "Novembre 1654" La comparaison de cette lettre avec les lettres 1799 et 1801 permet de préciser le jour.

2). Marie Joly.

 

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mieux du malade, s’il le voit au lit que levé ; ce qu’il pourrait peut-être faire aux Bons-Enfants pourvu que le carrosse et la longueur du chemin ne lui puissent faire de mal.

Si j’avais prévu ce qui est arrivé de la sœur. Marie, je l’aurais pu empêcher, la mettant en retraite. Je suis toujours cause de quelque mal C’était la résolution pour demain. J’ai bien besoin que votre charité pense à me donner quelque puissant remède pour me tirer de mes endurcissement et m’aider à être effectivement, mon très honoré Père, votre très humble et très obéissante fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1801. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 18 novembre 16541.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai été prié par Monseigneur l’évêque de Montauban (1) de vous écrire, à l’effet de vous prier, Monsieur, d’avoir agréable d’envoyer notre frère Sirven à l’abbaye de Belval (2), laquelle lui appartient, pour s’informer du contenu au mémoire ci-inclus que je vous envoie. Vous donnerez charge à notredit frère de faire un mémoire, le plus exact qu’il lui sera possible, de l’état des choses, et nous l’enverrez ici, s’il vous plaît, afin de le faire voir à mondit seigneur de Montauban.

La sœur Jeanne-Christine, qui est destinée pour Sedan, est à Montmirail, et lui écris qu’elle s’en aille a Reims, pour de là passer à Sedan. J’espère qu’elle y arrivera par le premier coche de Sedan qui retournera

Lettre 1801 — L s — Dossier de Turin, original

1) Pierre de Bertier (1652-1674).

2) Belval-Bois-des-Dames, commune de l’arrondissement de Vouziers (Ardennes).

 

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d’ici, lequel la prendra à Reims en passant ; c’est une fort bonne et vertueuse fille.

Quant à la sœur Marie, elle est arrivée ici depuis quelques jours et m’a rendu la vôtre. Cette pauvre fille a été tentée de s’en retourner à Sedan ; elle est sortie de chez Mademoiselle Le Gras quelques jours après son arrivée, sans permission, ni sans dire où elle allait ; néanmoins elle est revenue par elle-même. Elle est de présent en retraite ; mais comme c’est un esprit fort léger, il est à craindre que la tentation de retourner à Sedan ne la reprenne. c’est pourquoi, Monsieur, j’ai pensé vous devoir prier qu’en cas qu’elle s’y en retournât, de l’en faire sortir au plus tôt, voire même de faire en sorte, si faire se peut, qu’elle n’entre point dans la ville. Je vous supplie, Monsieur, de ne point parler d’elle à personne du monde et de ce que je vous en dis. Si nous voyons qu’elle persévère après sa retraite dans la même tentation, et qu’il y ait plus grand sujet d’appréhender son retour, je vous en donnerai avis. Cependant je me recommande à vos prières, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur de la Mission, à Sedan.

 

1802. — A FIRMIN GET

De Paris, ce 20 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Lettre 1802. — L,. s — Dossier de la sœur Hains, original.

 

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Enfin, Monsieur, il a plu à Dieu de disposer de feu Monsieur du Chesne, à ce que m’a écrit Monsieur le grand vicaire d’Agde, et non encore Monsieur Mugnier. Je ne le recommande point à vos prières ; je suis trop assuré que vous le ferez ; je vous fais seulement ressouvenir que chaque prêtre doit trois messes pour les défunts de la compagnie, et nos frères une communion et un rosaire.

J’ai prié Monsieur Abelly (1) d’écrire à Agde à Messieurs les grands vicaires, à ce qu’ils s’emploient vers Monseigneur l’évêque (2) pour faire changer de lieu à la petite famille. Nous verrons. Cependant je suis toujours en peine de l’indisposition des autres et ne sais pas même si Monsieur Mugnier n’est pas tombé malade lui-même. Ce qui m’en fait douter, c’est qu’il ne m’a point écrit à ce voyage et que Monsieur le grand vicaire me mande qu’il a assisté notre cher défunt à la mort, et, si je ne me trompe, il dit qu’il était tout seul. Si cela est, ô Monsieur, quelle désolation ! Monsieur Champion aurait-il bien la charité d’aller visiter cette famille affligée, au cas que vous n’ayez point avis différent de celui que je vous dis, ou contraire ? Je le salue très humblement.

Si Monsieur Levasseur, qui est parti de Gênes pour Cahors, est encore à Marseille, je vous prie de lui donner les adresses qu’il faudra pour son voyage, soit par mer jusques à Narbonne, ou par terre, avec quelque compagnie, s’il s’en trouve.

Je ne vous envoie point encore notre lettre de change pour Barbarie ; ce sera par le prochain courrier. Je vous en envoie une de Monsieur Simonnet, adressante à Messieurs Louis et Jean Napollon, de la somme de neuf cent

1) Abelly avait connu intimement les grands vicaires quand il était lui-même vicaire général de François Fouquet à Bayonne

2) François Fouquet.

 

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cinquante livres, que vous recevrez et enverrez à la première occasion sûre à Monsieur Barreau, consul d’Alger, pour délivrer les pauvres esclaves dont je vous enverrai le nom ; et en attendant, je vous envoie la lettre de Monsieur le curé du Havre-de-Grâce (3), que vous enverrez, s’il vous plaît, à mondit sieur le consul, afin qu’il voie l’intention de mondit sieur le curé du Havre-de-Grâce, qui a fait délivrer cet argent en cette ville.

Le mari de la femme esclave pour laquelle vous avez envoyé ces 1530 livres à Tunis, est parti de cette ville pour l’aller attendre à Marseille

Monsieur Lebel, notre procureur, vous adresse une lettre pour Monsieur Desbrosses sur le sujet de son affaire. Je pense qu’il lui fait mention d’argent. S’il vous prie de m’écrire de l’avancer, vous lui pourrez faire sentir qu’il sera bon qu’il l’envoie lui-même par lettre de change à cause de l’incommodité en laquelle nous sommes, joint que son affaire presse.

Je vous envoie trois lettres pour des esclaves ; je vous prie de les envoyer à leur adresse et de m’offrir à Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur de la Mission, à Marseille.

3) Nicolas Gimart, docteur en théologie (1649-1655).

 

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1803. — A CHARLES OZENNE. SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 20 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous me donnez toujours nouveaux sujets de remercier Dieu par toutes les choses que vous m’écrivez. Ce que vous me dites des royales bontés de la reine pour votre famille m’attendrit si fort le cœur qu’il n’y a que Notre-Seigneur seul qui le vous puisse faire reconnaître. O Monsieur, que je prie Dieu, et de bon cœur, qu’il sanctifie de plus en plus l’âme de Sa Majesté ! Je vous supplie, Monsieur, de lui en témoigner grande reconnaissance en tous les rencontres et de faire en sorte que votre chère famille en fasse de même et en présence et en absence, et que, comme Sa Majesté redouble ses bontés toutes royales vers la famille, qu’elle redouble aussi ses prières vers la bonté de Dieu, à ce qu’il conserve le roi, bénisse ses armes et lui donne la victoire contre les ennemis de son État.

Je me console dans la pensée de la mission que vous deviez commencer à la Toussaint, et souhaite bien fort d’en apprendre le succès et la réponse que vous aura faite Monsieur l’ambassadeur de Suède (1)

Je suis bien consolé de l’application de Messieurs Durand, Eveillard et Simon à la langue polonaise et du progrès qu’ils y font. Je vous prie de les en congratuler de ma part, et Monsieur Duperroy de ce qu’il s’y est appliqué en sorte qu’il fait maintenant le catéchisme en

Lettre 1803. - — L. s. — Dossier de Pologne, original

1) Le baron d’Avaugour.

 

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polonais, à ce que l’on me mande. Je vous prie, Monsieur, de les embrasser tous de ma part et de leur recommander de demander à Dieu le don des langues, comme font les Pères jésuites qui vont aux pays étrangers et qui reçoivent tant de grâces de Dieu qu’ils apprennent les langues des pays où ils sont envoyés, avec tant de facilité.

Je suis en peine de ce que vous me dites des Filles de la Charité, qu’elles ont donné sujet de penser qu’elles désirent être plus proprement qu’elles ne sont, soit au vêtir, soit au coucher, et en choses semblables. Je vous prie, Monsieur, de travailler à ce qu’elles s’établissent dans la pratique d’une parfaite pauvreté, humilité et mortification, et de les aider à cela. Quant à la difficulté que l’on fait qu’aucune d’elles soit capable de diriger les autres, je vous dirai, Monsieur, qu’il y a longtemps que je pense à cet affaire, et que j’ai mis en question savoir quelle direction sera la meilleure, soit une de la même compagnie, ou celle des dames de la Charité, ou de quelqu’une d’entre lesdites dames. Or il m’a paru difficulté en l’une et en l’autre manières : en la première, qui est celle d’une Fille de la Charité, à cause de leur simplicité ; à l’égard des dames en général, à cause de la diversité des esprits qui s’y rencontrent ; et pour une d’entre lesdites dames, elle ne pourra pas continuer l’esprit que Notre-Seigneur a mis en ladite compagnie, pour ne l’avoir pas reçu elle-même (2). De sorte que, toutes choses pesées et considérées, nous avons estimé de faire de la terre le fossé, c’est-à-dire de faire choix, à la pluralité des voix, de celle que la compagnie

2.) Le saint a modifié la phrase écrite par son secrétaire ; les mots "sera la meilleure", "leur simplicité", "en ladite compagnie sont de sa main.

 

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jugera être la plus propre d’icelle à cet effet, laquelle étant aidée et dirigée par le supérieur général de la compagnie, il y a sujet d’espérer que Dieu bénira la chose et qu’il s’en constituera lui-même le directeur ; ce qui semble absolument nécessaire, à cause de l’extension de leur (3) compagnie en quantité d’endroits de ce royaume ; que ce sont ces raisons et beaucoup d’autres (4) que je vous rapporte brièvement et confusément, qui ont fait qu’en suite de beaucoup de prières et de conseils qu’on a pris, et d’assemblées que l’on a faites pour cela, l’on a estimé qu’il valait mieux élire une Fille de la Charité pour diriger les autres, de l’avis que j’ai dit, que d’en donner la conduite à d’autres personnes qui ne sont pas du corps. Je vous en dirai les raisons une autre fois que j’aurai plus de loisir, et vous pourrez cependant dire ceci en temps et lieux opportuns aux personnes de delà qui ont quelque sentiment contraire ; et cependant vous ferez votre possible d’établir ces filles (5) de plus en plus dans de solides vertus, notamment en celles que je vous ai dites, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

 

1804. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Enfin, Monsieur, il faut aller à Dieu per infamiam

3) Mot écrit de la main du saint.

4) Ces trois derniers mots sont de l’écriture du saint,

5) Le saint a écrit les mots "ces filles" de sa propre main.

Lettre 1804. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XXII, P. 324.

 

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et bonam famam, et sa divine bonté nous fait miséricorde quand il lui plaît permettre que nous tombions dans le blâme et dans le mépris public. Je ne doute pas que vous n’ayez reçu en patience la confusion qui vous revient de ce qui s’est passé. Si la gloire du monde n’est qu’une fumée, le contraire est un bien solide, quand il est pris comme il faut ; et j’espère qu’il nous reviendra un grand bien de cette humiliation. Dieu nous en fasse la grâce et veuille nous en envoyer tant d’autres que par icelles nous puissions mériter de lui être plus agréables !

 

1805. — A DOMINIQUE LHUILLIER, PRÊTRE DE LA MISSION, A CRÉCY (1)

De Paris, ce 22 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La lettre que je vous ai écrite est faite, ce me semble, d’une manière qu’elle ne peut donner sujet à Madame (2) de s’en fâcher, ni de vous faire les questions que vous craignez. Je vous prie donc de la lui montrer, car elle est faite exprès, et d’observer ce qu’elle vous dira, pour me le mander ; et en cas qu’elle vous demande des choses à quoi vous ne puissiez pas répondre, dites-lui que vous m’en écrirez. Il faut agir simplement avec elle sans

Lettre 1805. — Dossier de la Mission, copie prise sur l’original ! chez M. Hains à Marseille

1) Dominique Lhuillier, né à Barizey-au-Plain (Meurthe), entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 11 juillet 1651, à l’âge de trente-deux ans, reçu aux vœux le 5 mai 1659, missionnaire à Crécy de 1654 à 1660, mort à Toulon.

2). Vraisemblablement Madame de Lorthon

 

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se former des doutes et ces difficultés qui peut-être n’arriveront pas. Mais, au reste, votre crainte procède d’un bon fonds, et votre circonspection est louable. Je remercie Notre-Seigneur de la part qu’il vous a donnée à sa sagesse, et je le prie qu’il vous continue et augmente ses grâces.

Je suis en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

 

1806. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[Novembre 1654] (1)

Il a plu à Dieu de disposer de Monsieur du Chesne, après une grande maladie qu’il a eue à Agde, où il est mort. O Monsieur, quelle perte pour la compagnie ! Mais quoi ! il nous faut soumettre au bon plaisir de Dieu, qui l’a voulu ainsi. Nous fîmes hier au soir la conférence sur son sujet, où il n’y eut que trois frères qui parlèrent, qui nous rapportèrent tant d’actes de vertu qu’ils avaient remarqués en lui, que la compagnie en fut aussi touchée que je l’aie jamais vue. Ce n’étaient que soupirs, et je vous assure que j’eus grande peine à retenir mes larmes. Ils nous dirent des merveilles de sa dévotion, de son zèle au salut des âmes, de ses grandes mortifications, de son humilité, de sa candeur, de sa douceur et de toutes les vertus qui rendent estimable un vrai missionnaire. O Monsieur, que nous avons perdu ! Je ne le recommande pas à vos prières ; je suis assuré que vous ne l’oublierez pas.

Lettre 1806. — Manuscrit de Lyon.

1) Cette lettre est a rapprocher de la lettre 1802.

 

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1807. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 27 novembre 1654.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du 29e du passé, qui m’a beaucoup consolé par la nouvelle qu’elle me donne que Messieurs Desdames, Zelazewski et Duperroy ont commencé la mission avec bénédiction. Oui certes, Monsieur, cette consolation a porté jusques au fond de mon cœur, et me donne sujet de rendre grâces à Dieu de celle qu’il fait à la compagnie de bénir ainsi ses travaux, et de le prier qu’il la bénisse de plus eh plus, et vos conduites aussi.

Mais ce qui m’a affligé supra modum, c’est la chute de ce pauvre frère (1), que je prie Dieu qu’il pardonne et lui fasse la grâce de se retirer de l’état où il est et de le ramener ici.

Est-il possible, Monsieur, que ces bons Pères nous traitent de la sorte que vous dites ? J’ai peine à le croire ; mais, quand cela serait, je vous prie, et la compagnie avec vous, de deux choses : la première est de n’en point parler ni s’en plaindre à qui que ce soit ; ce serait encore pis ; et il faut vincere in bono malum, qui est à dire que vous ne laisserez point de les visiter comme auparavant en tous rencontres, comme aussi de les servir, s’il plaît à Dieu vous en donner l’occasion. Ces pratiques sont selon Dieu et la véritable sagesse, et le contraire de cela fait mille mauvais effets. Je pense que vous ferez bien de faire une conférence sur cela

Lettre 1807. — L. s. - Dossier de Pologne, original.

1) Le frère Posny.

 

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sans les nommer, dont le premier point pourra être des raisons qu’a la compagnie de se donner à Dieu pour ne se jamais plaindre, ains de parler avantageusement et de servir ceux qui disent ou font quelque chose contre elle ; au second point, l’on dira les inconvénients qui pourraient arriver du contraire ; et au troisième, les moyens qu’il faut prendre pour se bien établir dans cette pratique.

Nous tâcherons de vous envoyer les deux frères que vous demandez, avec les Filles de la Charité.

Mon Dieu ! Monsieur, que je suis affligé de l’incursion des Cosaques ! J’espère de la bonté de Dieu et de tant de bonnes et saintes œuvres que font le roi et la reine, qu’il les fera triompher des ennemis de Dieu et des leurs ; et c’est ce que je demande à sa divine bonté, en l’amour de laquelle je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je salue la compagnie, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres (2),

Suscription : Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission de Varsovie, à Varsovie.

 

1808. — A NICOLAS DEMONCHY, SUPÉRIEUR, A TOUL

28 novembre 1654.

Mais, Monsieur, que ferons-nous de ces deux cures qui vous empêchent si fort dans vos fonctions de la campagne ?

Lettre 1807. — L. s. - Dossier de Pologne, original.

1) Le frère Posny.

 

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Pouvez-vous point trouver quelques bons vicaires ? Celle de la ville pourra nourrir son homme ; et pour celle d’Ecrouves (1), j’aime mieux que Saint-Lazare donne cent livres pendant quelques années, que de vous voir dans la peine où vous êtes. Je vous prie d’y penser. Vous ne laisserez pas d’y aller donner des prédications parfois et de visiter les malades.

 

1809. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 28e novembre 1654.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La sœur Marie est à présent résolue de ne plus songer à Sedan. Je ne sais pas si elle continuera dans sa résolution. Je prie Notre-Seigneur qu’il lui en fasse la grâce.

Je suis beaucoup consolé du procédé de Monsieur le marquis de Fabert à votre égard ; je prie notre bon Dieu qu’il ait agréable de lui rendre au centuple.

Je vous dirai, Monsieur, que je n’oublie pas à penser à vous pour le secours que vous demandez pour votre école, et que je suis à présent sur le doute, lequel, de deux que j’ai dans l’esprit, celui que je vous enverrai ; toujours espéré-je que l’un ou l’autre partira au premier jour, Dieu aidant.

J’écrirai à Monsieur Regnault sur ce que vous m’en dites et suis bien aise que vous ayez envoyé notre frère Sirven à Belval, à cause que Monseigneur l’évêque de Montauban a beaucoup de confiance en lui. J’attends le

1) Localité située près de Toul.

Lettre 1809 — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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résultat de son voyage, afin de l’envoyer à mondit seigneur.

J’ai envoyé à Monsieur Blatiron les lettres de Monseigneur le cardinal de Gênes, et celle qui l’accompagne pour Monsieur le duc. Il a plu à Dieu de disposer de feu Monsieur du Chesne à Agde ; ce fut le troisième du courant que Notre-Seigneur l’appela à soi, après une longue et fâcheuse maladie. Vous savez que la compagnie a coutume de dire, savoir les prêtres, chacun trois messes, et les frères doivent communier une fois et offrir un rosaire ; j’espère que vous tiendrez la main à ce que cela soit fait. Je ne sache rien autre chose à vous mander pour le présent, sinon que j’embrasse le bon Monsieur Lucas et toute la petite famille, prosterné que je suis en esprit à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je vous supplie d’envoyer ici un certificat conformément au mémoire ci-inclus. Voici une lettre de Monsieur Blatiron que je vous envoie, et une autre du petit Raggio.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur de la Mission, à Sedan.

 

1810. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 4e décembre 1654

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Lettre 1810. — L s. — Dossier de Pologne, original.

 

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J’ai grande joie de la mission que nos missionnaires viennent de faire ; mais cette joie sera accomplie (1) lorsque j’aurai vu en détail les fruits qui y ont été faits, par le moyen de la lettre de M. Desdames, que je n’ai point encore reçue, encore bien que vous me disiez qu’il m’en envoie une.

Je loue Dieu de ce que le bon Monsieur de Fleury a pris la conduite des filles de Sainte-Marie, mais je suis en peine de ce que vous me dites des Filles de la Charité et de ce que la sœur Marguerite (2) ne revient pas. il nous sera fort difficile d’en envoyer une qui ait toutes les qualités que vous me marquez par la vôtre, c’est-à-dire qui soit douce, agissante, bien considérée en ses paroles et d’un abord agréable et bien ménagère. Nous tâcherons de faire pourtant du mieux que nous pourrons. Nous en avons une dans la pensée, laquelle est fort douce et intelligente ; nous verrons à quel point et si elle a les autres qualités approchantes de celles que vous me marquez ci-dessus (3).

Nous aurons soin de recommander aux filles le petit chien dont Mademoiselle de Villiers écrit à Mademoiselle Le Gras, laquelle ne lui fait aujourd’hui ; elle est un peu incommodée (4).

Je loue Dieu aussi de ce que cette bonne dame dont vous me parlez vous a accordé l’original de l’érection de Sainte-Croix ; mais je suis bien affligé de ce que vous

1). Accomplie, complète.

2). Marguerite * Moreau

3). Première rédaction : "..et intelligente, laquelle nous mettrons peine d’envoyer ; elle a aussi les autres qualités approchantes. de celles que ci-dessus." Saint Vincent a écrit de sa main les mots : verrons à quel point, que vous me marquez, et rayé ceux qui ne se trouvent pas dans le texte définitif.

4). Le saint a écrit ces derniers mots de sa main, depuis laquelle ne fut fait.

 

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me dites, que les Moscovites avancent de la sorte. J’espère pourtant que le bon Dieu aura égard aux grands biens que le roi et la reine font à son Église, et qu’il rendra Leurs Majestés victorieuses des ennemis de leur État, et c’est de quoi nous le prions fort souvent avec grande tendresse (5), Nous tâcherons aussi de vous envoyer deux frères, tels que vous les demandez, et les chapeaux (6) dont vous avez besoin. Toute la famille d’ici va toujours à son ordinaire ; je la recommande à vos bonnes prières et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’embrasse la compagnie, prosterné en esprit à ses pieds, et me recommande à ses prières (7).

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1811. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce vendredi. [Décembre 1654] (1)

Mon très honoré Père.

Votre charité ne m’a point, ce me semble, donné résolution si, envoyant le livre et la lettre à ma sœur Jeanne Lepeintre,

5) Ces mots, depuis et c’est de quoi sont de la main du saint.

6). Première rédaction : "avec la douzaine de chapeaux". le saint a biffé ces mots et écrit de sa main et les chapeaux.

7). Ce post-scriptum est de la main du saint.

Lettre 1811. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Robineau.

 

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je lui dirais quelques mots d’avis sur la manière dont l’on doit agir quand l’on écrit à ses connaissances ; c’est ce qui m’a fait lui écrire en cette sorte et envoyer la lettre à votre charité, : afin que, si elle juge à propos de l’envoyer, ce puisse être demain samedi.

Madame de Chas désire fort et presse d’avoir réponse, néanmoins notre sœur Marie (2) a été fidèle et n’y a point été mais elle a toujours le désir de son retour, quoique quelquefois elle tâche de le modérer et moi d’attendre en paix le temps de ma petite retraite, ayant besoin de vous parler avant que Dieu me fasse cette grâce, que je souhaite de tout mon cœur, et votre bénédiction, que je demande à votre charité, comme étant, mon très honoré Père votre très humble et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC

Suscription : A Monsieur. Monsieur Vincent.

 

1812. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 5e décembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! J’ai reçu votre lettre touchant l’abbaye de Belval, avec le mémoire qui l’accompagnait. Je loue Dieu de ce que vous avez si exactement et judicieusement satisfait à l’intention de Monseigneur de Montauban, auquel j’enverrai votre lettre avec ledit mémoire en Languedoc, où il s’en va pour y assister aux États de cette province-là.

Voici enfin la sœur Jeanne-Christine qui s’en va par ce coche ici ; vous lui donnerez, s’il vous plaît, Monsieur, les avis nécessaires pour bien faire l’œuvre que Notre-Seigneur lui met en main, pour le meilleur ordre et assistance des pauvres malades, et vous supplie d’ôter de

2) Marie Joly.

Lettre 1812. — L s. — Dossier de Turin, original.

 

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chez elle le petit garçon qu’elles ont élevé, et de voir si vous pourrez trouver quelque lieu ou le pouvoir mettre. J’en parlai hier à l’assemblée, mais l’on se trouva empêché de le faire venir ici, à cause qu’il il n’y a pas de drapiers drapant Si pourtant vous ne trouvez point de maître de delà où le placer, nous tâcherons de faire de deçà ce que nous pourrons pour lui trouver quelque place

Le petit Raggio a un peu mal au pied ; cela lui étant arrivé à l’occasion du froid, qui est plus rude ici qu’en Italie, nous avons jugé à propos de le faire venir ici à notre infirmerie, afin d’en avoir un soin plus particulier, et il y est à l’heure où je vous écris la présente

Toute la. famille d’ici va toujours à l’ordinaire ; je la recommande à vos prières, et particulièrement notre séminaire, qui, par la grâce de Dieu, commence à être bien peuplé.

J’ai envoyé à Gênes les lettres que vous m’avez adressées, et à vous, Monsieur, un petit billet de quelques personnes y nommées qui me pressent pour avoir de vous un certificat comme ils ont fait abjuration de l’hérésie, lequel je vous supplie de m’envoyer au plus tôt, et qui suis cependant, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission, à Sedan.

 

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1813. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Fin de 1654] (1).

Mon très honoré Père

J’ai grand besoin que notre bon Dieu vous donne un peu de temps pour exercer votre charité sur mes besoins.

Je vous remercie très humblement du billet que vous avez pris la peine m’envoyer ce matin et de tous vos autres bienfaits.

Je crois que le bon frère Pascal vous aura dit que je ne sais point de voie pour donner réponse entre ici et mardi à Monseigneur Delahodde (2) et propose si j’enverrais sa lettre à Madame la présidente de Nesmond ; mais depuis, il m’est venu en pensée s’il ne serait pas à-propos de le laisser disposer entièrement du retour de nos sœurs, croyant qu’infailliblement il les reverra dès mardi, ainsi qu’il propose ; néanmoins il y a aussi à craindre qu’il ne le fasse pas sans nouvelles, ou même que nos sœurs ne veuillent pas venir sans ordre (3). J’attends celui que votre charité me donnera, que je suivrai comme étant, mon très honoré Père, votre très humble et très obéissante fille et servante.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent

Lettre 1813. — L. a. — Dossier des Filles de ! a Charité, original.

1) Voir note 3.

2). Aumônier du château de Chantilly

3). L’éloignement des sœurs, s’il eut lieu, ne fut que momentané. Il faut l’attribuer, croyons-nous, à l’abandon dans lequel les laissait leur fondateur et bienfaiteur. Elles durent emprunter pour vivre en 1653 et 1654. Dans un mémoire écrit de la main de Louise de Marillac en novembre 1654 sous ce titre Mémoires pour les Filles de la Charité de Chantilly, nous lisons ces mots : "Est dû le loyer de leur logement depuis quatre années, qui écherront à la S. Martin prochain, venant à raison de trente-six livres par an, pour laquelle dette les meubles sont saisis et proches de vendre." (Pensées de Louise de Marillac, p. 194.)

 

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1814. - A LOUISE DE MARILLAC

[Fin de 1654] (1)

Je ferai tout mon possible de vous voir demain, Dieu aidant. Je pense qu’il est bon que j’envoie un de nos frères à M. de la Hogue (2), avec le billet que voici. Dites m’en votre sentiment et écrivez, s’il vous plaît, à nos sœurs qu’elles s’en viennent jusques ici dès mardi, ou à la première commodité que vous prierez M. de la Hogue de leur adresser.

J’espère aller cette après-dînée visiter les dames de la Charité de cette petite paroisse de Saint-Marceau (2), où ce bon œuvre (4) s’en va tomber à terre, s’il n’est un peu soutenu. Si vous avez un livre imprimé, je vous prie de me l’envoyer et de m’excuser de ce que je ne vous ai pu voir plus tôt.

 

1815. — A FIRMIN GET

De Paris, ce onzième décembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu des bénédictions qu’il plaît à sa bonté de donner à toutes vos conduites, qui vont bien encore au-delà de ce que vous m’en écrivez par vos lettres, à ce que

Lettre 1814. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle elle a été écrite.

2.) C’est ainsi que saint Vincent écrit le nom de M. Delahodde.

3) Aujourd’hui Saint-Marcel

4) La confrérie de la Charité.

Lettre 1815. — L. s. — Original à Marseille chez les Filles de la Charité de la rue Vincent-Leblanc, 22.

 

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je puis apprendre de ceux qui sont venus de vos quartiers ; ce qui me donne une consolation telle que je ne la vous puis exprimer.

Je suis bien aise du voyage que vous me dites que vous allez faire avec un de Messieurs les administrateurs, au sujet des pauvres forçats qui tombent malades sur les galères, et serai bien réjoui ou qu’ils soient conduits à l’hôpital de Marseille, à mesure qu’ils tomberont malades, ou qu’il y ait quelque lieu dans Toulon où ils puissent être mis, afin d’être mieux assistés et secourus. Pour le premier, je vous dirai que je doute fort que Monsieur de La Ferrière le veuille accorder, pour la crainte qu’il pourra avoir qu’en les menant et ramenant de Toulon à Marseille et de Marseille à Toulon, ils ne s’échappent.

Dieu soit loué de ce que vous avez ainsi témoigné tant de charité envers notre petite famille d’Agde affligée et de l’offre que vous avez faite au bon Monsieur Mugnier de recevoir à Marseille un de leurs malades, en cas qu’il lui plût de vous en envoyer quelqu’un ! Je prie Notre-Seigneur qu’il ait agréable de conserver cet esprit à ceux de la compagnie qui l’ont déjà, et qu’à ceux qui ne l’ont pas il le leur veuille communiquer par sa sainte grâce.

Pour le regard du paquet de drogues que Monsieur Blatiron vous a adressé, vous pourrez le donner à quelque roulier ou l’envoyer par quelque autre voie sûre que vous trouverez, et l’adresser à Monsieur Delaforcade à Lyon, qui nous le pourra envoyer par le coche, et ainsi il coûtera fort peu de port.

Je pense que Monsieur Lebel, procureur de Monsieur Desbrosses, s’ennuie un peu de ne point recevoir de ses nouvelles touchant son affaire ; je vous supplie de l’en faire souvenir ; la chose presse.

 

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N’ayant point pu encore par cet ordinaire vous envoyer les dix-huit cents livres que je vous avais fait espérer pour nos missionnaires de Barbarie, je vous supplie, Monsieur, de les tirer à change (1) sur nous, la présente reçue, à dix jours de vue, et d’en envoyer, savoir à ceux de Tunis huit cents livres, et à ceux d’Alger mille livres. Et voilà, Monsieur, tout ce que j’ai à vous mander pour le présent, ce me semble, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur de la Mission de Marseille, à Marseille.

 

1816. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 16 décembre 1654.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je reçus hier votre paquet ; j’aurai de la peine à répondre à chacun de vos articles, parce que je n’ai point votre lettre, que j’ai donnée à notre frère Robineau, qui est présentement en ville. Oh ! je me souviens que vous me parlez par la vôtre de la sœur de la Charité, de quantité de malades que vous avez à la ville, du besoin que vous avez que les dames continuent leur charité, de l’argent dont vous avez besoin et enfin de Monsieur Regnault.

1) Les mots à change sont de la main du saint

Lettre 1816. — L. s. — Dossier de Turin, original

 

- 244 -

Or je vous dirai, Monsieur, que je suis en peine de ce que Jeanne-Christine, sœur de la Charité, n’est point encore arrivée et vous prie de me le mander, dès qu’elle le sera. Mademoiselle Santeuil m’a écrit pour leur renvoyer la sœur Marie ; mais il n’est point convenable. C’est une maxime de cette compagnie de changer souvent les filles, elles se gâtent autrement en s’attachant en certains lieux et à certaines personnes ; et l’on n’en donne point depuis quelques années, si ce n’est à cette condition-là ; et puis la cour n’a pas été bien édifiée de sa conduite. Je lui ferai réponse au 1er jour, et ferai ce que je pourrai envers les dames, à ce qu’elles continuent la charité qu’elles ont commencée vers vos pauvres de Sedan ; mais je vous avoue que je crains bien que cette compagnie ne s’anéantisse faute de fonds pour continuer, les bourses charitables étant quasi épuisées.

Vous prendrez mille livres de delà, s’il vous plaît, de quelque marchand pour votre maison, et nous les rendrons à douze jours de vue de la lettre de change.

Je vous prie de dire à Monsieur Regnault que je le prie de s’en revenir et d’être ici au commencement de l’année et de donner tellement ordre aux affaires de sa bonne mère qu’elle puisse faire désormais ses affaires sans qu’il soit besoin qu’il y retourne ; sinon, il y a apparence qu’il ne s’aime point dans la même compagnie et qu’il aime mieux demeurer dans le monde, et qu’en ce cas-là il vaut mieux qu’il s’en retire tout à fait, dont je serais bien marri. Mais une si longue absence, tant d’allées et venues ne sont point convenables pour tout à une compagnie réglée.

Je salue votre chère famille, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres.

J’aurai l’honneur d’aller faire la révérence à Madame

 

- 245 -

la marquise de Fabert, que je fais à Monsieur le marquis, avec toute l’humilité que je le puis.

S’il plaît à M. Coglée de nous envoyer M. son cousin (1), nous tâcherons de le servir au dehors, au cas qu’il ne se puisse accommoder dans la maison.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur de la Mission, à Sedan.

 

1817. — A FIRMIN GET

De Paris, ce 18e décembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La vôtre du premier me console, de ce que vous avez eu la charité d’envoyer Monsieur Champion visiter la pauvre famille d’Agde. O Monsieur, que je souhaite qu’il plaise à Dieu répandre cet esprit en la compagnie !

L’on m’écrit l’arrivée de Monsieur [Levasseur] (1) à Cahors.

Je suis bien aise de ce que vous avez envoyé les six cents piastres à Alger pour le rachat de Servin et de ce que vous avez reçu les neuf cent cinquante de Monsieur le curé du Havre-de-Grâce ; mais je trouve quelque difficulté à ce que vous me dites, de retenir de l’argent de Barbarie pour subvenir aux provisions que

1) Gérald Coglée, né à Carrick (Irlande), entré dans la congrégation de la Mission, en qualité de frère coadjuteur, le 5 février 1655, à l’âge de trente et un ans, reçu aux vœux le 17 mars 1660

2). La fin de cette lettre, depuis les mots "qu’elle puisse faire désormais" est de la main du saint.

Lettre 1817. — L. s — Dossier de la sœur Hains, original.

1) Le texte porte : Le Vaseux, mais il s’agit certainement de Levasseur (Cf. lettres 1792 et 1822.)

 

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vous demandent Messieurs Le Vacher et Messieurs les consuls, notamment à cette heure qu’ils sont si pauvres, à ce qu’ils me mandent. Je vous prie, pour le moins pour cette fois ici, de leur envoyer ce qui leur est destiné, 1.000 livres à Alger et 800 livres à Tunis.

Béni soit Dieu, Monsieur, de la disposition qu’il vous a donnée de recevoir les infirmes de la famille d’Agde ! Si Monsieur Mugnier ne vous envoie de quoi, nous suppléerons à cela, en me mandant à peu près à quoi leur dépense pourra monter.

J’ai fait rendre la lettre à Monsieur Lebel et ferai solliciter la réponse.

Voilà, Monsieur, tout ce que je vous puis dire pour le présent, sinon que la compagnie va assez bien partout, par la grâce de Dieu, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur des prêtres de la Mission, à Marseille.

 

1818. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 18 décembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de toutes les choses que vous me dites, notamment du retour du roi en peu et de la

lettre 1818 — L s — Dossier de pologne, original

 

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santé de la reine, et prie incessamment Notre-Seigneur qu’il les conserve.

J’ai reçu grande joie du choix que Leurs Majestés font de la personne de Monseigneur le secrétaire d’État pour l’évêché nouvellement vacant (1) et de ce que la reine se propose d’achever l’union (2) à l’arrivée de Monseigneur de Posnanie ; mais je suis en peine de ce que vous n’avez point de nouvelle de Monsieur l’ambassadeur de Suède (3). Peut-être qu’il aura recouvert (4) quelque prêtre d’ailleurs. Madame la comtesse de Brienne me fait grande instance pour y envoyer, à cause que Monsieur son fils est malade à Stockholm, sans qu’il ait pu entendre messe depuis trois mois. Au nom de Dieu, Monsieur, jetez les yeux de votre compassion sur ces pauvres catholiques qui manquent de tout secours spirituel, au cas que la reine l’agrée et que Monsieur Guillot persévère au désir que Notre-Seigneur lui a donné de l’aller servir en ce pays-là.

Voilà, Monsieur, tout ce que je vous puis dire pour le présent, et prie Dieu qu’il bénisse votre personne et votre famille, aux prières de laquelle je me recommande, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

1) L’évêché de Posnanie ; il fut donné à Albert Tholibowski

2). L’union de la cure de Sainte-Croix

3) Le baron d’Avaugour.

4). Recouvert, recouvré

 

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1819. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce [décembre 1654] (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je reçus hier au soir deux de vos lettres et n’en ai pu lire qu’une, à cause de l’embarras auquel je me trouve, qui n’est pas petit ; et ne vous répondrai point à présent à toutes les deux ; ce sera par le premier courrier, celle-ci n’étant à autre fin que pour vous adresser la lettre que j’écris à Mademoiselle de Santeuil, laquelle je vous prie de lui donner, après l’avoir lue et cachetée, et de lui parler de cet affaire conformément à ce que je lui dis. Je pense que cette pauvre fille (2) n’a point l’usage de raison, et m’étonne comme cette bonne demoiselle prend part à sa passion. Je vois qu’elle est portée à cela par esprit de compassion, qui serait plus nuisible qu’avantageux à cette pauvre fille. Je vous prie de lui faire trouver bon qu’elle lui mande qu’elle n’aille point de delà, et de la renvoyer au cas qu’elle soit si téméraire d’y aller.

Je vous salue cependant, ensemble Monsieur Lucas et votre petite famille, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur de la Mission, à Sedan.

Lettre 1819. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) Cette lettre a suivi de près la lettre 1816.

2) Marie Joly.

 

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1820. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 24 décembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je viens de recevoir présentement la vôtre du vingt six du passé, à laquelle je n’ai aucune réponse à vous faire, sinon que je suis en peine de ce que vous me dites touchant les filles de Sainte-Marie, et de la difficulté qu’elles ont au sujet de leur établissement ; néanmoins il faut espérer avec le temps que les choses iront bien (1)

Nous n’avons rien ici de nouveau qui mérite de vous être écrit ; seulement je vous dirai, Monsieur, que notre petite famille d’Agde commence à se bien porter, par la grâce de Dieu, que la maison de Troyes va toujours son petit train, que notre frère Ducournau a bien de la peine à se ravoir de sa maladie, et que notre frère Nicolas Survire (2) est un peu incommodé de quelques blessures à la tête. Je les recommande tous à vos saintes prières et de votre chère famille, que j’embrasse avec toute l’affection que je le puis, prosterné que je suis en esprit à leurs pieds et aux vôtres, et leur souhaite, et à vous aussi, Monsieur, une nouvelle grâce de Notre-Seigneur en cette nouvelle année, dans laquelle la présente

Lettre 1820. — L. s. — Dossier de Pologne, original.

1) L’histoire de la fondation de Varsovie (Bibl. Maz., ms. 2438) ne dit pas un mot de ces difficultés ; elle laisse entendre, au contraire, que les Filles de la Visitation, dotées magnifiquement par la reine et enrichies par la Diète générale des États d’une propriété qui rapportait 22.000 francs de rente, avaient largement de quoi se suffire.

2). Nicolas Survire, frère coadjuteur, né à Bayeux, entré dans la congrégation de la Mission le 11 septembre 1640 à l’âge de vingt-sept ans, reçu aux vœux le : 2 novembre 1645.

 

- 250 -

vous trouvera, qui suis, en son amour et de sa très glorieuse Mère, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1821. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

28 décembre 1654.

Que j’ai de confusion de me voir si inutile au monde en comparaison de vous !

 

1822. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

De Paris, ce dernier décembre 1654

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous ai écrit par ma dernière la demande que nous fait Monsieur le marquis de Pianezze, chef du conseil de Son Altesse Royale de Savoie (1), de deux missionnaires, pour les établir à Turin. Et pource que Monsieur

Lettre 1821. — Collet op cit., t. II, p. 341.

Lettre 1822. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) Philippe-Emmanuel-Philiber-Hyacinthe de Simiane, marquis de Pianezza, avait pris part dans sa jeunesse aux guerres de Montferrat et du pays de Gênes et conquis, par sa valeur, le titre de colonel général de l’infanterie Aussi habile diplomate qu’il était vaillant guerrier, il attira sur lui les yeux de la duchesse régente Madame Christine de France, qui le prit pour son premier ministre et lui garda sa confiance durant tout le temps de la régence. L’avènement de Charles-Emmannel II ne changea rien à sa situation. Cependant le marquis de Pianezza ne se sentait pas à sa place. Il

 

- 251 -

Le Vazeux, supérieur d’Annecy, m’a envoyé la lettre de Monsieur le premier président du sénat de Chambéry, par laquelle il lui mande que mondit sieur le marquis, au lieu de deux prêtres de la Mission, en demande six, pour être appliqués à une église du Saint-Sacrement de la ville de Turin, où il s’y est fait quelques miracles d’autres fois, sans qu’il leur soit loisible d’aller travailler à la campagne, n’excluant pas pourtant que, s’il se trouve du fonds pour en entretenir d’autres au-dessus de ce nombre-là, qu’ils ne puissent être appliqués à la campagne, ni d’y faire nos fonctions, c’est, Monsieur, ce qui m’a fait penser qu’il est expédient que vous alliez faire un voyage jusques-là, sous le bon plaisir de Monseigneur le cardinal. Il n’y a que trois journées, à ce qu’on m’a assuré, et beau chemin. C’est ce qui fait que je vous prie de prendre cette peine-là, et, étant à Turin, de demander Monsieur Tévenot, chirurgien de Son Altesse Royale, qui est fort de nos amis, ainsi qu’il vous dira ; et s’il n’y est pas, vous vous adresserez vous-même à mondit sieur le marquis, lui ferez la révérence de notre part et lui offrirez les services de la compagnie

n’avait d’autre ambition que de vivre tranquille dans une maison religieuse, loin de la cour et des affaires. Il fallut toute l’autorité d’Alexandre VII pour le décider à retarder l’exécution de son projet. Après la mort de ce Pontife, le premier ministre abandonna tous ses biens à son fils le marquis de Livorno et se retira au monastère de Saint-Pancrace. Navré de cet abandon, Charles-Emmanuel fit démarches sur démarches pour le fléchir. Comme le marquis ne voulait pas céder, il lui suggéra l’idée de rentrer à Turin et de s’y établir dans une maison religieuse de son choix, d’où il ne sortirait que lorsqu’il serait appelé à la cour pour donner son avis sur des affaires importantes. Le marquis de Pinnezza accepta la proposition. Il choisit la maison des prêtres de la Mission, qu’il avait lui-même fondée et où il mourut en juillet 1677 âgé de soixante-neuf ans. Il avait des connaissances très étendues sur toutes sortes de sujets, même sur la théologie. Il a écrit en italien un Traité de la vérité de la religion chrétienne, que le P. Bouhours. traduit en français en 1672, et en latin un opuscule pieux Pissimi in Deum affectus cordis.

 

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et les miens en particulier, lui direz que je vous ai prié de l’aller trouver et de lui faire entendre avec tout le respect qui vous sera possible, que vous l’allez trouver au sujet du commandement qu’il m’a fait faire de lui envoyer des missionnaires, et lui faire entendre la fin de notre Institut, et comme nous ne pouvons pas prendre des fondations qu’à condition de faire des missions à la campagne et, si l’occasion s’en présente, l’exercice de l’ordination, au cas que Nosseigneurs les prélats le veuillent, et que autrement nous ferions contre le dessein de Dieu sur nous ; mais que si la chose se peut ajuster, en sorte que l’on puisse faire l’un sans omettre l’autre, que nous tâcherons de le faire, quoique non sans difficulté, à cause du peu de gens qui nous restent, en suite de beaucoup qui nous sont morts les années passées et beaucoup d’autres que nous avons envoyés en divers établissements ; que s’il se pouvait faire que de ces six prêtres qu’il demande et pour lesquels il y a du fonds, qu’il en eût trois d’appliqués aux missions de la campagne, tandis que les autres trois travailleraient dans la ville, nous ferions en cela ce que Notre-Seigneur et lui demandent de nous. Vous le pourrez informer ensuite des ordinations et des séminaires et des autres exercices de la compagnie. Peut-être que, comme l’on m’écrit que c’est un [dessein] (2) de cette cour-là, peut-être il pourrait ajuster toutes ces choses, ces emplois-là vraisemblablement n’étant pas moins utiles et nécessaires en ces quartiers-là qu’ailleurs. Que s’il vous parle d’être l’un de ceux qui jetteront les fondements de cette mission, dites-lui absolument que cela ne se peut, et assurez Monseigneur le cardinal Durazzo que cela ne sera point, et que vous retournerez et continuerez, et que de cela je lui

2) L’original porte des saints.

 

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en donne la parole devant Dieu, en la présence duquel je lui parle, et le supplie très humblement d’agréer que vous fassiez ce voyage-là. Je reçus hier au soir son tableau (3), que je tiendrai bien cher et bien précieux toute ma vie, et que vous m’avez fait en cela un présent des plus riches et des plus agréables que vous me pouviez faire (4).

Voilà, Monsieur, La prière que je vous fais, et par vous à Monseigneur le cardinal. Il serait bien à souhaiter que vous puissiez partir au plus tôt après votre mission achevée, laquelle je prie Dieu qu’il bénisse, et votre chère personne aussi, et prie sa divine bonté qu’elle bénisse votre voyage et votre négociation. Quand vous serez à Turin, vous nous écrirez, s’il vous plaît, en diligence, et donnerez avis à Monsieur Berthe, à Rome, de ce que vous aurez fait.

Je suis cependant, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Blatiron.

 

1823. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 1er jour de l’an 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je reçus hier la vôtre, qui m’a donné, comme toujours,

3) Son portrait.

4). Ces mots, depuis toute ma vie, sont de la main du saint.

Lettre 1823. — L. s. — Dossier de Cracovie, original,

 

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de nouveaux sujets de louer Dieu et néanmoins m’a mis un peu en peine, pource qu’il m’a semblé que vous avez quelque chose à souffrir pour ce que vous me dites par cette dernière, quoique vous ne me le disiez pas clairement. Je vous prie, Monsieur, de me faire part de vos peines comme de vos satisfactions.

J’ai oublié à vous faire réponse à ce que vous me dites touchant l’office, et ne le saurais faire aujourd’hui à cause de l’embarras où je suis ; j’espère de le faire par le premier courrier.

Je ne sais à quoi il a tenu que vous n’ayez recommencé la mission en quelqu’autre endroit. Puisque vous en avez la permission de Monseigneur le prince Charles (1) et que vous ne recevez point de nouvelles de Monsieur l’ambassadeur de Suède (2), et que l’on vous parle d’envoyer Monsieur Guillot à Cracovie, in nomine Domini, vous le laisserez aller, et tel autre avec lui que l’on trouvera à propos.

Il y a assez longtemps que vous ne mandez rien du bon Monsieur de Fleury, à qui nous avons tant d’obligation. O Monsieur, que je souhaite que nous en ayons grande reconnaissance et que vous lui communiquiez toutes choses cœur à cœur ! Il est digne d’être estimé et aimé de tout le monde ; mais il n’y a point de gens (3) qui le doivent faire plus que nous. Je vous prie, Monsieur, d’entrer dans cette pratique, si déjà vous n’y êtes, avec toutes les confiances possibles. Il me semble que, si j’avais l’honneur d’être auprès de lui, je n’aurais pli ni repli dans le cœur que je ne lui fisse voir.

1) Ferdinand-Charles, frère du roi de Pologne, évêque de Breslau en Silésie et de Plosk en Pologne, mort le 9 mai 1655.

2). Le Baron d’Avaugour.

3). Première rédaction : mais il n’y a point de gens au monde.

 

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Je ne puis vous exprimer la consolation que j’ai du retour du roi, ni les tendresses de mon cœur pour Leurs Majestés et pour leur royaume. Je prie Dieu qu’il bénisse les armes de Sa Majesté (4) et toutes ses conduites, et qu’il soit la reconnaissance des bontés infinies de la reine vers nous, qui en sommes très indignes.

Je salue votre personne et votre famille, et vous souhaite en ce nouveau jour de l’an de nouvelles bénédictions, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1824. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

2 janvier 1655

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de celles qu’il vous a faites et à nous, de résister aux tentations qui vous ont voulu arracher des bras de votre chère vocation et vous ramener dans le siècle, et le prie qu’il vous confirme de plus en plus dans la promesse que vous avez faite à Notre-Seigneur de vivre et mourir dans icelle. O Seigneur Dieu ! il ne faut pas se jouer de promettre des choses

4). La Pologne était alors en guerre contre les Moscovites et les Cosaques.

Lettre 1824. — Recueil de lettres choisies, exemplaire de la maison. mère des Filles de la Charité, lettre 119

 

 

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à Dieu et à lui manquer de parole. Selon cela, Monsieur, je vous prie, tenez ferme à marcher dans la vocation où vous êtes appelé ; rappelez tous les bons sentiments que Notre-Seigneur vous y a donnés. La vie n’est pas longue ; on en voit bientôt le bout, et le jugement de Dieu est formidable à ceux qui partent de cette vie, desquels il est dit : "Ils n’ont pas rempli leurs obligations ; c’est pourquoi le Seigneur les a mis au nombre de ceux qui commettent l’iniquité (1)"

 

1825. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 8 janvier 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je tâcherai de me donner l’honneur d’écrire (1) à la reine aujourd’hui, si nos petits embarras nous le permettent, pour remercier Sa Majesté de toutes les bontés qu’elle a pour vous et pour toute la compagnie, notamment d’avoir donné à votre église ce bel ornement dont vous me parlez ; sinon, et en cas que je ne le puisse aujourd’hui, je le ferai, Dieu aidant, au prochain voyage. Je ne vous recommande point que vous ayez à prier Dieu continuellement pour Sa Majesté (2) et celle du roi, pource que je sais bien que vous n’avez garde d’y manquer.

Je tâcherai aussi d’écrire une lettre de remerciement au bon Monsieur de Fleury pour toutes les bontés qu’il a pour vous, et notamment de celle qu’il vient de vous

1) Psaume CXXIV, 5.

Lettre 1825. — L. s. — Dossier de Cracovie, original

1) Première rédaction : je tâcherai d’écrire.

2) Première rédaction : pour la Majesté de la reine.

 

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témoigner, en vous offrant l’argent dont vous pouvez avoir besoin pour fournir à votre établissement.

Je loue Dieu de ce qu’il vous a pourvu, par sa sainte grâce, d’un si digne et vertueux prélat que celui que vous me marquez (3).

Je parlerai aux Révérends Pères jésuites touchant ce que vous me dites, et les prierai d’en écrire un mot.

Je vous supplie de dire à Monsieur Zelazewski que je le salue et l’embrasse avec toute l’affection que je le puis, et vous prie, Monsieur, de le supporter le plus qu’il vous sera possible, et de faire tout ce que vous pourrez pour lui aider à porter sa croix ; et peut-être que peu à peu Notre-Seigneur lui touchera le cœur (4). Oh ! quel dommage et quel compte il aura à rendre à Notre-Seigneur, s’il ne répond à ses desseins (5) !

Toute la famille d’ici va assez bien, par la grâce de Dieu ; il n’y a que le bon Monsieur Bécu, qui est incommodé de ses gouttes, lesquelles le retiennent au lit depuis quelque temps, et notre frère Ducournau, qui a bien de la peine à se ravoir de sa grande maladie. Je les recommande à vos prières, et particulièrement moi, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Excusez, s’il vous plaît, les ratures, n’ayant pas eu le temps de la faire réécrire.

3) Albert Tholibowski, promu eu 1654 évêque de Posnanie. Il occupa ce siège jusqu’au 22 juillet 1663, jour de sa mort.

4). Le secrétaire avait écrit "et vous supplie, Monsieur, de le retenir le plus qu’il vous sera possible et de faire tout ce que vous pourrez pour cela et de le supporter. aussi, pource que peut-être peu à peu. Notre-Seigneur lui changera sont désir." Saint Vincent a lui-même corrigé la phrase. Les mots supplie, supporter, lui aider à porter sa croix, touchera le cœur, sont de sa main

5) Cette phrase est de l’écriture du saint.

 

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Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1826. — A FIRMIN GET

De Paris ce 13 janvier 1655

Monsieur,

Béni soit Dieu, Monsieur, de la charité que vous exercez envers le pauvre frère Claude (1) et de ce que vous avez touché le revenu qui vous est affecté, comme aussi de la part que vous en désirez faire à Messieurs les aumôniers, et de l’emploi du reste pour achever leur logement et le vôtre !

Mais que vous dirai-je du frère Louis (2) sinon que j’appréhende que Monsieur Huguier ne succombe et que les pauvres forçats n’en pâtissent, si vous le rappelez. Je vois bien que vous avez sujet de le faire à cause de l’inaptitude du frère que vous avez pour faire ce qu’il faut à l’entour du frère Claude et dans votre domestique. N’y a-t-il pas moyen, Monsieur, que vous trouviez quelque bon enfant à gage pour le soulager ? Je vous prie d’en chercher, en attendant que nous vous puissions envoyer quelqu’un, qui sera au plus tôt, Dieu aidant. Je prie encore Monsieur Champion, s’il est revenu de son incommodité, de se ressouvenir de la prière que je lui ai faite pour Toulon ; sinon, je vous prie, Monsieur, de ne rien épargner pour le faire traiter, comme je m’assure que vous ferez, et d’avoir soin de votre santé, qui nous est si nécessaire en l’occasion présente.

Lettre 1826. — L s. — Dossier de la Mission, original.

1). Alors malade à Marseille.

2) Louis Sicquard. né à Nalliers (Vendée) le 3 mai 1624, entré dans la congrégation de la Mission le 19 octobre 1645, reçu aux vœux en novembre 1648.

 

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Les parents d’un forçat qui est à Alger, dont le nom ne me ressouvient pas, vous (doivent) adresser deux ou trois cents piastres, pour les faire tenir à Alger. Je vous recommande cette affaire-là et prie Dieu qu’il sanctifie de plus en plus votre chère âme, qui suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Le frère du Chesne (4) qui avait été envoyé à Agde et de là à Saintes, est mort en ce dernier lieu le 22 décembre dernier, après deux mois de maladie. Je le recommande à vos prières.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur des prêtres de la Mission, à Marseille.

 

1827. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 18 janvier 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vos chères lettres me donnent toujours, à mesure que je les reçois, de nouveaux désirs de louer Dieu pour la bénédiction que je vois qu’il continue de donner à vos travaux et à toutes vos conduites, et prie sa divine Majesté d’avoir agréable de la vous continuer.

Pour la sœur Marie (1), il faut espérer que petit à petit

3.) Le secrétaire a écrit : doit

4.) Jean du Chesne, frère coadjuteur, né à Laumesfeld (Moselles) en 1622, reçu dans la congrégation de la Mission le 30 octobre 1647.

lettre 1827. — L. a. — Dossier Turin, original.

1) Sœur Marie Joly

 

- 260 -

le mécontentement que Monsieur et Mademoiselle de Santeuil ont reçu de son retour ici, se passera, ayant été trouvé à propos de la retirer de Sedan, à cause du long temps qu’il y a qu’elle y était ; ce qui passait l’ordre établi parmi les Filles de la Charité, lesquelles doivent être changées plus souvent ; et j’espère que, pendant que je vivrai, il n’en arrivera plus de la sorte. Que si Monsieur de Santeuil ou Mademoiselle sa femme vous en reparlent encore et qu’ils vous disent que l’on a bien laissé, comme l’on fait encore, la sœur Gillette (3) à Sedan depuis ce temps-là, vous lui répondrez qu’on l’a fait à cause que personne qu’elle ne pouvait s’accommoder avec la sœur Marie ; mais à présent qu’elle n’y est plus, l’on va rappeler la sœur Gillette au premier jour.

Le cousin du bon Monsieur Coglée (4) est arrivé ici en bonne santé, par la grâce de Dieu ; j’espère qu’il fera bien.

J’ai envoyé la lettre que Monsieur Petizon, avocat du roi, m’a adressée, à son adresse, et nous ne manquerons pas d’envoyer à Monsieur Le Vazeux le paquet que vous lui envoyez.

Nous tâcherons aussi, Dieu aidant, de faire quelque chose pour le petit enfant pour lequel mondit sieur Petizon m’a fait l’honneur de m’écrire, et d’en parler aux dames (5). Je vous prie cependant, Monsieur, de le saluer de ma part et de lui faire en cette nouvelle année, aussi de ma part, un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, le suppliant très humblement de l’avoir agréable.

Quant à ce que vous me mandez touchant l’office de

2) Saint Vincent l’y avait envoyée en 1641

3) Sœur Gillette Joly.

4) Gérald Coglée.

5.) Aux dames de la Charité.

 

- 261 -

bailli de Sedan, je pense qu’il faut laisser faire Monsieur votre gouverneur, qui est sage et prudent et qui saura bien faire en cela ce qui sera à la plus grande gloire de Dieu et au bien de la religion catholique.

Monsieur Alméras n’est pas ici à présent ; c’est pourquoi il ne vous peut faire réponse à celles que vous lui écrivez ; je les lui enverrai à Troyes, où il est allé faire la visite. J

J’embrasse toute votre famille avec toute la tendresse de mon cœur qui m’est possible, et particulièrement le bon Monsieur Lucas (6) lequel m’écrit les bénédictions que Dieu donne à toutes vos conduites, et comme quoi l’union et charité règnent dans votre petite famille ; de quoi je reste merveilleusement consolé, et prie Notre-Seigneur de vous continuer les mêmes bénédictions

Et voilà, Monsieur, tout ce que je vous puis dire pour le présent, si ce n’est que je vous fais part de la nouvelle que me donne Monsieur Vageot de la mort d’un de nos frères coadjuteurs nommé du Chesne, qui arriva le vingt-deuxième du mois dernier, afin que vous priiez et fassiez prier Dieu pour le repos de son âme, pendant que je demeurerai, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Il nous est survenu un affaire considérable qui requiert votre présence ici ; je vous supplie de prendre la peine de vous en venir faire un voyage jusques ici et de laisser le soin de la maison, en attendant, à M. Co-

6) Antoine Lucas

 

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glée (7). Vous prendrez congé de Monsieur le gouverneur et l’assurerez de mon obéissance perpétuelle.

Je salue votre petite famille, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres (8)

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission, à Sedan.

 

1828. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 22 janvier 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Béni soit Dieu, Monsieur, de la visite que vous a rendue Monseigneur l’évêque destiné pour Posnanie, et de la parole que vous a donnée Monseigneur l’évêque d’à présent de la même ville (1) d’achever votre affaire de l’union ! O Monsieur, que d’obligation nous avons à Notre-Seigneur pour cela, et au bon Monsieur de Fleury, lequel je prie Notre-Seigneur de remplir de plus en plus de son esprit, et vous de la reconnaissance éternelle des obligations que nous lui avons ! Mais que dirons-nous, Monsieur, de l’incomparable bonté du roi et de la reine pour leurs pauvres petits missionnaires ? Certes la parole me manque. Le silence est une louange à Dieu en Sion, dit le prophète, et saint Jérôme après

7 Le saint pensait-il dès lors à lui offrir la direction de l’établissement de Turin ? Jean Martin ne revint pas à Sedan, ou s’il y revint, ce fut pour mettre ordre à ses affaires. Au dire de son biographe, le marquis de Fabert, craignant les effets de son zèle pour la conversion des protestants, aurait lui-même demandé son rappel. (Noti. es, t. I, p. 283.)

8). Le post-sCriptum est de la main du saint.

Lettre 1828. — L. s — Dossier de Cracovie, original.

1). Florian-Casimir Czartoryski, transféré à l’évêché de Wlotslawek.

 

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lui. Il vaut mieux admirer et se taire, en la vue de tant et de si incomparables et royales bontés, que entreprendre à les remercier, et prier Dieu qu’il sanctifie de plus en plus leurs âmes et tout leur royaume ; et c’est ce que je ferai tous les jours de ma vie.

Vous pouvez assurer ce pauvre enfant prodigue et notre frère (2) qu’il sera le bienvenu, s’il a plu à Dieu de lui donner un esprit de parfaite pénitence.

C’est donc tout de bon que vous demandez notre frère Delorme (3) ; je tâcherai à le vous envoyer avec l’autre frère que vous demandez et qui ait les conditions que vous désirez.

Béni soit Dieu de ce que la compagnie vit avec respect avec ces très Révérends Pères, et prie Notre-Seigneur qu’il nous fasse la grâce d’en user de même avec tous les autres, et qu’il soit la récompense de Monsieur Conrard, médecin de la reine, de la grâce qu’il nous a faite de répondre pour nous dans les choses que l’on nous imputait, et de faire en sorte par sa charitable défense d’obtenir le mandement des missions en la manière qu’on l’a donné ! Je vous prie, Monsieur, de lui en faire le remerciement de ma part, comme aussi au Révérend Père Roze, et à tous deux les offres de mes très humbles services.

Béni soit Dieu de ce que vous avez des nouvelles de Monsieur Zelazewski et des sentiments qu’il vous, donne de le traiter le plus cordialement qu’il vous sera possible !

2) Le frère Jacques Posny

3). Le frère Pie Delorme, né à Mont-Saint-Sulpice (Yonne) le 25 août 1625, entré dans la congrégation de la Mission le 2, septembre 1642 comme frère coadjuteur, reçu aux vœux en 1644 et placé à Troyes, où M. Ozenne l’avait connu et apprécié. Il n’alla en Pologne qu’entre 1660 et 1662. Un ancien manuscrit de Sainte-Croix de Varsovie loue sa charité, son amour du travail et son savoir-faire. Il mourut dans cette ville le 7 juin 1702 (Mémoires, t. I, pp. 57-59)

 

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Les nouvelles que vous me donnez de l’état des choses de delà me consolent plus que je ne puis dire. Je prie incessamment Notre-Seigneur qu’il les bénisse de plus en plus.

Je salue votre petite famille, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M..

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1829. — MARTIN HUSSON, CONSUL DE FRANCE, A SAINT VINCENT

De Tunis, ce 26 janvier 1655.

Monsieur,

Les papiers qui accompagnent celle-ci vous instruiront d’eux-mêmes de ce que le temps ne me permet pas de répéter ici. Vous connaître, en les lisant, de quels flots nous sommes combattus ; et néanmoins, grâces à Dieu, ce n’est pas cela qui m’étonne ; il y en a un autre sujet plus considérable.

Vous avez vu l’an passe comme le consul anglais corrompit notre dey et usurpa sur la charge la protection des vaisseaux flamands. Depuis ce temps-là, ç’aurait été à nous un crime d’État de les vouloir vendiquer. Nous vous avons demandé protection. Je ne doute point que vous n’ayez fait votre possible pour nous la donner. Dieu ne l’a pas permis. Et cependant ce dont je vous avertis dès lors est maintenant arrivé, qu’à la fin le consul anglais nous distrairait encore les Italiens. Une barque génoise, entrée au port sous bannière de France, vient d’être par lui usurpée, quelques raisons et diligences que nous y ayons pu apporter, M. Le Vacher et moi. Et voilà maintenant le chemin fait à toutes les autres.

9) Venait ensuite le post-scriptum suivant que le saint a raturé : "Je pense que la Gazette de Rome vous aura appris comme le Pape a fait loger Monseigneur le cardinal de Retz chez nous. J’envoie Monsieur Berthe s’en aller vous visiter pendant cette…"

Lettre 1829. — L. a. — Dossier de Turin, original.

 

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Il me semble, Monsieur, qu’une des principales obligations de celui qui possède la charge est de la maintenir et de ne pas souffrir que les droits journellement se perdent Le moindre de nos marchands qui la posséderait aurait dans six mois au plus tard obtenu ce que l’on vous a demandé depuis plus de quatre ans, et se maintiendrait d’une tout autre manière que nous ne pouvons et ne voudrions pas faire, non pas que ce fût illicitement à son égard, mais parce que ce serait quelque peu indécemment aux autres.

Tous, tant qu’ils sont ici, ressentent, plus sensiblement qu’il ne se peut dire, ces affronts dont ils se croient chargés et offensés, puisqu’ils sont corps de la nation et soumis à la charge, qui se ruine de la sorte. Il y en a qui attribuent cela à mon avarice, et même on en a fait un libelle pour envoyer à Messieurs les députés du commerce, qui est une chambre érigée à Marseille, pour faire voir que je tire d’eux comme une sangsue, et qu’avec tout cela je ne voudrais pas avoir dépensé un denier, ni pour les protéger ès occurrences, ni pour conserver les droits de la charge.

Je ne puis, Monsieur, que je ne vous die qu’à la fin elle sera comme une terre dont on veut la récolte sans l’entretien, qui produit quelques années, mais toujours de moins en moins, jusques à ce qu’à la fin elle reste inutile. Cette charge en est de même. Je ne dis pas encore un coup que vous y omettez rien de votre part, comme aussi du notre nous faisons tout notre possible ; mais puisque tous nos efforts joints ensemble sont trop faibles trouvez bon, Monsieur, que je vous die que, quant à moi, j’aime mieux faire place à un autre. Si vous la vendez et qu’il soit propriétaire, il emploiera peut-être non seulement les émoluments, mais encore ce qu’il tirera d’assistance d’ailleurs, ou de son bien ou de son travail, pour la maintenir. Que si c’est quelqu’un de la compagnie, il réussira sans doute mieux que moi, qui semble n’être ici qu’à destruction et non pas à édification. Je parle à vous, Monsieur, qui savez le peu que je suis, qu’un jour d’ici, quant à ma personne particulière, m’est plus fortuné que mille m’ont été et ne seront peut-être jamais ailleurs, et que partant je parle contre mes intérêts mêmes ; mais j’y suis forcé pour vous faire connaître la déchéance de la charge, que je dissimulerais si je parlais autrement. Quant à moi donc, Monsieur n’y ayant point d’autre chose à espérer, trouvez bon, s’il vous plaît, de me substituer un autre et de me rappeler.

Je suis, en l’amour de N.-S, Monsieur, votre très humble et très affectionné serviteur.

HUSSON.

 

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1830. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

28 janvier 1655.

Vincent de Paul ne veut pas que durant le temps des missions ses prêtres acceptent des honoraires pour messes dites à l’intention des fidèles ; il a lui-même l’habitude de les faire porter aux malades par les personnes qui les lui présentent.

 

1831. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

28 janvier 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

On commence à jeter les yeux sur les Filles de la Charité qui sont propres pour la Pologne et à les disposer ; mais nous nous trouvons empêchés d’en trouver qui aient toutes les qualités répondantes aux desseins de la sérénissime reine, pource qu’il a plu à Dieu de composer cette petite compagnie de personnes de basse condition, de médiocre esprit, mais, par sa miséricorde, de bonne volonté, laquelle, par sa grâce, augmente tous les jours en elle.

Lettre 1830 — Collet op cit, t II, p 150

Lettre 1831. — Recueil de lettres choisies, exemplaire de la maison-mère des Filles de la Charité, lettre 116.

 

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1832. — JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

De Tunis, ce 29 janvier 1655

Monsieur,

Votre bénédiction !

Il y a longtemps que je vous ai témoigné la nécessité que nous avons des lettres de Constantinople pour la conservation des droits consulaires, lesquels vous ont toujours paru comme l’unique expédient que Dieu avait donné en ce temps à la compagnie pour travailler à l’avancement de son saint œuvre en ce pays.

Vous avez déjà été informé comme le nouveau consul des Anglais, lequel réside en cette ville, les avait usurpés l’année précédente à l’égard des Flamands. Il a commencé cette année à usurper encore la protection des Italiens ; ce que le très cher M. le consul (1) n’a pu empêcher, quelque diligence qu’il ait pu faire auprès du dey, lui représentant l’insigne injustice qu’il lui faisait, lui ôtant sans sujet ce que tous les consuls ses prédécesseurs avaient eu de tout temps, par ordre du Grand Seigneur, et ce, pour n’avoir pu lui faire voir aucune de ses lettres expresses, sinon les capitulations que nous avons, lesquelles, comme je vous ai toujours témoigné, on a en aucune estime en ce pays, à cause qu’elles sont imprimées

Outre, Monsieur, que notre négligence à obtenir ces lettres du Grand Seigneur ruine entièrement cette charge, je ne saurais vous représenter l’occasion de scandale qu’elle donne à un chacun notamment a tous ceux de la nation, lesquels en imputent la faute, non à nous, mais au très cher M.. le consul, par lequel ils la voient exercer. C’est ce qui donne le plus d’occasion aux marchands de s’irriter contre lui, jusque-là même qu’un de ceux qui résident en ce pays en a pris occasion d’en faire un verbal, par lequel il fait comme au préjudice de l’honneur de son prince et toute sa nation et des revenus de sa charge ; par sa négligence il la laisse entièrement périr. Outre que l’innocence et les soins de mondit sieur le consul pour la conservation de cette charge sont connus de Dieu, nous serons obligés encore de les faire connaître aux hommes, si ce verbal est envoyé. au conseil, comme on en menace mondit sieur le consul de vouloir envoyer, où à une chambre de

Lettre 1832. — L. a. — Dossier de Turin, original.

1) Martin Husson.

 

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commerce nouvellement établie à Marseille. Si une personne avait exercé cette charge depuis la mort du défunt, comme lui, pour ses intérêts propres et particuliers, il ne l’aurait pas certainement laissé prendre, comme nous avons fait, il aurait obtenu en moins de six mois ce que je vous demande pour la conservation d’icelle il y a plus de 4 années. Et si la compagnie ne peut obtenir les choses nécessaires pour la conservation de cette charge, que Dieu lui a donnée pour travailler à l’avancement de sa gloire en ce pays, il serait, ce me semble et comme je vous ai toujours témoigné, plus expédient de la vendre que de la faire exercer. Au moins, nous ne serions pas tant criminels et devant Dieu et devant (les hommes) comme nous le paraissons. Que si depuis tant d’années nous avions apporté toutes les diligences requises, comme aurait pu faire une personne pour ses intérêts particuliers, pour la conservation et le maintien de cette charge, et que Dieu eût permis que les droits en eussent encore été usurpés par l’Anglais en la manière que nous voyons, j’aurais eu, ce me semble, plus de consolation, à cause que ces marchands n’auraient pas tant de sujets de s’irriter contre mondit sieur le consul à cette considération. J’espère que votre bonté y donnera ordre. C’est dont je a supplie encore une fois autant cordialement que je suis, en l’amour de. N. S. et en celui de sa sainte Mère Monsieur, votre très obéissant et très affectionné fils et serviteur.

JEAN LE VACHER

indigne prêtre de la Mission.

 

1833. — A MARC COGLÉE

De Paris, ce 30 janvier 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Monsieur Petizon, avocat du roi à Sedan, m’ayant fait l’honneur de m’écrire au sujet d’un petit enfant qu’il a eu soin d’élever jusques ici, afin d’éviter qu’il ne tombât entre les mains des huguenots, m’a prié quand

Lettre 1833. — L s. — Dossier de Turin, original.

 

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et quand (1) de parler aux dames touchant l’entretien de ce petit garçon ; ce que j’ai fait ; et elles ont été d’avis que les Filles de la Charité s’en chargeassent et eussent soin de l’élever jusqu’à ce qu’on le fasse venir ici C’est pourquoi, Monsieur, je vous supplie de dire. à notre sœur Jeanne-Christine, de ma part et de la part des dames de la Charité de cette ville, qu’elle le reçoive et ait soin de l’élever, et vous, Monsieur, de lui fournir ce qu’il faudra pour la nourriture et entretien dudit petit enfant, que vous prendrez sur l’argent que lesdites dames vous envoient chaque mois pour les pauvres de Sedan ; et au bon Monsieur Petizon, auquel je vous prie de rendre l’incluse, que je suis toujours de plus en plus consolé d’apprendre qu’il travaille si utilement à la gloire de Dieu, et que je souhaiterais bien qu’il plût à Notre-Seigneur me faire la grâce de pouvoir l’imiter et de contribuer davantage que je ne fais pas avec lui à l’œuvre de Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, à lui et à vous, Monsieur, très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Coglée, prêtre de la Mission de Sedan.

 

1834. — THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

De Rome, le 5 février 1655

Monsieur et très honoré Père,

Votre bénédiction. s’il vous plaît !

Voici une nouvelle à laquelle vous ne vous attendez, peut-

1) Quand et quand, en même temps.

Lettre 1834 — Arch dép de Vaucluse D 274, reg in-4

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être pas ; c’est que Monsieur de Lionne, arrivé à Rome il y a quinze jours, comme je vous ai déjà mandé, me fit appeler il y a deux jours et m’ayant demandé combien nous étions ici de prêtres français, il me présenta une lettre du roi, ou plutôt un commandement en écrit, par lequel Sa Majesté nous commande de sortir de Rome et de nous en retourner incontinent en France (1) Je lus ce commandement avec tout le respect que je devais aux caractères de Sa Majesté et le reçus avec telle soumission que, sans aucune résistance je souscrivis en même temps (à l’instance dudit sieur de Lionne) que je recevais ledit commandement et mis mon nom à la fin de la copie qui m’en fut présentée, me réservant l’original, que je portai avec moi. Cela fait, il me demanda si nous partirions le jour même. Je lui dis que je l’aurais bien désiré, mais qu’il me fallait bien quelques jours pour disposer les petites affaires de la maison, que, des le lendemain, je ferais partir nos prêtres français et que je me disposerais à les suivre au plus tôt ; ce que je fis.

Dès le jour suivant, Messieurs Legendre, Pesnelle (2) et Bauduy (3) se mirent en chemin, ce dernier pour Gênes, où il attendra vos ordres, et les deux autres sont allés vers Notre-Dame de Lorette pour travailler à la vigne du Seigneur en quelque évêché voisin, où il plaira aux Ordinaires les employer, selon la patente que je leur ai donnée à cet effet, jusques à ce que votre charité leur ait fait savoir où elle désire qu’ils se retirent, en cas qu’ils ne reviennent plus à Rome Je leur ai donné de l’argent pour deux mois et demi, pendant lesquels ils pourront travailler, sans que cela se sache à Rome. Il n’y a que Monsieur Jean-Baptiste (4) qui le saura ; et vous pourrez, Mon-

1) Le motif de cette expulsion est indiqué dans la lettre 1851 : Mazarin faisait un grief au supérieur de la maison de Rome d’avoir donné l’hospitalité au cardinal de Retz Chantelauze. a publié dans Saint Vincent de Paul et les Gondi, p. 358 et suiv., les papiers diplomatiques relatifs à cette affaire. Plusieurs documents lui ont échappé entre autres les deux lettres de Thomas Berthe

2) Jacques Pesnelle, né à Rouen le 5 juin 1624, entré dans la congrégation de la Mission le 4 septembre 1646, ordonne prêtre à Rome le 30 novembre 1648, reçu aux vœux à Rome, supérieur de la maison de Gènes de 1657 à 1666 et de 1674 à 1677, de celle de Turin de 1667 à 1672 et de 1677 à 1683, année de sa mort. C’était un sujet de grand mérite, très apprécié de saint Vincent.

3) François Bauduy, né à Riom le 14 janvier 1623, reçu dans la congrégation de la Mission le 4 septembre 1648, ordonné prêtre le 3 septembre 1651

4) Jean-Baptiste Taone, né à Lantosque (Alpes-Maritimes) le

 

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sieur, si vous l’avez pour agréable, lui adresser les lettres que vous voudrez lui envoyer pour leur signifier vos intentions. j’avais pensé qu’ils allassent à Gênes ; mais ils ont jugé qu’il serait mieux d’attendre vos ordres en ce pays-là, où ils sont allés dans le désir d’y employer le temps, ou en mission, si on les y emploie, ou en dévotion à Notre-Dame de Lorette, si personne ne les emploie.

Pour moi, Monsieur, je vous dirai que je me dispose à partir pour aller je ne sais où. Les uns me conseillent d’aller tout droit en France, selon que le commandement le porte expressément ; d’autres de nos amis seraient d’avis que je me retirasse en quelque maison secrète, hors de Rome, jusques à nouvel ordre de vous. Mais ce lieu secret est difficile a trouver ; et puis je n’obéirais pas tout à fait aux ordres du roi, demeurant en Italie. Si je demeure en ce pays-ci, on pourra s’imaginer en cour que je me sens coupable, puisque je ne retourne pas en France, conformément au commandement, et si je m’en vais à Paris, je ne sais pas si vous l’approuverez. Enfin je ne sais quasi à quoi me résoudre pour le mieux. Si je pouvais pénétrer votre volonté en cela, je la suivrais ponctuellement ; mais j’avoue que je ne trouve point de raison assez claire pour me la faire conjecturer C’est pourquoi je tâcherai de suivre le meilleur conseil que je demanderai encore une fois à qui je sais que vous avez confiance.

Je tâcherai, Monsieur, de vous donner de mes nouvelles le plus souvent que je pourrai, en mon voyage ou en ma retraite.

Vous pourrez, s’il vous plaît, Monsieur, m’écrire en trois lieux différents : savoir à Rome, adressant vos lettres à Monsieur Jean-Baptiste ou à Monsieur Lambin (5) à Gênes, les envoyant à Monsieur Blatiron ; et à Lyon, les adressant chez Monsieur Lombet, ou chez les Filles de la Visitation, ou chez ce marchand pour lequel il vous plut me donner une lettre pour recevoir de lui de l’argent en cas de besoin, lorsque je vins de Paris à Rome ; je ne me souviens plus de son nom ; il me semble pourtant qu’il est grand ami du frère Ducournau et il me semble qu’il se nomme Monsieur Delaforcade

Je laisse la maison à Monsieur Jean-Baptiste et lui ai laissé un papier, pour recevoir, au commencement d’avril, la somme de trois cents écus de Monsieur Auton, marchand à Rome auquel j’ai donné une lettre de change à tirer sur vous ; mais

24 novembre…, ordonné prêtre en décembre 1634, reçu dans la congrégation de la Mission à Rome en 1642.

5). Banquier en cour de Rome.

 

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elle n’est payable qu’au mois d’avril, afin qu’il y ait trois mois de temps entre le payement de la dernière lettre de change et celle-là, qui servira pour le quartier d’avril, mai et juin.

J’avais oublié à vous dire que ce qui me fait plus connaître que l’intention de la cour est que j’obéisse absolument à l’ordre qui m’a été donné par Monsieur de Lionne, c’est ce que ledit sieur de Lionne me dit, après m’avoir signifié le commandement de Sa Majesté, que je prisse bien garde à ne pas désobéir, si je ne voulais donner sujet à la cour de faire quelque chose contre la compagnie et contre votre personne.

Ne jugeriez-vous pas à propos, Monsieur d’envoyer ici Monsieur Blatiron pour venir reconnaître comme la petite famille se comportera pendant mon absence ? Si je vais en France, je passerai par Gênes, où je conférerai pendant quelque temps avec Monsieur Blatiron et Monsieur Duport pour les informer des particularités de la maison de Rome.

J’avais pensé que peut-être pourriez-vous obtenir de la cour que Monsieur Dehorgny revint ici pour supérieur de cette maison, sous prétexte de venir ici faire la visite ; mais j’y vois de grandes difficultés et à le proposer et à l’obtenir. Au reste je ne doute nullement que Dieu ne prenne la compagnie sous sa sainte protection, puisque nous sommes en cela exempts de mal et que nous n’avons pas cru, obéissant au Pape, offenser Sa Majesté divine ni le roi en aucune façon.

Tous nos papiers qui touchent nos règles, nos vœux et nos affaires communes de la compagnie sont cachetés dans un petit coffre bien ajusté. Je l’ai envoyé chez le Père Placide, bénédictin, sans qu’il sache ce qu’il y a dedans. Messieurs Legendre et Pesnelle les ont jugés là en plus grande sûreté qu’ailleurs.

Je me recommande très humblement à vos saints sacrifices, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

BERTHE.

De Rome, ce 5 février 1655.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général des prêtres de la Mission, à Paris.

 

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1835. — THOMAS BERTHE, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

Monsieur et très honoré Père,

Votre bénédiction, s’il vous plaît. ! Voici la seconde lettre que je me donne l’honneur de vous écrire sur le même sujet. Je vous envoie la première par une voie et celle-ci par une autre, afin que, si l’une vient à être perdue au moins l’autre vous soit rendue.

Vous saurez donc, Monsieur, que Monsieur de Lionne, qui est pour quelques affaires du roi en cette ville de Rome, me fit appeler le jour de la Purification de Notre-Dame, et, après m’avoir demandé combien nous étions chez nous de prêtres français, il me présenta un commandement du roi par écrit en la forme que vous verrez par la copie ci-jointe. Je ne fis aucune difficulté à recevoir ledit commandement, non plus qu’à souscrire de ma main, selon le désir dudit sieur de Lionne, comme, ledit commandement m’étant signifié, je le recevais. Après, il me demanda si j’étais prêt de partir le même jour. Je lui dis qu’il serait moralement impossible de le faire ce jour-là, mais que je me disposerais de partir au premier jour et que, dès le lendemain, je ferais partir les autres prêtres français ; ce que je fis d’autant plus promptement que ledit sieur de Lionne me témoigna que, si je faisais difficulté à obéir, la compagnie et votre personne en particulier en pourraient recevoir du dommage de la part de la cour, qui s’en ressentirait.

Nos trois missionnaires partirent dès le lendemain : M. Bauduy pour retourner à Gênes et y attendre vos ordres, et Messieurs Legendre et Pesnelle vers Notre-Dame de Lorette, où ils pourront travailler à faire des missions dans l’évêché de Spolette et de Ricanetti, jusques à ce que vous leur ayez fait savoir où vous voulez qu’ils aillent, à Gênes ou en France. Je leur avais proposé d’aller à Gênes avec Monsieur Bauduy mais ils ont cru qu’il était plus à propos d’aller travailler dans quelque évêché de ce quartier de Lorette, où ils pourront travailler sans que cela se sache ni à Rome ni en France que d’aller à Gênes tous trois. Et puis vous pourrez toujours les y envoyer quand il vous plaira, et ils attendront vos ordres pour aller là ou ailleurs, selon qu’il vous plaira leur ordonner Les lettres que vous leur voudrez envoyer, vous les

Lettre 1835. — Arch. dép. de Vaucluse D 274, reg.

 

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pourrez adresser à Monsieur Jean-Baptiste à Rome. Il ne manquera pas de les leur faire tenir, en quelque lieu qu’ils soient, où en l’évêché de Spolette, ou à Notre-Dame de Lorette.

Pour moi,. Monsieur, je me dispose a partir ! et, s’il plaît à Dieu, la journée de demain ne me trouvera plus à Rome. Je vous puis dire que Notre-Seigneur me fait la grâce de n’avoir aucun ressentiment de ce sujet d’affliction que la petite compagnie souffre. Je considère tout cela comme un moyen très assuré et qui me paraît très évident, dont Notre-Seigneur se veut servir en cette occasion pour obliger le Pape futur à nous être favorable en toutes nos affaires, puisque nous ne souffrons que pour avoir obéi à son prédécesseur. Rien ne nous pouvait arriver à Rome de plus favorable, ce me semble, pour nous rendre recommandables au Saint-Siège auquel nous avons témoigné notre obéissance, bien que nous eussions prévu ce qu’on commence déjà à faire contre nous. Dieu soit béni de toutes choses et remercié de la consolation extraordinaire qu’il m’a donnée depuis trois jours en çà ! Je m’en vais donc partir avec joie, puisque c’est pour obéir à Dieu, qui me commande d’être obéissant à mon roi

Je laisse la conduite de la maison à Monsieur Jean-Baptiste, que j’ai fait revenir de la mission pour cet effet, après avoir donné les ordres nécessaires à Messieurs Antoine Morando et Baliano pour continuer les missions dans l’évêché de Tivoli, où ils travaillent avec grande bénédiction. Monsieur de Martinis (1) aura soin de la procure et de la dépense de la maison. Ce bon Monsieur nous a été jusques ici à grande édification, et il fera très bien l’office de procureur, avec les cérémonies de la messe.

Tous les papiers qui concernent notre Institut, comme nos règles, nos vœux, nos affaires, sont en un petit coffre bien fermé et cacheté ; et je l’ai envoyé chez le R. P. Placide, bénédictin, comme en un lieu le plus sur. Je n’ai pas jugé le devoir envoyer chez Monsieur Lambin, pour quelques raisons que je vous pourrai dire de bouche, si je pense avoir l’honneur de vous aller trouver à Paris, comme je l’espère, si je ne trouve à Lyon, ou chez Monsieur Lombet, ou chez Monsieur Delaforcade, ou chez les filles de Sainte-Marie, quelque ordre de m’arrêter là, ou d’aller ailleurs. Je vous supplie donc très humblement, Monsieur, de m’honorer de quelque

1) Jérôme de Martinis, né à Bonnefontaine près de Gênes, le 15 mai 1627, entré dans la congrégation de la Mission le 6 août 1650, ordonné prêtre en septembre 1651, reçu aux vœux en octobre 1652, supérieur à Nantes de 1671 à 1676.

 

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lettre à Lyon, afin qu’ayant appris. là votre volonté je la puisse suivre ponctuellement, comme je désire, soit pour aller à Paris, soit pour demeurer à Lyon, soit pour aller ailleurs.

J’espère arriver à Gênes dans douze jours où je donnerai à Messieurs Blatiron et Duport toutes les petites instructions touchant notre maison de Rome et nos affaires Je séjournerai pour cela trois ou quatre jours dans ladite ville de Gênes, puis je me mettrai en chemin pour me rendre à Lyon le plus tôt que je pourrai, où j’espère trouver vos ordres et quelques pièces d’argent, si j’y en aurai besoin soit pour y séjourner, soit pour en partir et aller où il vous plaira. Je ne crois pas que Monsieur Delaforcade fasse difficulté de me donner une douzaine d’écus, en cas de besoin.

Messieurs Legendre et Pesnelle ont de l’argent pour plus de deux mois, cependant ils auront de vos nouvelles..Notre maison de Rome n’a pas plus de cinquante écus d’argent pour subsister après mon départ. C’est pour cela que j’ai donné. à Monsieur Louis Auton, marchand de Rome, une lettre de change de trois cents écus à tirer sur vous dans sept semaines c’est-à-dire au commencement du mois d’avril ; et cette somme servira à nos Italiens pour les mois d’avril mai et juin Avant que tout ce temps-là soit passé, les affaires seront peut-être changées.

Ne serait-il pas à propos que, vers les fêtes de Pâques. Monsieur Blatiron vint faire un petit tour à Rome incognito comme on dit, pour voir comme tout se passe en notre maison ? Cela se pourrait faire si secrètement qu’on n’en saurait rien.

Vous plaira-t-il, Monsieur, vous souvenir de moi dans vos prières et saints sacrifices et de me faire recommander aux prières de la compagnie, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

De Rome, ce 5 février 1655

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission, à Saint-Lazare, à Paris.

 

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1836. — JEAN -FRANÇOIS MOUSNIER, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Du Fort Dauphin, le 6 février 1655

Monsieur et très honoré Père,

Votre bénédiction !

Il est bien juste que, si j’ai donné en France quelque marque d’amour pour celle qui m’a donné la vie (je parle de ma vocation), j’en donne encore ici, où elle m’a conduit et conservé jusqu’à présent, quoique sans sujet Car voici la vraie pierre de touche, où je connais le vrai amour et affection qu’elle a eu pour moi. Mais, comme je ne puis lui donner de plus assuré témoignage, que celui que je sens pour elle en mon cœur, ni de la reconnaissance que j’en ai, que par le moyen de celui qui l’a instituée et mise en l’être que Dieu avait prévu de toute éternité, il faut que je vous avoue que je n’ai jamais senti mon cœur plus échauffé d’amour pour vous que depuis le commencement de mon absence de Paris jusqu’à présent, ayant toujours reconnu, par l’emploi incomparable auquel la divine Providence a permis, sans avoir égard à mes faiblesses et lâchetés, que vous m’ayez occupé, savoir à l’égard de ces pauvres âmes infidèles, que vous ne pouviez avoir pour moi un plus véritable amour que celui-là, puisqu’il n’y en a point de plus grand, ni de plus certain, que de mettre la chose aimée en possession et en état de jouir du plus grand bien qui lui puisse jamais arriver, comme vous avec fait à mon égard en ce monde, m’ayant envoyé en ce pays, où je jouis de ce grand bien et tout divin dont parle la bouche d’or. Car je crois que c’est principalement du salut des âmes infidèles qu’il dit être la chose la plus divine de toutes que d’y coopérer, comme il ne tient qu’à moi de faire. Or, comme vous ne pouvez juger de l’usage que je puis faire de cette grande faveur que vous m’avez accordée sans aucun mien mérite, sinon par ce que le papier vous en peut éclaircir, voici courtement, selon le temps que le départ de ce navire me donne, une partie de mes actions.

A mon départ de Paris avec le messager, étant hors des faubourgs, je dis mon Itinéraire ; et d’honnêtes gens qui m’accompagnaient jusqu’à Tours me répondaient, entre lesquels était le frère de notre bon Monsieur Legendre, lors à Rome.

Lettre 1836. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

 

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Ensuite nos entretiens, à diverses reprises, furent avec lui de notre communauté et de ses emplois, s’étonnant de ces entreprises, comme de celles où j’étais destiné, touchant M. son frère et sur la conduite temporelle qu’on pouvait tenir à un tel voyage ; comme aussi pour le spirituel, avec un honnête chirurgien d’Orléans, qui avait fait le voyage des grandes Indes.

Je n’ai manqué, les deux jours que nous mîmes jusqu’à Orléans, de célébrer la sainte messe et dire mon Itinéraire, lequel j’ai continué sur la rivière de Loire jusques à Nantes, et les litanies de la Vierge, que nous chantâmes tous les jours avec les bateliers, ne pouvant pas célébrer la sainte messe, à cause que j’allais nuit et jour sur l’eau pour faire les diligences que vous m’aviez ordonnées, lesquelles étaient pénibles aux bateliers, comme ils faisaient paraître. Je tâchais de les soulager corporellement tenant l’aviron avec eux, et spirituellement par les avis que je leur donnai tout d’abord partant d’Orléans, et que je continuai jusqu’à Nantes, pour empêcher les jurements ordinaires et discours et chansons déshonnêtes qu’ont accoutumé de faire telles gens. Ce que j’obtins presque en tout dès le même jour, grâces à Dieu, que je partis d’Orléans, qui fut sur une à deux heures. Les bons exemples et remontrances du bon M. Legendre et d’un autre écolier d’Angers n’y contribuèrent pas moins que moi Le premier me quitta à Tours, et je perdis la compagnie du second proche d’Angers, mais non celle de deux bons religieux Carmes qui venaient jusqu’à Nantes pour des stations et avaient pris la place de M. Legendre au bateau. Leur entretien m’était favorable pour sa piété. Et la consolation que je reçus, passant au lieu de la naissance de notre frère Daniel Baudouin (1), par la vertu qui me parut d’abord en une sienne sœur, me confirma dans les bons sentiments que j’avais eus à Paris de son bon frère, par le contentement que cette bonne fille témoignait avoir de la vocation de son frère, lisant une lettre que je lui donnai de sa part.

Le quart d’heure que nous fûmes là à terre nous fit achever le reste du jour avec ces bons Pères de la vertu de cette fille, et en ce que je leur pus dire de son frère.

Ces bons Pères ne se laissèrent gagner par moi à la rame, et nous disions ensemble notre office divin et l‘itinéraire le matin, au soleil levant, deux fois seulement : ce jour qu’ils s’embarquèrent avec moi, et le lendemain que nous arrivâmes à Nantes, qui était le dimanche, sur les neuf à dix heures.

1) Daniel Baudouin né à Montrelais (Loire-Inférieure), entré dans la congrégation de la Mission le 7 octobre 1651, à l’âge de dix-huit ans, reçu aux vœux en 1653.

 

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Étant en la ville, je fus aussitôt dire la sainte messe au Jacobins, et de là au château, pour voir M. l’abbé d’Annemont, que je n’y pus trouver qu’après midi. En l’attendant, du château je fus à l’hôpital voir les malades et nos chères sœurs de la charité, dont l’amour de Dieu et le grand désir qu’elles me dirent avoir quasi toutes de m’accompagner ou de me suivre, au moins à quelqu’autre embarquement, pour le pays barbare, si la providence divine les y voulait appeler, attisa le feu de mes désirs de voir cette terre promise. Et le reste du temps que je fus à Nantes jusqu’à l’arrivée de M. Bourdaise, ayant dit la sainte messe, si je n’étais avec M. l’abbé d’Annemont, je m en allais voir l’exercice charitable de ces bonnes sœurs à l’hôpital ; ce que je fis deux ou trois fois seulement, dont elles me témoignèrent grande consolation, me faisant promettre de vous écrire d’ici leur désir de venir contribuer en ce qu’elles pourraient au salut de ces pauvres âmes. Ce qu’elles feraient avec un effet et un progrès que je ne vous saurais exprimer par leur bon exemple et assiduité au travail et instruction des prières chrétiennes qu’elles leur pourraient faire.

Une couple dans le commencement, avec quatre ou six au moins de ces petits enfants trouvés, des plus sages et des plus adroits à quelque ouvrage manuel, comme à faire la couture ou à l’ouvrage de la soie et coton en forme de toile, pour commencer un séminaire de petits catéchumènes, qui imiteraient en tout ces jeunes Français et ces bonnes sœurs, lesquelles, pour le passage de mer de six mois de temps au moins et pour le pays ici, doivent être fortes tant en la vertu de pureté que de patience, à moins que d’un capitaine dans le navire véritablement chrétien, tel qu’est l’un de ces deux navires qui reste ici avec le navire de M. le maréchal (2) (il se nomme La Forest des Royers), et en la vertu de douceur.

Si une des deux sait, comme il y en a beaucoup en leur communauté, quelque chose pour soulager les malades par une saignée ou purgation, elle sera encore plus utile pour la gloire de Dieu en ce pays. Et l’autre, si elle sait travailler à la couture, filer, faire des bas de coton, comme on fait en France, aux dentelles et semblables ouvrages des mains conformes aux femmes, bien lire et écrire, aussi bien que l’autre. et que ces petits enfants, dont l’âge douze à quatorze ans au moins est tel qu’il serait à propos et vingt-cinq à trente pour ces filles, et non plus jeunes. toutes ces qualités pour elles sont nécessaires ici. ; sans quoi elles ne peuvent pas tant y glorifier notre

2) Le maréchal de la Meilleraye.

 

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bon Dieu. Si néanmoins M.. le maréchal juge à propos leur passage être pour la gloire de Dieu, il n’y a homme qui ait connaissance comme nous en avons de ces filles avec ces qualités qui puisse être d’avis contraire avec juste raison, principalement si on passe d’autres femmes en ce pays, comme on croit et dit qu’on fera ci-après pour peupler l’île de Mascareigne. Pour quoi faire aisément et à peu de frais, ce me semble, on trouverait assez à Paris de ces pauvres enfants trouvés des deux sexes, et qu’on y conduirait aisément, pour leur docilité, y ayant quelques autres hommes et femmes pour les instruire et mettre en occupation en cette île, telle qu’il serait à propos.

Ce qui se faisant, jugez du nombre nécessaire de bons ouvriers en ce pays. Il y a déjà quatorze chrétiens français en cette île et dix ou douze nègres infidèles auxquels nous n’avons pu parler avant leur départ, n’en ayant pas même eu la connaissance qu’on y en menât, pour les instruire avant et les baptiser Un prêtre ou deux pourraient-ils être inutiles ? Ce pourrait être de ceux qui sont en cette île malsains et infirmes après le travail, qu’on y pourrait mener d’ici pour changer, à cause de la grande bonté, pureté et tempérie de l’air de cette petite île, lorsque les navires y iront, ou les barques. Deux autres prêtres ici au moins pour toujours, pour les Français et nègres de cette habitation ; un autre, pour aller et venir en France ès navires ; un autre pour aller dans les barques qui vont au riz à Mangabais ou Sainte-Marie souvent et un autre pour aller ès terres de l’île en voyage avec les Français qui y vont souvent en traite de marchandises et dont les voyages sont de deux à trois mois. sans vous parler de quatre habitations en quatre endroits différents de l’île, où la vigne du Seigneur paraît au dire de nos Français qui y ont demeuré si facile de cultiver que les ouvriers n’y trouvent presque aucune épine à déraciner, qui l’empêche de porter des fruits célestes.

Mais où suis-je ? Je m’égare bien loin de Nantes. où j’ai laissé M. Bourdaise à son arrivée, qui nous a causé autant de joie, à M. l’abbé d’Annemont et à moi, que nous avions eu de tristesse de son retardement, qui nous a presque retenus en France sans les bontés de Monseigneur le maréchal, qui m’avait accordé un jour seulement pour trouver un compagnon en mon voyage, faute duquel deux Pères Cordeliers prenaient nos places ès navires et étaient quasi prêts de s’y en aller sans l’arrivée heureuse de M. Bourdaise, qui changea tout et chassa la tristesse de nos cœurs pour y loger la joie, avec la résignation néanmoins au bon plaisir de Dieu, qui s’y trouve. Ce qui nous fit encore occuper un jour et demi à pourvoir aux petits besoins que nous n’avions pu prendre à Paris pour un tel voyage, dont néanmoins le tempsqui presse trop nous en fait

 

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oublier et laisser une grande partie, et des plus nécessaires et utiles, de decà, et nous cause la perte de beaucoup de celles que nous avons eues à Paris et à Nantes pour n'avoir loisir de les accommoder comme il fallait.

Mais avant que de nous embarquer dans une chaloupe pour venir à Saint-Nazaire, où étaient les navires, j'oubliais de vous dire les bontés du Père Joseph de Morlaix, lors provincial des Capucins de la province de Bretagne, qui m’avait accordé un de leur Pères et un de leurs Frères pour m'accompagner, si M. le maréchal l’eût souhaité ainsi absolument Ce qui mérite bien que vous l'en remerciiez. pour nous, n'ayant pu le faire avant notre départ de Nantes, tant nous fûmes pressés de nous embarquer en une chaloupe avec nos hardes, lorsque je croyais m'en aller acquitter, après avoir dit la sainte messe en leur église, sur les cinq heures du matin, d'où je fus détourné pour entrer en cette chaloupe, laquelle débordée de terre, nous disons notre Itinéraire, notre office, l'Angelus, les litanies de Jésus et celles de la Vierge, et faisons notre collation, étant le vendredi après le jour des cendres.

Et l'après-midi, ayant songé à notre voyage en mer, nous résolvons de mettre nos hardes au plus grand navire, conduit par mondit sieur de La Forest des Royers, homme tout chrétien et tout entier au service de M. le maréchal, sans oublier celui de Dieu.

C'est un homme tel qu'il faudrait ici pour commander les Français. Il en a toutes les qualités.

M. Bourdaise et notre frère René Forest se chargeaient d’avoir soin de nos hardes audit vaisseau, où ils se devaient embarquer. Mais le lendemain matin, sur les huit heures ayant parlé et salué à Saint-Nazaire à M. de Pronis, commandant de l’autre navire auquel lieu étaient mouillés les deux navires, il nous dit que celui de M. de La Forest était trop chargé et qu’il nous faudrait mettre nos hardes au sien, qui ne l’était pas tant. Ce qui étant très vrai, nous acceptâmes la faveur qu’il nous faisait, le remerciant dès lors ; et aussitôt nous y allâmes faire décharger la chaloupe de nos hardes. Et trois jours après, notre frère René Forest témoigna être content de venir avec moi au navire de M. de Pronis pour être notre valet, dont M. de Pronis était aussi content. Ce qui me consolait, voyant que par là il aurait plus soin de nos hardes et que rien ne pourrait aller mal ; comme il arriva jusqu’à ce qu’il voulut quitter de sa propre volonté, sans aucun sujet légitime, ains purement pour avoir plus de liberté et de temps qu’il n’avait, au dire d’un chacun du vaisseau.

Nous demeurâmes donc encore huit jours à Saint-Nazaire avant lever les ancres, attendant le vent propre ; pendant

 

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quoi j’allais tous les matins à terre dire la. sainte messe, et le reste du jour je tâchais de chercher quelque chose des provisions nécessaires pour ce pays, qui nous manquaient, et venais boire et manger et coucher au navire.

Donc enfin, le troisième dimanche de carême au matin, huitième du mois de mars, nous levâmes les ancres, entre sept et huit heures, le vent étant propre, quatre navires ensemble un qui allait en Terre-Neuve, l’autre aux Indes de l’Amérique nommé Pélagie, qui nous accompagnèrent ce jour-là.

A cause du grand embarras du navire et du temps, qui n’était guère propre, je ne pus dire la messe, et, au lieu, pour prières dis l’Itinéraire et le Benedicite et les litanies de Jésus et l’Angelus. Je continuai tous les jours que je ne pouvais dire la messe pour le mauvais temps et pour la petitesse et incommodité du vaisseau ; et le soir j’ai fait tous les jours les prières comme à Saint-Lazare, produisant tout haut les actes. Je n’ai eu que ce jour-là grâces à Dieu, dans tout le voyage incommodité pour la mer, ni autre, qu’à notre arrivée ici un petit mal de tête d’un jour et demi, qu’une saignée m’emporta.

Ces deux autres navires nous quittèrent pour faire leur route : le petit, six jours après notre départ. et la Pélagie, douze jours après.

Nous n’eûmes, grâces à Dieu, aucune mauvaise rencontre d’aucun pirate, ni autre, jusqu’au Cap-Vert, dont nous eûmes la vue le 8 avril, et vînmes mouiller l’ancre le lendemain jeudi, neuvième dudit mois, sur les quatre heures après midi, à la rade de Rufisque (3), où nous trouvâmes un vaisseau conduit par le capitaine Bichot, de la Religion, pour Messieurs de la Compagnie d’Orléans, par la voie duquel M. Bourdaise et moi vous rendions compte de notre voyage jusque-là. J’écrivais à M. Rozée, de Rouen, à Madame d’Aiguillon et à Madame Traversay touchant l’état de ce lieu, dont M. Nacquart vous avait écrit en y passant. Je vous écrivais la facilité qu’il y a là, aussi bien qu’ici, d’y établir la loi et comme j’y baptisai un adulte, âgé de trente-cinq ans, instruit et présenté par un des Portugais qui sont là demeurant, au nombre de six ou sept, avec trois petits enfants naturels de ce Portugais. j’y fis de l’eau bénite et y dis la sainte messe. Je vous mandais comme il n’y a point de prières du tout, que les Capucins que M. Rozée vous avait mandé y avoir envoyés n’y avaient demeuré que deux ans au plus, d’autant que la pauvreté de cette nation, suivie d’une inclination grande au larcin, avait plus besoin d’aumône qu’on n’en pouvait donner.

3) Au Sénégal.

 

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Ce qui causa bientôt la mort d’un ; et l’autre est retourné en France, comme me dirent les Portugais, qui sont quasi tous dans un concubinage perpétuel avec une seule femme, à la vérité baptisée. Il y a bien 30 ou 35 chrétiens en tout et qui assistent tous à ma messe avec grande dévotion.

Le temps ne me permet pas de vous déduire au long l’état temporel et spirituel de ce lieu ; la connaissance que j’en ai eue aussi bien est trop petite, et j’écrivais lors au long ce que j’en appris et ce qu’on y pouvait faire.

Voilà, le second dimanche d’après Pâques venu, que nous en partons, vous assurant auparavant que quelques-uns seulement des gens du navire y firent leurs pâques. Il y avait environ quinze ou seize personnes de la Religion réformée, dont les jurements, sales discours et chansons infâmes étaient aussi communs en leur bouche comme les heures du jour au moins, sans que j’aie pu rien gagner sur eux, ayant pour exemple de leur méchanceté quelqu’un des officiers du vaisseau, aussi de la Religion, et voyant que je n’étais secondé de personne pour empêcher ce désordre, qui m’a fait gémir tout le voyage, pour n’avoir jamais rien pu obtenir sur aucun de ces religionnaires, non plus que sur une partie des autres, catholiques romains, qui étaient au nombre de quarante à quarante-cinq Il en est demeuré au moins la cinquième partie du vaisseau qui n’ont jamais voulu approcher des sacrements et qui s’en retournent en France sans cela. Dieu leur pardonne, s’il lui plaît ! Ce n’a pas été faute de leur en parler un mot seulement après vêpres, ne m’étant pas permis, sinon de parole seulement, de leur en parler amplement ; car, lorsque je pensais le faire, j’en étais interrompu aussitôt par ceux de la Religion. Ce que je pus faire seulement fut quelque petite instruction aux meilleurs des catholiques, à chacun en particulier, au lieu et à l’heure que je trouvais les plus commodes pour cela.

Nous voilà donc encore en mer, où j’ai toujours dit la messe toutes les fêtes et dimanches, tant que le temps n’a pas été trop rude. Et je me suis occupé tant que j’ai pu à attraper les garçons du navire et à les instruire tant à prier Dieu que de nos mystères, et à lire à un, qui en avait bonne volonté et l’esprit

Enfin, approchant de la ligne, voilà trois grands vaisseaux portugais qui paraissent le 2 de mai, sur les 9 heures du matin. Nos navires les vont reconnaître, et trouvent, le quatrième jour qu’on les pourchassait, que c’étaient des Portugais, dont le plus grand navire que nous approchâmes à la portée du mousquet aurait pu tenir le notre entre ses deux grands mâts, tant il était grand.

 

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Et aussitôt que nous les eûmes reconnus, nous continuâmes notre route jusqu’à la ligne, où l’on fit le bain ordinaire de tous ceux qui ne l’ont jamais passée. Ce fut le 20 mai. Les nôtres ne s’étonnèrent de ce qu’on y fait. C’est la coutume aux prêtres de leur verser seulement sur les mains de l’eau et ils donnent quelque aumône pour les pauvres ; c’est l’ordinaire, et il est à propos de donner.

Ensuite nous continuâmes notre route sans malades, grâces à Dieu, qu’un de fièvre quarte avant partir de France, continuant nos exercices ordinaires, savoir de tout mon office jusqu’à vêpres à mon lever, et puis une demi-heure d’oraison mentale sur les divers sujets que j’assignais tant pour moi que pour notre frère René Forest, et l’Institution Chrétienne des vertus et des vices nous en a fourni toujours, hors les fêtes et dimanches, que nous en prenions sur l’Évangile. Ensuite l’on faisait les prières du matin, ou je disais la messe ; et si j’avais du temps entre deux, je lisais mon Nouveau Testament et un ou deux au plus des chapitres de l’Ancien.

Après les prières ou la messe et le déjeuner de l’équipage, j’écrivais quelque chose ou sur la langue malgache (ce qui était trop rarement, ne pouvant jouir comme j’aurais souhaité de ceux qui en avaient quelque connaissance), ou bien je travaillais à un Bref perpétuel, ou à quelque lecture, comme pareillement toute l’après-dînée jusqu’au temps que j’avais réglé pour mes vêpres et jusqu’aux prières du soir, que je faisais comme j’ai dit ci-devant. Et ainsi mon temps s’écoulait insensiblement.

Et voilà une île que nous voyons dite de la Trinité. Le 11 juin, nous la côtoyâmes toute l’après-dînée, et la quittâmes le lendemain. y a peu de navires qui fassent même route que nous, qui la trouvent. On trouva qu’elle était au vingtième degré de hauteur. Elle est proche de la côte du Brésil.

Ensuite nous avons été toujours ensemble les deux navires, et ne nous étions point séparés encore de vue, sinon une nuit ou deux ; et les officiers des deux navires s’entre-parlaient de temps en temps, d’où je prenais aussi occasion de savoir la santé de M.. Bourdaise, que j’apprenais rarement être sans le mal de mer.

Mais voici une tempête furieuse, le 21 de juin, qui nous sépare les deux navires et casse le gouvernail du nôtre par un coup de mer qui entra en la chambre aux canonniers, ayant rompu deux planches et un membre du navire très considérable ; troisième accident, qui nous arriva sans aucun mal, grâces à Dieu, que l’accident mettre, savoir notre mât de misaine et celui de l’artimon, et la vergue du grand mât de hune, qui furent tous cassés par le milieu presque, qu’il fallut raccommoder.

 

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Mais ce seul coup de mer nous fit plus de peur que tout le reste. Car de voir un navire avec son seul pasfi de misaine, sans gouvernail, se gouverner comme il faisait, toute une nuit et un demi-jour, qui ne dira être la main du Tout-Puissant qui nous gouvernait et qui se contentait de nous donner la peur seule pour la peine de nos péchés

Le jour de saint Jean, pour marque qu’il ne nous avait encore abandonnés et ne nous voulait perdre, attendant notre conversion, nous eûmes un temps tout calme, pour accommoder comme il fallait le gouvernail, jusqu’à ce qu’on put être en rade en la baie de Saldanha, ou nous arrivâmes le 11 juillet, après avoir vu trois jours consécutifs la terre du cap de Bonne-Espérance.

Je ne pus voir les nègres de ce cap, à deux fois que je fus à terre, pour ce sujet, afin de voir si nous pourrions, selon l’intention de M. Nacquart, lui amener une couple de jeunes enfants. Mais, comme ces gens sont toujours errants çà et là, ils viennent rarement deux fois en même lieu se retirer. J’appris que pour quelque peu de méchant tabac on a les rafraîchissements qui se trouvent. Si nos Messieurs en avaient besoin en y arrivant, comme il se pourrait faire, il leur en faudrait porter Ils peuvent prendre à la grande terre quelques pierres à aiguiser lancettes ; aussi bien ne s’en trouve-t-il point ici.

La mort d’un de nos matelots, que je mis en terre en une île de cette baie le 17 juillet, après avoir reçu tous les sacrements, excepté celui de l’extrême-onction, que je ne pus lui administrer, me fait ressouvenir de celle de cet autre pauvre matelot malade de fièvre quarte dès la France à cette grande tempête qui sépara son âme d’avec son corps, à même temps que nos deux navires se séparèrent de vue. Et nous n’espérons nous voir qu’à Madagascar, où nous allons, ayant demeuré dix jours à Saldanha, d’où nous partîmes le 20.

Enfin voilà nos vœux accomplis ! O glorieuse Vierge, c’est à vous à qui nous en avons obligation ; car, le jour de votre Assomption dans les cieux, vous nous faites descendre à terre et la toucher au moins avec un plomb la nuit même, qui nous fait espérer de la toucher avec le pied sur jour ; mais on ne le put que le lendemain.

Néanmoins étant trop éloignés de la rade où l’on voulait mouiller, cela n’empêcha pourtant pas que je ne dise la sainte messe.

Ce jour-là, sur les onze, heures à midi, après avoir entonné le cantique Te Deum à la vue de notre terre et de notre demeure tant désirée, comme nous avions fait à la vue ou arrivée de toutes les terres en tout le voyage, les ancres furent

 

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jetées en mer à la rade dite Manafiafy, mot de la langue du pays, qui dit avoir beaucoup de poisson. 0n tira trois coups de canon pour faire venir les nègres habitants de la côte, dont il n’en parut qu’un sur le sable, soit qu’ils eussent peur de ces navires, soit qu’il n’y en eût plus là proche comme en effet il y en avait peu, étant tous plus bas et au lieu dit Itapère, où l’autre navire était mouillé trois jours avant nous seulement, comme on apprit le lendemain 17 août, ayant envoyé la chaloupe, qui vit beaucoup de nègres sur le sable.

Étant passée une pointe qui nous couvrait la rade d’Itapère, on mit pied à terre, et nos gens apprirent aussitôt l’arrivée de l’autre navire ; ce qui les fit retourner sur leurs pas avec trois ou quatre de ces nègres et des présents qu’ils apportaient à M. de Pronis : des citrons, volailles, racines, qu’on mange en ce pays au lieu de pain et des bananes, une espèce de fruit, le meilleur qu’on trouve en ce canton de terre.

Voilà sujet de joie sans doute ; voici des douceurs et rafraîchissements après tant de travaux, voici la paix après tant d’inquiétudes ; enfin voici ce que tous ceux du navire souhaitaient. Mais seuls Desmoulins et moi trouvons plus d’amertume que nous n’avions encore fait jusque-là. M Bourdaise en a passé par là ; mais il se console maintenant, comme je crois, dans la vie de notre cher M. Nacquart ; mais, hélas ! c’est dans les cieux ; car il n’a pas seulement appris sa mort temporelle, comme je crois, en ce monde, dont seulement nous avons connaissance par le moyen de ces nègres, mais bien encore sa vie spirituelle dans les cieux et en ce pays par l’odeur que ses vertus et bons exemples y ont laissée, dont à la vérité nous ne sommes entièrement privés, vu l’affection avec laquelle ces pauvres infidèles nous parlent de lui. Ce qui nous fait reconnaître un peu qu’il vit encore en ce pays et ce qui adoucit encore un peu nos douleurs et amertumes, attendant un plus grand soulagement à demain sur ce point, que nous irons mouiller l’ancre à Itapère, et là ; l’y recevoir de M. Bourdaise, qui nous dira ce qu’il en sait déjà, nous résignant néanmoins à la bonté divine en une perte reconnue par tous les Français qui nous en ont parlé depuis, très grande pour nous, pour plusieurs raisons En effet nous ne l’expérimentons que trop dès notre arrivée en plusieurs occasions, dont la moindre est de ne savoir à qui nous adresser. sinon à celui seul qui nous fait quelque plainte de lui. Mais Dieu ne connaissait pas seul M..Nacquart, non plus que celui-là. Il sait ce que tous les autres, tant Français que nègres, m’en ont dit, n’y en ayant aucun qui ne m’en parle avec des sentiments d’affection que je ne saurais exprimer (4). Les actions qu’il a faites

4) Etienne de Flacourt écrit de M. Charles Nacquart (histoire de

 

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en ce pays, depuis celles dont il vous a donné ; connaissance par sa lettre, vous feraient connaître si c’est à tort qu’il est en telle estime de deçà, que la plupart des Français nous on dit n’avoir jamais senti une telle douleur que celle qu’ils sentirent après sa mort ; et d’autres ne pouvaient s’imaginer qu’il était mort.

J’envoie à M. l’abbé d’Annenont des mémoires mêmes qu’il a faits de sa main propre, depuis ceux qu’il vous envoya avec ses lettres, pour en faire lecture à M le maréchal, s’il le désire ; et après, qu’il l’envoie a Madame d’Aiguillon, que je prie vous envoyer aussi, après qu’elle en aura fait lecture..Si vous jugez à propos de nous en envoyer copie par les premiers qui viendront ici, vu que nous n’avons loisir d’en faire des copies ? J’en ai pourtant fait lecture une et deux fois.

J’ajouterai seulement à ces mémoires, qui cessent longtemps avant sa maladie, comme j’ai remarqué par le livre des baptêmes et son mémoire qui finit après le premier jour de mai de l’an 1650 que je trouve qu’il a baptisé, depuis le 9e de mai seulement jusqu’au 19, neuf petits enfants et un vieillard de soixante ans, malade en extrémité (c’était un maître de village, comme qui dirait un seigneur de village en France), après avoir été instruit Il était en un voyage, où il baptisa ces dix personnes, comme j’ai remarqué, après lequel il vint ici malade aussitôt son arrivée, dont il avait déjà senti le coup longtemps auparavant, savoir dès le dimanche du Bon Pasteur, et qu’il l’avait annoncé aux Français, leur parlant sur cet évangile en ces termes : Percutiam pastorem et dispergentur oves. En effet, le voilà malade quatre ou cinq jours avant le jour de l’Ascension, qui était cette année-là le 26 mai, auquel jour il se leva encore et leur prêcha, mais peu, pour sa faiblesse, leur recommandant la paix entre eux et les avertissant des sentiments qu’il avait touchant les blancs de ce pays ; que si on voulait avancer la foi, il serait à propos de les retirer de cette île, vu qu’ils l’empêchaient plus que quelqu’une autre chose qu’on se put imaginer. En effet, un d’iceux nommé Dian Machicore, qui a même permis qu’il baptisât un sien petit enfant nommé Jérôme, que nous n’avons jamais pu obtenir du

la grande isle Madagascar, Troyes, 1661, in-4, p. 275) : "C’était un homme de bon esprit, zélé pour la religion et qui vivait exemplairement bien, qui avait déjà de la connaissance de la langue à suffisance pour instruire les habitants du pays, à quoi il prenait grande peine de s’employer continuellement, et a été de nous tous fort regretté, d’autant qu’à son imitation beaucoup de Français tâchaient à bien vivre, qui depuis, faute d’instruction, se sont laissés aller au vice commun en ce pays, qui est celui de la chair"

 

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père pour l’instruire depuis notre arrivée ici, quoiqu’il me l’ait promis plusieurs fois ce loup ravissant, je l’appelle ainsi, a bien osé dire, après la mort de notre cher précurseur qui fut le 29 dudit mois, que l’esprit des Français était perdu et leur lumière était éteinte (ce sont. de leurs façons de parler) et que c’était lui qui l’avait éteinte, voulant dire qu’il viendrait bientôt à bout des Français comme des aveugles ; comme ils ont tâché de faire, mais en vain néanmoins, la Providence divine ne l’ayant pas permis et leur prêtant son bras contre ces infidèles, qui ne manquèrent aussitôt de déclarer la guerre à nos Français et vinrent même jusqu’au fort pour y mettre le feu, dont ils furent bien repoussés de nuit même (5), et pour montrer que cette lumière, qu’ils croyaient avoir éteinte, ne l’était aucunement, ains, au contraire, qu’elle éclairait mieux que jamais et les faisait voir en plein minuit, comme on dit. En effet, d’où vient que douze Français, en se défendant, en repoussent deux ou trois mille de cette nation lorsqu’ils se tiennent sur leurs gardes (6) Et n’est-ce pas faute de cette précaution que vingt autres Français environ ont été massacrés par pure trahison, sans leur donner le loisir de se jeter sur leurs armes (7), dont néanmoins la divine Providence avait averti ces pauvres brebis innocentes, qui ne se souvenaient que leur pasteur avait dit qu’elles s’égareraient se sentant frappées, et que leur guide et lumière leur manquait, que ce païen disait leur avoir ôté (8).

Je l’ai dit loup ravissant, parce que c’est l’homme qui fait paraître en tout plus d’estime pour notre religion, dont. au moindre point qu’il en aperçoit et qu’on lui parle, ce ne sont qu’admirations et approbations ; mais au fond ce mahométan n’a que des sentiments contraires et des discours et effets opposés en derrière.

Ce bon pasteur donc sentant son mal augmenter, le jour de l’Ascension, l’après-midi, il fit venir quelqu’un des Français, et un entre autres, qui s’en va en France, auquel il donna Le Chrétien charitable, le priant s’en servir en après envers tous

5) C’était le 22 janvier 1651. Pour disperser les nègres de Dian Ramach M de Flacour avait fait partir ses canons Les assaillants s’enfuirent de suite épouvantés. (Cf. de Flacourt, op. cit., p. 292 et suiv)

6) Cf. de Flacourt, op. cit., p. 279 et sui.

7). Cf. ibid., p. 290 et suiv

8) La petite colonie du fort Dauphin ne comprenait plus en juillet 1654 que soixante-dix-sept Français. Toujours épiés, menacés ou attaqués par les indigènes, ils avaient dû, en guise de représailles, ravager leurs terres, piller et incendier leurs villages. Ainsi s’étaient écoulées les années 1651, 1652 et 1653.

 

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les malades, jusqu’à ce qu’il fût venu quelque prêtre ici et de commencer par lui-même, se faisant lire toutes les choses qui sont pour les malades ; et dit ce jour-là ou le lendemain aux autres, après leur avoir demandé pardon des sujets qu’il leur pouvait avoir donné des mauvais exemples, leur avoir recommandé l’amour entre eux, la fuite de tout péché et la poursuite de toutes les choses nécessaires pour leur salut, l’assistance et secours mutuel en leurs besoins et maladies.

Et se voyant proche de sa fin, voulant remédier à tout, se souvenant que le Saint Sacrement était encore à l’église et n’y pouvant aller pour le consommer, il. leur l’honneur et le respect qu’ils y devaient avoir, et si par malheur, dont il avait sujet de craindre, ils étaient obligés d’abandonner leur fort, qu’ils emportassent avec eux le tabernacle, ou au moins le saint ciboire, n’étant pas encore assuré qu’il y pût remédier lui-même.

En outre, ayant fait tout ce que le mal qu’il souffrait lui permettait pour le spirituel, il tâcha de songer au temporel, priant M. de Flacourt que, si Dieu disposait de lui, qu’on l’enterrât en une église proche de l’autel, dont il avait mis la pierre fondamentale le jour de la Purification, que les guerres continuelles, auxquelles la venue de ces deux navires a seulement mis fin, ont empêché d’achever de bâtir. Elle sert maintenant de cimetière. Il pria aussi qu’on déterrât son cher compagnon M. Gondrée et qu’on le mit en même tombe avec lui ; ce qu’on n’a pu encore accomplir jusque-là, mais que nous tâcherons de faire exécuter au plus tôt.

De plus, il ordonna qu’on satisfit du peu d’argent qu’il avait de reste celui qui lui avait servi d’interprète, et autres petites affaires temporelles, comme on verrait par la copie de son testament, qu’il fit lors, dont je vous envoie la copie seulement. Et le samedi suivant, il perdit le jugement et mourut le dimanche 29 mai.

Ces Messieurs l’enterrèrent du mieux qu’ils purent, avec les ornements sacerdotaux, comme on m’a dit. Il n’oublia, au bout de l’an, de faire un service, savoir l’office des morts et la messe, pour son cher compagnon quelques peu de jours avant sa maladie, espérant qu’après cela il irait bientôt jouir de sa chère compagnie toute l’éternité, pour un an qu’il en avait été privé.

La mémoire de notre défunt était tellement au cœur de ces bons Messieurs nos Français qui étaient ici, qu’ils ne manquèrent non plus, au bout de l’an, de lui chanter l’office des morts, comme nous avons fait ici, M. Bourdaise et moi. Après avoir dit nos trois messes, à l’ordinaire de la maison nous chantâmes le premier nocturne de l’office des morts, les Laudes et

 

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nos deux messes hautes, l’une de la Vierge et l’autre des morts.

Je crois que tous nos Messieurs, qui sauront que Dieu en a disposé, ne manqueront à lui rendre les mêmes devoirs qu’on a rendus jusque-là à tous les défunts de notre compagnie. Je ne saurais croire qu’aucun en perde la mémoire elle est trop célèbre.

Ses vertus exercées tant en France qu’ici, qui ne se sauraient cacher et que chacun sait et saura par la lecture de ses propres écrits, que l’humilité a obligé : d’écrire plutôt qu’aucun autre respect, non, à la vérité, des choses secrètes et dons de Dieu intérieurs et à lui particuliers, dont j’en ai pourtant appris quelque chose de deçà ; car il avait trop de peur que le vent de superbe ne renversât le bâtiment puissant, non de sable seulement, qu’il avait construit de ses dons divins, entre lesquels était celui d’être le septième garçon de sa famille, et partant qui avait pouvoir, comme le roi de France, de toucher des écrouelles ; aussi portait-il naturellement une fleur de lis imprimée sur son estomac dès sa naissance pour marque de ce pouvoir particulier, comme j’ai appris de quelqu’un de nos Français, qui l’ont remarquée après sa mort, que les uns ne se pouvaient imaginer être véritable, croyant un an durant le devoir toujours voir, les autres n’en pouvant perdre la douleur ; et plusieurs même nègres n’en pouvaient perdre la mémoire, tant elle leur était chère et recommandée, comme elle est encore à présent, selon ce que nous en remarquons par les discours qu’ils tiennent à sa louange et par les bons mouvements qu’il leur a inspirés pour la foi ; en telle sorte que, depuis notre arrivée jusqu’à présent, nous n’avons point eu affaire à sortir du logis pour aller seulement chez un seul de ces pauvres infidèles pour occuper notre temps à les instruire. Ils nous ont assez occupés sans sortir de notre logis et nous sont venus trouver sitôt qu’ils ont su que nous venions ici pour faire la même fonction que notre défunt, qui en a baptisé durant sa vie soixante-dix-sept, tant adultes que non adultes ; en sorte que, depuis deux ou trois jours après notre arrivée ici jusqu’à présent, il s’est peu passé de jours que nous n’ayons eu, depuis le soleil levé jusqu’à 10 et 11 heures quelqu’un de ces infidèles ; et assez. souvent nous en avons jusqu’à une vingtaine dans une case à part, qui ne nous sert que pour leur apprendre à prier Dieu et que nous avons achetée pour cela seul ; et depuis une heure et demie jusqu’à trois et quatre heures et depuis cinq jusqu’à la nuit, si nous nous occupons à autre chose que ce soit, nous leur ôtons ce temps sur leur instruction, et même durant que je vous écris celle-ci, il faut que je les prie de me donner ce peu de temps. qu’elles

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ne m’accordent pas volontiers, et que les nouvelles venues ne peuvent attendre.

D’où vous jugez le besoin d’ouvriers en ce pays ; et si je vous en demande trop, je vous assure qu’il n’y a presque point de village aux environs d’ici où l’on n’eût la même occupation. Deux ou trois frères n’y manqueraient d’occupation, surtout s’ils ont des vertus mâles et fortes tant en chasteté qu’obéissance et que douceur. Oh ! plût à Dieu que j’en eusse conformément aux besoins que j’en ai pour de semblables occupations ! Il sait trop combien j’en suis éloigné, surtout de la dernière, non la moins nécessaire en ce pays. S’ils ne savent lire, ni écrire, ils feront peu de chose ; et un peu de connaissance en la chirurgie et apothicairerie, avec les choses nécessaires pour cela, dont voici un mémoire écrit de la main de M. Bourdaise, qui est sans cesse importuné tant des Français que des pauvres nationnaires pour quelques onguents pour leurs blessures et maux de ventre et autres maladies ordinaires en ce pays, non qu’ils manquent de chirurgiens et apothicaires en ce pays ici, mais si dénués de remèdes et choses nécessaires à la santé qu’ils ont recours à lui à tous moments. Ce n’est pas la moindre occasion dont on se peut servir pour parler à ces gens ici de la foi et d’y faire progrès. Les saignées en ce pays sont si nécessaires qu’on ne le saurait penser, et les lancettes si rares que les chirurgiens d’ici fuient tant qu’ils peuvent de saigner, pour les conserver. ;

Un autre frère coadjuteur qui sache la couture, ou plutôt l’art de menuiserie et quelque chose de serrurerie, n’y serait pas moins nécessaire que l’autre, pourvu qu’ils aient tous deux bon pied et bonne santé, aussi bien que les prêtres qui pourront venir de deçà, quoique néanmoins les personnes de complexion délicate s’y portent assez bien.

Je ne vous dis rien davantage sur cela ; je laisse vous ressouvenir de ce que vous en a mandé notre cher défunt tant des ouvriers, du nombre, de leurs qualités, que de leur âge, auquel n’est pas tant nécessaire d’attention pour les hommes que pour les femmes.

Je ne vous dis rien sur les mœurs de la nation, ni sur les qualités du pays. Le temps du départ du navire qui presse m’en empêche. M. Bourdaise vous en dit un mot en la sienne, attendant que nous vous en puissions faire un ample récit. Je n’ai aussi bien encore remarqué grand’chose que vous n’ayez appris par celle de M. Nacquart, défunt.

Je vous enverrai quelque mémoire des choses que je crois nécessaires en ce pays, et pour prévenir les inconvénients qui nous sont arrivés pour y remédier croyant devant Dieu que cette petite occupation pour le temporel n’est point détachée

 

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du spirituel, puisqu’elle doit empêcher de petits désordres, que le désir du salut de mon prochain et du mien me doivent faire éviter. C’est en cette seule vue que je les ai écrites, à proportion que j’en ai remarqué le besoin par ma faute. Je ne doute qu’il n’y paraisse peut-être un peu trop d’attention aux choses temporelles mais je suis aveugle en ce point.

J’espère de votre charité paternelle que vous excuserez volontiers cette faiblesse en moi et que vous m’obtiendrez lumière en mon aveuglement, par le mérite de votre bénédiction sur le plus infirme et imparfait de tous ceux que vous chérissez comme vos chers enfants, en l’amour de N.-S., pour un desquels j’ai cette confiance que vous tenez. Monsieur et très honoré Père, votre très humble et très obéissant en l’amour de N-.S.

MOUSNIER,

prêtre de la Mission très indigne.

 

1837. — JEAN-FRANÇOIS MOUSNIER, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Fort Dauphin, 6 février 1655.

Monsieur,

Je crois être obligé de vous mander les choses suivantes crainte qu’il ne nous en arrive autant de perte qu’à nous, qui a été très grande, faute de les avoir sues.

Premièrement, pour la farine que vous apporterez ici, jusques à ce qu’on vous mande n’en être plus besoin, afin qu’il : n’y ait de la farine de fèves mêlée comme il nous est arrive ayez-en de Saint-Lazare de pur froment ; faites chauffer le four comme pour cuire du pain, et y mettez ce que vous en voudrez apporter, dans des vaisseaux de terre ; un poinçon est autant qu’il en faut au plus ; puis ayant été au four la moitié du temps qu’on y laisse le pain, la faut retirer et en ôter ce qui semble être trop sec ; et mettez le reste en de petits barils neufs de trois pots ; vous l’y foulerez le plus que vous pourrez et placerez ces petits barillets dans une barrique neuve qui ait huit bons cercles de fer, parmi de la paille ou bien en une grande caisse de sapin dont les ais aient un pouce et demi d épais parmi de la paille ; semblablement et couvrirez ladite caisse encore dessus de paille et d’une bonne grosse

Lettre 1837. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle

 

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toile cirée ou goudronnée, avec de bons cordages aussi goudronnés, crainte que la toile et cordages ne pourrissent au navire comme il nous est arrivé, et de la plus grande perte des choses.

2° Que chacun des prêtres ou frères qui viendront ici aient un livre ou deux de papier blanc avant leur départ de Paris, èsquels tous les mots français qu’on se peut imaginer soient écrits alphabétiquement ; Pajot (1), Mores et le petit dictionnaire leur aideront pour cela ; comme aussi qu’ils y écrivent tout le français qu’ils trouveront au Thesaurus linguae latinae, et laissent de l’espace pour écrire la langue malgache ; et, ce faisant, ils posséderont bientôt la langue malgache.

3° Que ceux qui viendront ici ne s’attendent à personne pour acheter et fournir ce qu’il..leur faudra ; ainsi qu’ils le fassent eux-mêmes s’ils ont connaissance du prix de chaque chose ; sinon, qu’ils soient présents, s’il se peut, à ceux qui les achèteront et qu’on porte ou à Saint-Lazare ou aux Bons-Enfants tout ce qu’on voudra apporter ici, pour en faire dès là inventaire de tout, dont une copie demeure à Saint-Lazare ; et que ceux qui viendront en aient chacun une autre copie, à laquelle ils ajouteront le surplus des choses qu’ils prendront ailleurs qu’à Paris en leur chemin.

Qu’on prévoie au moins trois jours d’avant que sortir de Paris à la douane pour ce qu’on apportera.

Plus, qu’on emballotte toutes les choses qu’on apportera en ce pays, comme j’ai marqué ci-dessus pour la farine et qu’on mette un sceau et une marque à chaque ballot dès Paris à la douane ; c’est le lieu pour les connaître. Si l’on prend des caisses au lieu des barriques, qu’elles soient longues de quatre pieds, larges et hautes de deux et demi, et les ais épais d’un pouce et demi, de sapin ou chêne. Qu’on y mette de bonnes serrures et bons cadenas, et le surplus comme ci-dessus pour la farine.

Qu’ils aient dès Paris une centaine de ces petits examens de conscience pour une confession générale tirés de Grenade. Pour des chapelets une grosse ou deux est ce qu’il en faut seulement pour donner en mer, car ici l’on leur en fait de diverses choses propres pour cela. Plus, une demi-douzaine de cuillers de cuivre étamé.

Qu’un de nos frères coadjuteurs de Saint-Lazare (ce peut

1) Charles Pajot, jésuite, né à Paris le 6 décembre 1609, mort à la Flèche le 13 octobre 1686, auteur de nombreux ouvrages classiques à l’usage des écoliers appliqués à l’étude du latin ou du grec : dictionnaires, syntaxes, rudiments, art poétique, écrits la plupart en latin.

 

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être le jardinier) apporte le soin, à toutes les saisons de chaque année, d’amasser en un sac à part, pour cette île, de chaque sorte de graine des herbes tant potagères que propres aux apothicaires, en un papier, avec son nom et de toutes sortes de noyaux et pépins des fruits de France, avec leur nom pour les pépins. Pour la vigne, il y en a ici assurément. Semblablement, pour toutes les sortes de fleurs qui se treuvent en France, qu’il en amasse des graines ; et de celles qui ne viennent de graine qu’il ait des racines, ou ce qui fait produire en France. Celles que nous avons apportées n’ont rien valu, pour avoir été mal placées en nos hardes. On mettra le sac parmi les choses sèches qu’on apportera, comme parmi le linge. Et pour le froment, le seigle, l’orge et avoine, qu’on en ait en deux sachets, le tout en leurs épis : un des sachets avec les autres graines, en un lieu bien sec, non parmi des ferrailles ; et l’autre, en un coffre que l’on puisse avoir quand l’on voudra, pour les mettre à l’air de temps en temps, sans oublier des noyaux d’olives qui n’aient été encore confites. S’ils y apportent quelques douceurs comme sucre candi ou autre confection de hyacinthe et thériaque et orviétan et semblables que ce soit en des vaisseaux d’étain ou de verre bien fort et bien bouché avec cire de savon et un morceau de liège dessous avec du suif dessus le liège et un morceau de parchemin par dessus tout ; faute de quoi, il leur arrivera désordre comme à nous. Et qu’ils aient ces choses en un coffre où ils y voient souvent, qui soit entre deux ponts au navire. Et si l’on pouvait apporter quelque plant de rosier ce serait un grand bien. S’ils apportent pruneaux figues et raisins secs amandes douces et amères, poivre, girofle, cannelle et muscade, ce qui ne se trouve en ce pays et néanmoins bien nécessaire pour les malades, que le tout soit chacun en une boîte à part, et toutes ces boîte en une grande caisse, comme j’ai dit ci-dessus.

Quelques vaisseaux de terre ou fer-blanc ou cuivre ou étain pour mettre des fleurs à l’église serviraient merveilleusement de deçà vu qu’on n’en saurait faire faire ici. Il serait à propos que ce fût des vaisseaux de terre vernissée et plombée des plus beaux qu’on fait en France

Dix ou douze pains de savon en ce pays pour le linge d’église nous obligeraient de le tenir proprement avec une livre d’amidon et un peu d’azur à proportion

Qu’on mette au fond des coffres où on mettra les hardes une pièce de cuir fort pour semelles de soulier avec une douzaine de pelotes de fil de voile pour rhabiller (2) les souliers, et

2) Rabiller réparer

 

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quelques alènes avec le cuir, qui conservera ce qu’on mettra au coffre.

S’il nous vient ici quelqu’un de nos frères qui entende la couture, il serait à propos qu’il apportât avec lui dès Paris (et quand même vous ne pourriez nous envoyer de frère ces choses nous seraient nécessaires) deux paires de ciseaux médiocres ; deux ou trois milliers d’aiguilles et plus, pource que la rouille en mange étrangement, mises dans une boîte sans aucun air dans du blanc rasis (3) ; une demi-douzaine de dés à coudre de grandeur médiocre, de cuivre jaune, crainte de rouille, de ces petits crochets et portes qu’on met à Saint-Lazare aux chemisettes (4) ; et des petits becs de corbin ronds et plats pour monter et démonter nos montres et y faire ce qui sera à faire plus quatre ou cinq livres de fil blanc et mauve et point de noir il se gâte tout en mer.

Pour les frères et prêtres, il serait à propos qu’on leur donnât dès Saint-Lazare à chacun un haut-de-chausses de toile pour le passage ; le pays n’est pas si chaud qu’on ne porte bien ici des soutanes et hauts-de-chausses de bonne serge de Londres. Ces autres petites étoffes et ces hauts-de-chausses de chamois ne valent rien du tout ; ici, après un tel voyage en mer, cela est tout gâté et perdu et ne dure pas deux jours honnêtement sans être tout déchiré. Des habits aussi pour nos frères, de bonne serge forte et de durée, est ce qu’il faut ici. Il n’y a que pour des chapeaux dont les plus légers sont les meilleurs (chacun deux chapeaux) [et] sont pour servir longtemps. Et à propos de chapeaux, ne pourrions-nous pas porter quelque petit bonnet rond ou carré en forme de toque aux longs voyages ? C’est tout ce qui incommode le plus en chemin que les grands chapeaux et pesants comme les nôtres, tant à cause des bois fréquents qu’il faut passer que de la force du soleil qui incommode beaucoup avec ces sortes de chapeaux. Qu’on ne craigne d’en apporter trop ici, non plus que de souliers ; on en retire bien son profit aussi bien que du linge.

Qu’on fasse faire dès Paris une douzaine d’assiettes de fer-blanc double et quatre plats moyens dudit fer. Si on apporte quelques serviettes et nappes de France, on n’aura pas la peine de faire rompre des draps pour en faire, comme il nous a fallu faire. Un couple de fontaines de fer-blanc serait très nécessaire pour l’Église.

Une caisse pleine de Vaisseaux de grès ou terre vernissée,

3.) Blanc rasis. céruse.

4) Anneaux dans lesquels s’engagent les agrafes.

 

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tant bouteilles que pots, serait très nécessaire en ce pays pour mettre les liqueurs qu’on a besoin.

Les guerres précédentes en ce pays contre nos Français vous donneront connaissance et feront estimer, crainte des assassins, qu’un fusil et un couple de paires de pistolets pour la personne que nous prenons pour nous accompagner en campagne, quand nous y allons, ne seront pas sans besoin et partant, avec ces armes, 40 ou 50 livres de poudre et le double de plombs de toutes grosseurs, et des pierres pour ces armes, un sachet, deux tire-bourres et deux racloirs.

Pour les ornements d’église, je ne vous dis rien de ce qu’il en faut ; seulement les plus beaux et honnêtes attirent davantage. Cette nation a la foi et dévotion, comme nous remarquons déjà. Il nous manque ici un pluvial pour le célébrant et, s’il vient des prêtres davantage, une tunique et dalmatique de chaque couleur ; et les étoffes du pays ne sont pas encore du tout honnêtes pour servir à l’église. Et pour les fers à faire pain à chanter, les nôtres sont tout gâtés de rouille en mer ; c’est pourquoi ci-après il en faudra apporter que les plaques seulement soient de cuivre jaune ou rouge, et le manche de fer semblablement. Pour les fers à rogner ledit pain, il faudrait qu’ils fussent faits, pour le grand pain, en forme de compas, dont le tranchant soit bien frotté et le reste aussi, de blanc rasis crainte de la rouille. Deux ou trois milliers de ces grosses épingles et courtes à grosse tête pour l’église nous seraient extrêmement utiles. Pour d’autres, nous en avons assez, grâce à Dieu, pour deux ans ; car nous avons trouvé celles de notre défunt, et beaucoup qu’on nous a données à Paris à proportion des autres choses. Il en faut néanmoins pour le voyage quelque peu. Surtout qu’on n’oublie pas comme moi, quelques beaux tableaux de peinture sur de la toile avec quelque beau cadre démonté qu’on puisse aisément monter pour mettre en l’église, qui est ce qui y manque le plus.

Voici quelques doutes :.

Je ne sais si nous devons permettre à nos frères coadjuteurs s’il nous en vient, d’aller pieds nus à la coutume des Français d’ici, qui ne portent ni bas ni souliers ni pourpoints ni chemises pour la plupart. Ne pourrons-nous pas aussi les laisser aller avec un haut-de-chausses et une chemise seulement s’ils le désirent ainsi, surtout ès voyages qu’il y aura à faire pource que les habits sont bien incommodes et les bas et souliers ? Moi-même et Monsieur Bourdaise avons marché pieds nus trente ou quarante fois qu’il nous a fallu aller d’ici à cinq grandes lieues sur le sable au bord de la mer dire la messe tous les dimanches au navire qui était mouillé à la rade d’ici, afin que la moitié des chrétiens qui étaient en cette île

 

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eussent part au saint Mystère. La grande quantité d’eaux qu’on trouve à passer oblige aussi bien trop souvent à se chausser et déchausser et pour la soutane ou soutanelle nous ne sommes pas en la pensée de la quitter, quelqu’incommodité qu’elle apporte.

Savoir si nous devons manger de la graisse d’une loupe qui vient sur les épaules des bœufs en ce pays, au lieu de beurre et huile, car il ne se peut encore avoir ni beurre ni huile ici aux jours maigres, et n’en avons pu voir ; et au carême si nous devons manger des œufs, car de poisson rarement en peut-on avoir, et n’avons pas le loisir d’en aller pêcher ; et les nègres et Français ne s’en mêlent quasi point, et on vit ici comme s’il n’y avait point de jours maigres ; et est bien difficile de faire autrement.

Mémoires des livres nécessaires :

Une grammaire arabique avec un dictionnaire

A chaque prêtre deux bréviaires deux diurnaux, deux livres de papier blanc, dont j’ai parlé ci-dessus ; à chacun une bible portative, le nouveau testament, un missel, rituel romain ou de Meaux en Brie ; deux processionnaires ; un antiphonaire et graduel en chant à chaque voyage seulement ; un martyrologe à chaque voyage seulement ; livre à chanter les ténèbres et la passion ; chacun un bref perpétuel intitulé Calendrier universel à l’usage romain, imprimé à Venise l’an 1584 chez Jean Sessa, ou depuis, ou bien à Rome, et non en France, si ce n’est depuis notre départ de France crainte qu’il ne soit de quelque diocèse particulier, comme j’en ai vu à Paris pour l’évêché de Cahors ; ce livre est des plus nécessaires, et on pourrait en faire venir de Rome ou de Venise ; un carton d’autel à chaque prêtre et carte d’Évangile.

Le Père a Rosta qui traite de la conversion des infidèles Catéchisme de Grenade pour ce sujet Thomas Bosius (5) et un autre intitulé La Conversion des Gentils, qui a douze livres sur le sujet, avec un catéchisme à la fin pour les catéchumènes ; à chaque prêtre deux livres du Chrétien Charitable par le Père Bonnefons (6), une des vies des Saints de Ribadeneyra (7)

5) L’ouvrage de Thomas Bosius que Jean Mousnier a ici en vue est sans doute De signis Ecclesiae Dei libri XXIIII, Coloniae Agrippinne, 1592, 2 t. en 3 vol. in-8 ; ouvrage réédité en 1594 et en 1626.

6). Le Chrestien Charitable par le P. Amable Bonnefous. Cet ouvrage était déjà arrivé à sa cinquième édition.

7). L’ouvrage du P jésuite espagnol Pierre de Ribadeneyra, traduit en français par René Gautier, conseiller du roi, sous ce titre Les fleurs des vies des Saints et festes de toute l’année, eut plusieurs éditions, dont une préparée par les soins d’André Duval, qui. ajouta

 

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ou du Père Simon. Martin (8) ; un Concile de Trente et son Catéchisme à chaque prêtre ; une Somme des Conciles ; les Œuvres de saint Thomas et ses opuscules, ou plutôt les opuscules de saint Bonaventure ; un Gavantus (9) à chaque voyage ; deux dictionnaires de Pajot (10) en cet ordre : 1° le français ; 2° le latin et le grec ; des petits rudiments une demi-douzaine (11) ; un couple Despautère (12) ; un Hortus Pastorum (13) ; un livre des Œuvres de Grenade à chaque voyage ; six gros livres de papier blanc pour les registres des baptêmes, mariages et mortuaires deux pour chaque sorte et deux pour les choses mémorables et deux pour les inventaires des choses qu’on aura ; les Instructions Synodales de Monsieur Godeau (14) ; les Épîtres de saint Xavier (15) ; les Relations de la Chine et Japon (16) ; Des saints devoirs de l’âme dévote ; des a Kempis français (17) ; Le Chrétien Charitable ; Laymann (18)

la vie de plusieurs saints de France et d’autres nouvellement canonisés.

8). Religieux de l’Ordre des Minimes, auteur d’une vie des saints et des Fleurs de la solitude cueillies des plus belles vies des Saints qui ont habité les déserts ; il édita encore en 1656 le Catéchisme et Introduction au Symbole de la Foy par le R. P. Louis de Grenade.

9). Barthélemy Gavantus est l’auteur de nombreux ouvrages liturgiques, dont le principal est le Thesaurus Sacrorum Rituum qui était à sa cinquième édition en 1654.

10) On a de Pajot trois dictionnaires : Dictictionnaire nouveau français-latin, 2e éd., Lyon, 1645, in-8 ; Dictionarium novum latino-gallico-Flexiae, 1636, in-8 ; Dictionarium novum latino-gallico-graecum, Flexiae, 1645, in-4.

11) Rudimenta nova linguae latinae, par Pajot, 2e éd., La Flèche, 1649

12). Jean van Pauteren Despautère est l’auteur ae nombreux ouvrages en latin sur l’art épistolaire, la grammaire, la syntaxe, l’art poétique, la prosodie, I’orthographe.

13). Hortus Pastorum et Concionatorum par Jacques Marchant, Parisiis, 1644, in-f°.

14). Ordonnances et Instructions synodales par Antoine Godeau. La 4e édition de cet ouvrage parut à Lyon en 1666.

15). Francisci Xaverii Epistolarum libri quatuor, ab Horatio Tursellino in latinum conversi ex hispano, Romae, 1596, 2 t. en I vol. in-4. Cet ouvrage fut réédité à Mayence en 1600, à Bordeaux en 1628.

16). Les Relations de la Chine et du Japon avaient pour auteurs des Pères jésuites missionnaires en ces contrées. (Voir Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, nouv. éd., Bruxelles, 1890, 10 vol. in-4, t. X, col. 1534-1540, 1545-1549)

17) L’Imitation de Jésus-Christ.

18) Paul Laymann, savant jésuite allemand,, mort le 13 novembre

 

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ou Bonacina (19) sur les cas de conscience ; un commentaire sur toute l’Ecriture Sainte ; les règlements de la maison, tant du séminaire que des supérieurs que de tous les autres officiers des petites maisons de la Mission, que des frères coadjuteurs et leurs offices… (20)

 

1838. — TOUSSAINT BOURDAISE, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Du fort Dauphin ce 6 février 1655.

Monsieur et mon très honoré Père,

Votre bénédiction, s’il vous plaît !

Quoique très éloigné, mon cœur s’enflamme pourtant de plus en plus envers vous et envers la petite compagnie ; les biens qu’elle produit et que les ouvriers en retirent sont mes plus chers entretiens. Je peux dire pour la gloire de Dieu, que je n’ai jamais eu une pensée contre icelle ; et aussi m’y a-t-il conservé, le plus indigne de tous, et m’y a toujours assisté. C’est de quoi je le remercie et le remercierai toute ma vie, protestant que toutes les règles, ordres, pratiques et conduites en sont saints, et les aimerai toujours. Jamais je n’ai été plus content ni pouvais désirer davantage que l’emploi où la divine Providence m’a mis ; je l’en loue de tout mon cœur et m’offre à lui pour disposer de moi selon son bon plaisir, et le prie qu’il ne me laisse aucun désir ni aucune pensée que d’avancer sa pure gloire.

Nous travaillons ici, M. Mousnier et moi, non pas avec tout l’avancement qu’il faudrait ; il ne tient pas à ces bonnes gens, mais plusieurs causes contribuent à ce mal.

1° La mort civile de Dian Poulle, très favorable pour nous, causée par le mal du pays et par le désir de sa liberté, lequel il avait caché, comme il m’en témoigna quelque chose sur le

1035, auteur d’une théologie morale en cinq livres et de nombreux opuscules sur différentes parties de la morale.

19). Martin Bonacina, auteur d’ouvrages de théologie morale très appréciés. Ses œuvres complètes avaient déjà eu plusieurs éditions.

20). Nous arrêtons ici cette lettre, bien qu’elle soit à peine à sa moitié. Le reste n’est qu’une énumération longue et fastidieuse des objets dont doit se munir tout missionnaire destiné à Madagascar, accompagné de quelques conseils pratiques sur les précautions à prendre pour les conserver.

Lettre 1838. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

 

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chemin. Une telle mort arrive sans beaucoup de dommage. Le prétexte a été pris de l’humeur de Mousnier et de vivre seul à Mascareigne. Il a bien changé.. Nous avons été trois mois à nous servir ; ce qui empêchait beaucoup de nos fonctions.

2° Le peu d’ouvriers n’est pas un des petits empêchements. Il serait nécessaire d’envoyer encore quatre prêtres desquels deux seraient à l’île Mascareigne, que Mgr (1) désire peupler et où il y a déjà douze Français et huit nègres, et autres pour aller au voyage et dans les barques. Il serait aussi bon d’avoir deux ou trois frères, dont un fût chirurgien, ou deux d’autant que les 0mbiasses sont tous chirurgiens, et les grands, qui séduisent ces pauvres gens par leurs médecines, leur faisant accroire mille superstitions. Monsieur Dufour est de besoin ici. Il ferait des merveilles. La prudence et la douceur sont nécessaires pour les enfants et pour guérir les malades. Il n’a point le cœur aux choses temporelles. Il n’y a rien qui détruise tant l’œuvre de Dieu, pervertissant le cœur des ouvriers. On ne doit pas penser à trafiquer ou amasser, mais même en parler, ni envoyer quoi que ce soit. Je sais que la compagnie est éloignée de cet esprit. La passion du bien est étrange ici dans un prêtre.

Les extrémités en la vertu ne valent rien, comme aussi de suivre en tout son jugement.

On a tenu des filles six mois à baptiser, venant tous les jours trois fois pour prier Dieu ; et on les savait comme il faut. sans toutefois les baptiser ; on veut, avant, qu’elles cherchent un homme qui apprenne à prier Dieu, pour les baptiser et marier tout ensemble. C’est leur demander ce qui n’est en leur pouvoir. Plusieurs ont désisté de venir à cause de cela. Il faut se mêler de mariage. On force une fille à prendre un garçon qu’elle n’aime pas, comme cela s’est vu ; et puis les mauvais ménages. Il est vrai que feu notre Monsieur dit bien qu’il tâchera de ne point baptiser d’adultes. qu’il ne les marie en même temps pour empêcher la rechute ; mais il ne dit pas qu’il n’en baptisera point autrement ; outre que je puis présumer pour un si grand bien qu’elles ne retournèrent pas, comme il s’en est trouvé. Et je veux qu’ils retournent par fragilité ; ils peuvent en l’extrémité aidés de Dieu, en obtenir le pardon. La ferveur passe et les lumières spirituelles s’évanouissent.

Attirer à la foi purement à cause et par les présents ne vaut rien ; mais de donner une poignée de riz pour accoutumer un

1) Le Maréchal de la Meilleray

 

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enfant de vous venir trouver et vous insinuer en son amitié et à celle de ses parents ; donner quelque petit présent à un adulte baptisé qui vient bien à l’église et qui fait bien son devoir, pour l’encourager ; proposer une corde de rasade à celui, de six ou de quatre, qui apprendra le mieux et plus tôt à prier Dieu, est bon, ce me semble. Je m’en remets entièrement à votre jugement.

Quoique nos avis soient ainsi divisés, nous ne laissons pas de vivre en frères, lesquels se disent simplement leurs défauts pour s’en corriger. Nous sommes tous fautifs. J’ai quelquefois témoigné de la froideur à M. Mousnier, mon supérieur, parlé à lui rudement et même lui ai résisté en derrière du monde, et cela volontairement et après y avoir pensé devant Dieu le jugeant nécessaire, à cause de son humeur rude, pointilleuse et étroite aux nègres et Français ; ce qui leur rendait insupportable et faisait qu’on ne voulait demeurer avec nous. Il y travaille, en voyant bien la nécessité Il est bon et ne garde point son cœur Dieu nous veuille donner son esprit. car je suis rempli de toutes sortes de défauts.

Le vice de la chair fait ici bien du mal : beaucoup ont des femmes publiques. Cela n’a été que depuis la mort de M. Nacquart. Je loue Dieu de la grâce qu’il nous fait. Il serait besoin d’une loi parmi les Français et d’une autre parmi les nègres, de n’avoir qu’une femme et ne la point quitter ; car pour [peu] de secours qu’il vienne, on se rendra maître d’eux.

M. de Pronis est gouverneur, ayant été jugé expédient que ce fût lui. Les choses n’en iront pas pis, s’il plaît à Dieu ; car la piété de M. de la Forest y soignera, comme il fait à présent

Une centaine de blancs nuisent beaucoup par leur avarice, ambition et superstition.

Les sœurs de la Charité seraient utiles pour l’instruction des femmes et des petits enfants.

J’ai remarqué, ce me semble, que les personnes faibles, ou qui sont un peu usées soit de l’âge, soit de maladie, se portent assez bien ici et recouvrent une bonne santé, à cause des vivres, qui sont de facile digestion et humides, et du continuel printemps, qui fait beaucoup de sang et très subtil ; d’où vient que les gens bilieux et pleins de passions ne durent guère, et particulièrement les mélancoliques Les maladies du pays aux nouveaux venus sont des fièvres chaudes et fièvres tierces si violentes qu’il est bien difficile de passer le septième ; ce sont espèces de fièvres à la mode ; car ils vomissent continuellement de la bile ; et lorsque par la faiblesse cela venant à cesser et laissant quelque reste au dedans, c’en est fait ;

 

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comme aussi des flux de ventre excités par la même humeur, lesquels, s’ils ne cessent et continuent jusqu’au septième ou huitième, emportent la personne. Il vient aussi de grandes coliques et maux d’estomac, cours de ventre et flux de sang, causés par des glaires qu’engendre la nourriture du pays, lesquelles, étant recuites par la chaleur d’une personne chaude, allument un feu et causent la mort ; qui a été la maladie de nos deux Messieurs. Ceux qui sont faits à l’air ont seulement tous les ans quelques petites fièvres quartes ou tierces, ou maux de jambes, qui les purgent, et pour lesquelles ils ne s’arrêtent point. Je vous dirai encore. que les personnes trop abondantes en pituite ne sont pas propres, à cause de l’eau que l’on boit continuellement. De ceci vous pourrez juger les personnes et les remèdes qui seront propres, desquels j’espère de votre bonté que vous m’enverrez un petit billet, pour m’en servir comme il faut.

On nous donne seulement du riz et de la viande. Si vous jugez que vous ou nous disions un petit mot de l’entretien ? Monseigneur le maréchal fut pourtant fâché de ce qu’on lui avait parlé de notre passage, joint que M. de la Forest, lequel est très juste et très raisonnable, remédiera à cela et à tous les défauts qui se pourraient glisser.

Voici une lettre d’un de nos bons amis, qui a beaucoup servi M. Nacquart ; je vous supplie, Monsieur, de tâcher de la faire tenir à sa pauvre femme (il ne manquera de vous en aller remercier ; elle s’appelle Marie Tavernier, demeurant à Pontoise) et lui donner, s’il vous plaît, cent francs au plus tôt, lesquels il nous a donnés en ce pays.

Monsieur mon très honoré Père, je vous supplie d’avoir la bonté de faire avertir mes parents et leur faire mes recommandations et qu’ils prient Dieu pour moi ; comme aussi faire tenir ces lettres et de nous envoyer la réponse que les parents vous enverront

Il ira de nos Français vous voir et faire retraite ; vous pourrez apprendre d’eux comme nous faisons.

Votre très humble et très affectionné serviteur et indigne fils.

T. BOURDAISE ;

i. p. d. l. M..

 

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1839. — TOUSSAINT BOURDAISE, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

A Madagascar, ce 8 février 1655.

Monsieur et très honoré Père,

Votre bénédiction, s’il vous plaît !

Je vous ai déjà mandé au Cap-Vert par le capitaine Bichot, qui est de Dieppe, tout ce qui s’était passé jusqu’au lieu de notre voyage. Mais, crainte que ma lettre n’ait été perdue, je vous dirai en peu de mots qu’ayant monté sur les navires de M. de la Forest, amiral des deux vaisseaux, je fus reçu avec tout l’honneur possible.

Le dimanche suivant, qui était le deuxième de carême, on leva l’ancre, au grand contentement d’un chacun ; et pour témoignage de réjouissance on chanta le Te Deum, et célébrai la sainte messe. Et comme Dieu mêle ordinairement l’affliction avec la joie, une voie d’eau qui était au navire commença à paraître et à nous travailler si extraordinairement qu’il fallait être jour et nuit à la pompe. Ce qui faisait songer à la plupart de relâcher en France, mais le capitaine, se confiant en Dieu, ne le voulut jamais. Enfin avec beaucoup de fatigue, le vendredi d’après Pâques, Dieu nous fit arriver au Cap-Vert, au grand étonnement et contentement d’un chacun sans avoir souffert aucune tempête, ni vu aucun corsaire.

Pendant tout ce temps je souffris toujours le mal de mer, sans presque manger. Cela n’a servi néanmoins que pour une plus parfaite santé, que je recouvrai bientôt au Cap. Cela pourtant n’a empêché que je n’aie dit la sainte messe tous les dimanches presque et fait quelques petits discours. Je visitai en ce lieu ces pauvres Indiens, qui sont en très grande quantité. Je serais trop long à vous mander toutes leurs façons de vivre ; seulement je me contenterai de vous dire que leur conversion m’a semblé facile :

1° Parce que plusieurs en ce lieu entendent la langue française

2° D’autant que parmi eux il y a de très bons catholiques portugais et plusieurs de leurs enfants qui sont baptisés, distingués des autres par une petite couronne qu’ils portent. Il y a même une chapelle bien jolie.

3° Il y va des navires tous les six mois de la part d’une compagnie qui est dans Rouen.

Lettre 1839. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

 

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4° C’est qu’ils ne tiennent que fort peu au mahométisme, étant comme des esclaves desquels les Turcs ne se mettent guère en peine, étant trop éloignés du Grand. Seigneur.

5° Ils vous écoutent volontiers, et il y en a qui savent encore leur Pater et font la bénédiction, pour leur avoir été appris, il y a quelques huit ans, par des Pères Capucins, qui furent quelques huit jours en ce lieu fort bien reçus. Et pour moi je ne pouvais faire un pas que je n’eusse une grande quantité de petits et de grands garçons et filles après moi et qui me prenaient les mains et m’appelaient Patres. Je leur faisais faire le signe de la croix et dire leur Pater ; et ne faut pas s’étonner si par ci-devant on n’a pas fait tout le profit que l’on eût pu souhaiter, d’autant qu’ils ont plus de besoin que l’on leur fasse l’aumône, que non pas de la donner ; car ils sont très pauvres, en telle façon que le plus riche d’entre eux est plus misérable que le plus gueux de France, et partant d’autant plus dignes et faciles à convertir, N.-S.. ayant été envoyé pour évangéliser principalement ceux-là.

6° Outre qu’ils ne sont pas beaucoup lubrique ; ce qui les dispose mieux à recevoir la lumière.

7° Les personnes qui sont là sont en sûreté ; car ils n’oseraient tuer ni même blesser, ayant des lois qui les rendent esclaves pour toujours, eux et tous leurs parents et descendants.

Il est vrai qu’ils ont deux vices, qui sont l’avarice et le vol, lesquels ne proviennent que de leur pauvreté. Leur vol n’est que de prendre subtilement aux nouveaux venus quelque chose ; car, si vous pouvez remarquer celui qui vous a dérobé, aussitôt on vous le fait rendre ; pour une épingle, une aiguille. Un peu de verrot, et vous les gagnez. Ils demandent incessamment et estiment tout jusqu’aux haillons. Les choses néanmoins qu’ils prisent davantage et dont il faudrait faire des présents sont du corail long et façonné, barres de fer, ciseaux, couteaux, eau-de-vie et du pain. Il faudrait que ceux qui iraient là sussent un peu de portugais, car ils l’entendent bien, et portassent de la farine et du biscuit. Les bœufs y sont au prix d’une [piécette] (1) de huit. ; un cabri ou deux poules, pour une bouteille d’eau-de-vie. Pour icelle vous avez ce que vous voulez. Il serait néanmoins tout à fait nécessaire que les ouvriers étrangers ne traitassent rien que ce qui est utile pour leur usage dans le pays et jamais n’envoyassent quoi que ce soit ni pour présent, ni pour nos maisons, ni même parlassent de marchandise. vous assurant qu’il n’y a rien qui empêche

1) Texte de la copie : pissesse.

 

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tant la propagation de la foi que cet esprit et qui soit plus abhorré dans un prêtre. Je sais que toute la compagnie en est tout à fait éloignée.

Après dix jours que nous demeurâmes là, pendant lesquels on apporta tous les soins et inventions possibles pour remédier à la voie d’eau, sans toutefois aucun avancement, la plus grande part de nos gens ayant fait leurs pâques et étant en bon état, nous nous mîmes à la miséricorde de Dieu pour faire cette longue et dangereuse traversée

Le vent nous vient contraire et continue jusqu’à à la ligne, comme il avait fait dès France ; ce qui nous éloigne fort de notre route et nous met en danger d’aller échouer à la côte de Brésil, de laquelle nous n’étions qu’à vingt lieues ; mais le vent s’étant retourné et nos deux vaisseaux rapprochés l’un de l’autre, [ils] continuèrent à voguer ainsi légèrement à la vue l’un de l’autre un mois entier.

Il n’y a rien de plus incertain que le temps. Voilà une tempête qui nous surprend, si cruelle et furieuse que les vagues passaient par-dessus les voiles ; les vergues touchaient dans la mer, laquelle n’était que montagnes. Nous étions tout remplis d’eau, et on ne peut fournir aux pompes. On ne voit goutte en plein midi. Le pilote, qui était venu trois fois en ce pays, dit n’en avoir souffert une si étrange, ; elle dure vingt-six heures, séparant nos deux vaisseaux ; ce qui nous afflige beaucoup et nous fait mettre en peine de retrouver l’Ours. Mais, voyant que nous n’avançons de rien, nous poursuivons notre route. Il se découvre plusieurs monstres de mer et entre autres une prodigieuse baleine, qui tourne autour de notre vaisseau, passe et repasse par-dessous, fait des bruits étranges, s’élève hors de l’eau et demeure un demi-jour, nous faisant craindre qu’elle ne démonte le gouvernail.

Un mois après, le vendredi, sur les quatre heures du soir, se découvrit le cap des Aiguilles, avec une mer fort agitée. Un brouillard nous couvre la terre, et la nuit se forme, qui nous en dérobe la vue. Le vent contraire et la marée nous poussent fortement sur les roches, desquelles nous étions tout proche. La crainte saisit les cœurs ; on allume les lanternes et on se met en prières, attendant l’assistance du ciel, qui ne tarda guère ; car, sur les dix heures, la lune se lève droit à l’horizon, sans aucun brouillard ; ce qui nous fit voir qu’il n’y avait point de terre devant nous.

Et néanmoins, étant sortis de ce lieu, la voie d’eau s’augmente, comme elle avait toujours fait depuis la tempête, en telle façon que l’on ne quitte plus les pompes ni jour ni nuit. Et à grande peine les deux peuvent-elles suffire. Et un vent

 

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contraire, qui met tous nos matelots sur les dents, faisait douter du succès. Et vous puis dire que le seul exemple du capitaine, son abstinence de viande les mercredis, ses jeûnes et ses mortifications redonnaient à la plupart courage.

La sainte messe se disait les fêtes et dimanches ; les prières que nous faisions, soir et matin, où tous les gens assistaient. Mais toujours le chef était premier et sortait le dernier ; ce qui faisait que l’on pouvait, dire que les sujets suivaient l’exemple de leur maître. Car, en vérité, chacun non seulement tâchait à ne point offenser Dieu mais même plusieurs pratiquaient des vertus très héroïques.

Dans toute la traversée, il ne s’est fait aucun châtiment, tout le monde tâchant avec amour de se ranger à son devoir.

M. de la Forest m’ordonna, dans le commencement, de faire une palette pour frapper ceux qui jureraient le saint nom de Dieu. Hélas ! si quelqu’un par surprise tombait en ce malheur, il venait aussitôt et me faisait instance de le frapper fort, afin de s’en souvenir. Cette ferveur ayant plut à Dieu, il nous fit la grâce de nous délivrer de ce monstre en très peu de temps.

Tout ce long espace de temps ne m’avait aucunement duré, m’occupant à apprendre la langue, ce à quoi je n’avais guère avancé. Mais quelques jours devant que d’arriver, M.. de la Forest s’étant mis à étudier, cela me servit beaucoup, car nous disputions toujours ensemble.

Enfin, après avoir souffert une très mauvaise nuit, pendant laquelle trois matelots disent avoir vu un fantôme au mât de hune, nous vîmes l’île de Saint-Laurent, la veille du même saint, et chantâmes la sainte messe à son honneur avec un Te Deum pour rendre grâces à Dieu par l’intercession du même saint

Nous courûmes tout ce jour et celui d’après jusqu’à midi, où nous mouillâmes à Itapère, qui est à quatre lieues du fort Dauphin, dans une rade fort belle. On dirait un étang ; car tous les rivages ne sont que bois et bocages. Il n’y a que la seule passée du navire.

Dieu sait quelle joie et quel contentement de nous voir arrivés à bon port. Chacun bénissait le Seigneur. L’un disait qu’il n’avait jamais vu un voyage si heureux, vu le péril évident à cause de l’eau que nous avions faite dès France ; l’autre de ce qu’il n’était mort personne et qu’il n’avait que trois malades, un de vieil ulcère, qui ne savait pas compter, se disaient-ils, et deux du mal de mer, qui ont été aussitôt guéris qu’ils ont senti l’air de la terre. Quelqu’un alléguait qu’il n’y avait eu aucune querelle. Généralement tous marquaient les bénédictions et Connaissaient fort bien que Dieu

 

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leur avait envoyé ce travail et sujet de se confier en lui pour les faire travailler davantage à la vertu.

Mais parmi cette joie, quelqu’un ne voyant paraître aucun nègre, s’étonne, vu qu’autrefois il y en avait beaucoup et que cette côte était fort peuplée. On ne savait que penser ; on disait qu’il fallait qu’il fût arrivé quelque grande malade ; l’autre, qu’ils avaient défait tous les Français et qu’ils s’en étaient allés dans les montagnes. Après un long temps et dans le doute et agitation de diverses pensées, on entend une voix, sans apercevoir d’où elle sortait ; on regarde ; on écoute ; deux nègres paraissent descendre de la montagne. Aussitôt la chaloupe se met en mer avec un interprète et commandement de les traiter avec toute la douceur possible.

Ces pauvres gens tout tremblants, après avoir tiré promesse qu’on ne leur fera rien, s’embarquent et viennent pour monter sur le navire. J’étais avec notre capitaine en sa chambre, tout désireux de savoir des nouvelles des Français et particulièrement de M. Nacquart, pour qui je sentais tous les jours de l’affection de plus en plus, connaissant la nécessité que j’avais de lui en ce pays, où je n’entendais pas la langue.

Ils sont donc présentés à M. de la Forest, qui en eût compassion, et tout le monde les voyant si maigres et défigurés ; c’étaient l’homme et la femme. Ils se jettent en terre et commencent à faire leur harangue, pleine de lamentations. Il dit que leur terre est perdue, que le feu a brûlé leurs maisons, que tous leurs pères sont tués, qu’ils n’ont rien de quoi manger : "Il y a beaucoup d’années que les Français nous font la guerre. Tous les nègres s’en sont enfuis et les ont abandonnés ; ils meurent de faim ; plusieurs sont morts."

A ce mot, je rougis et demande aussitôt comment se portait M. Nacquart. Ils se regardent quelque temps et me dirent : "C’était le sacabire ?" — "Oui", leur dis-je. "Maty", me dirent-ils, il est mort. Mon cœur se glace. Je demande combien il y avait de temps. L’un dit : "Roa volana", deux mois ; l’autre : "Emina taon", six ans. Cela me fait penser que c’était M. Gondrée dont il désirait parler. On lui demande s’il était noirot. Ils songent derechef et ne savent que répondre ; ce qui me donna un peu de courage et me laissa pourtant dans une crainte et mélancolie étranges jusqu’au lendemain, qu’ayant été à terre, je vis d’autres nègres et que M.. de Flacourt me fit l’honneur de m’écrire. J’appris enfin qu’il était mort il y avait trois ans.

O mon Dieu, quel ennui dans lequel j’étais et quelles ténèbres offusquaient mon pauvre esprit ! M. Mousnier, mon supérieur, et Desmoulims et toutes nos hardes perdus, la

 

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guerre par tout le pays et les nègres en fuite dans les montagnes ! Enfin, après m’être présenté à Dieu, à la vérité trop tard, je fus consolé et me résolus de demeurer, nonobstant toutes les dissuasions qu’on me faisait

Je commençai donc à m’encourager et à balbutier parmi ces pauvres gens. Je leur demandais s’ils avaient vu M. Nacquart et s’ils avaient appris à prier Dieu. L’un me disait que oui et faisait la bénédiction ; l’autre disait un mot de Pater ; un autre que Dieu était bon ; l’autre enfin, que son cœur désirait à prier. Les baptisés commençaient à me venir voir ; ce qui bannissait mes ennuis ; et me réjouissais de voir reverdir ces pauvres petites plantes, lesquelles s’étaient conservées si longtemps en vie sans être aucunement arrosées.

Quatre jours après, M. de la Forest, notre amiral, étaient aller au fort Dauphin, éloigné de quatre lieues, et me fait l’honneur de me prier de l’accompagner. On part bien armés. à cause des surprises, dont nous étions avertis. Étant arrivés et M. de Flacourt, le gouverneur, nous ayant salués et reçus à bras ouverts, j’allai à la chapelle, que je trouvai bien ornée et bien propre, dont je reçus de la joie. Nous vîmes un fort bien formé et gardé d’un bon nombre de nos Français bien faits, mais habillés en nègres, c’est-à-dire depuis la ceinture jusqu’en haut nus, et depuis la moitié des cuisses jusqu’en bas sans chapeau ni souliers. En bas du fort, un gros village, bien peuplé de nègres. Et nous connûmes bien par là que les choses n’étaient pas si désespérées comme l’on nous avait dit. M. de Flacourt. nous ayant raconté toute la guerre, peines et travaux qu’ils avaient soufferts, ensemble l’état auquel il avait avancé les choses, nous fit voir que tout allait bien.

Le lendemain, qui était le dimanche, je dis la sainte messe au grand contentement dudit sieur de Flacourt et de tous les Français, qui désiraient cela avec passion. Et m’ayant averti que le Saint Sacrement était au tabernacle, d’autant que feu M. Nacquart ne l’avait pu consumer, étant surpris de sa maladie (ce que je ne pouvais croire. et disais en" moi-même qu’ils ne l’entendaient pas), mais, ayant consacré des hosties et ouvert le ciboire, je trouvai cinq hosties, à la vérité un peu collées l’une sur l’autre et dont les espèces toutefois étaient entières. Ce qui me ravit, et crus que Dieu leur avait fait cette faveur pour l’honneur que nos Français lui avaient rendu ; car on y faisait les prières soir et matin et on portait le tabernacle en procession le jour du Saint-Sacrement

Mais voici des nègres qui viennent à grande hâte. Il y a quelques nouvelles. L’un dit qu’elles sont bonnes ; l’autre qu’elles sont mauvaises. On ne peut rire ; on est en attente ;

 

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mais étant arrivés, ils disent que le navire est venu, que tout est réjoui et que mon frère se recommande à moi. Ces nouvelles si favorables mettent une joie par tout le monde. Nous allons vite à Itapère au devant d’eux et nous nous embrassons, M. Mousnier et moi, et nous purifions par le saint sacrement de pénitence, dont nous avions été privés tant de temps. Mais, puisque M.. mon supérieur est maintenant arrivé et qu’il va demeurer au fort Dauphin avec le frère René (2), je lui laisse à vous dire ce qui s’est passé jusqu’à présent, et me contenterai de vous faire savoir que, pour moi, je suis ravi d’être en ce pays et que tous les jours j’en loue Dieu. Je voudrais que tous nos Messieurs eussent vu la grande moisson qui est à recueillir en ce pays.

Hélas ! sans sortir de la maison, nous trouvons plus d’occupation que nous n’en pouvons faire. Il semble que Dieu ait voulu donner une plus grande faim ou plutôt affamer nos Français et nos nègres, les privant un si long temps du pain mystique de l’Évangile, pour par après leur faire trouver meilleur ; car quantité sont venus prier Dieu depuis six mois, trois fois le jour, avec une assiduité merveilleuse.

Ces pauvres âmes ne demandaient que de bons ouvriers Je disais, ces jours passés, à deux ou trois de venir apprendre à prier Dieu. Un me dit : "Mon cœur le désire ; cela est bon ; je ne demande pas mieux ; mais il n’y a que toi et ton frère ; c’est peu pour tant de monde." Je leur promis qu’il en reviendrait encore. Il me répond : "Mon cœur t’aime ; puisses-tu vivre longtemps ! J’en suis réjoui."

Ces pauvres nègres sont très faciles à convertir ; car tous jusqu’aux petits enfants se laissent conduire par raison. Les père et mère ne les frappent jamais et font tout ce qu’ils désirent. Semblablement les enfants sont très obéissants, souples et aiment beaucoup leurs parents.

Leur corps est puissant et bien fait, presque point de boiteux, ni bossus ; les membres souples et agiles, quoiqu’ils ne soient point emmaillotés ; car la mère les porte derrière son dos dans sa lambe. Il est vrai que, venant au monde, on m’a dit qu’ils leur dénouent tous les membres, et puis les replacent. Lorsqu’ils viennent au monde, la plupart, sous cette noirceur ont les traits du visage fort bien faits et sont tout autres que celui que vous avez vu.

Leur humeur est douce, point querelleuse, et je ne sache

2) René Forest

 

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qu’une seule querelle être arrivée ici depuis que nous y sommes, qui provient d’une grande amitié qu’ils ont les uns pour les autres ; car, si quelqu’un d’eux est malade, les autres y accourent et le secourent avec un soin merveilleux.

Leurs remèdes sont seulement des huiles de sang de bœuf, ou de l’eau bouillante ; de quoi ils les frottent fort par tout le corps ; des racines qu’ils frottent sur une pierre et en avalent le jus, ou le mettent sur des plaies, desquelles on voit des effets merveilleux ; jusque-là qu’il y a des racines qui font venir le lait aux femmes, bien qu’elles soient au-dessus de soixante ans. Et cela nous est tout commun de voir des grand’mères allaiter les enfants de leurs enfants.

Si on donne quelque chose à manger à quelqu’un, il en fera part à tous ceux qui sont avec lui, bien qu’il ne les connaisse pas. Mais ce qui est merveilleux, c’est que les enfants encor tout jeunes observent ceci.

Et voilà qui est général à tous : ils ne sont point gourmands, ni ivrognes, mais fort sobres ; et on ne croirait pas combien peu ils mangent et à combien peu ils se passent. Ils souffrent souvent gaiement de grandes disettes, sans se plaindre, ni sans mendier. Cela vient de ce qu’ils ne songent point au lendemain et vivent sans souci. Des quatre jours se passent sans qu’ils mangent. Ils cherchent des racines d’arbres et autres, qu’il mangent. Mais ce qui est merveilleux, c’est que, pendant ce temps de famine, on n’entend que des chants d’allégresse et des danses pendant toute la nuit. Ce qu’ils font comme je pense, pour se divertir de l’ennui et du mal qu’ils sentent, et afin de dormir, après avoir bien lassé leur corps, en une petite case couverte de feuilles et planchetée de bâtons, sur quoi ils couchent.

Une nappe, longue d’une aune et demie et d’une demie de large, est entièrement tout leur vêtement. Et encore il n’y a que les plus riches et les femmes qui les portent ; car les autres n’ont qu’une ceinture large de quatre doigts, laquelle ils accommodent si proprement que l’on ne les voit jamais découverts. Leurs cheveux, tant aux hommes qu’aux femmes, sont joliment tressés de plusieurs petites tresses en façon de couronnes. Leurs braveries, suivant la simplicité de leurs esprits, sont toutes naturelles, de fleurs et de feuilles vertes d’herbes qui sentent bon, desquelles ils se font des guirlandes ou les pendent à leurs cheveux.

Le vol et le larcin est en horreur parmi eux, de même que la superbe, car ils sont si accoutumés à la bassesse et à la servitude qu’ils ne peuvent demeurer sans servir.

Pour un écu, ou la valeur que l’on baille au maître, on a

 

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un esclave, lequel, lui et toute sa postérité, vous servent fidèlement.

Les grands, qui sont peu et descendent des mahométans, sont tout au contraire de ceux-ci. Ce sont eux qui les empêchent tant qu’ils peuvent d’embrasser la foi, pleins de superstitions par lesquelles ils trompent ces bonnes gens simples et religieux à faire ce qu’ils désirent. Ils les nourrissent comme des chiens, ne leur donnant pas les os à ronger dans la main, mais les jettent à terre et n’oseraient passer devant eux, qu’ils ne fléchissent les genoux et ne se courbent jusqu’en terre. Il faut qu’ils servent de chevaux à ces autres ; car ces pauvres nègres portent les blancs sur leurs épaules comme sur une civière. Tout ce qu’ils ont de bon, c’est qu’ils ils ne les battent jamais, mais avec douceur et patience leur font faire tout ce qu’ils désirent. Ce sont deux vertus qui gagnent tout en ce pays ; et même nos Français, pour pouvoir traiter avec eux, a fallu que bon gré, mal gré, aient acquis ces deux vertus ; car ils fuient les personnes rudes et disent qu’ils ont le cœur dur.

Leur parler est aussi doux et emphatique, beaucoup plus bref et plus grave que celui des Français, comme aussi plus diseteux : un seul mot signifiera quelquefois dix choses, qui parmi les Français ont dix noms différents. Il n’y a ni déclinaisons, ni conjugaisons, ni pluriel, mais seulement trois temps : le présent, le passé et le futur, qui ne sont distingués que par un article, qui se met devant le verbe. Aussi le nom verbal et l’adverbe ne sont point distingués et n’ont qu’un même mot terminé de la même façon. Ils ont bien quelques adverbes de quantité et de temps. Cette langue est difficile à cause des compositions, changement de lettres dans ladite composition et élisions. Enfin c’est presque la langue arabique ; elle s’écrit de la même façon et il y a peu de mots.

Nous pensions vous envoyer un dictionnaire très achevé ; mais le grand travail que nous avons eu sur les bras, tant des Français, auxquels il y avait beaucoup à travailler à cause d’un si long temps, que des nègres, qui viennent incessamment prier Dieu, que de ce qu’il a fallu trois mois nous-mêmes apprêter notre boire et manger (nous ne pouvions avoir seulement un nègre pour nous servir) a fait que je n’ai pas le temps de l’achever, ni d’écrire un petit, qui est corrigé. J’espère vous envoyer le tout par le navire de M. de la Forest. Il est pourtant nécessaire que les ouvriers apprennent la langue dans le navire, tâchant de retenir les mots les plus communs en leur esprit ; car, encore bien qu’ils ne puissent pas les joindre cela leur sert merveilleusement, étant arrivés. Et croyez-moi,

 

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il n’y a guère de moyen d’étudier depuis que l’on est ici. Les interprètes ne sont jamais si bien que soi-même. Ils parlent, mais ils ne touchent pas le cœur. Une grammaire arabique, avec un dictionnaire, nous serait absolument nécessaire pour entendre leurs écritures, sous lesquelles sont toutes leurs superstitions.

La plupart d’eux commencent d’être zélés pour la gloire de Dieu, reprennent les autres, si, en priant, ils ne sont assez modestes ; ou bien, s’ils manquent de venir, ils s’invitent les uns les autres.

Un petit enfant disait à deux ou trois de ses camarades : "Izy tonpo aby tontolo", tu ne vaux rien, tu ne pries point Dieu ; il est le grand maître de tout le monde. Et un autre petit de huit ans, qui demeure avec nous, fort joli et fils d’un Français de Dieppe me disait : "Les baptisés ne sont pas damnés s’ils prient bien Dieu ?" Je lui disais : "Non, mon enfant." _ "Baptisez ma petite sœur avec mon père et ma mère." Je lui dis qu’ils ne venaient pas prier Dieu. Il me répond qu’il s’y en allait. Ce qu’il fit, et j’espère qu’ils viendront bientôt.

Une grande fille disait à sa compagne, qui s’amusait à badiner : "Ton cœur est méchant ; il ne parle pas avec ta bouche ; ne ris pas, cela est mauvais."

Oh ! qu’il est beau de voir une douzaine, deux douzaines tant des nouveaux baptisés que des autres, qui assistent au service ! Ils se mettent en un petit monceau, derrière la porte et le plus souvent dehors, regardant par une petite fente. Ils ne manquent de venir au premier signal et ne sortent qu’après les Français. Je suis bien souvent assailli, pendant que je dis mon office dans l’église, d’une bande de petits enfants, qui se mettent à genoux et demeurent jusqu’à ce que je leur aie fait dire le Pater. Après quoi ils s’en vont tout riants, disant aux autres qu’ils ont prié Dieu. Il est vrai qu’ils ne viennent pas à présent autant qu’auparavant, d’autant qu’ils attendent beaucoup ; car, n’ayant qu’un même lieu pour les grands et petits, nous faisons dire aux grands les premiers, afin qu’ils aillent à leur travail. Oh ! les plus riches étaient honteux de venir prier Dieu avec de petits enfants et des esclaves, et de les voir assis proche d’eux ; car ce n’est la coutume. Je leur dis que cela était bon dans leurs maisons, mais qu’ici, où ce lieu était petit et pour apprendre à prier Dieu, il ne fallait pas regarder à cela et que Zanahary aimait bien tous ceux qui priaient bien et gardaient ses commandements et que ceux-là seraient les plus grands, et qu’il ne regardait pas si c’était un enfant ou un esclave, mais qu’à la

 

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vérité, si les Roandries, qui sont les plus grands, faisaient mieux que les autres, ils seraient les plus grands au ciel.

Il y a une des blanches qui vient depuis peu et qui apprend fort bien. Dieu leur touchera le cœur petit à petit. Beaucoup s’attristent lorsqu’ils ne peuvent apprendre comme ils désirent. Le latin leur est difficile à prononcer. Nous avons jugé expédient de leur faire apprendre de la sorte, d’autant que les prières que nous avions en leur langue n’étaient pas bien. Il vaut mieux attendre un peu et ne point changer. Pour suppléer à ce défaut, nous leur apprenons à faire des actes intérieurs le soir et le matin. Beaucoup se veulent mettre à genoux en apprenant à prier ; mais je leur dis que c’est assez de s’y mettre dans l’église, et lorsque l’on se lève et l’on se couche

Ils imitent les Français en ce qu’ils peuvent. S’ils passent une rivière, ils font le signe de la croix avec eux. J’en confessai un, ces jours de Noël ; j’étais ravi de la simplicité et tendresse de cette âme.

Nous avons parmi nous depuis peu quatre petits nègres bien jolis et de bonne espérance, qui entendent le français un peu, desquels il y a trois baptisés, et l’autre qui le sera bientôt. Ils savent prier et ont désir d’apprendre à lire. Ils ne serviront pas peu ci-après.

On nous achèvera bientôt l’église de pierre, qui est dans le fort ; elle est un peu petite. L’autre, qu’avait fait commencer M. Nacquart, sert de cimetière.

Nous nous portons bien, Dieu merci. Nous nous sommes fait saigner, et moi purger deux fois. Les purgatifs sont bien nécessaires.

Il ne fait si chaud ici que nous croyions. Les saisons sont ici, tant de l’hiver que de l’été, comme depuis mai jusqu’en septembre en France. Il est vrai qu’il y a deux saisons, et que dans les terres il y fait bien plus chaud, et ont l’hiver lorsque nous avons l’été ici.

Nous avons trouvé de la vigne fort belle, qui a amené, cette année, une soixantaine de beaux raisins. Il y a trois ans qu’elle est plantée. Elle est très bonne, et il y en a beaucoup par le pays de sauvage, que nos Français ont découverte.

Si une fois nous pouvons affier (3) du blé, nous serons trop heureux. Nous avons recueilli des pois et des fèves de France en petite quantité, d’autant que nous les avons semés en la saison. Le blé et autres graines ne sont point levés. Le chanvre y vient assez bien.

3.) Affier, planter.

 

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Dieu veuille bénir cette terre et la rendre fructueuse aux seigneurs qui y feront travailler pour le salut de nos pauvres Indiens ! L’un et l’autre sont joints ensemble Il y a grande apparence d’une prospérité pour l’un et pour l’autre ; ce que nous attendons des prières de tant de bonnes âmes, qui s’emploient pour cette œuvre, et particulièrement des vôtres, Monsieur et mon très honoré Père.

Je vous supplie, Monsieur, de faire, s’il vous plaît, mes recommandations à tous nos Messieurs et les prier de prier Dieu pour moi.

Votre très humble et obéissant serviteur et indigne fils.

T. BOURDAISE

i. p. d. l. M..

 

1840. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 12 février 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je viens de recevoir la votre et ai vu la consolation que vous avez de penser à votre ancienne famille de Troyes, d’où Monsieur Alméras vient de faire la visite, qui m’a dit que l’on y réclame incessamment votre bonne conduite. Je ne doute point que vous ne priiez bien Dieu pour ces bons Messieurs et premièrement pour Mgr de Troyes (1), qui a tant de bonté pour vous et pour notre petite compagnie. Ce bon prélat nous presse de retenir la cure de Barbuise (2), qui est la meilleure du diocèse, où il désirerait ériger un séminaire ; mais nous l’avons supplié très humblement de nous en excuser et lui avons rendu la provision qu’il en avait donnée à M. Rose. Nous ne manquons point, Dieu merci, des offres des établissements à faire ; l’on nous presse de cela de plusieurs endroits

Lettre 1840. — L s. — Dossier de Cracovie, original.

1). François Malier du Houssay (1641-1678).

2). Petite commune de l’Aube, arrondissement de Nogent. sur-seine

 

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Priez Dieu, s’il vous plaît, qu’il envoie de bons ouvriers à sa vigne.

Je loue Dieu de la bonne disposition du roi et de la reine, et prie Notre-Seigneur incessamment pour Leurs Majestés et pour leur royaume. O Monsieur, que nous y sommes obligés !

Nous ne vous enverrons point les étoffes que vous contremandez ; j’effacerai cet article de votre mémoire, comme aussi celui des cordons, et tiendrons le reste prêt.

Mon Dieu ! Monsieur, que je suis en peine de l’absence de Monsieur Zelazewski ! Je veux espérer que Messieurs Duperroy, Durand, Eveillard et Simon ne perdront point un moment de temps à apprendre la langue, pour le besoin que vous en avez. Je les embrasse de toute l’étendue de mon cœur, comme aussi Messieurs Desdames et Guillot, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, à vous et à eux, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1841. — A UN RELIGIEUX

Je ne voudrais conseiller à personne d’entrer dans l’Ordre prétendu de…, et encore moins à un religieux, docteur et professeur en théologie et grand prédicateur tel que vous êtes, parce que c’est un désordre et non pas un Ordre, un corps qui n’a point de consistance, ni de

Lettre 1841. — Abelly, op cit., 1. II, chap. XIII, sect. VII, p. 460.

 

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vrai chef, et où les membres vivent sans aucune dépendance ou liaison. Je trouvai un jour M. le garde des sceaux en sa bibliothèque, lequel me dit qu’il était en la recherche de l’origine et du progrès de cet Ordre en France et qu’il n’en trouvait aucun vestige. En un mot, ce n’est qu’une chimère de religion, qui sert de retraite aux religieux libertins et dyscoles, lesquels, pour secouer le joug de l’obéissance, s’enrôlent en cette religion imaginaire et vivent dans le dérèglement. C’est pourquoi j’estime que telles personnes ne sont point en sûreté de conscience, et je prie Notre-Seigneur qu’il vous préserve d’une telle légèreté (1).

 

1842. — A ÉTIENNE BLATIRON

De Paris, ce 19 février 1655.

Monsieur,

Je vous ai écrit, par mes deux dernières, mes pensées au sujet de celle que vous m’avez écrite, et M. Duport à M. Dehorgny, à l’égard de l’affermissement de notre petite compagnie et de l’ouverture que vous avez faite à Monseigneur le cardinal. Maintenant je vous en écris un peu plus au long, afin que vous en fassiez l’usage convenable. Or j’ai pensé que, pour procéder en ceci avec quelqu’ordre, il fallait mettre en question quel usage semble le meilleur, ou celui que vous proposez, qui est que le corps de la compagnie ne fasse point des vœux et qu’il n’y en ait que quelques-uns, qui seront destinés aux principales charges ; ou bien s’il est à propos d’en demeurer à l’usage de la compagnie, qui est que tous se

1) Le religieux auquel saint Vincent écrivait cette lettre comprit qu’il était victime d’une illusion. Il resta dans son Ordre.

Lettre 1812. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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lient à Notre-Seigneur par les vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité, indispensables, si ce n’est par le Pape ou par le général de la compagnie, et d’en poursuivre l’approbation en cour de Rome. Or voici quelques raisons pour lesquelles la compagnie fait ces vœux simples ; et puis nous parlerons de celles que vous, Monsieur, et Monsieur Duport alléguez pour autoriser votre opinion, auxquelles je répondrai à la fin.

La première est que ceux que la Providence a appelés des premiers dans une compagnie naissante, tâchent, pour l’ordinaire, de la mettre en l’état le plus agréable à Dieu qu’il se peut. Or est-il que l’état le plus agréable à Dieu est celui de perfection, qui est celui que Notre-Seigneur a embrassé sur la terre et qu’il a fait embrasser aux apôtres, qui consiste, entre autres moyens, à vivre en pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité dans sa vocation. Selon cela, il semble que la compagnie a bien fait de faire les vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité, non quelques-uns seulement, mais chacun de la compagnie

La 2° est que les personnes qui se sont données à Dieu en cette manière travaillent bien plus fidèlement à l’acquisition des vertus qui tendent à la perfection de leur vocation, à cause de la promesse qu’ils en ont faite à Dieu par les vœux, que ceux qui ne tendent point à ce bienheureux état de vie que Notre-Seigneur a embrassé ; et que, selon cela, la congrégation de la Mission travaillera plus efficacement par les vœux, que si elle n’en faisait point, à son avancement à l’acquisition des vertus (1).

La 3° est que Dieu a voulu affermir les personnes de chaque état en leur vocation par des promesses expresses

1) Les mots : à son avancement à l’acquisition des vertus, sont de la main du saint.

 

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ou tacites qu’elles font à Dieu, de vivre et mourir en cet état : les juifs par la circoncision, qui les obligeait à vivre et mourir en la religion qu’ils professaient, sur peine de la vie, les chrétiens par le baptême, les prêtres par les promesses de chasteté et d’obéissance, et les religieux par trois vœux, savoir de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, les mariés par un sacrement qui les oblige à demeurer toujours en cet état, sans en pouvoir sortir que par la mort. Cela étant ainsi, est-il pas juste que la congrégation de la Mission ait quelque lien qui attache les missionnaires à leur vocation pour toujours ?

La 4° est que la sagesse de Dieu en use de la sorte et a inspiré cet usage à l’Église, à cause de la légèreté de l’esprit humain, qui est si grande qu’il ne demeure jamais en même état : numquam in eodem statu permanet. Ce qu’il veut cette année, il ne le voudra point peut-être la suivante, non pas même peut-être demain, surtout quand il s’agit de s’appliquer à des choses rudes et difficiles, comme sont les exercices de la Mission : aller prêcher, catéchiser de village en village, principalement en hiver, où l’on est mal couché, mal nourri et où on a toujours à traiter avec le peuple grossier, avec des peines indicibles. Ceux que nous avons envoyés aux îles Hébrides sont contraints de vivre de pain d’avoine ; en Barbarie, l’on est sujet aux avanies ; et aux Indes, l’on a beaucoup à souffrir en d’autres manières.

La 5° est que cette pratique a été proposée par le supérieur général en deux congrégations qu’il a tenues pour cela (2), composées des principaux supérieurs de ladite compagnie, dans lesquelles, la chose ayant été proposée, il fut résolu, à la pluralité des voix, qu’on ferait les-

2) En 1642 et 1651.

 

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dits vœux simples sous le bon plaisir de Monseigneur l’archevêque de Paris, auquel le Pape avait renvoyé le pouvoir d’approuver les règles que ferait le général pour le bon gouvernement de ladite compagnie

La 6°, c’est une maxime des saints qu’une chose d’importance qui regarde la gloire de Dieu et le bien de l’Église, ayant été faite en suite de beaucoup de prières et de conseils pris à cet effet, Il faut croire que c’est la volonté de Dieu que la chose se fasse, et qu’on doit rejeter comme tentations diaboliques les propositions qu’on fait contraires à cette résolution ; et c’est par cette maxime que Clément VIII se défit de la tentation qu’il avait qu’il serait damné pour avoir réconcilié à l’Église et rendu possesseur du royaume de France Henri 4° qui, étant huguenot, s’était fait catholique et était retombé pour la deuxième fois dans l’hérésie (3). Ce saint pontife, en un songe qu’il eut, s’imagina être appelé au jugement de Dieu et que là il lui fut reproché qu’il avait donné à garder les brebis au loup, en obligeant le peuple de France à obéir à leur roi, qu’ils n’eussent reconnu tel autrement. Mais un cardinal (4), à qui il avait grande confiance et à qui il communiqua sa peine, le pacifia par la règle susdite. Or est-il que les prêtres de la Mission ont

3) Henri de Navarre. élevé par sa mère dans le calvinisme, avait fait profession de la foi catholique en 1572, au soir de la Saint-Barthélemy, pour éviter les rigueurs de Charles IX, dont il était prisonnier. Revenu à sa première religion dès qu’il fut libre, il l’abjura de nouveau à Saint-Denis, le 25 juillet 1593, quand, devenu roi de France, il vit que cette conversion était nécessaire pour se faire reconnaître du Pape et de tout son peuple. après deux ans d’hésitations, Clément VIII consentit à l’absoudre. Henri IV ne varia plus. Saint Vincent entend parler ici de la rechute antérieure à l’avènement de Henri IV au trône, ainsi qu’il ressort clairement de sa conférence du 17 octobre 1659 aux missionnaires. (cf Degert, Le Cardinal d`Ossat. évêque de Rennes et de Bayeux, in-8°, Paris,1804)

4) Le cardinal Tolet son confesseur.

 

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fait beaucoup de prières à cet effet ; après quoi ils proposèrent leur pensée à Monseigneur l’archevêque de Paris, qui dit d’abord qu’il avait pensé souvent qu’il était impossible de conserver cette compagnie comme il la voyait, sans quelque lien intérieur et perpétuel, que néanmoins il y penserait et examinerait la chose ; ce qu’il fit pendant cinq ou six ans, et l’approuva enfin l’an 1641 (5), et désira l’approuver derechef auctoritate Apostolica pour la seconde fois l’an 1653, peu de temps avant sa mort ; et dans deux assemblées des principaux supérieurs que la compagnie a tenues en divers temps, elle a approuvé et confirmé cette pratique.

La septième et dernière raison est que l’usage de ce, vœux simples étant dans la compagnie depuis 13 ans ou environ (6), il n’y a point d’apparence de la changer sur la simple pensée d’une ou de deux personnes de la compagnie. Et puis comment le pourrait-on faire, la chose étant approuvée par deux fois par le prélat (7), les inférieurs ne pouvant pas changer ce que leur supérieur a approuvé, cela ne se pouvant que par autorité du Saint-Siège ? Et il faudrait faire un étrange bouleversement dans la compagnie.

Voilà quelques raisons en faveur de l’état présent de nos vœux, qui font voir que c’est un ouvrage de Dieu et qu’il s’y faut tenir.

Contre cela, l’on allègue pour première raison de ce changement, qu’il faut remettre la compagnie comme elle était au commencement, sans des vœux. Je réponds que la congrégation n’a été que deux ou trois ans sans

5) Le 19 octobre. L’original de cette pièce se trouve à la maison mère des prêtres de la Mission.

6) Ce fut le 24 février 1642 que saint Vincent et plusieurs de ses compagnons firent esemble leurs vœux à Saint-Lazare

7) L’archevêque de Paris.

 

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faire des vœux, pendant qu’elle elle n’était encore composée que de 3 ou 4 personnes seulement ; mais qu’à la 3° ou 4° année, qu’elle fut composée de 5 ou 6 personnes, elle fit des vœux simples, sans réserve au Pape et au général, et cela sans permission, laquelle on n’a demandée, avec la réserve au Pape et au général, que douze ou treize ans après cet usage ; ce qui fait voir l’attrait intérieur qu’elle avait à se donner à Dieu par des vœux.

La seconde raison est qu’on allègue que la compagnie deviendrait une religion, les vœux étant approuvés du Pape, selon Lessius, lib. 2, De justitia et jure, cap. 41 de statu religioso, qui dit, parlant des vœux simples : Non est necessarium ad essentiam status religiosi ut vota ista sint solemnia. A quoi l’on répond : premièrement, que, si cela était ainsi, cette partie de la compagnie qui ferait les vœux, comme on le propose, serait donc religieuse ; ce qui serait le même inconvénient. Secondement, on répond qu’une compagnie devient religieuse, quand l’Église approuve ses vœux simples à l’effet que ladite compagnie dans laquelle ils se font soit censée une religion, comme les paroles suivantes de l’auteur le font voir : Sufficit, dit-il, ut ab Ecclesia in eum finem acceptentur, et ajoute ensuite l’exemple des premiers vœux simples des Pères jésuites, que l’Église approuve, en sorte qu’ils aient l’efficace des vœux de religion. Or est-il que tant s’en faut que la congrégation désire que les vœux soient de cette nature, qu’au contraire elle déclare par l’acte d’approbation de Monseigneur l’archevêque de Paris (8) qu’encore qu’elle fasse ces vœux simples de pauvreté, chasteté, d’obéissance et de stabilité, elle n’entend pas pour cela être censée une religion, ains au contraire d’être toujours du corps du clergé. Selon cela cette seconde

8) Du 19 octobre 1641

 

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objection paraît manifestement nulle. Ce que dit Leyman (9) se doit entendre de la même sorte. Pour Azorius (10), il ne dit rien de cela ; au moins on n’a rien trouvé après avoir parcouru toutes ces matières.

la troisième, de dire que la compagnie sera plus agréable aux prélats sans ces vœux, je réponds : premièrement, que Nosseigneurs les prélats n’auraient donc pas agréable cette partie de la compagnie qui ferait les vœux ; ce qui serait tomber dans l’inconvénient qu’on veut éviter. Deuxièmement, ils ne se mettent point en peine si nous faisons des vœux ou non, pourvu qu’il plaise à Dieu que nous vivions dans l’observance de nos règles, que nous travaillions au salut du pauvre peuple des champs et à servir utilement l’état ecclésiastique par les exercices des ordinands et par les séminaires ecclésiastiques dont ils nous donnent la direction ; car quelles raisons auront-ils, cela étant, de nous moins affectionner à cause de nos vœux simples, puisqu’ils se sont obligés eux-mêmes, en la réception des ordres, à l’obéissance et à la chasteté ? Et pour ce qui est de la pauvreté, l’Église ordonnant qu’après leur vivre et leur vêtement ils doivent donner le surplus aux pauvres, n’est-ce pas être obligés à la pauvreté ? Et puis notre vœu d’obéissance ne nous oblige-t-il pas à leur obéir, comme le serviteur de l’Évangile à son maître, en nos emplois ? Pourquoi donc allègue-t-on que Nosseigneurs les prélats nous en aimeront moins ?

La quatrième, que les prêtres qui feront les vœux et seront employés aux principaux ; offices de la compagnie, la feront avancer à la perfection sans les vœux.

9) Le saint a ici en vue ce que dit Paul Laymann dans sa théologie morale, Paris, 1630, in-f°, t IV, tr 5, chap I, n° 4, p 138

10) Institutiones morales, Rome,1600, 3 vol in-f°

 

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le réponds que c’est une question si cela sera, et qu’il y a bien plus d’apparence qu’ils avanceront plus incomparablement ayant fait les vœux qu’autrement, puisque l’observance des mêmes vœux est un avancement continuel à l’acquisition des vertus qui mènent à la perfection à laquelle doivent tendre tous les missionnaires.

J’ajoute enfin à ce que j’ai dit, que je ne sache point en l’Église de Dieu aucune congrégation qui en use de la sorte, si ce n’est les filles de la Madeleine de cette ville, où de six ou sept-vingts qu’elles sont, il y en a environ trente qui font des vœux de religion, et les autres sont en simple congrégation, à dessein que celles-là dirigent un jour celles-ci. Or l’expérience fait voir que cet usage nuit plus qu’il ne profite à ces pauvres créatures, pource que les premières sont des suffisantes, méprisent les autres et se rendent insupportables, et les secondes ont en telle aversion les autres que, [à] la moindre faute qu’elles font, elles murmurent, crient contre ; et les premières, qui n’ont pas assez de vertu pour supporter les effets de cette aversion, crient d’un autre côté, et c’est ce qui les tient toujours en continuel grabuge et fait un divorce continuel dans leur maison. Et n’étaient les filles de Sainte-Marie qui les dirigent et qui font ce qu’elles peuvent pour modérer toutes choses, il y a longtemps que cette maison serait renversée. C’est pourquoi l’on n’admet plus de ces pauvres filles aux vœux que le moins qu’on peut, à dessein de les ôter tout à fait, si l’on peut.

On dira peut-être contre cela que les Pères jésuites en usent ainsi, quelques-uns seulement d’entre eux étant profès, et les autres non. A quoi on réplique que le cas n’est pas semblable, tous étant religieux et faisant des vœux quoique différents

 

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Voilà, Monsieur, ce que j’ai pensé vous devoir dire sur le sujet de la proposition que vous m’avez faite, de faire changer d’état a la compagnie, et dont vous avez parlé à Monseigneur le cardinal, à ce que vous vous établissiez de plus en plus dans les sentiments de cette sainte pratique et éclaircissiez Son Éminence des difficultés que votre proposition lui aura pu mettre dans l’esprit, en mettant ceci que je vous écris, en italien, et que vous lui fassiez savoir les sentiments que Dieu vous donnera sur cela, vous suppliant, au surplus, de penser devant Dieu si les aversions que quelques-uns ont aux vœux ne viennent point du côté de la nature, qui réclame toujours la liberté.

J’oubliais à répondre à ce que dit Monsieur Duport touchant le renvoi des incorrigibles ; je le ferai ci-après, ne le pouvant à présent, n’ayant le temps de lui dire autre chose, sinon que je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’ajouter cette règle à présent que nos règles sont approuvées par feu Monseigneur l’archevêque, et que nous le ferons avec le temps, et résoudrons cela mûrement à la première congrégation que la compagnie fera.

Je vous embrasse cependant avec toutes les tendresses de mon cœur et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, supérieur des prêtres de la Mission, à Gênes.

 

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1843. — A RENAULT LEGENDRE PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

26 février 1655.

Quant aux pénitences, il s’en faut tenir aux maximes du saint concile de Trente, qui veut qu’on les proportionne à la grièveté des péchés (1). Et il n’importe de dire que quelques-uns pourront s’abstenir de l’approche des sacrements, parce que, en suivant une autre conduite, on ne travaille pas efficacement… La sainte sévérité, tant recommandée par les saints canons de l’Église et renouvelée par saint Charles Borromée, fait incomparablement plus de fruit que la trop grande indulgence, sous quelque prétexte que ce soit. Il faut tenir pour certain que les résolutions que le Saint-Esprit a données à l’Église assemblée, opèrent augmentation de grâces aux confesseurs et miséricorde aux pénitents qui se rendront exacts à les observer (2)

 

1844. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 26 février 1655,

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres à la fois, une du vingt-un et l’autre du 28° de janvier. Vous me dites par la première le témoignage de bienveillance qu’il a plu à Messeigneurs

Lettre 1843. — Collet, op. cit., t. II, p. 140.

1) Sess. XIV chap 8.

2) La suite de la lettre, dit Collet, parlait des occasions prochaines.

Lettre 1844. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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vos nouveaux prélats de vous donner (1), et les tendresses que la reine en a eues. J’en rends grâces très humbles à Dieu et le prie qu’il nous fasse dignes de répondre à l’attente de Sa Majesté et à celle de mesdits seigneurs.

Monsieur Guillot m’a écrit les divers mouvements qu’il a eus sur la proposition du voyage de Suède, et comme enfin il s’était résolu d’aller en ce pays-là, mais que la reine, à laquelle il pria Monsieur de Fleury d’en parler, a témoigné ne le pas désirer. Or je vous dirai, Monsieur, qu’il n’est pas aussi besoin qu’il y aille, Monsieur l’ambassadeur (2), voyant les difficultés que vous avez faites de delà, ayant recouru en France, d’où l’on lui a envoyé trois prêtres. Voilà donc la volonté de Dieu connue, et ainsi voilà la difficulté à cet égard résolue.

Par la seconde (3) vous me mandez l’affliction que vous avez eue de ce que les choses n’allaient point dans la famille comme il fallait, et comme vous avez été soulagé par la décharge que vous leur avez faite dans le propre sein des personnes que cela regardait, et comme enfin tout va bien présentement et c’est, Monsieur, de quoi je rends grâces à Dieu, et le prie de nous donner les dispositions qu’il désire dans les supérieurs, qui est de se donner à sa divine Majesté (4) pour souffrir avec patience les afflictions qui leur arriveront de la part de leur même famille. Hélas ! Monsieur, qui n’en usera de la sorte, considérant tout ce que Notre-Seigneur a souffert par les siens, et Dieu même par ses créatures ? Si cela n’arrivait de la sorte, nous aurions sujet de craindre que sa divine Majesté

1) Première rédaction : de vous rendre.

2) Le baron d’Avaugour.

3) Première rédaction : comme. aussi par la seconde.

4) Première rédaction : A Dieu. Les mots sa. divine majesté sont de la main du saint.

 

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ne nous traitât en enfant de lait. Courage donc, Monsieur ! donnons-nous à Dieu de la meilleure sorte que nous pourrons, pour n’attendre des nôtres que peine et afflictions, dans la parfaite confiance que cela ne manquera pas, si nous sommes fidèles à faire observer les règles et les saintes coutumes de notre vocation.

Vous me consolez, Monsieur, de ce que vous me dites que vous procédez avec grande ouverture de cœur et confiance avec Monsieur de Fleury, et serai plus consolé que je ne vous puis dire quand il plaira à Dieu de lui faire connaître, comme à moi, la simplicité de votre cœur ; ce qu’il fera en son temps, je m’en assure.

J’ai reçu le passeport pour les Filles de la Charité et pour nos frères, que nous espérons vous envoyer au commencement du mois de mai, et alors nous vous enverrons ce que vous nous demandez.

Je salue cependant votre chère famille, et cela avec toute l’affection que je le puis, et prosterné en esprit à leurs pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, à Varsovie.

 

1845. — JEAN BARREAU, CLERC DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

En Alger, ce 3e mars 1655,

Monsieur,

Votre bénédiction !

J’ai reçu, depuis huit jours, trois de vos lettres, datées des

Lettre 1845. — L..a — Dossier de la Mission, original.

 

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19 décembre, 15 janvier et 5 février derniers, par lesquelles je remarque de plus en plus les effets de votre bonté, de laquelle Monsieur Le Vacher (1) et moi vous remercions très humblement par le soin que vous avez pris de nos besoins, et vous supplions de nous les continuer.

A l’arrivée de cette barque dernière venue, nous, avons reçu les ordres pour recevoir du patron et du marchand les 1.000 livres que vous nous envoyez pour notre subsistance, ensemble les 50 pia[stres] pour Etienne Douxlieux, trois cent seize piastres pour être employées aux chrétiens du Havre M. Get me marque qu’il n’a pu m’envoyer les 300 autres, mais que ce sera à la première occasion. J’estime toutefois que c’est peu de chose au respect du mémoire que l’on nous a donné, qui contient plus de trente esclaves. J’aurais souhaité que l’on nous eût donné des ordres particuliers de… (2) les plus incommodés pource que cela fera murmurer les autres que l’on ne rachètera pas.

J’ai reçu aussi l’argent de Guillaume Servin, pour lequel M. Abelly a envoyé 200 pia[stres]. Je l’ai racheté et le fais passer sur une barque qui s’en va demain.

Vous trouverez ci-incluse une lettre de Jean Gallienne, de St-Valery, qu’il vous plaira faire tenir à son adresse.

Martin Joly, de Tours, qui vous a été recommandé, demeure céans et nous sert de cuisinier. Il a entré après notre frère René Duchesne. Il pourrait bien le suivre aussi dans la Mission. Il a trop de vertu pour ne pas espérer de lui quelque chose de bon. Il est esclave de galère, pour lequel nous avons fait et faisons ce que nous pouvons. Ses parents ne lui font espérer que cent piastres Il n’en peut verser pour quatre cents, quoi qu’ils s’imaginent. Je me trouve trop éloigné pour pouvoir faire ce que j’ai fait pour les autres.

J’ai fait toutes les diligences possibles pour m’informer de Fromentin François, sans en pouvoir apprendre des nouvelles. encore bien qu’il eût été mis avec les gens de Monseigneur le cardinal Antoine (3). Aucun d’eux ne le connaît, pource que, s’étant tous embarqués au soir, ils furent pris ce lendemain au point du jour.

Vous aurez pu voir, par la dernière que je me suis donné l’honneur de vous écrire comme j’ai été satisfait de l’argent du capitaine Louis Fournier, de l’île de Ré ; au moins je pense vous l’avoir mandé ainsi.

1). Philippe Le Vacher.

2) Mot illisible dans l’original.

3) Antoine Barberini.

 

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J’ai compté à M. de Gastines les 200 pia[stres] qu’il m’avait envoyées par François Ciral, et voilà un autre ordre qui est venu pour les 200 autres que j’ai à défunt Honorat Audibert qu’il faut que je paie ponctuellement. Partant il ne me reste plus rien de ce que vous nous avez envoyé. Il a fallu encore avoir recours aux amis pour les 200 autres.

Vous aurez vu comme j’ai été satisfait de M. de Rocqueville et de M. Dujardin. Les assurances que j’avais de ces deux Messieurs m’ont fait excéder les ordres que vous m’avez donnés de ne m’obliger pour qui que ce soit sans vos ordres. Je vous puis assurer, Monsieur, que notre engagement ne vient point de ce côté-là, mais bien de la dépense, à laquelle je ne puis pas survenir ; ou bien des avanies et contraintes qui me sont faites de la part des Turcs.

Pour ce qui est de l’affaire de Joseph Chehff génois. elle ne vient point de complaisance pour M.. Constans mais de la crainte du patron dudit Chehff sous lequel tout Alger tremblait et le bacha même. Je vous supplie très humblement de croire, Monsieur, que, quand il m’est arrivé quelque chose je vous en donne avis naïvement et sincèrement ; et s’il m’était arrivé quelque chose par complaisance de qui que ce soit je vous en dirais les raisons outre que dans cet affaire il y a eu un marchand de Livourne aussi bien embarrassé que moi, qui n’aurait pas eu vraisemblablement la même complaisance que vous m’attribuez. Je suis extrêmement marri, Monsieur, que vous ayez eu cette pensée de moi. Sans doute je vous en aurais donné le sujet par mes actions précédentes, mais je vous puis dire avec vérité que dans celle-ci il n’y en a eu autre qu’à M.. Le Vacher qui me pria de faire quelque chose pour deux religieux portugais, qui me mirent ès mains certains diamants, dont on s’est servi de sujet pour me faire l’avanie ; car le patron de Chehff me soutint que ces diamants étaient de son esclave et par conséquent à lui. Mais c’est une affaire passée. Je prie Dieu d’en pouvoir sortir.

En voici une bien plus épineuse. Sur le vaisseau de Sainte-Christine, qui est celui au capitaine duquel ceux d’Alger ont manqué de parole et pour lesquels j’avais offert 4500 pia[stres] au bacha non de mes deniers mais bien des esclaves propres qui devaient en après satisfaire à ceux desquels ils les avaient empruntés, sur le vaisseau donc s’est trouvé un nommé Marc Francisco, de Marseille lequel en a fait couper à 2 000 pia[stres]. Je ne sais par quel motif M. Le Vacher le fit déchaîner de la maison de son patron et emmener chez nous, de son consentement. Au bout de trois mois ou environ, deux personnes puissantes à la douane, qui ont part en lui me sont

 

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venues demander à emprunter deux cents pia[stres], lesquelles je les ai refusées. Après beaucoup discours sont sortis en me disant des injures et en me menaçant que ma tête tomberait bientôt entre leurs mains qui est la plus grande menace que l’on puisse faire ici à un homme. Le lendemain, ils m’envoient quérir à la maison de M. Constans, où je leur promis les 200 pia[stres] après avoir pris le conseil de M. Le Vacher. Je les prêtai à cette condition qu’ils ne m’en demanderaient pas davantage ce qu’ils me promirent avec autant de serments que l’on en peut tirer de gens sans foi Après quoi ils me promirent tous les services imaginables. Les voyant de si bonne humeur je les priai d’une courtoisie, de me faire payer d’un turc 443 piastres, pour marchandise que je lui ai vendue depuis un an et que l’on m’avait envoyée pour racheter deux esclaves de Saint-Malo, duquel je ne pouvais être payé ; ce qu’ils me promirent de faire dans la semaine. En effet il l’a payée mais les patrons dudit Franscisco l’ont prise à bon compte dudit esclave, le rachat duquel ils prétendent prendre de moi à cause qu’il est dans la maison En cette occasion je me suis mis les deux plus puissants d’Alger sur les bras et les ai rendus mes ennemis J’en avais dit dès le commencement mon sentiment à mondit sieur Le Vacher ; mais comme on ne nous avait rien dit jusques alors, on n’y a pas fait de réflexion Je suis obligé de vous en parler si discrètement que j’aimerais mieux mourir que vous mander quelque chose qui ne fût la pure vérité ; mais, comme elles ne sont pas toujours à propos je vous supplie de n’en rien témoigner à M. Le Vacher, afin que cela ne lui donne quelque sujet d’altération et que cela refroidit notre union

Je suis très marri que vous ayez. une telle incommodité de la part de mon pauvre frère Je regrette beaucoup sa disgrâce. Il ne se passe guère de jour que je ne demande a Dieu quelque bon intervalle pour lui, afin de se mettre en grâce s’il n’y est pas

L’on m’a fait tenir seize cents piastres de Livourne pour le rachat de *M. Augustin Sesty. Nous avons déjà entamé l’affaire de son rachat ; mais il semble qu’elle ne soit pas encore mûre. Je prie Dieu qu’il me fasse la grâce de l’achever au contentement d’un chacun. C’est une affaire qui me [met] bien des envieux sur les bras pource que déjà l’ordre en était venu entre les mains de M. Constans. Je ne suis pas moins envié des Juifs, à cause de quelques rachats que l’on me commet de Hollande, Espagne et Portugal qui me donnent quelquefois plus d’occupation que je ne voudrais. Je m’en voisà présent quatorze sur les bras.

 

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Je vous le répète le encore, que, si les parents de Pierre Ribot tardent encore longtemps à lui envoyer son rachat, qu’ils auront le déplaisir de l’envoyer trop tard, et qu’infailliblement ils le trouveront turc

Je ne puis rien avancer pour la veuve du capitaine Ducreux. M. Constans me remet toujours au retour de son frère, qui est au bastion J’ai peur d’en être mal satisfait. C’est un homme puissant et redoutable aux chrétiens, qu’il est plus dangereux à toucher que le bacha. Chacun connaît que c’est lui qui m’a suscité les avanies ci-dessus.

Jamais je n’en avais tant écrit.

Je ne vous dis rien des nouveaux progrès que nos corsaires font tous les jours sur les chrétiens. Je crois que Monsieur Le Vacher vous en donnera avis, et de ce qui se passe dans notre famille, et de la dépense que nous sommes obligés de faire, à laquelle il m’est impossible à remédier, ni même à porter, notre consulat ne nous valant pas grande chose. De tous les marchands qui viennent ici nous n’en voyons point qui ne soient ruiné ; et s’en vont la plupart à Livourne prendre le sauf-conduit du grand duc de Florence. Je ne vous représente que notre pauvreté, pour que vous y apportiez tel remède que vous jugerez à propos ; je suis résolu d’en souffrir jusques à l’extrémité, si besoin est. Nous serons bientôt obligés de nous engager aux turcs qui sera un bien plus sensible engagement que celui des chrétiens, qui portent la moitié de nos souffrances par la patience qu’ils ont après nous. Que si vous ne pouvez pas y remédier, Dieu soit loué ! Je le prie qu’il vous en donne les moyens, et à moi la grâce d’attendre ce que vous en ordonnerez ; et je le ferai avec autant de soumission que j’ai d’obligation d’être, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, Monsieur, votre très humble et très obéissant et très affectionné serviteur.

BARREAU,

indigne clerc de la Mission.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission. à Paris.

 

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1846. — A LOUIS SERRE, PRÊTRE DE LA MISSION. A SAINT-MEEN

[mars 1655] (1)

Vous pouvez penser que la nouvelle que vous m’avez donnée de la disposition qu’il a plu à Dieu de faire du bon Monsieur Thibault (2) m’a grandement affligé. La compagnie a aussi ressenti vivement cette séparation, et tous les jours je m’aperçois que la douleur s’augmente en chacun de nous. Il faut pourtant s’en taire, parce que c’est le Maître qui l’a fait, et nous devons aimer la main paternelle qui nous frappe, étant également adorable dans les châtiments qu’elle exerce comme dans les faveurs qu’elle distribue. Je ne sais à quoi attribuer la soustraction qu’elle nous a faite de ce cher confrère, sinon à mes péchés et à son trop grand zèle, qui ont rendu la compagnie indigne de le posséder plus longtemps. Quoi qu’il en soit, Monsieur, nous avons fait une grande perte, selon notre manière de concevoir ; mais nous verrons un jour dans l’ordre de la Providence qu’elle l’a fait pour notre bien. Il est maintenant au ciel, comme nous avons sujet d’espérer, et par conséquent en état de nous aider de ses prières, dont j’ai un très grand besoin, et la congrégation aussi. Nous n’avons pu, dans la surprise de cet accident, penser à un autre prêtre pour aller prendre sa place, je ne dis pas pour la remplir comme lui, car nous n’en saurions avoir un tel. Nous devons nous humilier dans notre pauvreté. Je vous prie cependant de conduire tout selon votre prudence ordinaire.

Lettre 1846. — Manuscrit de Lyon.

1) Voir note 2.

2) Mort peu de jours avant le 5 mars 1655.

 

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j’espère que dans 8 ou 10 jours, je vous manderai ce que nous avons résolu.

 

1847. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 5e mars 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Encore bien que je n’aie point reçu de vos nouvelles par cet ordinaire, je ne laisse pas de vous écrire la présente pour vous donner avis que les Filles de la Charité se disposent pour partir, et nous espérons quand et quand de vous envoyer un bon frère sur lequel nous avons jeté les yeux, comme un des meilleurs de la compagnie, et duquel j’espère que vous serez satisfait. Nous verrons aussi à vous en envoyer encore un autre avec lui.

Il a plu à Dieu de disposer du bon Monsieur Thibault, supérieur de notre maison de Saint-Méen, et lequel sa divine Majesté bénissait d’une manière bien particulière, tant à l’égard de la conduite de la famille qu’il avait à diriger, que des missions de la campagne, en sorte que Monseigneur de Saint-Malo, son évêque (1) m’a dit quelques fois des merveilles de la bénédiction que Notre-Seigneur donnait à ses travaux, et qu’il n’avait point son semblable en France. Je recommande donc son âme à vos prières, en cas qu’il en ait besoin, et de lui rendre les devoirs accoutumés, et d’en prier pour cet effet votre petite famille, laquelle je salue avec toutes les tendresses de mon cœur que je le puis, et l’embrasse, prosterné que je

Lettre 1847. — L s. — Dossier de Cracovie, original

1) Ferdinand de Neufville (1646-1657)

 

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suis en esprit à ses pieds et au vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur,. Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d..l. M..

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1848. — LE PÈRE RAINSSANT, CURE DE HAM, A SAINT VINCENT

[Vers 1655] (2)

Le missionnaire que vous avez envoyé en ces quartiers m’a laissé le soin de faire subsister l’assemblée de nos pieuses bourgeoises et ma laissé aussi du blé et de l’argent pour nourrir et entretenir les filles orphelines à qui on apprend un métier capable dans peu de mois de leur faire gagner leur vie. Je leur fais le catéchisme, et une bonne religieuse de l’hôpital les fait prier Dieu et assister à la messe tous les jours. Elles demeurent toutes ensemble dans une même maison. Tous les malades de la ville sont bien assistés : il y a un bon médecin qui les visite et qui ordonne tout ce qui est nécessaire ; nous avons soin que rien ne leur manque ; nos bonnes dames s’y appliquent avec affection. Je n’aurais jamais osé espérer de voir dans cette pauvre ville de Ham ce que j’y vois présentement, avec consolation et admiration tout ensemble, par un effet de la divine et toute céleste providence de Notre-Seigneur.

Nous avons depuis peu retiré des mains de nos hérétiques une pauvre fille. laquelle fait fort bien ; ce qui a excité une servante huguenote de me venir trouver pour se convertir. voyant le soin qu’on a des pauvres et la charité qu’on exerce

Lettre 1848. — Abelly, op cit., 1. II, chap. XI, sect. III, 1er éd, p 404

1) Le Père Rainssant était chanoine régulier de l’Ordre de Saint-Augustin

2) C’est la date approximative qui semble convenir au récit d’Abelly.

 

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envers les malades. Nous l’avons déjà suffisamment instruite, et dans peu de jours elle fera son abjuration

Le même missionnaire m’a laissé de quoi pour assister les pauvres orphelins et orphelines et les pauvres malades du gouvernement de Ham, et a disposé deux bons et vertueux curés pour m’assister en cet emploi jusqu’à son retour. C’est vous,. Monsieur, qui êtes la cause de tous ces biens et le premier moteur après Dieu.

 

1849. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[mars 1655] (1)

Mon très honoré Père,

Permettez-moi vous demander des nouvelles de votre disposition au vrai, et vous supplier prendre la peine me dire ce que je dois mander pour répondre à ces deux Messieurs de Nantes sur les lettres que je baillai hier à Monsieur Portail pour vous les communiquer au sujet de ma sœur Henriette.

Je ne sais aussi si votre indisposition vous a permis de voir la lettre de Monsieur Delahodde, l’état de la maison et des officiers de Chantilly ; savoir si l’on fera ce que Monsieur Delalhodde demande qui est de faire voir cet état à la reine au cas que celui que l’on devait faire ne fût fait et signé ; et lui envoyer sa lettre, qui s’adresse à Sa Majesté. Il. semble que tout cela presse un peu, sans vous incommoder néanmoins, nais pour l’amour de Dieu.

Votre bénédiction à votre pauvre fille et indigne servante..

L. DE MARILLAC

Madame la comtesse de Brienne me vient de dire de vous avertir que Monsieur de Francière est dangereusement malade d’hydropisie de poumon, qui le presse fort, pour savoir ce qu’il y croit à faire, à ce que l’administration de l’Hôtel-Dieu St-Denis soit mise en bonne main, crainte qu’il ne tombe en bénéfice

Le malade lui a dit qu’il faudrait le remettre aux Pères réformés. Il me vient en l’esprit que cela pourrait un jour échoir à quelque religieuse de leur Ordre ; j’entends le service des

Lettre 1849. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le secrétaire de saint Vincent.

 

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pauvres malades. Ne jugerez-vous, point à propos, mon très honoré Père, que j’allasse voir ce bon. Monsieur ? Je crois que je lui ferais plaisir.

Suscription : A. Monsieur. Monsieur Vincent.

 

1850. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

12 mars 1655.

O Monsieur, que je voudrais que les personnes de la. Mission qui se trouvent ensemble fissent toutes choses de concert ! Les amis en usent de la sorte, et bien plus le doivent pratiquer deux frères qui se trouvent ensemble.

Je serai bien aise d’apprendre comme quoi les marchands de Marseille ont pris la difficulté qu’apporte Monsieur le consul de Tunis pour le transport de la cotonine qui sert à faire des voiles de navire de la chrétienté en Barbarie. Nous travaillons ici à faire ce qui se pourra à cet effet ; mais c’est ce que vous ne direz point, s’il vous plaît, à personne, si ce n’est que vous le jugiez expédient.

 

1851. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 12 mars 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de ce que les affaires de votre cure (1) seront bientôt en tel état qu’il n’y restera plus que

Lettre 1850. — Manuscrit de Marseille.

Lettre 1851. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

1) La cure de Sainte-Croix à Varsovie.

 

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notre présentation pour l’achever, de laquelle j’attendrai le projet que vous me faites espérer.

J’oubliais à vous dire que j’ai reçu à la fois deux de vos lettres, des 4 et 11e février. L’une et l’autre me parlent des occasions que vous avez d’aller manger en ville, et la dernière d’une conférence que vous avez faite pour voir les raisons que vous avez de vous y bien comporter pour l’édification des externes, les fautes qu’on y peut faire et les moyens de les éviter. Vous ajoutez que la compagnie a dit des merveilles sur ce sujet, ce qui montre qu’elle est bien résolue d’y honorer désormais la sainte modestie de Notre-Seigneur, ou que, par crainte de ne le pas faire assez, elle a de l’aversion à se trouver à tels convives (2) dont je rends grâces à Dieu. Je vous dirai une autre fois mon sentiment sur ce sujet.

Il est vrai que notre maison de Rome est dans un état de souffrance, ainsi que vous avez appris par la gazette de cette cour-là ; c’est pour avoir reçu chez elle Mgr le cardinal de Retz, par commandement du Pape, avant que d’avoir connaissance de la défense que le roi avait faite de le communiquer (3) ; lequel, ayant trouvé mauvais cet acte d’obéissance vers Sa Sainteté et de reconnaissance vers notre archevêque et bienfaiteur, a fait faire commandement à M. Berthe et à nos prêtres français de sortir de Rome et de s’en revenir en France, comme ils ont fait ; en sorte que le même M. Berthe est maintenant en France. ou sur le point d’y arriver, par pure obéissance. Je lui avais écrit qu’il vous allât visiter (4) sans qu’il vînt ici, et il s’y était disposé ; mais, la Providence

2.) Convive, repas.

3). Première rédaction : que le roi en avait faite.

4). Première rédaction : J’avais dessein de le vous envoyer de Rome.

 

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eu ayant ordonné autrement, in nomine Domini, nous verrons quand et par qui nous vous ferons visiter (5).

Cependant je remercie Notre-Seigneur, de la paix dont vous jouissez au dedans et au dehors, et du progrès que chacun fait en la langue du pays.

Tout considéré, je pense, comme vous, que M. Zelazewki ne demeurera pas, et quelque support qu’on ait pour lui, il en abusera (6), pour ne pas rompre avec lui ; néanmoins, Monsieur, je désire y penser un peu plus. Cependant la mission promise se pourra faire à présent que les grands froids sont passés.

Il est survenu des fautes en l’impression de nos règles, qui nous obligeront de les faire imprimer de nouveau. Ce sera alors, et non plus tôt, que je vous enverrai un exemplaire ; nous n’en avons point encore distribué (7).

Je me donnerai l’honneur d’écrire à la reine pour la remercier de ce qu’elle a commandé de deçà qu’on nous donne de l’argent pour le voyage de ces frères et des sœurs de la Charité ! comme aussi pour lui témoigner la joie très sensible que j’ai de la reprise de Mohilef et du progrès des armes du roi, tant contre les Moscovites que les rebelles (8) Je prie le Dieu des armées qu’il bénisse de plus en plus celles de Leurs Majestés.

Je vous enverrai un petit règlement pour ces demoiselles (9) dévotes de la Lithuanie qui veulent faire une

5) Les mots : communiquer, et de s’en revenir en France, par pure obéissance. Je lui avais écrit qu’il vous allât visiter in nomine domini sont de la main du saint.

6) Première rédaction : il en abusera trop.

7) Ce dernier membre de phrase est de la main du saint. Il est suivi sur original de quatre lignes raturées. Saint Vincent du détruire tous les exemplaires de la première édition des règles communes, car il n’en reste plus un seul

8) Les Cosaques Chmielnicki, leur chef, fut battu en 1655 devant Okmatof

9) Première rédaction : dames

 

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Charité. Vous dites que La reine y veut envoyer un prêtre de la compagnie pour l’établir, et une sœur pour donner les adresses de servir les pauvres malades ; ce que j’approuve fort ; mais il faudra que ce prêtre ait déjà fait semblables établissements, comme vous ou M. Desdames, s’il y est exercé (10) ; car d’y en envoyer un nouveau qui n’a en cela aucune expérience, je doute fort qu’il y réussît.

J’en userai selon votre désir à l’égard du R. P. R[oze (?)] O Jésus ! je ne gâterai rien en cet affaire, Dieu aidant (11).

Dieu bénisse ces deux bons paroissiens qui ont (12) donné 700 livres à votre sacristie, et toutes les âmes qui vous font du bien ! Nous ne pouvons les payer que de prières, de respect et d’affection.

Des nouvelles, nous n’en avons point de deçà. Tout y est en paix et en santé, grâces à Dieu. Ma petite incommodité s’en va peu à peu, et je suis de plus en plus, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

M. Lévêque, qui fait ici les affaires communes de la reine, et qui reçoit et distribue les lettres de Pologne, m’a fait faire des plaintes par plusieurs fois de ce que vos paquets et les nôtres sont trop gros. Je me propose de vous écrire désormais en une simple feuille, si je le puis, et d’écrire à cet effet plus mince, et de ne me point charger de lettres. Je vous prie d’en faire de même et de dire à la compagnie qu’ils se contentent d’écrire des choses nécessaires seulement et courtement. Le général

10) Les mots : s’il y est exercé, sont de la main du saint

11) Cette dernière phrase est de la main du saint.

12) Première rédaction : qui vous ont.

 

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des Jésuites a ordonné la même chose à la compagnie ; et quoique leurs règles recommandent de s’entr’écrire souvent pour conserver l’amitié, l’abus qu’il y a reconnu lui a fait réduire cet usage au nécessaire ; et certes c’est le meilleur en tout sens, notamment à l’égard des parents et des lettres de raillerie, à ceux de] a compagnie (13)

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission de Pologne, à Varsovie.

 

1852. — A LOUISE DE MARILLAC

[mars 1655]

Il sera bon d’ajouter à votre lettre que M.. le procureur général (1) envoie défendre à la Verdure par M. Accar, ou tel autre qu’il lui plaira, qu’il ne laisse aller cette pauvre créature (2) dans la maison des forçats, si elle s’y présente (3).

Il sera bon de se saisir de l’argent et des comptes, s’il y a moyen.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

13) Ce post-scriptum est de l’écriture du saint.

Lettre 1852. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original,

1) Nicolas Fouquet.

2) Première rédaction : fille. — Il s’agit de sœur Claude.

3). Cette lettre semble se rapporter à un scandale qui affligea profondément saint Vincent et Louise de Marillac le 18 mars 1655 jour ou ils en eurent connaissance. la fondatrice. a fait elle-même le récit de ce triste incident. (Arch des Filles de la Charité, volume intitulé : Louise de Marillac écrits autographes.)

 

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1853. — A CHARLES OZENNE.

De Paris, ce 19 mars 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de celle qu’il vous fait, par Monsieur l’ancien official, de ce bénéfice d’un prix si considérable, et le prie qu’il fasse la grâce à la compagnie de répondre à l’attente qu’a ce bon serviteur de Dieu, qu’elle servira dignement Notre-Seigneur en ce pays-là. Quand la chose sera en état d’être sue, je lui ferai une lettre de remerciement, si vous le jugez convenable. Je vous supplie cependant de diriger toutes vos dévotions à Notre-Seigneur à ce qu’il ne permette pas que votre famille se rende indigne de ce bien-là et de tous les autres qu’elle reçoit journellement

Je ne sais que vous dire de Monsieur Zelazewski ni de ses conduites, sinon que je prie Dieu qu’il soit lui même sa direction et son directeur. Je serai consolé (1), de l’assistance que vous donnerez à Madame sa mère.

Je rends grâces à Dieu de ce que vous avez donné le baptême à cette bonne juive, et de la conversion de ces deux luthériennes

Je vous prie de renouveler les offres de mon obéissance à Monsieur de Fleury (2) au rencontre, et de l’assurer que j’ai mon cœur tout plein de reconnaissance de toutes les obligations que nous lui avons, et de remercier le Révérend Père Roze du ressouvenir dont il m’honore et de mon obéissance.

Lettre 1853. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

1) Première rédaction : j’aurais été consolé.

2) Première rédaction : 0 à Monsieur Conrard.

 

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Assurez notre chère sœur Marguerite (3) que je n’ai jamais retenu aucune des lettres qu’elle écrit à Mademoiselle Le Gras, et que je les y envoie tout aussitôt que je les ai reçues. Je la salue, elle et nos sœurs, avec toutes les affections de mon cœur, en celui de Notre-Seigneur (4)

Je vous supplie, Monsieur, de remercier Mademoiselle de Villers de l’honneur qu’elle me fait de se ressouvenir de moi, et de l’assurer de mon obéissance

J’attendrai votre billet touchant les propositions que vous avez à nous faire, et y ferai réponse au plus tôt

Je pense vous avoir écrit que,. Monsieur Berthe est revenu en France par l’ordre du. roi, à cause qu’il a reçu dans la Mission Monseigneur le cardinal de Retz par commandement exprès du pape, avant même que le roi lui eût fait défense de communiquer avec Son Éminence, et que nous l’attendons ici dans huit ou dix jours. Voilà, Monsieur, ce que je vous dirai pour le présent, sinon que, par la miséricorde de Dieu, la compagnie travaille bien partout et avec bénédiction, même en Barbarie, où l’on est si exact au sacrement de la pénitence que de faire faire restitution jusques à un sol aux pauvres esclaves des torts qu’ils se sont faits les uns aux autres.

Monsieur Le Vacher me mande d’Alger qu’un jeune chrétien de 21 à 22 ans, Majorquin de nation (5), s’étant fait turc, il en eut un si grand remords ensuite qu’il alla trouver le bacha, foula son turban à ses pieds en détestation de Mahomet et de sa religion, et en protestation qu’il était chrétien et qu’il n’y avait point de vraie religion que celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; ce qu’ayant fait, il fut brûlé trois jours après avec une

3) La sœur Marguerite Moreau.

4) Cette dernière phrase est de la main du saint.

5) Ces trois derniers mots sont de la main du saint.

 

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constance admirable et protestation continuelle que la religion chrétienne était la vraie religion, et Jésus-Christ Notre-Seigneur le vrai Fils du Dieu vivant, et Mahomet un trompeur ; et ce qui est admirable et digne de consolation pour les âmes qui craignent la mort, c’est que ce pauvre garçon disait quelques jours auparavant (6) à ses compagnons, leur parlant de sa résolution, qu’il craignait et avait toujours craint la mort, mais qu’il avait une certaine confiance dans l’esprit qui lui faisait espérer la force du martyre, et leur alléguait que Notre-Seigneur avait craint la mort, et, quand ce vint à la souffrir, qu’il le fit divinement. Dieu nous fasse la grâce, Monsieur, de nous augmenter la foi et l’espérance en Dieu dans les occasions de mourir pour son service (7) !

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je me donne l’honneur d’écrire à la reine. Je pensais lui dire ce que je vous écris de ce bienheureux martyre, mais je n’ai pas eu le temps. Vous lui direz, s’il vous plaît, et ferez mes excuses à M. de Fleury de ce que je n’ai pu avoir l’honneur de lui écrire (8)

6) Le saint a écrit de sa main les mots : "quelques jours auparavant."

7) Philippe Le Vacher put enlever, non sans péril, le corps du jeune martyr, qui s’appelait Pierre Borguny. Il porta ces précieux restes à Paris en 1657,. ainsi qu’un table. au représentant l’intrépide jeune homme dans le feu. En 1747, les reliques furent données par la maison de Saint-Lazare à celle de Palma (île de Majorque), à la demande des missionnaires d’Espagne. La vie de Pierre Borguny a été écrite par Fernand Nualart, prêtre de la Mission, postulateur de sa cause. (Vida y martyrio del siervo de Dios Pedro Borguny..Mallorquin, martyrisado en Argel a los 30 agosto 1654, Rome, 1780, in-4°)

8) Ce post-scriptum est de la main du saint.

 

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Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1854. — A N ***

20 mars 1655

Je me vois bien éloigné de l’état où vous me supposez, et au contraire dans celui qui mène au fond des abîmes, si Dieu n’a pitié de moi.

 

1855. — A N ***

1655

Je ne suis plus bon qu’à réparer le temps perdu et à me préparer au jugement de Dieu. Heureux si je puis trouver grâce devant lui !

 

1856. — A LOUISE DE MARILLAC

[Mars 1655] (1)

Béni soit Dieu de ce que le M. le procureur général vous ordonne et de ce qu’il a fait à l’égard de cet homme (2). Oh ! que Madame la présidente Fouquet est effective !

Vous prierez Madame Traversay de coucher chez

Lettre 1854. — Collet, op. cit, t. II, p. 198. Le saint, nous dit-il, fait part de sa peine à une personne qui avait parlé trop avantageusement de lui.

Lettre 1855. — Collet, op. cit., t. II, p. 96.

Lettre 1856. — L. a. — L’original se trouve à l’hôpital de Rambervillers (Vosges) 1) Voir note 8.

2) Un mot ajouté au dos de l’original nous apprend qu’il s’agit ici d’un forçat, et c’est vraisemblablement du forçat mêlé à l’incident dont il est parlé plus haut, 1. 1852, note 3.

 

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vous, ou enverrez quérir notre ignominie (3) ; je dirai a Pascal (4) qu’il la fasse tenir prête.

Si Madame de Liancourt parle de Monsieur pour céans (5), vous me consolerez de l’en détourner, à cause de mon incommodité et des ordinands.

Vous avez bien fait de communier aujourd’hui, et le ferez encore demain. Si vous ne pouvez chercher des confesseurs de Saint-Laurent, nous vous enverrons M. Brin ou M. Perraud, si vous pensez que M. Portail lui (6) soit moins propre. Notre chère Mère Hélène-Angélique, supérieure de Chaillot (7) est aux extrémités (8). Je la recommande à vos prières.

Suscription : Pour Mademoiselle Le Gras.

 

1857. — A CHARLES OZENNE, SUPÉRIEUR, A VARSOVIE

De Paris, ce 2 d’avril 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici la réponse aux demandes que vous me faites pour avoir mon avis sur les points suivants à votre dernière lettre. Vous me demandez si la compagnie

3) Le carrosse du saint.

4). Jean-Pascal Goret, frère coadjuteur, né à Angers, reçu dans la congrégation de la Mission le 21 novembre 1641 ; il conduisait le carrosse du saint.

5).M. de Liancourt avait peut-être l’intention de faire une retraite à Saint-Lazare.

6). Ne s’agirait-il pas ici de Madame de Liancourt, qui faisait peut-être en ce moment une retraire chez Louise de Marillac ?

7) L’ancien village de Chaillot, aujourd’hui réuni à la ville de Paris, où les religieuses de la Visitation avaient établi un monastère le 28 juin 1651.

8) La Mère Hélène-Angélique Lhuillier mourut le 25 mars 1655.

Lettre 1857 — Dossier de Cracovie, original.

 

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(je dis votre famille) fera bien de se trouver aux banquets auxquels quelques-uns sont conviés. Or je vous réponds, Monsieur, qu’elle fera bien de s’en abstenir et de ne s’y trouver jamais, sous quelque prétexte que ce soit :

1° Pource qu’il faut qu’il y ait quelque chose de bien malin dans les banquets, communément parlant, puisque la Sainte Écriture ne donne point d’autre raison de la damnation du mauvais riche, sinon qu’il était tous les jours dans les banquets et qu’il était richement vêtu ;

2° Pource que la gourmandise et l’ivrognerie sont des péchés le plus souvent mortels, et que rarement ces banquets se passent sans excéder au boire et au manger, qui sont des actes de gourmandise, et qu’on ne peut pas aller en ces lieux-là sans se mettre en danger de tomber dans le même excès ;

3° Pource que vous approuveriez tacitement le mal qui se passe d’ordinaire dans les banquets, ne les reprenant pas, la médisance, l’excès, la perte du temps et tant d’autres maux qui s’y passent et qu’on est obligé de reprendre ;

4° C’est que pour l’ordinaire ceux qui assistent au banquet font leur possible pour porter le monde à l’excès au boire et au manger, notamment quand ils [ont] (1) affaire à des prêtres ou à des religieux, et que, s’il y a des personnes de condition, l’on n’oserait les refuser de leur faire raison toutes les fois qu’ils boivent aux autres ; et le moyen de ne se pas enivrer en ces (2) occasions !

5° Que toutes les fois qu’on va à des banquets, l’on se met en danger d’offenser Dieu, et par conséquent d’y périr, au moins civilement ; qui periculum peribit in illo (3) ;

1) Mot oublié dans l’original.

2) Mot répété dans l’original.

3) Ecclésiastique III, 27.

 

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6° Qu’assistant à ces banquets, l’on se met en état de ne pouvoir prêcher contre, ni pas même contre les abus qui s’y commettent ;

7° Pource que par ce moyen vous privez Dieu de la gloire qu’il a prétendue de la compagnie, l’appelant en Pologne pour servir ou à ôter tout à fait, ou à modérer les excès qui se commettent dans les banquets ;

8° Pource qu’une des pratiques de cette compagnie est de ne jamais aller manger en ville, et qu’il est inaudit qu’aucun de la compagnie se soit jamais trouvé, depuis trente ans qu’elle est instituée, dans aucun banquet.

Or souffrez, Monsieur, que je vous die que je m’étonne que vous (4) soyez allé à des banquets, ou permis que d’autres y soient, sachant l’usage de notre compagnie, qui est même de ne jamais manger hors de la maison, si ce n’est en cas de nécessité, ou dans des monastères, comme M. Alméras a fait une fois chez M. son père malade en dix-sept ans qu’il y a qu’il est entré en la compagnie ; et m’étonne de plus que vous ayez mis cela en délibération dans votre famille, puisque vous savez qu’il ne faut jamais mettre en délibération si l’on fera les choses que la compagnie pratique et si l’on s’abstiendra de ce que l’on sait qu’elle improuve, comme aller manger chez les externes (5).

Souffrez encore, Monsieur, que je vous die que je m’étonne que vous mettiez en délibération, en la présence de tous les prêtres, ce que vous ne devez proposer et délibérer qu’avec vos deux assistants, puisque vous savez que c’est l’usage de la compagnie et qu’elle n’en use jamais autrement ; que toutes les choses se doivent diriger par le supérieur et par ses deux assistants seulement,

4) Première rédaction : que je m’étonne que vous ayez permis que

5) Première rédaction : comme les banquets.

 

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en sorte même que, si le supérieur est d’un autre avis que les assistants, il peut et doit faire selon le sien, si devant Dieu il le juge le meilleur, sauf à en rendre compte au visiteur, s’il s’est trompé, sur la plainte que les assistants en doivent faire au visiteur. Et c’est ainsi que je vous prie d’en user désormais, Monsieur ; et vous ferez en cela comme font les plus saintes compagnies de l’Église de Dieu, et comme le bienheureux évêque de Genève le fait pratiquer aux filles de Sainte-Marie, ainsi que la Mère de Pologne (6) vous pourra dire. Bref, Monsieur, c’est notre règle et notre usage par toutes nos maisons.

Peut-être que vous me direz que je ne vous ai pas nommé vos assistants. Si je ne l’ai pas fait, je vous nomme à présent Messieurs Desdames et Guillot, lesquels je prie de se donner à Notre-Seigneur pour cela, et vous, Monsieur, à commencer au plus tôt après la présente reçue cette pratique, et de continuer toutes les semaines une fois, si quelqu’affaire ne presse à le faire plus souvent.

Voici une digression que je viens de vous faire, ayant été induit à cela par la demande que vous m’avez faite de mon avis sur le sujet de l’assistance aux banquets. Passons à la seconde demande.

Mais j’oublie à répondre aux objections que vous, me pouvez faire de l’usage, pour être du pays et des religieux mêmes. Je réponds à cela en un mot, étant fort pressé, que ces banquets étant pour l’ordinaire accompagnés du péché de gourmandise et d’ivrognerie, la coutume ne peut jamais prescrire contre les défenses que Dieu en fait, et qu’ainsi la coutume ne vous excuse pas

6) La Mère Marie-Catherine de Glétain, supérieure du couvent de la Visitation de Varsovie.

 

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devant Dieu, et que, si les prêtres et les religieux en usent autrement, ils ont peut-être plus de vertus que nous pour se modérer en ces banquets, et persévère, nonobstant tout cela, que la famille n’y aille plus.

Quant à la 2e demande que vous me faites, Monsieur, si vous observerez le carême à la manière de Pologne ou de Rome et de tout le reste de la chrétienté, il me semble, Monsieur, que vous ferez bien d’en user selon l’usage de Rome : jeûner tous les jours, excepté le dimanche, et ne faire qu’un repas, qui est le dîner, et la collation le soir, savoir environ quatre onces de pain, un plat et quelque fruit. Oh ! quelle honte à nous autres prêtres de voir des filles religieuses qui ne prennent qu’un morceau de pain le soir avec de l’eau pendant huit mois de l’an qu’elles jeûnent ! Quant aux vendredis, vous pourrez vous passer à faire l’abstinence comme ici, s’il n’y a quelque sujet de scandale pris à craindre !

La 3e question est si l’on peut aller seul visiter les malades de la paroisse. O Jésus ! Monsieur, il s’en faut bien garder d’aller seul ! Quand le Fils de Dieu a ordonné que les apôtres iraient deux à deux, il voyait sans doute de grands maux à aller seul. Or ce qu’il a introduit parmi les siens, qui voudra déroger à cet usage et à celui de la compagnie, qui, à son exemple, en use de la sorte ? L’expérience a fait voir à quantité de communautés religieuses qu’il est nécessaire que la porte de l’infirmerie soit ouverte et les rideaux du lit tirés dans les monastères des religieuses, tandis que les confesseurs seuls administrent les saints sacrements et sont auprès des malades, pour les abus qui se sont rencontrés en ces temps et en ces lieux-là. Un prêtre de la compagnie m’a dit qu’étant d’autres fois confesseur d’un monastère de religieuses, ayant demandé à une religieuse malade, à laquelle il venait d’administrer l’extrême-onction, s’il ne

 

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lui restait point encore sur le cœur quelque chose qu’elle lui voulût dire, elle lui répondit qu’elle n’avait rien à lui dire, sinon qu’elle mourait d’amour pour Ce sont les inconvénients qui se rencontrent dans la visite des malades de l’autre sexe, qui ont fait que Messieurs les curés de Paris et pour l’ordinaire ceux qui sont dans la pratique de la vertu, ne vont jamais seuls visiter les malades.

Voilà pour la visite des malades. Je dis le même à l’égard de ceux qui vont par ville pour quelque sujet que ce soit ; qu’ils n’aillent jamais seuls. Il n’importe de dire que vous êtes peu en nombre ; il faut aller moins à la ville. Nous usons de la sorte et n’allons en ville que pour des nécessités pressantes. Jamais nous ne donnons aucun séminariste pour aller en ville ; la plupart se perdaient auparavant, et maintenant ils vivent comme de petits anges. Je dis le même des écoliers. Plût à Dieu que nous en eussions usé de la sorte il y a vingt ans ! La compagnie aurait [fait] bien d’autres progrès à la vertu et aurait bien mieux gardé cette jeunesse qu’elle n’a fait.

Quant aux robes de chambre, je ne trouve point d’inconvénient qu’on les apporte par ville, fourrées même, attendu le froid et l’usage des RR. PP. jésuites, et non plus qu’on apporte les manches de la robe de la longueur des bras.

Vous ferez bien d’avoir un oratoire en votre maison, où vous fassiez votre examen et récitiez votre office, notamment en hiver. Vous ferez aussi bien de reprendre au printemps les examens publics du soir, que vous avez intermis en hiver, comme aussi d’avoir une petite cloche à la porte, avec laquelle l’on appellera ceux qu’on demande, et, si faire se peut, parler aux personnes de l’autre sexe à l’église.

Enfin, Monsieur, je vous prie d’ajuster toutes choses

 

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aux usages communs de la Compagnie, et même les sortes de viandes et la quantité qu’on use ici, sans changer la qualité, ni augmenter la quantité ; et c’est à quoi je vous prie de tenir la main, et surtout à ce que la compagnie se rende plus régulière de plus en plus et plus exacte en toutes choses ; et en ce faisant, elle se peut assurer qu’elle répondra aux desseins de Dieu ; sinon qu’elle prévariquera aux prétentions que Notre-Seigneur a sur elle pour le salut du pauvre peuple et la sanctification des ecclésiastiques. O Monsieur, quel dommage, si cela est ! Il y a un curé de Bretagne qui vient de faire un livre par lequel il dit que les plus grands ennemis qu’ait l’Église, ce sont les mauvais prêtres, et le montre sans beaucoup de peine, et ajoute que Dieu a donné son esprit aux prêtres de la Mission pour remédier à ce malheur, et qu’ils y travaillent avec bénédiction, comme aussi à enseigner les choses de la foi au peuple, et les assister et les instruire et les faire affectionner aux vertus chrétiennes. O Monsieur, au nom de Dieu, donnez ce sujet d’oraison à votre famille, et mettez-y les moyens que l’on pensera qui pourront faire cet effet en ces lieux-là où vous êtes. Je serai consolé d’apprendre par vous les sentiments de la compagnie sur ces moyens qui vous seront rapportés à la répétition de l’oraison que vous ferez sur cela.

Voilà, si me semble la réponse aux demandes que vous me faites, et cela un peu légèrement, pource que je viens de sortir d’une petite maladie d’un mois il y a trois ou quatre jours.

Vous me dites que M. de Fleury vous a obtenu la démission d’un bénéfice considérable. Hélas ! Monsieur, quels remerciements lui ferons-nous ? J’avoue que la grandeur des obligations que nous avons à son incomparable bonté m’étonne, me rendant si confus que je n’ai

 

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point de paroles suffisantes à mon gré pour l’en remercier, et que je le ferai à présent par le silence, en attendant que je le puisse faire mieux qu’à présent, que je suis tout étourdi par la grandeur de tous les biens qu’il nous fait. Oh ! que je dirai après-demain la sainte messe bien volontiers pour demander à Dieu qu’il soit sa récompense pour tous les biens qu’il nous fait !

Vous me dites que le roi et la reine s’en vont en voyage et pourront aller à Cracovie, et qu’il est à propos que quelques-uns de la compagnie s’y trouvent pour tenter quelque établissement. Or je vous dirai à cela, Monsieur, que la compagnie a pour maxime inviolable de ne jamais solliciter aucun établissement, et l’a pratiqué ainsi jusques à présent, par la grâce de Dieu, auquel nous nous rapportons à nous remettre et établir aux lieux qu’il lui plaira ; et si elle m’en croit, elle en usera toujours de la sorte. Oh ! quel bonheur, Monsieur, que celui d’être aux lieux où Dieu nous met, et quel malheur de s’établir où Dieu ne nous appelle pas ! Il faut être appelé par l’évêque ou par quelque fondateur ; selon cela, vous n’enverrez personne en ce lieu-là à l’effet de moyenner ledit établissement. Et puis qui mettrez-vous là pour supérieur ? Hélas ! Monsieur, il faudrait que ce fût un homme consommé dans les conduites de la compagnie, si faire se pouvait. L’expérience ne nous fait voir que trop combien les jeunes gens que nous avons mis dans les supériorités, quelque suffisance, intelligence ou mise qu’ils aient dans l’esprit du monde, qui est l’ennemi des vrais serviteurs de Dieu tels que doivent être les missionnaires (7)… Selon cela, il est expédient que votre famille travaille bien à la vertu solide, qu’elle s’exerce aux missions de la campagne, à faire les séminaires,

7) Le saint a laissé la phrase inachevée.

 

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et après cela elle sera en état de s’étendre, et non plus tôt. Je vous supplie, Monsieur, de le faire entendre à la reine ; et que si, après tout, Sa Majesté pressait, nonobstant ce que je vous dis, je ne vois que M. Desdames qui puisse faire encore cet essai, les autres étant sortis jeunes d’ici et sans aucune connaissance de l’esprit de la compagnie ; mais comme ils ont tous bon esprit et bonne volonté, j’espère qu’ils se formeront bientôt, avec l’aide de Dieu. Que si j’ai approuvé ci-devant que M. Guillot (8) allât en Suède, c’est pource que l’on y était appelé par celui qui avait ce pouvoir, qui était M. l’ambassadeur, et par la nécessité, joint qu’il ne s’agissait point de conduire une famille dans l’esprit de la compagnie, mais seulement de faire le plus de bien qu’il pourrait en ce lieu-là comme particulier.

Je vous prie, Monsieur, de me faire une copie de cette lettre mal fagotée, que j’ai écrite à grand’hâte et sans avoir le loisir de la relire et de me l’envoyer.

J’embrasse cependant votre petite famille avec toutes les tendresses de mon cœur. prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je vous prie de faire lecture de la présente à la compagnie, Monsieur.

Au bas de la première page : M. Ozenne.

8). Ce nom a été raturé dans l’original

 

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1858 — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce dimanche 4 avril 1655

J’oubliai hier, mon très honoré Père, à vous dire que Madame des Essarts recommandait à vos prières et celles de Messieurs de votre compagnie son père, qui est malade, âgé de 79 ans. Elle en a grande appréhension, l’aimant tendrement. Elle me dit aussi que, si ce mal ne continue pas, qu’elle pourra partir dans 12 ou 15 jours pour aller à Bourbon (1) ; qu’elle a ordre de bailler tout ce qu’il faut pour le voyage (2) sans dire quoi. Je ne sais si elle veut être assurée, devant le dire, des personnes qui doivent aller, et dit que, quand bien elle serait partie, que Monsieur Lévêque, employé pour cela, baillerait tout ce qu’il faut. Il me semble, mon très honoré Père, qu’il serait bien nécessaire qu’elle spécifiât ce qu’il devra bailler. Si vous ou quelqu’un de votre part la voyait, elle le dirait peut-être. Elle m’a témoigne désirer de venir voir celles de nos sœurs qui y doivent aller, quand elle saura qu’elles seront céans. Je ne sais s’il sera à propos de l’en avertir plutôt que de les envoyer chez elle.

Il est demain notre grande fête (3) en laquelle nous devons être reconnaissantes de la grâce que Dieu a faite en ce jour-là aux cinq premières, que sa bonté a voulu lui être toutes dédiées pour l’emploi de la petite compagnie, dont l’une est au ciel, si Notre-Seigneur lui a fait miséricorde (4)

Nous avons 3 de nos sœurs, savoir Marguerite Chétif Madeleine Raportebled et ma sœur Philippe (5), qui désirent et ont demandé à faire la même offrande, pour le 2e ou 3e renouvellement au bout de leur année. Les deux premières

Lettre 1858. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Bourbon-l’Archambault, localité de l’Allier célèbre par ses sources d’eau thermale.

2). Pour le voyage des Filles de la Charité en Pologne.

3). La fête de l’Annonciation, transférée du 25 mars.

4). Ces premiers vœux, émis, non pour la durée d’une année, mais pour toute la vie, furent prononcés le 25 mars 1642 par la fondatrice, sœur Barbe Angiboust et trois autres sœurs dont le nom ne nous a pas été conservé. Comme le choix doit se limiter aux sœurs anciennes présentes alors à Paris, il est très vraisemblable que Madame Turgis, Marie-Denise et Henriette Gesseaume étaient du nombre des cinq privilégiées. Du vivant de saint Vincent, quelques sœurs furent admises aux vœux perpétuels ; l’usage des vœux purement annuels ne devint universel qu’après sa mort.

5) Sœur Philippe Bailly.

 

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le demandent pour toute leur vie, et je crois que M. Portail vous l’a proposé..mais à cause que je crains y avoir contribué, j’ai pensé, mon très honoré Père, en devoir avertir votre charité, pour savoir votre intention et leur aider à s’y disposer, ayant aussi intention de me joindre à elles et quelques autres de nos sœurs, qui ont ce bonheur. Que si vous avez déjà dit la sainte messe en bas depuis votre maladie et que vous l’y deviez dire, vous ne doutez point, mon très honoré Père, que nous espérerions que notre offrande serait plus agréable à Dieu, lui étant faite d’un cœur paternel, qui suppléera aux défauts de ses pauvres filles et petites servantes.

L. DE MARILLAC

et les autres, qui demandent,

pour l’amour de Dieu, votre bénédiction.

Madame Traversay vous doit venir treuver sur les 3 ou 4 heures, pour vous parler. Je crois qu’elle aura résolu ce qu’elle doit faire pour notre sœur. Elle ne parut pas la dernière fois s’y affectionner, mais je crois qu’elle n’y voyait pas tant de facilité qu’elle s’était proposée.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent

 

1859. — AU PÈRE BOULART

De Saint-Lazare, ce 8 avril 1655.

Mon Révérend Père,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Celui qui vous rendra la présente est un religieux de votre saint Ordre, qui a fait céans une retraite. en laquelle il a beaucoup édifié le prêtre qui l’a servi, et moi même aussi ; en sorte, mon Révérend Père, qu’il y a sujet d’espérer qu’il servira bien Dieu en quelqu’une de vos maisons, si par votre moyen il y peut être reçu et employé. C’est de quoi il vous va supplier, et je joins ma prière à la sienne, estimant que Dieu et saint Augustin

Lettre 1859. — Bibl. de Sainte-Geneviève, ms 2555, copie.

 

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auront fort agréable la charité que vous lui ferez. Il ne se présentera jamais occasion, mon Révérend Père, de servir votre saint Ordre, ni aucun de ceux qui ont le bonheur d’en être, que je ne le fasse de toute mon affection, et qu’en votre particulier je ne vous rende ce même mon obéissance, étant, comme je suis, en l’amour de N.-S., mon Révérend Père, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1860. — LOUIS SERRE, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

De St-Méen, ce 9 avril 1655

Monsieur et très honoré Père,

Votre bénédiction, s’il vous plaît !

Voici en peu de mots le résultat que vous m’aviez demandé de la conférence sur les vertus de feu M.. Thibault, je dis en peu de mots, parce qu’ayant reçu de grands dons de la nature et de la grâce, il faudrait un grand discours pour les rapporter (1). général de tous ceux qui le connaissent.

Une si grande humilité que celui qui a entendu sa dernière confession générale dans la retraite qui a immédiatement précède sa maladie, a admiré entre autres choses qu’il n’était point attaqué de la moindre petite pensée de vanité

2° Sa mortification était grande, puisqu’après les grands travaux des missions il ne buvait presque que du cidre ; et il m’a souvent dit que Dieu lui avait fait la grâce de ne pouvoir connaître au goût si le vin était bon ou mauvais. Sa discipline fait quasi horreur, tant elle est ensanglanté et garnie de pointes de fer. Je la garde bien chèrement, non pour m’en servir, car je n’en aurais pas le courage mais pour m’aider en la considérant, à porter gaiement les petites croix que la providence de Dieu envoie de temps en temps à ceux qui sont encore dans la vertu

Lettre 1860 — L a — Dossier de Pologne, original

1) La suite est illisible

 

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Son zèle au salut du prochain est trop connu pour en rien dire de particulier. Il était ou malade ou en mission. Peut-on travailler davantage ?

Mais que direz-vous de sa chasteté ? Il avait une grande incommodité : c’est qu’il ne dormait presque point ; et comme. un jour il m’en parlait, sans pourtant s’en plaindre, je lui dis. que le souverain remède était de prendre des bains ; il me répondit qu’il était vrai et que les médecins lui avaient autrefois ordonné, qu’il était comme assuré que cela lui réussirait, mais qu’il n’avait jamais pu s’y résoudre, parce qu’il voyait quelque chose contraire à la pureté et qu’il trouvait moins d’incommodité à ne point dormir qu’à user de ce. remède. Ce que j’ai plus admiré en lui et qui m’a touché davantage est que, pendant six ans et demi qu’il a été ici, il n’a jamais une seule fois entré dans aucune maison de cette ville, parce qu’il avait pour une de ses principales maximes qu’un missionnaire ne devait en aucune façon fréquenter avec les séculiers. Je pense qu’il me dit plus de mille fois qu’aussitôt que nous commencerons à fréquenter le monde, que nous étions perdus et je ne pense pas lui avoir quasi jamais parlé du spirituel de la maison qu’il ne soit toujours tombé sur cette proposition, qu’il ne fallait point converser avec le monde si ont ne voulait se perdre. Je supplie N.-S. de faire la grâce à cette maison d’hériter de lui cet esprit, sans lequel autant que je puis concevoir il est difficile de nous conserver

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire, quoique sa vie ait été courte ; mais aussi on peut dire que consummatus in brevi explevit tempora multa (2). J’ai considéré que nous avons dans notre bréviaire peu de chose de la vie des apôtres. C’est ce qui me fait retrancher quantité d’autres remarques non moins considérables que celles que je viens de toucher et prier N-.S. me faire la grâce de haïr le monde comme il a fait.

Nous avons M. Le Boysne malade d’une fièvre tierce depuis six jours et M. Caset dans les remèdes depuis le jeudi ; et il achève samedi les bains ; et le médecin lui a ordonné pour commencer dimanche, à prendre du lait, non d’ânesse, qu’on ne trouve point ici, mais de cavale et ce jusques à la Pentecôte, sans espérer de guérison de plus de quatre mois d’ici, à ce que le médecin nous a dit.

Mgr de St-Malo (3) m’a mandé de tenir tout prêt pour l’ordi -

2) Livre de la Sagesse IV, 13.

3) Ferdinand de Neufville

 

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nation..mais comment faire ? Laisné ne peut faire les entretiens du matin qu’il n’ait reçu sa valise de Paris, qu’on mande lui avoir envoyée dès le mois d’octobre dernier. Il partit d’ici samedi pour aller chercher chez les messagers de Rennes ladite valise. Le moyen d’avoir adresse serait que M. Dehorgny lui mandât le nom du messager qui en a été chargé à Paris. Il lui écrit assez mais on lui répond seulement en général qu’on lui a envoyé.

Je ne vous demande point de secours parce que vous voyez que nous sommes dans l’extrémité auquel état votre charité ne nous peut laisser longtemps..

Notre frère Rivet (4) souhaiterait d’être sous-diacre à l’ordination prochaine. Je l’ai proposé à Messieurs Le Boysne et Laisné, qui n’ont rien à dire contre lui, ni moi non plus.

Je me recommande très humblement à vos saints sacrifices et suis, Monsieur et très honoré Père, votre très humble et très obéissant serviteur.

LOUIS SERRE,

indigne prêtre de la Mission.

 

1881. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 9 avril 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre de l’onzième de mars, qui me donne sujet de louer Dieu de ce que Vitkiski s’unit à la compagnie et de ce que la reine trouve bon qu’il soit donné à Monsieur votre ancien curé et bienfaiteur. Vous me consolerez de me mander si après sa mort ce bénéfice, étant uni à la Mission, lui demeurera. Il faut obéir à la reine tout à fait et en toutes chose ; mais il est bien à craindre que l’éloignement de quelques-uns (1) de la compagnie, à Sokolka ou ailleurs, ne les dissipe, et éteigne,

4) François Rivet.

Lettre 1861. — L. a — Dossielr de Cracovie, original.

1) Les mots : de quelques-uns, sont de la main du saint.

 

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ou pour le moins affaiblisse, l’esprit de la Mission en ceux particulièrement qui demeureront seuls ; les jeunes plantes ne peuvent pas si tôt donner des fruits, et, s’ils le font, les sages jardiniers les arrachent et les en déchargent. O Monsieur, que cinq ou six mois de récollection et d’application à la langue feraient grand bien à votre petite famille ! Car omnis virtus ab intus. Que si néanmoins Sa Majesté désire que Monsieur Desdames aille passer quelque temps à Sokolka ! et même quelque autre prêtre quand et lui, in nomine domini. Je vous ai écrit assez amplement de cela par ma dernière (2), à laquelle je souhaite que vous et votre famille fassiez attention. Croyez-moi, Monsieur, que, si ceux qui sont allés en Pologne pour profiter à ce royaume-là n’entrent dans l’esprit de Notre Seigneur et des apôtres, ils n’y feront rien ou fort peu de chose. Hélas ! qui nous fera part de la ferveur des premiers Pères jacobins et jésuites qui ont été appelés les premiers en ce royaume-là ? Ce sera Notre-Seigneur, par la récollection, en laquelle il parle cœur à cœur à nos cœurs. Le plus grand adversaire que je vois pour cela, c’est l’esprit du monde et de la chair, la prétention d’aller et de venir et de s’entremettre de ce qui ne regarde pas l’esprit d’un vrai missionnaire. Je vous prie, Monsieur, de faire quelque conférence sur cela, selon notre coutume, les vendredis.

Je loue Dieu du soin que vous avez de solliciter Monsieur l’official pour l’union.

Vous me parlez de chasser à la campagne vos jeunes prêtres, ou partie d’eux, afin de s’exercer à la langue ; à quoi je vous dirai, Monsieur, que si c’est pour la mission, que cela se pourra réussir ; mais que de les envoyer errants par-ci par-là, qu’il est à craindre que cela sèche

2) Première rédaction : par ma précédente.

 

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leur cœur et les dissipe. Pourraient-ils, pas s’imposer une loi, avec quelque peine, contre ceux qui manqueraient à parler polonais (3). C’est ainsi que les Pères jésuites apprennent la langue partout et font tant de profit aux Indes et au Canada.

Je suis bien marri de ce que la. sœur Marguerite le porte haut et est arrêtée en son sens. Au nom de Dieu, Monsieur, aidez-la bien à entrer dans l’esprit d’humilité et de condescendance en toutes choses. Mademoiselle Le Gras espère que l’une de celles qu’elle enverra aura l’esprit approchant des qualités que Sa Majesté désire. Il y a quelque difficulté à la déclarer servante d’abord qu’elle arrivera. Il est bien à craindre que cette bonne fille (4) qui a cette entièreté, ne soit surprise d’abord et n’ait pas la sainte condescendance qu’il faudra pour se soumettre, et que, un mois ou deux lui faisant reconnaître l’humilité la douceur et véritable soumission de celle dont je viens de parler, ne lui fasse faire quelque extravagance contre sa propre volonté, qui oblige à la rappeler.

Je suis bien aise que Monsieur l’ambassadeur, qui a correspondance en Suède (5), vous ait dit qu’il y a un ecclésiastique auprès de Monsieur l’ambassadeur de ce royaume-là (6).

Assurez Monsieur Duperroy que je ferai tenir sa lettre promptement et sûrement.

Monsieur Berthe est arrivé ici depuis 5 ou 6 jours. Nous sommes sur le point d’envoyer quelqu’un à Rome, et l’on travaille, par la miséricorde de Dieu, avec bénédiction partout. La maison de céans, outre les ordinands

3) Les mots à parler polonais sont de la main du saint.

4) Première rédaction : cette pauvre fille.

5). Première rédacfion : je suis bien aise donc que le résident de : Suède.

6) Le baron d’Avaugour.

 

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a fait travailler ce carême à quatre missions à la fois, par lesquelles Notre-Seigneur a fait de grands biens. Monsieur Tholard en dirigeait une auprès de Paris, où les villageois avaient une si grande haine contre son curé que nul voulait entendre sa messe, et s’en allaient tous en d’autres villages à même temps qu’il commençait à s’habiller ! et Notre-Seigneur a tellement béni son travail et de ses confrères que le pauvre peuple a demandé pardon à Monsieur le curé, tout publiquement et baigné de larmes, et se sont réconciliés par ce moyen.

Je ne puis que je ne vous die une particularité entre les grands biens qu’a faits Monsieur Le Vacher, d’Alger, à ces dernières fêtes de Noël : c’est la réconciliation des pauvres esclaves chrétiens entre eux, qui avaient quantité d’inimitiés, et la restitution qu’il a fait faire d’une somme notable les uns aux autres et sur les moindres torts et dommages qu’ils se sont faits les uns aux autres. O Monsieur, que je souhaite qu’on agisse en cet esprit en Pologne et partout !

Le temps me presse. Je finis ici en me recommandant aux prières de votre famille et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Mademoiselle Le Gras a amené à notre parloir le petit chien que l’on envoie à la reine. Il aime tellement l’une des sœurs de la Charité qu’il ne regarde pas seulement les autres, ni qui que ce soit ; et dès qu’elle sort la porte, il ne fait que se plaindre et n’a point de repos. Cette petite créature m’a bien donné de la confusion, voyant son unique affection pour celle qui lui donne à manger, me voyant si peu uniquement attaché à mon souverain

 

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bienfaiteur et si peu détaché de toutes les autres choses. Vous pourrez assurer Sa Majesté que les filles en auront un très grand soin.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission, à Varsovie.

 

1862. — A LA DUCHESSE D’AIGUILLON

De Saint-Lazare, ce 10 avril [1655] (1).

La lettre de Madame la duchesse arriva hier au soir trop tard ; toutes les dames étaient parties. Elle me fut rendue en repassant de l’archevêché devant la chambre des filles par une d’elles. Je la lirai aux dames à la prochaine assemblée, Dieu aidant. Je remercie cependant madite dame de ce qu’elle a fait auprès de la reine, et en parlerai à Madame la présidente Fouquet ; mais je ne lirai pas ce que madite dame dit au bas de sa lettre touchant sa déposition (2) et l’élection d’une autre.

Voici un jeune homme que je tiens [pour] (3) envoyer à madite dame, son compagnon étant resté malade à Vannes (4), d’où il viendra ici, si l’on lui mande que madite dame le désire.

Je n’ai point vu M. Desmarets (5) ; je tâcherai de le

Lettre 1862. — Gossin, op cit., p. 465, d’après l’original communiqué par M. Blaise, libraire-éditeur. La lettre était de la main du. saint

1) La date 1665, donnée par Gossin, est certainement fautive. M. Charavay, qui a mis la lettre en vente, a lu 1655.

2) La duchesse d’Aiguillon était présidente des dames de la Charité

3) Gossin a lu par ; il faut pour.

4). Il est probable que Gossin. a mal lu ; ne serait-ce pas plutôt Vanves ?

5) Jean Desmarets, seigneur de Saint-Sorlin, membre de l’Académie française, intendant du duc de Richelieu, était né à Paris en

 

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voir dès aujourd’hui, si je le puis ; toutefois je me rétracte dans le doute si madite dame ne l’aura pas désagréable. Je la supplie très humblement me faire mander s’il n’y a pas quelque conjoncture qui l’empêche.

M. Brin a beaucoup de choses à dire à madite dame ; il se donnera l’honneur de l’aller voir lundi.

L’on me conseille d’aller prendre un peu l’air ; rarement je me remets en travers de mes petites indispositions. J’espère aller à Rougemont ou à Orsigny, à quatre lieues d’ici. J’espère être de retour vendredi, Dieu aidant.

1595. A son goût pour le théâtre, où ses tragédies et ses comédies obtinrent du succès, succéda subitement une dévotion outrée. Il s’adonna dès lors à la composition d’ouvrages de piété. De sa plume sont sortis une traduction de l’Imitation et du Combat spirituel, des * prières d’une exaltation dangereuse, un * Avis du Saint-Esprit au Roi, un poème, Clovis, que Boileau a ridiculisé, et des écrits contre les jansénistes, Simon Morin, Homère, Virgile et les auteurs païens. Il voyait souvent saint Vincent. "Ceux qui gouvernent la maison de Saint-Lazare, déclare-t-il dans un de ses écrits (Quatrième partie de la réponse aux insolentes apologies de Port-Royal, Paris, 1668, in-12, p. 223) savent que M. Vincent était mon bon Père spirituel, que je le consultais souvent, qu’il a eu longtemps le livre des. Délices de l’Esprit avant qu’il fût imprimé, qu’il en lut beaucoup, bien qu’il fût si occupé, et qu’il en donna le reste à voir à l’un des plus savants de sa maison… Et pour faire voir encore le soin charitable que M. Vincent prenait de moi, il voulut alors me porter à prendre l’état ecclésiastique, croyant que cela donnerait plus de poids à ce livre mais je lui répondis que j’en étais trop indigne,. qu’il fallait y être porté plutôt par un mouvement de Dieu que par celui des hommes mais que je n’en avais jamais eu la moindre pensée… Depuis il ne m’en parla plus, mais il m’exhorta à détromper le monde de ses fausses maximes, sur lesquelles j’étais assez savant et dont il avait plu à Dieu me détromper. Il me donnait souvent de bons avis, et je remarquais qu’il ne donnait jamais conseil qu’après s’être un moment recueilli en Dieu, le consultant plutôt que son propre esprit et que sa science." Dans leurs entretiens, il fut maintes fois question de l’abbé de Saint-Cyran. (op. cit., pp. 217, 218.) Jean Desmarets mourut à Paris le 28 octobre 1676.

 

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1863. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 16 avril 1655

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne sais d’où peut venir le retardement de nos lettres ; il sera bon que vous preniez garde si le paquet a été ouvert.

Voilà donc enfin le voyage du roi et de la reine résolu ; assurez-vous, Monsieur, que nous ne manquerons point de recommander à Notre-Seigneur leurs personnes sacrées, leurs royaumes et leurs armes.

Nous attendrons donc Messieurs Conrard (1) et des Noyers (2) environ la Pentecôte, et leur témoignerons la reconnaissance que nous avons des bontés qu’ils ont pour vous et pour votre famille.

Mon Dieu ! Monsieur, que je suis affligé de la perte de ce monde qui s’est noyé à la rupture de la glace de cette rivière, et que je loue Dieu de bon cœur de ce qu’il a conservé Monsieur le grand secrétaire d’un si grand péril !

Je remercie Dieu aussi, avec toutes les tendresses de mon cœur de ce qu’il a redonné la santé au bon Monsieur de Fleury. Je vous supplie très humblement, Monsieur, de lui témoigner la joie que j’en ai et la reconnaissance de toutes les obligations que nous lui avons ; oh ! Monsieur, que mon cœur en est attendri !

Je me donne l’honneur de faire réponse à la reine, qui m’a fait l’honneur de m’écrire au sujet des Filles de la Charité ; vous lui ferez tenir ma lettre, s’il vous plaît.

Lettre 1863 — L s — Dossier de Cracovie, original.

1) Médecin de la reine de Pologne.

2) Secrétaire de la reine de Pologne.

 

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Je suis en une peine que je ne vous puis exprimer de ce que j’ai égaré le premier mémoire de vos livres ; je ferai ce que je pourrai pour le retrouver et vous envoyer, Dieu aidant, ce que vous demandez.

O Jésus ! Monsieur, que je suis affligé de la maladie de Monseigneur le prince Charles, et que nous prierons bien Dieu qu’il lui redonne sa parfaite santé, si déjà il ne l’a fait, et qu’il sanctifie sa personne !

Nous vous avons destiné deux de nos frères de céans, ayant eu peine de tirer le frère Delorme de la maison de Troyes, qui en a tant de besoin, étant chargée d’un séminaire et des missions.

Je loue Dieu de ce que votre petite famille se porte bien, et prie Notre-Seigneur qu’il la sanctifie de plus en plus, et me recommande à vos prières et aux siennes, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1864. — A FIRMIN CET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

16 avril 1655.

Je suis en la même pensée que vous touchant le dey de Tunis, qu’il fera quelque avanie, comme il a déjà fait à Monsieur le consul de 270 piastres, et que ce serait le meilleur de remettre les deux consulats entre les mains de personnes qui en pourraient faire leur profit ; et cela n’empêchera pas que les prêtres ne fassent ce qu’ils

Lettre 1864 — Manuscrit de Marseille.

 

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pourront pour l’assistance des pauvres esclaves. Je pense qu’il n’y aura pas de danger que vous vous informiez secrètement s’il y aurait quelque marchand de Marseille qui voulût prendre lesdits consulats, et en rendre certaine somme par an aux prêtres de la Mission qui seront de delà. Si vous avez quelqu’ami particulier auquel vous puissiez confier cette proposition sous le secret, vous le ferez, s’il vous plaît, n’étant pas expédient que la chose se divulgue, et me manderez ce que vous en aurez trouvé.

 

1865 — A N ***

23 avril 1655

Vincent de Paul annonce que François Le Blanc, prêtre de la Mission, a été découvert par les émissaires de Cromwell dans le château du marquis de Huntley et enfermé dans les prisons d’Aberdeen. Nul doute qu’il ne soit condamné à mort.

 

1866. — A LOUIS DE CHANDENIER

De Paris, ce 27 avril 1655

Monsieur,

Voici enfin le brevet et les lettres pour Rome que vous avez tant désirés pour vous dépouiller, et le tout en la forme qu’il faut (1)

Je me suis donné l’honneur de vous écrire que je devais voir Monseigneur le cardinal (2) par son ordre, et que je doutais s’il me ferait l’honneur de me parler d’évêché pour vous, Monsieur ; mais ce n’était pas cela. Si Son

Lettre 1865 — Collet, op. cit., t. II, p. 480.

Lettre 1866. — L a. — Dossier de la Mission, original.

1) Saint Vincent a probablement en vue la résignation de l’abbaye de Saint-Pourçain en faveur de la congrégation de la Mission.

2) Le cardinal Mazarin.

 

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Éminence l’eût fait, je lui aurais dit ce que je vous ai mandé ; il n’en a pas été besoin. La chose se passa assez bien, Dieu merci. Il y a apparence que la raison de me voir était pour me raire un acte de bonté, en suite du commandement que le roi a fait a nos missionnaires français de Rome de s’en revenir en France, pource qu’ils avaient reçu en leur maison Monseigneur le cardinal de Retz, en sorte qu’il ne reste point à Rome que quatre prêtres missionnaires italiens ; mais il a plu à la bonté de Sa Majesté de nous permettre d’y renvoyer Monsieur Jolly, qui va partir dans deux heures. S’il vous plaît de l’employer pour votre service, Dieu sait de quel cœur il le fera.

L’on me parle souvent d’évêchés pour vous, Monsieur ; mais je dis à tous ceux qui m’en parlent la difficulté que vous faites d’y entendre, parce que la vocation de Dieu ne vous y paraît pas nette ; et certes je ne vois personne qui n’en reste édifié, sinon un (3) qui ne peut digérer que vous n’entendiez pas à celui de Die, en Dauphiné (4).

Je n’ai point eu l’honneur de voir Mademoiselle votre sœur (5), et je vous avoue que je ne la cherche pas pour n’avoir de réponse agréable à donner du coté de M. votre Frère. Celles de Sainte-Marie (6) se portent bien, Dieu merci.

Notre chétive famille est toujours de même. Nous avons maintenant M. Berthe ici. Dieu a disposé de

3) Le saint ne voudrait-il pas parler. de lui ?

4). Die, en Dauphiné, était le siège d’un évêché uni depuis longtemps au diocèse de Valence. Il était question de lui redonner sa complète individualité ; ce qui se fit en 1687

5) Marie de Chandenier.

6) Marie, Henriette et Catherine de Chandenier, religieuses de la Visitation sœurs de Louis de Chandenier.

 

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M. Thibault, supérieur de Saint-Méen C’était un des hommes du monde, au dire de Monseigneur de Saint-Malo, qui prêchait le plus utilement. L’on nous dit merveilles du reste de ses vertus. Et M. Le Blanc, hibernois, que nous avions envoyé aux îles Hébrides, a été pris prisonnier en Ecosse avec un jésuite et un autre prêtre, qui court risque d’être pendu pour la religion bientôt, si Dieu n’en dispose autrement.

Nous avons vu M. de Flogni, qui nous a bien consolé par le récit de toutes vos conduites et de celles de M. de l’Aumône (7), dont je rends grâces à Dieu, et le prie qu’il purifie vos chères âmes à tous deux, et par vous celles des peuples qui vous sont commises.

Le départ de M. Jolly me presse de conclure et de vous faire un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, ensemble à M. de l’Aumône. Je vous supplie, Monsieur, de l’avoir agréable et de demander à Dieu miséricorde pour le plus abominable et détestable pécheur du monde (8), qui est, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

Au bas de la première page : Pour M. l’abbé de Chandenier.

7) Claude de Chandenier, abbé de l’Aumône.

8) Collet parle (op cit., t. II, p. 198) d’une lettre du 23. avril 1655 que saint Vincent terminerait par les mots "qui suis le plus inutile, le plus misérable et qui ai le plus besoin des miséricordes de Dieu. Je vous prie de les lui demander pour moi". Ce passage ne serait-il pas plutôt emprunté à la lettre du 27, bien qu’il ne s’y trouve pas

mot à mot ?

 

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1867. — AU PAPE ALEXANDRE VII

Beatissime Pater,

Quandoquidem illa Evangelii paupercula vidua mittens in gazophilacium duo tamtum aera minuta, Deum non modo non habuit despectorem oblatiunculae, verum Redemptoris nostri meruit approbationem et elogium, spe nonnulla erigor atque sustentor, Sanctissime Pater, inter tot magnatum insignes litteras quae ex universo christiano orbe ad Sanctitatem Vestram mittuntur, meam, hoc est indignissimi superioris Missionis, Congregationis omnium minimae, non penitus rejiciendam. Gratulatur enim Sanctitati Vestrae de exaltatione ad Pontificatum, eamque felicitat seque intra gestientis laetitiae fines continere vix potest, totius dictae congregationis meique specialis quaedam dedicatio est. Annum ago septuagesimum quintum ; multorum summorum Pontificum promotionem jam vidi (1) ; at qui tanto populorum et nationum consensu electus sit sane non adhuc vidi, adeo ut omnium studiis, votis et jubilationi Sanctitas Vestra contigerit. Respublica christiana attollit anmos, fausta sibi quaeque pollicetur, pacem ante omnia generalem, cujus Sanctitatem Vestram supra modum studiosam cuncti et sciunt et loquuntur. Faxit Deus ut illud almae pacis bonum Sanctitati Vestrae debeamus acceptum illamque ad multos annos conservet ac viviificet ! Hae sunt beneprecationes (?) ac devotissimae voluntatis studia quac Sanctitati Suae praesentat Sanctitatis Ves-

Lettre 1867. — L. s. —. Arch. Vatic, Vol. Particolari 30, f° 86, original.

1) Onze Papes avaient occupé le siège de Pierre depuis la naissance du saint ; Alexandre VII était le douzième.

 

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trae humillimus, obedientissimus ac indignissimus servus et filius.

VlNCENTIUS A PAULO,

indignissimus superior generalis congregationis Missionis

Datum Parisiis, V Kalendas maii (2) MDCLV

 

TRADUCTION

Puisque, loin de voir sa légère offrande dédaignée par Dieu, la pauvre veuve de l’Évangile qui laissa tomber deux petites pièces dans le tronc du sanctuaire, mérita d’être approuvée et louée par notre Rédempteur, j’ai bon espoir, très Saint-Père, que parmi les nombreuses lettres de personnages éminents que Votre Sainteté reçoit de toutes les parties du monde chrétien, celle du très indigne supérieur de la Mission, de toutes les congrégations la plus petite, ne passera pas complètement inaperçue. Elle apporte à Votre Sainteté nos congratulations et nos félicitations à l’occasion de son élévation au souverain Pontificat, lui dit notre joie, qui ne connaît presque pas de bornes, et lui voue spécialement la susdite congrégation et ma personne. Je suis dans la soixante-quinzième année ; j’ai vu bien des Souverains Pontifes promus à cette dignité ; mais je n’en ai vu aucun dont l’élection ait été accueillie aussi unanimement par les peuples et par les nations. Cette élection faisait l’objet de tous les désirs et de tous les vœux, elle a été reçue partout avec la même joie. La république chrétienne se sent animée d’un nouveau courage ; elle attend de cet événement toutes sortes de biens et par-dessus tout la paix générale, dont tout le monde sait et dit Votre Sainteté très désireuse. Fasse Dieu que Votre Sainteté nous procure ce grand bienfait, et qu’il lui plaise vous accorder longue vie ! Tels sont les souhaits, tels sont, inspirés par une volonté qui vous est sincèrement dévouée, les vœux que vous présente, de Votre Sainteté le très humble, très obéissant et très indigne serviteur et fils.

VINCENT DEPAUL,

très indigne supérieur général de la congrégation de la Mission.

Donné à Paris le 5e des calendes de mai de l’an 1655.

2) 28 avril

 

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1868 — A MONSIEUR DE LA BERNARDIERE

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis bien en peine, Monsieur, de ce qu’il n’a pas plu à Dieu donner bénédiction par mes péchés à mon entremise pour l’accommodement de l’affaire de votre bon frère. S’il se fût tenu à ce que vous et moi avions convenu, qui est que, pourvu que les docteurs l’assurassent, après l’avoir ouï, qu’il pouvait demeurer en sûreté de conscience en sa vocation, l’accommodement valait fait. Mais comme ils ont vu qu’il ne se contentait pas de cela, et ayant su que vous, Monsieur, me mandiez que, s’il n’en passait pas où le bon Père proposait dimanche passé, que vous repreniez votre parole, ils me firent savoir la veille qu’ils ne pouvaient y entendre, et me prièrent de leur rendre la leur qu’ils m’avaient donnée, Ce que je fis, et le lendemain à votre bon frère la sienne. Or je vous supplie très humblement de trouver bon que je vous die tout simplement, Monsieur, qu’après avoir vu les griefs de votre bon frère et la réponse de ces bons Pères, il m’a semblé qu’ils sont en bonne foi et que ce bon Père eût fait bien et religieusement d’acquiescer à l’accommodement en la manière que vous et moi étions convenus, voire même de s’en tenir à celui qui avait été fait à Saint-Denis. Je vous dis ceci avec toute l’humilité et le respect qui m’est possible, Monsieur, et que je suis et serai toute ma vie, en l’amour de N.-S. et de sa sainte

Lettre 1868. — Reg, f° 5 v°, copie prise sur l’original, qui était de la main du saint.

 

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Mère, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M..

 

1869. — AU MARQUIS DE PIANEZZE

4 mai 1655.

Monseigneur,

… J’ai un autre déplaisir au sujet de notre établissement dans Turin : c’est, Monseigneur, que n’ayant pas bien fait réflexion aux premières propositions de ce qu’on désire de nous, comme j’ai fait depuis, lorsque j’ai vu les conditions du traité, que le supérieur de la maison d’Annecy (1) m’a envoyées, par lesquelles il est porté que nous donnerons six prêtres qui prêcheront et confesseront dans la ville, j’ai manqué à vous faire savoir, Monseigneur, que cette obligation de prêcher et confesser dans la ville est toute contraire à notre Institut. car nous nous sommes entièrement dédiés au service des pauvres gens de la campagne et à procurer l’avancement spirituel de l’état ecclésiastique ; et pour n’être pas empêchés ni divertis de ces emplois par ces autres-là qui attachent dans les villes, nous avons pour règle expresse de ne point prêcher ni confesser dans celles où il y aura évêché ou présidial, si ce n’est les ordinands et les autres ecclésiastiques ou séculiers qui feront les exercices spirituels dans nos maisons, d’autant qu’en ces villes considérables il se trouve ordinairement quantité de bons prédicateurs et de confesseurs, et qu’à la campagne il y en a fort peu. Je vous demande pardon, Monseigneur,

Lettre 1869. — reg 2, p 67.

1) Achille Le Vazeux.

 

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de ne vous avoir pas plus tôt informé de ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire ; je n’y avais pas pensé. Nous serons toujours disposés à rendre service au diocèse de Turin en la manière que notre règlement le permet : d’aller instruire les peuples des champs, de les entendre de confession générale, de les réconcilier entre eux, de terminer leurs différends et de mettre ordre que les pauvres soient assistés en leurs maladies pour le corps et pour l’âme par l’établissement de la confrérie de la Charité. Voilà, Monseigneur, nos exercices dans les missions ; et, après que cela est fait dans un village, nous passons à un autre pour en faire autant, le tout aux dépens de la fondation ; car nous nous sommes donnés à Dieu pour servir gratuitement le pauvre peuple. Une partie de nos prêtres est employée à cela, pendant que les autres sont appliqués dans la ville à la direction du séminaire, des ordinands et des exercitants, s’il y en a ; et ceux-ci vont en mission à leur tour pour donner moyen aux autres de se venir recueillir à la maison, où ils font aussi ce que ceux-là y faisaient. Je vous supplie très humblement, Monseigneur, d’avoir agréable que nous en usions de la sorte, et de le faire agréer à ceux qui nous font avec vous l’honneur de nous appeler. J’attendrai, s’il vous plaît, celui de vos commandements pour apprendre vos intentions et pour tâcher de les exécuter.

 

1870. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 7 mai 1655.

Monsieur,

J’ai reçu la vôtre du 8e avril, par laquelle vous vous

Lettre 1870. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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plaignez de ce que je ne vous ai donné avis de la mort de Monsieur du Chesne ; si cela est, j’ai grand tort ; l’excès de la douleur que j’en ai eue m’a peut-être fait oublier cela. Il est donc vrai, Monsieur, qu’il a plu à Dieu de disposer de ce sien serviteur, qui a été une des grandes pertes que pouvait faire cette petite compagnie. Il y a cinq ou six mois qu’il a plu à Dieu de l’attirer à lui à Agde (1) en suite d’une maladie épidémique de deux mois. Je lui avais écrit par plusieurs fois de se retirer de ce mauvais air en telle de nos maisons qu’il lui plairait ; mais il s’en excusa (2), ne voulant pas abandonner sa famille, qui était toute malade, en sorte qu’il fallut prendre une personne du dehors pour les assister. De vous dire la perte que nous avons faite, ceux qui ont vu l’assortiment qu’il avait de toutes les vertus convenables aux missionnaires, son grand zèle, sa mortification, sa candeur, sa fermeté, sa cordialité (3), la grâce qu’il avait. aux prédications, aux catéchismes, aux exercices des ordinands, l’affection à sa vocation, son exactitude à l’observance des règles et des coutumes de la compagnie, et les autres vertus requises à un missionnaire, ceux-là peuvent juger de la grande (4) perte que nous avons faite. L’on a fait deux ou trois entretiens sur son sujet, où il fut dit des merveilles, et étonnantes, par ceux qui l’avaient connu plus particulièrement. Nos frères qui avaient demeuré avec lui en d’autres maisons et qui avaient été en mission avec lui ne se pouvaient épuiser des actes particuliers de vertu qu’ils avaient remarqués en lui et qu’ils nous racontaient. Jamais je n’ai

1) Première rédaction : de le prendre à Agde.

2). Première rédaction : mais il ne le voulut pas faire. Vincent de Paul a fait la correction de sa main

3). Première rédaction : sa fermeté, sa douceur et cordialité.

4). Le saint a ajouté lui-même en interligne le mot grande

 

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vu plus de ferveur qu’il en parut aux conférences qui ont été faites au sujet de ce serviteur de Dieu. Je suis. marri que nous n’avons fait rédiger cela par écrit pour le vous envoyer ; vous auriez vu des actes de vertu signalés, voire même héroïques, de mortification et d’humiliation vers ceux qu’il croyait avoir fâchés. Si je le puis, je prierai quelqu’un de rédiger cela sommairement par écrit, sur les mémoires que je dirai à ceux qui auront parlé en les conférences qu’ils donnent de ce qu’ils ont dit. Certes, Monsieur, ceux qui le voyaient ne le connaissaient pas. Il avait des adresses merveilleuses pour cacher ses pratiques intérieures et extérieures. S’il y avait quelque chose qui choquât la vue de quelques-uns avec lesquels il conversait, c’était la promptitude ; mais je vous assure qu’elle lui a bien aidé à faire des actes merveilleux de mortification, qui ont bien contribué à la sanctification de son âme. Il y en a beaucoup d’entre vous qui l’ont connu ; je pense que vous ferez bien de faire une conférence sur son sujet.

Le bon Dieu ne s’est pas contenté de nous visiter de ce côté-là, il l’a fait encore naguère de la personne de Monsieur Thibault, supérieur de Saint-Méen, qui est tombé malade à une mission qu’il faisait, d’où il se fit porter à sa maison de Saint-Méen, et y mourut 2 ou 3 jours après, et a laissé une affliction grande dans sa maison, et, à ce que j’apprends, dans la province, où Dieu faisait par lui des conversions merveilleuses, notamment à l’égard de la noblesse. Monseigneur de Saint-Malo, son évêque, m’a témoigné une douleur fort grande de sa perte, et avec sujet. Il avait une si grande estime de lui qu’il le préférait à tous les prédicateurs qu’il eût jamais ouïs (à ce qu’il m’a dit lui-même) pour profiter à la vigne du Seigneur. Enfin mes péchés sont cause que Dieu en a. privé la compagnie. Je vous envoie

 

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la lettre que Monsieur Serre, son assistant, m’a écrite concernant le résultat de la conférence qu’ils ont faite sur ses vertus ; par où vous verrez, quoiqu’en abrégé, combien grande est la grâce que Dieu avait mise en ce sien serviteur, bref (6) un original d’un vrai et parfait missionnaire.

Je n’attends que l’heure d’avoir nouvelle de la mort de Monsieur Lebas, prêtre de la mission d’Agde, que nul de votre famille a connu, pource qu’il a fait son séminaire à Richelieu, d’où il a été envoyé à Agde, d’où l’on me mande qu’il était malade à l’extrémité ; si Dieu en a disposé, c’est encore une perte non petite pour la compagnie, pource que c’est un bon sujet, qui a bien étudié, et en qui en peu de temps a paru l’esprit d’un vrai missionnaire, en sorte que notre pauvre défunt Monsieur du Chesne me disait des merveilles et de sa vertu et de sa grâce en toutes nos fonctions ; et la dernière lettre que m’a écrite ledit sieur Lebas me fait voir tout cela. Je le recommande à vos prières, vivant ou mort, et aussi la maladie de Monsieur de Martinis, missionnaire de Rome, où il a été envoyé de Gênes, où il a fait son séminaire.

Voilà, Monsieur, les nouvelles que je vous dirai par la présente, sinon que j’y ajoute le départ de Monsieur Jolly, directeur de notre séminaire, pour Rome, avec notre frère François (7) qui est encore du séminaire, lequel s’en va prendre la place de Monsieur Berthe à Rome. Ce bon frère François est connu de Monsieur

5) Après le mot vertus le secrétaire. avait écrit les mots : Il y a peu de gens, qu’il a ensuite raturés.

6) Première rédaction : et Le saint a lui-même remplacé et par bref.

7). Pierre François, clerc, né aux Riceys (Aube) le 11 novembre 1627, entré dans la congrégation de la Mission le 20 octobre 1654, reçu aux vœux à Rome le 26 novembre 1656. Le manuscrit de Lyon nous a conservé un résumé de la conférence faite sur ses vertus a Rome après sa mort. `

 

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Durand et de Monsieur Eveillard, pource qu’il a demeuré sous eux au collège de Saint-Charles et est un rare sujet.

Vous m’avez consolé de ce que vous avez envoyé le quartier à Mademoiselle Zelazewski par Monsieur son fils, lequel je salue très humblement, et prie toujours Dieu pour lui, à ce qu’il lui donne son esprit pour le salut de ses compatriotes et leur sanctification, comme il a fait à saint Hyacinthe ; et certes, Monsieur, je ne perds point espérance que cela ne soit (8),

J’enverrai le chapeau pour Monsieur l’official par nos frères et me donnerai l’honneur de lui écrire par même moyen. Vous ne m’avez pas marqué comme il faut les termes dans lesquels il lui faut écrire (9).

Je loue Dieu de ce que les Filles de la Charité ont commencé leurs petites écoles, et m’étonne de ce qu’elles ne sont employées à l’assistance des pauvres malades de la ville. J’attends avec impatience Messieurs des Noyers et Conrad ; Dieu sait avec quel cœur je traiterai avec eux. Je suis cependant, en l’amour de Notre-Seigneur, à vous et à votre chère famille, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je vous supplie derechef, Monsieur, de voir M. Fleury de ma part et de lui faire en mon nom une donation perpétuelle de mon cœur.

Nous ferons partir nos gens par le premier vaisseau duquel l’on nous donnera avis qui partira pour Pologne

8) Ce membre de phrase est de la main du saint.

9) Celte phrase est de l’écriture du saint.

 

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Je serai fort consolé de voir ici avant cela Messieurs des Noyers et Conrard.

Vous direz à Mademoiselle de Villers que le petit favori (10) daigne commencer à me regarder, et qu’il est ma leçon en bien des choses et me donne de la confusion

Il Signor Jean-Baptiste, qui a fait l’office de supérieur à Rome, me mande qu’il a parlé à Monseigneur le cardinal de Sainte-Croix, protecteur de Pologne (11), pour obtenir les indulgences que vous demandez pour votre église de Sainte-Croix, et qu’il lui a promis de les demander. Je lui écris qu’il en sollicite souvent Son Éminence et qu’il les vous envoie au plus tôt. Il a pris occasion de lui faire cette demande, lui allant rendre compte de quelques missions qu’il a faites depuis peu en son diocèse (12),

Suscription : Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1871. — M. DE LA FONT, LIEUTENANT GÉNÉRAL DE SAINT QUENTIN,

A SAINT VINCENT

[Entre 1650 et 1655] (1)

Les charités qui sont, par la grâce de Dieu et par vos soins, envoyées en cette province et si justement distribuées par ceux qu’il vous a plu y commettre, ont donné la vie à des millions de personnes, réduites par le malheur des guerres

10) Le petit chien de la reine.

11) Marcel de Sainte Croix, né le 7 juin 1619, nommé cardinal le 19 février 1652, à l’instance du roi de Pologne, évêque de Tivoli en octobre 1652, mort à Rome le 19 décembre 1674.

12) Le post. scriptum est de la main du saint.

Lettre 1871. — Abelly, op cit., 1. II, chap. XI, sect. III, 1er éd., p 405

1) Ce qui est dit dans cette lettre des mouvements des troupes et des distributions de secours par les prêtres de la Mission ne peut s’appliquer qu’à ces cinq années.

 

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à la dernière extrémité et je suis obligé de vous témoigner les très humbles reconnaissances que tous ces peuples en ont. Nous avons vu, la semaine passée jusqu’à quatorze cents pauvres réfugiés en cette ville, durant le passage des troupes qui ont été nourris chaque jour de vos aumônes ; et il y en a encore dans la ville plus de mille, outre ceux de le campagne. qui ne peuvent avoir d’autre nourriture que celle qui leur est donnée par votre charité. La misère est si grande qu’il ne reste plus d’habitants dans les villages qui aient seulement de la paille pour se coucher, et les plus qualifiés du pays n’ont pas de quoi subsister. Il y en a même qui possèdent pour plus de vingt mille écus de bien et qui à présent n’ont pas un morceau de pain et ont été deux jours sens manger C’est ce qui m’oblige, dans le rang que je tiens et la connaissance que j’en ai de vous supplier très humblement d’être encore le père de cette patrie, pour conserver la vie à tant et tant de pauvres moribonds et languissants, que vos prêtres assistent et s’en acquittent très dignement.

 

1872. — A FIRMIN GET

De Paris, ce 14 mai 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis bien aise de ce que vous avez reçu la lettre de change de mille livres.

Je ferai savoir à Monsieur le curé du Havre-de-Grâce (1) la difficulté qu’a Monsieur le consul d’Alger d’obtenir avec une si petite somme d’argent la délivrance de tant d’esclaves, à ce qu’il ait à y pourvoir, et d’envoyer davantage qu’il n’a fait ; j’en donnerai pareillement avis à Madame la duchesse d’Aiguillon, à laquelle je ferai entendre la même chose.

Il est vrai, Monsieur, qu’un temps a été que Monsieur Valois avait les mêmes désirs que vous me marquez ;

Lettre 1872. — L. s. — L’original appartient aux Filles de la Charité établies sur la paroisse Saint-Louis-en-l’Ile à Paris

1). Nicolas Gimart (1649-1655) ou François Dufestel (1655-1656)

 

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mais, par la grâce de Dieu, il est revenu de cet état ; je vous prie néanmoins de retenir les lettres que ce prêtre hibernois duquel vous écrivez, lui enverra, ensemble celles que ledit sieur Valois lui écrira, et de me les envoyer toutes.

Très volontiers je trouve bon que vous fassiez mettre sur la porte de votre nouveau bâtiment les armes dont vous m’avez envoyé le modèle (2). Je suis bien aise de ce que Monsieur Bauduy est arrivé en bonne santé à Marseille et de ce que Monsieur Champion et notre frère Claude, qui sont de retour de la campagne, se portent mieux. Je vous prie, Monsieur, de dire audit sieur Bauduy, en cas que je ne lui puisse écrire par cet ordinaire, que je le salue avec toute l’affection que je le puis, et que je ferai tenir la lettre qu’il m’adresse à son bon frère, lequel est maintenant prieur du couvent des Pères Célestins en Avignon.

Si vous trouvez à propos d’envoyer à Monsieur Mugnier (3) le frère Lemoyne (4), faites-le ; mais pour notre frère Claude, je pense, Monsieur, qu’il sera bon qu’il demeure encore à Marseille pour quelque temps.

Si un marchand de Marseille vous met entre les mains la somme de cinq cents livres pour le rachat d’un pauvre esclave nommé Jean Borray, de Rouen, vous les recevrez et les enverrez à Monsieur Barreau en Alger, et le prierez de travailler au rachat de ce jeune homme. Si

2) C’étaient les. armes de la congrégation de la Mission : d’argent à un sauveur de carnation, vêtu d’azur et de gueules, ayant ses deux bras étendus et la tête entourée de rayons d’or ; et pour légende : évangelizare pauperibus misit me. Dans l’Armorial de la ville de Marseille, Marseille, 1864, in-8°, p. 252, Godefroi de Montgrand a confondu les armes de la maison et le cachet particulier du supérieur, qui portait autour du Sauveur les mots : Sup. dom. Massiliens. Congr. Missionis.

3). Supérieur de la maison d`Agde

4) Jean Lemoige, frère coadjuteur, reçu dans la congrégation en 1643 Firmin Get l’envoya à Agde.

 

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je n’écris pas aujourd’hui audit sieur Barreau, je vous enverrai le mémoire que l’on m’a mis en main touchant ledlit esclave, à ce que vous ayez agréable de l’envoyer audit frère consul.

Je suis cependant, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. P. d. l. M.

Voici le nom (5) de ce marchand qui vous doit fournir les 500 livres pour envoyer en Alger pour le rachat de Jean Borray.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur des prêtres de la Mission, à Marseille.

 

1873. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[1655] (1)

La fille de La Roche-Guyon que ma sœur Anne Hademont a amenée avec elle, nous presse pour s’en aller, disant qu’elle ne se saurait accoutumer à notre manière de vie. Je vous supplie, mon très honoré Père, prendre la peine nous mander si nous la laisserons aller. J’ai sujet de craindre que je lui aie aidé, car elle disait ces jours-ci que je ne lui faisais pas bonne mine Il est vrai que j’ai témoigné à ma sœur Anne qu’il eût été plus à propos d’attendre qu’elle en eût parlé à votre charité. Tout cela ne m’oblige-t’il point à la faire différer ? J’attends, mon très honoré Père, votre ordre pour y obéir, quoique infidèle en ces pratiques, qui est ce qui me fait tant faire de fautes, dont je vous demande très humblement pardon, et votre bénédiction pour de nouvelles forces, s’il plaît à votre charité.

L. DE M.

5) Première rédaction : billet. Le nom se trouvait sur un billet que nous n’avons plus.

Lettre 1873. — L a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le secrétaire.

 

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1874. — A UNE PRINCESSE

Madame,

Je prends la confiance d’écrire à Votre Altesse pour lui renouveler les offres de mon obéissance avec toute l’humilité et la soumission qui me sont possibles, et pour accompagner ce bon religieux qui va la trouver pour avoir l’honneur de lui faire la révérence et lui dire la disposition ou se trouve l’abbaye de (1) de recevoir la réforme, avec les moyens les plus propres pour y parvenir. Il est de bonne réputation et de très honnête famille. J’espère, Madame, que Votre Altesse aura la bonté de l’entendre : premièrement, parce que je sais le grand zèle qu’elle a pour la gloire de Dieu, laquelle elle porte si avant, que de n’épargner pas même les personnes qui ont l’honneur de lui appartenir ; secondement, parce qu’en ce faisant Votre Altesse sera cause que Jésus-Christ sera désormais davantage honoré et servi en cette maison-là, qui ne le peut être en l’état où elle est réduite, ainsi que ce porteur lui fera connaître ; troisièmement, à cause que feu M. l’évêque de… désirait avec tant d’ardeur l’introduction de la réforme en la même maison, qu’il m’en écrivit plusieurs fois ; et j’estime que cela se fût fait sans les empêchements qu’y apporta un des principaux religieux de l’abbaye, lequel avait grand crédit parmi les autres ; mais il est mort depuis ce temps-là, et peut-être Madame, que Dieu a permis ce retardement pour réserver à M. l’abbé votre fils (2) et à Votre Altesse le mérite d’une œuvre si grande.

Lettre 1874. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. XIII, sect. VII, p. 459.

1) Une abbaye très considérable, dit Abelly.

2). Ce prince, dit Abelly, était très jeune et encore sous la tutelle

 

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1875. — A UN SUPÉRIEUR DE SÉMINAIRE

Je salue avec affection et tendresse votre aimable cœur et tous ceux de votre chère famille ; et je prie Notre-Seigneur qu’il les bénisse si abondamment que la bénédiction en rejaillisse sur le séminaire, et que tous ces messieurs qui le composent, dans lesquels vous tâchez de mettre et de perfectionner l’esprit ecclésiastique, s’en trouvent à la fin remplis. Je ne vous les recommande pas ; vous savez que c’est là le trésor de l’Église.

 

1876. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 21 mai 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du vingt-deuxième avril, qui m’a beaucoup affligé par la nouvelle de ces puissantes armées qui attaquent la Pologne. Je prie Notre-Seigneur qu’il prenne ce royaume sous sa protection particulière, qu’il bénisse et sanctifie de plus en plus le roi et la reine. Vous m’étonnez de ce que vous me dites qu’on dit (1)

de sa mère. De prime abord on serait porté à conjecturer qu’il s’agit de Charles de Paris, comte de Saint-Paul, fils de la duchesse de Longueville, né le 29 janvier 1649 et nommé abbé de Saint-Remi de Reims le 5 août 1659 ; mais il semble que l’abbaye dont il est ici question, se trouve, non dans un archevêché. mais dans un simple évêché.

Lettre 1875. — Abelly, op. vit., 1. III, chap. XI, sect. V, p. 148

Lettre 1876. — L. s — Dossier de Cracovie, original

1) Les mots : qu’on dit, sont de la main du saint.

 

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que je vous ai écrit cette grande lettre (2) de ma main, il y a environ six. semaines, sur les avis que vous m’avez donnés ; ce qui n’est point, comme vous savez, excepté que vous m’avez dit l’entretien que vous avez fait sur le sujet des banquets auxquels quelques-uns de la compagnie pourraient être conviés. Et ce que vous m’avez dit bonnement comme un récit m’a donné occasion de vous écrire sur ce sujet, ainsi que j’ai dû faire, afin que la famille de delà s’ajuste à toutes les manières de la compagnie ; et vous savez bien aussi, Monsieur, que vous ne m’avez point écrit des autres choses dont je vous parle par ma lettre ; et j’en ai usé de la sorte par le motif de l’uniformité si nécessaire dans une compagnie et l’appréhension que j’ai eue que l’on y manquât de delà.

Je vous prie de me mander à quel propos vous me dites que vous êtes en peine de ce que je vous dis touchant l’usage de ce que la reine et vos paroissiens vous envoient, et de ce que vous retirez de votre ferme, et en quoi consiste la contradiction de ce que je vous ai écrit par cette lettre-là et par celles qui l’ont précédée, afin que je vous die ma petite pensée sur cela.

Je vous ai dit mes pensées au sujet des promenades, et vous ferez bien de vous y tenir. Je n’ai pas su que ceux de cette maison s’aillent promener au jardin, hors les heures de récréation, notamment deux à deux, si ce n’est en cas d’infirmité, ni même que l’on demande du beurre en aucune communauté bien réglée, pour le déjeuner

Mon Dieu ! Monsieur, que j’ai été touché de ce que vous me dites, que Monsieur Durand a été fort mal d’une fausse pleurésie ! Béni soit Dieu de ce qu’il s’en porte mieux ! Je vous prie, Monsieur, de le saluer de ma

2) La lettre du 2. avril

 

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part et de lui dire que je le prie d’avoir soin de sa santé. l’embrasse de plus le reste de la petite compagnie.

Je pense vous avoir dit que nous avons envoyé Monsieur Jolly à Rome. Monseigneur l’évêque de Lodève (3) qui ne fait que d’en revenir, m’a dit qu’il y faut renvoyer Monsieur Berthe, pource qu’il est connu, et fort agréable à quantité de Nosseigneurs les cardinaux.

Les Turcs ont fait tant d’avanies, qui est à dire des querelles d’Allemands, à nos consuls d’Alger et Tunis, qu’il y a apparence qu’il faut que nous abandonnions ces consulats et que nous y tenions seulement des prêtres. Le consul d’Alger est engagé pour le moins de huit ou dix mille livres, qu’il faut que nous trouvions pour le retirer de là ; autrement l’on s’engagerait au delà de notre pouvoir de payer ces dettes-là, qui est un grand dommage à la chrétienté, pource qu’ils font de grands biens de delà. Celui de Tunis est dans la persécution du dey, qui est à dire le roi de cette ville-là, à cause qu’il lui a refusé de lui faire venir de la cotonine, qui est à dire une sorte de toile pour faire des voiles de navire, et qu’il a empêché un marchand de Marseille (4) qui s’était obligé de lui en apporter, de le faire, et cela pource qu’il est défendu par la bulle In cœna Domini à tous les chrétiens d’apporter aux infidèles des armes et autres choses qui peuvent servir à la guerre qu’ils font continuellement sur mer contre les chrétiens. Or il est bien à craindre que ledit consul en souffre en sa personne.

Voilà, Monsieur, nos petites nouvelles et tout ce que je vous puis dire pour le présent, qui suis, en l’amour

3) François Bosquet (1648-1657).

Les mots de Marseille sont en interligne.

 

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de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL

indigne prêtre de la Mission.

.Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, à Varsovie.

 

1877. — LE CHANOINE DE Y A SAINT VINCENT

[Reims, entre 1650 et 1655] (2)

C est avec joie que je me suis chargé de vous rendre des actions de grâces, au nom des pauvres de notre campagne, pour toutes vos libéralités envers eux, sans lesquelles ils seraient morts de faim Je voudrais pouvoir vous e. xprimer la gratitude qu’ils en ont. je vous ferais connaître que ces pauvres gens emploient le peu de forces qui leur restent à lever les mains au ciel pour attirer sur leurs bienfaiteurs les grâces du Dieu des miséricordes. On ne saurait vous exprimer comme il faudrait la pauvreté de cette province car tout ce qu’on en dit est au-dessous de la vérité aussi aurez-vous plus de créance aux avis que vous en donnent Messieurs les prêtres de votre congrégation, desquels le. zèle et l’équité paraissent si manifestement en la distribution des aumônes qu’un chacun en est grandement édifié. Et pour moi, je vous rends grâces en mon particulier dc nous les avoir envoyés, pour le bon exemple qu’ils nous ont donné.

Lettre 1877. — Abelly op cit., 1. II chap XI, sect. III, 1er éd., p 406.

1) Plus tard archidiacre de Reims

2) Temps pendant lequel des bandes de missionnaires parcoururent les localités de la Champagne pour porter des secours

 

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1878. — AU PÈRE BOULART

De Saint-Lazare, ce 29 mai 1655.

Mon Révérend Père,

Je vous rends mille actions de grâces du bon accueil que votre bonté a fait à ce bon religieux qui m’est venu trouver ce matin et m’a témoigné appréhender son retour à sa maison de profession, et qu’il n’y retombe dans les mêmes accidents qu’il a fait ci-devant, et me fait instance à ce que je m’emploie vers votre charité, à ce qu’il vous plaise de lui faire celle de le recevoir dans votre sainte congrégation ; et c’est, mon très cher Père, ce que je ne lui peux refuser, voyant sa persévérance en la demande qu’il vous fait. Au nom de N.-S., mon très cher Père, considérez la chose devant la divine Majesté, en l’amour de laquelle je suis, mon Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1879. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR. A MARSEILLE

4 juin 1655.

L’enflure des jambes, selon le B. François de Sales, est une marque de parfaite santé pour l’avenir. Je vous

Lettre 1878. — L s. —- L’original, dérobé à la bibliothèque de Sainte-Geneviève, appartenait avant 1840 au bibliophile Jacob. Il passa plus tard dans la collection d’autographes de Laurent Veydt à Bruxelles et fut mis en vente depuis par M. Charavay.

Lettre 1879 — Manuscrit de Marseille.

 

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prie de le dire à notre frère Claude pour le consoler, et le saluer de ma part.

J’ai été consolé d’apprendre l’exécution des Anglais contre ceux de Tunis, et souhaite que la France en fasse de même. Il y a apparence que, si l’on entreprenait ces gens-là, que l’on en viendrait à bout. Mais en ce cas vous n’auriez point une occasion de mériter, comme vous avez à cette heure, ni moi le sujet de bénir Dieu du soin qu’il vous donne des intérêts des pauvres esclaves, et de la bonne conduite que vous avez là dedans.

 

1880. — A CHARLES OZENNE

De Paris. ce 4 juin 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis bien consolé de ce que vous me dites, par la vôtre du 6e mai, que Monsieur Durand se porte bien de sa maladie comme aussi de ce que (1) la sœur Marguerite est hors de fièvre. Je prie Dieu qu’il lui rende bientôt sa parfaite santé et augmente audit sieur Durand celle qu’il lui a rendue, pour s’appliquer d’autant plus à apprendre la langue polonaise.

Je vous prie, Monsieur (2) de me mander quelle nature de bénéfice c’est que Vitkiski dont vous me parlez, et de quelle, valeur il est, s’il est beaucoup éloigné de Varsovie et quelles en sont les charges.

Quand je vous ai mandé d’envoyer Monsieur Desdames à Sokolka, ç’a été dans la. pensée qu’il serait peut-

Lettre 1830. — L s. — Dossier de Cracovie, original

1) Les mots "de ce que" sont en interligne.

2) Le mot Monsieur est en interligne.

 

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être expédient (3) et que sa présence y serait nécessaire absolument, car autrement je serais bien plus aise que vous demeuriez tous unis, notamment dans ce commencement d’établissement.

Je ne trouve point, Monsieur, aucune difficulté qui vous doive empêcher de prendre un religieux pour prêcher dans votre église, afin de donner lieu à vos missionnaires de faire quelques missions à la campagne, et je serai fort consolé si cela se peut faire. Je suis bien consolé aussi de ce que vous me dites, que vous avez fait relire à votre petite compagnie la lettre que je vous ai envoyée ; mais je le serai encore davantage si vous faites quelques conférences sur le sujet des choses que je vous écris par icelle.

J’ai grande compassion de ce pauvre jeune homme allemand (4) dont vous me parlez ; je prie Notre-Seigneur qu’il lui fasse la grâce de reconnaître ses fautes et de s’en amender.

Je remercie très humblement Monsieur l’ancien curé du souvenir qu’il a de moi, et vous prie Monsieur, de l’en remercier de ma part, comme aussi de lui faire un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, le suppliant très humblement de l’avoir agréable.

Je salue toute votre petite famille et l’embrasse avec toutes les tendresses de mon cœur qui me sont possibles, prosterné en esprit à leurs pieds et aux vôtres (5), et souhaite qu’ils travaillent de plus en plus à apprendre la langue polonaise et de (6) s’y bien perfectionner ; sans

3) Première rédaction : nécessaire. Le saint a fait la correction de sa main.

4) Le mot allemand est de la main du saint et en interligne.

5). Saint vincent a écrit ces trois mots de sa main

6). Les mots " et de" sont de la main du saint.

 

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cela ils seraient inutiles en Pologne et priveraient la reine et Notre-Seigneur même de leur attente (7).

Je ne puis que je ne vous die encore, auparavant que de finir la présente, que je suis bien consolé de ce que notre bonne sceur Madeleine réussit en les petites écoles et de ce que vous, Monsieur, avez ménagé toutes choses, en sorte que les petits avis que vous avez donnés de la manière dont ces bonnes sœurs devaient procéder en leurs emplois pour ne point déplaire (8), ont réussi de la sorte que j’apprends par la vôtre.

Je ne sais rien de nouveau pour le présent qui mérite de vous être écrit, toute la petite famille étant toujours en même état, si ce n’est que nous avons reçu nouvelle que Monsieur Le Blanc, que je vous ai mandé avoir été arrêté prisonnier à Aberdeen (9) a été transféré de ce lieu-là à Edimbourg, qui est une autre ville d’Ecosse, et où il n’est pas sans un grand danger de sa vie. Je continue à le recommander à vos prières, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au nom de Notre-Seigneur, Monsieur faites-moi part du résultat des conférences que vous ferez (10)

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission, à Varsovie.

7) Ce dernier membre de phrase est de l’écriture du saint

8). Première rédaction : pour ne point déplaire à la reine.

9). Grande ville commerçante d’Ecosse, sur la mer du Nord.

10). Cette phrase est de la main du saint.

 

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1881. — LA DUCHESSE D’AIGUILLON A SAINT VINCENT

Ce vendredi :

Je suis et si impertinente et si mal habile que j’avais oublié l’assemblée que nous devions aller demain tenir chez vous, et ainsi Madame de Romilly a envoyé des billets aux dames pour en tenir une céans, ce même jour de demain pour les missions de Levant

Voyez Monsieur, comme il vous plaît que l’on fasse pour réparer ma sottise dont je vous demande pardon.

S’il vous plaît de faire faire un billet de votre intention, ce laquais le portera à mes dames qui doivent le savoir.

 

1882. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 11 juin 1655

Monsieur,

J’ai appris avec douleur la mort de feu Monseigneur le prince Charles, pour les sentiments d’affliction que le roi et la reine en ont eus et pour la perte (1) que le royaume de Pologne a faite en sa personne. Dieu m’a fait la grâce de célébrer la sainte messe à son intention, et me propose, Dieu aidant, de faire célébrer un service à l’intention de ce grand prince, auquel j’ai appris que vous avez de l’obligation en ce qu’il vous avait donné permission de travailler parmi les siens.

Vous m’avez consolé plus que je ne vous puis dire, de ce que vous m’avez envoyé le résultat de la conférence que vous avez faite avec votre petite famille et des résolutions de pratique que chacun a prises (2) O Monsieur,

Lettre 1881. — L a. — Dossier de Turin, original.

Lettre 1882. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

1). Première rédaction : et pour la perte publique.

2). Le saint a vraisemblablement en vue le compte rendu de l’entretien qu’il demande par sa lettre du 2 avril.

 

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j’espère que cela fera du bien aux missionnaires, aux ecclésiastiques et aux peuples. il faut avouer aussi qu’à moins que cela bien pratiqué, vous seriez inutile en ce royaume-là et en danger de perdre l’esprit de la compagnie, ou pour le moins de le diminuer.

Béni soit Dieu de ce que vous me dites que votre petite famille va son train ordinaire, et de ce que notre sœur Marguerite Moreau se porte mieux tout à fait, et que les autres sœurs travaillent ! Je les salue toutes et me recommande à leurs prières.

Je vous envoie le cas de conscience sur lequel vous avez désiré les avis des docteurs de Sorbonne, qui l’ont mis au bas de votre exposé et l’ont signé.

Je pense, Monsieur, que voilà tout ce que je vous puis dire pour le présent, sinon que je salue très humblement votre chère famille et votre personne aussi, laquelle je chéris avec toutes les tendresses de mon cœur, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’oubliais à vous dire que M. des Noyers m’a dit qu’il ne faut pas faire partir présentement les Filles de la Charité et nos frères, à cause des armées qui sont aux frontières de la Pologne ; nous attendrons à les envoyer jusques à ce que nous ayons autre ordre.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission, à Varsovie.

 

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1883. — AU FRÈRE DUCOURNAU

12 juin 1655.

Je vous prie, en passant à… de vouloir prendre la peine de vous informer adroitement et selon votre discrétion ordinaire de ce dont je vous parlai à votre départ d’ici.

 

1884. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 25e juin 1655

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je fais réponse par celle-ci aux deux dernières que j’ai reçues de vous, l’une du 20e et l’autre du 27e mai. Je n’ai presque rien à vous dire à la plupart des articles ; le principal est touchant la fondation que le roi veut faire à Nicporynt. Sa Majesté la fera en la manière qu’il lui plaira ; si néanmoins elle vous en demande votre avis, vous pourrez répondre qu’il serait à désirer que la fondation se fît à sa maison de la Mission de Varsovie, avec obligation d’y tenir un vicaire déposable ad nutum, ou bien perpétuel, afin de n’être pas si obligés à y résider, et y aller faire la mission de 5 en 5 ans, et le catéchisme tous les mois, et enfin avoir l’œil à ce que ladite paroisse soit bien desservie et le peuple bien instruit. Je prie Notre-Seigneur qu’il soit la récompense de tant de bonnes œuvres que font et veulent faire Leurs Majestés, et qu’il nous donne les moyens et les forces

Lettre 1883. — Notice du frère Ducournau, manuscrit original du frère Chollier, p. 164. (Archives de la Mission)

Lettre 1884 — L s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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de les y servir, et suis en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. P. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1885. — A UN BIENFAITEUR

1655

Je vous supplie d’user du bien de notre compagnie comme du vôtre ; nous sommes prêts de vendre tout ce que nous avons, pour vous, jusques à nos calices ; en quoi nous ferons ce que les saints canons ordonnent, qui est de rendre à notre fondateur en son besoin ce qu’il nous a donné en son abondance. Et ce que je vous dis, Monsieur, n’est point par cérémonie, mais cela en la vue de Dieu et comme je le sens au fond de mon cœur.

 

1886. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 2e juillet 1655.

J’ai mis en délibération dans notre petit conseil, savoir si l’on doit supporter la faute qu’a faite M…. de se faire passer docteur à Gênes sans en parler à personne de la compagnie. Or l’opinion de tous s’est trouvée conforme, qu’il le fallait renvoyer et vous donner une

Lettre 1885. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XXVII, p. 269 ; Manuscrit du frère Robineau, p. 154. Les deux textes concordent, sauf dans la dernière phrase le frère Robineau écrit compliment au lieu de cérémonie et omet cela.

Lettre 1886. — Reg. 2, p. 51.

 

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personne propre à faire ce qu’il fait ; et c’est ce que nous ferons dans peu, Dieu aidant. Mais il est expédient que vous en parliez cependant à Monseigneur le cardinal et que même vous pressentiez son sentiment là-dessus ; et pourrez lui dire que vraisemblablement ce prêtre a d’autres desseins que de persévérer dans la compagnie.

 

1887. ANTOINE CHABRE

A Antoine Chabre, écuyer, lieutenant criminel en la sénéchaussée et siège présidial d’Auvergne, qui l’avait félicité de ce qu’un de ses parents, M. de Garibal, venait d’être nommé intendant de cette province, Vincent de Paul répond qu’étant fils d’un pauvre laboureur il n’a pas de parent de la qualité de M. de Garibal.

 

1888. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

9 juillet 1655.

Nous tâcherons d’acquitter la lettre de change de 500 livres. Je vous prie d’en recevoir une de 600, que Madame la duchesse d’Aiguillon envoie. à Alger pour aider à bâtir un hôpital, et de faire choix d’un bon patron. Béni soit Dieu, Monsieur, de ce que vous avez fait en sorte, par vos poursuites, qu’il y a apparence que vous retirerez ce que ce patron n’avait point rendu aux esclaves du Havre-de-Grâce en Alger, ou quoi que ce soit, à M. le consul ! Assurez-vous qu’il n’est pas messéant aux prêtres de la Mission de demander justice pour les pauvres esclaves, pour leur faire rendre

Lettre 1887. — Déposition du fils du destinataire de cette lettre, Antoine Chabre, 280e témoin au procès de béatification de saint Vincent.

Lettre 1888. — Manuscrit de Marseille.

 

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ce qu’on leur retenait, ains beaucoup méritoire et d’édification aux bonnes âmes qui savent ce que la vraie charité fait faire aux personnes charitables. Hélas ! Monsieur, quel métier n’a pas exercé le Fils de Dieu pour nous sauver ! Je m’en vas donner cette nouvelle à Madame la duchesse d’Aiguillon.

 

1889. — A JEAN-JACQUES NUGNIER, SUPÉRIEUR, A AGDE

9 juillet 1655.

Ayant vu ce qui se passe, je vous prie, Monsieur, après que vous aurez rendu compte à Messieurs les grands vicaires et retiré une décharge des choses que vous avez reçues par inventaire et que vous remettrez entre leurs mains, de prendre gracieusement congé d’eux, sans dire aucune parole de plainte, ni aussi de témoignage d’être bien aise de sortir de ce lieu-là, et prierez Dieu qu’il bénisse la ville et tout le diocèse ; et surtout je vous prie de ne rien avancer en chaire, ni ailleurs, qui témoigne quelque mécontentement. Vous prendrez la bénédiction de ces Messieurs et la ferez prendre par toute la petite famille, et la leur demanderez en même temps pour moi, qui souhaite me prosterner en esprit avec vous à leurs pieds et leur demander pardon des fautes qui ont été faites en ce lieu-là (1).

 

1890. — A ÉTIENNE BLATIRON, A ROME

9 juillet 1655.

A ce que je vois, les difficultés continuent toujours ;

Lettre 1889. — Reg. 2, p. 142.

1) Le copiste ajoute que l’établissement d’Agde fut maintenu contre toute espérance.

Lettre 1890. — Reg. 2, p. 15.

 

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mais il ne se peut faire autrement, puisque vous avez en tête un tel cardinal et un tel grand corps (1) Cela n’empêchera pas, quand même : ils m’auraient arraché les yeux, que je ne les estime et ne les chérisse aussi tendrement que les enfants leurs pères : putam enim obsequium praestare Christo. Je souhaite et je prie Notre-Seigneur que chacun de notre congrégation en fasse de même. Ne laissez pas, Monsieur, de solliciter notre affaire (2) dans la confiance que c’est le bon plaisir de Dieu, qui permet quelquefois qu’il arrive des contradictions entre les saints et les anges mêmes, ne manifestant pas les mêmes choses aux uns et aux autres. Le succès de semblables poursuites se donne souvent à la patience et à la vigilance qu’on y exerce. Les Pères jésuites ont mis plus de vingt ans à la sollicitation [de leur] affermissement sous Grégoire XV. Les œuvres de Dieu ont leur moment ; sa Providence les fait pour lors, et non plus tôt ni plus tard. Le Fils de Dieu voyait la perte des âmes, et néanmoins il ne prévint point l’heure qui était ordonnée pour sa venue. Attendons patiemment mais agissons, et, par manière de dire, hâtons-nous lentement en la négociation d’une des plus grandes affaires que la congrégation aura jamais.

 

1891. — A LOUISE DE MARILLAC

De St-Lazare ce dimanche matin. [Entre 1639 et 1660]

Il sera bon que vous envoyiez prier M. Beguin (1) de vous venir voir et que vous lui parliez de cet affaire et le

1) L’Oratoire.

2) L’approbation des vœux.

Lettre 1891. — L. a — Dossier de la Mission, original.

1) Administrateur de l’hôpital des Petites-Maisons.

 

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priez d’adoucir toutes choses, et je tâcherai de voir. M. Forne (2),

Il sera bon que vous délivriez ce matin cette pauvre fille à celle qui la vous a donnée ; je viens de le dire à M. Portail (3) Il sera bon qu’elle reprenne sa robe, et, si elle a besoin de quelque chose pour vivre, que vous lui donniez un écu ou deux, si vous n’y voyez. d’inconvénient. Soyez en paix ; vous faites ce qu’il faut faire selon Dieu. S’il faut que je parle en cela, je le ferai.

 

1892. — UN PRÊTRE DE LA MISSION DE BARBARIE A SAINT VINCENT

[Entre 1645 (1) ET 1600]

Nous avons en ce pays une grande moisson, qui est encore accrue à l’occasion de la peste, car, outre les Turcs convertis à notre religion, que nous tenons cachés, il y en a beaucoup d’autres qui ont ouvert les yeux à l’heure de la mort Nous avons eu particulièrement trois renégats, lesquels, après la réception des sacrements, sont allés au ciel, et il y en eut un, ces jours passés, lequel, après avoir reçu l’absolution de son apostasie, étant, à l’heure de la mort, environné de Turcs qui le pressaient de proférer quelques blasphèmes, comme ils sont accoutumé de faire en une telle occasion Il n’y voulut jamais consentir ; mais, tenant toujours les yeux vers le ciel et un crucifix sur son estomac. il mourut dans les sentiments d’une véritable pénitence

Sa femme, qui avait, aussi bien que lui, renié la foi chrétienne et qui était religieuse professe, a reçu pareillement l’absolution de sa double apostasie, y ayant apporté de son côté toutes les bonnes dispositions que nous avons pu désirer.

2.) Jean-Baptiste Forne, ancien consul de Paris, administrateur de l’Hôtel-Dieu, fondateur du couvent des pénitentes à Courbevoie (1658)

3) Le nom de M. Portail est raturé sur l’original

Lettre 1892. —. Abelly, op cit, 1 II, chap I, sect VII, § 10, 1er éd, p 134

1) commencement de la Mission de Barbarie

 

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Elle demeure à présent retirée dans sa maison, sans en sortir, et nous lui avons ordonné deux heures d’oraison mentale chaque jour et quelques petites pénitences corporelles, outre celles de sa règle ; mais elle en fait beaucoup plus par son propre mouvement, étant, si fortement touchée du regret de ses fautes, qu’elle irait s’exposer au martyre pour les expier, si elle n’était point chargée de deux petits enfants que nous avons baptisés et qu’elle élève dans la piété, comme doit faire une mère vraiment chrétienne.

Il est mort encore un autre renégat près du lieu de notre demeure, lequel a fini sa vie dans les sentiments d’un vrai chrétien pénitent. J’attends de jour à autre quelques Turcs pour les baptiser. Ils sont fort bien instruits et grandement fervents en notre religion, m’étant souvent venus trouver la nuit en secret Il y en a un entre les autres qui est de condition assez considérable en ce pays.

 

1893. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 23 juillet 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu de ce que votre jeunesse s’exerce et s’avance au polonais ; puisque le défaut de quelqu’autre exercice les ennuie, j’approuve que vous les mettiez pour quelque temps (1) chez quelque communauté, si cela se peut et que vous n’y voyiez pas grand inconvénient.

J’ai vu ce que vous me mandez sur la valeur et les charges du bénéfice de Vitkiski et l’état où est maintenant cette affaire-là, laquelle me semble bien bonne, s’il plaît à Dieu qu’elle s’exécute ; pour cela il faut attendre le temps qu’il a ordonné.

Je remercie Dieu aussi de ce que M. Desdames travaille à la traduction des pièces de mission, à dessein

Lettre 1893. — L s — Dossier de Cracovie, original

1) Première rédaction : pour un mois. La retouche est de la main du saint.

 

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d’en aller faire le débit au pauvre peuple après la moisson ; Dieu veuille le conserver et le bénir !

Je serai consolé de recevoir les résultats de vos conférences, ainsi que vous me les faites espérer. Je le suis déjà beaucoup de la meilleure disposition que vous avez remarquée en Messieurs Guillot et Eveillard.

J’ai vu votre communication. Je me trouve à présent trop embarrassé pour vous rien écrire sur ce sujet ; ce sera une autre fois, quand je le pourrai. Continuez cependant de conduire toutes choses suavement et avec relation et confiance en la conduite de Dieu, à qui je recommande souvent votre personne et votre famille, que j’embrasse en esprit fort tendrement.

Les hardes que vous avez demandées sont parties pour Rouen ; ou du moins en état de partir bientôt, les ayant fait emballer après avoir été manifestées à la douane et mises au coche de ladite ville, attendant le départ d’un vaisseau, qu’on nous fait espérer dans quinze jours. Cependant nous allons disposer les personnes que vous attendez à faire ce voyage.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’espère faire partir M. Berthe avec nos frères pour aller faire la visite chez vous, d’où il s’en ira à Rome, où il est nécessaire (2).

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission. à Varsovie.

2) Cette phrase est de la main du saint.

 

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1894. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

28 juillet 1655

… Quant à l’avanie soufferte par M. Le Vacher, de Tunis, il faut espérer qu’enfin M.. de la Ferrière aura. assez de bonté pour l’en faire rembourser, puisqu’elle n’est arrivée que pour son sujet.

Voici deux lettres de change que je vous envoie, l’une de 600 livres et l’autre de 855, lesquelles ensemble font la somme de 1 455 livres, dont il y, en a 150 livres pour le rachat d’un pauvre esclave, au nom duquel M. Barreau, consul en Alger, a envoyé du point de Gênes à Madame la duchesse d’Aiguillon, et le surplus est pour le bâtiment de l’hôpital des pauvres esclaves chrétiens de la ville d’Alger. Je vous prie, Monsieur, d’envoyer lesdites sommes audit sieur Barreau. C’est madite dame la duchesse d’Aiguillon qui a envoyé cela.

 

1895. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

30 juillet 1655

Je loue Dieu de ce que vous avez accord d’arbitre pour le différend qu’a fait naître ce bon gentilhomme votre voisin (1) ; vous ferez bien de vous tenir à leur jugement et de faire votre possible pour ne plaider pas. Mais si ce gentilhomme, par une humeur fâcheuse et une prétention déraisonnable, vous fait derechef assigner, il faudra songer à se défendre, quand ce serait

Lettre 1894. — Manuscrit de Marseille.

Lettre 1895. —- Manuscrit de Marseille.

1) Voir lettre 1899

 

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même à Dijon. Notre droit nous y sera conservé aussi bien qu’à Paris, où je ne suis pas d’avis de demander aucune évocation.

 

1896. A JACQUES CHIROYE, SUPÉRIEUR, A LUÇON

Du 1er août 1655.

or sus, Monsieur, puisque vous reconnaissez que c’est le meilleur pour la compagnie de n’avoir point de cures, et que c’est contre l’usage que les particuliers en aient que ne faites-vous donc ce que tant de fois je vous ai prié de faire, qui est de remettre celle que vous tenez entre les mains de Monseigneur l’évêque ? La raison de conscience que vous m’opposez est un scrupule sans fondement ; car, quand il arriverait que mondit seigneur pourvoirait mal ce bénéfice, ce que je ne crois pas, qui vous a dit que vous en seriez responsable devant Dieu ? Cela ne peut être ; au contraire, vous le seriez si vous veniez à le résigner à un homme qui ne s’acquitterait pas de son devoir. Vous seriez alors coupable de ce mauvais choix, et peut-être des fautes qu’il ferait ensuite, outre qu’il y a justice de remettre une cure que vous ne pouvez tenir, au pouvoir de celui qui vous l’a donnée, surtout quand cela se peut sans danger, comme vous le pouvez, ne vous étant pas loisible de juger mal de votre évêque, ni de dire sans témérité qu’il donnera un mauvais pasteur à cette paroisse, si vous-même ne lui donnez ; d’autant que vous ne savez pas comment il en usera. S’il ne s’est pas trompé quand il vous a choisi, vous devez estimer qu’il ne se trompera pas non plus dans le choix qu’il fera d’un autre. C’est pourquoi, Monsieur,

Lettre 1896Reg 2, p. 162.

 

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je vous prie de la lui remettre au plus tôt purement et simplement, pour en pourvoir telle personne capable qu’il lui plaira.

 

1897. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Du premier d’août 1655

Comme votre âme m’est chère, tout ce qui me vient de votre part me console ; c’est l’effet que j’ai senti de votre lettre, quoique j’en aie ressenti à même temps un autre tout contraire par la part que je prends à tout ce qui vous touche, à savoir beaucoup de peine de celle que vous souffrez. Sur quoi je vous dirai, Monsieur, qu’il y apparence que Notre-Seigneur a permis le sujet qui la cause pour mettre votre patience à l’épreuve, et j’espère que vous en ferez l’usage qu’il demande ; car vous pouvez lui rendre un grand honneur en vous soumettant amoureusement à sa conduite et vous résignant au changement de votre emploi pour ne vouloir que ce qu’il veut. Pour le moins devez-vous étouffer les saillies de votre propre volonté dans ces sentiments de la nature émue, afin de ne la pas suivre dans le trouble où elle est, crainte d’irriter le mal, au lieu de le guérir, suivant en cela les médecins qui ne donnent point des médecines aux malades pendant qu’ils ont la fièvre. Si néanmoins, Monsieur, après que vous aurez résisté quelque temps à ce désir que vous avez de changer de demeure et non pas d’occupation, et que vous aurez beaucoup prié Dieu pour cela, vous voyez que votre peine pourrait à la fin prévaloir sur vos forces, mandez-le-moi ; nous tacherons de vous tirer de ce danger en vous mettant dans un état

Lettre 1897 — Reg 2, p 333

 

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de paix, lequel je vous souhaite de tout mon cœur, sachant bien que sans la tranquillité de l’esprit il est difficile de réussir dans aucun exercice ; mais, comme elle dépend principalement de Dieu et de notre indifférence, il faut aussi établir ces deux principes en nous et la chercher dans ces deux sources. C’est ce que je vous prie de faire, étant, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre…

 

1898. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 6e août 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nos gens et nos filles sont prêts à partir et n’attendent sinon que le vaisseau le soit.

Dieu soit loué du bon état de la famille et de ce que M. Durand se porte mieux (1) !

Je vous remercie du résultat de votre conférence, que j’espère lire demain (2).

Paris ne jouit pas encore de la grâce du jubilé ainsi que fait Varsovie, où l’on ne manque pas à bien prier Dieu pour la prospérité des armes du roi, dans le besoin où le royaume se trouve. Il faut espérer (3) que sa divine bonté y aura égard. Nous ne cessons ici de la prier à même fin et de vous offrir à elle, vous et votre famille, que je salue.

Nous faisons partir aujourd’hui M. François Vincent (4)

Lettre 1898. - L s — Dossier de Cracovie, original.

01) A la suite étaient les mots suivants qui out été raturés : Si je puis, je vous enverrai aujourd’hui une lettre pour la reine, en réponse de celle dont Sa Majesté m’a honoré."

2). Les mots que j’espère lire demain sont de la main du saint.

3). Le saint a écrit ces trois derniers mots de sa main

4). François Vincent, né à Gandelu (Aisne) reçu dans la congré-

 

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et le frère Tratebas (5) pour Gênes, et M. d’Eu (6) Rome, qui prendra un prêtre à Gênes pour le mener à Rome, où l’on nous demande beaucoup d’ouvriers. On nous appelle aussi à Turin et à Lyon. Dieu nous fasse la grâce de répondre à ses desseins !

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription. A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission, à Varsovie.

 

1899. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

6 août 1655.

Le jugement des arbitres sur le différend du jardin doit être estimé raisonnable. Je vous prie de vous en tenir à ce qu’il porte, et de faire ce que vous pourrez afin que le gentilhomme, votre partie, y acquiesce aussi, et

gation de la Mission le 2 avril 1649 à l’âge de trente-huit ans, mort de la peste à Gênes le 13 juillet 1657.

5). Antoine Tratebas, né à Allauch (Bouches-du-Rhône) en octobre 1632 entré dans la congrégation de la Mission le 7 octobre 1651, reçu aux vœux le 20 octobre 1653, mort de la peste à Gênes en août 1657 Sa famille donna l’hospitalité à Antoine Portail et aux autres prêtres de la mission en 1649 pendant la peste qui désolait la ville de Marseille.

6). Louis d’Eu, né le 8. avril 1624 à Fresnay-sur-Sarthe (Sarthe), entré dans la congrégation de la Mission le 20 mai 1651 et une seconde fois le 6 mars 1655, reçu. aux vœux à Rome le 7 mars 1657. Il quitta de nouveau la congrégation, par ordre de l’archevêque de Paris, pour des affaires importantes et rentra dès qu’il le put. La Bibliothèque nationale a fait l’acquisition d’un de ses ouvrages manuscrits (fr. 9625) L’homme accompli, en tête duquel est une lettre à l’intendant Bégon, datée du 28 mai 1695.

Lettre 1898. — Manuscrit de Marseille.

 

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qu’en ce faisant vous n’ayez point de procès, pour éviter le scandale, la dépense et les autres inconvénients qui en arriveraient. Nous sommes obligés, comme chrétiens, de supporter la mauvaise humeur de notre prochain et de tâcher de l’adoucir. C’est ce que vous ferez à son égard, comme j’espère.

Je vous envoie une nouvelle défense du roi pour le transport des marchandises de contrebande en : Barbarie, avec une lettre de M. le duc de Vendôme (1) sur le même sujet. Monsieur Husson nous a ci-devant pressé de faire entendre la nécessité de cette défense, et nous l’avons fait. Vous la mettrez, s’il vous plaît, ès mains de mondit seigneur de Vendôme. et cachetterez la lettre avant de la lui rendre. S’il est à Toulon, vous l’enverrez à Monsieur Huguier.

 

1900 — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce samedi. [7 août 1655] (1)

Mon très honoré Père,

Permettez-moi de supplier votre charité qu’il ne soit point parlé de moi en l’élection des officières, Ce mot de première assistante fera assez connaître que je suis ce que j’ai été, et n’empêchera pas que je ne sois plus, quand Dieu vous en fera. connaître le besoin Mes raisons sont qu’il me semble que je dois tout être dépendante de la conduite de Dieu, que si j’étais nommée par la compagnie, que cela pourrait tourner en conséquence après moi ; et puis je sens je ne sais quelle répugnance à en être agréée (2), C’est dans la simplicité que

Lettre 1900. — L a. - Dossier des Filles de In Charité, original.

1). Saint Vincent a ajouté au dos de l’original : "Août 1655" Les mots "Ce samedi" permettent de préciser le jour, car la réunion pour l’élection des officières, que Louise de Marillac. annonce ici. comme prochaine, se tint le 8.

2). Bien que l’acte d’érection demandât que l’élection fut faite par :

 

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votre charité m’a recommandée que je prends la liberté de vous faire cette très humble prière, comme aussi de vous dire encore la répugnance que la plupart des sœurs auront à ce mot de confrérie tout seul, et comme il est à souhaiter que la compagnie ne change jamais sa première forme, pour que le service des pauvres soit toujours en cette manière ; l’exemple de ceux qui ont commencé par confrérie ne satisferait pas, à cause qu’il s’en est formé en religion. (3)

Pardonnez, mon très honoré Père. à votre pauvre fille et obéissante servante.

L. DE M..

.Suscription : A Monsieur. Monsieur Vincent

 

1901. — A MONSIEUR ROQUETTE

De Paris, ce 9 août 1655

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Encore que je n’aie jamais eu l’honneur de vous servir j’ose néanmoins vous adresser cette lettre pour Monseigneur de Brienne et vous supplier très humblement de nous aider à nous faire avoir un passeport pour trois missionnaires et. trois Filles de la Charité que nous devons envoyer à la reine de Pologne par son ordre. C’est : le sujet qui m’a donné occasion d’écrire à mondit seigneur, et de vous offrir, Monsieur, mon très humble service avec toute l’affection qui m’est possible, qui suis,

les sœurs, saint Vincent se réserva la nomination des premières officières.

3) Saint Vincent tint compte de la remarque que lui faisait sa zélée collaboratrice ; dans son entretien du lendemain, il insista fortement sur les raisons qu’avait la compagnie de s’appeler "confrérie" ou société" et de rester séculière.

Lettre 1901 — L s — Bibli Nat fr 23 203, reg, f° 152, original

 

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en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Ces trois missionnaires se nomment : Thomas Berthe, prêtre de la Mission ; Jean Lasnier (1) et Aubin Gontier (2) frères coadjuteurs de la même compagnie ; et les filles, Marguerite Chétif (3) Madeleine Raportebled et Jeanne Lemeret.

Suscription : A Monsieur Monsieur Roquette, commis de Monseigneur de Brienne, en cour.

1) Jean Lasnier, né à Moret (Seine-et-Marne), entré dans la congrégation de la Mission le 1er janvier 1649 à l’âge de vingt-cinq ans, reçu aux vœux le 25 Janvier 1656.

2) Aubin Gontier, né le 10 octobre 1627 à Epône (Seine-et-Oise), entré dans la congrégation de la Mission le 16. août 1654, reçu aux vœux à Turin le 9 février 1657.

3) La sœur Marguerite Chétif, baptisée à Paris, dans l’église Saint-Sulpice, le 8 septembre 1621, entra chez les Filles de la Charité le 1er mai 1640. Elle y occupa les postes les plus importants : supérieure de la maison d’Arras (1656-1660), supérieure de la compagnie après la mort de Louise de Marillac (1660-1667), directrice du séminaire (1667-1670), supérieure à l’hôpital d’Angers (1670-1674), économe générale (1674-1677), supérieure à l’hôpital du Nom-de-Jésus, où elle resta quelques années ; partout elle donna les plus beaux exemples de vertu. Rappelée de l’hôpital du Nom-de-Jésus à la maison-mère, elle y mourut le 9 janvier 1694. Le compte rendu des deux conférences qui furent faites à Paris après sa mort nous a été conservé dans le volume des Circulaires des supérieurs généraux et des sœurs supérieures aux Filles de la Charité, Paris, 1845, in-4°, pp. 470-478.

 

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1902. — AU PÈRE BOULART

De Saint-Lazare, ce 12 août 1655.

Mon Révérend Père,

La grâce de N.-S. soit avec nous pour jamais !

Ce bon religieux que je vous ai recommandé (1) m’ayant dit le bon accueil que vous lui avez fait, et que même vous l’avez reçu en votre sainte congrégation, me donne sujet d’en rendre grâces à Dieu et de vous remercier, comme je fais, mon Révérend Père, de tant de bontés que vous avez exercées vers lui. Je prie N.-S. qu’il vous les rende et me donne la grâce de vous être utile à quelque chose, afin que je n’aie pas reçu en vain celle qu’il m’a faite, de me rendre, en son amour, mon Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1903 — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR A MARSEILLE

20 août 1655.

C’est une grande sujétion que d’avoir un voisin qui ait la vue sur vous ; il ne faut pas le souffrir, puisque vous le pouvez empêcher, ce bon gentilhomme n’ayant pas droit d’avoir une fenêtre de votre côté. Faites donc ce que vous pourrez pour l’obliger de la fermer, je ne dis pas par procès, mais par les voies amiables et l’entremise

Lettre 1902 — Bibl. de Sainte-Geneviève, ms. 2555, copie.

1) Par la lettre 1878.

Lettre 1903. — Manuscrit de Marseille.

 

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des amis, jusques à vous offrir, en cas qu’il le fasse, de contribuer plus que vous ne devez à la dépense des égouts pour les détourner de son jardin. Que si, après tout, vous ne pouvez le réduire à ce devoir autrement que par la justice, il faudra bien y venir et le faire assigner ; et en ce cas vous pourrez plaider aussi la question desdits égouts, supposé que vous ayez bonne cause, comme on vous a dit.

 

1904. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

Du 22 août 1655.

J’ai rendu votre lettre à M. [Vageot] sans lui dire que vous m’ayez écrit, et je n’ai garde de lui rien témoigner de vos avis, non pas même quand vous ne m’en auriez pas parlé. Vous pouvez avec confiance et liberté me donner connaissance de tout ; cela se doit même pour le bon ordre, quand vous voyez que quelque chose tend à le détruire.

 

1905. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Mon très honoré Père.

Ce mercredi. [août 1655] (1)

Notre sœur Anne (2) m’a mandé qu’il était trop tard pour aller à Bourbon (3) et que l’on lui avait dit que les médecins avaient fait cesser les bains ; c’est peut-être pour les faire reprendre le mois qui vient, y ayant bien apparence que l’été ne passera pas sans chaleur. Il y a bien d’autres raisons pour faire croire

Lettre 1904 — Reg. 2, p. 77.

Lettre 1905 — L a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date ajoutée au dos de l’original par le secrétaire.

2). Anne Hardemont.

3). Bourbon-l’Archambault.

 

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qu’il est encore assez à temps, puisque de notre connaissance, il y a trois carrosses disposés pour y aller.

J’avais pensé, mon très honoré Père, s’il ne serait pas nécessaire, pour la mettre en son tort, quand elle nous reprochera de n’y avoir pas été, si votre charité y envoyait l’assurer qu’il fait bon y aller, car je suis bien trompée si elle ne minute quelque chose.

Cela presse, à cause que la place n’est pas arrêtée.

Notre sœur Marguerite attend votre ordre, et moi votre bénédiction pour l’amour de Dieu, qui suis, mon très honoré Père, votre très pauvre fille et servante

L. DE MARILLAC.

Suscription : A. Monsieur Monsieur Vincent.

 

1906. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

Du 25 août 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Le prêtre duquel vous dites que les autres se plaignent, pource qu’il ne soulage personne, craint Dieu ; et cette crainte fera, comme j’espère, qu’il reviendra de son oisiveté avec la grâce de Dieu et par votre douce conduite, sinon bientôt, du moins avec le temps ; c’est pourquoi je vous prie que votre patience ne se lasse point.

Ce sera au visiteur à remédier aux singularités de la personne dont vous me parlez, qui a un cachet et un étui, etc. Je ne veux pas y toucher, afin qu’on ne s imagine pas que vous m’en avez écrit (1) Vous ferez bien d’éviter tant qu’il se pourra visites passives de M… qui est sorti de la compagnie, et ses communications particulières avec les personnes de

Lettre 1906. — Reg. 2, pp. 157 et 54.

1) Ici se termine le premier fragment.

 

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chez vous, lui faisant même sentir adroitement qu’il fera bien, pour ne perdre son temps, de chercher quelque emploi ailleurs.

 

1907. — A CHARLES OZENNE

De Paris ce 27 août 1655

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres, et vous en recevrez deux de moi par cet ordinaire. Vous ne me dites rien de la fâcheuse nouvelle que nous avons ici, que les Suédois ont fait plusieurs irruptions en Pologne, dont j’ai ressenti une très grande affliction (1) Nous prions Dieu céans, et je le fais prier partout, qu’il ait agréable de détourner l’orage et de prendre en sa protection spéciale le roi, la reine et leurs États. On nous a dit que leurs députés sont retournés vers le roi de Suède ; plaise à Dieu qu’ils en rapportent une paix, mais une paix qui soit telle que Dieu seul peut la donner ! Cette espérance a un peu diminué notre douleur, et l’incertitude des événements nous a fait penser à faire écrire au résident de France en Suède (2), à ce qu’il s’emploie vers ledit roi de Suède pour donner protection aux religieuses de Sainte-Marie, aux Filles de la Charité, ensemble aux prêtres de la Mission de Varsovie, si besoin est. Il faut

Lettre 1907. — L s — Dossier de Cracovie, original.

1) Charles-Gustave, roi de Suède, en faveur de qui Jeanne-Christine avait abdiqué en 1654, envahit à la fois la Pologne et la Lithuanie, pour punir Jean-Casimir de ses prétentions sur le trône de Suède Sa victoire fut d’autant plus facile que les grands de Pologne abandonnèrent leur roi.

2) Le baron d’Avaugour.

 

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espérer que Dieu (3) ne permettra pas que son armée en approche (4) ; mais la crainte nous a suggéré cette précaution ; elle nous a aussi obligé d’écrire en diligence à Rouen pour faire revenir M. Berthe avec les frères et les filles (5) qui s’en allaient vous trouver et qui partirent d’ici la semaine passée. Il y a apparence que ma lettre les aura trouvés partis, parce que je n’en ai appris aucune nouvelle depuis leur départ.

Dieu donne la persévérance s’il lui plaît, à cette bonne fille que la reine a mise comme première plante parmi les sœurs de la Charité pour être du corps, et veuille, par sa grâce les multiplier de delà et les remplir de la vertu qui leur donne le nom !

Je prie Dieu de tout mon cœur qu’il reçoive en sa gloire l’âme de cette bonne dame morte qui vous a donné le patronage de Sainte-Croix, qu’il sanctifie de plus en plus le bon M.. Fleury, qu’il ait agréable les biens qu’il fait et accomplisse ses saintes intentions partout et en toutes choses. Je suis plein de tels souhaits pour lui, que la reconnaissance me donne, dans l’impuissance où je suis de la lui manifester autrement, étant trop inutile à son service. Vous pouvez pourtant l’assurer de mon obéissance autant de fois que vous en aurez l’occasion.

Voilà 3 ou 4 vaisseaux qui s’en vont à Madagascar ; M. Le maréchal de la Meilleraye, qui les y envoie, me demande deux prêtres, et veut qu’ils soient à Nantes le 4e septembre. Le temps est bien court et nos ouvriers trop éloignés pour satisfaire à son ordre ; nous ferons

3) Les mots : si besoin est. Il faut espérer que Dieu, sont de la main du saint.

4). Suivaient les mots : je ne le puis croire, qui furent ensuite raturés.

5) Les Filles de la Charité.

 

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néanmoins ce que nous pourrons. Nous avons céans quatre enfants nègres venus de ce pays-là (6).

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, de vous et de votre chère famille, que je salue cordialement, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l M.

Jamais je n’ai senti plus de douleur que la nouvelle de l’état de la Pologne m’a donnée, ni jamais plus de confiance que Notre-Seigneur protégera le roi et la reine et leurs États (7).

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission, à Varsovie.

 

1908. — A DONAT CRUOLY, SUPÉRIEUR, AU MANS

De Paris. ce 28e [août] 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 23 août. Je suis bien aise des offres que vous avez faites à Monseigneur du Mans touchant l’ordination, et bien marri de les voir sans effet. Il me semble que vous me mandez que mondit seigneur ne trouve pas bon que nous recevions les ordinands, si nous ne les nourrissons tous à nos dépens, mais même qu’il

6) Etienne de Flacourt, débarqué. avec eux ; à Saint-Nazaire le 27 juin 1655, les avait conduits lui-même à Saint-Lazare. (Cf. de Fl. acourt. op cit p 198.)

7) Le post-scriptum est de l’écriture du saint

1) Le mot "octobre", que porte l’original est certainement le résultat d’une distraction, comme le montrent et la première phrase de la lettre et la note 5.

 

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n’est pas d’avis que nous en recevions une partie gratis, si nous ne les recevons tous ; et parce que l’endroit où vous me parlez de ceci est un peu obscur,. je vous prie de m’éclaircir plus amplement de ce qu’il vous a dit.

Je suis fort en peine de celle que M. Le Blanc (2) souffre pour sa vocation. C’est un bon sujet qui mérite d’être cultivé. Je vous. prie de le divertir tant que vous pourrez de la pensée de se retirer. Peut-être que son retour à Saint-Lazare éloignera de lui cette tentation. C’est pourquoi vous nous l’enverrez, s’il vous plaît, dans quelque temps. Nous avons au séminaire un bon prêtre qui chante bien ; nous vous le donnerons à sa place ; ne le faites pas partir que celui-ci ne soit arrivé ; cependant élevez-lui le cœur et la confiance en Dieu.

Je ne sais où sont ces prés que Madame la lieutenante générale vous demande en échange. Je m’en. informerai de M. Gicquel, pour vous dire ma pensée sur cette proposition.

Je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse votre conduite et votre famille de plus en plus. Voici une lettre pour M. le doyen (3) et une autre pour M. Le Blanc.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’ai envoyé quarante écus à Monseigneur de Cork (4). L’on dit qu’il est arrivé a Nantes 28 ecclésiastiques d’Irlande, entre lesquels il y a un archevêque et Mon-

2) Charles Le Blanc.

3) René des Chapelles.

4) Robert Barry, mort en exil en 1667.

 

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seigneur de Killala (5) O Monsieur, quel sujet d’affliction (6) !

Au bas de la première page : M. Cruoly.

 

1809. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

29 (1) août 1655.

Je vous prie de prendre la conduite de la famille et des affaires. Le personnage (2) est encore ici ; nous pensions le retenir, mais il s’en veut aller. Serrez et fermez tout, et prenez garde qu’il vous surprenne.

Je suis d’avis que vous vendiez la cavale ; les missionnaires ne doivent pas avoir de tels meubles, si ce n’est dans la nécessité. Le visiteur vous ira voir dans eu de jours ; découvrez vous à lui comme à moi, et lui dites tout ce que vous m’avez mandé ; il mettra bon ordre à tout.

 

1910. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Septembre 1655.

Je ne puis que je ne vous dise derechef que je suis fort édifié de la bonté que vous avez de vous incommoder en envoyant deux de vos prêtres à Rome, pour donner moyen à M. Jolly de donner satisfaction à tant de

5) François Kirwan, sacré à Saint-Lazare le 7 mai 1645, arriva à Nantes en 1655, au mois d’août. Il passa le reste de sa vie en Bretagne et mourut à Rennes le 27 août 1661

6) Le post-icriptum est de la main du saint.

Lettre 1909 — Reg. 2, p, 110.

1). Au-dessus de 29, une autre main a écrit, 19 ; il y a donc eu doute sur la lecture de l’original.

2). Philippe Vagent, précédemment supérieur à Saintes.

Lettre 1910. — Reg. 2, p. 204.

 

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grands prélats et cardinaux qui ont dévotion d’employer la compagnie en leurs diocèses. Oh ! s’il plaisait à Dieu de donner cet esprit de support et d’accommodement à chaque particulier, que cela apporterait une grande union et un grand avantage à tout le corps, pource que nous regarderions les intérêts des autres comme les nôtres propres ! Et le fort soutenant le faible, tout en irait mieux.

 

1911. — A FIRMIN GET. SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

3 septembre 1655.

Vous donnerez le conseil que vous voudriez prendre pour vous, à ceux que nous envoyons à Gênes, pour y aller par mer ou par terre.

 

1912. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 3 septembre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du dernier ordinaire et une augmentation de douleur pour l’affliction où se trouve la P[ologne], et surtout le roi et la reine. Je vous avoue qu’elle m’est des plus sensibles qui me soit jamais arrivée, tant à cause de leur intérêt que pour celui de l’Église, qui souffre en cette. partie. C’est pourquoi nous prions ici, et faisons prier partout, que Dieu protège ce royaume-là et bénisse, s’il lui plaît, les armes et les intentions de Leurs Majestés. J’ai une particulière confiance qu’il le fera et, quand même Varsovie serait pris et les missionnaires avec lui, qu’il ne vous sera fait aucun

Lettre 1911. — Manuscrit de Marseille.

Lettre 1912. — L s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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mal ; car, outre que vous avez été recommandés à.M. [d’Avaugour] (1), agent pour la France auprès du roi de Suède, pour vous mettre sous sa protection, nous savons que son prédécesseur, faisant la guerre en Allemagne, n’a jamais fait du mal aux prêtres. Courage donc, Monsieur ! ne vous étonnez pas ; ce que le bon Dieu garde est bien gardé. Nous continuerons de vous offrir à lui d’une. manière spéciale, et vous devez vous confier beaucoup en sa paternelle protection ; car il ne veut que cela pour avoir sujet de vous défendre, et sans cela il aurait raison de vous abandonner à la puissance des hommes.

Nous avons fait revenir M. Berthe, les frères et les filles, lorsqu’ils étaient sur le point de s’embarquer, et nous avons fait partir à même temps quatre prêtres de divers endroits pour se rendre à Nantes, où il y a quatre vaisseaux prêts à lever l’ancre pour Madagascar. Or tous ces quatre prêtres missionnaires ne se mettront pas dedans, mais seulement deux qui arriveront les premiers, si tant est qu’ils y soient à temps ; et en cas que tous y arrivent assez tôt, M. Dufour et M. Feydin (2) feront le voyage, et les autres s’en reviendront, à savoir M. Gicquel et M. de Belleville (3).

Nous avons céans quatre petits nègres venus de ce pays-là, que nous élevons dans l’esprit du christianisme, pour servir un jour d’exemple à leurs compatriotes. Que

1) Dans l’original la place du nom est en blanc.

2). François Feydin, né à. Allanche (Cantal) le 25 mai 1620, ordonné prêtre en septembre 1645, reçu dans la congrégation de la Mission le 8 septembre 1653. Il n’alla pas a Madagascar Désigné de nouveau pour cette Mission en 1659 il fut encore empêché d’accomplir le voyage.

3) Mathurin de Belleville, né à Brix (Manche), reçu dans la congrégation de la Mission le 1er mai 1654 à l’âge de vingt. sept ans, mort sur mer le 18 janvier 1656 des suites d’une maladie qui le minait depuis que le navire avait quitté la rade de Saint-Martin.

 

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savons-nous si le bon Dieu, irrité du désordre des propres enfants de son Église, n’a pas dessein de la transférer parmi les infidèles ? Son saint nom soit béni et sa sainte volonté accomplie en nous tous ! Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l M

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur de la Mission, à Varsovie.

 

1913. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

Du 5 septembre 1655.

Je vous donne avis que M. [Vageot] est parti de céans aujourd’hui, sans nous dire adieu ; il ne vous porte donc point de mes lettres. C’est pourquoi, Monsieur, ne le reconnaissez plus ni pour supérieur, ni seulement pour missionnaire, et ne lui parlez qu’en passant ; encore moins devez-vous lui permettre qu’il prenne aucune chose dans votre maison, telle que ce soit. Je vous prie d’être ferme à tout cela ; et s’il vous demande quelque chose, dites lui qu’il m’en faut écrire. Voilà notre intention. Il a pris des provisions de la cure de Saint-Vivien (1) dix jours après son arrivé, sans m’en rien dire, en suite de quantité de belles espérances qu’il nous avait données de vivre en vrai missionnaire.

Lettre 1913. — Reg. 2, p. 110

1) Petite localité située près de La Rochelle

 

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1914. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

6e mercredi [1655, vers septembre] (1)

Mon très honoré Père,

Je ne sais point que nous ayons de sœur malade à Saint-Germain (2) si ce n’est celle qui l’a été y a fort longtemps, que je crois bien n’avoir pas encore repris entièrement ses forces. Je crois que le changement d’air lui fera beaucoup de bien et que celui de céans lui sera meilleur que pas un autre.

Permettez-moi, mon très honoré Père, de vous dire que mon cœur est sensiblement et souvent touché de la pensée que la compagnie est fort proche de son déclin, et que je prévois beaucoup d’inconvénients si votre charité permet ce voyage (3), pareille chose ayant été refusée à d’autres, pour plusieurs raisons. Ma sœur Julienne (4) vous supplie très humblement lui donner réponse sur la proposition qu’elle a faite à votre charité pour une bague qu’une dame fort riche, de son chef, a donnée à l’église sans le su de son mari. Elle est pressée de réponse.

Monsieur L’Obligeois a été ce matin s’assurer la place vacante au Nom-de-Jésus.

Je n’ai pas treuvé ma sœur Hardemont éloignée des dispositions à bien recevoir la proposition pour les Petites-Maisons, mais je crois qu’il est nécessaire que votre charité nous parle, pour faire connaître le bien qu’il y a à faire et la manière dont il s’y faut gouverner.

Nous avons sujet de douter que Monsieur de Saint-Roch (5) nous renvoie encore une fois (6) La très sainte volonté de Dieu soit faite, et que par sa conduite je puisse me dire toujours,

Lettre 1914. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Louise de Marillac parle pour la première fois, dans une lettre datée du23 juin 1655, d’un prochain envoi de Filles de la Charité aux Petites-Maisons de Paris pour le service des pauvres malades et des insensés. Elle écrivait, le 2 octobre que l’œuvre était commencée, sous la conduite de la sœur Anne Hardemont.

2). Très probablement Saint-Germain-en-Laye

3) Vraisemblablement un voyage dans la famille.

4). Sœur Julienne Loret, alors supérieure à Fontenay-aux-Roses

5). Jean Rousse, né à Pithiviers, curé de la paroisse Saint-Roch du 30 juin 1633 au 13 octobre 1659, jour de sa mort.

6). Voir lettre 1370.

 

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mon très honoré Père, votre très humble et très obéissante servante.

L DE M..

Je demande très humblement pardon à votre charité de la liberté que je prends de vous parler si librement ; je m’en suis aperçue, relisant ma lettre.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent

 

1915 — A LOUISE DE MARILLAC

[1655, vers septembre] (1)

Je manderai à M. Guilloire la difficulté que vous faites à l’égard de la convalescente de Saint-Germain ; mais il sera à propos que vous la rappeliez pour prendre l’air et se reposer ici.

Il faut agréer la conduite de Dieu sur vos filles, les, lui offrir et demeurer en paix. Le Fils de Dieu a vu sa compagnie dispersée et quasi dissipée de tout temps. Il faut unir votre volonté à la sienne.

Quel sujet à M. de Saint-Roch d’en user de la sorte que vous me dites ? Si cela est un sujet d’honorer la peine qu’a eue Notre-Seigneur quand il s’est vu chassé des lieux où il était, et ses apôtres aussi, oh ! qu’il est bon d’avoir de pareilles occasions pour s’unir au bon plaisir de Dieu ! Je tâcherai de vous voir demain avec notre sœur Hardemont.

Suscription : Pour Mademoiselle Le Gras.

Lettre 1915. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle elle a été écrite

 

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1916. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Ma grande espérance est que vous contribuerez beaucoup, avec la grâce de Dieu, à sauver ces peuples, et que vos exemples serviront à vos confrères pour s’affectionner à cette bonne œuvre et pour s’y appliquer aux lieux, aux temps et en la manière qui leur sera prescrite par vous, qui consulterez Dieu, comme un autre Moïse, et qui recevrez la loi de lui pour la donner à ceux que vous conduirez (1) Souvenez-vous que la conduite de ce saint patriarche était douce, patiente, supportante, humble et charitable, et qu’en celle de Notre-Seigneur ces vertus ont paru en leur perfection, afin que nous nous y conformions.

 

1917. — A MONSIEUR CHARRIN, A LYON

10 septembre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec nous pour jamais !

Je me donne l’honneur de vous écrire la présente pour vous remercier derechef des bonnes volontés que le bon Dieu vous a données pour notre petite compagnie, qui en. est très indigne, et néanmoins, Monsieur, très reconnaissante. Je prie N.-S. qu’il soit votre récompense du bien que vous nous offrez et de la gloire que vous lui voulez procurer. Nous serons obligés de l’en prier toute notre vie, quand bien votre intention ne s’accomplirait pas au sujet de notre établissement. Comme j’en vois quelques difficultés de notre côté, je vous supplie très humblement, Monsieur, d’avoir agréable que je vous les

Lettre 1916 — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XXIV, sect. I, p. 351

1) Le destinataire de la lettre venait d’être nommé supérieur.

Lettre 1917. — Reg. 1, f° 53 v°.

 

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représente, pour réponse aux propositions que vous m’avez envoyées

La première est que nous sommes trop pauvres pour faire subsister de delà les prêtres que vous demandez entre ci et le temps qu’ils doivent jouir de votre donation.

Secondement, Monsieur, cette fondation n’est pas suffisante pour nourrir six prêtres, lors même qu’ils en seront possesseurs. Nous avons expérience qu’il faut au moins mille francs pour 3 personnes ; et tout ce qu’on pourrait faire avec 1.200 livres serait d’entretenir 3 prêtres avec un fr [ère] ou serviteur. L’on dépense la moitié plus, à la campagne, où l’on fait la mission, que dans la maison.

Enfin, Monsieur, il n’y a point d’ecclésiastique qui voulût entrer en notre congrégation si on lui disait qu’il ne pourrait jamais dire la sainte messe ni pour lui, ni pour des parents et amis, ni pour autre intention que ce soit, que pour un défunt seulement, ainsi que vous y voulez obliger ceux qu’on vous donnerait. Nous ne pouvons donc pas, Monsieur, les y soumettre, si ce n’est 3 ou 4 fois la semaine chacun au plus. Et puis l’Église ne permet pas qu’on dise des messes de Requiem certains jours, comme les dimanches et les fêtes principales. Selon cela, Monsieur, j’espère que votre bonté nous excusera, ou, si c’est le dessein de Dieu que le vôtre s’exécute, qu’il vous fera agréer les conditions que nous pouvons accomplir ; ce que nous attendrons avec patience, en continuant de prier Dieu qu’il vous conserve et sanctifie de plus en plus, et qu’il nous donne les occasions de vous servir, particulièrement à moi, qui suis plein d’estime et de révérence pour votre personne et qui serai la vie et à la mort, en son amour, Monsieur, votre (1)

1) La fondation n’eut pas lieu.

 

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1918. — A UN CURÉ (1)

Envoyez ici telle personne qu’il vous plaira et je me charge de la dépense.

 

1919. — A LA PROPAGANDE

[Septembre 1655] (1).

Éminentissime Reverendissimi Signori,

Dalla benignità dell’EE. VV. furono ultimamente. ad istanza di Vincenzo di Paul, superiore generale della congregazione della Missione, dichiarati missionarl apostolici nell’isola di San-Lorenzo, vulgo Madagarcar, Francesco Mousnier e Tussano Bourdaise, sacerdoti della medesima congregazione della Missione. E perchè vi è in detta isola messe abondante e gran campo da lavorare, e presto, cioè nel mese d’ottobre prossimo 2 ! vi sarà occasione di poter mandar colà altri operai, dovendo partire un vascello a quella voita, il sopradetto Vincenzo di Paul, umilmente offerisce all’EE. VV. tre altri buoni soggetti, cioè Claudio Dufour, Nicolo Prevost è Francesco Feydin, sacerdoti della medesima congregazione oella Missione, accio piaccia all’EE. VV., se gradiranno lo zelo di questi servi di Dio, dichiararli missionari apostolici in detta isola, e far loro spedire le facoltà solite.

Lettre 1918. — Collet, op. cit t. II, p. 152 bis

1) Ce curé, indignement diffamé et obligé de pousuire un procès à Paris, ne pouvait ni quitter sa paroisse ni payer un avocat.

Lettre 1919. — Supplique non signée. — Arch. de la Prop, Il Africa, n° 248, f° 93, original

1) Les pouvolrs demandés dans cette supplique furent. accordés le 23 septembre 1655.

2). Les vaisseaux partirent le 23 octobre, portant trois missionnaires Claude Dufour, Nicolas Prévost et Mathurin de Belleville

 

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E perchè l’occasione opportuna del vascello potrebbe invitare il detto oratore a mandar ancora altri soggetti ad impresa si importante e di tanta gloria di Dio, supplica umilmente l’EE. VV. di gradire che, non potendo. forse per la troppo accelerata partenza del vascellol mandarne qua i nomi a tempo, egli faccia esaminare e approvare da Monsignor nunzio di Francia quelli che saranno atti a quella Missione, ai quali poi si degneranno l’EE. VV. di fare spedire le solite facoltà. E il tutto riceverà per grazia singolare dall’EE. VV.

Quas Deus, etc.

Suscription : Alla Sacra Congregazlone de Propaganda Fide, per Vincenzo di Paul, superiore generale. della Congregazione della Missione.

 

T R A D U C T I O N

Eminentissimes et Révérendissimes Seigneurs,

François Mousnier et Toussaint Bourdaise, prêtres de la congrégation de la Mission, ont été nommés missionnaires apostoliques pour l’île de Saint-Laurent, vulgairement Madagascar, par la faveur de Vos Éminences, à l’instance de Vincent de Paul, supérieur général de la même congrégation. Et comme la moisson y est abondante et le champ à cultiver étendu, et que, d’autre part, en octobre prochain se présentera l’occasion d’y envoyer d’autres ouvriers, un vaisseau devant faire voile vers ce lieu, Vincent de Paul propose humblement à Vos Éminences trois autres bons sujets, Claude Dufour, Nicolas Prévost et François Feydin, prêtres de la Mission, afin qu’il plaise à Vos Éminences, si elles agréent le zèle de ces serviteurs de Dieu, les nommer missionnaires apostoliques pour cette île et leur expédier les pouvoirs accoutumés. Et comme, à l’occasion du départ du vaisseau, le suppliant pourrait vouloir envoyer encore d’autres sujets pour une œuvre si importante et si utile à la gloire de Dieu, il supplie humblement Vos Éminences d’agréer que, si l’imminence du départ du navire ne lui permet pas d’envoyer à temps les noms des missionnaires, il lui suffise de les faire examiner et approuver par Mgr le nonce de France, quitte

 

 

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à vous demander ensuite pour eux les pouvoirs accoutumés. Et il recevra cette grâce comme une faveur insigne de Vos Éminences.

Que Dieu ait, etc.

Suscription : A la Sacrée Congrégation de la Propagande, pour Vincent de Paul, supérieur général de la congrégation de la Mission.

 

1920. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

16 septembre 1655.

Vous ferez fort bien de recevoir chez vous (1) ce bon gentilhomme qui veut se donner à Dieu, et de l’aider en une si sainte résolution ; je vous prie donc de le traiter selon le mérite de sa personne et de son extraction

 

1921. — A LA SŒUR MARIE-MARTHE TRUMEAU, A NANTES

18 septembre 1655.

Ma chère Sœur,

Il y a trois jours que je vous ai écrit à Nantes qu’en cas que ces Messieurs les Pères (1) désirent que vous et nos sœurs Henriette et Renée reviennent à Paris, ainsi qu’ils nous l’ont écrit, vous vous en reveniez donc les trois ensemble, et que Mademoiselle (2) vous recevra avec grande joie. Selon cela, ma Sœur, je vous adresse la présente à Angers, où vous devez passer, pour vous dire que nous vous attendons à Paris, où je vous prie

Lettre 1920. — Manuscrit de Marseille

1) Probablement pour une retraite spirituelle.

Lettre 1921.Recueil de pièces relatives aux Filles de la Charité, p. 499.

1). I. es Pères des pauvres ou administrateurs de l’hôpital.

2) Louise de Marillac.

 

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de vous en venir au plus tôt par la première occasion qui se présentera, vous et nos deux sœurs. Nous prions Dieu qu’il vous gouverne et possède entièrement dans le temps et l’éternité.

Mademoiselle se porte mieux, grâces à Dieu.

Je salue nos deux sœurs, et suis…

 

1922. — A UN PRÊTRE SORTI DE LA COMPAGNIE

Du 22 septembre 1655.

J’ai conféré la cure que vous m’avez demandée à un autre bon prêtre résolu de résider et de bien faire. J’eusse été bien aise de vous servir après vous avoir vu faire une oblation de vos biens et un sacrifice de vous-même à Dieu pour le salut du pauvre peuple, si, en révoquant une si sainte action, comme vous avez fait, vous ne m’aviez donné sujet de craindre que peut-être vous ne seriez pas plus fidèle à Dieu dans une nouvelle obligation que vous avez été en celle-là. De dire que vous êtes sorti d’avec nous avec dessein de mieux servir les âmes, qui le croira, puisque vous trouviez en notre compagnie l’occasion de former de bons ecclésiastiques et de bons curés, et de travailler aux missions pour l’assistance des pauvres gens de la campagne ? Je ne laisse pas d’avoir estime et affection pour vous, sachant qu’au reste vous avez le cœur bon et bien intentionné.

Lettre 1922. — Reg. 2, p. 53.

 

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1923. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

22 septembre, [entre 1655 et 1660] (1)

Peut-être,. Monsieur, vous ai-je trompé par mes lettres, dans lesquelles, par ma superbe, je rends beaucoup mieux. compte que je n’opère, une personne de ma lenteur, de mon ignorance, de mon bégayement et difficulté à s’exprimer, de mon imprudence et précipitation et peu de vertu n’étant guère propre à tenir ici la place que j’y tiens. Je ne pourrai néanmoins et le ferai, si Dieu le veut, comme je le croirai, que tant vous me le commanderez, vous suppliant, Monsieur, très humblement de faire un peu de réflexion à ce que je viens de dire, qui n’est point humilité, mais la pure vérité, que je suis obligé de vous découvrir.

 

1924 — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 29 septembre 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 24 août. Je vous ai accompagné, avec toute la bande, de mes douleurs et de mes souhaits à Cracovie. L’affliction croît en nous à mesure que nous apprenons les progrès des ennemis (1) ; mais pour cela je n’aperçois encore aucune diminution dans l’espérance que Dieu nous donne que tôt ou tard les choses se rétabliront. Pour cela, nous prions incessamment et faisons prier partout qu’il plaise à Dieu de rendre les armes du roi victorieuses et de prendre lui

Lettre 1923.Vie de Edme Jolly ms., p. 95..

1) Temps pendant lequel Edme Jolly fut supérieur de la maison de Rome.

Lettre 1924. — L. s. — Dossier de Pologne, original

1) Les Suédois étaient entrés à Varsovie le 8 septembre.

 

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même la défense et la conduite de ce royaume pour le bien de l’Église, qui se trouve fort intéressée en cette guerre.

Cependant je le prie aussi qu’en quelque part que la compagnie se trouve, il lui fasse la grâce de se soumettre avec amour aux divers événements de sa conduite et de lui rendre les petits services qu’elle pourra en soi et en autrui, autant que les lieux et les commodités le pourront permettre. Je l’espère bien de votre zèle et de votre courage et de la fidélité de toute la famille. Témoignez toujours à la reine nos sensibles peines pour l’état présent des affaires, ensemble les prières que nous faisons pour le roi, pour elle et pour leurs États.

J’ai enfin pensé que c’est trop supporter les libertés de Monsieur Zelazewski, qui pourraient par la suite être beaucoup nuisibles à la compagnie. Il est donc temps d’y remédier, ou en le priant de se retirer entièrement. en sorte qu’on n’ait plus de communication avec lui, ou, s’il lui reste quelque affection pour sa vocation, de tirer promesse de lui qu’il vivra désormais en vrai missionnaire dans l’observance et la soumission qu’il doit. Je vous prie, Monsieur, de savoir quelle est sa disposition, et, selon cela, d’agir en la manière susdite. Vous le traiterez avec respect et douceur, même avec témoignage d’affection, mais aussi avec fermeté, lui disant ce qu’il est expédient de lui dire en cette extrémité.

Je rends grâces à Dieu d’avoir donné à la compagnie un nouveau prêtre polonais qui a les bonnes qualités que vous me mandez. Dieu lui fasse la grâce de persévérer, et à vous tous de vivre en sorte que la bonne odeur de votre vie et de vos emplois en attire plusieurs autres pour l’avancement de notre sainte religion ! Car c’est pour cela, comme je crois, que sa providence vous a appelés de delà.

 

 

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J’écris à Rome que vous avez reçu les indulgences, et je présente à Monsieur Jolly les sentiments de reconnaissance que vous en avez. Dieu soit à jamais au milieu de votre cœur et vous donne les forces nécessaires dans l’agitation présente !

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, à Cracovie.

 

1925 — A MONSIEUR THOMAS (1), A ANGOULÊME

Du 25e septembre 1655.

J’ai reçu votre lettre avec le respect que je dois au mérite de votre personne, et avec une très sensible reconnaissance des bontés que vous exercez envers nous à toutes occasions, et présentement par les offres que vous nous faites, dont nous sommes très indignes et dont je vous remercie très humblement. Sur quoi je vous dirai, Monsieur, ce que j’ai déjà dit à Monsieur de Blampignon, que nous avons pour maxime de ne nous introduire jamais en un lieu, si Nosseigneurs les prélats ne nous y appellent, et que tout ce que nous avons, et les établissements où nous sommes, nous sont venus par cette voie. Or tant s’en faut que nous soyons ainsi appelés à Angoulême, que Monseigneur l’évêque (3) s’est expliqué au contraire.

Lettre 1925. — Reg. 2, p. 56.

1) "Prêtre de condition et de vertu." (Reg. 2, p. 56)

2) Au-dessous de 25 une autre main a écrit 15.

3) François de Péricard (1646-1687).

 

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Une seconde raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter le bien que vous nous voulez faire, Monsieur, est que les cures nous embarrassent trop. Nous n’en avons encore pris qu’à vive force, et sommes comme résolus de n’en plus prendre. Les deux ou trois que nous avons n’ont servi qu’à nous faire connaître l’empêchement qu’elles apportent à nos fonctions, et combien il est expédient que nous ayons tous l’obligation d’aller de village en village pour l’instruction et le salut des peuples, sans nous attacher aux villes ni à certaines paroisses qui ne peuvent manquer d’ouvriers. Il serait à craindre qu’avec le temps les nôtres ne se tinssent aux cures. Je vous supplie très humblement, Monsieur, de nous excuser.

 

1926. — A JACQUES LE SOUDIER

De Paris, ce 25 septembre 1655

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Voilà notre frère Laurent (1) que nous envoyons pour voir la mortière et pour conférer avec vous de tous ces affaires. Vous savez la grâce que Dieu lui a donnée pour le. bien de la compagnie ! et son expérience au ménage. Je vous prie de suivre ses avis, comme nous faisons de deçà en semblables matières.

Je voudrais fort que l’on se pût accommoder avec la

Lettre 1926. — L. s — Dossier de Turin, original La fin, à partir des mots : Si les enfants est de la main du saint.

1) Probablement Laurent Hazart, né à Colombe (Hauute_Saône), entré le 10 août 1642, à l’âge de vingt et un ans, reçu aux vœux le 22 avril 1646.

 

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veuve en lui laissant la ferme à moitié de fruits, ou, si cela ne se peut, que son fils fît les labours et les autres travaux, en lui donnant certaine somme. Ce frère verra ce qui sera le plus expédient et la manière dont cela se fait. Si cette pauvre femme ne prend pas la ferme, il la faudra assister, car elle me fait grande compassion, et lui donner un écu par mois pendant quelque temps, soit qu’elle veuille demeurer avec son fils, ou se retirer à Montmirail, soit avec les Filles de la Charité, soit dans quelqu’autre maison.

Je viens d’apprendre qu’il y doit avoir neuf-vingts arpents de terre. Selon cela, il y en a d’aliénés ou d’usurpés plus que je ne pensais. Il faudra vous informer qui en sont les détenteurs, et cela secrètement, et ensuite lever une commission pour les faire assigner en désistement.

Vous m’avez mandé que vous aviez à me communiquer quelque chose de particulier ; c’est ce que j’attends.

J’ai donné au frère Laurent vos mémoires touchant l’estimation, afin qu’il voie si elle est juste ou trop déraisonnable. Voilà pour cela.

Quant aux missions, j’aurai l’honneur de voir ici Mgr le coadjuteur de Soissons (1), pour avoir la station de Montmirail, et écrirai à Sens pour celle de Joigny. Nous tâcherons de vous donner satisfaction au plus tôt pour le changement de ceux qui sont avec vous.

Si les enfants de cette pauvre femme ne sont pas en état de faire la ferme en qualité de vos serviteurs, auxquels vous [ne] sauriez que donner d’argent et de blé par an pour se nourrir, vous pourrez voir s’il se trou vera d’autres personnes qui voulussent et pussent entreprendre

2) Charles de Bourbon. Il devint évêque Soisson en 1656 après la mort de Simon Le Gras.

 

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cela, au cas que la bonne femme ne puisse entreprendre la chose à moitié.

Votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Nous tâcherons de vous donner satisfaction au plus tôt pour le changement de ceux qui sont avec vous.

Suscription : A Monsieur Monsieur Le Soudier, supérieur de la Mission, à Montmirail.

 

1927. —. LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 25 septembre [1655} (1)

Mon très honoré Père,

Nous sommes pressées d’envoyer à Chantilly. Monsieur de la Hodde nous a donné avis de n’y pas renvoyer celle qui en est venue ; et en effet autant pour elle que pour celle qui y est restée, qui a besoin de grand exemple, si votre charité ne juge à propos, nous y en enverrons une autre.

Nous en avons une fort retenue, qu’il est bon d’ôter de Paris, à cause de l’importunité de ses parents, non pour crainte qu’elle perde sa vocation, y ayant longtemps qu’elle est en la compagnie, mais pour sa perfection. Si vous le treuvez bon, nous l’y enverrons. Je crois qu’elle y sera propre.

Notre dernière conférence fut le 8 août ; en pouvons-nous espérer demain une, mon très honoré Père, sans vous trop incommoder ? Votre charité nous le mandera, s’il lui plaît et si c’est sur l’explication des règles, touchant l’emploi de la journée, si nous nous préparerons sur le tout ou sur une partie de la journée (2)

Lettre 1927. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité,

1) Date ajoutée au dos de l’original par le secrétaire.

2) Saint Vincent alla donner chez les sœurs, le 29, sa conférence sur l’explication des règles communes.

 

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Votre bénédiction et réponse, mon très honoré Père, à votre très humble fille et très obligée servante.

L. de MARILLAC.

S’il plaît à votre charité se souvenir de Fontenay (3) ?

Suscription : A. Monsieur Monsieur Vincent

 

1928. — A UN PARENT (1)

Oseriez-vous refuser à tant de personnes qui s’en mêlent pour votre bien (2) ? Je ne le crois pas. Aussi votre âge et vos incommodités vous mettent hors d’état de soutenir les fatigues et les dépenses d’un si long procès ; et si vous aviez quelque espérance en mon secours, je vous déclare que je ne vous en donnerai aucun. J’aime mieux contribuer à votre salut, en vous conseillant cet accommodement pour vous mieux disposer à la mort, que de vous voir consumer tout vivant dans les embarras d’une longue et douteuse poursuite. J’espère que vous penserez sérieusement à tout ceci (3).

 

1929. — A ANTOINE PORTAIL, A TOUL (1)

29 septembre 1655..

Je vois les peines de corps et d’esprit que vous donnent

3) Fontenay-aux-Roses, où les Filles de la Charité avaient un établissement.

Lettre 1928. — Abelly, op. cit, 1. III, chap. XIX, p. 292.

1) Après avoir obtenu des lettres de révision d’un procès qui le condamnait aux galères, ce parent avait porté la cause devant le parlement de Paris, dans l’espoir que les démarches de saint Vincent en sa faveur le feraient acquitter.

2) Au début de sa lettre, le saint demandait à sont parent de consentir à des concessions pour arriver plus facilement à un accord.

3) Les conseils de Vincent de Paul ne furent pas écoutés.

Lettre 1929. — Reg. 2, p. 106.

1) Antoine Portail faisait la visite canonique de la maison de Toul.

 

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les visites du dehors. Le meilleur serait de n’en point faire du tout ; mais, comme vous dites, il y a des occasions où il est difficile de s’en dispenser. Pour moi, je me garde de visiter aucun évêque, s’il n’y a quelque nécessité, encore qu’ils m’aient fait l’honneur de me venir voir ; et j’en use ainsi pour n’être pas obligé de les voir tous.

 

1930. — A PLUSIEURS PRÊTRES DE LA MISSION (1)

[Vers octobre 1655] (2).

Vous savez que votre santé sera en danger sous ce nouveau climat, jusqu’à ce que vous y soyez un peu accoutumés ; c’est pourquoi je vous avertis que vous ne vous exposiez point au soleil et que vous ne vous appliquiez pendant quelque temps à autre chose sinon à l’étude de la langue. Faites état que vous êtes devenus enfants et que vous apprenez à parler, et dans cet esprit laissez-vous gouverner par Monsieur [Mousnier], qui vous tiendra lieu de père, ou, à son défaut, par Monsieur [Bourdaise]. Je vous prie de les regarder en Notre-Seigneur et N-S. en eux. Et quand bien vous seriez privés de l’un et de l’autre, vous ne le serez pas de l’assistance particulière de Dieu, lequel a dit que, si la mère venait à oublier l’enfant sorti de son ventre, il en prendrait

Lettre 1930. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XI, sect. VI, p. 160.

1) Ces missionnaires, dit Abelly, "travaillaient ensemble sous un climat fort éloigné" ; on croirait plutôt, à la lecture de la lettre, qu’ils allaient se mettre en route ; et leur lieu de destination, nous le devinons, c’était Madagascar, pays brûlé par le soleil et de Communication si difficile que le saint ignorait si les deux prêtres qu’il y avait envoyés précédemment, Jean Mousnier et Toussaint Bourdaise, étaient encore en vie. Les destinataires ne peuvent être que Claude Dufour, Nicolas Prévost et M. de Belleville, qui s’embarquèrent à La Rochelle le 29 octobre 1655.

2) Voir note l.

 

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lui-même le soin. Combien plus devez-vous croire qu’il aura de bonté pour vous, mes chers Messieurs, et qu’il prendra plaisir de vous élever, de vous défendre et de vous pourvoir, vous qui vous êtes abandonnés à lui et qui avez établi toute votre confiance en sa protection et en sa vertu ! Or sus, Messieurs, entr’aimez-vous et vous aidez les uns les autres ; supportez-vous et vous unissez dans l’esprit de Dieu. qui vous a choisis pour ce grand dessein et qui vous conservera pour son accomplissement.

 

1931. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

1er octobre 1655.

Je loue Dieu de la bonne disposition de votre famille et de la vôtre en particulier. M. Bauduy (1) m’a écrit que la sienne dépérit à Marseille, et me demande d’aller passer six mois en son pays pour se remettre, comme si dans le reste du royaume il n’y avait pas un lieu propre pour sa santé. Les rois tombant malades dans leurs États n’en vont pas chercher d’autres pour se guérir, ni les évêques ne quittent pas leurs diocèses, ni les curés leurs paroisses, pour changer d’air, encore que celui de leur naissance leur fût peut-être meilleur. Je ne puis donc consentir qu’il aille en Auvergne, puisque nous n’y avons point de maison. S’il veut aller à Notre-Dame de la Rose, diocèse d’Agen, à la bonne heure, qu’il s’y en aille. M. Chrétien, qui en est le supérieur, le recevra volontiers, parce que je lui en écrirai ; et je vous prie de lui donner l’argent qu’il faudra pour ce

Lettre 1931. — Manuscrit de Marseille.

1) François Bauduy, né à Riom le 14 janvier 1623, reçu dans la congrégation de la Mission le 4 septembre 1648, ordonné prêtre le 3 septembre 1651.

 

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remèdes pour une petite incommodité, je lui écrirais ; faites-lui mes excuses et assurez-le que je le chéris tendrement et que je souhaite et demande à N.-S. qu’il pratique la leçon de N..-S. : Qui amat animam suam perdet eam, et qui odit inveniet eam ~

 

1932. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

3 octobre 1655.

Je loue Dieu de ce que votre ordination est bien allée. Vous voyez comme ce divin Maître a suppléé au défaut du prêtre qui vous paraissait nécessaire, et qu’il ne faut jamais s’étonner quand les hommes sur lesquels nous comptions le plus viennent à nous manquer ; c’est alors surtout que Dieu fait son œuvre.

 

1933. — A PIERRE DE BEAUMONT, PRÊTRE DE LA MISSION,

A RICHELIEU

3 octobre 1655.

Sur ce que vous vous êtes proposé de bien travailler à mortifier le propre jugement et la propre volonté de vos séminaristes, je vous dirai, Monsieur, que cela ne se peut pas faire tout d’un coup, mais peu à peu, avec douceur et patience. La mortification, non plus que les autres vertus, ne s’acquiert que par les actes réitérés, et encore moins celle de cette espèce, qui est la plus difficile

2) Évangile de saint Jean XII, 25.

Lettre 1932. — Collet, op. cit., t. II, p. 101

Lettre 1933. — Reg. 2, p. 184.

1) Il était directeur du séminaire interne ou noviciat et faisait fonction de supérieur.

 

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Il faut donc se contenter d’y mener vos gens pas sans prétendre d’y arriver de longtemps, parce qu’il y a bien du chemin à faire, si ce n’est quand il plaît à Dieu de dispenser des voies ordinaires.

Oui, Monsieur, je suis d’avis que votre maison rende ses devoirs à Mademoiselle d’Orléans (2) quand elle sera à Champigny (3) que deux prêtres y aillent, ce sera assez, vous et un autre, et que vous lui disiez avec grand respect et modestie : "Mademoiselle, nous sommes deux prêtres de la Mission de Richelieu, qui avons reçu ordre de M. Vincent de venir faire la révérence à Votre Altesse, de lui offrir nos très humbles services et nos prières. C’est ce que nous faisons, Mademoiselle, avec tout le respect et la soumission que nous devons à Votre Altesse." Si elle vous parle, il la faudra écouter sans l’interrompre, et, selon les demandes qu’elle vous fera, lui faire vos réponses (4)

 

1934. — A JEAN CHRÉTIEN, SUPÉRIEUR, A LA ROSE

Du 3 octobre 1655

Je ne doute pas que votre humilité ne vous fasse fuir les charges et porter avec peine la supériorité que vous

2) Née à Paris, le 29 mai 1627, de Gaston d’Orléans, Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, dite la Grande Demoiselle, joua un rôle actif pendent les troubles de la Fronde. Elle a écrit des mémoires, esquissé des portraits et composé des romans. Elle mourut à Paris le 5 avril 1693.

3) Champigny-sur-* Veude, près de Richelieu.

4) Collet signale (op. cit., t. II, p. 270) une lettre, du 3 octobre 1655, dans laquelle le saint dit que l’égalité d’esprit est une vertu particulière, un état qui suppose l’assemblage d. e toutes les vertus, un rayon, un rejaillissement qui se fait au dehors, de ! a paix et de la beauté du dedans. N’aurait-il pas en vue la lettre à Pierre de Beaumont, dont nous n’avons plus qu’un extrait ?

Lettre 1934 — Reg 2, p 265

 

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exercez ; mais je sais aussi la soumission que vous avez au bon plaisir de Dieu, qui vous impose ce fardeau et qui fait que je vous prie de sa part de le porter quelque temps. J’espère qu’il bénira votre conduite à La Rose, comme il a fait ailleurs, et je l’en prie de tout mon cœur. Vous ne devez point appréhender la difficulté de la langue ; Notre-Seigneur vous la rendra bientôt aisée et familière, pour peu que vous y fassiez attention. Et quant aux actions publiques, prêchez hardiment. Je suis assuré qu’en observant notre méthode, vous le ferez fort bien et utilement ; vous avez vocation pour cela et de la part de Dieu et du côté de Monseigneur d’Agen (1) Reste à vous animer de zèle et à vous confier en la grâce de Dieu, en qui je suis, Monsieur, votre…

 

1935. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 3 octobre [1655] (1)

Mon très honoré Père,

Notre sœur Françoise, la jardinière, a toujours continué le renouvellement de ses vœux, qu’elle fit y a demain, jour de saint- François, six ans. Elle supplie votre charité lui accorder de faire la même chose en ce jour de sa fête, et pour cela nous faire la charité de nous avertir de l’heure que vous direz la sainte messe. Quoique ce ne soit pas à l’église, elle y fera attention, l’entendant à même temps.

Permettez-moi, mon très honoré Père, vous demander des nouvelles de votre santé et votre bénédiction et pour nos sœurs particulièrement celle qui, pour sûreté de son salut demande à se donner à Notre-Seigneur, et moi de vous supplier, pour son saint amour, de vouloir me donner l’aide dont devant lui votre charité croit que j’ai besoin, étant, mon très honoré Père, votre très humble et très obligée fille et servante.-

L. DE M.

Suscription : A. Monsieur Monsieur Vincent.

1) Barthélemy d’Elbène (1638.-1663).

Lettre 1935. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date ajoutée au dos de l’original par le secrétaire.

 

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1936. — A MARC COGLÉE

De Paris, ce 6e octobre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres, des 16 et 27 septembre. la première regarde Mademoiselle de Neufville. Il y a longtemps que nous n’avons fait d’assemblée, à cause de l’absence des principales dames, et ainsi je n’ai pu parler du sujet de votre lettre. Je vous prie de m’en faire une autre, qui soit courte et qui fasse néanmoins entendre le mérite et l’état de la personne, les biens qu’elle a faits et qu’elle peut faire, ses besoins et ses intentions présentes, etc. ; dire, par exemple, qu’il y a tel temps que la Providence la mena à Sedan, qu’elle s’est appliquée depuis à l’instruction des filles catholiques, retirant chez elle celles de la religion prétendue, quand elles se veulent convertir ; que pour cela elle a acheté et meublé une maison, ne s’étant réservé pour son entretien que 300 livres de rente ; mais à présent qu’elle est avancée en âge, obligée d’avoir avec elle deux personnes, tant pour l’assister en ce bon œuvre que pour la soulager en ses infirmités, elle ne peut subsister de cela, ce qui la fait résoudre de se retirer et de vendre ladite maison ; que pour éviter ce grand mal, il est à souhaiter que Dieu suscite quelques gens de bien qui lui donnent moyen de soutenir la dépense où cette entreprise et son état présent l’engagent ; qu’il y va de peu de chose, puisque deux ou 300 livres suffiront avec ce qu’elle a (vous mettrez la somme que vous jugerez à peu près nécessaire, et non davantage, car on se rebute du trop demander) ;

Lettre 1936 — L a — Dossier de Turin, original

 

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que, moyennant cette assistance, pendant le peu de vie qui reste à cette demoiselle, elle laissera à jamais sa maison et ses meubles pour continuer le dessein qu’elle a commencé, et même une nièce qu’elle y a élevée, qui fera après sa mort ce qu’elle lui voit faire, étant résolue de se donner à Dieu pour cela, et qui pourra subsister des cent écus qu’elle laissera, etc. Vous ferez la lettre de la manière qu’il vous plaira, pourvu qu’elle se puisse montrer, qu’elle soit pressante, succincte et nette. En voilà le sens.

Mais ne pouvez vous pas assister cette pauvre bonne demoiselle sur les 1.200 livres que nos dames vous font donner par an, lui donnant 15 ou 20 livres par mois ? Car je crains que je ne puisse pas lui procurer d’autre soulagement ; les bourses sont fort resserrées de deçà, et la charité refroidie. Je ne laisserai pas d’en parler aux occasions (1).

Nous tâcherons de vous envoyer un frère. Je ne puis vous dire si ce sera François Prévost (2), que l’affaire de son pays ne soit vidée. Il a écrit pour cela, et moi aussi.

J’ai fait ici réponse à la lettre du R. Père gardien du couvent de Charleville touchant un écolier.

1) Pour détourner les familles catholiques pauvres de Sedan d’envoyer leurs filles dans les écoles protestantes, Louise de Malval, dame de Neufville, avait établi dans cette ville une école gratuite, qui passa, après sa mort, sous la direction de sa collaboratrice Mademoiselle de Mutigny. Elle avait fondé de plus un pensionnat, où des jeunes filles apprenaient à lire et à écrire, se formaient aux travaux manuels et surtout aux bonnes mœurs et où trouvaient asile les femmes qui voulaient abjurer l’hérésie. Trois personnes vertueuses, Suzanne Baillif, Jeanne Tonnelier et Madeleine Vernier, continuèrent son œuvre Elles firent venir de Metz sept filles de la Propagation de la Foi, auxquelles elles s’unirent. La petite communauté, dont Mademoiselle Marie Foucault fut la première supérieure, prit à sa charge la classe gratuite de Mademoiselle de Mutigny après la mort de cette dernière.

2) François Prévost, né à Eu (Seine-Inférieure), entré dans la congrégation de la Mission le 6 mars 1647, à l’âge de vingt-six ans, reçu aux vœux le 4 novembre 1655.

 

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Nous n’avons rien de nouveau que nos retraites, lesquelles je recommande à vos prières, qui suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Coglée, supérieur des prêtres de la Mission, à Sedan.

 

1937. — A UN SUPÉRIEUR

Vous me parlez de commencer votre bâtiment ; ô Jésus ! Monsieur, il n’y faut pas penser pour le présent ! C’est une grande miséricorde que Notre-Seigneur a faite à la compagnie, de lui donner le logement tel qu’il est, en attendant qu’il plaise à sa divine bonté de nous envoyer du secours. Quant aux inconvénients que vous m’alléguez, ne pouvant faire autrement, nous n’en serons pas la cause. Et puis ce procédé me semble avoir quelque rapport à la conduite de Dieu sur son peuple, ayant permis un grand désordre par plusieurs siècles et la perdition d’une infinité d’âmes, pour mettre un ordre tout divin et les sauver tous par la venue, la vie, la passion et la mort de son Fils, lequel il a envoyé au temps qu’il a vu son peuple plus disposé à le recevoir par tant de semonces, de prophéties et de souhaits du côté du peuple. Si c’est en moi une fausse vue, je m’en rapporte ; et si vous m’en donnez une meilleure, je la prendrai de bon cœur.

Lettre 1937. — Reg. 2, p. 144. La lettre est adressée "à un supérieur qui voulait bâtir sans avoir de quoi et demandait que la maison de Saint-Lazare y contribuât, disant que, faute de cela, on omettait à faire beaucoup de bien, et que même cela faisait du mal, vu que les particuliers se déréglaient et dégoûtaient, étant pauvrement logés"

 

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1938. — A FRANÇOIS VINCENT, PRÊTRE DE LA MISSION A GÈNES

Du 8e octobre 1655.

J’ai reçu plusieurs lettres de vous depuis votre départ et une grande consolation de votre heureuse arrivée à Gênes, de laquelle je rends grâces à Dieu, comme d’une grâce que nous lui avons instamment demandée et qui devait précéder celles qu’il vous prépare. Nous le prions qu’il vous en remplisse, pour l’accomplissement des desseins qu’il a sur vous au lieu où vous êtes et dans les emplois où vous allez entrer ; que vous soyez comme un moyen d’union dans la maison, comme un exemple vivant de la règle et un sujet de joie et d’édification à ceux qui vous verront, et que chacun reconnaisse en vous comme doit être fait un vrai missionnaire Ce sont les souhaits de mon cœur et l’espérance que j’ai conçue de la bonté du vôtre, que le mien chérit tendrement.

 

1939. — A CHARLES OZENNE

[8 octobre 1655] (1)

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Voici deux ordinaires que je n’ai point reçu de vos let-

Lettre 1938. — Reg. 2, p. 334.

Lettre 1939. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

1) Sur l’original, la date a disparu avec le haut de la page, rongé par l’humidité ; mais le contenu nous permet de la deviner. La lettre a été écrite pendant le séjour de Charles Ozenne à Cracovie (24 septembre 1655 - 17 décembre 1655 ; cf. Lettres 1924 et 1976), alors que le saint faisait sa retraite annuelle (fin septembre ou début d’octobre) et était privé depuis quinze jours des nouvelles de Charles Ozenne, par suite une semaine avant la lettre 1942, qui est du 15 octobre.

 

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affaires, j’en ai une grande affliction, et plus grande que je ne puis vous dire. Je ne laisse pas de vous écrire toutes les semaines pour tâcher de vous exprimer ma douleur, et par vous à la reine, pour la peine où elle se trouve ; ensemble les prières que nous faisons sans cesse à Dieu, à ce qu’il ait agréable de bénir les armes du roi et de protéger le royaume ; ce que j’espère qu’il fera ; et bien que les faux bruits qui courent de deçà, que nous ne croyons pas, dussent donner quelque diminution à cette espérance, je la sens néanmoins tout entière. La France a été deux ou trois fois sur le point d’un bouleversement irrémédiable, en sorte que le roi n’avait une fois qu’une seule ville qui lui fut soumise ; et il n’y a que deux ou trois ans que nous avons vu trois armées aux environs de Paris, le roi chassé et tout le royaume quasi révolté. Tout est néanmoins revenu au premier point, et jamais le roi ne fut plus absolu. Dieu permet quelquefois ces grandes agitations qui ébranlent les États les plus fermes pour faire ressouvenir les souverains de la terre qu’ils relèvent de sa royauté et qu’ils [ne] sont pas sans dépe[ndance, no]n (2) plus que leurs propres sujets ; mais, cela fait, il les rétablit ; enfin il abaisse et relève quand il lui plaît et qui bon lui semble (3). C’est à nous d’adorer ses conduites et de nous confier en sa bonté.

Écrivez-nous l’état des choses tant que vous pourrez ; si la voie ordinaire vous manque, vous n’aurez qu’à vous servir de celle de Vienne en Autriche ; car j’ai vu dans la carte que vous n’en êtes éloigné que de cinquante

2) L’original est en cet endroit rongé par l’humidité.

3) Ce passage est à rapprocher de l’exorde de l’oraison funèbre de Henriette de France par Bossuet, disciple de saint Vincent ; la ressemblance est frappante.

 

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lieues. La reine ne manquera pas d’occasions pour écrire en France, et ainsi j’espère que vous nous consolerez de vos chères nouvelles.

Dieu veuille bénir et consoler votre petite famille ! Je l’embrasse avec toute l’humilité et la tendresse que je le puis, particulièrement votre chère âme. Nous n’avons rien de nouveau de deçà que je ne vous aie déjà mandé. Je commençai hier ma retraite, qui m’empêchera de rendre mes devoirs à M. Conrard sur son départ, qu’on m’a dit devoir être demain. Celui de M. des Noyers a été si subit que je n’ai pu avoir l’honneur de le voir auparavant. Il est vrai que j’ai été deux ou trois fois chez lui sans avoir eu le bonheur de le rencontrer, non que j’eusse pour lors dessein de prendre congé de lui, ne sachant pas qu’il dût s’en aller si tôt, mais c’était pour lui témoigner mon affliction de l’état des a[ffaires de Polo]gne [et lui faire connaître les] (4) obligations que nous avons à Sa Majesté.

Derechef je prie Notre-Seigneur qu’il soit votre lumière et votre force en tous les accidents de cette vie, vous assurant que je serai, dans le temps et dans l’éternité, avec la grâce de Dieu, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

ind. p. d. l. M.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, à Cracovie.

4) Passage rongé par l’humidité.

 

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1940. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT.

Veille saint Denis [8 octobre 1655] (1)

Mon très honoré Père.

Je supplie très humblement votre charité me permettre lui recommander le besoin que mon fils a de ses prières pour obtenir de Notre-Seigneur, par les mérites des opprobres et injures qu’il a entendues en sa vie humaine la guérison de sa surdité, si cette demande n’est point contraire à son absolue volonté.

Je ne la souhaite point qu’avec la grâce qu’il fasse une forte résolution de ne point souffrir que Dieu soit offensé en sa petite famille. Le bon frère Fiacre lui a promis de commencer demain, jour saint Denis, une neuvaine à la sainte Vierge. Il m’est venu en pensée de vous demander permission, mon très honoré Père, de communier tous les jours et faire quelqu’autre bonne action chacun de ces jours, pourvu que la dureté de mon cœur ne me le doive point empêcher. Votre volonté sur cela s’il vous plaît.

L’exercice de nos sœurs officières paraît bien aller, Dieu merci. Nous commençâmes mardi notre petit conseil sur le sujet du retour de nos sœurs de Nantes, la manière de les recevoir, et proposâmes qui nous devrions envoyer à Chateaudun. Mais l’incertitude d’y devoir appeler la sœur dépensière, à cause du peu de temps qu’elle est à la compagnie, pour ne point faire murmurer, nous en empêcha.

Nous avons grand besoin de vos ordres et saintes conduites en toutes choses pour la perfection de l’œuvre qui paraît commencer à se former. J’espère que la bonté de Dieu vous l’inspirera et nous donnera les dispositions à vous obéir, puisque sa volonté a été que je sois, mon très honoré Père, votre très humble et très obéissante fille et servante.

L. de M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 1940. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Le frère Ducournau a marqué l’année au dos de l’original.

2) Dans les lettres qui suivent, il ne sera plus fait mention de Michel Le Gras. Le fils de Louise de Marillac cessa d’être bailli de Saint-Lazare en 1656 à cause de sa surdité Il mourut subitement en février 1696 dans sa 83e année.

 

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1941. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION,

PROFESSEUR AU SÉMINAIRE DE SAINTES.

10 octobre 1655.

J’ai reçu une grande joie de votre lettre, encore que vous me l’ayez écrite dans un sentiment de peine, parce que j’y vois la candeur de votre esprit et quelque chose de Dieu, qui se plaît à vous exercer. Ceux qui vous ont donné la pensée que vous n’êtes pas propre pour la conduite du séminaire ne vous connaissent pas comme je vous connais ; et pour avoir vu quelque séminariste peu disposé à profiter de vos leçons, il ne s’ensuit pas que les autres ne vous estiment et ne s’avancent sous votre direction. Il y a certaines personnes si mal faites que, quand elles auraient un saint Thomas pour les élever, il n’empêcherait pas qu’elles ne fissent voir ce qu’elles sont. Je vous prie de ne vous pas étonner de l’indiscrétion de quelques-uns ; comme tout change, Dieu vous ôtera ces esprits fâcheux et vous en donnera d’autres plus dociles et plus affectionnés à leur profession, qui feront bon usage de vos bons exemples et de vos instructions. Continuez, s’il vous plaît, de les leur donner, pour le moins jusqu’à l’arrivée du visiteur, à qui vous direz tout ; et alors, s’il trouve à propos de vous décharger de cet emploi, nous vous en donnerons un autre. Dieu merci, nos occupations sont diverses, et je ne manque pas de désir de vous donner toute satisfaction.

Lettre 1941. — Reg. 2, p. 334.

 

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1942. — A CHARLES OZENNE.

De Paris, ce 15 octobre 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici trois semaines passées que je n’ai point reçu de vos lettres. Je ne laisse point de vous continuer les miennes par tous les ordinaires, afin qu’il ne tienne pas à moi que vous ne soyez consolé de nos nouvelles, et, si Dieu permet qu’elles vous soient rendues, que vous soyez assuré de nos prières pour le roi, la reine, le royaume, votre personne et votre famille. Nous entendons divers bruits qui nous tiennent entre la crainte et l’espérance. Pour moi, quand je pense à la piété de Leurs Majestés et aux prières que toute l’Église fait à Dieu pour prendre en protection leurs États et la religion, je ne puis douter que cela n’advienne ; et, quelque chose que l’on dise, j’espère, contre l’espérance même, que la justice de leurs armes prévaudra sur la force et l’iniquité des adversaires. C’est à cette fin que j’ai recommandé ce matin à la compagnie de renouveler ses prières et redoubler ses mortifications ; à quoi il semble qu’elle se porte d’elle-même, tant le sujet en est important et tant elle s’y sent obligée par les bienfaits de la reine. Je vous prie d’assurer de cela Sa Majesté, ensemble de la continuation invariable de nos prières et de nos obéissances.

Mon Dieu ! Monsieur, que je serai en peine jusqu’à ce que je reçoive de vos lettres par lesquelles j’apprenne l’état des affaires et de la compagnie ! Je vous plains

Lettre 1942 - L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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certes, sachant que votre cœur charitable ne souffre pas seulement sa propre peine, mais encore celle des autres. Plaise à Dieu de vous fortifier dans ces accablements, de vous illuminer en vos doutes et de vous faire arriver heureusement au point où la Providence veut conduire votre petite barque. Confiez-vous fort en sa conduite, et excitez vos gens à cette confiance dans les agitations présentes ; la tempête cessera, et le calme sera plus grand et plus agréable que jamais.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà. La compagnie va toujours son petit train, et chacun se porte bien, excepté M. Le Gros, qui, faisant les visites de nos maisons de Gascogne, est tombé malade à Montauban et n’est pas sans danger. Priez pour nous, s’il vous plaît. Je vous dirai d’autres nouvelles quand j’aurai plus d’assurance que mes lettres vous sont rendues.

Je suis cependant à la vie et à la mort, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Depuis la présente écrite, qui fut hier, l’on nous a mandé, et le bruit court que le roi a battu le roi de Suède et pris sa personne prisonnière, et ce bruit est commun à Paris (1) 0 Monsieur, que je prie Dieu de bon cœur qu’il bénisse de plus en plus le roi et la reine et leur royaume !

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, à Cracovie.

1) Le bruit était faux

 

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1943. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

16 octobre 1655.

L’avanie qu’on a faite à M. Le Vacher, a Tunis (1), se doit payer par une pièce d’étoffe ; je vous prie de la faire acheter et de la lui faire tenir au plus tôt, telle que vous savez qu’il la faut. N’y mettez pas davantage de 200 livres.

 

1944. — AU MARQUIS DE PIANEZZE.

10 octobre 1655.

Monseigneur,

Selon votre ordre, nous vous envoyons quatre de nos prêtres. Ils sont tels qu’avec la grâce de Dieu ils pourront rendre quelque petit service à Notre-Seigneur à l’égard du pauvre peuple de la campagne et de l’état ecclésiastique ; mais, pour le faire utilement, il importe, Monseigneur, que, conformément à nos règles et à notre usage, ils ne prêchent ni confessent dans la ville de Turin ni en d’autres épiscopales, si ce n’est les ordinands, les exercitants et les séminaristes, quand il y aura un séminaire ecclésiastique, et surtout, Monseigneur, qu’ils ne soient point employés à l’assistance des religieuses ; car ce seraient là des empêchements comme essentiels à évangéliser les pauvres gens de la campagne dans l’esprit de Notre-Seigneur.

Lettre 1943Manuscrit de Marseille

1) Chassé de Tunis par le bey sous prétexte qu’il empêchait les esclaves chrétiens de se faire turcs, Jean Le Vacher s’était retiré à Bizerte. Grâce à l’intervention du consul, il put rentrer à Tunis après un mois. Pour remercier le bey de sa clémence, il désirait lui offrir une pièce d’étoffe. (cf. 1. 1990

Lettre 1944. — Reg 2, p. 68.

 

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Vous trouverez beaucoup de défauts en ces pauvres missionnaires. Je vous supplie très humblement, Monseigneur, de les supporter, de les avertir de leurs manquements et de les corriger, comme un bon père ses enfants. Je vous transfère le pouvoir que Dieu m'a donné pour cela. Plût à Dieu que je fusse en lieu de me prévaloir de l'avantage qu'ils auront de vous approcher, Monseigneur, et de profiter des paroles de la vie éternelle qui sortent de votre bouche, et de tant de bons exemples que votre vie donne à tout le monde ! J'en espérerais quelque secours pour amender la mienne et en devenir à meilleur titre votre...

 

1945. —A JEAN MARTIN

De Paris, ce 22e d'octobre 1655.

Monsieur,

La grâce! de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Plaise à sa bonté infinie que la présente vous trouve à Lyon en bonne disposition et bien satisfait de votre voyage (1) ! Depuis votre départ, il nous est survenu un affaire où il est expédient que M. Deheaume (2) soit appliqué, et qui nous a obligé de vous destiner M. Planchamp (3) à sa place. Le voilà donc qui va partir avec le messager de Lyon, où il pourra arriver aussitôt que vous.

Lettre 1945. — L. s. —Dossier de Turin, original.

1) M. Martin. était envoyé à Turin pour y diriger l'établissement fondé par le marquis de Pianezze.

2).Pierre Deheaume, né a Sedan le 20 août 1630, entré dans la congrégation de la Mission le 8 octobre 1646, reçu aux voeux en 1651 placé à Turin, puis à Annecy (1656) ; il dirigea la maison de Marseille de 1662 à 1655 et celle de Toul de 1667 à 1669.

3).Jean-Jacques Planchamp, né à Mionnay (Ain) le 8 décembre 1627, ordonné prêtre en 1651, entré dans la congrégation de la Mission le 29 avril 1655, reçu aux vœux à Turin le 12 mai 1657. Il quitta la compagnie en 1659.

 

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C'est un fort bon prêtre, duquel vous tirerez service et consolation, avec l'aide de Dieu. J'en écris à Mgr le marquis de Pianezze comme d'un bon sujet, pour le lui faire agréer, nonobstant sa cécité. Je lui ai déjà écrit pour lui donner avis que vous êtes en chemin, et voici un mot pour M. Deheaume, afin qu'il attende à Lyon (1), où nous avons besoin de lui. Vous lui ferez donner (5), s'il vous plaît, l'argent qu'il faudra pour son secours (6) par M. Delaforcade.

Je prie Notre-Seigneur, Monsieur, qu'il ait agréable de vous continuer sa protection et d'être lui-même votre conduite dans le dessein du voyage, aussi bien que dans le voyage même. Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je vous prie de me mander en diligence ce que vous aurez fait avec M. le grand vicaire et M. Charrin (7).

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Lyon.

 

1946. —A JEAN MARTIN

De Paris, ce 22e d'octobre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais!

La présente est pour vous adresser celle que je me

4) Première rédaction : afin qu'il s'en aille Les mots attende à Lyon sont de la main du saint.

5) Première rédaction : vous lui donnerez. Le mot ferez est de la main du saint.

6) Les mots son secours sont de la main du saint.

7) Voir la lettre 1917.

Lettre 1946. — L . s. — Dossier de Turin, original La première

 

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donne l'honneur d'écrire à Mgr le marquis de Pianezze au sujet de votre voyage, et pour vous dire que depuis votre départ il nous est arrivé un affaire qui requiert que M. Deheaume vous quitte à Lyon et qu'il y demeure quelques jours jusqu'à ce que je lui mande le lieu où Notre-Seigneur l'appelle. Nous vous envoyons à sa place M. Planchamp, qui est un fort bon prêtre, qui est parti ce matin avec le messager pour vous aller joindre à Lyon, et qui vous porte une de mes lettres, et à M. Deheaume une autre. J'espère que vous et lui adorerez la conduite de Dieu en ce changement imprévu et qu'elle trouvera en vos cœurs un prompt et amoureux acquiescement. Je l'en prie de toute mon affection, comme aussi de vous conserver et de vous bénir pour accomplir les desseins qu'il a sur vous, à qui je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Lyon.

 

1947.— A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GENES

A propos des vœux, il a donc plu à Dieu et à notre Saint-Père le Pape d'approuver ceux que nous faisons ; j'en ai reçu le bref (1), et nous l'avons offert à Notre-Sei-

phrase de cette lettle indique pourquoi saint Vincent l’a écrite ; elle ne contient rien de plus que la lettre 1945, partie le matin du même jour.

Lettre 1947. — Reg. 2, p. 16.

1).Le Bref Ex commissa, du 22 septembre 1655 (Acta apostolica in gratiam Congregationis Missionis, p. 16), confirmait et approuvait

 

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gneur comme un ouvrage de sa main. M. Jolly vous en doit envoyer une copie authentique, laquelle je vous prie de présenter à Monseigneur le cardinal Durazzo, comme un effet de ses prières et de ses recommandations Quant à la dépendance des évêques, je vous puis assurer que je n'ai aucunement contribué à lui faire donner l'explication portée par ledit bref (2); je n'en ai écrit ni paré de près ni de loin ; cela s'est fait par ces messieurs que le Pape a députés, qui ont jugé convenable de la coucher dans le sens qu'elle est. Or vous savez que la volonté de Dieu ne peut nous être mieux connue dans les événements que quand ils arrivent sans nous, ou autrement que nous ne les demandions. Toujours est-il vrai que Messeigneurs les évêques ont un pouvoir absolu sur nous pour toutes nos fonctions extérieures, et aussi bien pour les séminaires et les ordinations que pour les missions.

 

1948. —- A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

22 octobre 1655.

Nous avons reçu le bref portant approbation de nos vœux, grâces à Dieu. C'est à lui que nous en avons la principale obligation, étant vrai que sans une spéciale conduite de sa part il nous eût été impossible de surmonter les difficultés. C'est lui qui de sa grâce a dis-

l’usage déjà élabli dans la congrégation de la Mission d’émeltre les vœux simples de pauvreté, chasté, obéissance et stabilité après deux ans de probation, en vue de travailler jusqu’à la mort au salut des pauvres gens des champs, et ajoutait que seuls le Souverain Pontife et le supérieur général pouvaient en dispenser

2).Le bref exemptait les missionnaires de la juridiclion des ordinaires en tout sauf pour les fonctions extérieures, et les déclarait nonobstant ce privilège, du corps du clergé séculier.

Lettre 1948. — Reg. 2, p. 15.

 

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posé Nosseigneurs les cardinaux, les docteurs et les autres qui ont contribué au succès de cette affaire, et le Pape même, à nous favoriser dans ce dessein pour l'affermissement de la compagnie. C'est lui aussi, Monsieur, qui vous a choisi pour être le promoteur et comme l'âme de cette poursuite; il vous en a donné ici les mouvements, et il a béni de delà votre conduite d'une manière en quelque façon admirable, ayant même surpassé notre espérance. Que sa divine bonté en soit donc à jamais glorifiée, qu'elle soit votre récompense des peines que vous y avez prises, et qu'elle-même vous fasse connaître la reconnaissance que j'en ai !

Je vous remercie de ce que vous me mandez touchant la dépendance des évêques. Nous nous en tiendrons à cela, puisque la volonté de Dieu nous est connue par ce bref. Je mande à M. Blatiron que l'explication de cette dépendance, au sens qu'elle est couchée, a été faite par ces Messieurs les docteurs à Nosseigneurs les députés sans que j'en aie écrit ni parlé. C'est pour lui ôter la difficulté qu'il y trouve, dans la pensée qu'il a que cela vient de nous et que Nosseigneurs les évêques en seront choqués. J'estime aussi qu'ils n'auront pas sujet de l'être, ayant, comme ils ont, un pouvoir absolu sur toutes nos fonctions extérieures.

 

1949. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 22 octobre [1655] (1)

Mon très honoré Père,

S'il plaît à votre charité prendre la peine de voir ces lettres, craignant qu'elles ne soient contraires à celles qu'elle écrit ? Ma sœur de St-Albin est en grande peine de l'affaire dont

Lettre 1949. —L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1).Date ajoutée au dos de l'original par le frère Ducournau.

 

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elle vous a parlé, et dit ne se pouvoir résoudre d'en rien dire à Monsieur Portail et de n'attendre pas même son retour pour donner ordre et tirer un enfant d'une mauvaise mère. Peut-être voudrait-elle bien, avant quitter l'habit des Filles de la Charité, se défaire de cela, pour faire croire facilement que c'est une charité qu'elle fait. Mais je crains la suite. Ordonnez, Monsieur, s'il vous plaît, ce que nous ferons.

Je crois que ma petite fièvre n'est causée que de ma mauvaise rate qui durcit et me couvre une partie de l'estomac. Si c'est la clef pour bientôt sortir de ce monde, j'ai bien besoin d'apprendre à m'y préparer. C'est ce que j'attends de votre charité pour ne point faire naufrage au port de ma navigation entièrement par sa conduite et l'ordre de la divine Providence, comme vous savez que je suis, mon très honoré Père, votre très humble fille et très obéissante servante

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1950. —A DONAT CRUOLY, SUPÉRIEUR, AU MANS

Du 27 octobre 1655.

Je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, de ne point penser d'avoir un cheval, pour les inconvénients arrivés aux maisons où il y en a eu. Je sais bien que je donne ce mauvais exemple ; mais Dieu sait la confusion et la peine que je souffre de ne pouvoir faire autrement. Je sais aussi que, s'il y a maison dans la compagnie qui doive avoir un cheval à selle, c'est la vôtre, pour la quantité de fermes et d'affaires qu'elle a ; mais à cause de la conséquence que les autres maisons en pourraient tirer, il est nécessaire, Monsieur, que la vôtre s'en passe, pour leur ôter ce prétexte. Il y a eu des supérieurs qui, ayant un cheval à l'écurie, prenaient sujet de s'aller promener, de faire des visites et de perdre du temps à négocier au dehors des affaires peu ou point utiles, négli-

Lettre 1950. — Reg. 2, p. 133.

 

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geant ainsi l'intérieur de leurs familles, qui murmuraient de ces absences fréquentes et du scandale qui en arrivait. J'espère qu'après cela vous agréerez la privation d'une telle commodité, pour continuer à vous servir de chevaux de louage, quand il y aura nécessité d'en prendre.

 

1951.—A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Béni soit le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vous a si suavement et si fortement inspiré la mission que vous avec entreprise pour la propagation de la foi ; et béni soit le même Seigneur, qui non seulement est venu au monde pour racheter les âmes que vous allez instruire, mais encore pour vous mériter les grâces qui vous sont nécessaires, afin de procurer leur salut et le vôtre ! Puis donc que ces grâces-là vous sont toutes préparées et que le bon Dieu, qui les donne, ne désire rien tant que d'en faire largesse à ceux qui s'en veulent bien servir, à quoi tiendra-t-il que vous n'en soyez rempli et que par leur vertu vous ne détruisiez en vous les restes du vieil homme, et dans ce peuple les ténèbres de l'ignorance et du péché ? Je veux espérer que de votre côté vous n'y épargnerez ni les travaux, ni la santé, ni la vie ; c'est pour cela que vous vous êtes donné à lui et exposé au péril d'un long voyage ; et partant il ne reste plus sinon que vous preniez une forte résolution de mettre tout de bon la main à l'œuvre. Or, pour bien commencer et pour bien réussir, souvenez-vous d'agir dans l'esprit de Notre-Seigneur, d'unir vos actions aux siennes et de leur donner une fin toute noble et toute

Lettre 1951. -—Abelly, op cit., 1. III, chap. X, p. 100

 

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divine, les dédiant à sa plus grande gloire ; moyennant quoi, Dieu versera toute sorte de bénédictions sur vous et sur vos œuvres ; mais il arrivera peut-être que vous ne les verrez pas, au moins dans toute leur étendue; car Dieu cache quelquefois à ses serviteurs les fruits de leurs travaux, pour des raisons très justes ; mais il ne laisse pas d'en faire réussir de très grands. Un laboureur est longtemps avant que de voir ceux de son labour, et quelquefois il ne voit point du tout la moisson abondante que sa semence a produite. Cela,même est arrivé à saint François Xavier, lequel n'a pas vu de son temps les fruits admirables que ses saints travaux ont produits après sa mort, ni les progrès merveilleux qu'ont eus les missions qu'il avait commencées. Cette considération doit tenir votre cœur fort au large et fort élevé en Dieu, dans la confiance que tout ira bien, quoiqu'il vous semble le contraire.

 

1952.—A EDME JOLLY,SUPÉRIEUR,A ROME

29 octobre 1655.

Nous avons proposé le bref de notre Saint-Père à la famille de céans, tant aux prêtres qu'aux clercs et frères coadjuteurs, auxquels je fis entendre comme il a plu à Dieu de donner à la compagnie, dès le commencement, le désir de se mettre dans l'état le plus parfait qu'elle pourrait, sans entrer en celui de religion ; qu'à cet effet nous avions fait des vœux pour nous unir plus étroitement à Notre-Seigneur et à son Église, et le supérieur de la compagnie à ses membres, et les membres au chef ;

Lettre 1952. —Reg 2, pp. 16, 56.

 

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que ce fut dès la 2e ou 3e année (1) ; que ces vœux de pauvreté, etc., étaient simples, et que nous les renouvelâmes deux ou trois ans de suite ; qu'enfin nous en avions fait une règle, qui avait été approuvée par Monseigneur l'archevêque de Paris (2) et que nous les fîmes ensuite ensemblement ; mais qu'à peine eûmes-nous fait cela, que le murmure commença par quelques-uns de la compagnie, qui se répandit au dehors ; ce qui nous donna sujet d'assembler les principaux docteurs de Paris, et leur ayant proposé,si nous avions pu faire ce que nous avions fait, ils furent d'avis de l'affirmative. En suite de quoi nous fîmes une assemblée ici des principaux supérieurs et de quelques anciens de la compagnie (3), et entre autres choses, nous y traitâmes du même sujet ; et ayant été de l'avis des docteurs, ils estimèrent que nous devions continuer, nonobstant les difficultés qui s'y rencontraient au dedans et au dehors. Mais, comme l'esprit malin, qui contredit toujours les œuvres de Dieu, ne se rend qu'à l'extrémité, les mêmes difficultés continuèrent et augmentèrent, ce qui nous obligea derechef de voir les mêmes docteurs et de savoir s'ils étaient dans les mêmes sentiments, en suite des difficultés qu'on faisait de nouveau ; et, persévérant dans leurs premières opinions, ils nous les donnèrent par écrit ; et trois Jésuites des plus considérables signèrent aussi le même avis ; ce qui n'eut pourtant pas la force d'arrêter les esprits. Nous fîmes une seconde assemblée des principaux supérieurs de la compagnie (4), entre lesquels étaient ceux de Rome et de Gênes et les anciens de la même compagnie, lesquels fu-

1) Le 9 septembre 1629, d'après le coutumier manuscrit de la paroisse de Fontainebleau. (Arch. du presbytère.)

2).Le 19 octobre 1641.

3).En octobre 1642.

4).En juillet-août 1651

 

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rent d'avis, comme la première fois, qu'il fallait continuer. Mais la contradiction ne cessant pas pour cela, nous nous sommes trouvés obligés de recourir à l'oracle de la volonté de Dieu, qui nous avait donné un bref par lequel il confirme nosdits vœux en la manière que nous les avons faits. Ayant dit ces choses à la communauté assemblée, nous lui avons ensuite fait faire lecture dudit bref en latin et en français, et je leur demandai à tous s'ils avaient agréable de le recevoir et de s'y soumettre ; lesquels déclarèrent tout haut qu'ils le voulaient bien et qu'ils en rendaient grâces à Dieu et à notre Saint-Père. Après quoi, ils en ont tous signé un acte qui contient à peu près ce que je viens de dire et la copie du bref. Et le tout a été reconnu par deux notaires (5).

Nous avons agité avec nos prêtres anciens qui ont été à Rome, par deux diverses fois, l'achat de Saint-Jean-Mercatelli, et plusieurs d'entre eux ont fait l'oraison sur ce sujet, savoir s'il est expédient d'entendre à traiter de cette maison ; enfin la résolution est allée à l'exclusion, à cause de la cure qui y est attachée, et qu'en la desservant ce serait un acte formellement contraire à notre règle, qui nous éloigne d'un tel emploi dans les villes ; et cela dans Rome, qui servirait de prétexte à l'avenir d'en faire de même partout et de se contenter de cet emploi seulement, laissant celui d'aller chercher les pauvres âmes pécheresses à la campagne, l'esprit italien, à ce qu'on dit, n'aimant pas tant la fatigue ; ce qui serait un grand dommage et un sujet de perversion de l'esprit que Notre-Seigneur a mis dans la compagnie. Demeurons-en donc là, Monsieur, s'il vous plaît, et honorons

5) Le 22 octobre.

 

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avec patience l’état du Fils de Dieu, qui ne voulut point avoir un lieu à lui pour y reposer sa tête, jusqu’à ce qu’il lui plaise nous tirer lui-même de cet état.

 

1953. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce dimanche au soir. [31 octobre 1655] (1)

Mon très honoré Père,

Les deux sœurs qui vous parlèrent en une des 2 dernières conférences et dont votre charité me parla pour le désir de faire les vœux la première fois demain jour de tous les saints, s’y sont préparées. Si vous leur voulez faire cette grâce pour l’amour de Dieu, et de les offrir au saint sacrifice de la messe ? L’une est à la compagnie y a 7 ans, et l’autre six, et, depuis quelques années, à édification.

Deux autres firent les vœux à pareil jour et demandent aussi à votre charité de les renouveler. Il n’a point paru qu’elles aient rien fait contre, et sont dans le désir de la persévérance. L’une est de Dammartin, l’autre d’auprès de Maule ; les deux premières, l’une de Richelieu, et l’autre de longtemps habituée à Paris, si elle n’en est. Leur nom est Perrine, Marie, Geneviève et Avoie (2), pour lesquelles et pour toute la compagnie je supplie votre charité nous donner votre bénédiction.

Crainte que Monsieur Bécu n’oublie à vous proposer une petite conférence pour quelques-unes de ces fêtes, sans vous mettre en danger d’en être incommodé, je ne serais si importune, n’était la longueur du sujet et l’importance, ce qui me fait espérer le pardon que vous demande, mon très honoré Père, votre très humble et très obligée fille et servante.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 1953. — L..a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Le frère Ducournau a marqué au dos de l’original le mois en. l’année.

2) Avoie Vigneron.

 

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1954. — EDME JOLLY, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

[Rome, vers novembre 1655] (1)

Oh ! que si tous savaient la volonté de Dieu en cette affaire-ci (2), les difficultés qu’il a vaincues contre toutes les puissances qui s’y sont opposées et contre toute apparence qu’elle pût réussir, si lui-même ne l’eut faite par sa toute puissance, ainsi que ceux qui en ont eu connaissance le reconnaissent manifestement, il ne faudrait pas tant de précautions pour en proposer l’acceptation (3). Le Père procureur général de Citeaux serait d’avis que vous fissiez savoir, Monsieur, à toutes les maisons de la compagnie comment s’est passée cette affaire, les grandes oppositions que nous y avons eues et la singulière providence que Dieu a eue de l’affaire [par] laquelle il a montré clairement que c’était lui seul qui la voulait faire et la faisait contre toute apparence humaine, parce que c’était son bon plaisir.

 

1955. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 9e novembre 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

M. Deheaume m’ayant écrit que depuis son départ de Paris il avait changé de disposition et qu’il était résolu de bonne façon d’aller à Turin et d’y demeurer tant que l’obéissance lui ordonnera, je lui ai mandé de vous aller trouver pour faire le 4e, puisque aussi bien M. Jean-Baptiste (1),

Lettre 1954 — Notice manuscrite d’Edme Jolly, p. 21. (Cf. Notices, t. III, p 398)

1) Voir note 3

2) Les démarches pour l’approbation des vœux

3) L’acceptation du Bref Ex commissa, du 22 septembre 1655

Lettre 1955. — L. s. — Dossier de Turin, original

 

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sur lequel nous avions jeté les yeux pour cela, est destiné pour faire des missions dans le diocèse de Viterbe, duquel est évêque Mgr le cardinal Brancaccio, auquel nous avons des obligations très grandes et que je ne vous puis exprimer. Je vous prie donc, Monsieur, de recevoir M. Deheaume, porteur de la présente, comme un ouvrier tout plein de bonne volonté, ainsi que vous l’avez déjà reconnu par les chemins et que vous me l’avez mandé, qui se dispose à vous bien aider à travailler en la vigne de Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’ai eu 3 ou 4 jours de fièvre, dont je suis entièrement quitte depuis deux jours. Je me recommande de tout mon cœur à vos prières, comme, de mon côté, je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse vos travaux en ce pays-là.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Turin.

 

1956. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

12 novembre 1655.

Je rends grâces à Dieu des dévotions extraordinaires que vous vous êtes proposé de faire pour demander à Dieu, par le bienheureux saint Joseph, la propagation de la compagnie. Je prie sa divine bonté qu’elle les ait

1) Jean-Baptiste Taone.

2) François-Maria Brancaccio occupa les sièges de Viterbe. de Porto et de Capaccio ; il ! fut créé cardinal en 1634 et mourut le 9 janvier 1675. Il est l’auteur d’un recueil de dissertations latines.

Lettre 1956. — Reg. 2, p 36.

 

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agréables. J’ai été plus de vingt ans que je n’ai osé demander cela à Dieu, estimant que, la congrégation étant son ouvrage, il fallait laisser à sa providence seule le soin de sa conservation et de son accroissement ; mais, à force de penser à la recommandation qui nous est faite dans l’Évangile, de lui demander qu’il envoie des ouvriers à sa moisson, je suis demeuré convaincu de l’importance et de l’utilité de cette dévotion.

 

1957. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

Du 13 novembre 1655.

Ce n’est point mon avis que les vendredis vous quittiez le soin des affaires et de la famille pour ne vaquer qu’à votre intérieur. Vous pouvez néanmoins en ces jours-là vous tenir plus récolligé dans les affaires et plus uni à Dieu dans vos actions ordinaires. Il est difficile que les supérieurs qui ont charge d’âmes puissent faire ces fréquentes retraites que vous proposez.

Quant à l’incapacité que vous croyez être en vous pour l’emploi que vous exercez, souvenez-vous, Monsieur, que Notre-Seigneur a de la suffisance assez pour vous et pour tous les humbles, et demandez-lui qu’il ait assez de miséricorde pour moi.

 

1958. — A JACQUES CHIROYE, SUPÉRIEUR, A LUÇON

Du 14 novembre 1655.

Votre lettre me fait juger qu’il n’est pas expédient que vous remettiez la cure à M. Rasine pour les deux consé-

Lettre 1957 — Reg 2, p 158

Lettre 1958 — reg 2, p 163

 

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quences que je tire de votre raisonnement. La première est que Monseigneur l’évêque (1) ne l’aurait pas agréable, s’il savait que ce prêtre n’est pas de la compagnie ; et nous devons bien nous garder de faire aucune chose, non seulement qui le puisse fâcher, mais qui soit contre son intention, parce que nous ferions contre la volonté de Dieu.

La seconde est la simulation où vous tomberiez, indigne d’un chrétien, en faisant passer M. Rasine pour missionnaire, comme un moyen de le faire agréer à mondit seigneur. Ce serait une grande faute contre la simplicité de laquelle nous faisons profession, et un déguisement bien éloigné de l’usage des premiers chrétiens, desquels Pline le jeune rapporte qu’ils avaient coutume de ne rien faire en cachette, ni d’user d’équivoque. Il ne faut donc point penser que je consente à cette feintise.

Selon cela, Monsieur, je reviens à mon premier avis, qui est que vous remettiez la cure purement et simplement entre les mains de mondit seigneur. C’est lui qui vous l’a donnée ; déchargez-vous-en sur lui ; c’est la plus sûre voie pour n’être aucunement responsable devant Dieu, si celui qui vous succédera ne fait pas son devoir.

 

1959. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 14 novembre 1655] (1)

Mon très honoré Père,

Permettez-moi de vous dire qu’il est absolument nécessaire que votre jambe ne soit pas un demi-quart d’heure pendante,

1) Pierre Nivelle (1637-1661).

Lettre 1959. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau

 

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ni qu’elle sente du tout la chaleur du feu. Si elle a froid la faut réchauffer avec linge chaud par-dessus les chausses. Et si vous jugez à propos, mon très honoré Père, d’essayer de cette douce pommade, en frottant légèrement et pardessus un linge mouillé en 2 doubles dans de l’eau tiède, j’espère que cela y fera du bien. Quand le linge sera froid, il faudra le remouiller ; mais que l’eau ne soit pas chaude ni du tout froide. Les saignées ont affaibli votre corps, avec le mal ; et quand vous posez le pied à terre, la chaleur et les humeurs y vont comme à la partie la plus faible. Je voudrais bien que vous ne prissiez pas si grande quantité de verres d’eau et laissiez les entrailles se tempérer et rafraîchir pour ne pas envoyer si violemment la chaleur à la pauvre jambe malade. Avec avis du médecin, peut-être que le poids de demi-écu de cristal minéral dans le premier verre d’eau aiderait à passer plus facilement le reste. Ne suis-je pas bien téméraire de vous parler de la sorte ? Mais je sais que c’est à vous, qui savez que je suis, en vous demandant très humblement votre bénédiction. mon très honoré Père votre très humble et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC

Je prends tous les jours un demi-gros de thé et m’en treuve fort bien ; il donne de la force et de l’appétit.

Suscription : Monsieur Monsieur Vincent.

 

1960 — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[Novembre 1655] (1)

Avant que de répondre à votre lettre, je vous dirai que Monsieur Le Gros est devant Dieu ; il décéda à Montech, près de Montauban, le 7e de ce mois. Comme il avait vécu en vrai missionnaire, il est mort en saint. Monsieur [Lièbe], qui a le soin du séminaire et qui nous a donné la nouvelle de cette perte, nous a fort consolés dans cette affliction en nous marquant sa patience

Lettre 1960. — Manuscrit de Lyon.

1) Mois et. année de la mort de M. Le Gros.

 

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parmi ses douleurs et sa résignation à souffrir encore davantage, ensemble les autres pieux sentiments où il l’a vu dans le cours de sa maladie, et la joie avec laquelle il est parti de ce monde pour aller au ciel ; si bien, Monsieur, que nous avons sujet d’espérer que son âme y est maintenant toute glorieuse. Mais, comme les jugements de Dieu sont plus rigoureux qu’on ne pense et que même la justice du juste est sujette à l’examen, aussi bien que l’iniquité du méchant, ce cher défunt peut avoir aussi besoin des suffrages de l’Église. Je vous prie que votre maison lui donne les messes et les prières que la compagnie a coutume d’offrir à Dieu pour nos confrères trépassés.

 

1961. — EDME JOLLY, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

[Rome, novembre 1655] (1)

Ayant plu à la bonté de Dieu de terminer cette affaire, qui fut, comme je crois, le principal motif de mon envoi en cette ville, je crois être obligé, Monsieur et très honoré Père, de me démettre entre vos mains, comme je fais très humblement, de la supériorité de cette maison, laquelle vous m’avez fait prendre pour faciliter l’opportunité de notre susdite affaire. laquelle il a plaît à la bonté de Dieu d’achever, peut-être pour ne me pas laisser plus longtemps dans une charge dans laquelle je suis très indigne et laquelle aussi, Monsieur, votre charité ne m’a donnée qu’en attendant que M. Berthe, son légitime possesseur, la pût venir reprendre ou que vous envoyassiez quelqu’un capable de l’exercer. On se loue fort ici de M. Berthe, et voilà que la providence de Dieu l’a fait retourner à Paris, et dans un temps auquel il sera probablement plus facile d’obtenir cette permission de l’envoyer que par le passé.

Lettre 1961 — Notice Manuscrite d’Edme Jolly, p. 22. (Cf. Notices t. III, p 399)

1) A cette lettre semble répondre la lettre 1975, du 17 décembre 1655

 

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1962. — A ÉTIENNE, SUPÉRIEUR, A GÊNES

19 novembre 1655.

Il n’y a personne, pour sainte qu’elle soit sur la terre, qui n’ait quelque inclination au mal. C’est l’exercice des bonnes âmes et un sujet de mérite. Peut-être que saint Paul ne fut jamais tant enclin au péché que lorsque Dieu le toucha pour sa conversion, ni plus agréable aux yeux de Notre-Seigneur qu’au fort des tentations qu’il souffrit depuis. Cela étant, Monsieur, vous ne devez pas vous étonner si vous avez de pareilles pentes ; elles servent à vous humilier et à vous faire craindre ; mais vous le devez faire d’une si bonne façon, que vous soyez aussi excité à vous confier davantage en Dieu ; car sa grâce vous suffit pour vaincre les assauts de la nature rebelle. Je le prie qu’il vous fortifie en cela et en tous vos travaux, dans lesquels j’appréhende le trop.

 

1963. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

De Paris, ce 20e novembre 1655.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne sais à qui m’adresser qu’à vous pour faire tenir cinquante livres aux religieuses Annonciades de Stenay (1), qui sont fort pauvres. C’est une aumône qu’on leur fait. Je vous prie de les prendre de quelque marchand, de m’en tirer lettre de change, où vous ferez mention que c’est pour lesdites religieuses, et ensuite leur faire

Lettre 1962. — Reg. 2, p. 315

Lettre 1963. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Commune de la Meuse, près de Montmédy.

 

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toucher au plus tôt cette petite assistance par quelque voie assurée.

J’acceptai hier votre lettre de change de 800 livres, et nous tâcherons de la payer à Noël.

Je ne me trouve point de vos lettres auxquelles je n’aie fait réponse. J’en fis adresser une de Rome, avec un bref, à M. Cabel, mercredi dernier, sans la pouvoir accompagner d’une des miennes.

Je me porte mieux, grâces à Dieu, bien que je sois encore au lit et dans les remèdes pour un érésipèle qui m’est tombé à la jambe, depuis que la fièvre m’a quitté.

Nous aurons ici, demain ou après, quatre de nos prêtres de Pologne, qui ont été obligés d’en sortir, à cause que les ennemis de notre sainte religion ont inondé sur ce royaume-là. M. Ozenne est resté en Silésie (2) avec la reine, et M. Desdames à Varsovie avec M. Duperroy et un prêtre polonais qui s’est donné à la compagnie. Ledit sieur Desdames m’a mandé qu’ils sont en paix, nonobstant que la ville soit au pouvoir des Suédois 3, lesquels, pour n’y avoir trouvé aucune résistance, n’ont f ait aucun mauvais traitement aux habitants, sinon qu’ils ont obligé les curés et les communautés à racheter leurs églises, et nos gens ont été taxés pour la leur à 1.400 livres. Priez pour eux, s’il vous plaît.

Nous envoyons 12 ou 13 missionnaires en Bourgogne, pour y travailler cet hiver ; quelques-uns sont déjà partis.

Je vous embrasse en esprit, vous et votre famille, que Dieu veuille combler de ses bénédictions. Je suis en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

2) A Glogau.

3) Depuis le 8 septembre.

 

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M. Berthe est allé continuer les visites commencées par feu M. Le Gros ; il est maintenant à Richelieu.

Au bas de la première page : M. Coglée.

 

1964. — A LOUIS DE CHANDENIER

De Paris, ce 23 novembre 1655,

Monsieur,

J’aurais besoin d’un ange auprès de vous pour vous rendre des actions de grâces continuelles pour les bontés excessives que vous, Monsieur, et Monsieur l’abbé de Saint-Jean (1) avez pour moi. Je prie Notre-Seigneur qu’il en soit votre récompense.

Je me porte de mieux en mieux, grâces à Dieu, toujours néanmoins incommodé de ma jambe, en sorte que j’en suis encore au lit et dans les remèdes.

Je suis très fâché, Monsieur, mais à outrance, de la peine où vous vous mettez pour les sommes tirées de Rome, jusqu’à envoyer à Lyon pour les faire tenir ici. En vérité, vous n’êtes point excusable ; je vous ai dit que le grand St-Lazare (2) avait tout payé ; vous devez pour le reste attendre votre commodité, et non pas vous en mettre en sollicitude, comme vous faites.

Je vous renvoie la promesse des deux mille livres que vous avez faite à M. Blampignon, avec sa déclaration au dos comme il n’a pas donné cette somme. Je vous supplie, Monsieur, de la recevoir sans façon et de ne vous presser aucunement pour remplacer ces avances. Faites état que c’est vous-même qui les avez

Lettre 1964. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Claude de Chandenier, abbé de Moutiers-Saint-Jean.

2). Par opposition au petit Saint-Lazare, nom donné au séminaire Saint-Charles.

 

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faites, puisque cette maison est à vous et que vous avez un pouvoir souverain sur tout ce qu’elle a et sur ceux qui la composent.

Nous attendons à ce soir quatre de nos prêtres qui reviennent de Pologne, où les affaires vont toujours mal. La diversité dont on en parle fait que je ne vous en marque aucune particularité.

Neuf prêtres sont partis de céans pour la mission de Joigny, avec deux frères clercs et autant de coadjuteurs. Les voilà en Bourgogne pour tout l’hiver. Je recommande l’œuvre et les ouvriers à vos prières.

M. Berthe est allé continuer les visites commencées par feu M. Le Gros. M. Martin, qui est allé commencer l’établissement de Turin, y est heureusement arrivé avec ses compagnons ; ils y ont été accueillis fort gracieusement par Monseigneur l’archevêque (3) et par M. le marquis de Pianezza, qui veut faire cette fondation, très zélé pour la gloire de Dieu, honoré et estimé de tout le monde pour les biens qu’il fait, et qui est le chef du Conseil de Son Altesse Royale.

Nos pauvres prêtres de Rome sont séparés en deux ou trois bandes, qui travaillent en divers diocèses. M. Jolly s’exclame sur le besoin d’ouvriers, n’en pouvant fournir à tous Nosseigneurs les cardinaux qui en demandent. Celui de Gênes (4) après avoir fait sa retraite chez ses missionnaires, en leur compagnie, avec la même exactitude et simplicité qu’ils ont pu faire, les a envoyés en une grosse mission.

M. Jolly ne me dit rien de l’expédition que nous attendons ; c’est parce qu’il n’y avait point eu de consistoire et qu’il en faut un pour achever l’affaire, autre

3) Jules-Césat Bergera (1643-1660)

4) Le cardinal Durazzo

 

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que celui où l’abbaye a été préconisée, qui ne se doit tenir que quinze jours après.

Je salue, avec tout le respect que je le puis, Monsieur l’abbé votre frère, et je suis de tous les deux sans réserve, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL

i. p. d. l. M.

 

1965. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 26 novembre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre première lettre de Turin, et du bon Dieu une grande consolation de vous y avoir heureusement conduits et si bénignement reçus par la bonté de Mgr votre bienfaiteur et celles de Mgr l’archevêque et de Mgr le nonce. Je l’en remercie de tout mon cœur. Il vous a voulu prévenir de ces grâces pour vous disposer à d’autres plus grandes ; et cet accueil gracieux de la part des hommes est un effet de l’attente qu’ils ont sur la compagnie. J’espère qu’elle se donnera de bonne sorte à Dieu pour correspondre à ses desseins.

Je vois bien que vous auriez besoin d’un autre prêtre qui parlât l’italien, à la place de M. Jean-Baptiste (1), qui, pour des raisons considérables, ne viendra pas travailler avec vous ; et c’est ce qui nous a obligé de vous rendre M. Deheaume, qui est parti de Lyon pour Turin le 18e de ce mois. De vous dire comment vous

Lettre 1965. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) Jean-Baptiste Taone.

 

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ferez, je m’y trouve empêché, sinon que vous commenciez par quelque petite mission qui ne requière pas grand appareil ; mais pour cela, Monsieur, il vous faut avoir l’amour de votre abjection. Vous pourrez faire l’action du matin, et M. Ennery le catéchisme. Cela vous semblera fâcheux de commencer si chétivement ; car pour vous mettre dans l’estime il faudrait, ce semble, un peu paraître par une mission entière et splendide, qui étalât d’abord les fruits de l’esprit de la compagnie. Dieu nous garde d’entrer dans ce désir ! Celui qui convient à notre pauvreté et à l’esprit du christianisme, c’est de fuir ces ostentations pour nous cacher, c’est de chercher le mépris et la confusion, comme Jésus-Christ a fait ; et alors, ayant cette ressemblance avec lui, il travaillera avec vous.

Feu Mgr de Genève entendait bien cela. La première fois qu’il prêcha à Paris, le dernier voyage qu’il y fit, on courut à son sermon de toutes les parts de la ville ; la cour y était, et tout ce qui pouvait rendre l’auditoire digne d’un si célèbre prédicateur. Chacun s’attendait [à] un discours selon la force de son génie, par laquelle il avait coutume de ravir tout le monde ; mais que fit ce grand homme de Dieu ? Il récita simplement la vie de saint Martin, à dessein de se confondre devant tant de personnes illustres, qui eussent fait enfler le courage à un autre (2). Il fut le premier à profiter de sa prédication par cet acte héroïque d’humilité.

2) Le sermon se donnait le 11 novembre 1618 dans l’église de l’Oratoire devant le roi, deux reines, des évêques, ce que la capitale comptait de plus choisi. La foule était si compacte que saint François de Sales dut entrer par la fenêtre au moyen d’une échelle L’exorde fut magnifique. Ce fut après l’Ave Maria que l’orateur eut l’idée de s’humilier. La Vie du Vénérable Serviteur de Dieu François de Sales par Henry de Maupas du Tour, Paris, 1657, in-4° P 370)

 

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Il nous raconta cela bientôt après à Madame Chantal et à moi, et il nous disait : "Oh ! que j’ai bien humilié nos sœurs (3), qui s’attendaient que je dirais merveilles en si bonne compagnie ! Une telle s’y est trouvée (parlant d’une demoiselle prétendante qui fut depuis religieuse) qui disait pendant que je prêchais : voyez un peu ce maroufle et ce montagnard, comme il prêche bassement ; il fallait bien venir de si loin pour nous dire ce qu’il dit et exercer la patience de tant de monde !"

Voilà, Monsieur, comme les saints ont réprimé la nature, qui aime l’éclat et la réputation ; et c’est ainsi que nous devons faire, préférant les emplois bas aux apparents et l’abjection à l’honneur. J’espère certes que vous jetterez les fondements de cette sainte pratique avec ceux de l’établissement, pour faire que l’édifice soit bâti sur le roc et non pas sur le sable mouvant. Mgr le marquis entendra bien ce procédé.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà que l’arrivée de Messieurs Guillot, Durand, Eveillard et Simon, qui reviennent de Pologne. Ils ont laissé M. Ozenne avec la reine en Silésie et Messieurs Desdames et Duperroy à Varsovie, où ils ont tenu bon, nonobstant que les Suédois en soient les maîtres.

Écrivez-moi, s’il vous plaît, l’état des choses de delà qui vous regardent, et ayez soin de votre santé. La mienne commence à se rétablir, et moi à me lever. J’embrasse votre petite et chère famille avec toutes

3) Il est possible que saint Vincent ait été mal servi par sa mémoire, car le premier monastère de la Visitation fut établi à Paris cinq ou six mois après ; peut-être a-t-il en vue les sœurs des monastères de province, qui durent être humiliées en effet d’apprendre que leur fondateur avait déçu son auditoire.

4). Première rédaction : "en si bonne compagnie. Voyez un peu, disait une telle, comme prêche ce montagnard ; une autre pensait autre chose, et toutes ont été bien étonnées de cette simplicité de prêcher."

 

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les tendresses de mon coeur, et je suis en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Turin.

 

1966. — EDME JOLLY, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

[Rome, novembre 1655] (1)

Je commencerai cette lettre par la très humble prière que vos dernières lettres me donnent occasion de vous faire, qui est de vous supplier très humblement, Monsieur, avec tout le respect qui m’est possible de ne m’attribuer rien du bon acheminement des affaires de la compagnie, parce que, si j’avais le temps de vous dire les fautes que j’y ai faites dans leur poursuite, vous verriez bien que je ne mérite aucune louange. Il est aisé de voir que ce qui s’est fait de bien dans notre principale affaire c’est Dieu lui-même qui l’a fait, et la compagnie est et sera éternellement obligée à une très particulière reconnaissance envers Sa Sainteté et aussi envers les cardinaux, prélats et docteurs à qui l’examen de notre supplique a été commis. Mais quelles actions de grâces en rendrons) nous à Dieu, quelles à la très sainte Vierge, dont nous avons ressenti l’assistance si palpablement ! Vous avez vu, Monsieur, que Dieu lui-même a voulu faire son affaire de la nôtre nonobstant les puissantes oppositions qui se faisaient contre, desquelles sa divine Providence s’est servie, aussi bien que des très grandes fautes que j’y ai faites, pour faire la chose plus avantageusement et en moins de temps. C’est ce que ceux qui ont eu connaissance de cette affaire ont reconnu et reconnaissent, avec louange et admiration de la providence de Dieu, lequel a montré par là que l’affermissement de la compagnie venait de lui et n’était pas d’invention hu-

Lettre 1966. — Notice manuscrite d’Edme Jolly, p. 20 (Cf. Notices t. III, p. 397.)

1) Cette lettre répond à la lettre 1948, qui est du 22 octobre 1655

 

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maine. Oh ! bienheureux serons-nous si nous demeurons toujours bien persuadés de cette vérité et qu’il en est de même des autres règles et pratiques de la compagnie ! Plaise à la divine miséricorde que la connaissance particulière que m’en a donnée le maniement de cette affaire ne soit pas à ma condamnation, au jugement de ma pauvre âme !

 

1967. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

30 novembre 1655.

Vincent de Paul dit que, s’il a un carrosse, c’est seulement depuis que ses infirmités ne lui permettent plus de monter à cheval, et sur l’ordre de ses supérieurs civils et ecclésiastiques.

 

1968. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 3e décembre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Il y a huit jours que je vous écrivis assez amplement en réponse de votre première lettre de Turin. J’en attends d’autres pour savoir ce qui s’est passé depuis à l’égard de votre santé et de votre établissement, et si M. Deheaume vous est heureusement arrivé, comme à nous M. Musy (1), cousin de M. Planchamp, qui fait sa retraite pour entrer au séminaire. Je prie Dieu qu’il vous anime tous de son esprit et bénisse vos conduites.

Témoignez à Mgr le marquis que nous sommes pleins de reconnaissance des biens qu’il nous fait et de la pro-

Lettre 1967. — Lettre signalée dans le manuscrit du frère Robineau (p. 18), qui en avait conservé copie.

Lettre 1968. — L. s. — Dossier de Turin original.

1) Prêtre de grand talent sur lequel saint Vincent fondait de belles espérances. Il fut placé à Turin en 1656, s’y laissa gagner par l’ennui et quitta la compagnie l’année suivante. Son nom n’est pas inscrit sur le catalogue du personnel.

 

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tection qu’il vous donne, et que nous prions incessamment le bon Dieu qu’il lui donne sa gloire, pour tant de services qu’il lui rend et qu’il lui procure.

Nous n’avons rien de nouveau que la maladie de M. Guillot, revenu de Pologne, qui se trouve en quelque danger pour une pleurésie dont il est atteint. Pour moi, je ne suis pas encore guéri de ma jambe, bien que je m’en porte mieux, grâces à Dieu.

Je vous embrasse de tout mon cœur, avec votre petite compagnie, prosterné en esprit à vos pieds, et suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Turin.

 

1969. — LA DUCHESSE D’AIGUILLON A SAINT VINCENT

[Entre 1655 et 1657] (1)

Les lettres de Tunis m’affligent, de ne voir point d’espérance de la délivrance des pauvres esclaves, car je ne sais si l’espérance qu’on donne de l’échange qu’ils proposent dans 4 mois réussira.

Mais celle que vous écrit M. Le Vacher (2), d’Alger, me contriste fort, de voir l’extrême misère où ils sont, et, par surcroît de douleur, la calomnie horrible que cet apostat invente et publie contre lui. Permettez-moi de vous proposer s’il ne serait point nécessaire que vous envoyassiez rendre témoignage à M. le nonce d’ici de la vertu et probité de M. Le Vacher, et lui dire la cause qui a obligé ce mauvais religieux

Lettre 1969. — L. a. — Dossier de Turin, original}.

1) Cette lettre a été écrite après la nomination d’Edme Jolly comme supérieur de la maison de Rome (1655) et, semble-t-il, avant le premier retour de Philippe Le Vacher en France (1657), d’où il ne repartit pour Alger qu’au mois de septembre de l’année 1659

2). Philippe Le Vacher.

 

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apostat d’inventer cette calomnie, afin qu’il en informe M. le nonce d’Espagne, à qui M. Le Vacher vous mande que cet imposteur en écrit. Il serait bon aussi que M. Jolly, de Rome en fût informé, afin de faire voir l’innocence de M. Le Vacher et la cause pour quoi on le calomnie, car, étant de la compagnie et dans l’emploi où il est, il faut justifier son innocence. Les conseils de Dieu sont adorables. Ce vertueux missionnaire, qui s’est consommé pour le secours de ces pauvres esclaves, reçoit pour récompense cette calomnie ; qu’est-ce que les pécheresses comme moi ne devraient point souffrir ?

Ne trouveriez-vous pas bon aussi de leur envoyer du secours d’argent ? Si on ne peut par Marseille on le pourrait peut-être par l’Espagne, vu qu’il vous écrit par cette voie-là ; car ces pauvres gens sont si affligés, que je voudrais les consoler par toutes les voies possibles. Ils ont tant de mal parmi ces barbares que d’être encore en l’extrême nécessité cela me fait pitié. Pardonnez-moi s’il vous plaît et priez pour moi.

Suscription : Pour M. Vincent.

1970. — A JACQUES THOLARD (1)

Décembre 1655.

… pource que notre maxime et notre usage est de céder la chaire à quiconque viendra là où nous travaillerons, et cela fondé sur ce que Notre-Seigneur enseigne cela implicitement : "Si l’on vous demande votre manteau, donnez encore votre robe (2)" et l’a pratiqué ainsi, lorsque quelque personne d’une province vers laquelle il s’acheminait lui alla au-devant et le pria de ne point entrer dans leur province. Oui, mais, me direz-vous, si nous cédons, l’on nous fera la même niche partout où nous irons, aux carêmes et aux avents ; et nous voilà

Lettre 1970. — Ms. du frère Robineau, p. 21.

1) Jacques Tholard devait donner une mission au Maule (Seine-et-Oise), où un Cordelier était Venu prêcher l’Avent Le saint lui conseille de céder la chaire à ce religieux "pource que notre maxime, etc"

2) Évangile de saint Mathieu V, 40.

 

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dans le mépris. N’importe, nous ne sommes pas vrais chrétiens, si nous n’embrassons et chérissons tendrement les moqueries dont l’on nous chargera.

 

1671. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Décembre 1655] (1)

Mon très honoré Père,

L’état de souffrance et soumission auquel il plaît à Notre. Seigneur vous mettre, m’augmente la liberté que je prends toujours de vous dire mes chétives pensées la dernière qui me vient pour votre soulagement est de vous proposer la sueur des deux jambes, et non du corps par la petite étuve de Monsieur l’Obligeois, mais non pas sans la proposer à 2 médecins. Le thé peut être pris entre un bouillon de bon matin et le dîner, car l’expérience me fait voir qu’il ne doit pas passer pour nourriture, quoiqu’excellent à y disposer l’estomac.

Madame La comtesse de Brienne m’a mandé avoir parlé à Monsieur de Francière, qui lui a encore dit beaucoup de bien de la compagnie, qu’il la protégerait, qu’il a reconnu quelqu’adresse d’une personne pour s’insinuer dans le gouvernement de l’hôpital (2), qu’il était bien aise que nous n’avions pas accordé ce que le bon ecclésiastique proposait, et plusieurs autres choses qui lui ont fait dire à notre sœur Julienne (3) que tout allait bien, et que, quand elle aurait vu la reine, qu’elle se donnerait la peine de vous venir treuver. S’il plaît à votre charité me mander si j’ai quelque chose à faire pour ce sujet sinon admirer la Providence, essayer d’en faire connaître la bonté et les effets, et de croire qu’il fait bon souffrir et attendre avec patience l’heure de Dieu dans les affaires les plus difficiles ? A quoi si souvent répugne mon humeur trop précipitée.

Permettez-moi, mon très honoré Père, vous supplier recommander à notre bon Dieu l’état de mon esprit, un peu peiné depuis quelque temps pour les sujets que votre charité sait m’être plus sensibles. Vous ne douterez point, je crois, que

Lettre 1971. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité. original

1) Date ajoutée au dos de l’original par la frère Ducournau.

2) L’Hôpital de Saint-Denis, près Paris.

3) Julienne Loret.

 

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cela m’intéressera, dans le désir de votre parfaite santé, que je demande à Notre-Seigneur, pour la gloire de son saint amour, qui m’a rendu votre très humble et très obligée fille et servante.

L. de M.

Permettez-moi de demander à votre charité des nouvelles de nos sœurs de Pologne ?

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1972. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 10e décembre 1655.

Monsieur,

J’ai reçu votre lettre du 27 novembre, qui m’a appris l’arrivée de M. Deheaume, dont je loue Dieu. Je veux croire que le repos l’aura guéri de ses fatigues.

Je loue Dieu de ce que vous avez déjà travaillé à rendre votre logement propre à vos exercices, et de ce qu’en parlant à Monsieur le président Belletia de votre fondation, vous vous en êtes remis à Mgr le marquis de Pianezza. Vous leur pouvez néanmoins faire entendre dans l’occasion qu’en France il faut mille livres par an pour deux prêtres et un frère qui vont en mission, et il n’en faut guère moins pour ceux qui demeurent à la maison Je ne sais pas si les vivres sont à meilleur compte de delà qu’ici.

M. Blatiron ne pourra pas, comme je pense, vous prêter l’ouvrier que vous lui avez demandé, et, en ce cas, vous ne pourrez pas faire une mission qui éclate ; aussi est-il plus convenable que vous entriez en cet exercice par l’humiliation. Commencez par peu et aimez beaucoup votre abjection ; c’est l’esprit de Notre-Sei-

Lettre 1972. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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gneur ; c’est ainsi qu’il a fait, et c’est là le moyen d’attirer ses grâces.

Et à propos de cela, je suis marri que vous ayez fait demander à Mgr le cardinal de Gênes une lettre pour vous recommander, et je vous prie d’avoir agréable que je vous dise que les missionnaires doivent tendre à demeurer bas et inconnus, et non pas à paraître et à se faire estimer. La réputation leur peut nuire, non seulement en leur donnant sujet de s’évanouir, mais en ce que, si elle met les fruits de leurs emplois à six degrés, on s’attendra qu’ils seront à douze, et, voyant que les effets ne correspondent pas à l’attente, on en perd la bonne opinion, et Dieu permet que cela arrive surtout quand on cherche cette réputation ; car qui s’exalte sera humilié (1). Mon Dieu ! Monsieur, que je souhaite le contraire et que je prie Dieu de bon cœur qu’il nous fasse à tous La grâce d’aimer la confusion et l’opprobre, en la vue de Notre-Seigneur et de nos misères ! Nous ne méritons que cela, car, s’il se fait quelque bien dans les missions, c’est lui qui le fait, et il n’a pas besoin de notre réputation pour toucher les cœur et les convertir.

Je salue votre petite famille très cordialement, et je suis de toutes les tendresses de mon âme, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, chez Mgr le marquis de Pianezza, à Turin.

1) Évangile de saint Mathieu XXIII, 12.

 

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1973. — A NICOLAS FOUQUET, PROCUREUR GÉNÉRAL

15 décembre 1655.

Monseigneur,

Madame la présidente Fouquet, votre mère, m’ayant fait l’honneur de me mander la grâce que votre bonté nous désire faire, de nous protéger dans les intérêts que nous avons communs avec l’Hôtel-Dieu de Paris, à l’égard des aides d’Angers et de Melun, il est bien juste, Monseigneur, que je vous en remercie, et c’est ce que je fais avec toute l’humilité et la reconnaissance qui me sont possibles, et que je prie Dieu qu’il sanctifie votre âme et bénisse votre famille, comme il a sanctifié celle du patriarche Joseph, ce grand intendant des finances d’Égypte, et toute sa famille. Je serais allé vous rendre ce devoir en personne sans qu’une indisposition m’empêche de sortir. Cependant je suis, en l’amour de N.-S., Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

 

1974. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

Rome, décembre 1655.

M. le cardinal Brancaccio nous ayant fait l’honneur de nous appeler à Viterbe dont il est évêque, il nous envoya à Vetralla, qui est un gros bourg de son diocèse, à deux jour

Lettre 1973. — Reg. I, f° 20 et 24 V°. La copie du f° 24 s’arrête aux mots et toute sa famille, qui ne se trouvent pas dans la copie du f° 20.

Lettre 1974. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. III, § 2, 1er éd., p. 60.

 

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nées de Rome où étant arrivés, quoique plusieurs difficultés aient traversé nos petites fonctions, nous y avons pourtant entendu dix-sept cents personnes de confession générale, qui nous ont témoigné être bien touchées et bien pénitentes.

Ce qui me semble avoir plus contribué à émouvoir ce peuple est ce qui en apparence devait avoir moins d’effet ; c’est à savoir : 1° l’explication de l’exercice du chrétien, que nous faisions tous les matins à l’issue de la première messe 2° l’instruction familière qui se faisait ensuite sur les principaux mystères de la foi et sur la manière de se bien confesser ; 3° l’examen général que nous faisions tout haut, avec les prières ordinaires, le soir, immédiatement après notre prédication.

Mais ce que je crois qui fit la plus forte impression sur leurs esprits, fut une puissante semonce que leur fit notre prédicateur à la fin de son exhortation à la préparation à la communion, leur disant de la part de Dieu que personne ne fut si hardi que de s’approcher de la sainte table sans auparavant s’être réconcilié avec ses ennemis Et je crois que cette dénonciation, animée comme elle était de l’esprit de Notre-Seigneur, a plus opéré que tout le reste particulièrement à l’égard des réconciliations entre ceux qui se haïssaient à mort, et des restitutions notables qui se sont faites, parce que depuis cette prédication on n’a vu et on n’a entendu presque autre chose que des accords qui se faisaient, et des pardons qu’on se demandait les uns aux autres les larmes aux yeux, non seulement dans les maisons mais encore dans les rues, et particulièrement dans l’église devant tout le monde. On en faisait de même pour ce qui est de restituer le bien mal acquis et de payer les vieilles dettes abandonnées et cela publiquement et courageusement sans se soucier de sa propre réputation.

Si je rapportais ici tous les cas particuliers que nous avons vus et entendus sur ce sujet j’aurais trop de choses à dire. J’en toucherai seulement trois ou quatre des principaux.

Le premier arriva pendant la procession en laquelle, un de nos prêtres rangeant les hommes deux à deux pour les faire marcher avec ordre, la Providence divine disposa les choses en telle sorte que deux habitants des lieu qui avaient une haine fort enracinée l’un contre l’autre depuis plusieurs années se trouvèrent fortuitement rangés ensemble et cheminèrent même quelque temps à côté l’un de l’autre sans qu’aucun des deux s’en aperçût mais s’étant enfin reconnus, Dieu leur toucha le cœur si fortement qu’en un instant leur grande haine se trouva changée en une sincère amitié ; et leurs cœur se trouvèrent en telle disposition, que

 

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fondant en larmes, ils s’embrassèrent et s’entre-demandèrent pardon l’un à l’autre devant toute l’assistance mais avec des paroles si cordiales que chacun en fut ravi d’admiration et de consolation.

Le second cas fut d’un certain habitant du même lieu qui depuis fort longtemps devait quatre cents écus à un autre et n’avait jamais voulu le payer, quoiqu’il en eut été souvent pressé par la voie de la justice et même par sentence d’excommunication, en sorte que son créancier ne s’y attendait plus. Il fut néanmoins tellement changé tout à coup, qu’à l’heure même il lui paya les quatre cents écus et depuis ce temps-là ils ont été bons amis.

Le troisième fut qu’un riche avaricieux qui depuis fort longtemps était redevable de cent écus à un pauvre homme, qui avait enfin perdu toute espérance d’en pouvoir jamais être payé, néanmoins étant touché de Dieu et sans être requis d’aucune personne, il fit presque comme Zachée car il rendit à ce pauvre homme trois ou quatre fois plus qu’il ne lui devait, lui donnant une maison et une pièce de vigne, qui accommoda grandement sa petite famille.

Enfin le quatrième fut d’un père, lequel, ayant conçu et retenu en son cœur depuis environ trois ans une haine mortelle contre un certain qui avait voulu tuer son fils et l’avait en effet blessé à un bras, dont il était demeure estropié ayant, outre tout cela, déboursé une somme d’argent assez considérable pour le faire panser il fit, nonobstant le ressentiment qu’il en avait, deux actions dignes d’un vrai chrétien : l’une est qu’il pardonna de bon cœur à cet ennemi qui avait assassiné son fils ; et l’autre, qu’il lui quitta et remit volontairement tous les frais et dépens qu’il pouvait prétendre, quoiqu’auparavant cette mission plusieurs se fussent souvent employés pour les réconcilier et accommoder sans y avoir pu réussir.

Voilà une partie des fruits de cette mission, que l’on peut bien dire avec vérité être des effets de la main toute-puissante de Dieu, les ouvriers qui y travaillaient n’étant pas capables d’opérer ces merveilles par des moyens si faibles que ceux qui ont été ci-dessus rapportés. Et c’est ce qui me donne sujet de dire, comme autrefois ceux qui voyaient les merveilles que Moïse faisait en présence de Pharaon : Digitus Dei est hic (1) ; c’est le doigt de Dieu qui opère ces choses si admirables et non pas l’éloquence, ni la science, ni la sagesse, ni la puissance des hommes. Et c’est peut-être pour

1) Exode VIII, 19.

 

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cela que la Providence divine n’a pas voulu que notre grand prélat et Éminentissime Cardinal ait assisté à notre mission, ainsi qu’il nous l’avait fait espérer, une roue de son carrosse s’étant rompue lorsqu’il se fut mis en chemin pour y venir ; car, s’il nous eût fait cet honneur, on eût peut-être attribué à sa présence et à son autorité la gloire de ces merveilles, que Dieu s’est voulu réserver à lui seul.

 

1975. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR A ROME

17 décembre 1655.

Je n’ai pas attendu jusqu’à maintenant à faire réflexion aux qualités de votre esprit, et je ne me suis pas contenté de les considérer à part moi ; mais, avant de vous charger de la conduite de la maison, je vous ai proposé aux plus anciens de la compagnie, qui vous connaissent bien et qui ont trouvé assez de grâces en votre personne pour cette charge-là, ou plutôt ils ont espéré que Notre-Seigneur, qui possède abondamment toutes les vertus, suppléerait à celles qui vous manquent. Et en effet elles ne sont pas en lui pour lui seul, mais pour ceux qu’il emploie à ses desseins et qui ont toute leur confiance en son secours. Et comme vous confiez entièrement en sa bonté, vous devez souffrir qu’elle continue à faire son œuvre par vous. Quand on est résolu de se donner à Dieu sans réserve, les intérêts temporels se doivent accommoder à ce dessein.

Je proposerai à notre première assemblée s’il est expédient de prendre ou de refuser le viatique (1) des évêques qui nous emploieront en leurs diocèses, quand ils le voudront donner ; cependant je suis d’avis que l’on soit fort retenu à ne rien recevoir d’eux, si ce n’est qu’ils

Lettre 1975 — Reg 2, pp 233, 17

1) Les frais de voyage

 

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le désirent absolument, ainsi qu’a fait Monseigneur le cardinal dataire (2).

C’est autre chose pour les exercitants et les ordinands ; on peut suivre ce que vous en avez trouvé par écrit, et selon cela accepter ce qu’ils présentent, comme une aumône qu’ils nous font, quoique j’estime que le meilleur serait de ne rien prendre, pour leur faire la charité tout entière, si nos incommodités nous le permettaient (3).

Nous avons fait et signé l’acte d’acceptation du bref tous ensemble, le séminaire excepté. L’acte ainsi fait et signé, nous avons fait entrer le notaire, devant lequel nous l’avons reconnu, dont il a fait une déclaration au bas, que nous avons aussi tous signée. Je vous dis ceci pour répondre au doute que vous avez, si le notaire était présent à cette acceptation..

 

1976. — A CHARLES OZENNE.

De Paris, ce 17 décembre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres en même temps, où vous me marquez l’état des choses, mais avec votre circonspection ordinaire. Je suis toujours dans l’affliction que vous pouvez penser, mais aussi dans l’espérance que les affaires changeront en mieux. Nous prions et faisons prier Dieu partout pour cela.

Je n’ai point reçu des lettres de M. Desdames depuis celle dont je vous ai parlé. J’en suis en peine et bien consolé de la pensée que vous avez de retourner à Varsovie, s’il y a sûreté. Pour moi, je ne vous dirai autre

2) Jacques Corradi.

3) Ici se termine le premier fragment.

Lettre 1976. — L. s. —- Dossier de Turin, original.

La lettera 1976 (Coste V p. 485) indirizzata a Charles Ozenne viene data come appartenente al Dossier de Turin. Quasi certamente invece si trova a Cracovia. Roberto LOVERA mai 1999.

 

 

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chose sur cela, sinon que la disposition de votre personne est à Dieu et à la reine. Toute la consolation que vous pourrez cependant donner aux religieuses de Sainte-Marie et aux Filles de la Charité, faites-le. Recommandez-moi à leurs prières et les assurez des miennes. Dites à la sœur Marguerite que je la remercie de sa lettre et qu’une autre fois je lui ferai réponse.

J’écrivis dernièrement à M. des Noyers pour le prier de vous fournir de l’argent, si vous en avez besoin, lequel nous rendrons ici.

Il ne faut pas s’étonner des plaintes ni des mauvais offices de M. Zel [azewski] ; c’est l’ordinaire de ceux qui sortent de nous donner sujet d’exercice. Dieu veuille vous fortifier en ceux que vous avez !

M. Guillot a été fort malade ; il se porte mieux. Nous n avons rien de nouveau. Tout va assez bien de deçà, et je suis tout vôtre.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Pologne, près de la sérénissime reine.

 

1977. — A ÉTIENNE BLATIRON

De Paris, ce 17 décembre 1655.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je n’ai rien à vous dire de nouveau, parce que je n’ai pas reçu de vos lettres depuis ma dernière. M. Gui ! lot, qui a été dangereusement malade, se porte mieux, grâce à Dieu, et moi je suis toujours au lit ou sur une

Lettre 1977. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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chaise, ou plutôt sur deux, à cause de la douleur que j’ai aux jambes, qui m’oblige à les tenir tout le jour appuyées et quasi aussi haut que ma tête. Hors cela, je me porte bien.

M. Rome ne nous a pas encore envoyé le paquet de livres que nous lui avons délivré pour vous. Il attend occasion de les mettre dans un ballot d’ami, afin que la voiture vous en coûte moins. M. Alméras dit que le règlement des Filles de la Charité y est dedans, et moi je vous assure que notre sacristain fait dire tous les jours les 200 messes que vous avez désiré que nous ajoutions aux mille déjà célébrées.

Je n ai pas trouvé bon que M. Martin vous ait demandé une lettre de Mgr le cardinal à Mgr l’archevêque de Turin pour se faire recommander, et lui en al dit ma pensée, qui est que l’humilité est la porte par laquelle il doit entrer dans les exercices de cette nouvelle fondation, et non par celle de la réputation recherchée, qui est souvent nuisible, surtout quand le succès des emplois ne correspond pas à l’estime que le premier bruit en a fait concevoir. C’est dans la même vue que je l’ai prié de faire quelque petite mission, lui seul avec M. Ennery, pour le détourner d’en faire une qui éclate, pour laquelle il vous a demandé M. Richard, duquel je sais que vous ne pouvez vous passer, ni des autres ouvriers que vous avez. Cet établissement fera du progrès, comme les autres, s’il est fondé sur l’amour de sa propre abjection. Plaise à Dieu de nous le donner et de vous bénir de plus en plus en votre personne et en vos conduites !

Je salue la petite famille et je suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

 

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Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, supérieur des prêtres de la Mission de Gênes, à Gênes.

 

1978. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

Paris, 19 décembre 1655.

Monsieur,

* Je rends grâces à Dieu des lumières qu’elle vous départ, et la supplie d’accomplir en vous ses desseins éternels. Mais vous savez, Monsieur, que cette défiance de vos propres forces doit être le fondement de la confiance que vous devez avoir en Dieu, sans laquelle nous nous trouvons souvent pires que nous ne pensions être ; et avec celle-ci on fait beaucoup, ou plutôt Dieu fait lui-même ce qu’il prétend de nous. N’arrêtez donc plus votre vue à ce que vous êtes, mais regardez Notre-Seigneur auprès de vous et dans vous, prêt à mettre la main à l’œuvre sitôt que vous aurez recours à lui ; et vous verrez que tout ira bien. Pensez-vous que, puisque l’ordre de sa providence vous a établi en cette charge, il ne vous donne pas aussi les grâces convenables pour la bien faire, si, pour son amour, vous l’entreprenez courageusement ? N’en

Lettre 1978. — Pémartin, op. cit., t. III, p. 221, 1. 1183. La fin, depuis les mots Je rends grâces à Dieu, se trouve dans le reg. 2, p. 109, dont nous avons suivi le texte

1) Ne faudrait-il pas plutôt Vageot ? Si la lecture de M. Pémartin était exacte, la première partie de cette lettre serait de 1649.

 

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doutez point, Monsieur, non plus que de la sincère affection que mon cœur a pour le votre, qui est telle que je ne puis vous l’exprimer. Dieu vous la fasse connaître, s’il lui plaît, et veuille vous remplir de plus en plus de son esprit, pour le répandre par vous dans les âmes que vous conduisez, et pour la plus grande sanctification de la vôtre !

Je rends grâces à Dieu de ce que M. Langlois (2) a pris la charge du séminaire. J’espère que ce bon œuvre, au lieu de tomber, se relèvera. Vous ne le devez pas négliger pour faire votre capital des missions seulement ; l’un et l’autre sont également importants, et vous y avez une égale obligation ; j’entends toute la famille, qui a été fondée pour tous les deux. Je vous prie, Monsieur, de les prendre également à cœur et de coopérer au progrès du séminaire avec le directeur, aussi bien qu’à la continuation des missions avec le peu de secours que vous avez. Ne pourriez-vous pas trouver quelques bons curés ou d’autres prêtres pour vous aider ? Essayez d’en attirer quelques-uns. Que si vous manquez de ce côté-là, le bon Dieu ne vous manquera pas ; il sera votre premier et votre second, et bénira votre travail. Ne vous y empressez pas, et, au lieu d’un mois, mettez six semaines pour les grosses missions, telle qu’est celle où vous vous êtes engagé. M. [Daveroult] (3) se rendra par l’usage capable de vous soulager. Nous avons expérience dans la compagnie qu’en divers endroits et en divers temps deux prêtres ont entrepris et achevé heu-

2) Louis Langlois, né à Paris le 6 janvier 1616, ordonné prêtre au carême de l’année 1640, entré dans la congrégation de la Mission le 15 juin 1644, reçu aux vœux le 8 novembre 1646. Il dirigea la maison de Luçon de 1660 à 1662, puis fut placé à Fontainebleau.

3). Le copiste a omis le nom ; mais il ne peut s’agir que de Pierre Daveroult, car le personnel de la maison de Saintes ne comprenait alors que trois prêtres MM. Rivet, Langlois et Daveroult.

 

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reusement des missions autant ou plus grosses que celle-là J'embrasse en esprit toute la famille, et suis, en l'amour de Notre-Seigneur...

 

1979. - A UN PRÊTRE DE LA MISSION DE BARBARIE

[Entre 1645 et 1660.]

J'ai vu le chapitre de votre menue dépense. O Dieu ! quelle consolation n'ai-je pas reçu d'une telle lecture ! Je vous assure qu'elle m'a été autant sensible qu'aucune que j'ai ressentie depuis longtemps, à cause de votre bonne conduite, qui parait là dedans, et surtout de la charité que vous exercez envers tant et tant de pauvres esclaves de toutes nations, de tout âge, qui sont affligés de toutes sortes de misères. Certes, quand votre emploi ne vous donnerait occasion de faire d'autres biens que ceux-là, ce serait assez pour les estimer d'un prix infini et pour attirer sur vous des bénédictions immenses. Plaise à la bonté de Dieu vous donner moyen de continer !

 

1980. — EDME JOLLY, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

[Entre 1655 et 1660] (1)

Vous nous voyez à la fin de nos exercices spirituels, lesquels se sont, par la grâce de Dieu, assez bien passés, quant

Lettre 1979. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § 12, P 143.

1) Commencement de la Mission de Barbarie.

Lettre 1980. — Vie manuscrite de Edme Jolly, ms., p. 96.

1).Temps pendant lequel Edme Jolly fut supérieur de la maison de Rome.

 

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à ceux avec qui j'ai eu le bien de les faire. Pour moi, difficilement changerai-je, à cause de la longue habitude que j'ai faite dans la superbe, dans le désir d'être estimé et autres vices. Il a néanmoins plu à Dieu me donner désir de m'amender.

Je me recommande à vos saints sacrifices et prières, afin que je ne reçoive point sa grâce en vain.

Puisque vous estimez, Monsieur, que je doive rester ici, je le ferai bien volontiers. Je souhaiterais que vous fussiez témoin des fautes et lourdises que je fais, et que vous connussiez bien ma superbe, mon immortification et autres vices.

 

1981. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

24 décembre 1655.

Je remercie Notre-Seigneur de la conquête que vous avez faite pour votre séminaire. Plaise à sa bonté de donner de profondes racines à cette jeune plante, afin qu'elle porte fruit en son temps ! Un prêtre s'est aussi présenté à Monsieur Duport, en votre absence, pour y être admis. Je pense quel le défaut de science ne vous aura pas empêché de le recevoir ; car il saura assez s'il ne s'estime savoir que Jésus crucifié, et fera prou s'il pratique la vertu, puisque par ce moyen il la prêchera utilement au prochain, l'exemple faisant plus d'effet que la seule instruction.

 

1982. —A LOUIS DE CHANDENIER (1)

De Paris, ce 28 décembre 1655.

Monsieur,

Je ne vous importunerais pas de cette lettre si celle

Lettre 1981. — Reg. 2, p. 4o.

Lettre 1982. — L. s. — Dossier de la Mission, originnl.

1) Le nom du destinataire se devine par le contenu.

 

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que j'ai reçue de Rome ne m'y obligeait, pour vous dire que M. Jolly vous a adressé les bulles par la voie que vous lui avez marquée ; et ainsi, Monsieur, j'estime que vous les avez à présent reçues, dont je rends grâces à Dieu. Mais ce qui me console davantage, c'est de ce que notre Saint-Père le Pape n'oblige pas Monsieur l'abbé de Moutiers-Saint-Jean de se faire prêtre ; en quoi certes, Monsieur, il y a de la conduite de Dieu, qui seul donne aux affaires les succès qu'il juge convenables. Qu'il en soit à jamais glorifié ! Je ne puis assez vous en exprimer ma joie.

Depuis la dernière que je me suis donné l'honneur de vous écrire, je n'ai pas oui parler de la difficulté arrivée sur le sujet du prieuré de Chandenier, sinon que vendredi au soir Mademoiselle votre soeur envoya céans un paquet pour vous, Monsieur, afin d'être mis dans le mien ou porté seul à la poste par le même garçon, en cas que déjà ma dépêche y eût été envoyée, comme il arriva, parce que le mardi auparavant je fis cette affaire ; et cela, je ne l'ai su que présentement qu'on vient de me le dire ; car, si j'en avais été averti pour lors, je n'eusse pas manqué de recevoir ledit paquet et de l'accompagner d'une de mes lettres.

Je n'ai rien à vous dire de nouveau, Monsieur, qui puisse ajouter quelque chose à la consolation qu'il plaît à Dieu de vous donner. Je prie sa divine bonté qu'elle continue d'en remplir votre cœur et celui de M. l'abbé votre frère, de qui je suis, et de vous particulièrement, à la vie et à la mort, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

2) Les bulles qui conféraient à Claude de: Chandenier l'abbaye de Moutiers-Saint-Jean.

 

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1983. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

31 décembre 1655.

J'aurais grande peine que M [Pesnelle] (1) se mît en tête le voyage de son pays, non seulement pour le besoin que vous en avez et les services qu'il rend à Dieu de delà, mais parce qu'il n'aurait pas satisfaction de la visite de ses parents. J'en sais la raison, mais il ne la sait point, et il n'est nullement expédient de la lui dire. Je vous la dirai bien à vous, Monsieur, à condition du secret, c'est que M. son père a comme perdu l'esprit, en sorte qu'il n'est plus en état de lui assigner aucune pension. Jugez si, le voyant en cette infirmité, il n'en serait pas bien affligé ; aussi ne doit-il pas craindre d'être exclu de la succession ; car je l'assure bien que le parlement ni sa vocation ne l'empêcheront point d'entrer en partage avec Messieurs ses frères. Il a droit de le faire, n'étant pas religieux, de même que les Pères de l'Oratoire, qui succèdent aux biens de leurs parents ainsi que les séculiers. Je vous prie donc, Monsieur, de le divertir tant que vous pourrez de ce voyage.

 

1984 —A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du dernier de l'an 1655.

Je suis dans une continuelle appréhension que vos grands travaux, épuisant peu à peu toutes vos forces, vous accablent à la fin, en sorte que vous ne puissiez

Lettre 1983. — Reg. 2, p. 234.

1).Le copiste du registre 2 omet le nom. La lettre 2006 montre qu'il s'agit de Jacques Pesnelle.

Lettre 1984. — Reg. 2, p. 201.

 

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plus vous en relever. C'est pourquoi, Monsieur, évitez, je vous prie, que cet inconvénient arrive. Je sais bien qu'en quelque état que vous soyez, vous soyez content, parce que vous ne voulez que la volonté de Dieu, et que vous savez que ceux-là sont bienheureux qui se consument tôt ou tard pour le service d'un si bon Maître. Cela est bon pour votre intérêt, mais il ne s'ajuste pas aux besoins du prochain. La moisson est grande, et il y a peu d'ouvriers ; vous savez même qu'il y a grande difficulté d'en former de bons, et qu'entre les sujets qui se présentent, peu sont propres et disposés à le devenir jamais.

 

1985. —A JEAN MARTIN

De Paris, ce dernier jour de l'an 1655.

Monsieur,

Je prie Notre-Seigneur que l'année où nous allons entrer vous serve de marche pour monter à l'éternité bienheureuse.

Je viens de recevoir présentement deux de vos chères lettres, des 9 et 17 de ce mois. Je rends grâces à Dieu de toutes les choses que vous me mandez, et je le prie que de plus en plus il ait agréable de bénir vos conduites. Je le remercie aussi de la grâce qu'il vous a faite de commencer à travailler. J'ai une consolation sensible de ce que cette première mission a été avec moins d'éclat ; car vous en avez plus de mérite, et j'espère que Dieu en aura été plus honoré. Continuez volontiers à faire de même, tandis que vous ne pourrez faire autrement. M. Blatiron m'a mandé qu'il lui est difficile de vous

Lettre 1985. — L. s. -— Dossier de Turin, original.

 

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prêter des hommes, que néanmoins l'affection qu'il a de vous aider ferait qu'il en parlerait à Mgr le cardinal, pour tâcher de lui faire agréer de vous en envoyer un ou deux. Et comme Son Éminence est bonne, elle pourra le trouver bon, et votre zèle se satisfaire. Or, après la recommandation que je vous ai faite, Monsieur d'aller simplement en cette besogne, je vous fais celle-ci, de ménager votre santé et d'avoir soin de celle de vos gens. Monseigneur le marquis aime tant la justice qu'il ne le trouvera pas mauvais. Et à propos de ce bon seigneur, ce que vous me mandez de son exactitude à faire la retraite tous les ans et de la manière qu'il s'y comporte, m'est à grande édification et confusion tout ensemble. Je prie Dieu qu'il conserve aux grands du monde un tel exemple de vertu et qu'il lui donne la plénitude de son esprit pour l'heureux succès de toutes ses conduites.

Je suis en peine de celle que vous avez au sujet du frère [Aubin] (1), et de ce que nous n'avons pas prévu son peu d'adresse pour apprêter à la façon du pays où vous êtes, et pour servir à un nouvel établissement. Nous n'avons personne ici qui parle l'italien et qui vous fût propre, que le frère Balthazar (2), et je ne sais encore si ce serait votre fait. J'en conférerai avec M. Alméras, et nous verrons ; car, autant que je pourrai, je désire vous donner satisfaction, afin que vous ayez moyen d'en donner à vos bienfaiteurs.

Quelques jours après votre départ, nous reçûmes le bref par lequel le Saint-Siège confirme et affermit notre

1) Sur l'original, la place réservée au nom du frère a été laissée en blanc ; il est bien probable qu'il s'agit du frère Aubin Gontier le seul frère qui fût à la maison de Gène le 22 avril 1656.

2) Balthazar Pasquier, né à Morlinronrt (Oise), reçu dans la congrégation de la Mission le 25 novembre 1643, à l'âge de vingt-huit ans.

 

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petite compagnie, et aussitôt, ayant assemblé la communauté de céans, à la réserve du séminaire, elle fit un acte d'acceptation authentique du même bref, que chacun signa, et ensuite reconnut devant un notaire de l'avoir signé, afin que la postérité voie que cela a été fait juridiquement et en la meilleure forme que cela se peut. Je voudrais pouvoir exprimer avec quels sentiments de joie et de reconnaissance cela a été fait ; mais je serais trop long. Ceux du collège (3) et du séminaire de Saint-Charles en ont fait de même (4), et nous avons envoyé M. Berthe par les autres maisons, afin qu'elles en fassent autant et fassent les vœux selon ledit bref, après l'acceptation, comme nous l'avons fait ici (5). Il a déjà passé au Mans, à Richelieu et à Saint-Méen, et partout on s'est conformé à nous en cette action. Je vous enverrai le modèle de ces actes-là pour vous y ajuster, quand vous les ferez (6) M. Berthe ne va pas exprès pour cet affaire ; son fait principal est de continuer les visites commencées par feu M. Le Gros. Je pense vous avoir mandé que ce cher défunt, visitant le séminaire de Montauban, y fut visité lui même d'une maladie qui l'a conduit au ciel.

Nous n'avons rien de nouveau de deçà. Tout y va assez bien, grâces à Dieu, et aussi dans le reste de la

3) Le collège des Bons-Enfants

4).Le 26 octobre.

5).Les prêtres, les clercs et les frères coadjuteurs de Saint-Lazare renouvelèrent ensemble leurs vœux le 25 janvier 1656. On apporta un registre dans la salle, celui-là même qui a servi de tout temp et sert encore au jourd hui aux membres de la congrégation qui font les vœux à la maison-mère. En première page était une copie du bref d'Alexandre VII, attestée authentique par le nonce ; venait ensuite une déclaration de saint Vincent au sujet de l'acceptation du bref, la formule des vœux, et enfin une explication du vœu de pauvreté. On fit la lecture de ces différents documents, et tout le monde signa .

5).L'acte d’acceptation du bref d'Alexandre VII par la maison de Turin est du 22 avril 1656

 

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compagnie, dont j'ai de bonnes relations. Nous continuerons à prier Dieu qu'il donne bénédiction à vos travaux. Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J'ai dit un mot à M. Blatiron du secours que vous demandez, et lui témoigne la consolation que j'aurai s'il vous assiste en cette occasion, tandis que Messieurs de Planchamp et Deheaume apprennent la langue, et que néanmoins je le prie de se contenter d'en faire la proposition à Son Éminence, et de ne le pas presser. En ce cas, la volonté de Dieu vous sera connue, que vous agissez avec ce qu'il vous a donné (7).

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Turin.

 

1986. — A MONSIEUR FORNE

Janvier 1656.

Monsieur,

J'envoie le présent porteur pour apprendre des nouvelles de l'état de votre santé, que je prie N.-S. qu'il vous redonne parfaite ; et c'est aussi, Monsieur, pour vous apporter la présente, qui tend à vous dire ce que je vous eusse dit hier moi-même, si j'eusse eu l'honneur de vous voir, qui est, Monsieur, qu'ayant pensé à notre

7) Le post-ssriptum est de la main du saint.

Lettre 1986. —Reg. I, f° 70 v°, copie prise sur l'original, qui était de la main du saint.

 

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affaire du parisis (1) que le roi a mis sur les aides, qu'il me semble qu'il vaut mieux, pour notre particulier, de ne point acheter ce droit-là et de le laisser vendre à d'autres, pour les raisons suivantes, dont La première est que nous avons sujet d'espérer que ce que nous craignions, que l'acquéreur dudit parisis nous brouillerait, qu'il ne le fera pas, pource que, feu M. d'Emery ayant imposé 5 deniers pour livre sur les entrées de vin et pied fourchu (2) il y a 8 ou 10 ans, il ne nous en est point arrivé d'inconvénient, Dieu merci, pource que M. de Marillac (3), qui est le propriétaire de ce droit, en donna la ferme au sieur d'Avrit, votre fermier, comme a fait le partisan du parisis dont est question, ainsi que! vous pourrez voir par sa lettre, que je vous envoie.

L'autre raison, c'est que, si le roi révoque ce droit de parisis, comme il a fait assez souvent d'autres semblables, en ce cas l'on perdra et ce droit et les aides de Melun, dont le fonds est considérable, comme vous savez. De dire qu'on transférera la survaleur du fonds des finances de Melun et que l'on l'unira à celui des aides d'Angers, et que cela affermira lesdites aides, c'est ce qui est difficile ; et quand cela se ferait par une revente desdites aides, un directeur des finances qui viendra ci-après et qui saura, comme tout se sait, que l'on charge le roi de cette finance que le propriétaire de nos aides de Melun jouira, il cassera tout cela, et nous aurions mauvaise grâce de nous en plaindre.

Pour toutes ces raisons, Monsieur, nous avons pensé que, pour notre particulier, il semble qu'il vaut mieux que nous laissions vendre ce parisis, et nous tenir à ce

1) Augmentation d'un quart sur les droits réglés par les tarifs et pancartes

2) Droit sur tout animal au pied fourchu

3). Michel de Marilaac.

 

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que nous avons et à la parole qu'a donnée M. le procureur général de nous décharger de la rigueur de l'édit qui oblige les propriétaires à l'acheter ; et j'ai cru, Monsieur, que vous n'aurez pas désagréable que je le vous propose et que je vous supplie très humblement de nous donner votre avis sur cela. Je veux espérer de votre charité, Monsieur, que vous nous ferez cette grâce, pour l'amour de N.-S., en qui je suis...

 

1987. — AU MARQUIS DE CHANDENIER

4 janvier 1656.

Monsieur,

J'ai reçu celle qu'il vous a plu me faire l'honneur de m'écrire au, sujet du prieuré de Chandenier et du rencontre de la proposition que Mademoiselle de Chandenier et M. Lamoignon vous faisaient pour M. Aubry, et de la pensée que vous, Monsieur, aviez pour celui que vous proposez, et avec la déférence que vous rendiez à mondit sieur de Lamoignon pour cela. Or, Monsieur, je vous dirai que j'ai envoyé votre lettre à Messieurs vos frères, et leur ai écrit ; sans leur rien dire pour les incliner d'un côté ni d'autre, estimant qu'il n'appartient pas à un pauvre prêtre comme moi de porter son jugement sur un affaire dans lequel se rencontrent tant de circonstances considérables, et qu'il me suffisait de proposer la chose et d'en demeurer là ; et c'est, Monsieur, ce que j'ai fait. Or vous verrez, Monsieur, par celle qu'ils écrivent à Mademoiselle de Chandenier, la résolution qu'ils ont prise de donner la chose à celui que devant Dieu ils

Lettre 1887. — Reg. I, f° 33 v°, copie prise sur la minute autographe.

 

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jugent le plus capable ; et je ne doute pas que la manière indifférente avec laquelle vous traitez cet affaire avec M. de Lamoignon ne leur ait fait croire que vous, Monsieur, n’improuverez pas leur procédé. Le mien sera toujours, Monsieur, de vous obéir en tout ce qu’il vous plaira me faire l’honneur de me commander ; et je vous fais pour cela un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle. Je vous supplie, Monsieur, de l’agréer et de me souffrir toujours la qualité de votre…

 

1988. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

Je loue Dieu de l’affection avec laquelle vos ouvriers travaillent et des autres grâces qu’il leur fait, et par eux au peuple. Je prie sa bonté infinie qu’elle leur donne les forces de corps et d’esprit qu’il convient pour un ministère si important et si pénible comme sont les missions. Vous êtes leur Moïse, qui levez les mains au ciel pendant qu’ils combattent les ennemis de Dieu, et même leur Josué, puisque vous combattez avec eux par le moyen des armes, secours, encouragements et adresses que vous leur donnez ; et cependant vous dites que vous ne faites rien, comme si ce que font les membres ne se devait pas attribuer au chef, et comme si vous n’aviez pas une maison à conduire et cent choses à faire et dedans et dehors qui vous occupent jusqu’à l’excès. Je vous prie derechef de modérer votre travail et de vous conserver.

Lettre 1988. Reg. 2, p. 234.

 

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1989. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

7 janvier 1656.

Il y a grand sujet de louer Dieu de la suavité avec laquelle toutes nos maisons font l’acceptation du bref portant approbation de nos vœux l ; car chacun témoigne grande joie et grande reconnaissance de ce bref et une égale affection pour s’y soumettre, renouvelant ses vœux et les faisant selon le même bref ; ce qui nous confirme de plus en plus que c’est l’ouvrage de Dieu.

 

1990. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

7 janvier 1656.

M. Le Vacher, de Tunis, demande toujours l’étoffe qu’il a fait espérer au dey en considération de son retour (1).

 

1991. — TOUSSAINT BOURDAISE, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Du fort Dauphin, le 10 janvier 1656.

Monsieur Mon très honoré Père,

Votre bénédiction, s’il vous plaît !

Il faut que je vous avoue que je sens un combat en mon esprit et de la douleur en mon âme pour l’affliction que celle-ci

Lettre 1989 — Reg 2, p 17

1) Huit maisons avaient officiellement reçu le Bref avant le 7 janvier ; les autres attendaient la visite de Thomas Berthe pour faire acte d’acceptation.

Lettre 1990. — Manuscrit de Marseille.

1) Voir lettre 1343.

Lettre 1991Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

 

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vous doit causer. Je ferais volontiers comme Ruben, et déguiserais le funeste accident qui est arrivé à la maison de mon père. Mais Dieu, qui prend plaisir de vous faire souffrir depuis tant d’années, ne manquera pas, comme il a fait jusqu’à présent et comme je l’en prie de tout mon cœur, de fortifier le votre dans cette occasion.

Je vous dirai donc, Monsieur et très honore Père, que le navire de l’Ours, par lequel nous vous écrivîmes notre arrivée en ce pays-ci et ce que nous avions commencé d’y faire, étant parti, au grand contentement de tous les Français, qui le regardaient comme leur unique espérance, après le salut ordinaire et l’avoir conduit de vue avec des cris de joie au delà de tous les dangers du rivage, nous commençons de nous préparer à recevoir M. de Pronis, notre gouverneur. Là on orne le fort et on apprête le banquet ; chacun se réjouit et se met en ordre ; le canon tire et les fusiliers et mousquetaires saluent. Et voilà que par malheur la bourre d’un tombe sur un des pavillons, dont la couverture est plus facile à brûler que le chaume. On court au feu, mais trop tard, car le boulevard, tout rempli de bois, est tout en flamme, avec un grand magasin tout plein de futailles nécessaires au navire. Chacun tâche de les sauver. Les uns abattent la couverture ; les autres jettent de l’eau ; Monsieur Mousnier et moi sauvions les hardes de l’Église, car elle est vis-à-vis ces corps de logis. Et puis le vent, qui portait la flamme dessus, faisait beaucoup appréhender un embrasement total. Mais Dieu nous fît cette miséricorde de se contenter de ces deux logements, lesquels furent réparés en peu de temps.

Trois jours après, on avertit les soldats pour le voyage des Imaphalles, qui était résolu de si longtemps. Monsieur Mousnier, mon cher supérieur fait tous ses efforts pour y aller, comme il avait fait à celui d’auparavant ; il demande et est refusé. Je l’en divertis autant qu’il m’est possible, vu le danger qu’il y a de s’exposer trop au travail devant que l’on soit fait à l’air du pays. Il voit qu’il était mort des gens sans confession dans les voyages précédents et que quelques-uns partaient pour celui-ci, lesquels n’avaient été à confesse depuis six ans et ne s’en étaient pas mis en peine depuis six à sept mois que nous étions arrivés. Enfin il presse et il obtient son congé. Je m’offre d’y aller, mais on ne veut pas, à cause d’une incommodité que j’avais. Nous tâchons derechef de l’en divertir ; mais c’est en vain. Je lui représente que dans ce voyage on est quelquefois deux et trois jours sans trouver de l’eau, que le chemin est rude, qu’il faut aller toujours nu-pieds, que l’on ne trouve pas de

 

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bons vivres aisément et que le voyage est de vingt-cinq journées pour aller, et autant pour revenir Tout cela n’est pas bas, tant le zèle d’aller le premier parler de Dieu en des lieux où son sacré nom était inconnu, lui fait trouver ces choses douces, se faisant à soi-même ce tacite reproche que, si tant de jeunes gens y allaient avec tant de courage, poussées peut-être du seul motif de gain ou d’honneur, que lui, à plus forte raison, y devait aller pour un si noble dessein.

Le premier dimanche de carême, nous faisons son paquet. Vous lui donnons trois bons nègres, tant pour porter ses ornements que pour l’aider dans la nécessité ; et le lendemain il part quarante Français et bien deux cents nègres, tous bien délibérés et en bon ordre. Deux jours après, nous eûmes nouvelle que Monsieur Mousnier avait marié une négresse bien jolie avec un Français, pour apaiser une querelle qui s’était élevée entre deux Français à cause d’elle, ce qui nous réjouit beaucoup, et qu’un autre avait déjà passé promesse de mariage.

Pour moi, je me préparais à faire le voyage de la mer Rouge, comme j’avais promis à Monseigneur (1) et à M. de La Forets, lequel m’ayant fait l’honneur, le second samedi de carême, environ sur les neuf heures, de venir chez nous pour se réjouir avec moi de son voyage et me proposer d’apprendre la langue de Madagascar, l’on nous vient avertir que le feu est derechef au fort, mais que ce n’était rien. Nous courons vitement et ne fûmes pas plus tôt arrivés que nous vîmes une case et le devant de l’église tout en flammes. Je cours aux fenêtres ; je saute dedans ; je jette coffres, ornements, livres, chandeliers et le reste. Enfin, voyant ce torrent engloutir tout cet édifice, je prends le saint tabernacle, que je donne à porter à un Français. Mais le respect le faisant craindre de toucher ce précieux gage, je l’encourage et d’une main tremblante il l’emporte. Moi tout transporté, je regarde si je pourrai sauver quelque chose. Je vois deux ou trois beaux tableaux, qui étaient la parure de notre autel ; mais la violence de cet élément me contraint de me sauver. Je saisis donc le parement et la nappe d’une main, l’arrachant de force, et me jette par la fenêtre, à laquelle je me trouve accroché et pendu à un clou. Je me débats et romps toute ma soutane et mes habits. Le feu prend en même temps dans deux magasins et dans la maison du gouverneur. Tout le monde emporte ce qu’il peut ; mais chacun, voyant cette furie, songe à soi et tâche de jeter tout hors de sa maison. Mais quoi !

1) M. de Pronis, gouverneur

 

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il n’est plus temps ; les couvertures sont tout en feu. Celui qui a soin du magasin, qui était plein de riz, dans lequel étaient les poudres, crie que l’on vienne à son secours, et on ne l’entend point ; le bruit de la flamme et les cris confus en empêchent. Un le voit par hasard, lequel m’appelle. le cours. Nous sauvons un baril de poudre lorsque le feu, qui prend à tous ceux qui restaient dans ledit magasin, fait un bruit de tonnerre, enlève tout le toit et écarte tous les cotés. Pour lors, tout est de feu et de flammes. Tout le monde quitte le fort et se sauve comme il peut. Je cours à notre case comme la plus proche du fort. La chaleur est si grande que l’on a peine de respirer. Nous mettons des gens aux côtés des maisons avec de l’eau, à cause des flammèches que le vent portait de toutes parts. On jette dans la cour toutes les hardes. Chose merveilleuse que, en moins de demi-heure, tout le fort, avec quarante ou cinquante corps de logis, furent réduits en cendres ! Quel spectacle, Monsieur, de voir le sacré tabernacle à terre au milieu d’une cour ! Mais quoi ! Notre-Seigneur est toujours adorable, quelque part qu’il soit. Nous travaillâmes jusqu’à minuit, avec de grandes appréhensions pour le village. Mais, le vent étant changé, nous commençâmes à respirer. Le feu y demeura quatre jours, avec de prodigieux brasiers.

Je n’ose passer sous silence le zèle pieux d’un matelot lequel entra dans l’église tout embrasée pour sauver le portrait de la sainte Vierge, lequel il apporta tout en feu, à demi brûlé.

Cela fait, on commence tout de nouveau à refaire une forteresse au plus tôt, et nous à nous faire une église et à placer le saint sacrement au plus tôt. Et pour cela, je prends une jolie case que j’avais achetée pour faire prier Dieu les nègres, à laquelle je fais une balustrade d’un coté et dans le devant, afin que ceux qui seraient dehors pussent entendre aisément la sainte messe. Mais les injures du temps incommodent beaucoup ceux qui restaient dehors, et je ne pouvais parler en public. Nous nous mîmes à l’allonger, laissant un balustre tout autour, excepté le chœur, et un portique au devant, afin que les passants, car elle aboutit sur un grand chemin, du moins vinssent voir les cérémonies, en cas qu’ils fussent honteux d’entrer ; ce qui a beaucoup servi ; car il en vient toujours en quantité, lesquels, voyant prier les autres, s’apprivoisent peu à peu et connaissent qu’il n’est pas impossible d’apprendre, comme leur font entendre les Roandries. Et comme il faut tâcher de profiter de tout, je la pare le plus joliment que je peux ; je la tends de tiges et d’images, qui étaient le reste du feu ; et voyant qu’ils étaient fort curieux

 

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de voir mon horloge, je la place en un lieu fort en vue dans notre chapelle. Cela me donne toujours occasion de leur parler de nos mystères. Ils sont étonnes de voir que cela vit et que cela parle, disent-ils. Ils la nomment tantôt Amboa volamena, c’est-à-dire chien d’or, et qui est son nom ordinaire, tantôt malinga, qui veut dire un ange. Mais je leur dis que les anges étaient plus beaux que le soleil et que toutes les choses qu’ils voient, à cause qu’ils servent à Dieu et font tout ce qu’il désire ; que si eux se faisaient baptiser et gardaient ses commandements, ils seraient aussi beaux que le soleil, et que leur âme qui est morte, vivrait. Ils m’écoutent volontiers et avouent qu’il n’y a rien de meilleur que de se faire baptiser.

Une maison d’une négresse étant devant l’église et empêchent que les passants ne vissent prier Dieu je lui dis que sa maison n’était pas bien devant la maison de Dieu. Elle me dit : "Tu dis bien, Zanahary est un grand maître" ; et à même temps se met à l’ôter ; ce qui m’obligea à lui donner une honnête récompense.

Mais voici la fin d’avril et le temps que nos Français doivent arriver. Nous sommes tous en attente. M. de La Forest souhaite son monde, les autres leur compagnon, et moi mon supérieur. Le vingt-troisième mai, sur les trois heures du soir, parait de loin sur une éminence un Français. Tout le monde court et s’assemble, ravi d’entendre des nouvelles, les nègres aussi bien que les Français. Il dit d’une voix languissante que le voyage avait été malheureux, qu’ils n’amenaient que tris peu de bétail, d’autant que tous ces gens-là étaient révoltés. n’avaient voulu vendre le bétail de l’habitation, qu’ils avaient tué de nos meilleurs nègres, et montraient l’or et l’argent qu’ils avaient reçus des Roandries pour tuer les Français, et qu’enfin tous avaient été malades jusques à l’extrémité.

Dieu sait s’il y a sujet de se réjouir. Vous eussiez vu la tristesse peinte sur le visage de tous. Le gouverneur demande s’il n’y a personne de mort. Il répond qu’il n’y en a qu’un, mais qu’ils ont été contraints d’en laisser douze fort malades à six journées de là. Je le suppliai de me dire comment se portait M. Mousnier ; et il me dit qu’il est fort malade et qu’il y a six jours que l’on le porte en tacon ; c’est comme une civière que quatre nègres portent sur leurs épaules. Ah ! mon Dieu, quelle surprise ! Mon cœur est tout glacé. Je supplie à l’instant M. de La Forest de me donner congé. Il me refuse, disant que je tomberai malade. Je viens me jeter aux pieds de N.-S., où après avoir donné quelque chose à la douleur, je me relève ; et me sembla que je devais

 

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partir, tant pour le réjouir, que pour lui porter des médicaments. Je retourne et demande derechef congé à Monsieur de Pronis, notre gouverneur, lequel me l’accorde. Je pars avec notre homme et deux nègres pour nous guider. Il était bien quatre heures du soir. Nous cheminons jusque bien avant dans la nuit, que, ne voyant goutte et ayant rencontré un village, nos guides ne voulurent passer plus avant à cause des eaux fréquentes et des rivières. Je demeure dans la case du tompon. Je m’enquête de lui où étaient les Français. Il me dit qu’un nègre venait d’arriver et qu’ils étaient à demi-journée de là et que lompy sakabira, c’est-à-dire le prêtre, demeurait là, d’autant qu’il était bien malade. Mon Dieu ! que cette nuit me sembla longue ! Il n’était point de lune. Nous ne laissâmes pas pourtant de partir devant jour et cheminons à grande hâte. Enfin nous rencontrons les Français en si mauvais état qu’ils ne pouvaient porter leurs fusils et traîner un pied l’un devant l’autre. Le premier salut, ce fut de me dire de hâter le pas, si je voulais encore voir M. Mousnier en vie. Ah ! quel coup ! C’est pour lors que je quitte tout et passe devant, rempli de tristesse. Nous arrivons au village sur les neuf heures. On me conduit à la case. Mais de tant loin que je l’entendis râler, je vis bien qu’il était à l’agonie et que c’en était fait et que Dieu lui prolongeait seulement In vie pour recevoir le dernier sacrement. Car on me dit qu’il y avait trente-six heures qu’il était comme cela sans connaissance. Je lui donne au plus tôt l’extrême-onction en présence de six à sept Roandries et de quelques Français qui n’en pouvaient plus. Ils montraient tous de la tristesse de le voir en cet état ; ce qui fut cause que je leur parlai de l’incertitude de la vie et leur dis que celui qu’ils voyaient près de mourir était venu pour leur apprendre à croire en Dieu et à le servir et les faire vivre par après dans le ciel où ils n’auraient plus de mal, ni de peine, et que le moindre esclave serait un très grand roi, s’il était baptisé et servait bien Dieu, et quoique le corps de mon frère allât mourir, son âme toutefois ne pouvait mourir, laquelle allait monter au ciel, d’autant qu’elle était baptisée et avait bien servi à Dieu.

Ils écoutaient cela volontiers et me disaient : "Cela est bon ; cela est bon."

Ensuite je considère ce pauvre malade ; je lui tâte le pouls et vois qu’il avait une grosse fièvre. Je me fais raconter sa maladie. On me dit qu’il y avait quinze jours qu’elle le tenait, qu’il avait toujours voulu cheminer à pied excepte les six dernières journées, qu’il avait été apporte sur un tacon, sur lequel il avait tant souffert à cause des branches et des épines qui le heurtaient en passant dans les bois ;

 

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aussi avait-il le visage tout meurtri ; qu’il avait beaucoup souffert, faute d’eau, l’espace de trois jours ; et enfin qu’il y avait cinq jours qu’il n’avait mangé.

Nous prenons une plume, lui arrosons la langue et la bouche de vin d’Espagne. Je vois que cela desserrait un peu l’œsophage et décollait sa pauvre langue. Je prends courage. Je lui fais frotter l’estomac les pieds et les mains avec du vin tiède ; et voyant que cela lui donnait un peu de vigueur, je fais continuer à lui arroser la bouche de temps en temps jusque vers une heure après midi que, trouvant son pouls beaucoup diminué, je vis qu’il n’y avait plus de remède et qu’il fallait que je demeurasse seul dans une terre si éloignée, et me mettais en pensée les peines et travaux prodigieux que cet homme si robuste avait soufferts depuis six ans pour venir en ces pays. "Mon Dieu ! disais-je, que vos jugements sont secrets et vos voies éloignées de celles des hommes ! Vous voulez la conversion de tant de milliers d’âmes dans des pays si éloignés, et néanmoins vous retirez sitôt les personnes qui y viennent avec tant de courage !" Et puis il me semblait que la mort de si braves ouvriers devait être la semence des chrétiens en ces dernières contrées, de même que celle des martyrs l’avait été dans l’Europe. Ensuite j’adorais ses divins conseils et me jetais entre ses bras. Enfin après avoir tous demeuré une heure et demie ou deux heures en prières à faire les recommandations de l’âme, il passa de cette vie en l’autre aussi doucement qu’un enfant, sans jamais faire aucunes grimaces. Sa face devint très belle.

Hélas ! il n y avait si petit ni si grand qui ne témoignât de la douleur. Son décès arriva à trois heures après midi, la veille de l’Ascension, et feu M Nacquart, un lendemain de ladite fête, qui est le temps que Notre-Seigneur fit son entrée glorieuse au ciel et y conduisit tous ces grands patriarches qui avaient tant travaillé pour sa gloire.

Voilà, mon très cher et très honoré Père, ma peine et la douleur de mon pauvre cœur ; voilà, dis-je, le sujet d’affliction que j’avais peine à vous déclarer. Mais quoi ! Dieu a voulu adorons sa divine providence.

Ayant enfin délibéré de ce que je ferais du corps à cause de la chaleur et longueur du chemin, je résolus de le faire apporter à quelque prix que ce fut, tant pour le mettre auprès de nos Messieurs que pour avoir proche de moi après la mort celui qui m’était compagnon pendant sa vie.

Or, ayant cheminé presque toute la nuit, nous nous rendîmes à Tholanghare le lendemain à neuf heures. Chacun accourt chez nous tant pour regretter le défunt que pour me consoler. Mais hélas ! si Tobie ne se pouvait consoler pour avoir perdu

 

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sa vue, comment l’aurais pu faire après avoir perdu ma conduite spirituelle et temporelle ?

Je dis la messe haute des défunts pour le repos de son âme le jour de l’Ascension de Notre-Seigneur, et nous l’enterrâmes avec tout l’honneur possible. Il n’y avait aucun nègre qui n’y fut et ne témoignât de la douleur. Cela fait, je me retire pour songer à moi, voyant l’incertitude de la vie ; je fais inventaire de tout, puis je repasse la vie de notre défunt en mon esprit et tâche de faire moi seul ce que nos Messieurs font dans nos maisons. Oh ! que ce m’était un doux entretien, le zèle et l’affection dont il me parlait de la vertu, lorsque nous étions ensemble dans le séminaire !

L’amour qu’il portait à la sainte Vierge et sa mortification étaient si grands qu’il ne les pouvait cacher. Il parlait incessamment de la glorieuse Vierge et était si fort affectionné aux fêtes que l’Église célèbre en son honneur que ces jours, là il était dans une dévotion extraordinaire et avait même composé des discours pour toutes et sur toutes les vertus de cette Mère de pureté. Il lui avait fait vœu de lui dire tous les jours son chapelet, afin qu’elle lui obtint la grâce de venir dans les pays étrangers.

Pour les macérations et austérités du corps, il n’a jamais quitté la discipline et les veilles, et je l’ai vu souvent passer des jours de jeûnes avec un peu de riz à l’eau et de fromage. Il souffrait beaucoup les jours maigres pour ne vouloir manger de la graisse, laquelle sert ici de beurre, qui ne s’y trouve point. Son désir de souffrir a assez paru lorsqu’il passa deux ans durant à faire l’aumône dans la Picardie et la Champagne pendant les guerres et la famine. Il fallait qu’il allât à pied à quatre et cinq paroisses les desservir, avoir soin de donner et faire manger les malades. Quelles injures quels affronts n’a-t-il point soufferts ! quels hasards n’a-t-il point courus !

Mais quoi ! ne parlerai-je point des désirs ardents qu’il avait de donner sa vie à Dieu dans les pays éloignés, des travaux prodigieux et des fatigues qu’il a souffertes pour dis poser les choses de ce voyage ? Certes je serais trop long. Je vous les laisse à penser, puisque vous en avez été témoin comme moi. Je ne vous dirai non points les peines étranges qu’il lui a fallu souffrir pendant tout le voyage à venir de France : car la personne qui le devait soulager était celle qui l’affligeait d’avantage. Je ne dirai rien non plus des souffrances que je lui ai causées, Dieu m’a laissé au monde pour les reconnaître et en faire pénitence. Seulement je me contenterai de vous dire les travaux qu’il a soufferts dans le dernier voyage des Imaphalles, lequel l’a contenté le plus puisqu’il l’a fait souffrir jusqu’à la mort.

 

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Il lui a fallu faire près de deux cents lieues, nu-pieds, dans des chemins étroits, fort raboteux et pleins de montagnes, manger quelque peu de viande havie et boire de l’eau puante et croupie par l’espace d’un mois, ne manger que fort petitement de méchantes fèves cuites à l’eau, sans sel, ni sans sauce, passer des trois jours à cheminer sans trouver une goutte d’eau pour boire et avec cela avoir tous les jours la fièvre. Les Français me racontant les maux qu’il avait soufferts disaient que, par l’espace de six jours, il avait été apporté comme un mort dans un linge suspendu à un bâton, que deux hommes portaient, et que tout le long du chemin, il avait été heurté beaucoup contre les roches et contre les arbres et qu’une fois qu’il faisait grand froid ils le passèrent la rivière quasi entre deux eaux. Son corps était tout livide et comme une squelette (2).

Je sais que cela est beaucoup. Mais, mon Dieu’quelle peine d’esprit, quelle douleur ne sentait-il point lorsqu’il voyait tant d’offenses contre Dieu, sans y pouvoir mettre ordre ! Quelles calomnies ne lui a-t-il fallu souffrir ! De quelles gènes sa conscience tendre n’a-t-elle été tourmentée ! On lui demanda s il n’avait rien à me dire ; il dit qu’il eut bien désiré me voir pour se confesser Et comme les Français lui disaient de demeurer à quelques vingt lieues de l’habitation, il fit réponse qu’il fallait souffrir et retourner vivement, afin que j’allasse à la mer Rouge avec Monsieur de La Forest, comme il lui avait promis. tant de travaux auraient-ils été inutiles ? Non, certes, car Dieu, qui voyait son cœur, donna une bénédiction particulière à son voyage. Il y baptisa trois de ces femmes débauchées, lesquelles il maria à des Français, qui vivent fort bien et sont l’exemple des femmes de malgaches. Il a empêché plusieurs désordres, échauffé le cœur de ces idolâtres à la foi chrétienne et fait prier Dieu soir et matin les Français et les nègres.

Pendant ce voyage, il dit la sainte messe toutes les fêtes et dimanches et fit faire les Pâques à une grande partie des Français, secourut les malades avec un très grand zèle. Plusieurs m’ont assuré qu’il avait toujours jeûné et dit son bréviaire pendant tout le voyage qui est une fatigue incroyable.

Voilà, mon très honoré Père, le peu que j’ai pu découvrir de ses vertus, depuis que j’ai eu le bonheur d’être avec lui. Je sais qu’il se cachait tant qu’il pouvait et que plusieurs de ses vertus ne nous seront connues que dans l’autre vie.

Après avoir apaisé un peu ma douleur et donné à tout le meilleur ordre que je peux, M. de La Forest fait voile, au

2) Ce nom s’employait au féminin au XVIIe siècle.

 

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grand regret de tout le monde. On se console néanmoins sur son prochain retour, lequel doit mettre ordre à toutes choses.

M de Pronis continue à faire réparer le fort, et moi à faire prier Dieu et instruire ces pauvres néophytes. Tous les jours, quelques-uns se font baptiser. Vous en verrez quelquefois deux, trois quatre, huit, dix nouveaux qui viennent apprendre et écouter prier Dieu. Vous les voyez quelquefois contre la porte qui allongent la tête et sont tout honteux. Ils sont si respectueux pour l’église que, lorsqu’ils ont quelque maladie ou incommodité qui peut dégoûter les autres, ils n’osent entrer dedans.

Rencontrant trois ou quatre fois un qui avait la petite vérole, lequel écoutait de loin, je lui demandai ce qu’il faisait là, il me dit : "Moi j’écoute seulement ; j’ai la petite vérole et suis honteux d’aller dans la maison de lanahary." Je lui dis que Dieu ne regardait que l’âme et qu’il n’était comme les hommes, qui regardent à la beauté du corps. M’interrompant, il me dit. "Fais-moi donc prier." Ce que je fis, dont il témoigna de la joie.

Le même arriva à un pauvre, qui a les deux jambes rompues et va sur les mains. Il me dit : "Moi suis pauvre et les jambes rompues ; ne peux entrer à la maison de Dieu." Je lui dis que les pauvres seraient les plus grands, s’ils étaient baptisés et priaient bien Dieu, et que, lorsqu’ils seraient au ciel, ils n’auraient plus les jambes rompues, qu’ils auraient le corps bien fait et seraient lumineux, comme le soleil il me répondit seulement : "To, to", c’est-à-dire voilà qui est bon, voilà qui est bon. Il a continué de prier Dieu l’espace d’un mois avec beaucoup de peines et sait toutes ses prières.

Un, me voyant dire la sainte messe et faire prier Dieu, s’en vint dans la chambre pour prier en particulier, et, après avoir fait, je l’exhorte à désirer d’être baptisé et être serviteur de lanaitary, qu’il ne songeât plus à ces olis, qui n’étaient que du sable et du bois seulement, et que leurs Ombiasses les trompaient. Il dit qu’il était vrai et que les prêtres de lanahary étaient ompit sakabira toko, c’est-à-dire vraiment prêtres. Baptise-moi, dit-il, lorsqu’il sera venu de tes frères"

Leur ferveur va croissant tous les jours ; et quoique M. de Pronis, qui est hérétique, nous fasse un peu d’ombre, cela n’empêche pas que Dieu n’en retire toujours sa gloire ; car lui m’ayant prié de dire aux Français d’assister aux prières du soir et du matin et que lui les ferait aussi en même temps en sa chambre, je connus que c’était pour y attirer des nègres, comme de vrai, car tous ceux qui étaient à son service n’allaient aux prières que chez lui, et même je fus averti

 

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que deux femmes des Français étaient prêtes d’y aller. Je les en détournai du mieux que je pus, sans toutefois leur faire connaître la différence de religion ; ce que j’ai toujours caché, disant qu’ils étaient baptisés et qu’ils priaient Dieu comme nous autres. Et lorsque sa petite fille venait voir prier, je pli faisais dire son Pater en français devant tous ; ce qui ne faisait pas peu pour rassurer ces pauvres gens, qui s’efforcent de venir soir et matin aux prières, à l’exemple des bons Français.

Dès lors, ne voyant accablé de monde qui venait à toute heure prier Dieu, je fus contraint de les faire tous prier Dieu tout haut dans l’église ; à quoi ils s’arrangent fort exactement, tant les petits que les grands. Plut à Dieu, Monsieur, que vous et tous nos Messieurs entendissent les doux accords nouveaux que tant de voix discordantes de jeunes et de vieils, d’hommes et de femmes, de pauvres et de riches, rendent, étant tous unis à la foi du même Dieu !

J’ai baptisé, ces jours passés, une muette âgée de quelques dix-huit ans. Elle venait incessamment chez nous, je lui montrais des images et tachais de lui faire concevoir notre religion. Elle connaissait par ces figures qu’il y avait un grand Roandrie ; et lui montrant l’enfer avec les démons, elle me fit signe que c’étaient les voleurs et ceux qui tuent et les méchants qui y allaient. On lui fit aussi entendre qu’il ne fallait pas que les filles eussent la compagnie des hommes, et qu’elle serait belle comme le portrait des anges qu’elle voyait. Certes, elle est à édification à tout le monde ; elle ne manque de venir soir et matin aux prières avec les autres, prend de l’eau bénite, fait le signe de la croix, se met à genoux avec tant de modestie qu’elle ne lève jamais les yeux. Je crois que c’est une âme fort agréable à Dieu.

J’ai baptisé quatre ménages de nègres c’est-à-dire l’homme et la femme et les enfants. Le premier, ce fut un bon vieillard, âgé pour le moins de quatre-vingt-dix ans il se mou. rait d’un flux de ventre, qui venait manque de chaleur naturelle et de nourriture. En étant averti, je vais le voir ; j’entre dans une si petite case qu’un homme avait peine d’y être de son long, et si basse que, étant a genoux, la tête touchait au faite du logis. J’y vois sa femme, de pareil âge, qui faisait du feu jour et nuit pour échauffer ce pauvre corps. Je lui parle et m’enquête de son mal Je lui baille un peu de et de bonne nourriture, et le voilà guéri Le lendemain, je le rencontre qui apportait du bois, lequel me dit : "Tu es un Dieu ; je suis guéri ; je suis ton esclave toujours." Je lui fais réponse que c’était Dieu qui faisait tout, lequel avait donné la force à ce médicament. Je lui

 

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dis qu’il vint apprendre à prier, lui et sa femme ; ce qu’ils ont fait tous les jours, et tous leurs enfants. Monsieur le gouverneur leur a fait donner l’ordinaire. Ils se portent bien et travaillent autant que des jeunes gens. Plusieurs viennent bien sept ou huit jours pour apprendre ; mais quand il faut continuer, ils se dégoûtent. Je les fais venir par l’espace de deux et de trois mois, excepté les vieillards, qui n’ont pas de mémoire. J’ai fait attendre une fille un an entier, à cause qu’elle me semblait effrontée ; elle, sans discontinuer, est toujours venue prier Dieu ; enfin sa persévérance m’a gagné ; je l’ai baptisée, et elle est fort bien.

Mais à propos de mariage, je vous dirai qu’outre les trois que feu M. Mousnier a faits, et un, qui était du temps de M. Nacquart, j’en en fait huit de Français et de femmes débauchées. Elles ont été les premières qui sont venues prier Dieu, des premières baptisées et les premières qui ont zélé l’honneur de Dieu. Elles sont, à cette heure, l’exemple, comme je vous ai dit, des autres femmes, lesquelles me disent qu’elles veulent être comme celles des Français, c’est-à-dire mariées tout de bon. Un Français demandant à une si elle voulait offenser Dieu, elle se piqua de cela, disant qu’elle était mariée et qu’il faisait mal de lui parler de la sorte. C’est un bon signe, ce me semble.

Nous avons eu toutes les peines du monde à faire sortir les femmes publiques. J’ai été contraint d’aller dans les cases avec une corde pour les chasser, et cela après avoir usé de prières et supplications et que M. le gouverneur m’avait dit de le faire.

Il y a quatre Français, qui n’ont encore été à confesse, lesquels m’ont donné beaucoup de peine, et cela à cause des femmes. Il y en a un qui en a encore une publique aux champs. Il dit bien qu’il la veut épouser, mais il ne le tait pas, et il en a ainsi abusé trois, depuis que nous sommes ici. Cela fait un mauvais effet. N.-S. y veuille mettre ordre, s’il lui plaît !

Ces gens ici ne s’emportent point de paroles et se paient doucement de raisons. C’est pourquoi les injures et la colère les surprennent et leur blessent le cœur. Nous tachons de les accoutumer à souffrir sans dire mot. Du commencement, elles se plaignaient hautement de leurs maris ; mais elles ne le font plus. Quatre nègres ayant été mariés du temps de M. Nacquart et leurs femmes éloignées par les guerres, ont été remis ensemble avec beaucoup de peine ; il a fallu user de menaces. Ils font bien à présent, excepté un des maris qui ne vient pas à l’église.

Je vous dirai en passant qu’un homme qui est trouvé…

 

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avec une autre femme que la sienne, est condamne à tuer deux, trois et quatre bêtes, selon ses commodités, pour faire panser la femme débauchée… Je dis : pour la faire panser, car sa propre femme en ses parents vont casser la tête à cette mauvaise femme avec un bâton, mais le plus souvent avec une serpe. Tous les parents et amis mangent de ladite bête, excepté le seul mari.

Les femmes sont fort jalouses de leurs maris, et les maris de leurs femmes, en telle façon qu’ils s’espionnent le plus souvent. Et lorsqu’ils ont quelque soupçon ils jurent d’être quinze jours et un mois sans venir à la maison ; ce qu’ils observent exactement.

Une chose horrible et exécrable est que les pères et mères, parents et autres font commettre le péché aux petits enfants dès leur plus bas âge, qui est ce qui leur donne cette inclination et habitude si pernicieuse. Vous verrez de petites filles de l’âge de quatre, cinq et six ans pécher… ; et c’est en cet âge qu’elles sont les plus effrontées et qu’elles savent le plus de mal… Je ne crois pas que l’on puisse trouver un enfant au dessus de trois ans sans être corrompu ; ce qui fait voir qu’il faudra beaucoup travailler pour guérir cette plaie. Quelques-unes commencent pourtant à ouvrir les yeux et à connaître la grandeur de ce mal, et les pères et mères qui prostituaient leurs enfants ont honte de cette infamie.

Je prie N.-S., qui est le vin qui germe les vierges, qu’il donne la pureté à ces pauvres gens et qu’il détruise ce monstre, qui est le plus grand mal du pays.

La fille d’un très bon nègre, et lequel veut être baptise, s’en vint chez nous et me dit : "Mon cœur est fâché ; tu ne me baptises pas ; tu vois que je sais prier Dieu." Je lui fis réponse que je le souhaitais, mais que j’avais peur qu’elle ne fit comme celles qui avaient été mariées du temps de M. Nacquart, et qu’après elle ne songeât plus à Dieu, ou qu’elle ne fut débauchée. Elle repart aussitôt : "Ne dis pas cela, toi, car je ne veux pas être mariée, ni aller avec les hommes" Je la fis mettre à genoux devant ses compagnes et promettre qu’elle ne croirait qu’en Dieu et qu’elle le prierait et ne porterait plus d’olis ; ce qu’elle promit de bonne grâce. Le parrain qu’elle désirait étant aux champs, nous avons différé son baptême.

Nous sommes en peine de parrains. Ce que voyant, je leur dis qu’ils pourraient être parrains et marraines étant baptisés, et que c’était un grand honneur, mais qu’il fallait que ceux-là fussent bien sages et instruisissent et empêchassent d’offenser Dieu ceux qu’ils tiendraient. Cela les fait chercher

 

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des petits enfants à baptiser. Un de mes nègres le lendemain m’amena un petit garçon, pour être son parrain. Après l’avoir interrogé et fait promettre de bien faire, je lui fis tenir cet enfant, auquel il a baillé toutes ses braveries, le fait prier Dieu et lui donne une partie de sa nourriture.

Ces pauvres Indiens ont recours à moi dans leurs maladies, dont je rends grâces à N.-S. ; car, dès qu’il y en a quelqu’un de blessé ou qui est malade, ils me viennent quérir pour recevoir quelque petit rafraîchissement ou soulagement, ce qui sert beaucoup ; car c’est dans ce temps qu’ils m’écoutent plus volontiers. Et cela a été cause que j’ai baptisé quatre petits enfants, qui incontinent après sont morts et par conséquent sont montés au ciel. Nous les avons enterrés avec les cérémonies accoutumées, faisant porter des cierges aux petits enfants de leurs âges. Il y avait sur le corps un linge blanc et des bouquets. La première fois, cela les étonna, mais leur ayant expliqué ces cérémonies, ils furent tous bien aises, leur assurant que ces enfants morts avec le baptême étaient comme des anges au ciel. Un vieillard fort hardi m’interrompit et dit qu’il fallait pleurer comme à l’ordinaire. Or, il faut savoir que ces pleurs consistent à tuer des bêtes et à chanter et à sauter devant le corps et à leur porter à manger et à boire. Je leur dis qu’ils savaient bien que le corps pourrissait et qu’il ne pouvait manger, et que l’âme, laquelle ne mourait point et ne mangeait non plus, vivait d’une autre façon au ciel et priait pour eux, et que je n’empêchais pas le père de traiter ses amis. Pour lors ils dirent que j’avais bien dit et que ce vieillard n’était pas savant. Les pères et mères ensuite coupèrent leurs tresses et ôtèrent leurs affiquets.

Ils ont cette coutume de porter toutes les semaines ou tous les mois du vin dans de petits pots et du riz, qu’ils envoient dans les sépulcres de leurs morts. Les esclaves mangent ce riz et boivent ce vin, puis viennent dire que le mort se porte bien, qu’il a bien bu et mangé. Voyez, je vous prie, l’abus de ces pauvres gens. Je leur dis que leurs pères ont fait cela pour leur faire connaître que l’âme est immortelle et que partant ils doivent servir à Dieu, s’ils veulent vivre toujours heureux dans le ciel.

Ils ont aussi de coutume lorsque leurs parents sont malades, de faire plusieurs danses et olis, et, lorsqu’ils voient qu’ils se portent mieux, ils font du vin de miel, et chacun en prend plein sa bouche, lequel il crache au visage du convalescent. Ils disent que c’est pour chasser la maladie et les renforcer. Ils leur jettent aussi quelquefois du sang, principalement lorsqu’ils ont la fièvre chaude ou qu’ils ont l’esprit

 

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faible ; car pour lors on leur fait des lettres au front avec un bâton de tamotamo, ou autrement de palma Christi.

Pour la circoncision des hommes, elle est extravagante, tant à la façon qu’aux cérémonies qu’ils observent. Je ne vous en dirai mot, d’autant que je crois qu’on vous l’a mandé. Pour celle des femmes, ils disent que leur accouchement est leur circoncision. On m’a dit que, devant qu’une femme accouche, il faut qu’elle dise tout le mal qu’elle a fait et toutes les personnes avec qui elle a offensé. Il faut aussi ouvrir tous les paquets et paniers qui se trouvent dans la maison ; car ils croient que, si elle n’avait tout confessé, elle ne pourrait accoucher. C’est toujours quelque avance pour les dire au sacrement de pénitence.

Mais laissons ce discours et disons que voilà des nouvelles qui viennent d’arriver, d’un jeune Français qui était resté malade, du voyage des Imaphalles, lequel a été massacré par les Ombilambo, c’est-à-dire voleurs de bois, qui se cachent dans des buissons. Il y en a dans les pays ruinés. Ils ne donnent guère de quartier, s’ils vous peuvent surprendre. On nous avertit aussi que les grands recommencent la guerre. nonobstant leur jurement et accord fait avec M. de La Forest. Dian Panola, le plus grand du pays d’Anossi, passe secrètement la montagne avec tout son train ; ce qui met les Français bien en peine, à cause du peu de monde qui reste et qu’il faut envoyer une partie d’iceux à plus de cent lieues pour quérir des bestiaux, ce qui oblige les Français de se saisir de Dian Machicore, qui est le conseil de tous les autres. On l’assure que l’on ne lui veut point de mal, mais que seulement on avait pitié de ce qu’ils voulaient miner tout le pays, comme ils avaient déjà fait, et que, s’il voulait sortir, il fallait qu’il baillât son fils en otage et un de chaque grand ; ce qu’il a fait à bon temps et comme par une spéciale providence de Dieu, comme vous verrez ci-après Machicore étant ainsi détenu, sa femme et ses enfants sont venus demeurer avec lui. Ils me sont venus voir plusieurs fois, sans que j’aie rien gagné avec eux. Enfin un jour je leur montrai les ornements de l’église et les vases sacrés ils étaient ravis et voulaient les toucher. Je leur dis qu’il n’y avait que les prêtres qui les pussent toucher, mais pour leur montrer que ce n’était pas à cause de l’or seulement qu’ils estiment comme un Dieu et auquel leurs esclaves n’osent toucher, je leur baillai à toucher une tasse d’argent doré. La femme du roi la prend et la met sur sa tête, et puis la baise, disant. "Lay la, lay la", cela est grand, cela est grand. Tous les autres ensuite en font de même. Cela fait je prends cette tasse, la jette par terre et crache dessus et leur

 

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dis que ce n’était que de la terre jaune, laquelle n’avait point d’esprit puisqu’elle ne pouvait parler, ni se relever de terre, et que, pour moi, je ne me souciais point d’or ni d’argent, mais seulement de Dieu qui est le grand Maître et qui tait tout l’or et l’argent. Ensuite je lui dis la différence des vaisseaux sacrés. Cette femme de Machicore fut touchée ce coup-là et commença à prier Dieu et me promit de venir ; ce qu’elle continua huit jours, amenant avec elle tous les enfants de son mari, savoir deux grands garçons et deux grandes filles à marier et le petit Jérôme, qui est baptisé, et tous ses esclaves. Je les faisais tous les jours prier Dieu, et même ils venaient à l’église. Sur la fin, Machicore vint aussi prier Dieu ; mais, connaissant qu’ils avaient de la peine à souffrir les esclaves assis dans la chambre où ils étaient, car les esclaves sont toujours assis à terre devant eux, je les prévins et leur dis que je savais bien leur grandeur et que, lorsqu’ils seraient baptisés et viendraient en l’église, je leur baillerais une place selon leur qualité : mais que chez moi je ne pouvais pas faire asseoir à terre les esclaves, à cause de la quantité de monde qui venait incessamment prier Dieu. Cela les contenta, et voyant que Dian Machicore était incommodé d’une jambe, j’allais tous les soirs les faire prier Dieu dans leur case. Je vous dirai franchement, Monsieur, que mon cœur était tout ravi, voyant ce roi à genoux, avec toute sa famille, prier Dieu dévotement. Je lui parlai de se faire baptiser. Il me fit réponse que, pour lui, il était trop vieil, mais qu’il voulait bien que je baptisasse sa femme et ses enfants ; ce que je n’ai pu faire, à cause qu’ils s’en retournèrent incontinent après, lorsque les petits enfants furent arrivés.

M. de Pronis, notre gouverneur, étant tombé malade et surpris de la mort, quoiqu’il n’eut que fort peu avancé pour la sûreté des Français, m’a toujours témoigné beaucoup d’affection, à laquelle je tachais de correspondre par tous les services qui m’étaient possibles. Sa maladie était une colique néphrétique violente et de vingt et un jours. Il m’envoya quérir à minuit le jour de devant sa mort, et, en présence de tous les Français, me pria de vouloir écouter ses dernières volontés d’autant qu’il savait bien qu’il allait mourir. Moi j’écrivais ce qu’il me dicta confusément. Ensuite après lui avoir été demander conseil sur chaque affaire et particulièrement comme quoi il fallait se gouverner avec ceux de la nation, il me recommanda son enfant et me pria d’en avoir soin. Mais voyant sa grande difficulté de parler, on le pria de reposer un peu. Je lui jetai quelques mots touchant sa conversion à la foi, comme je l’avais fait autrefois. Sur quoi

 

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ne m’ayant point répondu, je crus que c’était à cause de quelques hérétiques qui étaient là présents ; c’est pourquoi j’offris le saint sacrifice de la messe que je devais dire bientôt, afin que Dieu lui donnât lumière et disposât de tout selon son bon plaisir. Le jour étant venu, je pris congé de lui, disant que j’allais prier Dieu pour lui. Il m’en remercia et supplia tous les Français de faire le semblable.

Je célèbre donc la sainte messe et recommande son âme à tous. Cela fait, il m’envoie quérir derechef et me met se petite fille entre les mains, après lui avoir dit adieu. Et me voyant seul avec lui, brûlant du désir de son salut, je lui dis : "Monsieur, vous savez l’affection que je vous porte, je suis prêt d’engager non seulement ma vie, mais mon salut éternel pour les vérités de l’Église romaine ; ce n’est pas le bien que je prétends de vous qui me fait parler de la sorte, mais c’est votre bien seulement."

Il pensa un peu et puis me dit qu’il savait bien ce qu’il avait à faire, et me priait de le laisser mourir en repos. Je lui dis : "C’est, Monsieur, pour vous mettre en repos que je prends cette hardiesse de vous parler de l’affaire dont dépende une éternité de bonheur ou de malheur pour vous." Il me réplique : "Monsieur, laissons tout cela ; il n’est plus temps" ; et incontinent perdit la parole et passa sur les onze heures du soir, sans donner aucun signe de conversion.

Mon Dieu ! quelle douleur en mon âme ! il est vrai qu’il avait promis à feu M. Nacquart de faire abjuration : mais croyez que le peu de temps qu’il avait fréquenté ses parents l’avait bien perverti. Il avait toujours travaillé les fêtes et dimanches et souvent fait travailler les nègres, même le jour de la Fête-Dieu et la saint Jean. Par trois fois je lui en ai dit mon sentiment et qu’il ne faisait pas bien et que Dieu ne bénirait pas ses ouvrages ; comme de vrai, car toute la peine qu’il a prise, c’était à bâtir une maison, dans laquelle il n’a jamais logé. Rien ne lui réussissait Dieu est juste. Sa petite fille, qui était désireuse de venir à l’église et de prier comme les autres, n’a point manqué d’y venir toujours quatre fois le jour. Elle savait parfaitement deux jours après la mort de son père, le Pater, l’Ave, le Credo et Confiteor, le Benedicite et l’Agimus, chose qui m’émerveilla. Elle a fort bon esprit et la prendriez pour une femme tant elle est sérieuse. J’ai cherché une honnête femme pour avoir soin d’elle et qui y prit garde comme il faut ; mais c’est ce que je n’ai pu trouver.

Il est arrivé un orage si impétueux qu’il a enlevé la plupart des couvertures des maisons et même des maisons tout entières. Il tomba une prodigieuse quantité de grêle, grosse

 

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comme des balles, et toute glacée ; c’est ce qui ne se voit point en ces pays. Il n’a pas beaucoup fait de tort, Dieu merci. Nous craignons bien pour les riz à cause de la famine qui est à présent dans le pays.

Je voudrais que vous vissiez la misère de ces pauvres Indiens. Ils mangent jusqu’à l’herbe crue, comme les bêtes. On voit souvent les petits enfants qui mangent le sable lorsqu’ils ont faim. C’est un instinct de la nature, de peur que les boyaux ne rétrécissent. Je ne sais à quoi je dois attribuer cette misère, qui arrive tous les ans pendant deux ou trois mois, ou bien à l’avarice des grands, qui prennent tout ce que peuvent avoir ces pauvres gens, ce qui fait qu’ils n’amassent jamais rien et vivent sans souci, ne réservant jamais rien pour le lendemain, ou bien à un châtiment de Dieu, de ce qu’ils ne lui rendent pas l’honneur qu’ils lui doivent, ou plutôt à une miséricorde qui par là les abaisse et humilie, nous les rend plus faciles à convertir. Plusieurs ne demanderaient pas mieux que de se faire baptiser ; mais je veux qu’ils sachent prier Dieu avant, et c’est pendant ce temps que je les éprouve et apprends leurs déportements.

Quelques-uns connaissent un peu les choses spirituelles. Je disais à un qui entend fort bien le français, que mon cœur souhaitait qu’il me servit d’interprète et que je le récompenserais. Il me répond généreusement : "Tu te moques ; il ne faut rien prendre quand on sert à Dieu." Je lui dis derechef : "Je te le baillerai donc, à cause que je t’aime." Il me repart aussitôt : "Ne parle point, car mon cœur ne prendra rien pour cela." Il sait fort bien ses prières et cherche une femme pour être tous deux baptisés et mariés en même temps.

Ces jours passés, un ampanefy volamena, c’est-à-dire orfèvre, étant venu travailler où j’étais, je fus surpris de voir le peu d’outils avec quoi ces gens-là travaillent ; car sa forge était un petit plat de terre ; son soufflet, un calumet ; et son enclume, la tête d’un clou ; et avec cela ils travaillent de bonne grâce et font des ouvrages si délicats et bien faits, que l’on ne croirait jamais qu’ils fissent ces choses, si l’on ne les voyait. Je lui parlai de la diversité d’outils, fourneaux et grandes forges à fer. Sur quoi il me dit : "Je suis étonné, nous autres n’avons point d’esprit, les Vazaha c’est-à-dire les Français, sont trop grands." Je lui dis qu’il était vrai qu’ils n’avaient pas d’esprit d’autant qu’ils ne connaissaient pas Dieu, lequel donnait la sagesse à ceux qui étaient baptisés. "Nous le voyons bien dit-il, et nous nous ferions baptiser, s’il y avait cent ou deux cents Français ici." Véritablement je sais de plusieurs qu’une des choses qui a retenu et retient encore

 

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ces gens ici de se faire baptiser, c’est qu’ils ont peur que les Français ne demeurent pas longtemps dans l’île, ou que, étant peu, les blancs ne les fassent massacrer. Ces orfèvres sont fort estimés de tous, et est dé fend u en tout temps de leur faire aucun tort.

La famine étant venue si grande devers le mois de juillet que plusieurs nègres mouraient de faim, j’ai fait une marmite ici pour tous les enfants, tant baptisés que non baptisés, lesquels sont ravis d’avoir tous les jours une cuillerée de potage. Ils y viennent un bon nombre. Je leur fais le catéchisme moi-même tous les jours à midi. Ils sont assez attentifs et modestes. Il y vient même des mères apporter leurs petits enfants ; ce qui me réjouit ; car ils sucent ce lait spirituel fort avidement. Je suis résolu de continuer toujours, vu le fruit qui en provient, et pour les exciter davantage. Même les enfants des Français qui n’y manquent point. Je donne, tous les dimanches, un prix à celle ou à celui qui a le mieux dit ; ce prix est une médaille ou une croix de cuivre.

Et à propos de croix, je vous supplie très humblement, Monsieur, de nous en envoyer s’il vous plaît, mille ou deux mille, grandes comme la moitié du doigt, ou plus grandes, si vous le voulez bien. Il les faudrait massives et de cuivre seulement ; car d’étain, ils les coupent pour mettre à leurs bracelets. Cela est une marque pour les faire connaître ; car ils les portent au col comme aussi les chapelets que je leur donne, lesquels ne sont pas bons de bois, d’autant qu’ils se cassent incontinent et aussi d’autant qu’ils déteignent. Il les faudrait d’os ou de corne blanche ou teintés en rouge ; car de noir, il ne les aiment pas.

Pour ce qui est des Agnus, il n’en faut point, d’autant qu’ils portent des olis au col qui sont comme cela ; c’est de la cire, dans laquelle il y a du sable.

Pour donc plus facilement faire retenir les points de notre foi à ces petits enfants j’ai prié l’interprète de me tourner mot à mot en la langue du pays notre petit catéchisme ; ce que nous avons fait ; et me sert beaucoup, d’autant que j’ai été contraint, pour plusieurs raisons, de ne me servir plus d’interprète.

Mais moi-même tous les dimanches, après avoir dit la sainte messe, les fais prier Dieu tout haut, et puis leur parle l’espace d’un quart d’heure. Si toutefois je ne me fais pas bien entendre, le premier homme ou la première femme l’explique aux autres. Ils s’échauffent de plus en plus à notre sainte foi, en telle façon que je vois venir tous les jours de nouvelles personnes prier Dieu. Toutes les femmes de Tholanghare sont dans le désir de se faire baptiser et d’être mariées à

 

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l’église, comme aussi beaucoup d’hommes. S’il y avait ici deux ou trots prêtres, j’espérerais que, devant un an, presque tout le pays d’Anosi, quoique grand, serait baptisé. Il y a deux ou trois des principaux maîtres de villages qui m’ont dit qu’ils se feraient bien baptiser, mais qu’il n’y avait personne pour les faire prier Dieu. Je tache de les porter à désirer d’être baptisés et leur en fais produire des actes, afin que ce baptême in voto supplée dans la nécessité.

Je leur apprends à se confesser. Il y a douze grandes personnes et deux enfants qui ont rendu le devoir. J’espère que devant Pâques tous se confesseront, s’il plaît à Dieu. Ils se rendent très assidus aux prières du soir et du matin, et même à midi. Les honteux et les vieilles gens viennent chez nous, et je les fais dire en particulier.

Nous avons institué de faire le pain béni tous les dimanches ; ce qui les encourage beaucoup, se voyant traités comme les Français. La semaine passée, m’apercevant que quelques-uns ne venaient que lorsque les prières des Français étaient faites, je jugeai aussitôt qu’ils croyaient que nos prières étaient particulières et seulement pour nous ; ce qui m’obligea de leur déclarer que personne ne dit son Pater qu’il ne prie pour tous les catholiques et que ceux qui sont en France priaient pour eux, et eux pour ceux qui sont en France, que nous ne faisions qu’un même corps. Et aussi ils voient bien que l’on ne nous baille à tous qu’un même pain béni. Cela les contenta fort, et n’ont manqué de venir de bonne heure, Dieu merci. Les femmes d’elles-mêmes se sont séparées des hommes dans l’église ; elles se placent au bas, ou bien proche le balustre, quand il y a trop d’hommes.

Je vous dirai ceci en passant, Monsieur, qu’à présent que j’écris, toutes les femmes du village dansent depuis le matin jusqu’au soir et pendant toute la nuit, avec des mouvements de corps si puissants que vous ne sauriez croire comme elles y peuvent résister. Cela se fait pour leurs maris, qui sont en guerre. Mais, chose étrange ! dès lors que l’on sonne la prière, elles quittent toutes leurs danses et viennent à l’église. La première fois, voyant leurs seins découverts je leur dis que je ne trouvais pas mauvais qu’elles dansassent pour passer l’ennui de l’absence de leurs maris, mais qu’elles feraient mieux de cacher leur sein et que les femmes de France seraient honteuses de les voir de la sorte. Elles dirent toutes d’une voix : "To, to", c’est-à-dire tu dis bien et dès lors cachèrent leur sein. En ces danses filles portent trois baguettes de trois sortes de bois, qui sont, disent-elles pour rendre leurs maris heureux. Elles sont masquées en hommes et font comme si elles se combattaient les unes avec les

 

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autres, et cela avec de grands cris et acclamations et en cadence, battant la terre des pieds si fort, qu’elles la font trembler. Elles tiennent les bras étendus, se haussent et baissent et font des grimaces étranges. Moi je leur dis que, si elles veulent que leurs maris se portent bien et gagnent la bataille, il le faut bien demander à Dieu, qui ne manquera de leur donner la victoire.

Depuis peu, trois braves jeunes hommes hérétiques ont fait abjuration de l’hérésie et ont montré une force et un courage merveilleux en cette action. Un autre est mort dans le dessein et le désir, car la parole lui manqua lorsque nous allions commencer. Ce n’est pas peu pour le bon exemple des nègres. Il en reste encore deux, à qui j’espère que Dieu fera la grâce de connaître la vérité. Je vous supplie, Monsieur, de recommander cette affaire à Notre-Seigneur.

Je m’oubliais de vous dire que j’ai été désireux, pendant l’absence du navire, d’apprendre à lire en la façon du pays, tant pour connaître mieux leurs tromperies que pour trouver quelque moyen de leur faire connaître la vérité. Je tais donc venir chez nous un des plus grands et plus savants Ombiasses du pays, lequel s’appelle Rabobe, et qui s’est vanté d’avoir fait mourir feu M. Nacquart par ses olis, lui ravi d’être chez nous, et moi bien aise de pouvoir savoir lire et écrire Il me propose tout d’abord d’acheter un de leurs livres, afin de lire dedans. C’était ce que je désirais le plus. Il m’en apporte deux, que j’achète. Je fais marché avec lui pour m’enseigner, et commence à travailler tout de bon. En peu de temps j’appris à écrire et puis à épeler. Et comme j’étais bien aise de me servir de l’occasion et que je désirais savoir les principes de leur loi pour mieux expliquer nos mystères, je prie un jour notre interprète de venir pour m’aider. Il vient, et M. le gouverneur s’y trouve aussi. Je lui fais donc demander ce qu’il pensait de la création. Il nous raconta des choses ridicules, savoir que Dieu avait jeté l’homme comme un morceau de chair, lequel, après être grand, fit un si grand feu qu’il pensa brûler le ciel, ce qui fâcha grandement Dieu, et mille autres fables, que je serais ennuyeux de vous écrire. Je lui demandai aussi touchant Abraham. Il nous dit que, s’étant fâché contre son fils et voulant le sacrifier à Dieu, il fut changé en un taureau ; et fut une heure à nous raconter cette fable. Ensuite je lui demandai ce qu’il pensait de Salomon, qu’ils nomment Mose. Il dit que, comme il était petit, il criait si haut proche de sa maison, que Dieu l’entendit du ciel et envoya un ange pour lui demander ce qu’il voulait. Lui ne voulut point dire à l’ange et cria plus tort, de sorte qu’il étourdissait Dieu, lequel vint parler à lui, et pour l’apaiser

 

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lui fit donner une vache pour lui donner à téter ; et continua cette histoire pleine de sottises.

Voyez, Monsieur, je vous prie, l’aveuglement et l’ignorance de ces pauvres gens, et s’il n’est pas vrai que Dieu a permis qu’en voyant ils ne voient point, et qu’entendant ils n’entendent point. Je lui demandai s’il ne savait pas bien que Salomon avait fait un temple et comment il l’appelait. Il dit qu’il n’en savait rien. Je lui fis demander comment il appelait un autel sur lequel on sacrifice ; il dit que cela s’appelait lafika, qui veut dire un tapis que l’on met à terre et sur lequel ils sacrifient. Enfin, voyant qu’il ne savait rien, je lui demandai d’où venait qu’il était si ignorant. Il me fit réponse que c’était a cause qu’un grand livre qui était chez le roi avait été brûlé. Mais c’est une menterie, d’autant que ce livre a été brûlé depuis peu ; et connus que c’était pure ignorance ; car, voulant lui faire expliquer ce qu’il me montrait à lire, il dit qu’il ne l’entendait pas. Cela m’étonna. Je demandai à l’interprète l’explication, croyant qu’il ne la voulait pas dire pour quelque raison ; mais il m’assura que ni lui ni eux ne le sauraient expliquer, mais qu’ils lisaient et écrivaient cela comme un paysan quelque oraison en latin ; ce qui me découragea de perdre davantage de temps à apprendre à lire, vu que cela ne me servirait que fort peu et que Dieu me donnerait la grâce de l’apprendre, lorsqu’il viendrait un dictionnaire arabique. Je prends donc une grande Bible dans laquelle sont les images, et lui montrai comme s’était passée la création, et quelques autres mystères. Mais lui ne prenait pas de goût à cela, étant enivré de ses rêveries. Je lui parlai de se faire baptiser et de lui bailler de l’avance, en cas qu’il voulut enseigner nos mystères aux peuples. Il me dit qu’il le voulait bien ; mais je pense que ce n’était que de la bouche.

Ce sont ces Ombiasses-là qui font le plus de mal, car ils intimident tellement les peuples qu’ils croient qu’ils peuvent les faire malades et mourir quand ils veulent, et leur faire toutes sortes de maux Il est vrai qu’ils se servent quelquefois méchamment de mauvaises racines, lesquelles, quoiqu’elles ne soient pas poison, indisposent néanmoins et rendent malades. Celui-là même me fit présent d’un pot de miel, lequel était plein de la raclure de ces racines et de monsavy ; ce sont des petits morceaux de bois en façon de charmes. Mais cela n’a aucun effet.

Je vous envoie, Monsieur, un de leurs livres, dans lequel vous pourrez voir tous leurs olis, qui sont comme des oraisons qu’ils écrivent sur de l’écorce et les font porter au col. Il y en a pour toutes les maladies et pour toutes sortes de richesses. Les Ombiasses impriment quelquefois avec un fer

 

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chaud des caractères aux grands, qui sont les marques de grandeur. Ils portent aussi une ceinture pleine de papiers écrits, qu’ils appellent soraty. Ces mêmes Ombiasses ont aussi plusieurs figures et caractères bleus imprimés sur leur peau.

Mais pour revenir à ces quatre petits Roandries, qui sont les fils de tous les plus grands de la terre, lesquels on tient en otage pour la sûreté de l’habitation, ils sont venus fort longtemps prier Dieu. Ils savent fort bien leurs prières. Il y a le fils de Machicore, qui est ondoyé. Comme je m’aperçus qu’ils portaient des olis au col, je leur dis que leurs dieux ne pouvaient parler et n’avaient point d’oreilles, et que ce n’était que du sable seulement, et qu’il les fallait jeter. Ils demandèrent un couteau ; ils les coupent et les jettent et ensuite me demandent de petites croix pour les mettre à leur col. Je leur en donnai de cuivre et leur dis que le roi de France en porte une. Ils étaient tout glorieux et ils la portent toujours. J’attends ceux du navire pour être leurs parrains et les baptiser. Ils le désirent beaucoup.

Nos gens qui étaient allés en campagne après la mort de M. de Pronis sont revenus en bonne santé, Dieu merci. Mais les blancs par présents ont fait soulever tous les peuples contre eux, et ont failli y perdre la vie, et Dian Panola, qui est le chef de tous les autres, est fâché d’avoir manqué ce coup et brasse des trahisons plus que jamais, en telle façon que l’on fut contraint de se saisir de sa personne jusqu’à ce que M. de La Forest fût de retour, pour y mettre ordre.

Mais voici le dernier et le plus grand de tous les malheurs qui nous sont arrivés et par lequel je finis. On voit venir le navire ; chacun se réjouit ; on saute, danse ; il est proche ; mais il ne salue point. La peur saisit un chacun ; on se parle à l’oreille, savoir ce que ce peut être. Enfin on met à terre des gens, qui ne sont pas plus tôt arrivés qu’ils disent que M. de La Forest est mort et que la barque est perdue. La plupart pleuraient. Vous eussiez dit que chacun avait perdu son père. On leur demande comment cela est arrivé. Ils disent que la cause de tous les malheurs sont les grands, lesquels avaient envoyé par terre de l’or et de l’argent aux maîtres des pays où devait aller M. de La Forest, afin de le faire assassiner, et leur avaient de plus fait dire que c’était un homme qui ne valait rien, et qu’il n’était pas comme M. de Pronis en telle façon qu’un jour, M. de La Forest se promenant, il vient un grand nègre demander à se battre contre lui. Lequel lui donna un coup de volo sur la tête. M. de La Forest fit semblant seulement de le coucher en joue et ne le voulut pas tuer, de peur de perdre la traite. Il s’enfuit.

 

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Mais ils prirent avantage de cela, en telle sorte que, sept ou huit jours après, ayant apporté des marchandises, ils le pressèrent de les venir voir ; à quoi il se laissa aller ; et en descendant pour cet effet une petite colline, il fut assassiné, après s’être longtemps défendu. Mais la perte de son sang pour un coup qu’il avait reçu sur la tête, lui fit faillir les forces. Ce fut le quatrième juillet que cela arriva, et trois autres furent aussi assassinés avec lui, sans jamais avoir le temps de tirer un coup, desquels le frère de M. Gaudin, docteur de Sorbonne, et lequel est tourangeau, en était un. La raison pour quoi les grands ont fait cela a été l’envie ; car voyant cet homme si bien fait et de si bonne grâce, à qui non seulement les Français, mais même les nègres portaient tant d’honneur et d’amour, lequel mettait si bon ordre à tout, ils jugèrent que c’était tout de bon qu’il allait fortifier l’habitation.

Ce jourd’hui, j’ai baptisé une famille de quatre et marié le père et la mère. Dian Mananghe, duquel j’ai baptisé les deux enfants aines et qui est un grand Roandrie, après lui avoir parlé de se faire baptiser lui et tout le reste, comme aussi son père et son frère, que sont rois comme lui ne s’en sont pas éloignés et me demandaient souvent s’il était vrai que celui qui serait baptisé irait au ciel et que celui qui ne le serait pas irait en enfer et même me demandaient les choses assez en particulier. Il laisse ici son plus jeune garçon, lequel il m’a donné permission de baptiser. C’est beaucoup pour des grands. Si celui-là était baptisé, il y en aurait bien d’autres. Le grand-père, qui a près de cent ans, lequel néanmoins se porte bien et est très prudent, me demandait si je baptisais les vieillards et si on ne faisait point de mal ; sur quoi l’ayant satisfait il me dit que cela était bien et qu’il y penserait. Mais je lui dis que dès à présent il n’eut point de croyance aux olis, mais seulement à Dieu, et désirât d’être baptisé et qu’il invoquât Dieu lorsqu’il serait en crainte.

Le fils aîné de Dian Mananghe, lequel s’appelle Dian Masse et qui est baptisé, est un des plus vaillants du pays et a un très bon esprit. Il est fort bien fait, prie Dieu tous les jours devant ses gens le lui disais d’instruire sa femme et ses gens ce qu’il m’a promis. Ils partent demain pour s’en retourner.

C’est tout ce que je vous puis mander à présent, vous suppliant de faire prier Dieu pour la conversion de ces pauvres gens et pour la mienne particulière, qui suis, Monsieur mon très honoré Père, votre très humble et très obéissant fils et serviteur.

T. BOURDAISE,

indigne prêtre de la Mission

 

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1992. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Vous savez qu’entre les ouvriers dont il est parlé dans l’Évangile (1), quelques-uns furent appelés sur le tard, qui furent néanmoins récompensés au soir, comme ceux qui avaient travaillé dès le matin. Ainsi mériterez-vous autant d’attendre en patience la volonté du Maître, que de l’accomplir lorsqu’elle vous sera signifiée, puisque vous êtes prêt à tout, prêt à partir et prêt à demeurer. Dieu soit loué de cette sainte indifférence, qui vous rend un instrument très propre pour les œuvres de Dieu !

 

1993. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

14 janvier 1656.

Je ne sais si je vous ai mandé comme il a plu à notre Saint-Père de confirmer notre petite compagnie et l’usage des vœux simples. A tout le moins je vous prie de nous aider à en remercier Dieu. Cette approbation nous déclare néanmoins du corps du clergé séculier.

 

1994. — A JEAN MARTIN, SUPÉRIEUR, A TURIN

De Paris, ce 2n janvier 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je n’ai point reçu de vos chères lettres depuis la dernière,

Lettre 1992 — Abelly, op. cit., 1. III, chap. V, sect. II, p. 45.

1). Évangile de saint Mathieu XX, 1-17.

Lettre 1993. — Manuscrit de Marseille. L’original était de la main du saint.

Lettre 1994. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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que je vous ai écrite de ma propre main, et ainsi je n’ai rien à vous dire, sinon que voici une lettre d’un de vos parents sur le sujet de M. votre frère, duquel je ne sais pas qu’on ait aucune nouvelle. Je prie Dieu qu’en quelque part qu’il soit, il soit bien, et qu’il adoucisse la peine que vous en avez. Je le prie aussi, Monsieur, qu’il vous fortifie en votre travail, afin que vous ne succombiez pas sous le faix, mais que vous puissiez continuer à rétablir en sa grâce les âmes qui s’en sont éloignées par l’ignorance et le péché. Pour cela, il est à désirer que vous ménagiez bien votre santé et que vous joigniez à ce soin une grande confiance en sa bonté ; car ainsi elle vous sera propice en tous vos besoins et prendra plaisir de bénir les services que vous lui rendez. Ce sont les souhaits de mon pauvre cœur, qui est plein d’estime et de tendresse pour le vôtre et qui embrasse affectionnément votre petite compagnie.

Je suis en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

 

1995. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

21 janvier 1656.

J’ai reçu une lettre de M. B. avec la vôtre ; mais dites-lui, s’il vous plaît, que je ne fais point de réponse à ceux qui ne font pas ce dont je les ai priés, et que, lorsqu’il l’aura fait, je lui écrirai. J’ai écrit autant ou plus de lettres en Alger qu’à Tunis depuis 8 ou 10 mois ; cependant M. Barreau, par ses dernières, dit n’en avoir reçu aucune, au lieu que ceux de

Lettre 1995. — Manuscrit de Marseille

 

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Tunis disent en avoir reçu 6 ou 7. Je vous prie de me mander si vous en savez la cause. Peut-être que les barques par qui vous les avez envoyées se sont perdues. Il y avait une lettre de change qu’une bourgeoise de Paris envoyait à son fils esclave ou plutôt renié, qui a dessein de se sauver et qui lui avait demandé 4 ou 500 livres à prendre à Venise, quand il y arriverait, pour s’habiller et s’en venir. Or cette mère est en peine de n’en avoir point de réponse, aussi bien que moi. Si vous avez une occasion présente d’en écrire un mot audit sieur Barreau ou à M. Le Vacher, je vous prie de le faire.

 

1956. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 21 janvier 1656.

Vous ferez bien, Monsieur, de ne garder aucun argent à part, mais de le mettre entre les mains du procureur, lequel ne doit pas ignorer que c’est au supérieur à disposer de ce qui est dans la procure, et encore moins doit-il trouver à redire à l’emploi que vous en ferez. Je vous prie donc de ne faire aucune difficulté de lui en demander, quand besoin sera. Chacun sait que vous n’êtes pas pour en abuser, ni pour faire des dépenses superflues.

Vous n’êtes pas sitôt arrivé de vos missions que vous voilà dans un autre emploi, par les exercices que vous donnez aux curés, au lieu de prendre quelque repos. Oh ! que celui que Dieu vous prépare au ciel sera grand puisque vous en prenez si peu sur la terre, où vous consumez votre vie pour l’amour de Notre-Seigneur, qui a donné la sienne pour notre salut ! Je le prie pourtant

Lettre 1996. — Reg. 2, p. 205.

 

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qu’il vous conserve longuement, pour faire que sa mort soit efficace sur les âmes que vous assisterez.

 

1997. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

Rome, janvier 1656.

En la mission que nous venons de faire à Breda nous avons remarqué une grande assiduité du peuple à nos sermons et catéchismes, auxquels ils assistaient avec un si grand désir d’en profiter, que ce qu’ils y entendaient faisait une vive impression dans leurs cœurs, en sorte qu’on les voyait après s’instruire et s’exhorter les uns les autres. Toute la matinée du jour de la communion se passa en réconciliations et embrassements qu’ils se faisaient les uns aux autres ; en quoi l’on voyait manifestement la force de la grâce de Dieu ; car les plus apparents du lieu, tant hommes que femmes mettant bas tous les respects humains, ne faisaient point difficulté de s’humilier devant les plus pauvres et leur demander pardon des fautes qu’ils avaient commises à leur égard. Mais quand ce Vint à la prédication, qui se fit immédiatement devant la communion les cœurs s’attendrirent de telle sorte que peu s’en fallut que plusieurs ne tombassent évanouis. Et celui qui prêcha fut contraint d’interrompre par deux fois son discours et de cesser de parler pour arrêter le cours des larmes et des soupirs de ce bon peuple. La prédication étant achevée, un prêtre du pays s’avança vers le grand autel, où, s’était prosterné en terre, il demanda hautement pardon de la vie scandaleuse qu’il avait menée, premièrement à Dieu et ensuite au peuple, lequel, étant extraordinairement touché d’un tel exemple, se mit à crier tout haut : Miséricorde !

Le diable, envieux de tant de bons succès, s’efforça de les traverser en troublant le bon ordre et la bonne disposition de ce peuple dans la procession qui se fit après les vêpres, au sujet de la préséance qui était réciproquement prétendue par quelques confréries de pénitents établies en la paroisse. Mais Dieu, par sa bonté, empêcha ce désordre en ce que, pendant la contestation, quelqu’un ayant avancé que le prédicateur avait dit que la préséance appartenait aux Pénitents vêtus de blanc le grand respect qu’un chacun avait pour tout ce que

Lettre 1997. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. III § 2, p. 63.

 

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venait de cette part, fit que tous acquiescèrent à cette parole sans en faire une plus grande discussion et par ce moyen la procession se fit avec grande piété et avec une singulière édification d’un chacun.

Je crois ne devoir pas ici omettre une chose, qui est qu’ayant exhorté le peuple d’acheter une croix d’argent pour servir à leur église, il n’y en eut aucun qui ne voulut avoir part à cette bonne œuvre, en sorte que, chacun ayant fait ses petits efforts pour y contribuer, la somme qui fut recueillie se trouva monter à cent écus qui était plus qu’il ne fallait.

 

1998. — A LOUISE DE MARILLAC

[Janvier 1656] (1)

Mademoiselle Le Gras verra, s’il lui plaît, si ce projet de lettre (2) pour Nantes est comme il faut ; sinon, elle y changera, ajoutera et ôtera ce qu’elle jugera à propos (3) :

"Monsieur, par la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, vous nous demandez, de la part de Messieurs les pères (4), une autre fille qui entende à composer les remèdes autant pour le moins que la sœur Henriette, autrement non. A quoi je vous dirai, Monsieur, que nous n’en avons point de si avancées en cet office, bien que nous en ayons qui le savent faire à suffisance et qui l’ont exercé et l’exercent utilement dans les paroisses de Paris, sans que jamais il y en ait eu plainte (5) et de celles-ci nous vous en donnerons une dont vous aurez sujet de vous contenter. Peut-être s’en trouvera-t-il quelqu’une entre] es cinq qui sont dans l’hôpital, et,

Lettre 1998. — L. non s. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Voir note 8

2) A M. l’abbé de La Meilleraye, principal administrateur de hôpital de Nantes.

3). Ces premières lignes sont de la main du saint.

4). Les administrateurs de l’hôpital de Nantes.

5). Ces neuf derniers mots sont de la main du saint.

 

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en ce cas, nous y enverrons une fille, qui servira les malades à la place de celle-là qui entreprendra l’apothicairerie ; et s’il n’y en a pas une qui soit assez dressée pour cela, nous l’enverrons d’ici. Que si vous, Monsieur (6) n’en voulez aucune ni de là ni d’ici pour cet emploi, si elle n’a la même expérience que celle que vous nous avez renvoyée, vous excuserez, s’il vous plaît, notre impuissance, et vous aurez agréable que nous en demeurons au terme du traité, qui n’oblige point nos sœurs à faire les remèdes. Je vous supplie, Monsieur, de me mander la dernière intention de Messieurs les pères sur ceci et s’ils trouveront bon que nous leur envoyions une sixième fille, puisque, pour faire les autres offices, cinq ne suffisent pas, joint que c’est (7) les accabler de travail (8)."

 

1999. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 28 janvier 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres en même temps, des 8 et 13 janvier. J’avais déjà su la bénédiction qu’il a plu à Dieu donner à vos travaux en la mission de Pianezze (1) par une lettre

6) Mot ajouté en interligne par saint Vincent.

7). Première rédaction : s’ils ne veulent. Le saint a corrigé de sa propre main.

8). Louise de Marillac ajouta ces mots au bas de ce projet de lettre : "Réponse à cette lettre de Monsieur l’abbé de Meilleraye projetée par Monsieur notre très honoré Père en janvier 1656, par laquelle l’on doit remarquer l’esprit d’humilité, de douceur, de support, de prudence et fermeté, et particulièrement l’esprit de Dieu en lui, par lequel nous devons croire qu’il agit toujours selon les effets que Dieu en fait connaître, dont il soit glorifié à jamais."

Lettre 1999. — L. s. Dossier de Turin, original.

1) Petite commune du Piémont.

 

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que M. le marquis m’a fait l’honneur de m’écrire où il témoigne en être fort satisfait. Dieu en soit loué ! J’en ai une consolation très sensible. Mais je suis également affligé du peu de secours que vous recevez de vos gens et du peu d’affection que quelques-uns témoignent à la langue du pays et aux fonctions de la compagnie. Je prie Dieu qu’il leur fasse connaître le tort qu’ils ont d’en user de la sorte et le compte qu’ils en rendront au jugement de Dieu, s’ils ne se portent à leur devoir, en la vue des besoins du pauvre peuple et des exemples que vous leur en donnez. Vous ne devez attendre personne de Gênes pour vous aider ; car, M. Blatiron ayant parlé à Mgr le cardinal pour vous prêter M. Richard, S [on] E [minence] a changé de discours, qui est un signe que cette proposition ne lui plaisait pas. Nous vous destinons à la vérité un prêtre savoyard, qui prêche bien (2) ; mais je ne sais s’il parle italien, et encore ne pourra-t-il arriver à Turin que vers le carême. Cependant je prie Notre-Seigneur qu’il soit votre premier et votre second dans les autres missions que vous allez entreprendre. L’assistance singulière que vous avez reçue de lui en celle que vous venez de finir doit augmenter votre confiance en son secours dans les suivantes ; et j’espère que vous en recevrez davantage que vous n’avez fait de la part de vos prêtres. Nous tâcherons aussi de vous envoyer un frère autre que Lasnier, lequel nous avons mis à l’apothicairerie, afin de le rendre capable de prendre la place d’Alexandre (3), si Dieu disposait de lui.

Je rends grâces à Dieu de ce que votre fondation est faite. Mondit seigneur m’en a dit un mot en général, et vous m’en écrivez le particulier. Je lui ferai une lettre

2) M. de Musy

3) Le frère Alexandre Véronne

 

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de remerciement au premier jour ; mais de lui faire connaître la grandeur de notre reconnaissance, il n’y a que Dieu qui le puisse faire. Souvenez-vous de régler votre dépense au revenu.

Vous êtes hors de peine à présent, aussi bien que nous, de l’absence de M. votre frère ; car je pense que vous avez su comme il est allé à Rome. M. Blatiron me mande qu’il est à Gênes, logé en leur maison, attendant l’occasion de partir avec sa compagnie. Ce sont de jeunes hommes, qui l’ont enlevé de Paris pour faire ce voyage. Cela étant, vous ne devez pas vous mettre en soin pour ses affaires, ni envoyer la procuration que l’on vous a demandée.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà. Chacun s’y porte bien, grâces à Dieu. J’ai commencé de sortir depuis huit jours, ce que je n’avais pu faire pendant trois mois. M. Guillot est aussi guéri. Nous allons envoyer les trois prêtres revenus avec lui à Agde, à Cahors et à Tréguier. M. Ozenne est toujours en Silésie avec la reine de Pologne, et M. Desdames tient bon à Varsovie avec M. Duperroy. Ils sont tous en paix, et il semble que Dieu veuille faire changer de face aux affaires de ce royaume-là, les Tartares et les Cosaques s’étant joints au roi contre les Suédois.

Je salue votre famille avec toute l’affection que je le puis, et j’embrasse votre chère âme de toute la mienne, qui suis en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission de Turiri, à Turin.

 

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2000. — A UN SUPÉRIEUR

30 janvier 1656.

Vincent de Paul prie ce supérieur de ne pas accepter l’invitation d’un curé riche qui offrirait sa table aux missionnaires, lors même que ce curé le trouverait mauvais.

 

2001. — A NICOLAS ÉTIENNE, CLERC

30 janvier 1656.

J’ai vu ce que vous avez fait à Chartres ; je rends grâces à Dieu de la disposition où vous avez trouvé M. Le Feron, votre oncle, de nous considérer pour son prieuré de Saint-Martin (2). Je ne sais ce qui en arrivera, mais il semble qu’il y ait eu quelque chose de Dieu dans cette entrevue. Le bienfait proposé me semble si grand, que je me trouve au même état où je me trouvai lorsque feu M. le prieur de Saint-Lazare me vint offrir cette maison ici ; j’avais les sens interdits comme un homme surpris du bruit du canon qu’on tire proche de lui sans qu’il y pense ; il reste comme étourdi de ce coup imprévu ; et moi je demeurai sans parole, si fort étonné d’une telle proposition que lui-même, s’en apercevant, me dit :

Lettre 2000. — Collet, op. cit., t. II, p. 150

Lettre 2001 — Reg. 2, p. 58.

I). Nous lisons à son sujet dans le catalogue du personnel : " Nicolas Etienne, né le 17 septembre 1634, reçu à condition d’être clerc toute sa vie, à cause de la notable difformité d’une de ses mains, le 8 août 1653, a fait les vœux le 8 août 1655 et a été ordonné prêtre par dispense le 31 août 1659, à condition d’aller à Madagascar." Nicolas Etienne partit une première fois en 1660. Il ne put aborder et revint en France. Trois ans après, en mai 1663, il s’embarqua de nouveau et arriva à destination en septembre. Son apostolat fut de courte durée. Un chef malgache Dian Manangue qui avait promis de recevoir le baptême, l’invita à dîner, l’emprisonna et l’assomma le 27 février 1664. (Mémoires t. IX, pp. 374-494.)

2.) Saint-Martin fait partie de la ville de Dreux.

 

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"Quoi ! vous tremblez !" Oui, mon cher frère, celle dont vous venez de m’écrire a fait quasi le même effet en moi, et je n’ose y arrêter ma pensée, lorsque j’ai dans l’esprit la vue de notre indignité, sinon pour admirer la bonté de M. le prieur de Saint-Martin d’avoir jeté les yeux sur une petite compagnie naissante et chétive comme la nôtre.

Une autre chose me donne encore beaucoup d’admiration et de reconnaissance : c’est l’offre que vous faites de votre bien pour nous établir en ce lieu-là, et ainsi vous dépouiller de tout pour la gloire de Dieu. C’est vous mettre en état, par ce dépouillement volontaire, d’être revêtu de l’esprit de Jésus-Christ, pour accomplir votre sanctification et procurer celle d’autrui.

Je vous remercie très affectionnément, mon cher Frère, de l’amour cordial et effectif que vous avez pour votre pauvre mère, ainsi qu’un enfant bien né, qui ne laisse pas de chérir celle qui l’a engendré, quoique laide et chétive. Plaise à Dieu de faire la grâce à la compagnie à qui vous êtes de vous élever, par son exemple et par ses pratiques, à un grand amour de N.-S. Jésus-Christ, qui est notre père, notre mère et notre tout !

Revenons à l’affaire de M. Le Feron. Je pense que nous ferons bien de la laisser là pour encore, tant afin d’émousser la pointe à la nature, qui voudrait que les choses avantageuses fussent promptement exécutées, que pour nous mettre dans la pratique de la sainte indifférence et donner lieu à Notre-Seigneur de nous manifester ses volontés, cependant que nous lui recommanderons la chose. S’il veut qu’elle se fasse (3), le retardement ne gâtera rien ; et moins il y aura du nôtre, plus il y aura du sien.

3) Elle ne se fit pas

 

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2002. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES (1)

30 janvier 1656.

M. [Vageot] (2), qui, en sortant de chez vous, s’en était allé en son pays, a été vu à Paris par un de nos frères il n’y a que deux jours. Je vous en donne avis, afin de vous garder de surprises ; car vraisemblablement il n’est ici que pour s’en retourner à Saintes. Je ne suis pas d’avis que vous lui refusiez son sac, s’il le demande, ni reteniez aucune des choses qui sont dedans, parce qu’il en pourrait faire grand bruit. Mais quant aux meubles que ce bon religieux a laissés à la compagnie en mourant et dont votre maison a l’usage, il se faut bien garder de lui en donner aucun, quelque instance qu’il en fasse ; car de dire que c’est à lui qu’il les a donnés, il n’y a nulle apparence, mais il est croyable que ce défunt a eu dessein de faire cette aumône à la famille et non pas à un particulier. Et quand il aurait eu la pensée d’en gratifier M. [Vageot] seul, lui qui avait fait vœu de pauvreté ne pouvait pas accepter ce don que pour la communauté ; et s’il fallait discuter cela en justice, comme le cas le mérite, si l’on vous y appelle, elle aura égard à cette raison.

Si Monseigneur de Saintes (3) va chez vous, il l’y faut recevoir avec la révérence, l’amour et la soumission que nous lui devons. Il a droit de visiter son séminaire ; et s’il a agréable de visiter aussi le Saint Sacrement en votre église, ce vous sera bénédiction.

Lettre 2002 — Reg. 2, p. 164.

1) C’est à tort que le registre 2 le dit "supérieur à Saintes". Il ne fut nommé supérieur que le 2 avril (Cf. 1. 2040.)

2) Le copiste ne nomme M. Vageot ni ici ni plus loin.

3). Louis de Bassompierre (1649-1676).

 

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Je pensais vous avoir fait réponse à la proposition de ce bon curé qui, étant troublé en sa cure, demande à la permuter avec la vôtre de Saint-Preuil (4). Vous savez, Monsieur, qu’il y a de grandes formalités pour unir une cure, et souvent des difficultés insurmontables ; car il faut le consentement du patron, celui des habitants, de l’évêque et du roi même ; il faut des transports de la justice, des informations de la commodité et incommodité et d’autres procédures de longue haleine. On a essayé tout cela pour l’union de Saint-Preuil. Y a-t-il apparence de désunir maintenant ce bénéfice, duquel vous jouissez paisiblement, pour vous mettre dans l’embarras d’une nouvelle poursuite pour une autre union, dans le danger évident d’un mauvais succès, et enfin pour acheter un procès avec le seigneur qui traverse ledit sieur curé ? Car il ne vous serait pas plus favorable qu’à lui, si vous ne lui accordiez ce qu’il désire. Pour toutes ces raisons, je vous prie de remercier ce bon ecclésiastique de sa bonne volonté.

 

2003. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Du premier de février 1656.

Votre lettre ne m’a pas surpris, comme vous l’avez cru, parce qu’il est dit que ceux qui voudront suivre Jésus-Christ souffriront tentation (1) ; mais bien elle m’a consolé, tant pour être la première que j’aie reçue de votre part, que pour venir d’une personne qui m’est très chère et de qui je connais la bonté, depuis que Dieu vous a appelé dans la compagnie, à laquelle vous avez été à édification. Si donc maintenant vous vous trouvez in-

4.) Commune de l’arrondissement de Cognac (Charente).

Lettre 2O03. — Reg. 2, p. 335.

1) Seconde épître de saint Paul à Thimothée III, 12.

 

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quiété du côté de vos parents, et si fort, que vous êtes Sur le point d’adhérer à leurs persuasions, ne vous en étonnez pas ; c’est une épreuve que Dieu veut faire de votre fidélité pour vous attacher davantage à lui, après qu’il vous aura tiré de ce danger ; car alors vous reconnaîtrez, mieux que vous ne faites présentement, que le monde est un trompeur, puisque, au lieu des satisfactions qu’il promet, il ne donne que des peines d’esprit, ainsi que vous venez d’en faire l’expérience ; et continuant à servir Dieu, comme vous avez fait, vous jouirez d’une paix abondante et divine, qui est celle des enfants de Dieu, telle que vous l’avez déjà goûtée. Courage donc, Monsieur, ne vous rendez pas. Si vous avez résisté quinze jours aux propositions qu’on vous a faites, c’est pour avoir vu qu’elles sont contraires à la volonté de Dieu et à votre vocation ; et si enfin vous y avez donné quelque consentement, ce n’a pas été sans syndérèse (2), sachant que vous ne le pouviez pas faire en conscience. Aussi n’y a-t-il encore rien de fait, si vous voulez renoncer à la cure et vous tenir en l’état où Dieu vous a mis. J’espère certes, Monsieur, que vous le ferez, si vous pensez bien à ces raisons :

Premièrement, à cette grâce de votre vocation, en laquelle Dieu vous met en main tant de moyens de perfectionner votre âme et d’en sauver plusieurs autres. "Vous ne vous êtes pas élus, dit Notre-Seigneur, mais c’est moi qui vous ai choisis". (3) Or il ne serait pas obligé de vous donner ces grâces-là dans une autre vocation où il ne vous aurait pas appelé.

Deuxièmement, aux bénédictions qu’il a plu à Dieu de donner jusques à maintenant à tous vos exercices, par

2) Synderèse, regret.

3) Évangile de saint Jean XV, 16.

 

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lesquels vous avez fait plusieurs biens dedans et dehors, qui, outre le mérite que vous en aurez devant Dieu, vous ont mis dans l’estime et l’affection d’un chacun.

3° A la promesse que vous avez faite à Dieu, de le servir dans la petite congrégation ; que si vous manquez de parole à Dieu, à qui la garderez-vous ?

4° A ces paroles de Notre-Seigneur : "Qui ne quitte père et mère pour l’amour de moi n’est pas digne de moi (4)." Dieu merci, vous avez quitté les vôtres pour vous donner entièrement à lui ; quelle apparence donc que vous abandonniez à cette heure son parti pour retourner à vos parents ?

5° Enfin au regret que vous auriez à votre mort et à ce que vous auriez à répondre au jugement de Dieu si, pour un respect humain, ou pour un bien temporel, ou pour passer la vie plus à l’aise, ou pour tout cela ensemble, quoique sous d’autres prétextes, vous tombiez dans l’infidélité que nous venons de dire et perdiez les occasions que vous avez d’avancer la gloire de notre Maître, tant parmi les ecclésiastiques qu’envers le pauvre peuple. A Dieu ne plaise, Monsieur, que ce malheur vous arrive !

On vous dira peut-être, comme déjà on vous l’a dit, que vous pouvez faire votre salut partout, et qu’une cure est une mission continuelle. Je l’avoue ; mais je réponds aussi qu’il est très difficile, pour ne dire impossible, de se sauver dans un lieu et dans un état où Dieu ne nous veut pas, surtout après être sorti sans sujet d’une vraie vocation, telle que vous avez reconnu la vôtre. Cela étant, vous auriez grand sujet de craindre que la grâce ne vous manquât pour les fonctions d’une cure, comme pour votre propre perfection, parce que vous

4) Évangile de saint Mathieu X, 37.

 

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auriez voulu réduire vos emplois à un même lieu, lorsque sa Providence les destinait à plusieurs.

De dire que vous manquez de force pour les fonctions de la compagnie, vous savez, Monsieur, que, par la grâce de Dieu, nos fonctions sont diverses, que l’on mesure les exercices d’un chacun à la santé et au talent qu’il a, et que ceux qui travaillent le plus ont pourtant moins de peine que n’en a un curé de la campagne qui fait bien son devoir.

Si l’on vous objecte que vous êtes plus obligé aux âmes de vos proches qu’à des étrangers, dites hardiment qu’une mission que vous procurerez à leur paroisse leur fera plus de bien pendant un mois ou trois semaines, que vous ne leur en sauriez faire, vivant parmi eux, en toute votre vie. La raison est parce que la hantise diminue l’estime et l’ôte souvent tout à fait ; et alors on est incapable de faire aucun fruit. C’est pour cela que rarement on est prophète en son pays. Aussi Notre-Seigneur ne retourna qu’une fois en Nazareth ; et cette fois là les habitants le voulurent précipiter du haut d’un rocher en bas. Ce qu’il permit peut-être pour apprendre aux ouvriers évangéliques qu’ils sont en danger, retournant chez eux, de déchoir de la haute opinion où leurs œuvres les ont élevés, et de tomber dans quelque honteux désordre. Pour cela encore ne voulut-il pas que deux de ses disciples retournassent chez leurs parents, lorsqu’ils lui demandèrent congé, l’un d’aller enterrer son père mort, et l’autre d’aller vendre son bien pour le distribuer aux pauvres.

Si vous dites que vous êtes obligé d’assister votre mère, cela est vrai en un seul cas, qui est qu’elle fût dans la disette des choses nécessaires à la vie et que, sans votre secours, elle fût en danger de mourir de faim ; mais, grâces à Dieu, elle est accommodée des biens de

 

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ce monde et se peut passer de vous à l’avenir, ainsi qu’elle a fait par le passé.

Mais j’empêcherai, me direz-vous, les procès et les divisions dans la famille. C’est une question, Monsieur, si vous le feriez ; vous devriez plutôt craindre que votre mère, vos frères ou vos sœurs ne vous attirassent à leur passion et ne vous embarrassassent avec eux dans les intérêts temporels ; ce qui n’arrive que trop aux ecclésiastiques qui s’en veulent mêler.

Vous pourrez enfin ajouter que vous êtes déjà engagé à ce bénéfice, et que M…., qui vous l’a conféré, trouverait mauvais si, après lavoir accepté, vous veniez à vous en dédire. Certes, Monsieur, il vaut mieux manquer à un homme que de faillir envers Dieu, puisque vous ne pouvez satisfaire à tous les deux dans cette occasion, ayant déjà renoncé, pour l’amour de ce même Seigneur, à toute sorte de bénéfices. Mais tant s’en faut que ce bon Monsieur s’en fâche, qu’il sera très édifié que, pour accomplir votre première résolution, vous lui renvoyiez ses provisions.

Pour toutes ces raisons, Monsieur, je veux espérer que tout de nouveau vous vous donnerez à Dieu pour le servir dans la compagnie, selon ses desseins éternels, sans plus penser ni à la cure ni à la parenté que pour vous en éloigner d’effet et d’affection, et pour les recommander à sa miséricorde ; car ainsi sa divine bonté vous continuera ses bénédictions et les répandra, à cause de vous, sur les âmes qui vous touchent. Je l’en prie de tout mon cœur.

 

2004. — A UN ECCLÉSIASTIQUE

Cet ecclésiastique, autrefois prêtre de la congrégation de

Lettre 2004. — Collet, op. cit, t. II, p. 241.

 

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la Mission, avait sauvé la vie à saint Vincent de Paul. Maintes fois il avait demandé sa réadmission, toujours en vain. L’idée lui vint de rappeler le service rendu. A ce souvenir, le saint se laissa fléchir et lui adressa une lettre dont Collet nous a conservé ces seuls mots :

"Venez, Monsieur, et vous serez reçu à bras ouverts".

 

2005. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 4e février 1656.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Dieu soit loué, Monsieur, de ce que vous avez plus tôt appris à Turin que nous à Paris le voyage de M. votre frère à Rome, voire même avant que vous ayez su la peine où nous étions de son absence, qui sans cela vous eût davantage affligé ! Il est vrai qu’il eût mieux fait de ne quitter pas sa classe avant la fin de l’année et de mettre quelque disposition dans les esprits et dans ses affaires, pour ce qu’il avait envie de faire, sans les surprendre, comme il a fait ; mais j’espère qu’il en résultera quelque gloire à Dieu, et pour lui plus d’affermissement. J’en prie sa divine bonté, à laquelle je ne puis assez rendre grâces de celles qu’elle verse sur votre seconde mission. Je les y rends néanmoins telles que je puis, avec grand sentiment de reconnaissance, d’autant plus qu’il est évident que Notre-Seigneur travaille avec vous, puisque, n’étant pas secouru de la part des hommes, vous ne pourriez faire ce que vous faites sans le doigt de Dieu, qui non seulement vous fortifie dans ce grand travail, mais qui touche les cœurs qui viennent à vous

Lettre 2005 — L s — Dossier de Turin, original

 

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Plaise à sa miséricorde de les convertir entièrement à lui !

Vous ne devez pas vous étonner, Monsieur, de voir quelque tristesse en ces Messieurs qui sont avec vous, et encore moins en attribuer la cause à votre conduite ; car elle procède de ce qu’ils ne peuvent travailler à une si belle moisson ; elle les provoque au désir, et le défaut de la langue en empêche l’effet. C’est pourquoi cette tristesse se changera en joie à mesure qu’ils se verront en état de vous soulager et de partager avec vous la peine et le mérite. Cependant, Monsieur, il est à propos que vous les supportiez, et qu’en les supportant vous les animiez doucement à l’étude et au progrès de la langue, et même les aidiez à s’y avancer, parlant toujours italien avec eux et les obligeant d’en parler, afin que, joignant l’usage à l’étude, ils y fassent plus de profit. Je ne doute pas que les actes de patience et de support que vous pratiquerez en leur endroit n’attirent bénédiction sur eux aussi bien que sur vous-même, et que cette bénédiction ne les fasse arriver bientôt au point que sa providence les demande pour en tirer service. Votre conduite, qui est déjà bien bonne, grâces à Dieu, en deviendra plus suave et plus vigoureuse, et enfin l’œuvre du Seigneur se fera, comme elle se fait toujours, mieux par la douceur qu’autrement. Je vous prie, Monsieur, de la demander à Notre-Seigneur pour moi, qui suis, en son amour, Monsieur, votre très humble servi

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission, à Turin.

 

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2006. — A JACQUES PESNELLE

De Paris, ce 4 février 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Vous aurez appris, par les lettres que je vous ai envoyées, comme il a plu à Dieu disposer de M. votre père. Il n’a pas été besoin de vous consoler sur cette affliction, puisque le même Dieu que vous servez en aura fait l’office, comme j’espère, à même temps que vous aurez tâché d’en mériter la grâce en conformant votre volonté à la sienne. C’est la prière que je lui ai faite. Je l’ai prié aussi et fait prier pour le repos de ce cher défunt, en qui notre compagnie a beaucoup perdu ; car il nous était un bon ami.

La lettre que je viens de recevoir de votre part porte deux raisons pour lesquelles vous proposez de faire un voyage en France, dont l’une est de venir voir et consoler ce bon père ; or cette raison cesse à présent qu’il est devant Dieu. Reste la seconde, qui regarde votre part du bien qu’il a laissé ; sur quoi je vous dirai, Monsieur, qu’elle ne peut pas vous être disputée, et qu’en quelque temps que ce soit, vous aurez droit de la demander, parce que le vœu de pauvreté que nous faisons ne vous exclut pas de la succession, mais il vous laisse le pouvoir de disposer de votre fonds. Cela supposé, je ne suis point d’avis que vous veniez à présent de deçà pour cet intérêt temporel, puisqu’il ne peut dépérir et que vous n’en avez pas besoin ; car, outre le bien que vous laisseriez à faire de delà, vous viendriez vous engager à quelque procès, qui donnerait de l’embarras à votre esprit et

Lettre 2006. — L.s. — Dossier de Turin, original.

 

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quelque atteinte à votre vocation. Je suis assuré que, si vous aviez été du temps des apôtres, Notre-Seigneur ne vous aurait pas permis le retour en votre pays, puisqu’il le refusa à deux de ses disciples, quoique le sujet qu’ils avaient d’aller chez eux fût spécieux ; car l’un voulait aller enterrer son père mort, et l’autre vendre ses biens et les distribuer aux pauvres. C’est que ce divin Sauveur savait les inconvénients qui arrivent de tels retours, et lui-même l’éprouva quand il retourna en Nazareth. Pour cela donc, Monsieur, je vous prie de différer votre voyage et de vous contenter d’écrire à Messieurs vos frères. Ce sera pour leur témoigner votre douleur et mêler vos larmes avec les-leurs pour la commune perte que vous venez de faire, comme aussi pour leur envier le bonheur qu’ils ont eu d’assister ce cher père en sa maladie et en sa mort, leur souhaiter la grâce de craindre et d’aimer Dieu comme il a fait, et leur dire que vous étiez sur le point de les venir voir, mais que, vous trouvant en occasion de servir utilement Notre-Seigneur et le prochain, à qui vous vous êtes donné, vous voulez préférer le salut des âmes à votre propre satisfaction, dans l’espérance que, comme M. votre père est la première cause après Dieu du bien que vous faites, Notre-Seigneur lui en appliquera le mérite ; que vous espérez aussi que, dans le partage de la succession, ils vous garderont votre part ; que vous n’êtes pas religieux et ne le pouvez jamais être, mais bien prêtre séculier du corps du clergé, et par conséquent que vous avez droit de succéder avec eux. Voilà à peu près, Monsieur, ce que vous leur pourrez mander.

Au reste je ne puis vous exprimer la consolation que j’ai d’apprendre les bénédictions que Dieu donne à vos travaux et à ceux de M. Legendre, que j’embrasse tendrement et en esprit. Je prie sa divine bonté qu’elle vous

 

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les continue et vous donne les forces requises pour soutenir tant de missions. Les bourrasques qui se sont levées en la dernière n’ont pas diminué ma joie ; car c’est signe que l’esprit malin s’est vu pressé de quitter la place, puisqu’il a joué de son reste en excitant ouvertement ses suppôts contre les serviteurs de l’Évangile qui tâchent de faire régner Jésus-Christ dans les âmes que ce tyran lui a ravies. Oui, Monsieur, c’est bon signe quand vous souffrez pour la justice, et j’espère que la patience et l’humiliation que vous avez exercées par cette petite tribulation vous auront attiré de nouvelles grâces pour triompher glorieusement d’une plus grande, si elle se présente, et pour travailler avec plus de fruit. Les souffrances de Notre-Seigneur ont donné la fécondité à ses paroles, et vos croix la donneront de même à la sainte semence que vous jetez dans les cœurs. Conservez-vous, je vous en prie.

Je suis, en l’amour de ce même Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Pesnelle, prêtre de la Mission, à Rome.

 

2007. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

4 février 1656.

Notre vœu de pauvreté nous laisse seulement la liberté de disposer du fonds de notre bien, si nous en avons ; mais il nous ôte le maniement des fruits, qui demeure à la compagnie ; et par conséquent ceux qui ont

Lettre 2007. — Manuscrit de Marseille.

 

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aucun argent ni autre chose qu’avec la permission du supérieur. C’est pourquoi, Monsieur, je vous prie de tenir la main à ce que cela s’observe parmi les vôtres, surtout après la visite, en laquelle M. Berthe leur expliquera l’obligation de ce vœu.

 

2008. — AU PAPE ALEXANDRE VII

[1656, vers février] (1)

Beatissimo Padre,

Vincenzo di Paul, superiore generale della congregazione della Missione, rappresenta umilmente alla Santità Vostra che piacendo a Dio benedetto di render fruttuose le missioni che da’sacerdoti di detta congregazione si fanno, con la conversione di molti peccatori, con l’aggiustamento delle liti, con la riconciliazione d’odi mortali, gravi inimicizie, e con levarsi per questo mezzo delle missioni molti scandali pubblici, sarebbe di non poco aiuto per muovere tuttavia più popoli a ricevere queste grazié, e levare gli impedimenti che alla conversione di molti si oppongono, per non aver quei sacerdoti facoltà d’assolvere da’casi riservati a Vostra Santità, se Vostra Beatitudine si degnasse concedere indulgenza plenaria e benedizione apostolica a tutti quelli che in dette missioni si confessassero e communicassero, e autorità ai medesimi sacerdoti della Missione di assolvere da’casi riservati a Vostra Santità, etiam della censura contra pugnantes in duello, e dal caso della Bulla In

Lettre 2008. — Supplique non signée. — Arch. de la Prop., III Gallia, n° 200, f° 177, original

1) Le saint reçut notification, en mars 1656, que la concession demandée lui était accordée pour une durée de sept ans. (Cf. 1. 2029.)

 

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Cæna Domini contra capientes vel retinentes bona naufragantium. Per tanto, detto oratore umilmente supplica Vostra Beatitudine per queste grazie le quali già dalla felice memoria di Papa Urbano VIII ed Innocenzio X sono state concesse alla casa di Roma di detta congregazione per tutto il distretto di Roma. E tutta la detta congregazione e i popoli che da essa saranno serviti resteranno con obbligo di pregar incessantemente per Vostra Santità e per il suo felice governo.

Quam Deus, etc.

Suscription : Alla Santità di Nostro Signore, per Vincenzo di Paul, superiore generale della congregazione della Missione.

 

TRADUCTION

Très Saint-Père,

Vincent de Paul, supérieur général de la congrégation de la Mission, représente humblement à Votre Sainteté qu’il a plu au bon Dieu donner aux missions des prêtres de ladite congrégation des fruits abondants, tels que la conversion de nombreux pécheurs, l’arrangement des litiges, l’apaisement de haines mortelles et de graves inimitiés, la cessation de scandales publics. Pour porter plus efficacement les peuples à recevoir ces grâces et faire tomber les obstacles qui s’opposent au retour d’un grand nombre, obstacles provenant de ce que ces prêtres n’ont pas le pouvoir d’absoudre des cas réservés à Votre Sainteté, il serait très utile que Votre Sainteté voulût bien concéder l’indulgence plénière et la bénédiction apostolique à tous ceux qui se confesseront et communieront pendant les missions, et permettre à ces mêmes prêtres de la Mission d’absoudre des cas réservés à Votre Sainteté, même de la censure contre les duellistes et de celle que la Bulle In Cœna Domini a portée contre les voleurs et les détenteurs des biens des naufragés. C’est pourquoi ledit suppliant prie humblement Votre Sainteté d’accorder ces grâces, que les Papes Urbain VIII et Innocent X, d’heureuse mémoire, ont déjà concédées aux prêtres de la Mission de la maison de Rome pour tout le district romain. Et ladite congrégation tout entière et les peuples qu’elle évangélisera s’estimeront

 

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obligés de prier incessamment pour Votre Sainteté et pour son heureux règne.

Que Dieu ait, etc.

Suscription : A Sa Sainteté, pour Vincent de Paul, supérieur général de la congrégation de la Mission.

 

2009. — A CLAUDE DE CHANDENIER

De Paris, ce 8 février 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous, pour jamais !

Je ne sais comme j’ai laissé passer ces deux derniers courriers sans vous écrire ; je vous en demande très humblement pardon et me propose, Dieu aidant, de m’acquitter mieux une autre fois de ce devoir.

J’ai reçu par votre dernière la procuration qui regarde le prieuré de Chandenier, et l’ai mise, selon votre ordre et le désir de Mademoiselle de Chandenier, entre les mains de M. Aubry, et les autres papiers au feu, Mademoiselle votre sœur l’ayant jugé à propos de la sorte.

Voici les deux créations des pensions de Saint-Pourçain et de Coudres (1), que je vous envoie avec une aussi sensible reconnaissance que j’ai jamais eue et que je suis capable d’avoir. O Monsieur, qui me donnera des paroles pour le vous pouvoir faire voir ! Certes il n’y a que Notre-Seigneur qui le peut faire et c’est en le disant à

Lettre 8009. — L a — L’original appartient aux Filles de la Charité de Commentry (Allier)

1) Le prieuré de Saint-Martin de Coudres, au diocèse d’Evreux, dépendait du monastère bénédictin de Bourgueil. Les bulles d’union à la congrégation de la Mission ne s’obtinrent que plus tard, le 24 mars 1663. Elles ont été publiées dans les Acta apostotica in gratiam Congregationis Missionis, pp. 29-32.

 

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l’oreille de votre cœur, et ce que je lui demande avec toutes les tendresses du mien chétif et indigne d’un si incomparable bien que vous nous avez fait. O Monsieur, que je prie Dieu de bon cœur qu’il soit lui-même votre récompense ! Nous ferons en sorte que vous serez satisfait à point nommé.

M. Jolly m’a écrit par deux fois qu’il est en peine de ne recevoir de nos nouvelles au sujet de vos bulles, qu’il vous a envoyées par voie de Lyon à Tournus, et craint que vos bulles ne soient égarées. Je lui ai mandé comme vous, Monsieur, les avez reçues.

Je n’ai point encore écrit à M. le marquis ! pour réponse à sa dernière lettre ; je le ferai dans l’esprit que je me représenterai que vous le désirez, et lui dirai la circonstance comme vos bulles ne vous obligent point à changer de condition.

Mademoiselle votre sœur me paraît toujours pleine de reconnaissance, et celle de M. Aubry me paraît incomparable. O Monsieur, que c’est un bon serviteur de Dieu !

Je me donne la confiance de faire ici un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle à Monsieur votre frère (2) et à vous, et Dieu sait de quel cœur c’est que je le fais, et que je suis, en son amour, à tous deux, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. l’Abbé de Moutiers Saint-Jean.

2) Le marquis de Chandenier, frère de Claude de Chandenier

3) Louis. le Chandenier, abbé de Tournus.

 

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2010. —A LA PROPAGANDE

[1656 (1) , avant le 23 juin] (2),

Eminentissimi e Reverendissimi Signori,

Per decreto di questa Sacra Congregazione dell' X di febbraio del 1653 fù dichiarato missionario apostolico nell'isola di San-Lorenzo, alias Madagascar, Francesco Mousnier, sacerdote della congregazione della Missione, e data facoltà a Vincenzo di Paul, superiore generale di detta congregazione, di mandar insieme con lui due altri sacerdoti, con partecipazione ed approvazione di Monsignor nunzio di Francia. In virtù del qual decreto fù approvato da Sua Signoria Illustrissima Tussano Bourdaise e mandato col sopradetto Francesco Mousnier, come costa dalla lettera di detto Monsignor nunzio. Per tanto detto Vincenzo di Paul, umilissimo oratore dell`EE. VV., supplica umilmente che detto Tussano Bourdaise sia dichiarato missionario apostolico in detta isola, e gli siano concesse le solite facoltà. E perchè s’è avuta nuova che Carlo Nacquart, sacerdote della medesima congregazione della Missione e prefetto di detta Missione dell'isola di Madagas,car, è passato a miglior vita (3) detto Vincenzo di Paul supplica umilmente l'EE. VV. di voler in luogo del defunto dichiarare prefetto Francesco Mousnier, di cui s'è detto sopra, che già da alcuni anni fù dichiarato missionario apostolico, e del quale fa Monsignor nunzio buona testimonianza

Lettre 2010. — Supplique non signée. — Arch. de la Propag., II .Africa, n° 248, f° 90, original.

1).Date marquée par une main étrangère en tête du document.

2) Cf. 1. 2085

3) Le 21 mai 1651. Le saint en avait appris la nouvelle par l'Ours, arrivé à Saint-Nazaire peu avant le 23 juin 1655.

 

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nella sua lettera E il tutto riceverà per grazia singolare dall'EE. VV.

Quas Deus, etc.

Suscription : Alla Sacra Congregazione de Propaganda Fide, per Vincenzo di Paul, superiore generale della congregazione della Misslone.

 

TRADUCTION

Eminentissimes et Révérendissimes Seigneurs,

Par décret du 10 février 1653, la Sacrée Congrégation a nommé missionnaire apostolique pour l’île de Saint-Laurent, dite aussi île de Madagascar, François Mousnier, prêtre de la congrégation de la Mission, et donné pouvoir à Vincent de Paul, supérieur général de ladite congrégation, d’envoyer avec lui deux autres prêtres, examinés et approuvés par Mgr le nonce en France. En vertu de ce décret, Toussaint Bourdaise a été agréé par Sa Seigneurie Illustrissime et envoyé avec François Mousnier, comme en fait foi la lettre de Mgr le nonce. C’est pourquoi Vincent de Paul supplie humblement Vos Éminences de nommer Toussaint Bourdaise missionnaire apostolique pour cette île et de lui accorder les facultés accoutumées. Il les supplie encore, puisque Charles Nacquart, prêtre de la congrégation de la Mission et préfet de la Mission de Madagascar, est passé à une vie meilleure, de vouloir bien donner l’emploi de préfet, laissé vacant par cette mort, audit François Mousnier, qui a été nommé missionnaire apostolique il y a quelques années et est bien noté dans la lettre de Mgr le nonce. Et il regardera cette grâce comme une faveur insigne de Vos Éminences.

Que Dieu, etc.

Suscription : A la Sacrée Congrégation de la Propagande, pour Vincent de Paul, supérieur général de la congrégation de la Mission.

 

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2011. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

16 février 1656.

Le supérieur des Révérends Pères Capucins de Sedan, qui m’a écrit une lettre, se plaint de ce que votre maison, ayant coutume de leur faire l’aumône toutes les semaines jusques au temps de M. Martin, ne veut à présent leur continuer cette assistance. Je vous prie, Monsieur, de me mander combien on leur donnait ci-devant par semaine ou par mois, si on leur donne encore quelque chose et quoi, quelles raisons on a eues de retrancher de cette aumône ou de la cesser, si c’est parce qu’ils s’en peuvent mieux passer que nous ne la pouvons faire, et enfin quel est le sentiment de la famille sur la demande que font ces Pères que cette charité soit rétablie. Lorsque vous m’aurez informé de tout cela, nous verrons ce qu’il sera à propos de faire. Cependant je vous prie de ne pas dire que je vous en ai écrit.

 

2012. — A LOUIS DUPONT, SUPÉRIEUR, A TRÉGUIER

16 février 1656.

Je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, que votre principale application soit de faire observer le règlement. Si vous le faites, Dieu sera à votre côté et bénira cette conduite, comme il bénit toujours celles qui sont fermes quant à leur fin et douces quant aux moyens. Ceux même qui auraient peine à cette observance reconnaîtront dans la suite que vous ferez bien d’en user de la sorte ; ils auront plus de respect pour votre personne et enfin plus de soumission à vos ordres.

Lettre 2011. — Reg. 2, p. 158.

Lettre 2012. — Reg. 2, p. 189.

 

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2013. — NICOLAS DEMONCHY, SUPÉRIEUR A TOUL, A SAINT VINCENT

Je ne puis vous exprimer les bontés de Notre-Seigneur en notre endroit. Nous avons entendu environ cinq cents confessions générales, sans trouver un seul jour de relâche pendant un mois. Le temps fâcheux de l’hiver, qui avait couvert les chemins de neige de deux pieds de hauteur, n’a pu empêcher que les pauvres gens, riches en foi et avides de la parole de Dieu, nonobstant les vexations extraordinaires qu’ils reçoivent des gens de guerre, n’aient fait voir que le royaume des cieux est pour eux. Tout ce qui se peut désirer de bien s’y est fait, et nous avons sujet de dire que Jésus-Christ a pris plaisir de répandre extraordinairement en ces lieux la ; bonne odeur de son Évangile.

 

2014. — A FIRMIN GET, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

De Paris, ce 25 février 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je pense que la lettre ou le paquet que je devais recevoir de votre part par ce dernier ordinaire a été porté trop tard au bureau de la poste ; tant y a que je n’ai rien reçu de Marseille, mais oui bien de Toulon, où j’écris à M. Huguier que la visite se doit faire en votre maison par M. Berthe, qui en est proche, et qu’en cas qu’il puisse quitter Toulon un jour ou deux pour y assister, vous lui donnerez avis du temps précis qu’il devra s’y rendre, sinon que M. Berthe tâchera de l’aller voir à Toulon,

Lettre 2013. —. Abelly op. cit., 1. II, chap. 1, sect II, § 5, 1er éd., p. 41.

Lettre 2014. —L s — L’original appartient aux Filles de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Guise.

 

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auquel j’écris derechef à Marseille et à Agde en même temps et les mêmes choses. Il m’a mandé d’Agde qu’il y attendrait M. Durand et M. Lebas pour les établir en leurs offices, et je le prie d’y rester deux ou trois jours après que cela sera fait, pour les mettre en train. Selon cela, je n’estime pas qu’il arrive chez vous qu’environ le 5 ou le 6e de mars.

Je suis pressé de finir, mais je ne le puis sans me recommander à vos prières et sans renouveler les miennes à Dieu, comme je fais, pour votre conservation et la sanctification de votre famille, que je salue affectionnément et qui suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, supérieur de la Mission, à Marseille.

 

2015. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce samedi. [26 février 1656] (1)

Mon très honoré Père,

Votre charité sait que j’aimerais mieux mourir que de lui désobéir, et veut bien, je crois, que je lui représente que, par la grâce de Dieu, je ne suis pas malade. L’usage du thé fait que la fluxion que j’ai n’épanche pas dans le coffre, ni ne m’empêche pas l’appétit plus pour les viandes (2) de carême que pour la viande, que j’avais à si grand dégoût avant, que je n’en pouvais presque manger qu’avec peine. S’il vous plaît m’en dispenser encore pour quelque temps, vous me ferez

Lettre 2015. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Le frère Ducournau a ajouté au dos de l’original : " Février 1656." Il ressort du contenu que la lettre a été écrite la veille de la quinquagésime, c’est-à-dire le 26.

2) C’est le mot de l’original.

 

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grand plaisir ; et me permettant de prendre des œufs, j’en userai, et je crois que cela me suffira vous promettant de demander au premier besoin, de la viande, puisque votre charité me le permet, de qui j’ai la grâce d’être mon très honoré Père, très humble, très obéissante et très obligée fille et servante.

L. de M.

Suscription : A. Monsieur Monsieur Vincent.

 

2016 — A GEORGES DESJARDINS, PRÊTRE DE LA MISSION, A TOUL

1er mars 1656.

Votre incommodité requiert du soulagement, cela est vrai ; mais son remède n’est pas au changement de lieu. Je n’ai encore vu personne guérir de ces maux de tête pour avoir passé d’une demeure à une autre ; et si c’est le plaisir de Dieu de vous délivrer du vôtre, il le fera aussi bien à Toul qu’ailleurs.

 

2017. — A LA MÈRE ÉLISABETH DE MAUPEOU (1)

1er mars 1656

Ma chère Mère,

Je vous ai écrit deux choses, par celle que je vous écrivis dimanche dernier au sujet du projet du contrat qui se doit passer avec Monseigneur le procureur général (2) ; que je n’avais point rien à ajouter, diminuer ni changer à ce qui avait été convenu ; je vous disais de plus, ma chère Mère, que je trouvais toujours quelque

Lettre 2016. — Manuscrit de Marseille.

Lettre 2017. — Reg. I, f° 10 V°, copie prise sur l’original, qui était de la main du saint.

1) Supérieure du premier monastère de la Visitation.

2). Nicolas Fouquet.

 

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chose d’ajouté ou ôté aux nouveaux projets qu’on m’avait donnés ; ce qui est arrivé à ce dernier que vous m’avez envoyé, dans lequel je n’ai point trouvé la clause que j’ajoutai au précédent projet que je rendis à notre chère sœur Louise-Eugénie (3) au faubourg. Cette clause marquait l’exception de mettre les armes de mondit seigneur en la chapelle destinée au bienheureux, laquelle exception l’on n’a point mise en ce dernier projet, qui est cause que je l’ai mise en marge dudit projet. J’y ajoute néanmoins que l’on pourra faire mettre l’épitaphe de mondit seigneur dans ladite chapelle, de la façon et de la grandeur que sont celles de feu M. le commandeur (4) et de feu M. Fouquet (5) ; et c’est peut-être ce qu’il demande seulement quand il dit qu’il pourra faire mettre ses armes et son épitaphe dans tous les endroits de l’église qu’il lui plaira, sans y rien gâter, entendant de les mettre en ladite chapelle où sera son corps.

En quel autre lieu peut-on entendre de les mettre ? Je ne vois que le grand autel ; car de les mettre dans les autres chapelles, vous les avez données toutes, en sorte qu’il ne vous en. reste point aucune de laquelle vous puissiez disposer pour y faire mettre des armes et épitaphes sans blesser les propriétaires desdites chapelles. Et cela

3) Louise-Eugénie de Fonteines, née à Paris, le 13 mars 1608, de parents huguenots, fut reçue au premier monastère de la Visitation en 1630, sept ans après son abjuration. Elle y devint bientôt maîtresse des novices. Élevée au premier rang, le 16 mai 1641, par le libre choix de ses compagnes, elle fut si souvent réélue supérieure que le couvent l’eut à sa tête pendant trente-trois ans. Saint Vincent qui l’avait vue à l’œuvre dans certaines occasions difficiles, disait "qu’un ange n’aurait pu s’y comporter avec plus de vertu" (Sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, t. VIII, p. 446, en note.) Elle mourut le 29 septembre 1694, laissant la réputation d’une sainte religieuse. Sa vie a été écrite par Jacqueline--Marie du Plessis. (Vie de la vénérable Mère Louise--Eugénie de Fonteine religieuse du monastère de la Visitation de Sainte-Marie Paris, 1696, in 12

4) Le commandeur de Sillery.

5) François Fouquet, père du procureur général.

 

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posé, il ne reste point d’autre lieu que celui que je vous ai dit, si ce n’est des piliers, qui font même partie des chapelles. Vous semble-t-il point, ma chère Mère, qu’il est bon de s’expliquer sur cela et de marquer le lieu où il désire faire mettre ses armes ? Il me semble que les armes de mondit sieur le commandeur et celles de M. Fouquet sont attachées à l’épitaphe ; ce qu’étant ainsi, et mondit seigneur se contentant de son épitaphe et de ses armes ainsi mises à l’entour d’icelui, cette autre clause, de les mettre en quelque autre endroit de l’église où il lui plaira, serait inutile, et on couperait chemin aux inconvénients qui peuvent arriver avec le temps, ne l’y mettant pas. Et ainsi, ma chère Mère, il me semble que mondit seigneur aura ce qu’il désire, qui est le droit d’être enterré, lui, ses enfants et ses descendants portant son nom et ses armes, et leurs femmes, à perpétuité, dans la cave (6) de la seconde chapelle dé l’évangile du grand autel, et celui de faire mettre ses armes et son épitaphe, à l’instar de celles de feu M. son père et de M. le commandeur de Sillery, dans ladite chapelle, avec obligation, du côté du monastère, de ne jamais pouvoir transférer les corps susdits hors, ladite cave, non plus que l’épitaphe hors ladite chapelle ; et en ce faisant, vous faites un traité selon Dieu et justice, en ce que vous accomplirez les intentions de feu M. le commandeur et conserverez au monastère ses droits de dédier la chapelle en l’honneur de notre bienheureux Père et de faire mettre en ladite cave les personnes considérables bienfaitrices du monastère, conformément à votre coutumier et à vos constitutions, sans que personne du monde puisse jamais contester aucune concession de celles que vous faites à mondit sei-

6) Cave, caveau

 

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gneur le procureur général et aux siens, là où, si vous eussiez fait selon les premiers projets, vous auriez blessé la justice, la reconnaissance qui est due à feu Monsieur le commandeur, la destination de la chapelle au bienheureux, auriez privé un prince, votre voisin, de l’effet de votre concession, et vous seriez fait un puissant ennemi, et de plus auriez privé le monastère du droit que feu Monsieur lui attribue ; et je suis assuré que mondit seigneur le procureur général ne voudrait pas traiter de la sorte, étant bien informé de l’état de la chose ; et c’est, ma chère Mère, ce qui m’a obligé à vous faire les difficultés que je vous ai faites. Peut-être que vos filles auraient été aucunement excusables devant Dieu, ayant traité selon les premiers projets ; mais je ne le serais pas d’y consentir, qui sais, comme je suis obligé de savoir, qu’il ne faut jamais faire ce qui n’est pas dans la justice ni dans l’ordre.

Je crois, ma chère Mère, que vous ne doutez pas qu’il y ait personne sur la terre qui soit plus affectionné au service de Mgr le procureur général et à celui de Mademoiselle votre sœur (7) que moi. Il y a 25 ans que je suis à eux et à leur famille, et je suis dans l’espérance que Dieu me fera la grâce d’y mourir. Selon cela, je vous supplie de croire, ma chère Mère, que je n’ai autre vue en ceci que l’intérêt de Dieu, celui de leur service et le bien de votre famille, pour la bonne conduite de laquelle je suis obligé de m’exposer à toutes sortes d’événements, qui suis, en l’amour de N.-S., ma chère Mère, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M..

7) Marie de Maupeou, veuve de François Fouquet et mère du procureur général

 

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Ayant souhaité son corps après son décès être enterré dans l’église de leurdit monastère où il est à présent, en la cave de la seconde chapelle du côté de l’évangile, bâtie et construite par l’ordre de feu M. le commandeur de Sillery-Brulart et à ses dépens (8) laquelle ledit sieur commandeur a élue et choisie pour sa sépulture, et en laquelle il est inhumé, ainsi qu’il paraît par l’épitaphe mise en ladite chapelle (9), suivant et au désir du contrat fait par ledit sieur commandeur avec le dites dames religieuses le 15 mars 1635, en vertu duquel lesdites religieuses ont fait enterrer ledit sieur président Fouquet en ladite cave, il semble qu’il est juste de faire mention de feu M. le commandeur de Sillery en la manière ci-dessus, pource qu’il est le principal fondateur de l’église de Sainte-Marie et qu’il a donné de très grands biens au monastère et que cela mérite reconnaissance, joint que les filles font cette concession en vertu du contrat passé avec ledit sieur commandeur ; et il est bien juste de parler dudit sieur commandeur, puisqu’on fait mention des autres corps qui y sont enterrés, et qu’avec le temps les religieuses pourraient l’ôter de sa cave et l’enterrer ailleurs (10), ne sachant pas l’obligation qu’elles lui ont, et voyant qu’on aurait aliéné cette cave de pleine autorité. Que ce qui donne sujet de craindre cela, c’est que déjà elles ont transféré le corps de feu M. le président Fouquet de la chapelle où il était enterré dans la cave dudit sieur commandeur,

8) Cette chapelle, de par la volonté du commandeur, devait être dédiée à saint François de Sales et le fut en effet.

9). Le texte de cette épitaphe a été publié dans plusieurs ouvrages, entre autres dans le Bulletin de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 1910 p. 201.

10) Le corps du commandeur resta dans cette chapelle jusqu’en 1835

 

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pour la donner à un autre (11) Et en second lieu, c’est que mondit sieur le procureur général, craignant qu’on ne fasse le même changement de son corps et de ceux de ses successeurs, il stipule que les religieuses ne le pourront faire. Ajoutez à cela le don ou transport qu’elles font à mondit sieur le procureur général de la chapelle qui est la première du côté de l’évangile.

Il semble de plus qu’il n’est pas expédient de mettre dans le contrat ces lignes qui commencent au milieu de la pénultième ligne de la 4° page par ces mots Que si à l’avenir jusques à la ligne sixième et demie, qui contiennent que, "si à l’avenir quelques personnes voulaient traiter de ladite seconde chapelle, quelles ne le pourront faire, ni l’engager à qui que ce soit, qu’à la maison de mondit sieur le procureur général", pource que cette chapelle est dédiée par feu M. le commandeur de Sillery pour servir au bienheureux François de Sales, leur fondateur. Et n’importe de dire que les Révérends Pères jésuites de Saint-Louis ont rendu à feu M. le prince la chapelle qu’ils ont dédiée à leur saint patron saint Ignace, parce que les Pères jésuites sont maîtres de leur église, l’ayant fait bâtir eux-mêmes, et peuvent disposer de tout ce qui est en icelle comme il leur plaît ! mais qu’il n’en est pas ainsi de cette chapelle, pource que c’est M. le commandeur qui en est le principal fondateur. Que si l’on dit qu’il l’a remise à la disposition des religieuses, c’est pour être et demeurer toujours dédiée à ce bienheureux Père et de servir sous son nom, quand il aura plu à Sa Sainteté de le béatifier ; ce sont les propres termes de son intention contenue dans le contrat.

11) Le corps de François Fouquet reposait au XVIIIe siècle dans la chapelle de gauche en entrant, sous les marches. Là fut déposé également le corps de son fils. (Description historique de la ville de Paris et de ses environs, par Hurtaut et Magny, Paris, 1779, 4 vol. in-8°, t. IV, p. 839)

 

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Or, si les religieuses l’aliénaient ; à d’autres, ils la pourraient faire servir des années entières à des annuels et la tenir toute l’année tendue de deuil ; ce qui serait détourner l’intention dudit sieur commandeur. C’est pourquoi il n’est pas expédient de mettre cette clause.

 

2018. —- A LOUISE-MARIE DE GONZAGUE, REINE DE POLOGNE

De Paris, ce 3 mars 1656.

Madame,

Je ne me suis point donné l’honneur d’écrire à V [otre Mjaesté] depuis qu’il a plu à Dieu de lui faire part de la croix pesante dont il a chargé le Roi des rois, Notre Seigneur Jésus-Christ, son Fils, pource que j’ai appris le parfait usage que V[otre] Majesté] en fait, et que pour l’ordinaire la consolation des hommes renouvelle la douleur et ne l’adoucit pas ; mais maintenant que j’apprends que le bon Dieu a pris les armes pour V[otre] M[ajesté] contre ses ennemis, ceux du roi et de son État, je n’ai pu m’empêcher de témoigner à V[otre] M[ajesté] ; l’incomparable consolation que j’en ai, qui est certes des plus sensibles que j’en puis recevoir en ce monde, tant pour l’intérêt de votre État que de celui de son épouse qui souffre en la personne de V[otre] M [ajesté], et c’est ce que la plupart des gens de bien voient, et s’en affligent.

Nosseigneurs les prélats sont si touchés, tant de cela que de l’établissement de cinq cents prêches qui se sont établis dans ce royaume depuis la mort du feu roi qu’ils ont ordonné en leur assemblée, qui se tient à Paris

Lettre 2018. — L a — Original à Ferrare chez les prêtres de la Mission.

La lettera 2018 (Coste V p. 516) il cui originale si trovava a Ferrara, dopo che quella casa è stata chiusa si trova a … (ho chiesto informazioni a Roma, ma non le ho ancora avute) Roberto LOVERA mai 1999.

 

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de se mettre tous dans la pénitence pour demander à Dieu le remède à tant de maux dont l’Église est menacée Ils jeûnèrent tous le vendredi et le samedi avant le mardi gras, et commencèrent l’oraison des quarante heures aux Augustins, où deux d’entre eux assistèrent alternativement, en la présence du Saint Sacrement, pendant les trois jours suivants, et y célébrèrent la sainte messe en même ordre ; et trois d’entre eux prêchèrent aussi alternativement, chacun son jour, et mirent ordre que leurs laquais fussent catéchisés pendant ce temps-là. Et cela s’est fait avec tant de dévotion par mesdits seigneurs les prélats que chacun avoue n’avoir rien jamais vu de semblable, ni plus de modestie en la procession qu’ils firent. Tout cela, Madame, donne sujet d’espérer que Notre-Seigneur rétablira son épouse en sa première splendeur et Vos Majestés dans leur État. J’ai parlé à quantité d’entre eux de contribuer du secours temporel à cet effet, et ai trouvé la plupart dans ce sentiment et dans la résolution de le proposer à leur assemblée. Nous verrons comme il plaira à Dieu d’en disposer. J’ose bien assurer Votre Majesté que je ne perdrai pas d’occasion d’y servir, tout chétif que je suis, et il n’y aura que mes péchés qui en empêchent l’effet (1)

J’ai eu grande affliction du retour des missionnaires de V[otre] M[ajesté], dans l’appréhension que j’ai qu’ils aient donné sujet à V[otre] M[ajesté] de les renvoyer ; et peu s’en est fallu que j’aie renvoyé quelqu’un d’entre eux. Je remercie très humblement V[otre] M[ajesté], Madame, de la bonté incomparable qu’elle continue à

1) L’Assemblée du Clergé de France ne s’occupa des besoins de la Pologne qu’en 1657, au reçu d’une lettre de Louise-Marie de Gonzague, et ce fut pour déclarer que les circonstances ne lui permettaient pas de répondre au désir de la reine. (Cf Collection des Procès-Verbaux des Assemblées générales du Clergé de France depuis l’année 1560 jusqu’à présent, Paris, 10 t. in-f °, 1707-1780, t.IV, p. 431)

 

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ceux qui sont restés de delà, et prie Notre-Seigneur qu’il soit sa récompense et qu’il me fasse digne de la grâce de mériter celle qu’elle me fait de me souffrir Madame, la qualité de son très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL.

 

2019. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

3 mars 1656.

Le moyen que vous proposez pour peupler votre séminaire interne est bien long et bien hasardeux, car les enfants que l’on prend avant qu’ils soient en âge de faire un choix de vie sont changeants ; ils diront assez qu’ils veulent être missionnaires, et même se soumettront pour un temps, afin d’étudier ; mais sont-ils capables de quelque chose, ils changent de langage, disent qu’ils n’ont pas vocation et s’en vont. Combien en avons-nous vus de cette sorte ! Nous en avions naguère 15 ou 16, qui, après nous avoir bien fait de la dépense, s’en sont allés. Feu M. le cardinal de Joyeuse a fondé un séminaire à Rouen pour y élever de jeunes clercs, afin d’en faire de bons ecclésiastiques pour le diocèse ; mais à peine en voit-on un seul qui réussisse ; car, quand ils ont étudié, les uns embrassent des professions séculières, et les autres qui se font prêtres, ne voulant pas s’assujettir à servir le diocèse, prennent parti ailleurs. Les maisons de la Visitation tombent souvent dans quelque inconvénient semblable : elles prennent de petites filles à pension, et, les élevant dans l’esprit de la religion, donnent l’habit à celles qui le demandent, à 16 ans ; mais presque toutes

Lettre 2818. — Reg. 2, p. 42,

 

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celles qui le prennent de cette sorte mènent par après une vie lâche et fainéante, parce qu’elles n’ont pas une vraie vocation, ayant été mises là par leurs parents et y étant demeurées par des respects humains. De même, Monsieur, y a-t-il raison de craindre que, quand même ces jeunes garçons voudraient persévérer dans notre congrégation, ils ne seraient pas propres pour nos fonctions, et qu’ils donneraient sujet de les mettre dehors. C’est autre chose si l’on trouve dans les missions des enfants de bon esprit et pieux et qui demandent d’être de notre compagnie ; car de ceux-ci il semble qu’il serait bon de faire un essai, si l’on avait moyen de les nourrir sans rien payer. Néanmoins je vois tant de raisons contre cela, que je doute fort s’il est expédient.

 

2020 — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

5 mars 1656.

Le moins que vous et les vôtres pourrez voir et fréquenter M. [Vageot] sera le meilleur ; car pour justifier sa sortie d’avec nous, il n’aura que des plaintes en bouche, et son indisposition pour la compagnie ne pourra être que contagieuse.

 

2021. — A PIERRE DE BEAUMONT, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

Du 5 mars 1656.

J’approuve fort l’instance que vous me faites de ne vous imposer pas la supériorité, car cela marque qu’elle

Lettre 2020. — Reg. 2, p. 54.

Lettre 202l — Reg. 2, p. 184.

 

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trouvera en vous le fondement qui convient à cette charge, à savoir la défiance de vous-même, sans laquelle vous n’auriez pas assez de soin de recourir à Dieu ; et avec elle vous vous présenterez souvent à sa bonté comme impuissant de porter ce faix et néanmoins comme soumis à ce qu’elle veut ; vous espérerez qu’elle vous donnera les forces qu’il faut, et l’en prierez ; vous irez bride en main en sa divine présence, ne faisant rien sans la consulter et prenant conseil, pour les affaires considérables, des personnes sages et entendues, particulièrement de vos consulteurs. Selon cela, je vous prie de prendre le gouvernail de cette petite barque que sa providence commet à votre conduite. Seulement je vous donne cet avis pour le présent, qu’il importe que vous ne changiez pas ce que vos prédécesseurs ont établi, sans le consentement du supérieur général ; faute de cela, il y a des supérieurs qui ont fait de grandes fautes et presque ruiné leurs maisons.

 

2022. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Après les vraies et extraordinaires marques que Dieu a mises en vous de votre vocation pour le salut de ce peuple-là (1), je vous y embrasse en esprit, avec tout le sentiment de joie et de tendresse que mérite une âme que Dieu a choisie entre tant et tant d’autres qui habitent sur la terre, pour en attirer un grand nombre dans le ciel, comme la vôtre, laquelle a tout quitté pour cette fin. Et certes qui n’aimerait cette chère âme, ainsi détachée des créatures, de ses intérêts et de son propre corps, qu’elle anime seulement pour le faire servir aux desseins

Lettre 2022. — Abelly, op cit, 1 III,. chap XI, sect. VI, p. 165

1) Les habitants de l’île de Madagascar.

 

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de Dieu, lequel est sa fin et son unique prétention ? Mais qui n’aurait soin de ménager les forces de ce corps, qui certes a éclairé les aveugles et a donné la vie aux morts ? C’est ce qui me fait vous prier, Monsieur, de le regarder comme un instrument de Dieu pour le salut de plusieurs et de le conserver en cette vue.

 

2023. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Je ne doute pas que la séparation de ce cher compagnon et de ce fidèle ami ne vous soit sensible ; mais souvenez-vous, Monsieur, que Notre-Seigneur se sépara de se propre mère, et que ses disciples, que le Saint-Esprit avait si parfaitement unis, se séparèrent les uns des autres pour le service de leur divin Maître.

 

2024. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

Vous me mandez quels sont les avis des Révérends Pères Aversa (1) et Hilarion (2) sur diverses questions que je vous ai faites, dont je vous remercie, et eux aussi ; mais c’est par vous-même et par leurs bons anges que je le fais ; car comment pourrais-je autrement faire un digne remerciement à ces deux hommes de Dieu, qui sont nos anges de conseil par qui Dieu dissipe nos doutes ? Nous agirons conformément à leurs sentiments.

Lettre 2023. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XXIV, p. 340.

Lettre 2024 — Reg. 2, p. 235.

1) Supérieur général des Théatins, mort à Rome en 1657.

2) Abbé de Sainte-Croix de Jérusalem à Rome.

 

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2025. — A N ***

15 mars 1656.

Vincent de Paul recommande la simplicité dans les prédications. "La pratique en est difficile", surtout à la jeunesse.

 

2026. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce lundi. [mars 1656] (1)

S’il plaît à votre charité, mon très honoré Père, se souvenir de sa pauvre fille, qui s’attendait que ce serait pour ce matin sa confession, n’ayant rien eu qui la put empêcher de s’y disposer, par la grâce de Dieu

Ce qui a paru infirmité n’est que précaution de mal et de trop de soin de ma conservation ; il est vrai que c’était aussi pour me conserver en état de prendre plus de temps que je pourrai.

En écrivant, je m’aperçois de ce chétif papier et liberté d’écrire ; je vous en demande pardon, mon très honoré Père, et, s’il vous plaît, votre bénédiction, en attendant celle de la miséricorde de Dieu, par votre charité, de qui je suis, mon très honoré Père, très pauvre et indigne fille et servante

L. DE MARILLAC.

 

2027. — AU CHANOINE DE SAINT-MARTIN

Je vous remercie du soin que vous prenez de mon petit neveu (1), duquel je vous dirai, Monsieur, que je n’ai

Lettre 2025. — Collet, op. cit., t. II, p. 221. Cet écrivain ajoute que saint Vincent renouvela dans une lettre écrite le 17 la recommandation qu’il fait ici.

Lettre 2026 — Supplément aux Lettres de Louise de Marillac, 1. 467 bis.

* 1) Date ajouté au dos de l’original par le frère Ducourneau.

Lettre 2027. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XIII, sect. I, p 214.

* 1) Sur la liste des prébendiers de Capbreton (Landes), se trouve le nom de "François Depaul, neveu de M Vincent", ne serait-ce pas de ce petit-neveu qu’il est ici question ?

Coste indique de supprimer la note 1 de la page 567, mais laquelle ??? (Note de l’enregistreur)

 

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jamais désiré qu’il fût ecclésiastique, et encore moins ai-je eu la pensée de le faire élever pour ce dessein, cette condition étant la plus sublime qui soit sur la terre, et celle-là même que Notre-Seigneur y a voulu prendre et exercer. Pour moi, si j’avais su ce que c’était, quand j’eus la témérité d’y entrer, comme je l’ai su depuis, j’aurais mieux aimé labourer la terre, que de m’engager à un état si redoutable ; c’est ce que j’ai témoigné plus de cent fois aux pauvres gens de la campagne, lorsque, pour les encourager à vivre contents et en gens de bien, je leur ai dit que je les estimais heureux en leur condition ; et en effet, plus je deviens vieux, et plus je me confirme dans ce sentiment, parce que je découvre tous les jours l’éloignement où je suis de la perfection en laquelle je devrais être. Certes, Monsieur, les prêtres de ce temps ont un grand sujet de craindre les jugements de Dieu, puisque, outre leurs propres péchés, il leur fera rendre compte de ceux des peuples, parce qu’ils n’ont pas tâché de satisfaire pour eux à sa justice irritée ; ainsi qu’ils y sont obligés ; et qui pis est, il leur imputera la cause des châtiments qu’il leur envoie, d’autant qu’ils ne s’opposent pas comme il faut aux fléaux qui affligent l’Église, tels que sont la peste, la guerre, la famine et les hérésies, qui l’attaquent de tous côtés. Disons plus, Monsieur, que c’est de la mauvaise vie des ecclésiastiques que sont venus tous les désordres qui ont désolé cette sainte Épouse du Sauveur et qui l’ont si fort défigurée qu’à peine est-elle reconnaissable. Que diraient maintenant de nous ces anciens Pères qui l’ont vue en sa première beauté, s’ils voyaient l’impiété et les profanations que nous y voyons, eux qui ont estimé qu’il y avait fort peu de prêtres sauvés, quoique de leur temps ils fussent en leur plus grande ferveur ? Toutes ces choses, Monsieur, me font juger qu’il est plus conve-

 

 

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nable à ce pauvre enfant de s’adonner à la profession de son père, que d’en entreprendre une si haute et si difficile qu’est la nôtre, dans laquelle la perte semble inévitable pour les personnes qui osent y entrer sans être appelées. Et comme je ne vois pas qu’il le soit par aucune marque assurée, je vous supplie de lui conseiller de travailler pour gagner sa vie, et de l’exhorter à la crainte de Dieu, afin qu’il se rende digne de sa miséricorde en ce monde et en l’autre. C’est le meilleur avis que je lui puisse donner. Je vous prie de vous informer de Monsieur… de ce que l’on dit dans une conférence qui fut faite céans, lorsqu’il y était, au sujet d’un curé de Bretagne qui a fait un livre où il a mis que les prêtres vivant comme font aujourd’hui la plupart, sont les plus grands ennemis qu’ait l’Église de Dieu. Si tous étaient comme vous et lui, cette proposition ne se trouverait pas véritable.

 

2028. — AUX SUPÉRIEURS

[Mars 1656] (1)

Monsieur,

Je vous envoie copie d’un bref de notre Saint-Père le Pape, qui contient, d’une part, pouvoir, pour les missions seulement, d’absoudre des cas réservés au Saint-Siège, au for intérieur seulement, hormis ceux de la bulle In coena Domini. Mais, comme elle n’est pas reçue en France, ceux de la compagnie qui y demeurent peuvent aussi absoudre des cas contenus en icelle, même de l’hérésie, après que le pénitent en a fait l’abjuration entre les mains de l’évêque ou de son pénitencier et qu’il

Lettre 2028. — Recueil des circulaires des supérieurs généraux. (Arch. de la Mission.)

1) Voir lettre 2029.

 

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a été absous par eux et for extérieur de l’excommunication qu’il avait encouru

Notez que nous n’avons pas pouvoir pour cela de commuer les cinq vœux réservés au Pape, ni de dispenser des irrégularités, parce que cela n’est pas exprimé dans le susdit bref ; 2° que ce pouvoir n’est pas pour les externes qui seraient avec les nôtres employés en mission.

D’autre part, ce bref contient indulgence plénière, tant pour les prêtres que pour les autres de la compagnie qui seront envoyés en mission, pourvu qu’ils fassent en chaque mission une confession, communion et les prières portées par ledit bref.

Il est à propos de faire voir à l’évêque ou au grand vicaire de chaque diocèse où vous irez en mission, une de ces copies, pour obtenir de l’un d’eux par écrit le pouvoir de publier nos indulgences aux lieux où vous irez en mission, afin que Messieurs les curés n’aient pas sujet d’y trouver à redire. Je vous envoie pour cet effet une des feuilles où est couchée la permission que M. le grand vicaire de cette ville et diocèse nous a donnée par écrit, afin qu’elle vous serve de modèle pour celle que vous aurez à obtenir. Vous la ferez voir pour cette fin.

Il est à propos que vous conserviez ce mémoire et autres semblables qu’on vous envoie, lorsqu’ils regardent le public et le temps à venir, afin que les autres supérieurs observent les mêmes choses et soient instruits dans la conduite.

 

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2029. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 17e de mars 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Votre lettre du 9 février ne requiert point de réponse. Je vous remercie seulement des nouvelles que vous me donnez. Je ne vous écrivis point la semaine passée, et celle-ci je n’ai pas reçu de vos lettres. Nous continuons nos prières, ou plutôt nous les redoublons, pour le bien des affaires de Pologne (l) ; et pendant que le roi combat de delà ses ennemis, qui sont ceux de Dieu et de l’Église, nous levons ici les mains au ciel, comme des Moïse, et vivons dans cette espérance que Dieu bénira la justice de ses armes et rétablira les choses peu à peu. Je sors de chez Madame des Essarts pour lui rendre compte de ce que j’ai fait, ou plutôt de ce que je voudrais faire pour le service de Leurs Majestés.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà que le jubilé, qui s’ouvrira bientôt à Paris. Dieu nous a donné un moyen pour attirer les peuples à nos missions et ses bénédictions sur eux : j’entends une indulgence plénière pour tous les lieux où se feront ci-après lesdites missions, et un pouvoir aux missionnaires d’absoudre des cas réservés au Pape (2). Il a plu à Sa Sainteté de nous en

Lettre 2029. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

1) Les nouvelles de Pologne étaient meilleures. Encouragé par la résistance victorieuse des Pauliniens de Czenstochowa, qui avaient réussi à déloger les Suédois de leurs hauteurs, Jean-Casimir leva de nouvelles troupes et entra en Galicie. Le 1er mai, à Lwow, il mit son royaume sous la protection de la sainte Vierge. A la suite de nouveaux succès, la route de Varsovie lui fut ouverte, et il occupa cette ville.

2) Cette concession était accordée pour sept ans.

 

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donner un bref par les soins du bon Monsieur Jolly, supérieur à Rome. Si le bon Dieu vous rétablit, je vous en enverrai une copie authentique.

Nos ordinands se sont retirés bien satisfaits, grâces à Dieu, après nous avoir beaucoup édifiés dans leurs exercices. Mgr l’évêque de Sarlat (3) leur fait l’entretien du soir admirablement bien ; et comme on a regardé de près la cause d’un si heureux succès, on a trouvé que c’est son humilité à suivre mot à mot le projet de ces entretiens qui a été fait par les premiers qui les ont commencés, sans y ajouter des pensées curieuses, ni des mots nouveaux, ainsi que d’autres ont voulu faire ci-devant, qui ont tout gâté, pour ne s’être réduits à la méthode et simplicité ordinaires, ni maintenus dans les matières propres. J’ai été obligé pendant une ordination de me jeter deux fois aux pieds d’un prêtre pour le conjurer de ne s’égarer point dans ce beau chemin ; et ne voulut pas me croire ; aussi nous a-t-il délivrés de cet esprit vain.

Je voudrais vous pouvoir dire le détail des extraordinaires bénédictions que Dieu a données cet hiver aux missions de la compagnie, tant en Italie qu’en France ; vous en seriez sans doute grandement consolé ; mais je ne puis vous le dire qu’en général ; et c’est afin que vous en rendiez grâces à Dieu et continuiez, s’il vous plaît, à lui recommander la compagnie.

Nos missionnaires de Barbarie travaillent aussi avec grand fruit, mais avec beaucoup de traverses de la part des Turcs.

Nous allons envoyer M. Brin visiter ceux que nous avons en Ecosse et aux îles Hébrides.

3) Nicolas Sevin.

 

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M. Berthe travaille toujours fort heureusement aux visites de nos maisons ; il à présent à Marseille. Notre séminaire est assez bien peuplé, grâces à Dieu ; et ceux de Richelieu et de Gênes multiplient peu à peu Priez Dieu, Monsieur, qu’il envoie des ouvriers en sa vigne. Pour moi, je lui demande souvent votre conservation et celle de Messieurs Desdames et Duperroy, desquels je suis en peine, et toujours en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Varsovie, près la reine de Pologne.

 

2030. — A DONAT CRUOLY, SUPÉRIEUR, AU MANS

De Paris, ce 18e mars 1656

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres. Je rends grâces à Dieu de la gloire qu’il a tirée de vos travaux, et des grâces qu’il a faites par vous au peuple où vous avez fait la mission.

J’écris au fr [ère] Edme (1) pour la dernière fois ; mandez-moi si, après avoir reçu ma lettre, il refusera encore

Lettre 2030. — L s. — Dossier de Turin, original.

1) Edme Picardat ou peut-être Edme Noizeau, né en janvier 1628 au diocèse de Sens, entré dans la congrégation de la Mission, comme frère coadjuteur, le 8 août 1648, reçu aux vœux en août 1651.

 

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d’aller à Troyes, et, en cas qu’il le fasse, ne le mettez pas dehors, que je vous le mande.

Puisque ce n’est pas Mgr d’Angers (2) qui a demandé des prêtres pour la mission dont M. Molony m’avait écrit, il n’en faut plus parler.

Je pense que le cousin du frère Turpin (3) est déjà parti pour aller à votre séminaire ; pour le moins Madame sa mère s’est résolue de le vous envoyer et de vous donner 200 livres de pension.

Le R. P. Amelote, de l’Oratoire (4), prêche ce carême au Mans ; c’est une personne de considération et de grande piété, qui honore la compagnie de sa bienveillance ; il sera bon que vous l’alliez saluer et lui offriez les services de la même compagnie et les vôtres.

Nous n’avons quasi point des nouvelles. Nous nous portons assez bien, grâces à Dieu. L’ouverture du jubilé se va faire en ce diocèse, qui donnera de l’exercice à nos prêtres, qui s’en iront par les champs y disposer les pauvres gens, attendant l’ordination de Pâques. Celle du commencement de carême a très bien réussi par la

2) Henri Arnauld (1649-1692).

3). Pierre Turpin, né à Roye (Somme) le 9 avril 1629, entré dans la congrégation de la Mission le 16 septembre 1655, reçu aux vœux au Mans le 6 octobre 1658. Admis au séminaire une première fois il en était sorti pour raison de santé.

4). Denis Amelote, docteur en Sorbonne et prieur de Champdolent né à Saintes en 1609, fut un des premiers et des plus dévoués collaborateurs de Jean-Jacques. Olier, qu’il quitta pour entrer à l’Oratoire le 12 mai 1650. Le P. Bourgoing avait souvent recours à ses conseils. "M. Vincent, disait un jour le P. de Condren à M. Olier, M. Vincent a le caractère de prudence et M. Amelote celui de sagesse." (Frédéric Monier, op cit., t. I, p. 268.) Denis Amelote mourut à Paris le 7 octobre 1678. On a de lui divers traités de piété, d’histoire et de théologie, dans lesquels il combat les doctrines jansénistes. Il a écrit la Vie de Sœur Marguerite du Saint-Sacrement (Paris, 1654, in-8°) et celle du P. de Condren. (Cf. La Faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres, par l’abbé Féret, Paris, 1907, 7 vol. in-8°, t. V, pp. 360-372)

 

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grâce avec laquelle Mgr l’Évêque de Sarlat a fait l’entretien du soir, qui était tout extraordinaire. Et comme on a regardé de près la cause d’un si heureux succès, on a trouvé que c’est son humilité à suivre mot à mot le projet de ces entretiens qui a été fait par les premiers qui les ont commencés, sans y ajouter des pensées curieuses ni des mots nouveaux, ainsi que d’autres ont fait ci-devant, qui n’ont voulu se réduire à la méthode et simplicité ordinaires, ni se contenir dans les matières propres, et qui pour cela gâtèrent tout.

Vous me parlez derechef, par votre lettre du 13 mars, de la ruine des bois de la Guerche et de la nécessité de les vendre pour réparer votre église ; c’est à quoi nous aviserons.

Peut-être que ce n’est pas l’intention de M. le grand vicaire que vous confessiez en votre église pendant le jubilé, puisqu’il ne vous en a rien dit. Et quand il aurait ce désir, vous ferez bien de l’aller trouver, pour lui représenter que nous avons pour règle de ne point confesser dans les villes. Que si après cela il vous commande de le faire, il faudra obéir.

Je prie Notre-Seigneur qu’il vous conserve et sanctifie avec votre famille, que je salue affectionnément, qui suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

 

 

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2031. — A LA PROPAGANDE

[mars 1656] (1).

Eminentissimi e Reverendissimi Signori,

Vincenzo di Paul, superiore generale della congregazione della Missione, espone umilmente all’EE. VV. ch’essendo di partenza questa primavera una nave per l’isola di San-Lorenzo (2), vulgo Madagascar, alla conversione dei cui popoli già ha detto oratore inviato conordine dell’EE. VV. varii soggetti della sua congregazione, ed essendo quella messe copiosissima e bisognosa di molti più operai ; ofterisce di nuovo all’EE. VV. le persone di Francesco Herbron, dioeceszs Sagiensis (3), e Francisco Boussordec, dioecesis Trecovensis (4), ambedue sacerdoti della predetta congregazione della Missione, accio, se si degnano l’EE. VV. dichiararli missionari apostolici e far loro dare le solite facoltà, possa detto oratore mandarli con la sopradetta nave. E il tutto riceverà per grazia singolare dall’EE. VV.

Quas, Deus, etc.

Suscription : Alla Sacra Congregazione de Propaganda fide,

Lettre 2031. — Supplique non signée. — Arch. de la Propag., Il Africa, n° 248, f° 92, original.

1). Les facultés demandées dans cette supplique furent. accordées le 30 mars 1656.

2). Le départ du navire fut différé.

3). François Herbron, né à Alençon en novembre 1617 ordonné prêtre le 22 septembre 1646, entré dans la congrégation de la Mission le 20 août 1653, reçu aux vœux le 6 janvier 1656. Le vaisseau qui devait le porter à Madagascar ayant fait naufrage, il fut placé au Mans.

4). Charles Boussordec, né à Chatelaudren (Côtes-du-Nord) d’abord curé dans le diocèse de Tréguier, entré dans la congrégation de la Mission le 21 août 1654 à l’âge de quarante-cinq ans, reçu aux vœux à Luçon, mort le 31 mars 1665 sur les côtes du Cap Vert en allant à Madagascar. (Notices, t. III, PP. 341-347) Il dirigea le séminaire d’Annecy de 1660 à 1662.

 

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per Vincenzo di Paul, Superiore Generale della Congregetione della missionne.

TRADUCTION

Eminentissimes et Révérendissimes Seigneurs,

Vincent de Paul, supérieur général de la congrégation de la Mission, expose humblement à Vos Éminences qu’ayant appris qu’un navire devait partir ce printemps pour l’île de Saint-Laurent, vulgairement Madagascar, où le suppliant, pour obéir à Vos Éminences, a envoyé plusieurs prêtres de sa congrégation, vu l’abondance de la moisson et le besoin d’ouvriers nombreux, il leur présente de nouveau François Herbron, du diocèse de Séez, et François Boussordec, du diocèse de Tréguier, tous deux prêtres de la congrégation de la Mission, afin que, s’il plaît à Vos Éminences les nommer missionnaires apostoliques et leur donner les pouvoirs accoutumés, le suppliant puisse les envoyer sur ce navire. Et il regardera cette grâce comme une faveur insigne de Vos Éminences.

Que Dieu ait, etc.

Suscription : A la Sacrée Congrégation de la Propagande. pour Vincent de Paul, supérieur général de la congrégation de la Mission.

 

2032. — FRANÇOIS HARLAY DE CHAMPVALLON,

ARCHEVÊQUE DE ROUEN, A SAINT VINCENT

1656

Je ne me lasse point de vous donner de mes lettres, parce que vous ne vous ennuyez point de nous faire du bien. Celui que mon diocèse a reçu par l’entremise de vos saints ouvriers en est un témoignage très certain. Et comme je remercie Notre-Seigneur de voir que son esprit est si abondamment répandu dans les prêtres que vous formez par sa grâce, je n’aurais aussi à souhaiter pour son Église et pour la gloire de son sacré nom, sinon que tous les ecclésiastiques eussent la

Lettre 2032 — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. II, § 5, 1ère éd., p 41.

 

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même capacité et la même ferveur. Je vous envoie donc le brave Monsieur… et sa généreuse troupe. Ils ont combattu vaillamment contre le péché. J’espère qu’en d’autres rencontres ils ne se lasseront pas de continuer, sous l’étendard du primat de Normandie, qui estime leurs vertus, qui loue leur zèle et qui est sans réserve de leur illustre chef le très humble et très…

 

2033. — LOUISE DE MARILLAC, A SAINT VINCENT

[1656, entre le 18 et le 19 mars] (1)

Madame la présidente de Herse avait demandé des églises à Monsieur de St-Nicolas (2), pour faire les stations du jubilé, pour nos sœurs de St-Martin et, je crois, de St-Médard. Elles ne l’ont pas fait.

Si nos sœurs de toutes les paroisses et même de la maison (excepté celles des Enfants treuvés) pouvaient aller à Notre-Dame et l’Hôtel-Dieu et en deux autres églises proche leur quartier, encore qu’elles ne fussent pas des nommées de la semaine, ce serait une grande commodité. Si elles iront ensemble à l’heure de la plus grande commodité pour les pauvres, comme serait sur les cinq heures du soir ? J’entends des paroisses. S’il y a obligation à dire les prières qui sont dans ces petits livres qui se vendent pour cela ?

Quelques-unes des sœurs voudraient bien faire leur confession céans ; savoir s’il n’est point nécessaire de les avertir toutes de choisir quel confesseur elles voudront pour cette seule fois ?

Lettre 2033. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Cette lettre a été écrite en une année jubilaire, après les fondations de Saint-Martin et de Saint-Médard, paroisses de Paris, c’est-à-dire en 1656, après la lettre 2030 et avant celle qui porte le n° 471 dans la correspondance autographiée de Mademoiselle Le Gras. (Lettres de Louise de Marillac p. 765.)

2) Hippolyte Feret, vicaire général de Paris.

 

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2034. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 24e de mars [1656].

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai appris par votre lettre du 22 février votre indisposition, qui m’eût certes beaucoup affligé si à même temps je n’avais vu que vous vous portez mieux. J’en rends grâces à Dieu, et je le prie de vous redonner votre parfaite santé, qui est une grâce que je lui ferai demander par toute la compagnie jusqu’à ce que je sois assuré que vous l’avez reçue. Sa divine bonté sait combien votre conservation nous est chère, et le sujet que nous avons de la recommander souvent à vos propres soins, comme je fais par la plupart de mes lettres. Je vous prie donc, Monsieur, de faire ce que vous pourrez pour vous bien porter. Je suis fort consolé des assistances que vous avez reçues en votre maladie, et je prie Dieu qu’il récompense de cette charité ceux qui l’ont exercée en votre endroit, particulièrement la reine, qui ne cesse de nous bien faire, tant elle a de bonté. Oh ! que je lui souhaite de bénédictions sur sa personne et de sujets de joie dans les affaires ! J’espère certes qu’enfin Notre-Seigneur la consolera, après le bon et le long usage qu’elle fait des afflictions présentes, par quelque heureux changement.

Je me donne l’honneur d’écrire à M. de Fleury, en réponse de celle que j’ai reçue de lui.

Recommandez-moi bien à notre chère Mère de Sainte-Marie et à sa communauté, que je salue très humblement. Assurez-les de mes services et de mes chétives

Lettre 2034. — L. s — Dossier de Cracovie, original

 

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prières, ensemble de mon entière reconnaissance pour les bons offices que vous en recevez. Je salue aussi nos bonnes Filles de la Charité, que Dieu veuille bénir et fortifier dans la peine où elles sont. Je ne doute pas que vous ne les encouragiez. Je leur écrivis dernièrement et le ferais souvent si je le pouvais.

Mademoiselle Le Gras se porte bien, et sa petite compagnie, qui va croissant en nombre et en bénédiction. Nous avons une station pour le jubilé à l’hôpital des Enfants-Trouvés. Nous n’avons rien de nouveau de deçà, sinon que M. Bécu est au lit pour ses gouttes.

Je suis en peine de nos Messieurs de Varsovie, n’en recevant aucune nouvelle ; faites-leur part des nôtres autant que vous pourrez. Nous prions Dieu pour eux comme pour vous, à qui je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

ind. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Varsovie, étant de présent à la cour de la reine de Pologne.

 

2035. — A N ***

Je vous offrirai à Dieu, puisque vous me l’ordonnez ; mais j’ai besoin du secours des bonnes âmes plus qu’aucune personne du monde, pour les grandes misères qui accablent la mienne et qui me font regarder l’opinion qu’on a de moi comme un châtiment de mon hypocrisie, laquelle me fait passer pour autre que je ne suis.

Lettre 2035. — Abelly, op cit, III, chap. XIII sect. I, p. 203.

 

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2036. — A MICHEL THEPAULT DE RUMELIN

De Paris, ce 26e de mars 1656.

Monsieur,

Le retour de Monseigneur de Tréguier me donne occasion de vous renouveler les offres de mon obéissance, comme je fais, Monsieur, avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, et je vous supplie de croire que les difficultés qui se rencontrent dans les conditions de votre fondation pour le séminaire n’ont aucunement diminué la parfaite reconnaissance que j’en ai. Si mon cœur vous était connu, Monsieur, vous seriez tout persuadé qu’elle est incapable d’altération. Et bien que je me sois donné la confiance de vous faire représenter ces difficultés-là, ç’a été néanmoins avec le respect et la soumission que je vous dois. Je ne vous en dirai autre chose par la présente, sinon que j’ai supplié mondit seigneur d’en conférer avec vous, dans le dessein de nous en tenir à ce que vous et lui commanderez. Cependant, Monsieur, je prie Notre-Seigneur qu’il sanctifie de plus en plus votre âme et qu’il continue ses éternelles bénédictions sur votre famille. Le sentiment de l’obligation que nous vous avons, dont je suis plein, me fera produire toute ma vie ces souhaits et ces prières, et je m’estimerais heureux d’y pouvoir ajouter mes services. Ce sera lorsque le bon Dieu m’aura fait digne de vous en rendre, et ce sera toujours avec autant d’affection que j’ai d’honneur d’être, comme je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Lettre 2036 — L s — Dossier de la Mission, décalque

 

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Suscription : A Monsieur Monsieur de Rumelin, à Tréguier.

 

2037. — A LOUIS DUPONT, SUPÉRIEUR, A TRÉGUIER

26 mars 1656.

Monseigneur de Tréguier s’en retourne plein de saintes affections pour le bien de son diocèse. Je ne doute pas, Monsieur, qu’il ne vous trouve disposé d’y contribuer tout ce que vous pourrez et par vos propres soins et par les services de votre famille. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous donne la plénitude de sa grâce et de sa conduite pour correspondre pleinement aux intentions de ce bon prélat et pour maintenir la paix dans votre maison, sans laquelle il vous serait difficile de faire le reste. Je prie le Saint-Esprit, qui est l’union du Père et du Fils, qu’il soit aussi la vôtre à tous. Vous l’en devez prier sans cesse et ajouter à ces prières une grande attention pour vous unir de cœur et d’action à chacun en particulier et à tous en général. Le mal des communautés, surtout des petites, est pour l’ordinaire l’émulation, et le remède l’humilité, de laquelle vous devez faire toutes les avances, aussi bien que des autres vertus nécessaires pour cette union. Nous voyons que cette émulation est arrivée en la première compagnie de l’Église, qui est celle des apôtres ; mais nous savons aussi que Notre-Seigneur l’a réprimée, et par parole, en humiliant ceux qui se voulaient élever, et par son exemple, en s’humiliant le premier. Si les vôtres s’enorgueillissent ou se courroucent ou se dérèglent, ne vous contentez pas de les en avertir charitablement, quand le cas le mérite, mais faites des

Lettre 2037. — Reg. 2, p. 190.

 

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actes contraires par où ils soient doucement forcés de vous suivre. J’écris à M…. pour le conjurer de concourir de sa part à cette agréable harmonie qui doit-être entre les membres et le chef. Vous lui devez toujours rendre mes lettres fermées, et ne devez pas voir celles qu’il m’écrit, ni celles qu’il adresse où je suis ; mais, pour toutes les autres qui vont ou viennent d’ailleurs, vous les devez ouvrir et considérer, afin que rien ne se passe qui ne soit à propos. Tel est l’usage des supérieurs particulier, qui prennent connaissance de tout ce qui regarde leurs inférieurs, excepté de ce qui vient ou qui va au général.

 

2038. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce dernier de mars 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Il y a longtemps que je n’ai reçu de vos chères lettres ; j’en suis certes bien en peine, quoique j’en attribue la cause à un bon sujet, comme est celui de vos missions, où j’estime que vous êtes toujours occupé ; mais ce n’est pas sans crainte que l’excès de travail vous ait fait malade, ce qu’à Dieu ne plaise. Nous continuons toujours de vous offrir à lui avec toutes vos conduites.

M. Berthe est à présent à Gênes et doit revenir par Turin. J’espère que vous serez consolé de sa présence. Peut-être que la présente le trouvera chez vous ; en ce cas, je l’embrasse très cordialement avec toute la famille.

Voici une lettre de Troyes pour M. Ennery. Je vous prie de donner douze livres à un jeune garçon de ladite

Lettre 2038 — L s — Dossier de Turin, original.

 

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ville de Troyes, nommé Gautier, qui, en revenant de Rome, s’est donné à un bourgeois de Turin pour son pain. M. Ennery le saura bien trouver. Nous rendrons ici lesdites douze livres à qui il vous plaira, ou les emploierons en ce que vous ordonnerez, ou bien nous vous les renverrons à la première occasion. Je vous prie aussi d’accomplir le billet ci-joint à votre commodité.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà que trois ou quatre missions commencées en même temps dans ce diocèse, à l’occasion du jubilé. Nous attendons l’ordination, et je recommande à vos prières tous nos exercices, vous assurant que nous offrons souvent les vôtres à Dieu, afin qu’il en tire sa gloire de la sanctification du diocèse. Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission de Turin, à Turin.

 

2039. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION, A LA ROSE

Avril 1656.

Je vous embrasse avec toutes les tendresses de mon âme, considérant la vôtre comme une victime offerte continuellement à la gloire de son souverain Seigneur, qui travaille à sa perfection et au salut de son prochain. Mon Dieu ! Monsieur, que bienheureux sont ceux qui se donnent à lui sans réserve pour faire les œuvres que Jésus-Christ a faites et pour pratiquer les vertus

Lettre 2039 — Reg 2, p 32

 

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qu’il a pratiquées, comme la pauvreté, l’obéissance, l’humilité, la patience, le zèle et les autres (1) ! Car c’est ainsi qu’ils sont les vrais disciples d’un tel Maître ; ils vivent purement de son esprit et répandent. avec l’odeur de sa vie divine, le mérite de ses saintes actions, à l’édification des âmes pour lesquelles il est mort et ressuscité. Si donc je vous regarde comme l’un de ses bons serviteurs, n’ai-je pas raison de vous estimer et de vous chérir en lui, et d’implorer souvent sur vous, comme je fais, la continuation de ses grâces, pour lui être fidèle jusqu’à la consommation de votre vie, et pour être ensuite couronné de sa gloire par tous les siècles des siècles ? Ce sont les souhaits de mon cœur pour le bonheur du vôtre.

 

2040. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 2 avril 1656.

Quand je vous ai prié de prendre le soin de la famille, ç’a été avec intention que vous fissiez toutes les fonctions d’un supérieur ; mais je ne vous en ai pas donné la qualité, parce que j’ai coutume de voir auparavant les allures de ceux qui commencent l’exercice de cette charge, pour éviter qu’il n’arrive ci-après ce qui est arrivé à deux prêtres qui ont voulu gouverner à leur tête et qui ont réduit deux maisons à un si pauvre état, qu’elles ont peine à s’en relever. M. de Beaumont conduit la maison de Richelieu depuis la mort de M. Le Gros, et néanmoins je ne l’ai point traité de supérieur que depuis peu de jours. La communauté n’a pas laissé

1) Le destinataire de cette lettre venait de faire les vœux.

Lettre 2040. — Reg. 2,, p 165.

 

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de se soumettre à sa direction et d’aller d’un si bon pied qu’elle ait jamais fait. Désormais donc je vous donnerai la même qualité, et j’espère que Notre-Seigneur vous en continuera l’esprit, et que la famille, vous regardant en lui, fera son devoir, en sorte que l’union, le support, l’obéissance et les autres vertus seront en vigueur chez vous. J’en prie sa divine bonté.

 

2041. — JEAN MARTIN A SAINT VINCENT

[2 avril (1) 1656.]

Le concours a été de quatre à cinq mille personnes (2) ; et ce qui m’a grandement édifié est l’affection universelle que tous ont témoignée pour la parole de Dieu. L’on a vu ordinairement une cinquantaine de curés et autres ecclésiastiques fréquenter tous les jours les exercices de la mission. Tous les gentilshommes des environs y ont pris part avec une dévotion extraordinaire ; et le menu peuple y accourait avec une telle ardeur pendant que la mission a duré, qui a été d’environ six semaines, que cela faisait bien connaître qu’il avait un vrai désir d’en profiter. Il s’en est trouvé plusieurs qui, ayant apporté un peu de pain, ont demeuré huit jours et huit nuits entières dans l’église, ou auprès de l’église, pour avoir accès au confessionnal. Tout cela fait voir la bonne disposition de ce peuple et le grand fruit qu’on y pourrait faire s’il y avait nombre d’ouvriers, vu qu’étant si peu et si pauvres et chétifs comme nous sommes la volonté de Dieu ne laisse pas de se servir de nous pour en tirer beaucoup de biens : je dis : si pauvres et si chétifs, parce que je ne saurais assez m’étonner comme ces bonnes gens ont la patience de me souffrir, étant plutôt capable de les rebuter que de les attirer. C’est Dieu qui opère par se pure grâce, et qui opérerait sens doute avec plus de plénitude si je n’y mettais point d’empêchement par mon ignorance, par mon peu d’esprit et par mes autres misères.

Lettre 2041. — Abelly, op. cit., 1. Il, chap. I, sect. VI, p. 81.

1) Voir lettre 2052.

2) Dans la mission de Scalenghe, village de la province de Turin.

 

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2042. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 5 avril 1656.

Vous me demandez de quelle manière vous avez à vous comporter envers un docteur de la nouvelle doctrine qui n’a pas souscrit à la censure et qui se confesserait à vous. Mon avis est qu’il. ne faudrait pas lui refuser l’absolution, quoiqu’il refuse de signer, parce que les points censurés par la Sorbonne (1), laquelle veut exiger cette signature de tous les docteurs, n’ont pas encore été condamnés par le Saint-Siège. Il est vrai que les cinq propositions de Jansénius l’ont été, mais les docteurs qui les ont soutenues n’ont pas encore été obligés d’en souscrire la censure, comme ils le sont pour celle de Sorbonne, à l’égard de ces deux dernières propositions faites par M. Arnauld, qui diffèrent des autres. Il faut donc attendre qu’il ait plu à notre Saint-Père de prononcer sur le tout, avant que d’user de cette rigueur envers ces docteurs refusants. Cependant il est à propos d’éviter les communications trop familières avec eux.

 

2043. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce sixième avril 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne sais que vous dire en réponse à la vôtre du neuvième de mars, que je ne vous aie dit par mes précé-

Lettre 2042. — Reg. 2, p. 110.

1). La Sorbonne avait censuré, le 18 février 1656, deux propositions extraites de la Seconde terre de M Arnauld, docteur de Sorbonne, à un duc et pair de France, Paris, 1655, in-4°. (Cf. Dupin, op. cit, t. II, p. 355 et suiv.)

Lettre 2043. — L. s. — Dossier de Cracovie, original.

 

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dentes. Je sens toujours une grande joie des bonnes nouvelles que vous me donnez, et une douleur très sensible des mauvaises, tant je prends part aux intérêts du roi et de la reine. Plaise à Dieu de prendre leur cause en main et de combattre lui-même contre leurs ennemis, puisqu’ils sont aussi les ennemis de son Église ! Si je pouvais ajouter quelque chose à nos prières pour leur service et consolation, sa divine bonté sait de quel cœur je le ferais.

Je suis bien aise que vous ayez entretenu ce bon Père capucin, missionnaire de l’empereur, sur le sujet de nos fonctions, et que vous lui en ayez donné un petit abrégé. Dieu disposera de cela selon sa sainte volonté et nous fera la grâce, s’il lui plaît, de répondre à ce qu’elle ordonnera.

Vous ne me dites rien de nos confrères de Varsovie ; peut-être n’en avez-vous point des nouvelles, non plus que nous. J’en suis certes en peine, et de ce que nous n’avons aucune voie assurée pour leur écrire. S’il s’en présente quelqu’une à vous, faites-leur part de tout ce que je vous écris.

Nous avons céans près de cent ordinands, et aux champs la plupart de nos prêtres, qui font des missions dans trois ou quatre endroits. Offrez à Dieu, s’il vous plaît, tous ces exercices.

M. Guillot est céans en bonne santé, ensemble M. Simon, tous deux occupés à l’ordination, et M. Eveillard est en mission. Messieurs Portail et Bécu sont un peu incommodés. Le reste va son petit train, tant ici que par les autres maisons de la compagnie, et moi je suis plus que jamais, ce me semble en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

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Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Varsovie, étant de présent près la reine de Pologne.

 

2044. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce samedi [8 avril 1656] (1)

Mon très honoré Père

Permettez-moi recommander à votre charité le petit papier que je vous la dernière fois que j’eus l’honneur de vous parler, et de lui ramentevoir la pauvre femme que Monsieur de Croisy vous a recommandée pour le Nom-de-Jésus. L’on me vient de dire qu’il en sort une.

Nous avons une de nos sœurs qui demeurait y a un an chez un maître qui a fait banqueroute. Un homme intéressé de 13..000 livres veut qu’elle fasse déclaration par devant un commissaire pour ce qu’elle en sait et doit venir savoir si votre charité lui permettra. C’est aujourd’hui que je lui dois donner réponse. Venant apporter un monitoire chez Monsieur le curé ne suffirait-il pas qu’elle dit lorsqu’il sera public à. Monsieur notre curé ce qu’elle en saura ?

L’on m’a dit que c’est aujourd’hui la grande assemblée des dames. Ne jugeriez-vous point à propos mon très honoré Père, de représenter le bien spirituel que l’on pourrait faire, visitant les pauvres galériens aux heures que nos sœurs leur portent le dîner, qui est une heure assez commode pour être de retour chez elles, sans que leur ménage en soit incommodé ? C’est à dix heures que l’on les sert.

S’il plaît aussi à votre charité se souvenir du besoin de notre petite assemblée si ce pourrait être demain, jour des Rameaux, auquel je serai. comme je suis toujours, demandant votre bénédiction, et, mon très honoré Père, votre très humble très obéissante servante et très obligée fille.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 2044. — L a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Le frère Ducournau a écrit l’année au dos de l’original ; le contenu permet de préciser le jour.

 

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2045. — ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS,

A SAINT VINCENT

Du 8 avril 1656.

Monsieur,

Je vous fais ces lignes, par l’avis de M. de Brousse, pour vous prier d’écrire à M. Jolly, supérieur de votre Mission de Rome, de s’employer pour l’expédition des bulles de l’abbaye de Chancelade en faveur du Père Garat, que le roi y a nommé. On lui enverra une lettre de change pour le payement d’icelles. Ledit sieur de Brousse m’a suggéré ce moyen pour épargner ce qu’il faudrait donner au banquier. J’ai cru que vous auriez agréable que je vous fisse cette prière en faveur de cette maison, qui vous en aura obligation.

Le bon M. Fournier m’est venu voir ici. Il est tout étonné de voir le grand emploi que vous lui avez donné dans la conduite spirituelle de notre séminaire Il dit qu’il n’en a jamais vu un si beau. D’abord que je le vis ici, je me souvins de l’avoir vu à Saint-Lazare.

L’on m’a écrit depuis qu’on pousse les jansénistes du coté de la cour, de quoi je suis bien aise. Il y a longtemps que je souhaitais cela. Vous savez combien de fois je vous en ai écrit Il faut les empêcher de faire du mal

Je suis toujours, Monsieur…

ALAIN,

évêque de Cahors.

 

2046. — A MARC COGLÉE

De Paris, ce 12 avril 1656

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

M. Florent nous presse de fournir de l’argent pour acheter des livres à l’usage de ces pauvres enfants qui viennent à l’école ; je vous prie de donner pour cela un

Lettre 2045 — Arch de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

Lettre 2046. — L. s. — Dossier de Turin, original

 

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ou deux écus par mois, pendant 3 ou 4 mois, de l’argent que les dames vous envoient pour les pauvres. J’espère qu’elles agréeront cette petite dépense, puisque ces enfants sont en effet pauvres et ne pourraient étudier sans cela. Quant à nous, nous le sommes trop pour pouvoir faire cette aumône. J’estime aussi, Monsieur, qu’il n’est pas à propos de la continuer, parce que, pour l’ordinaire, il sert de peu à la jeunesse de commencer l’étude du latin, quand elle n’a pas le moyen d’y faire quelque progrès, ainsi qu’il arrive lorsque les parents ne peuvent leur donner les choses nécessaires, si ce n’est peut-être quelque bon esprit, qui, se faisant reconnaître pour tel par son avancement, donne sujet à quelque personne charitable de l’aider à se pousser. Hors cela, la plupart sont pour demeurer à mi-chemin. Il vaut bien mieux que de bonne heure ils apprennent un métier ; et c’est le bien que vous devez procurer à ces pauvres enfants de Sedan, en portant leurs parents à les mettre en quelque apprentissage, ou bien en priant Dieu qu’il inspire aux dames catholiques de la ville à faire comme ont fait celles de Reims, qui se sont liées pour quantité de bonnes œuvres et qui s’assemblent toutes les semaines pour prévoir les biens qu’elles peuvent faire et en prendre les moyens. Or elles ont entrepris le soin des pauvres enfants, et avec telle bénédiction, qu’en moins de huit mois elles en ont mis près de six-vingts en métier, sans parler des filles, dont elles en ont aussi placé plusieurs. Si vous voyiez quelque ouverture à porter vos bourgeoises à faire de même, il faudrait espérer de la bonté de Dieu le même succès.

On m’a dit une chose qui m’a un peu surpris et certes affligé plus que je ne vous puis dire, qui est que vous avez mis en délibération en votre compagnie s’il était à propos qu’elle allât manger en ville, et que, la plupart

 

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des opinions ayant été pour l’affirmative, vous avez introduit cette coutume. Je vous prie, Monsieur, de trouver bon que je vous dise que vous avez mal fait de mettre à la pluralité des voix une chose que vous saviez bien être contre notre usage. Et comme un supérieur particulier ne peut rien innover dans sa famille que de l’ordre du général, ladite famille ne le peut non plus, quand même tous les sujets ensemble en conviendraient. Il arrive tant d’inconvénients de faire autrement, que cela nous oblige d’y tenir la main. Les banquets sont fort fréquents en Pologne, et nos gens ont été obligés du commencement de se trouver en quelques-uns pour ne pas condamner d’abord une coutume si fort approuvée ; mais, parce que l’usage tourne facilement en abus, nous avons aussi été obligés de leur défendre absolument de manger hors de la maison. Faites savoir à la vôtre que je la prie de prendre cette défense pour elle, comme j’espère que vous ferez pour vous, en sorte que. désormais on ne voie aucun missionnaire aller boire ni manger en ville, en quelque lieu, ni sous quelque prétexte que ce soit.

Une autre raison pour laquelle vous ne deviez pas mettre en délibération cette matière, c’est que les affaires de la conduite se doivent traiter en particulier entre vous et vos assistants, et non pas les exposer aux sentiments divers de la communauté. Que si vous êtes d’avis contraire à celui de vos assistants dans les difficultés que vous leur proposez, cela ne vous oblige pas de suivre leurs lumières, mais oui bien de m’en écrire, si la chose est importante. Je suppose que ces propositions-là ne soient pas contre nos règles ou nos pratiques, car, si elles le sont, vous ne devez vous adresser qu’à moi seul.

Je prie Notre-Seigneur qu’il ait agréable de vous

 

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informer pleinement de ses volontés dans tous les doutes où vous pouvez vous trouver, ne doutant pas de votre affection pour les accomplir. Demandez-lui, s’il vous plaît, la même grâce pour moi, et l’esprit ecclésiastique pour nos ordinands.

Je salue votre petite communauté aux pieds de la croix de Notre-Seigneur, où j’espère que la présente vous trouvera tous en esprit et où vous me trouverez aussi, en l’amour de ce même Seigneur crucifié (1), Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Coglée, supérieur des prêtres de la Mission de Sedan, à Sedan.

 

2047. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Je rends grâces infinies à Dieu des dispositions qu’il vous donne pour aller aux pays étrangers, si l’on vous y envoie, et pour n’y pas aller et demeurer ici, si l’on vous y retient. La sainte indifférence pour toutes choses est l’état des parfaits ; et la vôtre me donne espérance que Dieu sera glorifié en vous et par vous, comme je l’en prie de tout mon cœur, et vous, Monsieur, de lui demander pour nous la grâce de nous abandonner entièrement à son adorable conduite. Nous le devons servir à son gré et renoncer à notre choix, tant à l’égard des lieux que des emplois. C’est assez que nous soyons à Dieu, pour le vouloir être en la meilleure manière que le peuvent être ses meilleurs enfants, honorés du titre de

1) Saint Vincent écrivait cette lettre le mercredi saint

Lettre 2047. — Abelly, op. cit. 1 III, chap V sect II, p 45

 

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serviteurs de l’Évangile, par qui Notre-Seigneur se veut faire connaître et servir ; que nous importe comment et en quel lieu, pourvu que ce soit ainsi ? Et assurément que cela sera, si nous le laissons faire.

 

2048. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce vendredi saint (1) 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je viens de recevoir votre lettre du seizième mars, qui est un peu vieille ; mais elle n’a pas laissé de me consoler sensiblement. Je vous avoue que je commençais déjà à m’ennuyer beaucoup de n’en recevoir pas. Je dévorais les paquets qui me sont arrivés, dans le désir d’y trouver de vos lettres.

Dieu soit loué, Monsieur, de la bénédiction toute particulière qu’il donne à vos travaux et de la disposition que vous trouvez dans les peuples à recevoir les instructions et les autres grâces que Dieu leur présente ! Plaise à sa bonté infinie de vous fortifier parmi tant de fatigues et d’augmenter le nombre des ouvriers pour une si belle moisson ! Nous vous laisserions volontiers M. Berthe pour vous aider, mais il est nécessaire ailleurs. Que s’il plaît à Dieu d’ériger un séminaire pour l’avancement des ecclésiastiques du Piémont et de se servir de la compagnie pour cela, nous vous enverrons des prêtres propres pour ce bon œuvre ; mais nous attendrons que la proposition vous en soit faite, n’étant

Lettre 2048. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) 14 avril.

 

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pas expédient de la prévenir, quoiqu’il faille se préparer pour la recevoir.

Je m’imagine que la présente ne trouvera plus M. Berthe à Turin (2), puisqu’il devait partir de Gênes pour y aller au commencement de ce mois. Si pourtant il y est encore, je l’embrasse avec toute la famille. Je n’ai rien à lui dire de particulier. Voilà aussi tout ce que je puis répondre à votre chère lettre.

Nous sommes dans les embarras d’une grande ordination ; il y a céans plus de cent dix personnes d’extraordinaires, sans parler de deux évêques, dont l’un fait les entretiens du soir. Nos prêtres n’ont pas laissé d’aller faire trois missions en même temps et de se disposer en d’autres lieux, à l’occasion du jubilé. Je recommande le tout à vos prières.

Nous nous portons assez bien, grâces à Dieu, et nous vous offrons souvent à sa divine bonté, vous et les vôtres, à qui je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission de Turin, à Turin.

 

2049. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

14 avril 1656.

Je rends grâces à Dieu de l’ordre que vous avez reçu de faire la mission dans la première paroisse du monde,

2) M. Berthe était encore à Turin le 14 avril, et l’acceptation du bref d’Alexandre VII se fit en sa présence le 22.

Lettre 2049. — Reg. 2, p. 235.

 

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quoique pauvre, qui est celle de Saint-Jean-de-Latran. Puisque vous n’êtes pas présentement en état de la faire, par l’absence de vos ouvriers, vous attendrez leur retour et même qu’ils se soient un peu reposés. Dieu, qui fait toutes choses avec poids et mesure, ne désire ce service de vous qu’au temps que vous pourrez vous en acquitter Je veux croire que vous en aurez ainsi convenu tant avec M. le curé qu’avec Monseigneur Polucci (1) avec qui vous avez eu ordre d’en conférer. Nous prierons Dieu cependant qu’il donne sa bénédiction à cet ouvrage.

 

2050. — A LOUIS DE CHANDENIER

18 avril 1656

Monsieur,

La présente est pour vous renouveler les offres de mon obéissance avec tout le respect et la reconnaissance que je le puis. Je vous supplie de l’avoir agréable. C’est aussi, Monsieur, pour vous dire que le lieutenant du juge de Saint-Pourçain est mort, lequel avait ci-devant remis sa charge à son fils ; mais ce bon homme, ayant eu peine d’être sans emploi, en a continué l’exercice jusqu’à présent, que par son décès il l’a laissée vacante, si bien, Monsieur, que son fils la demande, non pour lui, mais pour un sien fils, qui est un jeune avocat, petit-fils du défunt ; à quoi j’ai fait réponse que je vous en écrirais, comme en effet, Monsieur, je vous supplie très humblement de disposer de cet office en faveur de telle personne qu’il vous plaira. Je m’en vais mander au prieur qu’il m’envoie des lettres pour un grand vicariat, afin de pourvoir de cet office et des autres qui pourront vaquer

1) Prélat romain, nommé cardinal en 1657.

Lettre 2050. — Reg. 1, f° 41, copie prise sur la "minute non signée, partie de la main"

 

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ceux que vous aurez agréable de me commander, comme aussi aux bénéfices. J’attends cette grâce de votre bonté, et du bon Dieu celle de vous obéir toute ma vie, comme étant la personne du monde qui est la plus obligée à M. l’abbé de Saint-Jean (1) et à vous, Monsieur, à qui je suis…

Le billet que je vous envoie m’a été envoyé de Marseille par le supérieur de la chétiveté (2) ; et cela s’est répandu par d’autres voies en cette ville. O Monsieur, quel sujet de louer Dieu !

 

2051. — A LOUIS SERRE, SUPÉRIEUR, A SAINT-MEEN

Du 20 avril 1656.

Il est vrai, Monsieur, que vous auriez mieux fait de vous excuser entièrement envers Monsieur l’ancien recteur de Mordec de le recevoir à pension chez vous pour le reste de ses jours, que de lui donner parole de le recevoir pour six mois avant de lui promettre pour le reste, parce qu’à la fin il faudra que vous le lui refusiez, et qu’alors vous y trouverez plus de difficulté qu’il n’y en avait à la première proposition. l’expérience que nous avons des inconvénients qui arrivent d’avoir parmi nous des externes libres, qui ne sont sujets à aucune règle, qui savent tout ce qui se passe au dedans, qui nous rapportent ce qui se fait au dehors, qui censurent ce que bon leur semble, qui se plaignent du traitement, qui écoutent et supportent les mécontents, etc., nous a fait résoudre de n’en plus recevoir ici, ni ailleurs, s’il n’y a quelque raison importante qui prévale sur toute autre considération.

1) Claude de Chandenier, abbé de Moutiers-Saint-Jean.

2) Firmin Get, supérieur de la maison de Marseille.

Lettre 2051. — Reg. 2, p. 175.

 

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2052. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 21e avril 1656.

Monsieur,

La grâce de N. S. soit avec vous pour jamais !

Je n’ai point de paroles qui puissent exprimer la reconnaissance que j’ai des bénédictions singulières, qu’il donne à votre mission de Scalenghe, qui paraissent par le grand concours du peuple. Plaise à sa divine bonté de vous continuer ses grâces et de vous augmenter les forces pour soutenir le poids d’une si grande charge ! Si, de ce côté-là, votre lettre du 2 de ce mois m’a consolé, elle m’a beaucoup affligé, de l’autre, par le peu d’affection que témoigne pour vos exercices la personne dont vous me parlez (1) Puisque les besoins ni la dévotion de ce grand monde ne l’ont pas ému, je ne vois rien qui soit capable de le toucher, si ce n’est les prières, auxquelles nous devons recourir, à ce qu’il plaise à Dieu de lui faire connaître et embrasser les grands biens qu’il peut faire, et le tort qu’il aura, s’il en perd l’occasion. J’espère, Monsieur, que vous ne vous lasserez pas de le supporter ; car il se pourra faire que l’excès de votre bonté surmontera celui de son indisposition. Je crains certes que tant de travail vous accable ; mais j’ai cette confiance que le bon Dieu ne le permettra pas et qu’il se servira de vous pour le progrès de l’œuvre commencé. Nous l’en prierons souvent et instamment.

M. Berthe sera arrivé à Turin plus tôt que vous, qui me mandez. ne pouvoir finir votre mission que vers le 20° de ce mois ; et lui m’écrit qu’il partait de Gênes le

Lettre 2052. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1). Probablement M. Deheaume.

 

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5e pour venir à vous. Il aura été bien en peine de ne vous trouver pas, et je ne sais comment il aura fait. Peut-être vous sera-t-il allé trouver à Scalenghe et vous assister jusqu’au bout. Je lui écris à Annecy, n’estimant pas que la présente le trouve à Turin. Je ne doute pas que vous n’ayez été consolé de sa visite, et qu’il ne soit parti très satisfait de votre conduite. Pour moi, je le suis sensiblement, et j’espère que Notre-Seigneur la bénira de plus en plus pour sa gloire et l’avancement de votre famille, que je salue avec toutes les tendresses de mon cœur.

Nous n’avons rien de nouveau depuis la dernière que je vous ai écrite ; notre monde est revenu de mission et se dispose, après quelques jours de repos, d’en aller faire trois ou quatre autres.

Je suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission de Turin, à Turin.

 

2053. — A DONAT CRUOLY

De Paris, ce 22e avril 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres et les ai lues avec consolation. Nous avons reçu aussi le fr [ère] Labat (1) en

Lettre 2053. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Jean Labat, frère coadjuteur, né au diocèse de Bazas en 1617, entré dans la congrégation de la Mission le 23 septembre 1642, reçu aux vœux au Mans en 1645

 

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bonne disposition. Vous me demandez, par celle du 6, si vous composerez à l’amiable avec M. Supligeau, commis au grenier à sel, pour les 300 livres qu’il doit à votre maison. A quoi je réponds que cela sera bien et qu’il vaut mieux terminer nos différends par cette voie que par procès, quand cela se peut.

Par celle du 19, vous dites que M. Duval est d’avis que vous demandiez à rentrer dans le pré que feu M. Laigneau avait pris à rente, par faute de vous payer ladite rente. Or, si ce défaut est une raison suffisante qui vous donne droit de rentrer, j’y consens volontiers ; mais prenez-en bon avis avant de faire aucune poursuite, pour ne vous y engager pas mal à propos ; car vous y trouverez sans doute de la résistance.

Je ne sais si vous m’avez écrit, ou si je l’ai appris d’ailleurs, que, ne pouvant être payé de M. Marchand de quelque reste de pension qu’il vous doit vous étiez en délibération de l’appeler en justice pour l’y faire condamner. Si vous êtes dans ce dessein, je vous prie de n’en venir pas à l’exécution. Tâchez d’en tirer amiablement ce que vous pourrez, mais ne plaidez pas.

Je consens que vous receviez le jeune homme tailleur qui demande d’entrer en la compagnie (2) pourvu que vous le jugiez propre et bien intentionné. Mais pour les règles. elles ne sont pas en état d’être montrées ; nous y travaillons, à cause de quelque occasion qui est arrivée. qui nous oblige d’y toucher ; sitôt qu’elles seront comme il faut, vous serez des premiers à qui nous les enverrons. Ce que vous me mandez de M. Olivier (3) m’a affligé ;

2) Probablement Guillaume Lebrun, né le 15 novembre 1633 dans le diocèse du Mans, entré dans la congrégation de la Mission au Mans le 4 juillet 1656, reçu aux vœux le 6 octobre 1658.

3) Ce nom n’est pas dans le catalogue du personnel.

 

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j’espère néanmoins qu’étant homme de bien et obéissant, comme vous dites, il se corrigera de ses manquements, surtout si cordialement et familièrement vous l’en avertissez, tantôt de ce qu’il abonde en son sens, tantôt de ce qu’il trouve à redire, tantôt de ce qu’il parle trop aux conversations et n’est pas assez retenu avec les externes, etc. Mais cela, Monsieur, il le faut faire avec humilité, douceur et support. Si vous jugez qu’il ait assez de capacité pour le confessionnal, vous pouvez l’employer aux confessions, après que vous lui aurez donné les avis convenables, dans l’esprit que je viens de dire, qui est l’esprit de Notre-Seigneur, sans lequel on fait plus de mal que de bien.

Je vous écrirai une autre fois ce que vous aurez à faire au sujet du frère Le Roy (4).

Quant au frère Edme (5) on a eu raison de lui refuser l’absolution, et on le doit faire tandis qu’il sera dans la désobéissance. Y a-t-il apparence de souffrir qu’un esprit rebelle reçoive en soi le modèle de la vraie obéissance ? Je vous prie de lui ôter les offices qu’il a et de ne l’employer à quoi que ce soit (6), Peut-être que, s’ennuyant de vivre de la sorte, il se reconnaîtra, puisqu’il aura loisir de penser à lui. Nous verrons du moins quel effet cela fera, avant que de venir à un plus fort remède

Monsieur, votre. très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

4) Jean Le Roy, né à Argenteuil, entré dans la congrégation de la Mission le 7 août 1644, à l’âge de vingt-trois ans, reçu aux vœux le 21 juillet 1648. Il sortit deux fois de la compagnie.

5). Edme Noizeau ou Edme Picardat

6) Suivaient ici les mots : sans pourtant le mettre dehors, qui ont été raturés

7). Les mots : avant que de venir à un plus fort remède. sont de la main du saint.

 

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Suscription : A Monsieur Monsieur Cruoly, supérieur des prêtres de la Mission du Mans, au Mans.

 

2054. — A PIERRE DE BEAUNONT, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

Du 23 avril 1656.

Vous ne pouvez pas bonnement refuser l’assistance que Madame la duchesse de Richelieu (2) vous demande pour les religieuses (2), quand elles seront dans quelque désordre ; car c’est ainsi que vous m’en faites la proposition ; et vous ajoutez : ainsi que faisait feu M. Le Gros. Prenant donc la chose au pied de la lettre, la charité veut que nous tâchions de mettre la paix là où elle n’est pas ; et selon cela, que, s’il arrive quelque difficulté parmi ces filles où vous puissiez remédier, vous ferez bien de vous y employer, vous conformant tant que vous pourrez à la manière dont le défunt s’y est comporté. Mais si, hors ces besoins extraordinaires, il leur a rendu des visites et des services plutôt d’office que de nécessité, ce que je ne sais pas, et qu’on voulût exiger de vous la même chose, ou que, sous ce prétexte de nécessité, on prétendît de vous engager peu à peu à quelque direction ou autre attachement, vous devez vous en excuser et mander à madite dame que, notre compagnie ayant considéré dès le commencement quels empêchements pourraient la divertir du salut du pauvre peuple des champs, pour lequel Dieu l’avait suscitée, on trouva qu’un des plus grands était le service des religieuses ; ce qui donna lieu à la règle qui en a été faite

Lettre 2054. — Reg. 2, p.185

1) Anne Poussard, mariée le 26 décembre 1649 à Armand-Jean du Pessis, duc de Richelieu, morte le 29 mai 1684.

2) Les Filles de Notre-Dame établies à Richelieu.

 

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et à l’usage où nous sommes de ne nous engager jamais à les confesser, prêcher, ni diriger, non pas même pour les exercices spirituels, si ce n’est peut-être quand nous faisons actuellement mission au lieu où elles sont, n’y ayant pas d’inconvénient pour lors de leur faire part de nos exercices. Vous pourrez ajouter que, si vous aviez commencé de rendre quelque service à celles de Richelieu, les autres du voisinage en tireraient conséquence et ne manqueraient pas de raisons pour vous demander le même secours ; témoin les Ursulines de l’Isle-Bouchard (3), qui vous pressent pour leurs exercices spirituels. Et afin de prévenir l’objection que l’on vous peut faire, que je suis moi-même le premier dans la pratique contraire, étant le Père spirituel des monastères de Sainte-Marie de Paris, vous pouvez dire que je l’étais auparavant que la Mission fût, à quoi le bienheureux évêque de Genève, leur instituteur, m’engagea lui-même ; et depuis j’ai été obligé de continuer par le commandement de mes supérieurs, quoique j’aie fait plusieurs fois mes efforts pour m’en dispenser et que je sois toujours en cette disposition. Vous pouvez connaître par tout cela notre intention pour vous défendre de tels emplois.

La faculté que nous avons d’absoudre des cas réservés au Pape n’est pas pour les lieux où nous demeurons, mais pour ceux où nous faisons les exercices de la mission, et pendant la mission seulement ; de sorte que, si dans votre paroisse il arrive de ces cas-là, vous ne pouvez pas en absoudre ceux qui s’en confessent ; mais vous pouvez leur dire qu’ils se trouvent à la prochaine mission qui se fera en tel endroit.

3) aujourd’hui chef-lieu de canton dans l’Indre-et-Loire.

 

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2055. — A N***

28 avril 1656.

Vincent de Paul raconte les épreuves des missionnaires, de Barbarie.

 

2056. — A MONSIEUR DE BLINVILLIERS

30 avril 1656.

Monsieur,

Je me donne l’honneur de vous renouveler les offres de mon obéissance, avec tout le respect et l’affection que je le puis. Je vous supplie de l’avoir agréable, comme aussi, Monsieur, la très humble prière que je me donne la confiance de vous faire, de recevoir dans une de vos compagnies de cavalerie un jeune gentilhomme de Savoie, petit-neveu du bienheureux évêque de Genève, fils d’un maître des comptes de Chambéry, fort homme de bien, nommé M. de la Pesse, qui me l’a recommandé. Il a déjà fait une campagne, étant l’année passée au siège de Pavie ; il a bon esprit et bon cœur ; et j’espère, Monsieur, que, si vous lui faites la grâce que je vous demande, il se rendra recommandable sous une si bonne école que la vôtre. Il n’est pas monté. Sa famille est plus riche d’honneur et de vertu qu’elle n’est pas de biens. Je vous supplie très humblement, Monsieur, de lui faire la grâce de lui faire donner moyen de servir le roi en qualité de simple cavalier. Il se réserve à prétendre quelque chose de plus, lorsque vous l’en aurez jugé digne. Je vous assure derechef, Monsieur, qu’il a du cœur, à ce qu’on m’a dit, et bien de l’esprit, en sorte

Lettre 2055 — Collet, op cit., l. II, p. 23

Lettre 2056. — Reg. I, f° 20.

 

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qu’il y a sujet d’espérer que vous en aurez toute satisfaction.

Je prie N.-S. qu’il conserve votre personne, qu’il bénisse de plus en plus vos armes et vos conduites, et qu’il me donne les occasions de mériter l’honneur que j’ai d’être, en son amour, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL

indigne supérieur de la congrégation de la Mission.

 

2057. — A LOUIS DUPONT, SUPÉRIEUR, A TRÉGUIER

Du 3 mai 1656.

… Quant à votre difficulté, bien que nous ayons pour règle de ne prêcher dans les villes épiscopales, ni en celles où il y a parlement ou présidial, et que nous devions nous tenir fermes à cette règle, ainsi que grâces à Dieu, nous faisons, vous pouvez néanmoins prêcher dans Tréguier, puisque Monseigneur le commande, que ce n’est que pendant huit jours seulement et à l’occasion du jubilé, qui est chose extraordinaire. Ces circonstances sont trop considérables pour ne donner pas quelque exception à cette règle générale.

Je ne vous dirai autre chose pour le présent sur le procédé de la personne dont vous me parlez, sinon qu’entre tous les moyens qui peuvent changer en mieux son cœur et ses actions, il n’y en a point de meilleurs que de le traiter avec douceur, support et patience, autant que nos petites règles le peuvent permettre, même dans son dérèglement ; et c’est ce que je vous prie de faire, en attendant que Dieu y mette un autre remède.

Lettre 2057. — Reg. 2, p. 100.

 

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2058. —- A MONSIEUR HANOTEL (1)

5 mai 1656.

Monsieur,

Je prends la confiance de vous faire une très humble prière pour un prêtre de votre diocèse à qui il est arrivé un malheur. Étant à table avec un autre prêtre, il eut différend avec lui, et par colère lui donna un soufflet. Il s’est fait absoudre de l’excommunication ; mais, d’autant qu’il a célébré devant ladite absolution, il a encouru l’irrégularité, dont il vous demande la grâce de le dispenser, avec grand regret de sa faute et grande protestation de ne jamais commettre chose semblable, moyennant la grâce de Dieu. L’irrégularité est occulte, parce qu’il n’y avait qu’un laïque présent lorsque la chose est arrivée. Des personnes de haute vertu et science éminente en ces matières ont assuré que vous le pouviez dispenser et que c’était à vous qu’il devait s’adresser pour obtenir cette grâce. Derechef il vous supplie de la lui octroyer ; il vous la demande, prosterné à vos pieds, et s’y prosternerait en effet, s’il était au pays.

Qui vous écrit est, Monsieur, votre…

Notre frère Deslions se porte bien en tous sens, par la grâce de Dieu. Je supplie très humblement M. l’official de nous envoyer au plus tôt cette expédition, s’il la juge dans l’ordre, et nous prierons Dieu qu’il soit sa récompense et qu’il nous fasse digne de le servir.

Lettre 2058 — Reg. I, f° 64 v°, copie prise sur l’original autographe

1). Official et grand vicaire d’Arras.

 

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2059. — A N***

5 mai 1656.

Vincent de Paul apprend à son correspondant que le Pape Alexandre VII a confié aux prêtres de la Mission les écoliers de la Propagande, jeunesse

…destinée à porter chez toutes les nations la grâce et les lumières de la foi.

 

2060. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

Du 6 mai 1656.

Il est à propos que vous vous concertiez avec Madame la gouvernante (1) de toutes les charités à faire. Il me semble que Dieu sera là dedans. Je souhaite qu’il établisse son règne souverain et invariable dans votre cœur et dans votre famille, et c’est de quoi je le prie.

Vous ne devez pas exiger de M…. de vous dire les choses secrètes que ceux du dehors lui auront confiées sous cette condition du secret ; car aucun particulier n’est obligé et ne doit pas même les découvrir au supérieur.

 

2061. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION, A AGEN

7e de mai 1656.

J’ai vu par votre lettre le secours que vous êtes venu donner à la maison d’Agen, dont je vous remercie ; c’est ainsi que doit faire un bon missionnaire : se tenir toujours disposé au soulagement de ses frères ; et je

Lettre 2059 — Collet, op. cit., t. Il, p. 26.

Lettre 2060. — Reg. 2, p. 160.

1) La marquise de Fabert

Lettre 2061 — Reg. 2, p. 339.

 

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souhaite que Dieu donne cette charité à tous ceux de la compagnie ; car par ce support mutuel les forts soutiendront les faibles, et l’œuvre de Dieu se fera.

Je rends grâces à Dieu de l’affection qu’il vous donne pour les missions. Cet attrait, venant de sa part, ne peut être que très utile aux peuples, tandis que vous serez fidèle à le suivre ; et cette fidélité ne peut être que très avantageuse pour vous, puisque, en travaillant au salut des pauvres, vous assurez le vôtre. Je prie Notre-Seigneur, qui a pris la peine de les évangéliser lui-même et le soin de vous appeler au même ministère, qu’il vous anime de son esprit, pour vous en acquitter en sa vue et en sa manière.

Nous ferons partir cette semaine prochaine un prêtre pour Agen, qui vous ira relever, afin que l’exercice de votre zèle ne soit plus retardé. Je veux croire que c’est cette vertu et les autres bons motifs que vous m’écrivez, qui vous ont fait demander à retourner à La Rose. Vous êtes trop à Dieu pour écouter la nature, en cas qu’elle voulût prendre part à la satisfaction de ce retour ; et vous estimez trop la sainte indifférence aux emplois pour ne la pratiquer pas dans les occasions par respect à la volonté de Dieu, laquelle vous est connue par les ordres de l’obéissance.

 

2062. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION, A LA ROSE

7 mai 1656.

Quoique votre lettre du 17 d’avril ne semble avoir été faite que pour me demander réponse à vos précédentes, et que j’aie satisfait à cela il y a plus de 15 jours, je

Lettre 2062. — Reg,. 2, p 338

 

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ne laisse pas de vous écrire en action de grâces à Dieu des bons sentiments qu’il vous donne, et pour vous dire que très volontiers je prie sa bonté qu’elle vous donne la persévérance en votre vocation et la grâce de le bien servir. La première dépend de la seconde, en sorte que, si vous êtes bien fidèle à vos règles et à vos emplois, en quoi Dieu veut que vous le serviez, vous assurerez par ce moyen votre vocation par bonnes œuvres et y persévérerez jusqu’à la fin.

Je remercie particulièrement Notre-Seigneur du désir qu’il vous donne de votre perfection et du moyen qu’il vous inspire pour y parvenir, qui est de vous mettre au-dessous de tous vos frères. Vous ne ferez en cela que ce qu’il a pratiqué, et pour beaucoup que vous tendiez à l’abaissement et embrassiez l’abjection, vous n’approcherez jamais des humiliations qu’il a faites. Ne craignez pas d’en faire trop, ni de contrevenir, en imitant cet humble Sauveur, à l’esprit et à la façon d’agir de la compagnie ; car, si elle n’est pas tout à fait dans cet usage, il ne s’ensuit point qu’elle n’y doive pas être.

En certains lieux et en certaines occasions, il est loisible à chacun de garder son rang de prêtrise, d’ancienneté, de science, d’emplois, etc. ; mais parmi nous, Monsieur, cela ne s’observe pas : chacun passe et se place indifféremment comme il se trouve, tant à table qu’ailleurs. J’excepte les principaux officiers, qui représentent dans les familles la personne de Notre-Seigneur et qui, en certains cas, doivent prendre la primauté. Dieu vous fait une grâce bien grande, Monsieur, de ce que, dans la pente que vous avez à la vanité, il vous donne affection pour la vertu contraire. C’est signe qu’il veut vous la faire acquérir par l’exercice ; et son Fils Notre-Seigneur, pour vous y encourager, vous en a donné l’exemple dans tous les états et les actions de sa vie. Saint Paul même

 

 

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vous en fournit un moyen quand il nous exhorte à considérer les autres comme nos supérieurs ; car, en ce faisant, vous les honorerez comme tels, et vous vous soumettrez au moindre, vous croyant plus petit que lui devant Dieu, pour l’amour duquel cela se doit faire, et à qui vous devez aussi recourir, lui demandant souvent et instamment cette sainte humilité. Elle consiste, comme vous savez, à aimer le mépris. Bienheureux est celui qui est parvenu à ce degré ; car il a trouvé un trésor caché et une source de grâces qui ne tarira jamais, mais qui l’élèvera de la terre au ciel, et de sa condition misérable à un trône éternel de gloire. Demandez-lui, s’il vous plaît, pour moi et pour tant que nous sommes, cette vertu, comme je ferai pour vous, à qui je suis…

 

2063. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 12 mai 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je viens de recevoir votre lettre du 13. Je me trouve maintenant trop embarrassé pour écrire à Messieurs Desdames et Duperroy, en réponse de leurs lettres ; ce sera, Dieu aidant, par le premier ordinaire.

Cependant je rends grâces à Dieu de la bénédiction qu’il donne aux armes du roi. J’en parle ici à tous ceux qui peuvent contribuer à leur succès par leurs prières, et quelques-uns par d’autres manières, et je ne cesserai point de faire prier Dieu et communier pour l’entier rétablissement de ce royaume-là et pour la santé et consolation de Leurs Majestés. Je le prie aussi, Monsieur,

Lettre 2063. —- L s — Dossier de Cracovie, original

 

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qu’il vous conserve et vous anime de son esprit pour en faire les œuvres.

Nous n’avons personne de malade céans, qu’un frère clerc. Mademoiselle Le Gras l’a été à l’extrémité ; mais, grâces à Dieu, elle se porte un peu mieux.

Une partie de nos prêtres sont allés aujourd’hui en Bourgogne pour y faire 5 ou 6 missions, à la prière de Messieurs les abbés de Chandenier ; quelques autres s’en vont en Normandie en faire autant. Dieu bénit beaucoup la maison de Rome par la conduite de M. Jolly, et partout les petits exercices de la compagnie par sa bonté infinie (1).

Je suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Varsovie, à la cour de la reine de Pologne.

 

2064. — A JEAN MARTIN.

De Paris, ce 12 mai 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’admire la bonté de Dieu et les grâces qu’il vous fait dans l’émotion du peuple qui court à vos exercices. Il n’y a pas lieu de douter que sa divine providence ne vous ait appelé en Piémont, non seulement pour y introduire la compagnie, mais pour en bannir l’ignorance et

1) Ces quatre derniers mots sont de la main du saint.

Lettre 2064. — L s — Dossier de Turin, original.

 

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le péché par la vertu de sa parole et par le moyen de vos travaux. Je le remercie humblement du succès qu’il leur a donné jusques à présent et des forces qu’il vous communique. Je vous prie de les ménager, et Notre-Seigneur de vous les augmenter, à proportion qu’il vous donnera occasion de les employer. M. Berthe m’a écrit la peine que vous fait M. Deh [eaume] et le peu de secours que vous en attendez, dont je suis marri, pour la difficulté que nous avons de vous envoyer présentement personne à sa place capable de vous aider de longtemps. Nous tâcherons. néanmoins de le faire, sinon en la manière que ledit sieur Berthe ma proposée, du moins en la meilleure et plus prompte façon que nous le pourrons.

Il y a déjà quelques jours que j’avais prévu la réponse à faire à Mgr le marquis de Pianezze, touchant le désir qu’il a d’augmenter votre fondation par les 400 livres qu’il y veut joindre pour les deux messes fondées par Madame sa femme, et pour être célébrées tous les jours par votre famille ; mais j’étais alors dans la pensée qu’il nous demandait deux prêtres de surcroît, de quoi votre lettre m’a désabusé, en ce qu’elle m’assure qu’il n’en demande qu’un. Et parce que je la reçus hier seulement, je n’ai pu concerter avec nos assistants (1) de cette affaire, ainsi que je ferai au plus tôt pour vous en écrire au 1er jour. C’est ce que vous pourrez dire à mondit seigneur le marquis, en cas qu’il vous parle de la résolution (2).

Le visiteur ne vous a pas sitôt quittés, que vous parlez de retourner en mission faire usage des grâces de Dieu, pour n’enfouir pas votre talent. J’ai une consolation plus grande que je ne vous puis dire de votre bonne

1) Première rédaction : avec mes assistants.

2) Première rédaction : en cas qu’il vous presse pour la réponse. Les mots parle de la sont de la main du saint.

 

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conduite (3) et de votre ardeur pour cette fonction salutaire et de votre patience dans les peines de corps et d’esprit. C’est marcher par la voie des saints, ou plutôt par celle du Saint des saints, Notre-Seigneur, à qui je continuerai de vous offrir avec votre famille, afin qu’il vous anime tous de son esprit.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission de Turin, à Turin.

 

2065. — A N ***

12 mai 1656.

Vincent de Paul parle des vexations subies par les missionnaires de Barbarie.

 

2066. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 14 mai 1656.

Vous ferez bien d’éviter le procès que vous craignez avec M… (1) Ce n’est pas qu’il ne faille conserver vos droits et demander vos dîmes comme un bien de l’Église dont vous n’avez que l’administration ; mais, avant d’en venir à cette extrémité, vous devez lui faire parler et reparler pour le résoudre à ce qui est raisonnable, même

3) Première rédaction de votre sagesse dans la conduite. Le mot bonne est de la main du saint

Lettre 2065. — Collet, op. cit., t. II, p. 23.

Lettre 2066. — Reg. 2, p. 165.

1) Peut-être le chevalier d’Albret. (Cf. la lettre du 29 juillet 1657 à Louis Rivet.)

 

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à compromettre, nommant de part et d’autre des gens de bien et qui soient intelligents en ces matières, pour en passer par leur jugement.

 

2067. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT-MEEN

17 mai 1656.

La candeur avec laquelle vous m’avez exprimé vos peines est une grâce de Dieu, et je vous en souhaite une autre, qui est la patience. Votre abattement d’esprit ne durera pas ; c’est un nuage épais qui passe. L’homme est comme le temps, qui n’est jamais en même état, et je veux croire que, depuis votre lettre écrite, vous en avez ressenti quelque allégement. Si ces pensées fâcheuses viennent de l’esprit malin, vous ne voudriez pas adhérer à ce qu’il prétend, qui est de vous ennuyer au service de Dieu et de priver les âmes des secours qu’elles reçoivent de votre présence de delà ; et si ces peines viennent de Dieu, vous êtes trop à lui pour rejeter ce qu’il vous présente, et trop expérimenté dans les conduites de la grâce pour ne savoir pas qu’elle se trouve dans les tribulations. Les saints ont été exercés en diverses manières, et c’est par leur patience dans les difficultés et par leur persévérance dans les saintes entreprises qu’ils se sont rendus victorieux. Vous le savez, Monsieur, et je sais aussi que vous ne voulez pas aller à Dieu par un autre chemin que le leur.

Si l’exercice du tribunal vous cause en partie le trouble que vous sentez, il ne faut pas pour cela cesser de réconcilier les âmes à Dieu ; la vôtre ne trouverait pas par cette cessation le repos qu’elle cherche, puisqu’il ne se

Lettre 2067 — Reg 2, p 341

 

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rencontre que dans l’accomplissement de la volonté de Dieu, qui vous est connue par l’obéissance.

Vous dites de plus que le désir de retourner en votre pays contribue à vous susciter cette inquiétude Je le crois bien, Monsieur ; et c’est par où vous pouvez juger que ce désir ne vient pas de Dieu, parce que ses inspirations sont douces, attrayantes et presque imperceptibles, au lieu que les mouvements de la nature et les suggestions du diable troublent et violentent l’âme par leurs efforts. Aussi Notre-Seigneur n’a garde de vous inspirer ce retour chez vos parents, après vous en avoir tiré pour le suivre. Et partant, je vous prie de continuer à donner gloire à Dieu au lieu et en la manière que vous savez lui être agréables ; prenez-en la résolution dès maintenant et concevez plus de confiance que vous n’en avez en votre supérieur (1). Il est un bon missionnaire, sage et vertueux, qui ne veut que vous porter à Dieu et à votre propre avancement, en procurant celui du prochain ; mais quand il serait encore meilleur, ce n’est pas tant pour sa bonté que vous le devez considérer, que parce qu’il vous représente Notre-Seigneur et que Notre-Seigneur est en lui pour vous conduire, comme il est en la personne du pauvre pour recevoir l’aumône du riche ; et ainsi, Monsieur, en vous ouvrant à lui, vous vous ouvrez à Dieu, et, faisant ce qu’il vous dira, vous ferez le bon plaisir de sa divine bonté.

1) Louis Serre.

 

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2068. — A LA SŒUR FRANÇOISE MÉNAGE (1)

Ma Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis bien aise d’avoir reçu votre lettre, dont la lecture m’a fait connaître que vous êtes toujours bonne fille, disposée d’être toute à Dieu, et toute à votre chère vocation pour le bien des pauvres, dont je remercie Notre-Seigneur, qui vous a appelée à son service d’une si bonne manière, et qui n’a pas fait cette grâce à tant d’autres filles qui sont dans le monde en danger de se perdre. Estimez beaucoup l’honneur qu’il vous a fait de vous choisir entre mille pour exercer ses bontés sur vous, et par vous sur ses membres affligés, et l’en remerciez souvent dans l’esprit d’une humble reconnaissance, laquelle je prie sa divine bonté de vous donner ; car, si une fois vous l’avez bien empreinte dans l’âme, elle vous augmentera le désir de plaire unique ment à Dieu et le soin de lui offrir toutes vos actions, qui est le moyen d’obtenir la grâce de la persévérance, surtout si vous y joignez la pratique exacte de vos règles et des vertus qui vous sont propres, comme la douceur, l’humilité et le support.

Je salue notre bonne sœur Haran (2) et toutes les autres, à qui je souhaite les mêmes bénédictions. Tandis que vous et elles conserverez l’union et la bonne intelligence

Lettre 2068. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Elle était d’une excellente famille de Serqueux, qui donna quatre filles à Louise de Marillac : Françoise, Madeleine, Marguerite et Catherine-Françoise fut longtemps employée au service des malades de l’hôpital de Nantes.

2) Nicole Haran, supérieure à l’hôpital de Nantes.

 

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ensemble et serez fidèles à vos exercices, vous jouirez d’une grande paix, vous vous serez à consolation l’une à l’autre, vous édifierez le dedans et le dehors de la maison, et le Saint-Esprit, faisant sa demeure en vos cœurs, vous comblera de biens dans le temps et dans l’éternité.

Mon Dieu ! ma Sœur, que j’ai de joie de vous savoir contente au lieu et en la condition où vous êtes ; c’est une grâce de Dieu, qui peut-être ne durera pas toujours, car il arrive des changements en notre esprit, qui nous font ressentir de temps en temps des dégoûts, des tentations, des ennuis, des aversions, des tristesses et d’autres peines intérieures ; et Dieu permet que les meilleures âmes en soient souvent exercées, tant pour les éprouver que pour leur donner sujet de mérite. C’est pourquoi nous devons nous y préparer, afin que ces états fâcheux ne nous surprennent pas et ne nous découragent, quand nous y serons. Prions Dieu, ma Sœur, qu’il nous fasse faire bon usage de tous ceux où nous pourrons nous trouver.

Vous me demandez à communier les jour où vous avez fait les vœux. Je le veux bien, si c’est la coutume en votre compagnie ; mais, si les autres sœurs ne communient pas en semblables jours, vous ferez bien de vous conformer à elles, pour éviter la singularité. C’est faire une bonne communion que de suivre la communauté.

Mademoiselle Le Gras nous a pensé échapper ; elle a été malade à l’extrémité et n’est pas encore tout à fait hors de danger, bien qu’elle soit en bien meilleur état, grâces à Dieu. Je ne la recommande pas à vos prières, sachant que vous ne manquez pas de les offrir à Dieu pour sa conservation. Dieu bénit de plus en plus votre petite compagnie. Je vous prie de lui demander miséricorde pour moi ; je parle aussi à nos sœurs, étant de toutes en

 

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général et de chacune en particulier, nommément de vous, en l’amour de N.-S., ma Sœur, votre très affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A ma sœur la sœur Françoise Ménage,

Fille de la Charité, servante des pauvres malades de l’hôpital Saint-René de Nantes, à Nantes.

 

2069. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR. A ROME

19 mai 1656.

Avant que de répondre à votre dernière lettre, je vous parlerai d’une affaire des plus importantes qui se puissent présenter et dont le mérite me servira d’excuse envers vous, pour la surcharge que je vous donne en vous l’adressant ; outre que je n’ai pu m’en défendre, eu égard à ceux qui m’ont demandé votre assistance. Il est question de remédier aux duels, qui sont si fréquents en France, et par lesquels il s’est fait des maux infinis (1). M. le marquis de la Mothe-Fénelon (2) est celui de qui Dieu s’est servi pour susciter les moyens d’en détruire l’usage. Il a été autrefois un fameux duelliste ; mais, comme Dieu le toucha, il se convertit si bien, qu’il jura de ne se plus battre. Il était à Monseigneur le duc

Lettre 2069. — Collet, op. cit., t. II, p. 24

1) La passion du duel était si répandue qu’en une semaine il y eut dix-sept tués sur la seule paroisse Saint-Sulpice. Beaucoup regardaient ces combats singuliers comme licites et même comme honorables. Comme les remontrances des prédicateurs ne suffisaient pas, le vicaire général de Paris défendit aux prêtres de la paroisse Saint-Sulpice d’absoudre les duellistes, sauf au lit de mort, de donner les derniers sacrements et d’inhumer en terre sainte ceux qui ne seraient pas absous. (Cf. Faillon, op. cit. t. II, pp. 258-264.)

2) Oncle de l’archevêque de Cambrai.

 

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d’Orléans, comme il y est encore ; et en ayant parlé à un autre gentilhomme (3), il lui fit prendre la même résolution ; et tous deux en ont gagné d’autres à leur parti, en les engageant de parole et même par écrit (4). Ces commencements ont eu les progrès que vous verrez dans le mémoire ci-joint, et d’autres que l’on a omis (5). Le roi a fait enrôler sa maison dans cette résolution (6). Les États de Languedoc et de Bretagne ont privé du droit de séance dans leurs assemblées les gentilshommes qui désormais se battront dans leurs provinces. Enfin on a usé de toutes les précautions possibles pour arrêter ce torrent, qui a fait tant de ravages sur les corps et sur les âmes. Il ne reste, pour la conclusion de cette bonne œuvre, sinon qu’il plaise à notre Saint-Père le Pape de la couronner de sa bénédiction par le bref qu’on lui demande. Je vous en envoie le projet, qui a été si bien concerté de deçà, qu’on estime qu’il n’est pas possible d’y rien changer sans ruiner le bon dessein qu’on a. Prenez la peine de vous bien mettre au fait de tout, pour en instruire quelque cardinal qui puisse et qui

3) Peut-être le maréchal de Fabert, qui fut, avec le marquis de Fénelon, le chef de cette association, dans laquelle entrèrent le duc de Liancourt, le vicomte de Montebas, le comte de Brancas, le marquis de Saint-Mesmes, le comte d’Albon, MM. Desgraves, Alzan, de Bourdonnet, du Four, de Souville et du Clusel.

4) Les gentilshommes de l’association réunis dans l’église du séminaire Saint-Sulpice en 1651, le jour de la Pentecôte, avaient fait serment de ne jamais plus accepter aucun duel et de combattre cette triste coutume.

5) es maréchaux de France exhortèrent tous les gentilshommes du royaume à prendre la même résolution ; des personnages illustres donnèrent leur adhésion ; le prince de Condé, qui s’était montré favorable au mouvement, reçut du Pape un bref de félicitations. Le prince de Conti combattit ce fléau dans le Languedoc, Alain de Solminihac dans le Querci. Les évêques de l’Assemblée du Clergé approuvèrent, le 28 août 1651, la déclaration solennelle des gentilshommes ; les docteurs de Sorbonne firent de même.

6) Il voulut que le marquis de Fénelon reçût lui-même les signatures de la cour.

 

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veuille représenter à Sa Sainteté l’importance de la chose. Monseigneur le nonce donne la même commission et envoie la même dépêche à son agent… Il faudra que vous fournissiez aux frais, et je vous en prie. Nous vous rendrons ce que vous avancerez. Vous m’écrirez exactement ce qui se passera.

 

2070. — NICOLAS DEMONCHY, SUPÉRIEUR A TOUL, A SAINT VINCENT

[1656] (1)

Nous venons de faire mission dans une grosse bourgade nommée Charmes (2), où après avoir travaillé pendant cinq semaines, nous en sommes revenus un peu fatigués, mais les cœurs remplis de joie et de consolation pour les bénédictions que Notre-Seigneur nous y a données et à toutes les personnes de ce lieu-là, comme aussi à plusieurs paroisses circonvoisines. M. le curé est fort zélé, et depuis lui jusques au moindre de la paroisse, tous ont fait leurs confessions générales, sans qu’il en soit resté un seul qui y ait manqué ; mais ces confessions ont été si bien faites et dans les sentiments d’une si véritable conversion, que je ne me souviens pas si de vingt-cinq missions où j’ai assisté, j’en aie vu une où le peuple m’ait paru si fort touché comme est celle-ci, où, après avoir rendu à Dieu et au prochain offensé toute la satisfaction que nous avons pu souhaiter, chacun s’efforce maintenant de suivre nos avis, pour se maintenir en la grâce de Dieu. Il y a en ce même lieu un couvent de bons religieux (3), et ces Révérends Pères étaient tout étonnés voyait tant de merveilles, et entre les autres leur supérieur, qui est un vrai saint.

Tous ces glorieux trophées que Notre-Seigneur a remportés par sa grâce sur les cœurs de ceux qui avaient été rebelles à ses lois et qui lui ont donné gloire par une véritable pénitence,

Lettre 2070. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. 1, sect. n, § 5, 1er éd., P 41

1) Cette lettre a été écrite, dit Abelly, "quelque temps après" la lettre 2013.

2) Charmes-la-Côte, petite localité de l’arrondissement de Toul.

3) Des Capucins.

 

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nous obligent de lui en rendre de très humbles remerciements, et moi particulièrement de travailler plus que je n’ai fait, reconnaissant par expérience que c’est le grand moyen de profiter aux âmes. Je suis retourné de cette mission avec cette pensée et ce désir.

 

2071. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 25 mai 1656.

Vous me parlez de l’importance d’avoir une maison dans Rome. J’espère de la bonté de Dieu, qui vous donne cette vue, et des soins que vous y apportez, qu’enfin sa providence pourvoira à ce besoin, lequel je vois assez grand ; mais c’est toujours à travers la maxime de Notre-Seigneur, qui n’avait aucune maison et qui n’en voulut pas avoir.

Je pense que vous ferez bien de maintenir en votre maison l’usage de porter le chapelet à la ceinture, comme nous faisons ici, ou de l’introduire, s’il n’y était pas (1).

J’approuve fort votre procédé à l’égard du frère [Oderico] (2) ; car il est à propos que ceux qui n’auront pas bien passé les deux premières années diffèrent leurs vœux jusqu’à ce qu’ils aient donné la satisfaction qui doit précéder une si sainte action.

Lettre 2071 — Reg. 2, pp. 235, 45.

1) Ici commence le second fragment.

2) Nicolas Oderico, frère coadjuteur, né à Gênes le 28 février 1627, entré dans la congrégation de la Mission à Gênes le 4 mars 1654, reçu aux vœux en 1656. Il ne peut être ici question que de lui, car les autres "frères" de la maison de Rome ou avaient déjà fait les vœux, ou n’avaient pas terminé leur temps de probation.

 

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2072. — A N ***

3 juin 1656.

… Il (1) a trouvé le secret de devenir par l’humilité grand dans le ciel, après avoir été grand sur la terre, et on est édifié de lui voir suivre, autant que son âge le lui permet, tous les exercices de la communauté (2).

 

2073. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

3e juin 1656.

Nous avions envoyé M. [Brin] (1) pour aller visiter nos missionnaires d’Ecosse et des Hébrides ; mais le voilà revenu, à mon grand regret, parce qu’étant arrivé à Londres, l’ambassadeur de France (2), à qui il avait été recommandé, l’a obligé de s’en revenir, ne voyant pas de sûreté pour lui dans ce voyage, quelque précaution qu’on y pût apporter (3).

 

2074. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

La fille de laquelle vous m’écrivez sera volontiers reçue

Lettre 2072. — Collet, op. cit., t. II, p. 29.

1) René Alméras, père.

2) Cette même phrase se retrouverait, d’après Collet (ibid.), dans une lettre du 7 juin.

Lettre 2073. — Reg. 2, p. 106.

1) Ce nom ne se trouve pas dans le registre 2 ; mais les lettres suivantes nous permettent de le deviner.

2). Le président de Bordeaux.

3) Collet déclare (op. cit., t. II, p. 485) que saint Vincent aurait annoncé la même nouvelle le 18 juin dans une lettre que nous n’avons plus.

Lettre 2074. Recueil des procès-verbaux des conseils tenus par saint Vincent et Mademoiselle Le Gras, p. 305. (Ms. conservé à la maison-mère des Filles de la Charité.)

 

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chez Mademoiselle Le Gras, lorsque vous l’enverrez ; mais auparavant mandez-nous, s’il vous plaît, quel est le motif de sa retraite, si ses parents y consentent, si elle a père et mère, s’ils se peuvent passer d’elle, [si elle est en service] (1), quel âge elle a, quelle disposition de corps et quelles qualités d’esprit, etc. C’est faire un grand service aux âmes de les aider à se débarrasser du monde pour servir Dieu et pour le servir d’une manière si sainte et si particulière que font ces pauvres Filles de la Charité. Mais il faut que le premier mouvement en vienne de Dieu et que telles âmes y aient beaucoup d’attrait et de disposition. Alors on peut les y encourager et leur donner les avis convenables pour en venir à la résolution et a l’effet.

 

2075. — A CHARLES OZENNE

De Paris, ce 9° juin 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 11 mai, par laquelle vous continuez à nous donner de bonnes nouvelles, dont je vous remercie. Nous continuons aussi pour cela nos remercîments et nos prières à Dieu, qui seul peut confondre les ennemis de son Église et rétablir les États de Pologne dans leur repos.

Je loue Dieu de la santé du roi et de la reine, et de toutes les bonnes choses que vous m’en écrivez, comme aussi du bon état des religieuses de Sainte-Marie et des Filles de la Charité. Je salue les unes et les autres

1) Les ratures qui recouvrent ces mots en rendent la lecture incertaine.

Lettre 2075 — L. s — Dossier de Cracovie, original.

 

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humblement et cordialement, et je prie Notre-Seigneur qu’il soit tout leur désir, parce qu’en ce cas il n’y aura rien sur la terre qui puisse troubler leur joie.

Nous n’avons rien de nouveau. Le défaut de l’ordination nous a donné lieu d’envoyer une troisième bande de missionnaires aux champs, conduite par M. Brin, qui a été contraint de s’en revenir de Londres, pour n’avoir point pu passer, bien qu’habillé en séculier, à continuer son voyage vers l’Ecosse et les Hébrides, où nous l’avions envoyé pour y consoler nos confrères, qui ne sont pas exempts de souffrance. Il y a longtemps que nous n’en avons aucune nouvelle. Priez Dieu pour eux et pour moi, qui suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Mademoiselle Le Gras se porte bien, grâces à Dieu.

Je m’avise trop tard à penser si j’ai fait réponse à Mademoiselle de Villers. Je vous prie de le savoir. Si j’avais le temps, je lui écrirais. Dans le doute, renouvelez-lui les offres de mon obéissance (1).

Suscription : A Monsieur Monsieur Ozenne, supérieur des prêtres de la Mission de Varsovie, à la cour de la reine de Pologne.

 

2076. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 9e juin 1656.

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

1) Le post-scriptum, sauf la première phrase, est de la main du saint.

Lettre 2076. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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Encore que je n’aie reçu de vos lettres depuis la dernière que je vous ai écrite, je vous fais néanmoins la présente pour vous donner de nos nouvelles, en attendant les vôtres. Grâces à Dieu, nous sommes tous en assez bonne disposition ; et Mademoiselle Le Gras, qui a été sur le point de passer de cette vie en l’autre, est revenue en son premier état. Nous attendions les ordinands, mais quelque raison a fait différer l’ordination ; ce qui nous a donné lieu d’envoyer une troisième bande de missionnaires aux champs, y en ayant déjà deux qui travaillent en différents diocèses depuis 15 ou 20 jours ; et toutes doivent continuer jusqu’à la moisson. Ne faut-il pas profiter de votre exemple, vous qui travaillez incessamment depuis tant de temps ? O Monsieur, que je suis consolé de l’ardeur et de la fidélité qu’il vous donne à son service pour le salut des âmes, et que j’espère de bénédictions sur l’établissement dont vous avez jeté les premiers fondements ! Plaise à sa divine bonté de vous continuer et augmenter les forces de corps et d’esprit pour l’accomplissement de ses desseins !

La maison de Gênes ayant besoin d’un maître de philosophie, et vous d’un bon prédicateur pour vous soulager, nous vous avons destiné M. Richard, et j’ai prié M. Blatiron de le vous envoyer aussitôt qu’il aura reçu un prêtre de Rome, qui lui doit arriver dans quelque temps, pour l’aider aux missions. Ayant donc M. Richard avec vous, je vous prie d’envoyer à Gênes M. Ennery pour y faire la classe. M. Richard est tenté de retourner en France ; je ne sais s’il aura le pouvoir sur lui d’aller à Turin ; nous verrons (1).

Nous avons envoyé M. Brin pour visiter et consoler

1) Cette dernière phrase est de la main du saint.

 

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nos pauvres confrères d’Ecosse et des Hébrides, mais il a été obligé de s’en revenir de Londres, pour n’avoir pas vu de sûreté à passer outre. Il était néanmoins vêtu en séculier et recommandé à l’ambassadeur de France, et c’est lui qui l’a obligé de s’en revenir. Nous leur avons envoyé quelque secours par une autre voie ; mais Dieu sait s’il leur sera rendu. Les lettres seules ont peine à passer ; il y a longtemps que nous n’en avons reçu de leur part ; combien plus y a-t-il de difficulté à faire passer l’argent !

Nous avons céans le père de M. Alméras, qui a quitté le monde en l’âge de 81 ans pour se donner à Dieu en la compagnie.

M. Le Vacher, de Tunis, nous a envoyé une relation de ses emplois, qui est de grande consolation et qui, ayant été lue au réfectoire, a fort édifié la compagnie. J’espère de vous en envoyer une copie ; elle est longuette, et faut du temps pour la copier. Je vous écris en courant, me trouvant fort pressé.

Voici un mémoire que je vous prie d’accomplir, et une lettre pour M. Ennery. Je n’ai que des bonnes nouvelles du reste de la compagnie ; j’en attends des vôtres avec désir et patience.

J’embrasse tendrement et humblement votre cher cœur et votre famille, et je suis de tous les deux, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission, à Turin.

 

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2077. — A N ***

9 juin 1656.

Vincent de Paul fait l’éloge du Père Eudes (1) et de ses missionnaires.

 

2078. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Paris, ce saint jour de la Trinité (1) 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu vos lettres des 9 et 25 mai. Je vous remercie du secours que vous avez donné à M. Lucas (2) pour la mission de Saujon (3), non seulement en lui donnant M. Daveroult pour tout le temps de la mission, mais en lui envoyant M. Langlois pendant les fêtes au sujet de son indisposition. C’est un acte de providence qui honore celle de Dieu sur toutes les créatures, et c’est une charité que je prie Notre-Seigneur de mettre en vigueur

Lettre 2077. — Collet, op. cit., t. II, p. 32, en note.

1) Jean Eudes, né à Pierrefitte, près d’Argentan, le 14 novembre 1601, entra à l’Oratoire le 7 avril 1623 et en sortit en 1643 pour fonder la congrégation de Jésus et Marie, qu’il appliqua à la direction des séminaires et à l’œuvre des missions. Malgré la similitude des emplois de cette congrégation avec la sienne, saint Vincent soutint le fondateur contre les attaques dont il était l’objet et lui concilia la bienveillance de la reine. Le P. Eudes établit pour les femmes la congrégation de Notre-Dame de Charité. Il composa des ouvrages pieux, travailla à la diffusion du culte des Sacrés-Cœurs et donna un nombre considérable de missions, dont plusieurs eurent un grand retentissement. La mort mit fin à ses travaux le 19 août 1680 (Vie du Vénérable Jean Eudes, par le P. Boulay, Paris, 1905-1908, 4 vol. in-8°.)

Lettre 2078 — L. s. — Dossier de Turin, original

1) 11 juin.

2) Probablement Jacques Lucas, prêtre de la maison de Richelieu.

3) Commune de l’arrondissement de Saintes.

 

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dans la compagnie, qui est de se secourir mutuellement dans les besoins. Je suis en peine de l’état de la santé dudit sieur Lucas, n’en ayant rien appris depuis votre dernière, et c’est pour cela que je veux espérer qu’il se porte mieux. J’en prie Dieu de tout mon cœur.

S’il m’écrit pour s’arrêter chez vous, je le prierai, selon votre désir, de ne le faire pas, si ce n’est que sa maladie le requière. Et en cas qu’il se présente à vous dans ce désir sans autre besoin, vous lui demanderez s’il a ma permission pour y faire quelque séjour ; et s’il ne l’a pas, vous le prierez de vous excuser.

Vous ferez bien d’écrire au Révérend Père Amelote ce que vous me mandez de l’église et du vicaire de son prieuré (1), afin qu’il ait connaissance de l’un et de l’autre et remédie aux besoins de tous les deux ; mais vous le prierez de ne découvrir pas d’où lui seront venus ces avis.

Nous ne pouvons vous donner aucun frère pour votre jardin ; servez-vous de domestiques, comme nous faisons ici.

Je crains bien que nous ayons donné sujet à Dieu d’éloigner de nous la grâce du séminaire, puisque vous n’avez pas un seul séminariste. Je prie sa divine bonté qu’elle vous en donne assez pour le rétablissement et la manutention de ce bon œuvre. Pendant que vous êtes dans les visites avec Monseigneur et qu’il voit les besoins des ecclésiastiques, vous avez une belle occasion de lui en parler. Il a eu raison, quand il a approuvé votre faculté d’absoudre des cas réservés, de se réserver à lui ceux des duels et de la suspense des prêtres qui vont au cabaret.

Nous devons estimer grand tout ce qui se fait pour

4) Le prieuré de Champdolent (Charente-Inférieur)

 

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Dieu, et nous persuader qu’il n’y a point de petits offices en sa maison, et que les moindres nous honorent trop quand ils nous sont donnés. Je dis ceci sur l’emploi que vous avez dans les visites, dont il semble que vous êtes peu satisfait.

S’il est vrai que la personne dont vous me parlez vous traite mal, j’espère que votre patience lui fera du bien ; elle l’édifiera et peut-être qu’elle lui adoucira le cœur. Continuez donc, Monsieur, à vous comporter ainsi que Notre-Seigneur s’est comporté vers ceux qui l’ont persécuté, injurié, brocardé (5) et desservi. Ces occasions-là sont comme des pierres de touche pour éprouver notre vertu. Je prie sa divine bonté qu’il perfectionne la vôtre, qu’il bénisse vos travaux et votre conduite, pour le bien du diocèse et la consolation de ceux qui sont avec vous.

Nous avons céans le père de M. Alméras, qui a dessein d’entrer en la compagnie pour y servir Dieu le reste de ses jours.

Une partie de notre monde est aux champs, travaillant aux missions en trois divers diocèses. Nous n’avons point eu d’ordination pour cette fois. Ayant envoyé M. Brin pour visiter et consoler nos pauvres confrères d’Ecosse et des Hébrides, de qui nous n’avons reçu aucune nouvelle longtemps y a, il a été obligé de s’en revenir de Londres par l’avis de M. l’ambassadeur de France, à qui il avait été fort recommandé. Nous leur avons envoyé quelque argent par une autre voie, sans beaucoup d’espérance qu’il leur soit rendu, à cause de la difficulté d’y aller et de la persécution des catholiques.

Voilà nos petites nouvelles. Nous nous portons assez

5) Brocardé, retourner en moquerie

 

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bien, grâces à Dieu, en qui je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Rivet.

 

2079. — A MADAME DE FOUQUESOLLE (1)

12 juin 1656.

Madame de Fouquesolle est très humblement suppliée par son serviteur Vincent d’avoir agréable d’assister M. Préraux (?), ce gentilhomme de Poitiers, en un procès qu’il a, en recommandant son droit à quelques-uns de ses juges. Il ne doute pas qu’elle ne le fasse de la bonne sorte, quand elle saura que ce gentilhomme a une grâce de Dieu très particulière pour la conversion des hérétiques, et qu’il en a ramené grand nombre, et de fort considérables, à notre sainte religion. Sans cela ledit Vincent ne se donnerait pas la liberté de le recommander avec tant d’instance et de confiance comme il fait, à madite dame, qui, outre le mérite qu’elle en aura devant Dieu, obligera beaucoup de personnes de piété qui prennent part aux intérêts de ce bon gentilhomme, duquel Dieu se sert pour le retour de tant d’âmes égarées.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Lettre 2079. — Reg. I, f ° 31 v°.

1) Ancienne dame d’honneur d’Anne d’Autriche.

 

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2080. — A LOUIS SERRE, SUPÉRIEUR, A SAINT-MEEN

14 juin 1656.

Je rends grâces à Dieu de la bénédiction qu’il a donnée à vos travaux en la paroisse d’Evignac (1), et je le prie que les fruits en soient éternels.

Quant aux filles qui se veulent donner à Dieu dans les exercices de la Charité, elles seront les bienvenues ; Mademoiselle Le Gras les recevra volontiers, et toutes autres qui auront, avec cette dévotion, la réputation d’une bonne vie, l’esprit et le corps bien faits, et qui seront robustes. Je vous envoie la copie d’un mémoire que j’ai envoyé en d’autres maisons à cet effet.

Monseigneur de Saint-Malo (2) fait trop de grâces aux pauvres Filles de la Charité, de les vouloir employer en sa ville. Comme il a un souverain pouvoir sur nous et sur elles, nous tâcherons de lui en donner, lorsque Dieu nous en donnera le moyen. Pour le présent, cela ne se peut, parce que Mademoiselle Le Gras n’en a pas de prêtes et n’en a pu encore fournir à quantité de personnes qui lui en demandent depuis longtemps. Monseigneur de Cahors (3), qui en a demandé pour un hôpital qu’il a fondé pour les pauvres orphelins, nous fait presser par Monseigneur de Sarlat (4), qui est ici, de lui en envoyer au plus tôt. Monseigneur d’Agdes nous en demande aussi pour cette ville et pour Pézenas (6) ; et depuis deux ans, M. l’abbé Ciron, qui est intendant des

Lettre 2080. — Pémartin, op. cit., t. III, p. 290, 1. 1245.

1) Ou plutôt vraisemblablement Epiniac, grosse commune de l’arrondissement de Saint-Malo.

2) Ferdinand de Neufville (16l6-1657).

3) Alain de Solminihac.

4) Nicolas Sevin.

5) François Fouquet.

6) Canton de l’Hérault.

 

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affaires du bon Dieu à Toulouse, nous sollicite pour y en envoyer. Monseigneur d’Angers (7) en veut avoir aussi pour un nouvel hôpital de sa ville (8), y en ayant déjà dans l’ancien, de sorte que nous ne savons comment faire pour subvenir à tout cela. J’espère que mondit seigneur de Saint-Malo aura la bonté de nous donner quelque temps pour pouvoir obéir à ce qu’il commande.

Vous me mandez que Monseigneur de Saint-Malo s’est plaint doucement à vous de ce que nous aurions reçu en la compagnie quelques-uns de ses diocésains. Il ne faut pas pour cela, Monsieur, laisser de recevoir ceux qui se présenteront, si vous les jugez propres et bien appelés. N’est-il pas raisonnable que, la compagnie lui fournissant des prêtres pour son séminaire et pour les missions, elle en prenne de son diocèse, aussi bien que des autres, quand Dieu les envoie ?

 

2081. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

14 juin 1656.

Je rends grâces à Dieu de la bénédiction qu’il a donnée aux travaux des Révérends Pères Jésuites pendant le jubilé, et de ce que vous reconnaissez qu’elle se doit attribuer à leur façon de parler simple et familière. J’espère que cet exemple nous confirmera dans l’usage de ne parler jamais en public ni en particulier qu’avec simplicité, humilité et charité. C’est le plus grand secret qu’on puisse trouver pour réussir à la prédication, au lieu que la pratique contraire ne sert qu’à exercer la patience des auditeurs et remplir de vanité celui qui leur parle.

7) Henri Arnauld.

8) L’hôpital des Enfermés.

Lettre 2081. — Collet, op cit., t. II, p.332.

 

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2082. — A UN CLERC DE LA MISSION, A GÊNES

Du 16 juin 1656.

Je loue Dieu de l’indifférence qu’il vous donne pour le lieu de votre demeure, et j’ose dire, pour tous les emplois. Les grâces que vous dites avoir reçues dans celui qui vous occupe présentement, vous doivent faire estimer que l’assistance divine ne vous manquera point dans les autres occasions où vous serez appliqué, mais que le secours de sa grâce sera d’autant plus grand que plus vous y trouverez de la difficulté, pourvu qu’avec cette confiance vous vous abandonniez à sa conduite pour faire de vous ce qu’il lui plaira. Les bas sentiments que vous avez de vous-même sont bons, et je prie Notre Seigneur qu’il vous en donne assez pour le suivre tous jours en la pratique de la sainte humilité ; mais ils ne vous doivent pas empêcher de vous soumettre, si la sainte obéissance vous met à montrer la philosophie. Aussi témoignez-vous être prêt de l’entreprendre à la première signification, dont je rends grâces à Dieu comme d’une victoire que vous avez emportée sur la nature rebelle. Si nous pouvons envoyer un autre maître pour cette classe, ainsi que nous tâcherons de le faire pour nous accommoder à votre désir (1), vous ne manquerez pas de bonnes occasions pour rendre de bons services à Notre-Seigneur, non plus que de difficultés pour pratiquer la force et la mortification ; car il s’en trouve assez dans toutes les voies qui conduisent à Dieu. Cependant j’ai demandé à M. Watebled (2) s’il juge devant

Lettre 2082. — Reg. 2, p. 341.

1) Saint Vincent l’avait proposée à M. Ennery, qui n’avait pas eu le temps d’envoyer sa réponse. (Cf. 1. 2076)

2) Professeur à Saint-Lazare.

 

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Dieu que vous ayez la suffisance requise pour enseigner la philosophie ; il m’a dit qu’il n’en fallait point douter. Voilà pourquoi je vous prie de vous donner à Dieu pour cela, dans le doute si j’en pourrai envoyer un autre.

Je vous plains beaucoup pour les peines d’esprit que vous souffrez, parce qu’il n’y a rien qui afflige tant une âme qui aime Dieu, ni qui la décourage plus dans ses premières résolutions, ni qui l’expose davantage aux tentations, comme font ces tiédeurs que vous avez pour les choses de Dieu et ces dégoûts pour l’oraison, les lectures spirituelles, etc. C’est pourquoi, mon cher Frère, vous devez beaucoup prier Dieu qu’il les éloigne de vous, ou qu’il vous fasse la grâce d’en bien user. Sa bonté fera sans doute l’un ou l’autre, si, nonobstant ces sécheresses, vous êtes fidèle à vos exercices. Mais au reste ne vous étonnez pas de vous voir en cet état ; il vous est commun avec quantité de saints qui ont passé par là, et j’espère qu’il se changera bientôt en ferveur et allégresse d’esprit, d’autant que l’homme n’est jamais en même état et que Notre-Seigneur exerce ses meilleurs serviteurs tantôt d’une façon et tantôt d’une autre, pour les éprouver en toutes les manières. Cela étant, mon cher Frère, tâchez d’agréer tous les événements de sa conduite paternelle, et demeurez ferme parmi ces changements à ne chercher que lui et votre propre abnégation

 

2083. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Vous m’avez écrit de trois bonnes filles, qui ont le

Lettre 2083.Recueil des procès-verbaux des conseils tenus par saint Vincent et Mademoiselle Le Gras, p 306. (Ms. conservé à la maison-mère des Filles de la Charité.)

 

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désir d’être de la Charité. Comme elles l’ont conçu dans la chaleur de la mission que vous avez faite dans leur paroisse, il faut voir si un petit retardement les refroidira. Il est bon de les éprouver. Mandez-moi leur âge, si elles savent lire et écrire et quelle autre chose elles savent faire, à quoi elles ont été appliquées, [si elles ont servi] (1), ou si elles ont toujours demeuré auprès de leurs parents. Il ne suffit pas qu’elles aient bonne santé, il faudrait savoir si elles sont robustes ou passablement fortes ; car en cette petite compagnie il n’en faut point de faibles ni de délicates. Nous devons surtout prendre garde à celles de ces quartiers où vous êtes, à cause que jusques à maintenant peu y ont réussi. Sur votre réponse, je vous manderai le temps que vous les enverrez. Il faudra qu’elles apportent du linge, ou tout au moins dix écus chacune pour leur premier habit, et quelque autre argent pour s’en retourner, en cas qu’on ne les jugeât pas propres, ou qu’elles ne pussent s’y accommoder.

 

2084. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 23 juin 1656.

Nous avons trouvé fort bon tout ce que vous avez fait et avancé pour avoir la maison dont le Pape veut disposer pour quelque œuvre de piété : vos sollicitations, offres d’argent, réponses aux objections et enfin la clause, en cas qu’elle nous soit accordée, que votre famille sera obligée de continuer les missions de la campagne à perpétuité, supposé les intervalles ordinaires,

1) La lecture de ces mots souffre difficulté à cause des ratures qui les recouvrent.

Lettre 2084 — Reg. 2, p. 246.

 

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ou autrement qu’elle lui sera ôtée. Je pense que Sa Sainteté aura été satisfaite de tout cela ; et certes je n’y vois rien à ajouter que la continuation de nos prières, à ce que Dieu fasse connaître sa volonté, hors laquelle nous ne devons rien désirer ; et nous ne serions pas de vrais enfants de la Providence si nous n’étions aussi contents que cette affaire réussisse à l’avantage de ces pauvres filles orphelines qu’au nôtre propre. Nous en attendons l’événement avec soumission.

Il y a sujet d’espérer que l’affliction de peste que Rome appréhende n’y arrivera pas ; les prières de tant de bonnes âmes qui les offrent à Dieu pour cela feront que sa divine bonté l’en détournera. Nous avons commencé d’y mêler les nôtres, quoique chétives, et continuerons tant que besoin sera. Vous désirez néanmoins savoir ce que vous aurez à faire, en cas que ce mal arrive. Cette question se peut réduire à trois chefs : ou à savoir si la famille se doit offrir au service des pestiférés, ou si elle se retirera aux champs, ou si elle continuera ses exercices ordinaires dans la ville. Pour le premier, Monsieur, qui est de vous exposer, je ne doute pas que quantité d’autres ne le fassent, et ainsi il ne sera pas besoin de prévenir n, rechercher les ordres pour vous appliquer à cette assistance. Pour le second, qui est de vous éloigner, il n’est pas non plus expédient ; car, outre que votre habitation présente est en bon air, vous n’avez pas des offices d’obligation qui vous obligent à communiquer beaucoup avec ceux du dehors, et partant il vous sera facile de vous conserver dans la ville. Quant au dernier, si vous cesserez ou continuerez vos exercices, je réponds que, pour recevoir personne à la retraite pendant la maladie, vous ne le devez pas faire ; et pour les ecclésiastiques qu’on a coutume de vous adresser pour leur montrer les cérémonies et

 

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pour les disposer à la réception des saints ordres, il est à remarquer que pour lors il s’en présentera fort peu qui ne soient de la ville, parce que, s’il y a peste, les étrangers n’en approcheront pas ; et pour ceux de la ville, ils ne seront pas admis à cela par les officiers qu’à bonnes enseignes ; et vous ferez bien, ce me semble, de recevoir ceux qui vous seront adressés par ceux qui en ont le pouvoir.

 

2085. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 23 juin 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Votre lettre du 30° de mai nous a apporté une consolation indicible et de nouveaux sujets de louer Dieu et de vos conduites et de vos travaux, parce que les bénédictions de Dieu y sont si évidentes, qu’on ne peut le désirer davantage. Son saint nom eh soit donc à jamais adoré et remercié ! C’est à quoi j’ai exhorté la compagnie, après lui avoir dit les diverses missions que vous avez faites et les heureux succès quelles ont eus, même à l’égard des hérétiques. S’il y a gens au monde qui aient plus d’obligation de s’humilier, c’est vous et moi ; j’entends aussi ceux qui travaillent avec vous : moi pour mes péchés, et vous pour les biens qu’il plaît à Dieu de faire par votre moyen ; moi pour me voir hors d’état d’assister les âmes, et vous de vous voir choisi pour contribuer à la sanctification d’une infinité, et de le faire avec tant de fruit. Il faut une grande humilité pour ne se complaire pas dans ces progrès, ni

Lettre 2085. — L.s. — Dossier de Turin, original

 

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dans les applaudissements publics ; il en faut une grande, mais bien nécessaire, pour référer à Dieu toute la gloire de vos travaux. Oui, Monsieur, vous avez besoin d’une humilité ferme et vigoureuse pour porter le poids de tant de grâces de Dieu, et de concevoir un grand sentiment de gratitude pour en reconnaître l’auteur. Je prie Notre-Seigneur, Monsieur, qu’il vous les donne à tant que vous êtes, ne doutant pas que sur ce fondement il n’établisse un magasin de dons célestes, qui vous rendront de plus en plus agréables à Dieu, très utiles au pauvre peuple et à bonne odeur à l’état ecclésiastique.

Je rends grâces à Dieu aussi de celle qu’il vous a fait trouver en Madame Royale, qui n’a pas eu désagréables la révérence que vous lui avez faite, ni les services que vous lui avez offerts ; ce qui fait voir combien Dieu est libéral envers ceux qui le servent, en ce que des pauvres prêtres, qui pour son amour s’adonnent au salut des pauvres gens de la campagne, il se plaît à les élever jusqu’à la bienveillance des souverains et à l’affection des grands du monde.

C’est encore une grande grâce que Dieu vous fait en cette église que l’on vous offre dans la ville, dédiée au Saint Sacrement, propre pour les exercices d’un séminaire et des ordinands. Il faut prier Notre-Seigneur qu’il fasse connaître son bon plaisir à ceux qui ont cette bonne volonté, et à nous aussi, pour y correspondre autant que nous le pourrons. Si la proposition en vient plus avant, vous m’en écrirez les particularités avec le pour et le contre, afin que je vous en mande nos pensées. Nous devons recevoir avec respect tout ce que Dieu nous présente, et puis examiner les choses avec les circonstances, pour faire ce qui est le plus expédient. Je ne doute pas, Monsieur, que la grâce qui accompagne Mgr le marquis, votre fondateur, ne vous ait attiré les

 

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spirituelles et temporelles que Notre-Seigneur vous donne (1), et qu’il ne faille imputer à son mérite toutes celles que Dieu vous prépare. Quoi qu’il en soit, nous lui sommes infiniment obligés. Dieu veuille le conserver et le sanctifier de plus en plus, comme aussi M. le président Belletia, qui vous a parlé de cette église et qui vous témoigne tant de charité ! Assurez-les, dans les occasions, de notre parfaite reconnaissance et de nos prières, quoique chétives, et de notre obéissance perpétuelle, particulièrement de la mienne.

Vous nous demandez du secours, et nous faisons ce que nous pouvons pour vous en donner. Nous avons céans un prêtre fort bon et fort exemplaire, qui prêche assez bien, né sujet de Son Altesse Royale, que nous vous destinons et que nous vous enverrons au plus tôt (3). Il ne parle pourtant pas italien, mais j’espère qu’étant avec vous, il l’apprendra en peu de temps, et que Notre-Seigneur, qui donne l’intelligence et le don des langues étrangères, lui rendra facile celle-là. Nous avons encore pensé et même écrit pour un changement à faire entre vous et la maison de Gênes, qui tournera à votre soulagement, pourvu que celle de Rome puisse donner un prédicateur à M. Blatiron, et que M. Richard, qui veut sortir de là où il est, soit content d’aller travailler avec vous, comme je l’espère. Cependant je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, de ménager votre santé et de modérer vos exercices.

Je vous enverrai une autre fois l’instruction que vous me demandez de la confrérie des dames des paroisses

1) Première rédaction : "Je ne doute pas, Monsieur, que la sainteté de Monseigneur le marquis votre fondateur ne vous ait attiré toutes les grâces spirituelles et temporelles, et qu’il ne faille…" Le saint a corrigé la phrase de sa propre main.

2) M. de Musy

 

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de Paris, de leur union et de leurs œuvres de charité (3). Quant aux filles qui servent les pauvres malades, je vous enverrais aussi un mémoire de leurs emplois et de leur façon de vivre, si on en voulait avoir à Turin et que Mademoiselle Le Gras fût en état d’y en envoyer ; mais elle est si pressée d’en donner à quantité d’évêques et d’autres personnes de considération qui en demandent, et elle en a si peu qui ne soient employées, qu’elle ne sait de quel côté se tourner (4).

Pour nouvelles, nous nous portons assez bien, grâces à Dieu. Nos gens sont dispersés en trois divers diocèses, où ils font des missions.

Un vaisseau est arrivé à Nantes, venant de Madagascar, qui nous en a apporté des nouvelles. M. Dufour ni les autres n’y étaient pas encore arrivés lorsqu’il en est parti. Les lettres de M. Bourdaise nous ont consolés et affligés tout ensemble. Je ne vous dirai rien pour le présent des sujets de cette consolation, réservant à vous en faire part lorsque je pourrai vous envoyer une copie de sa relation (5). Mais l’assistance que nous devons à nos défunts, dont M. Mousnier est du nombre, m’oblige à vous communiquer notre douleur, pour procurer à son

3) La confrérie de la Charité établie en 1629 sur la paroisse Saint-Sauveur avait donné de si heureux résultats que presque tous les curés de la ville et des faubourgs de Paris s’étaient empressés d’en créer une dans leur paroisse. La compagnie du Saint-Sacrement favorisa le mouvement ; sous son impulsion naquirent plusieurs Charités. La plupart de ces confréries prirent les Filles de la Charité à leur service. Les curés, qui étaient les directeurs des "Charités", dressèrent, en prenant comme base le règlement général établi par saint Vincent, des règlements particuliers, qui varièrent avec le temps et suivant les paroisses. On trouve quelques-uns de ces règlements à la Bibl. de l’Arsenal (ms. 2565) et à la Bibl. Nat. (R 26.015-26.018, 27.199-27.208). voir encore Remarques historiques sur l’église et la paroisse de S. Sulpice par Simon de Doncourt], Paris, 1773, 3 vol. in-16, t. III, p. 1 et suiv.). La confrérie de l’Hôtel-Dieu n’était pas paroissiale.

4) Voir lettre 2080.

5) La lettre 1991

 

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âme le secours de vos prières, quoique nous ayons sujet de croire qu’elle n’en a pas besoin. Il est mort par un excès de zèle et d’austérité de vie (6) et la manière dont il a toujours vécu nous doit faire estimer qu’il jouit maintenant de la gloire dont Dieu couronne les ouvriers évangéliques qui meurent les armes à la main, comme il a fait.

Je salue cordialement votre famille et suis, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’oubliais à vous dire que nous adressons à M. Delaforcade, à Lyon, un paquet pour vous le faire tenir par autre voie que la poste, où sont quelques copies du bref des indulgences et des cas réservés au Saint-Siège pour les missionnaires et les missions, avec un mémoire de ce qu’il faut faire pour vous en servir.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, supérieur des prêtres de la Mission de Turin, à Turin.

 

2086. — JEAN MARTIN A SAINT VINCENT

24 juin 1656.

Nous venons d’achever une mission près de Lucerne, où il se trouva bien huit ou neuf mille personnes à la communion générale ; ce qui nous obligea de prêcher hors de l’église, au milieu de la grande place, sur un petit théâtre. où il arriva un accident qui fit paraître l’effet de la parole de Dieu et la force de sa grâce : ce fut qu’un des assistants, homme de faction et d’armes, selon l’usage de ce pays-là, où presque

6) Le 5 mai 1655

Lettre 2086. — Abelly, op. cit., 1 II, chap I, sect. VI, p. 81 On trouve un texte assez différent dans la biographie de Jean Martin (Notices, t. I, p. 289)

 

 

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tous les habitants portent toujours sur eux trois ou quatre pistolets et plusieurs dagues avec leurs épées, celui-ci donc étant fort attentif à la prédication, appuyé contre la muraille, reçut un coup de brique inconsidérément par un autre, qui lui blessa la tête avec grande effusion de sang ; et néanmoins, ayant reçu un tel coup, il ne lui sortit autre chose de la bouche, sinon : "O juste Dieu ! si ceci m’avait été fait en un autre temps !" Et comme quelqu’un s’étonnait de sa patience, il répondit : "Que voulez-vous ? mes péchés méritent cela et bien davantage." Et puis s’étant retire pour faire panser sa plaie, il revint, la tête bandée, entendre le reste de la prédication, avec autant de tranquillité comme s’il ne lui fût arrivé aucun accident ; ce qui est bien extraordinaire aux gens de ce pays, qui sont extrêmement prompts, colères et fort enclins à la vengeance.

A la fin de cette mission, l’on nous fit de très grandes instances pour aller pacifier les habitants d’un gros bourg éloigné d’une lieue et demie de celui-ci, qui était dans une étrange division depuis dix ou douze ans, d’où s’était ensuivie la mort de plus de trente personnes ; et l’on nous dit que depuis quelques jours ce bourg était tout en armes, divisé en deux factions qui mettaient tout le peuple en danger de s’entre-tuer les uns les autres. J’avais sujet de craindre que notre entreprise ne réussit pas, d’autant que nous ne pouvions pas faire en ce lieu-là une mission entière ; on nous pressa néanmoins si fortement que nous crûmes être obligés de faire ce qu’on désirait de nous, en laissant le succès à la disposition de la divine Providence. Nous y demeurâmes deux jours, pendant lesquels il plut à Dieu disposer tellement les esprits, qu’en suite de quelques prédications et particulièrement d’une du jour de la Fête-Dieu en présence du très Saint Sacrement, il se fit une réconciliation générale avec solennité ; et les parties les plus intéressées, s’étant approchées de l’autel, jurèrent sur les saints Évangiles qu’ils se pardonnaient de bon cœur les uns aux autres ; et pour une marque de cette réconciliation, ils s’embrassèrent avec cordialité en présence de tout le peuple et passèrent par devant notaires une transaction publique d’accord et de paix. En suite de quoi nous chantâmes le Te Deum laudamus en action de grâces ; ce qui a donné beaucoup de consolation à tout ce peuple, qui n’avait vu depuis plusieurs années que des meurtres et du sang de leurs plus proches répandu au sujet de ces querelles.

 

 

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2087. — EDME JOLLY, SUPÉRIEUR A ROME, A SAINT VINCENT

Rome, 26 juillet 1656.

Le mal contagieux dont il a plu à Dieu de commencer d’affliger cette ville a fait suspendre pour quelque temps tout commerce et les assemblées ; lesquels ordres et plusieurs autres qui se donnent tous les jours pourront, avec l’aide de Dieu, arrêter le cours du mal. Le Pape a fait faire à cette intention des prières, auxquelles nous avons jugé à propos de joindre, pour notre particulier, à l’exemple de ce que vous fîtes faire les années passées à Saint-Lazare, une messe, une communion et un jeune chaque jour. Sa Sainteté a fait demander aux maisons religieuses ce que chacune pourrait donner d’assistance, tant pour l’administration des sacrements, que pour le service des malades, en cas que le mal augmente ; et nous espérons bien recevoir les mêmes ordres. Je dis que nous espérons, parce que, par la miséricorde de Dieu, je ne sache personne céans qui ne désire sacrifier sa vie pour une action de si grande charité ; et déjà cela m’a été instamment demandé. Je m’en vas m’informer comment se comportent les maisons religieuses bien réglées dans cette occasion, et puis nous demanderons la grâce à Notre-Seigneur de nous faire connaître ce que nous devons faire et de nous donner la force de le bien exécuter. S’il plaît à la divine Providence de disposer de moi, après vous avoir rendu les très humbles et très indicibles actions de grâces que je vous dois, Monsieur et très honoré Père, pour l’excès de bonté et de charité que vous m’avez témoigné, dont j’ai beaucoup de confusion, ayant toujours été fort indigne de l’honneur d’une telle bienveillance, je ne me mets pas en peine de vous recommander ma pauvre âme, parce que je suis certain de votre charité paternelle ; mais je vous supplie de faire faire, le plus tôt après ma mort qu’on le pourra commodément, le voyage que, de votre consentement, Monsieur, je vouai à Notre-Dame de Liesse, pour le bon succès de l’affaire de nos vœux, ma pensée ayant été alors que, si l’obéissance me retenait ici et que je ne pusse accomplir mondit vœu, je vous supplierais de faire faire ce saint pèlerinage par un autre…

Si nous sommes appelés, nous donnerons, Dieu aidant, ce que, selon notre petit nombre, on nous demandera ; et je

Lettre 2087. — Notice manuscrite d’Edme Jolly, p. 82. (Cf. Notices, t. III, p. 431)

 

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suis bien assuré que, par la miséricorde de Dieu, tous ceux de la maison sont bien éloignés de désirer autre récompense que Dieu, comme en effet faire autrement, surtout en de semblables occasions, c’est un grand aveuglement.

 

2088. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[28 juin 1656] (1)

Il y a plus d’un mois, mon très honoré Père, que notre sœur Claude devrait être retournée, sans que la divine Providence, par sa seule conduite, m’en a empêchée par quelque petite incertitude ; et ce qui est arrivé aujourd’hui fait bien connaître que la compagnie est plus dirigée par cette même Providence que par autre soin. Que si néanmoins il faut agir avec elle, je crois qu’il est nécessaire d’un peu plus d’intelligence avec le… (2), car la bonne fille s’attendait que sa charité m’aurait dit sa peine.

Je crois, mon très honoré Père, que Madame Guergret n’a pas dit à votre charité qu’elle n’a dessein d’être en sa retraite que jusques à samedi, qu’il faut qu’elle se trouve à St-Sauveur à vêpres, à cause de leur compagnie de la Charité. Elle voudrait bien faire ce soir ou demain matin sa confession. C’est bien peu de temps pour elle que si peu de jours, n’était que vous jugiez [que (3)] sa bonne vie dès sa jeunesse tienne lieu de plus grande retraite.

L. de M.

De la veille saint Pierre.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

2089. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 30 juin 1656.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je vous écrivis amplement il y a huit jours. Je n’ai

Lettre 2088. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1). Le frère Ducournau a écrit l’année au dos de l’original.

2) Louise de Marillac a omis le mot qui manque.

3). Texte de l’original : par.

Lettre 2089 — L. s. — Dossier de Turin, original

 

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pas reçu de vos lettres depuis, et je n’ai rien à vous dire de nouveau. Tout est ici à son ordinaire. La présente est seulement pour accompagner les incluses et pour prier Notre-Seigneur, comme je fais, qu’il continue à bénir votre personne, votre conduite, votre famille et vos travaux.

Je vous embrasse tous en général et chacun en particulier, et je suis d’une façon particulière, en l’amour de N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

 

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je vous écris ce mot de la ville, où je me trouve dans la nuit et fort pressé.

 

2090. — A EDME JOLLY, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 30 juin 1656.

Notre-Seigneur, qui vous a donné le soin de la famille, sera lui-même votre conduite. Il paraît assez qu’il l’a été jusqu’à cette heure, pour espérer que ce sera lui qui agira désormais en vous et par vous, et au dedans et au dehors, supposé votre fidélité ordinaire en son endroit, pour le consulter en vos doutes, l’invoquer en vos besoins, le suivre en ses mouvements, vous confier en sa bonté ; et n’ayez autre intention que de sa gloire et son plaisir. Je le prie qu’il vous fasse cette grâce.

Lettre 2090. — Reg. 2, p. 235

 

APPENDICES

 

1. — LETTRE DU FRÈRE BERTRAND DUCOURNAU

A LOUISE DE MARILLAC

Ce 29 novembre 1655.

Monsieur Vincent est d’avis que Mademoiselle Le Gras aille seulement à Saint-Denis, plutôt qu’avec Madame de Ventadour, et dise à M. de Francière (1) tout bonnement et cordialement ce qu’elle a appris de la sœur Raportebled, et qu’elle le prie de lui dire quel sujet les sœurs de Saint-Denis ont donné au dessein qu’on a de les tirer de l’hôpital, et que, si elles ont fait quelque mal, elle est là pour les retirer. Cette franchise l’obligera sans doute à se déclarer, et là-dessus on verra ce qu’il y aura à faire. Elle pourra choisir un beau jour et prendre le carrosse de Saint-Lazare, en avertissant le soir auparavant.

Elle le pourra prendre aussi pour voir Madame la nourrice (2), quand il lui plaira. M. Vincent n’est pas d’avis qu’elle s’adresse à M. de Saint-Jean (3), parce qu’il n’entre pas assez dans l’intérêt des filles dont il est question.

La santé de M. V [incent] est bonne et sa jambe va de mieux en mieux ; il est pourtant enrhumé depuis hier et a été saigné aujourd’hui, aussi bien que le très obéissant serviteur de Mademoiselle.

DUCOURNAU.

Suscription : Pour Mademoiselle Le Gras.

Appendice 1. — L,. a. — Dossier des Filles de la Charité, original Cette lettre, écrite au nom de saint Vincent, fait en quelque sorte partie de sa correspondance ; c’est pourquoi nous l’insérons ici.

1) Administrateur de l’hôpital de Saint-Denis.

2) Perrette du Four, première nourrice de Louis XIV.

3) Nicolas de Saint-Jean, chapelain d’Anne d’Autriche.

 

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2. — LETTRE DE LOUIS XIV AU PACHA D’ALGER

Illustre et Magnifique Seigneur,

Les sieurs Barreau, consul pour la nation française en Alger, et Le Vacher, prêtre de la Mission audit pays, nous ayant porté plainte des recherches qu’on fait journellement à l’encontre d’eux pour les fautes d’autrui, et n’étant pas raisonnable de les rendre responsables que de leurs fautes, nous vous écrivons cette lettre pour vous prier, comme nous faisons bien particulièrement, de vouloir empêcher cette sorte d’injustice et protéger lesdits sieurs Barreau et Le Vacher en l’exercice de leurs charges, comme étant nos officiers et personnes par nous établies tant pour la facilité du commerce de nos sujets avec ceux du Grand Seigneur, que pour assister corporellement et spirituellement ceux d’entre eux qui se trouveront esclaves, vous assurant que nous aurons beaucoup de joie lorsque nous rencontrerons les occasions de vous en témoigner notre gratitude, et que c’est du meilleur de notre cœur que nous prions Dieu qu’il vous ait, Illustre et Magnifique Seigneur, en sa sainte garde.

Écrit à Paris le 7e mai 1656.

LOUIS.

DE LOMENIE.

Appendice 2 — Arch Nat S 6707, copie du XVIIe siècle

(ajout à SV. tome V, 10)

1653 bis. - à Charles Ozenne

à Douvres

De Paris, ce 11 7bre 1653

recto

Monsieur,

La grâce de nostre Seigneur soict avecq vous pour jamais. Mon Sieu, Monsieur, que je suis en peine de vous et du traictement que vous avez receu. Je veux espérer de la bonté de Dieu que vous voilà à présent en liberté, & que toutes ces poisantes <pesantes> Croix dont Nostre Seigneur a chargé ?nous? chères Srs de Ste Marie & vous seront les moïens pour attirer sur elles & sur vous de plus abondantes grâces.

L’on mande icy qu’on doute si elles continueront leur route 1; si elles ne <barré ou non?> le font, je vous prie de faire vostre possible pour ne pas demeurer. J’escris cecy à la Royne de Pouloigne. Vous pourrez prendre l’ocasion du vaisseau dans lequel vous vous estes embarqué. Je m’assure que M. Datineau 2 ?nqui? est passé en Angleterre vous fournira ce qu’il faudra, ou que si vous alez à Calais, comme l’on mande, que Monseigneur de Comte de Charreau 2 vous faira donner de l’argent au change, que j’aquitteray icy à lettre veue; il est mon bon Seigneur, montrez /

verso

luy la présente, je luy ai escript en faveur de nos chères Srs de Ste Marie. Si doncq vous vous en alez, je ?prie? Nostre Seigneur qu’il soict vostre conduicte, qui suis en son amour,

< Ajouté de sa main après coup, dans le blanc avant la signature : >

Je vous prie de saluer de ma part Mr de Montois & et l’assurer de mon obéissance, comme je fais par celle que j’escris à nostre chère Mère le Supérieure.

Vostre très humble 3 serviteur,

Vincens Depaul

i p d l M

Suscription, de la main de Frère Ducournau

À Monsieur

Monsieur Ozenne, prestre de la Mission estant de présent à Douvre.

En Angleterre, à Douvre.

<Ajout de l’archiviste : >

<11 septembre 1653.>

<Consolation que donne Mr Vincent>

_____________________________

1653 bis. Recueil de Ms., Bibl. Nationale (ou Arch. Nationales) de Pologne.

Photocopie remise en juillet 1998 par M. ? ? à M. Rybolt, et par lui aux Arch. C. M. Paris, le mardi 4 août 1998 (B. KOCH).

1. Il avait commencé d’écrire "che"min, et a aussitôt barré "che".

2. Datineau, Charreau : noms pas répertoriés dans S. V. XIV ni dans Monsieur Vincent, III, ni dans les dictionnaires de biographie de Moreri, de D’Amat et Limouzin-Lamothe et de Hœfer.

3. Il avait écrit "&", pour continuer comme souvent "et obéissant", et il l’a aussitpot barré.

Le 8 novembre, M. Vincent envoie encore sa lettre à Douvres (S. V. 46). On saute au 17 février, où M. Vincent lui écrit à Varsovie (S. V. 74).

 

 

Français moderne

De Paris, ce 11 septembre 1653

recto

Monsieur,

La grâce de notre Seigneur soit avec vous pour jamais. Mon Dieu, Monsieur, que je suis en peine de vous et du traitement que vous avez reçu. Je veux espérer de la bonté de Dieu que vous voilà à présent en liberté, & que toutes ces pesantes Croix dont Notre Seigneur a chargé ?nous? chères Srs de Ste Marie & vous seront les moyens pour attirer sur elles & sur vous de plus abondantes grâces.

L’on mande ici qu’on doute si elles continueront leur route 1; si elles ne <barré ou non?> le font, je vous prie de faire votre possible pour ne pas demeurer. J’écris ceci à la Reine de Pologne. Vous pourrez prendre l’occasion du vaisseau dans lequel vous vous estes embarqué. Je m’assure que M. Datineau 2 ?nqui? est passé en Angleterre vous fournira ce qu’il faudra, ou que si vous allez à Calais, comme l’on mande, que Monseigneur de Comte de Charreau 2 vous fera donner de l’argent au change, que j’acquitterai ici à lettre vue; il est mon bon Seigneur, montrez /

verso

lui la présente, je lui ai écrit en faveur de nos chères Srs de Ste Marie. Si donc vous vous en allez, je ?prie? Notre Seigneur qu’il soit votre conduite, qui suis en son amour,

< Ajouté de sa main après coup, dans le blanc avant la signature : >

Je vous prie de saluer de ma part Mr de Montois & et l’assurer de mon obéissance, comme je fais par celle que j’écris à notre chère Mère le Supérieure.

Votre très humble 3 serviteur,

Vincens Depaul

i p d l M

Suscription, de la main de Frère Ducournau

À Monsieur

Monsieur Ozenne, prestre de la Mission estant de présent à Douvre.

En Angleterre, à Douvre.

< Ajout del’archiviste : >

<11 septembre 1653. >

<Consolation que donne Mr Vincent>

 

 

 

Numérisation du tome V des Œuvres de saint Vincent terminée,

à la Chesnaye, le 15 Mai 1992

- Reconnaissance des caractères sur Scanner : Sœur Marie-Catherine DESMARS,

- Correction des textes : Sœur Geneviève RABILLÉ.

Cl. LAUTISSIER

© CONGRÉGATION de la MISSION, Province de Paris,

88, rue du Cherche-Midi, 75006 PARIS.