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Saint Thomas d'Aquin
Chaîne d'Or sur l'Evangile selon Saint Matthieu


CHAPITRE V.

 

vv. 1-3.

S. Chrys. (sur S. Matth). Tout artisan, quelle que soit sa profession, voit avec joie ce qui lui donne l’occasion d’exercer son art. Ainsi le charpentier, à la vue d’un arbre de bonne qualité, désire le couper pour l’employer à ses travaux ; de même le prêtre, en voyant une assemblée nombreuse, se réjouit dans son âme, et il est heureux de pouvoir lui enseigner des vérités utiles. C’est ainsi que le spectacle de cette grande multitude de peuple donna lieu au Seigneur de lui adresser ses divins enseignements : " Jésus voyant cette foule, monta sur la montagne ". — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 1, 19). On peut dire aussi qu’il voulut éviter cette grande multitude et qu’il se retira sur cette montagne pour s’entretenir avec ses seuls disciples. — S. Chrys. (hom. 5 sur S. Matth). Il s’asseoit non au milieu des villes et des places publiques, mais sur une montagne et dans la solitude, et il nous apprend ainsi à ne rien faire par ostentation et à fuir les réunions tumultueuses, surtout lorsque nous devons traiter de choses d’une haute importance. — Remi. Nous voyons dans l’Évangile que Notre-Seigneur avait trois lieux particuliers de retraite, la barque, la montagne et le désert, et qu’il se retirait dans l’une ou l’autre de ces retraites, lorsqu’il était accablé par la foule.

S. Jér. Quelques-uns de nos frères croient dans leur simplicité que Notre-Seigneur a tenu ce discours sur la montagne des Oliviers, ce qui ne peut être, car ce qui précède et ce qui suit nous montre clairement que cette montagne est située dans la Galilée, et nous pensons que c’est le mont Thabor, ou quelque autre montagne élevée.

S. Chrys. (sur S. Matth). Il monte sur cette montagne, d’abord pour accomplir cette prophétie d’Isaïe : " Montez sur le sommet de la montagne " ; ensuite pour nous apprendre qu’il faut habiter le sommet des vertus spirituelles pour être digne d’enseigner ou d’écouter les oracles de la justice de Dieu, car si l’on reste habituellement dans la vallée, on ne peut parler du haut de la montagne ; si vous restez sur la terre, parlez des choses de la terre ; si vous voulez parler du ciel, élevez-vous jusqu’au ciel. Ou bien il monte sur la montagne pour nous avertir que tout homme qui veut pénétrer les mystères de la vérité, doit monter sur cette montagne de l’Église dont le prophète a dit : " La montagne de Dieu est une montagne fertile " (Ps 67, 16). S. Hil. (can. 4 sur S. Matth). Ou bien encore, il monte sur la montagne, parce que c’est des hauteurs de la majesté qu’il occupe avec son Père qu’il nous impose les célestes enseignements de la vie chrétienne.

S. Aug. (serm. 7 sur la mont. liv. 1, chap. 1). Ou bien enfin il monte sur la montagne, pour nous faire comprendre que les commandements que Dieu avait donnés par les prophètes au peuple juif, peuple qu’il fallait retenir par la crainte, étaient moins parfaits que les lois qu’il allait donner par son Fils à un peuple qu’il voulait affranchir par l’amour.
 

" Et lorsqu’il fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui ". S. Jér. Il parle assis et non debout, parce qu’ils étaient incapables de le comprendre dans l’éclat de sa majesté. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien, il parle étant assis, parce que sa dignité de docteur et de maître l’exigeait. Ses disciples s’approchèrent de lui ; c’est ainsi que ceux dont le cœur était plus près de l’accomplissement de ses préceptes, se trouvaient aussi plus rapprochés corporellement de sa personne. — Rab. Dans le sens mystique, le Seigneur assis est la figure de son incarnation, car s’il ne s’était pas incarné, le genre humain n’aurait pu approcher de lui. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1, 19). Il paraît surprenant que saint Matthieu prête ce discours au Sauveur assis sur la montagne, tandis que saint Luc (Lc 7, 17) le lui fait tenir lorsqu’il était debout dans la plaine. Cette diversité dans leur récit est une preuve qu’il s’agit de deux discours différents ; car qui s’oppose à ce que Notre-Seigneur ait répété ici ce qu’il avait dit précédemment et qu’il fasse de nouveau des actions qu’il avait déjà faites auparavant ? On peut dire encore que le Sauveur était sur le point le plus élevé de la montagne avec ses seuls disciples, quand il choisit parmi eux ses douze apôtres. Il descendit ensuite avec eux non de la montagne, mais de cette hauteur dans une espèce de plaine, c’est-à-dire sur un plateau situé sur le flanc de la montagne, et qui pouvait contenir un grand nombre de personnes ; il attendit dans ce lieu que la multitude se fût rassemblée autour de lui ; puis s’étant assis, ses disciples se rapprochèrent et, là devant eux et en présence du peuple il aurait fait ce discours que saint Matthieu et saint Luc racontent d’une manière différente, mais dont la substance est absolument la même.
 

S. Grég. (Moral., 4, 5). Avant que le Sauveur formule sur la montagne ces sublimes et admirables préceptes, l’Évangéliste les fait précéder de ces paroles : " Ouvrant sa bouche, il les enseignait ". Lui qui avait autrefois ouvert la bouche des prophètes. — Remi. Toutes les fois qu’il est dit que le Seigneur ouvrit la bouche, il faut nous rendre attentifs, car ce préambule annonce de grandes choses. S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien peut-être ces mots : " ouvrant la bouche ", nous avertissent que le discours qui va suivre sera plus long que d’habitude. — S. Chrys. (hom. 15) Ou enfin ces paroles nous apprennent que le Seigneur enseignait tantôt en ouvrant la bouche, tantôt en faisant entendre la voix non moins instructive de ses œuvres.

S. Aug. (serm. sur la mont). Si on veut étudier ce discours dans un esprit de religion et de prudence, on y trouvera la règle parfaite de la vie chrétienne pour la direction des mœurs. Aussi Notre-Seigneur le conclut en disant : " Tout homme qui écoute les paroles que je viens de dire et les met en pratique sera comparé à un homme sage ".

S. Aug. (Cité de Dieu, 19, 1). La philosophie ne peut avoir d’autre raison d’être que la fin du bien lui-même. Or la fin du bien, c’est de nous rendre heureux, et c’est pour cela que Jésus-Christ commence son discours par la promesse de la béatitude : " Bienheureux les pauvres d’esprit ". — S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 2). La présomption d’esprit est un signe d’orgueil et d’arrogance. Or, on dit souvent des orgueilleux qu’ils ont un esprit étendu ; c’est avec raison, Car esprit est synonyme de vent, et qui ne sait qu’on dit aussi des orgueilleux qu’ils sont enflés, comme s’ils étaient gonflés par le vent. C’est pour cela qu’il faut entendre ici par pauvres d’esprit, les humbles qui craignent Dieu et qui n’ont pas cet esprit qui enfle. — S. Chrys. (homél. 15). Ou bien le mot esprit signifie ici orgueil et volonté. Que des hommes soient humiliés malgré eux et par la force des circonstances, il n’y a ni mérite ni gloire ; aussi Notre-Seigneur ne proclame bienheureux que ceux qui s’humilient par le choix de leur volonté. Il veut ici couper et arracher jusqu’aux dernières racines de l’orgueil, comme étant lui-même la racine et la source de tous les maux. Il lui oppose l’humilité comme un fondement inébranlable sur lequel on lient bâtir avec solidité, tandis que si elle vient à crouler, tous les biens que vous aurez amassés tombent avec elle. — S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur dit ouvertement : " Bienheureux les pauvres d’esprit ", et il désigne par là les âmes humbles qui demandent toujours à Dieu l’aumône de sa grâce. Aussi on lit dans le grec : " Bienheureux les mendiants ou les nécessiteux ". Il en est plusieurs, en effet, qui sont naturellement humbles, mais qui ne le sont point par un principe de foi, parce qu’ils n’implorent pas le secours de Dieu. Le Sauveur ne veut parler ici que de ceux qui sont humbles en vertu de la foi. — S. Chrys. (homél. 15). Peut-être ici par les pauvres d’esprit, Notre-Seigneur entend-il ceux qui sont saisis de crainte et qui tremblent en présence des commandements de Dieu, comme Dieu le recommande par le prophète Isaïe. Mais qu’ont-ils de plus que ceux qui sont simplement humbles ? Ils possèdent la vertu d’humilité à un plus haut degré. — S. Aug. Que les orgueilleux désirent les royaumes de la terre, le royaume des cieux est pour les humbles. — S. Chrys. (Sur S. Matth). De même, en effet, que tous les vices conduisent à l’enfer, mais principalement l’orgueil, aussi toutes les vertus nous conduisent aux cieux, mais surtout l’humilité, car c’est une des récompenses propres à l’humilité que celui qui s’humilie soit élevé. — S. Jér. Ou bien encore les pauvres d’esprit sont ceux qui par l’inspiration de l’Esprit saint embrassent la pauvreté volontaire. — S. Amb. (des Offices, liv. 1, chap. 16). Au jugement de Dieu, le bonheur commence là où au jugement des hommes on ne trouve que misère et affliction. — La Glose. C’est avec justice que les richesses du ciel sont ici promises à ceux qui sont pauvres dans la vie présente.
 

 

v. 4.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 9, Tit. des béatit). Lorsque je serai parvenu à me contenter de la médiocrité, à être exempt de toutes sortes de maux, j’aurai encore à établir la règle dans mes mœurs. Que me servirait-il de renoncer aux biens de la terre, si je ne pratique pas la douceur ? Aussi le Sauveur ajoute-t-il : " Bienheureux ceux qui sont doux ". — S. Aug. (Serm. sur la mont., liv 1, chap. 3). Les hommes doux sont ceux qui cèdent devant les injustes dont ils sont victimes, qui ne font pas de résistance au mal, mais triomphent du mal par le bien. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Modérez donc les mouvements de votre âme, pour ne pas vous mettre en colère, ou du moins pour ne pas vous livrer à une colère coupable. Il est beau de soumettre à la raison les saillies du cœur, et il ne faut pas moins de vertu pour contenir la colère qui est souvent l’indice d’une âme énergique, que pour ne pas la ressentir du tout, ce qui ordinairement est le propre d’un caractère sans vigueur.

S. Aug. (serm. sur la mont). Que ceux qui ne connaissent pas la douceur, se querellent et soient en contestation pour les choses de la terre et du temps, mais " bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre ", d’où on ne pourra les arracher, cette terre dont il est dît au Ps 141 : " Mon partage est dans la terre des vivants ", c’est-à-dire dans un héritage permanent, éternel, où l’âme se repose par une sainte affection, comme dans le lieu qui lui est propre, de même que le corps se repose dans la terre, et où elle s’y nourrit de son aliment comme le corps se nourrit de la terre ; cet héritage est le repos et la vie des saints. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien cette terre, suivant l’opinion de quelques-uns est la terre des morts tant qu’elle reste dans l’état actuel, parce qu’elle est assujettie à la vanité, mais lorsqu’elle sera délivrée de la corruption, elle deviendra la terre des vivants et les mortels la recevront comme un héritage libre des atteintes de la mort. J’ai lu une autre explication, d’après laquelle le ciel que doivent habiter les saints est appelé terre des vivants, en ce sens que c’est le ciel par rapport à la région inférieure, et la terre comparativement au ciel supérieur. D’autres prétendent que cette terre c’est notre corps ; tant qu’il est soumis à la mort, c’est la terre des morts, mais il sera la terre des vivants, lorsqu’il deviendra semblable au corps glorieux de Jésus-Christ.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). Ou bien Notre-Seigneur promet à ceux qui sont doux l’héritage de la terre, c’est-à-dire l’héritage de ce corps qu’il a choisi lui-même pour y habiter ; et puisque c’est à cause de la douceur de notre âme que le Christ habite en nous, il nous revêtira aussi de cet éclat dont son corps glorieux sera environné (Ph 3, 21).

S. Chrys. (hom. 15). Ou bien encore, le Christ mêle ici les promesses temporelles aux promesses spirituelles. Celui qui fait profession de douceur passe aux yeux du monde pour perdre tout ce qu’il possède. Jésus-Christ lui promet donc ici le contraire en l’assurant que celui qui est doux possède en sûreté ce qui lui appartient, tandis que celui qui est arrogant perd bien souvent et son âme et l’héritage de ses pères. Or, le Sauveur emprunte ici pour les mêler à son discours ces paroles du Roi prophète : " Ceux qui sont doux auront la terre en héritage ".

La Glose. Les hommes doux qui ont su se posséder eux-mêmes, posséderont plus tard l’héritage du Père céleste. Or, c’est une plus grande récompense de posséder cette terre que d’avoir simplement le royaume des cieux, car que de choses nous perdons dès que nous les avons.

 

v. 5.

S. Amb. (sur S. Luc). Lorsque vous aurez acquis la pauvreté d’esprit et la douceur, souvenez-vous que vous êtes pécheurs, et pleurez vos péchés ; c’est la troisième des béatitudes : " Bienheureux ceux qui pleurent ". Il est juste, en effet, que la troisième bénédiction soit pour celui qui pleure ses péchés, puisque c’est la Trinité qui les pardonne. — S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). Ceux dont il est ici question ne sont pas ceux qui pleurent les pertes, les injures ou les dommages qu’ils ont soufferts, mais ceux qui pleurent leurs péchés passés. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ceux qui pleurent leurs propres péchés sont heureux, mais d’un bonheur limité ; beaucoup plus heureux sont ceux qui pleurent les péchés des autres, et tels devraient être tous ceux qui sont les maîtres et les docteurs de leurs frères. — S. Jér. Les morts qu’il faut ici pleurer ne sont pas ceux qui ont payé le tribut à la commune loi de la nature, mais ceux qui sont comme ensevelis dans leurs péchés et dans leurs vices. C’est ainsi que Samuel pleura Saül (1 R 16) et saint Paul ceux qui n’avaient pas fait pénitence de leurs impuretés (cf. Ep 2, 15 ; Rm 6, 2 ; 1 P 2, 24).

S. Chrys. (sur S. Matth). La consolation de ceux qui pleurent, c’est que leurs larmes cessent de couler, et voilà pourquoi ceux qui pleurent leurs péchés seront consolés par le pardon que Dieu leur accordera. — S. Chrys. (homél. 15). Bien que ce pardon dût leur suffire, Dieu ne borne pas sa récompense à la rémission des péchés, mais il répand sur eux l’abondance de ses consolations, ici-bas et dans la vie future, car les récompenses divines surpassent toujours beaucoup les travaux qui les ont méritées.

S. Chrys. (sur S. Matth). Quant à ceux qui pleurent les péchés des autres, ils seront aussi consolés ; car lorsqu’ils verront dans l’autre vie se dérouler devant eux les desseins de la Providence divine, et qu’ils comprendront que ceux qui ont péri n’appartenaient pas à Dieu, dont la main ne se laisse jamais ravir ce qu’elle tient, ils cesseront de les pleurer, et trouveront leur joie dans leur propre bonheur. — S. Aug. (serm. sur la mont). Le deuil c’est la tristesse que nous fait éprouver la perte de ceux qui nous sont chers ; or ceux qui se convertissent à Dieu perdent ce qui leur était cher dans le monde, leurs joies changent alors de nature et d’objet ; mais tant que l’amour des choses éternelles ne vit pas dans leur cœur, il est comme blessé par je ne sais quelle tristesse. Ils seront donc consolés par l’Esprit saint qui s’appelle pour cela Paraclet, c’est-à-dire consolateur, et qui au moment où ils perdent une joie passagère, les enrichit d’une joie éternelle, qu’expriment ces paroles : " Ils seront consolés ".

La Glose. Par ce deuil on peut encore entendre deux sortes de tristesse, ayant pour cause, l’une les misères de ce monde, l’autre le désir du ciel : c’est en figure de cette vérité que la fille de Caleb demanda des champs qui fussent arrosés en haut et en bas (Jos 15, 19 ; Jg 1, 15). Cette tristesse n’est propre qu’à celui qui a l’esprit de pauvreté et de douceur, et qui n’aimant pas le monde, reconnaît sa misère, et par cette connaissance s’élève jusqu’au désir du ciel. C’est avec raison que la consolation est promise à ceux qui pleurent, et il est juste que la joie de l’autre vie compense la tristesse et les larmes de la vie présente. Or la récompense de celui qui pleure est plus grande que celle qui est donnée aux pauvres d’esprit et à ceux qui sont doux, car il vaut mieux se réjouir dans le royaume que de l’avoir et de le posséder simplement. Que de choses en effet nous avons et que nous possédons au milieu de la douleur !

S. Chrys. (hom. 15). Remarquez que c’est avec dessein que dans l’énoncé de cette béatitude, Notre Seigneur ne dit pas : " ceux qui sont dans la tristesse ", mais plus énergiquement " ceux qui pleurent, ceux qui sont dans les larmes ", et en cela il nous donne une leçon de haute sagesse, car si ceux qui pleurent la mort de leurs enfants ou des autres personnes qui leur sont chères, cessent pendant ce temps de désirer les richesses ou les honneurs, et sont insensibles aux outrages ou aux atteintes des passions, à combien plus forte raison doit-on voir ces heureux effets dans ceux qui pleurent leurs péchés.

 

v. 6.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Après que j’ai pleuré mes péchés, je commence à ressentir la faim et la soif de la justice, car ce n’est point au milieu d’une maladie grave qu’on éprouve cette faim. Notre-Seigneur ajoute donc : " Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice ". — S. Jér. Il ne nous suffit pas de vouloir la justice, mais il nous faut souffrir la faim de la justice, expression figurée qui doit nous faire comprendre que nous ne serons jamais assez justes, et que nous devons désirer toujours plus ardemment les œuvres de la justice. — S. Chrys. (sur S. Matth). Tout bien que les hommes ne font point par l’amour du bien lui-même n’a point de valeur aux yeux de Dieu. Or on a faim de la justice lorsqu’on désire vivre selon les règles de la justice divine ; on a soif de la justice lorsqu’on désire acquérir la science de Dieu.
 

S. Chrys. (hom. 15). La justice dont il est ici question est, ou la justice universelle, ou la justice particulière opposée à l’avarice. Le Sauveur va parler de la miséricorde, il nous enseigne par avance comment nous devons l’exercer ; ce ne doit pas être avec les produits de l’avarice ou du vol. C’est pour cela qu’il donne à la justice les caractères de l’avarice, la faim et la soif.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). A ceux qui ont faim et soif de la justice, il promet le bonheur, et nous apprend ainsi que la pieuse avidité des Saints pour la doctrine divine sera complètement rassasiée dans les cieux ; c’est le sens de ces paroles : " Parce qu’ils seront rassasiés ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Ils seront rassasiés de l’abondance des libéralités de Dieu, car les récompenses qu’il accorde aux Saints dépassent de beaucoup leurs désirs. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien peut-être ils seront rassasiés dans la vie présente de cette nourriture dont le Seigneur a dit : " Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père ", (qui est la justice), et de cette eau dont il est dit qu’elle deviendra en celui qui l’aura bue une source d’eau qui rejaillit jusque dans la vie éternelle.

S. Chrys. (hom. 15). Peut-être même s’agit-il ici de récompense terrestre. Comme on pense communément que c’est l’avarice qui satisfait abondamment nos désirs, Notre-Seigneur attribue au contraire cet effet à la justice, car celui qui la désire possède tous les biens sans crainte de les perdre.

 

v. 7.

La Glose. La justice et la miséricorde doivent être tellement unies ensemble, qu’elles se tempèrent mutuellement l’une par l’autre. La justice sans la miséricorde n’est que cruauté, et la miséricorde sans justice n’est que faiblesse. C’est pour cela que le Sauveur fait venir la miséricorde après la justice en disant : " Bienheureux les miséricordieux ". — Remi. Le mot miséricordieux veut dire qui a pour ainsi parler le cœur des malheureux, parce que l’homme miséricordieux regarde comme sienne la misère d’autrui, et s’en afflige comme si elle lui était personnelle. — S. Jér. Par miséricorde, il faut entendre ici celle qui non seulement se répand en aumônes, mais qui s’étend aux fautes de nos frères, et nous fait porter mutuellement les fardeaux les uns des autres. — S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2). Il proclame heureux ceux qui viennent au secours de l’infortune, et qui reçoivent en récompense la délivrance de leurs propres maux, comme il le déclare lui-même : " Parce qu’ils obtiendront eux-mêmes miséricorde ". — S. Hil. (can. 4). Dieu se plaît tellement à voir en nous ce sentiment de bienveillance pour tous nos frères, qu’il ne promet sa miséricorde qu’à ceux-là seuls qui sont miséricordieux.

S. Chrys. (hom. 15). La récompense paraît ici être simplement égale au mérite, mais elle lui est bien supérieure, car il n’y a point de comparaison entre la miséricorde des hommes et la miséricorde de Dieu. — La Glose. C’est donc avec raison que Dieu fait miséricorde aux miséricordieux, et bien au-dessus de leurs mérites. Aussi de même que celui dont les désirs sont comblés et au delà, reçoit beaucoup plus que celui qui est simplement rassasié, ainsi la gloire des miséricordieux l’emporte sur la gloire des béatitudes précédentes.

 

v. 8.

S. Amb. (sur S. Luc). Celui qui fait miséricorde perd ses droits à la miséricorde divine, s’il n’a point agi avec un cœur pur, car s’il a cherché la vaine gloire dans les œuvres de miséricorde, il ne lui en revient aucun fruit ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Bienheureux ceux qui ont le cœur pur ". — La Glose. La pureté du cœur est placée convenablement en sixième lieu, car c’est le sixième jour que l’homme a été créé à l’image de Dieu, image qui avait été obscurcie en lui par le péché, et qui a été réparée par la grâce dans ceux qui ont le cœur pur. Cette béatitude vient parfaitement après les cinq premières, car sans les vertus qui précèdent, Dieu ne peut créer dans l’homme un cœur pur. — S. Chrys. (hom. 45). Les cœurs purs dont parle ici le Sauveur sont ceux qui ont toutes les vertus et n’ont à se reprocher aucun mal, ou bien ceux dont la tempérance réprime les désirs sensuels, vertu absolument nécessaire pour voir Dieu, selon ces paroles de saint Paul (He 12) : " Efforcez-vous d’avoir la paix avec tout le monde, et de vivre dans la sainteté, sans laquelle personne ne peut voir Dieu ". Il en est beaucoup, en effet, qui sont miséricordieux, mais qui se livrent à l’impureté, et le Sauveur, pour leur montrer que la miséricorde ne suffit pas, exige de plus cette pureté du cœur.

S. Jér. Dieu qui est pur, ne peut-être vu que par un cœur pur, car le temple de Dieu doit être sans souillure, c’est pour cela qu’il ajoute : Parce qu’ils verront Dieu ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Celui qui veut et accomplit toute justice, voit Dieu des yeux de son âme, car la justice est l’image de Dieu, Dieu étant la justice par essence. Rappelons-nous donc que celui qui se sépare du mal et fait le bien, en vertu même de cet effort, voit Dieu plus ou moins, toujours ou par intervalles, autant qu’il est possible à la nature humaine. Mais dans l’autre vie, ceux qui ont le cœur pur verront Dieu face à face, et non pas comme ici-bas dans un miroir et sous des images obscures (cf. 1 Co 13, 12). — S. Aug. (serm. sur la mont). Il faut être insensé pour chercher à voir des yeux du corps Dieu qu’on ne peut voir que des yeux du cœur, ainsi qu’il est écrit ailleurs : " Cherchez-le dans la simplicité du cœur ", car le cœur simple, c’est le cœur pur. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 29). Il est évident que si les yeux spiritualisés de notre corps n’ont pas plus de vertu que ceux que nous avons maintenant, ils ne pourront nous servir à voir Dieu.

S. Aug. (Liv. 1 de la Trinité, chap. 8 et 13). Cette vue de Dieu est la récompense de la foi, et c’est par la foi que Dieu nous y prépare en purifiant nos cœurs ainsi qu’il est écrit : " Purifiant leurs cœurs par la foi ". La preuve de cette vérité se trouve surtout dans cette maxime : " Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ".

S. Aug. (sur la Genèse expliq. littéral., liv. 12, chap. 25). Aucun de ceux qui aspirent à voir Dieu ne doit vivre ici-bas de la vie périssable des sens ; s’il ne meurt radicalement à cette vie, soit en quittant tout-à-fait son corps, soit en devenant tellement étranger aux mouvements de la chair qu’il ne sache plus ainsi que l’apôtre, s’il est encore ou non avec son corps, il ne pourra jamais s’élever jusqu’à cette vision.

La Glose. La récompense est ici plus magnifique que dans les béatitudes précédentes ; c’est celle de l’homme qui non seulement est nourri dans la maison du roi, mais encore peut jouir de sa présence.

 

v. 9.

S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Lorsque vous aurez purifié votre intérieur de toutes les souillures du péché, commencez par établir la paix en vous, de sorte qu’il ne s’élève dans votre cœur ni dissensions ni troubles ; vous pourrez ainsi porter la paix plus facilement aux autres. C’est ce que signifient ces paroles : " Bienheureux les pacifiques ". — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 19, chap. 13). La paix est la tranquillité de l’ordre ; l’ordre est cette disposition qui donne aux choses ou semblables ou opposées la place qui leur convient. Il n’est personne qui ne désire le bonheur, personne aussi qui ne désire la paix ; et ceux mêmes qui veulent la guerre n’ont d’autre but que d’arriver par les armes à une paix glorieuse. — S. Jér. Les pacifiques que le Sauveur proclame heureux sont ceux qui font régner la paix dans leur cœur, avant de la rétablir entre leurs frères divisés ; car que vous sert de pacifier les autres si vous souffrez que les vices se livrent mille combats dans votre âme ?

S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 3). Ceux qui sont pacifiques sont ceux qui règlent tous les mouvements de leur âme, les soumettent à la raison, tiennent sous le joug toutes les passions indomptées de la chair, et deviennent ainsi le royaume de Dieu. Dans ce royaume l’ordre y est tellement établi, que ce qu’il y a en nous de plus noble et de plus excellent commande à cette autre partie de nous-même qui résiste, et qui nous est commune avec les bêtes ; tandis que la partie supérieure, c’est-à-dire l’âme et la raison, est elle-même soumise à un être plus élevé, qui est la vérité et le Fils de Dieu. Nous ne pouvons commander à ce qui est au-dessous de nous, à moins d’être soumis à ce qui est au-dessus. Telle est la paix promise sur cette terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2, 14). — S. Aug. (liv. 1, chap. 19). Personne cependant ne peut arriver en cette vie à détruire complètement dans ses membres cette loi qui combat contre la loi de l’esprit ; mais en domptant ici-bas les passions de la chair, les pacifiques se préparent à recevoir un jour la plénitude de la paix. — S. Chrys. (sur S. Matth). C’est se montrer pacifique envers les autres, non seulement de réconcilier les ennemis entre eux, mais encore d’oublier les injures par amour de la paix ; car la paix qui donne le bonheur n’est pas celle qui n’existe que sur les lèvres, mais celle qui repose dans le cœur, et ceux qui l’aiment sont vraiment les enfants de la paix.

S. Hil. (Can. 12). Le bonheur des pacifiques, c’est la récompense de l’adoption que le Sauveur exprime par ces paroles : " Parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu ". Dieu est le Père unique de tous les hommes, et nous ne serons dignes de faire partie de sa famille qu’en vivant ensemble dans la paix d’une charité toute fraternelle. — S. Chrys. (hom. 15 sur Matth). Ou bien les pacifiques étant ceux qui ont horreur de la dispute, n’ont de haine contre personne, et de plus cherchent à réunir ceux qui sont divisés, c’est à juste titre qu’ils sont appelés fils de Dieu, car la mission propre du Fils unique de Dieu a été de réunir ce qui était dispersé et de pacifier les éléments les plus contraires. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien comme la perfection est dans la paix, là où rien ne résiste, les pacifiques sont appelés enfants de Dieu parce que rien ne résiste à Dieu ; d’ailleurs les enfants doivent ressembler à leur père. — La Glose. Les pacifiques sont donc revêtus d’une dignité qui surpasse toutes les autres, de même que le fils du roi est au-dessus de tous les autres dans la maison de son père. Cette béatitude est placée la septième, parce que c’est au jour du sabbat et du vrai repos que nous sera donnée la paix véritable lorsque les dix âges du monde seront écoulés.
 

 

v. 10.

S. Chrys. (hom. 15). Notre-Seigneur voulant détruire cette pensée que c’est toujours un bien de rechercher pour soi la paix, ajoute : " Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, c’est-à-dire pour la vertu, pour la défense des autres, pour la piété ; car le Sauveur emploie ordinairement le mot justice pour exprimer toute vertu de l’âme. — S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 2 ou 8). La paix une fois établie et affermie au-dedans de nous, quelles que soient les persécutions que soulève au dehors celui que nous avons chassé de notre âme (cf. Jn 12, 13), il ne fait qu’augmenter la gloire qui est selon Dieu. — S. Jér. Le Sauveur ajoute cette expression significative : " Pour la justice ", car il en est beaucoup qui souffrent pour leurs péchés ; et qui sont loin d’être justes. Remarquez en même temps que cette huitième béatitude qui est comme l’octave de la vraie circoncision, a pour objet le martyre. — S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne dit pas : " Bienheureux celui qui souffre persécution de la part des Gentils ", car vous pourriez penser que ce bonheur n’est promis qu’à celui qui est persécuté par les païens, parce qu’il refuse d’adorer leurs idoles. Celui donc qui souffre persécution de la part des hérétiques, pour défendre contre eux la vérité, a droit à ce bonheur parce qu’il souffre pour la justice. Et si un des puissants du monde qui sont chrétiens en apparence, vous persécute, parce que peut-être vous l’auriez repris de ses vices, estimez-vous heureux avec Jean-Baptiste. Car s’il est vrai que les prophètes mis à mort par leurs concitoyens ont été de vrais martyrs, on ne peut douter que celui qui souffre pour la cause de Dieu, bien que la persécution lui vienne des siens, ne reçoive aussi la récompense du martyre. Et c’est pourquoi l’Écriture n’a pas désigné la personne des persécuteurs, mais la cause seule de la persécution, afin que vous ne considériez pas quels sont ceux qui vous persécutent, mais la cause pour laquelle vous souffrez persécution.

S. Hil. (Can. 4 sur S. Matth). Le Seigneur réserve donc pour la dernière béatitude, ceux dont le cœur est préparé à tout souffrir pour Jésus-Christ (qui est la justice). A eux aussi il promet le royaume des cieux, parce que le mépris du siècle les a rendus pauvres d’esprit. C’est pour cela qu’il ajoute : " Le royaume des cieux leur appartient ". — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 3, chap. 2 ou 9). Ou bien la huitième béatitude revient à la première comme à sa source, parce qu’elle la montre élevée à sa plus haute perfection. Aussi voyez, dans la première comme dans la huitième, se trouve nommé expressément le royaume des cieux. En effet les sept béatitudes sont les différents degrés de cette perfection ; la huitième lui donne le dernier trait et la montre dans tout son éclat, et la récompense de la première béatitude s’y trouve rappelée pour que ces deux degrés extrêmes communiquent leur perfection aux degrés intermédiaires. — S. Amb. (sur S. Luc). Ou bien autrement, le royaume du ciel promis en premier lieu sera pour les saints l’affranchissement des liens du corps (cf. Ph 1, 25), le second qui suivra la résurrection, les réunira pour toujours à Jésus-Christ. C’est après la résurrection en effet, que vous commencerez à posséder la terre qui est à vous sans plus craindre la mort, et que vous trouverez la consolation dans cette possession paisible. Le plaisir suit la consolation, et il est suivi à son tour par la divine miséricorde, or Dieu ne peut faire miséricorde à quelqu’un sans l’appeler, et le fruit de cette vocation, c’est de voir Dieu qui nous appelle. Celui qui a vu Dieu a droit à son tour aux honneurs de la filiation divine, et c’est alors enfin que comme fils de Dieu il trouve sa joie dans les richesses du royaume des cieux. D’un côté donc le bonheur commence, de l’autre il est dans sa plénitude. — S. Chrys. (hom. 15). Ne soyez pas surpris, si à chaque béatitude, il n’est pas fait mention du royaume des cieux, car ces expressions : " Ils seront consolés, ils obtiendront miséricorde ", et autres semblables, sont autant d’insinuations mystérieuses du royaume des cieux. En s’exprimant ainsi le Sauveur veut que l’objet de votre espérance n’ait rien de sensible, car on n’est pas heureux quand on n’a pour récompense que des choses qui passent avec cette vie.

S. Aug. (serm. sur la mont. liv. 1, chap. 3). Il faut étudier avec soin le nombre de ces béatitudes. Nous voyons en effet les sept opérations de l’Esprit saint décrites par Isaïe (Is 11), correspondre aux sept degrés des béatitudes, mais avec cette différence, que le prophète suit une marche opposée dans l’énumération, parce qu’il nous montre le Fils de Dieu descendant jusque dans l’abîme de notre misère, et qu’ici nous voyons l’homme montant de cet abîme jusqu’à la ressemblance de Dieu. Le premier des dons de l’Esprit saint est la crainte qui est le propre des âmes humbles dont il est dit : " Bienheureux les pauvres d’esprit ", c’est-à-dire ceux qui ne se nourrissent pas de hautes pensées, mais qui se tiennent dans la crainte (cf. Rm 11, 20 ; 12, 16). Le second est la piété qui convient à ceux qui sont doux, car celui qui cherche avec piété fait profession de respect, il ne s’érige pas en censeur, il ne résiste pas, ce qui constitue la vertu de douceur. Le troisième est la science, qui se rapporte à ceux qui pleurent, car ils savent dans quelle dure captivité les retiennent ces maux, qu’ils avaient demandés comme des biens. Le quatrième est la force, qui convient à ceux qui ont faim et soif, parce qu’en cherchant leur joie dans les véritables biens, ils font tous leurs efforts pour se détacher des choses de la terre. Le cinquième est le conseil, qui se rapporte aux miséricordieux, car l’unique remède pour échapper à tant de maux, c’est de pardonner et d’être charitable. Le sixième est l’intelligence qu’ont en partage ceux qui ont le cœur pur, et dont l’œil purifié pénètre ce qu’ils ne pouvaient voir auparavant. La septième est la sagesse, qui est le propre des pacifiques dans l’âme desquels n’existe aucun mouvement de révolte, mais ou tout est soumis à l’esprit. Il n’y a qu’une seule récompense, c’est le royaume des cieux qui reçoit diverses dénominations. Il est expressément nommé et avec raison dans la première béatitude qui est le commencement de la divine sagesse, comme s’il était dit : " Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur ". A ceux qui sont doux est promis l’héritage, comme à des enfants dont la piété filiale cherche le testament de leur père ; à ceux qui pleurent la consolation, parce qu’ils savent ce qu’ils ont perdu, et dans quels maux ils sont plongés ; à ceux qui ont faim l’abondance, comme aliment réparateur, après les fatigues endurées pour le salut ; à ceux qui sont miséricordieux, la miséricorde parce qu’ils se sont ménagé sagement le bénéfice de l’indulgence dont ils ont fait preuve à l’égard des autres ; à ceux qui sont purs la faculté de voir Dieu, car, eux seuls ont un œil capable de voir et de comprendre les choses éternelles ; à ceux qui sont pacifiques, la ressemblance avec Dieu. Or toutes ces promesses peuvent s’accomplir en cette vie comme nous croyons qu’elles se sont réalisées dans les apôtres ; car aucune parole ne saurait exprimer l’objet des promesses éternelles.

 

vv. 11-12.

Rab. Les maximes précédentes avaient une application générale, Jésus-Christ s’adresse ici personnellement à ceux qui l’écoutent, et il leur prédit les persécutions qu’ils auraient à supporter pour son nom. " Vous serez heureux " leur dit-il, " lorsque les hommes vous maudiront et vous persécuteront et diront toute espèce de mal contre vous ". — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 3 ou 9). On peut demander quelle différence existe entre maudire et dire toute espèce de mal, parce que maudire c’est justement dire du mal ; nous répondrons qu’il y a une différence entre maudire et outrager quelqu’un en face, et déchirer sa réputation en son absence. Quant au mot persécuter, il signifie user de violence contre quelqu’un, ou lui tendre des embûches.

S. Chrys. (sur S. Matth). S’il est vrai que celui qui donne à son frère un verre d’eau ne perd pas sa récompense, par la même raison celui qui aura supporté la plus légère parole outrageante, ne peut manquer d’être récompensé. Mais pour que les imputations injurieuses lui donnent droit à ce bonheur, il faut deux choses, qu’elles soient fausses, et qu’il les souffre pour la cause de Dieu ; si l’une des deux conditions manque, il ne peut espérer la récompense de cette béatitude, aussi le Sauveur ajoute-t-il : " Mentant à cause de moi ". — S. Aug. (serm. sur la mont). Je présume que ces mots ont été ajoutés pour ceux qui veulent se glorifier des persécutions qu’ils souffrent et du déshonneur qui s’attache justement à leur réputation, et qui prétendent faire partie des disciples de Jésus-Christ, parce qu’ils sont en butte à mille discours injurieux. Mais c’est à tort, car ces discours ne sont que l’expression de la vérité quand ils ont pour objet leurs erreurs, et si parfois on les accuse à faux, ce n’est nullement pour Jésus-Christ qu’ils le souffrent.

S. Grég. (sur Ezéchiel). Qui pourra donc nous nuire, si les hommes nous discréditent, et que nous n’ayons pour nous défendre que le témoignage de notre conscience ? Cependant si nous ne devons pas, de dessein prémédité, exciter contre nous la langue de ceux qui veulent entamer notre réputation, pour ne pas les pousser eux-mêmes à leur perte ; une fois que leur méchanceté les arme contre nous, il faut le supporter patiemment pour augmenter notre mérite, et c’est ce que le Sauveur nous recommande en ajoutant : " Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est abondante dans les cieux ". — La Glose. Que votre âme se réjouisse, que votre corps lui-même tressaille d’allégresse. parce que votre récompense non seulement est grande comme celle des autres, mais parce qu’elle est abondante dans les cieux.

S. Aug. (serm. sur la mont). Je ne pense pas que les cieux désignent ici les parties supérieures de ce monde visible, car ce n’est pas dans les choses extérieures que nous devons placer notre récompense ; par les cieux il faut donc entendre ici le firmament spirituel qu’habite l’éternelle justice. On peut déjà pressentir cette récompense quand on place sa joie dans les biens spirituels, mais cette jouissance ne sera parfaite, que lorsque ce corps mortel aura revêtu l’immortalité. (1 Co 15, 54) — S. Jér. Si nous voulons que notre récompense se prépare dans les cieux, nous devons donc nous réjouir et tressaillir d’allégresse, ce que ne pourra jamais faire celui qui est esclave de la vaine gloire. — S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, autant on met sa joie dans les louanges des hommes, autant on s’attriste de leurs mépris ; mais celui qui ne désire que la gloire des cieux, ne craint nullement les opprobres de la terre. — S. Grég. (sur Ezéchiel). Nous devons cependant mettre un frein quelquefois aux langues des calomniateurs, de peur qu’en répandant leur venin contre nous, ils ne viennent à corrompre les âmes innocentes que nous aurions pu porter au bien par nos discours.

La Glose. Ce n’est pas seulement par la perspective de la récompense, mais par la puissance de l’exemple qu’il les invite à la patience. " C’est ainsi ajoute-t-il qu’ils ont persécuté les prophètes qui étaient avant vous ". — Remi. C’est une grande consolation en effet pour celui qui se trouve dans la tribulation, de se rappeler les souffrances de ceux qu’on lui donne comme un exemple de patience, c’est comme si le Sauveur disait : " Souvenez-vous que vous êtes les apôtres de celui dont ils furent les prophètes ". — S. Chrys. (hom. 15). Il déclare aussi par ces paroles qu’il est égal en honneur à son Père, car il semble dire : " De même qu’ils ont souffert pour mon Père, ainsi vous souffrirez pour moi ". En leur disant : " Les prophètes qui furent avant vous ", il leur apprend qu’ils sont devenus prophètes eux-mêmes. — S. Aug. (serm. sur la mont). La persécution est prise ici dans un sens général, et signifie tous les discours outrageants, et toutes les atteintes à la réputation.

 

v. 13.

S. Chrys. (hom. 15). Après avoir donné à ses disciples d’aussi sublimes préceptes, le Sauveur prévient cette difficulté : comment pourrons-nous les observer, en les attirant par ses louanges et en leur disant : " Vous êtes le sel de la terre ". Par là il leur apprend que c’est une nécessité pour eux de garder ces préceptes, car ce n’est pas, leur dit-il, pour vous, ce n’est pas pour une seule nation, c’est pour le monde entier que je vous envoie. Si donc en le touchant au vif, vous en recevez des injures, réjouissez-vous, car c’est une des propriétés du sel de piquer tout ce qui est d’une nature tendre et molle ; la malédiction des hommes ne peut vous nuire en rien, elle atteste au contraire la vertu qui est en vous.

S. Hil. (can. 4). Il nous faut ici chercher le sens propre des mots, et nous le trouverons dans la mission des apôtres, et dans la nature du sel. Le sel qui est d’un usage universel chez tous les peuples, communique l’incorruptibilité à tous les corps sur lesquels on le répand, et il est très propre à faire ressortir dans toutes choses leur saveur cachée. Or les apôtres sont les prédicateurs des choses célestes, et ils répandent sur toutes choses le sel de l’éternité. C’est à juste titre qu’ils sont appelés le sel de la terre, parce que la vertu de leur doctrine, comme un sel divin conserve les corps pour l’éternité.

Remi. Le contact de l’eau, la chaleur du soleil, le souffle du vent, donnent au sel une autre nature ; ainsi les hommes apostoliques ont reçu une naissance toute spirituelle et ont été changés en d’autres hommes par l’eau du baptême, par le souffle de l’Esprit saint et par le feu de la charité. On peut dire encore que la sagesse céleste prêchée par les Apôtres, absorbe les humeurs des œuvres charnelles, fait disparaître l’odeur infecte et la corruption d’une mauvaise vie et le ver des pensées impures dont le prophète a dit : " Leur ver ne meurt pas " (Is 66, 24). — Remi. Les Apôtres sont le sel de la terre, c’est-à-dire des hommes terrestres qui sont appelés terre, parce que toute leur affection est pour la terre. — S. Jér. Ou bien encore les Apôtres sont appelés le sel de la terre, parce que c’est par eux que le genre humain est conservé. — S. Chrys. (sur S. Matth., homél. 10 de l’ouv. incompl). Dès qu’un docteur est orné de toutes les vertus dont nous avons parlé, il est comme un sel excellent, et son exemple comme sa parole sont pour tout le peuple un céleste assaisonnement.

Remi. Sous l’ancienne loi, on ne pouvait offrir aucun sacrifice sans l’avoir assaisonné de sel, ce qui signifiait que personne ne peut offrit un sacrifice agréable à Dieu sans avoir en lui la saveur de la sagesse divine. — S. Hil. Cependant comme l’homme est sujet au changement, après avoir appelé les Apôtres le sel de la terre, il leur apprend qu’ils doivent conserver la vertu de la puissance qui leur a été confiée, en ajoutant : " Si le sel perd sa force, avec quoi pourra-t-on le saler ? " — S. Jér. C’est-à-dire si un docteur tombe dans l’erreur, par quel autre docteur pourra-t-il être repris ? — S. Aug. (serm. sur la mont) Et si vous, qui devez être comme l’assaisonnement des peuples, vous perdez le royaume des cieux par la crainte des persécutions temporelles, quels seront les hommes qui pourront vous guérir de vos erreurs ? Une autre version porte : " Si le sel est devenu insipide et comme insensé ", et elle signifie qu’il faut regarder comme des insensés, ceux qui par la recherche trop vive des biens temporels, ou par la crainte d’en être dépouillés, perdent les biens éternels que les hommes ne peuvent ni donner ni enlever.

S. Hil. (can. 4). Or si les docteurs devenus insensés cessent d’avoir la vertu du sel, et si ne possédant plus le sens du goût qu’ils avaient reçu, ils ne peuvent rendre la vie à ce qui est corrompu, ils deviennent inutiles comme l’ajoute le Sauveur : " Il ne vaut plus rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes ". — S. Jér. Cet exemple est emprunté à l’agriculture. Le sel ne sert absolument qu’à dessécher les viandes et à assaisonner les aliments. Aussi nous voyons dans l’Écriture le sel semé par la colère des vainqueurs sur des villes détruites, afin qu’aucune semence ne pût y fructifier. — La Glose. Lorsque ceux qui sont placés à la tête des autres viennent à faillir, ils ne sont bons qu’à être jetés dehors et privés du pouvoir d’enseigner. — S. Hil. (can. 4). Il ne suffit pas même qu’ils soient chassés de l’office de l’Église, il faut qu’ils soient foulés aux pieds des passants. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ce n’est pas celui qui souffre persécution qui est foulé aux pieds par les hommes, mais celui à qui la crainte de la persécution fait perdre le sens. On ne peut être foulé aux pieds que lorsqu’on est placé au-dessous. Or on n’est jamais au-dessous de personne, bien que le corps soit en butte sur la terre à de mauvais traitements, lorsque par le cœur on habite dans le ciel.

 

vv. 14-15.

S. Chrys. (Sur S. Matth). De même que les prédicateurs sont par l’exemple de leurs vertus le sel qui assaisonne les peuples, de même ils sont par leur doctrine la lumière qui éclaire les ignorants. Or une vie sainte est la condition première, essentielle avant de bien enseigner. C’est pour cela qu’il appelle ses Apôtres le sel de la terre avant de leur dire : " Vous êtes la lumière du monde ". C’est peut-être aussi parce que le sel ne fait que conserver les choses dans l’état où elles sont, et les préserve ainsi de toute altération, tandis que la lumière les rend meilleures en répandant sur elles la clarté. Les Apôtres sont donc appelés le sel de la terre à cause du peuple juif et de l’Église chrétienne qui ont la connaissance de Dieu, tandis qu’ils sont appelés la lumière du monde à cause des Gentils qu’ils amènent à la lumière de la science. — S. Aug. (serm. sur la mont). Par le monde, il faut entendre ici non pas le ciel et la terre, mais les hommes qui habitent le monde, ou ceux qui aiment le monde, et vers lesquels les Apôtres ont été envoyés pour les éclairer. — S. Hil. (can. 4). La nature de la lumière c’est d’émettre sa clarté partout où elle est portée, et de forcer les ténèbres à disparaître de nos demeures sous l’influence d’un jour bienfaisant. Or le monde placé en dehors de la connaissance de Dieu était enveloppé dans les ténèbres de l’ignorance, et c’est par les Apôtres qu’il a été inondé de la clarté de la science, que la connaissance de Dieu lui est devenue plus certaine, et ils ont répandu à flots la lumière partout où ils ont porté leurs corps faibles et mortels.

Remi. Semblable au soleil qui lance ses rayons de toutes parts, le Seigneur, vrai soleil de justice, a dirigé ses Apôtres contre les ténèbres qui couvraient le genre humain tout entier.

S. Chrys. (homél. 15). Comprenez la grandeur des promesses qu’il leur fait, ils étaient inconnus dans leur propre pays, leur renommée s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre, et les persécutions qu’il leur avait prédites, loin de les tenir cachés n’ont fait que les rendre plus illustres.

S. Jér. Les Apôtres auraient pu se dérober par la crainte aux persécutions qui les menaçaient, Jésus-Christ veut qu’ils se produisent en toute liberté, et il leur apprend avec quelle assurance ils doivent prêcher l’Évangile : " Une ville placée sur une montagne ne peut être cachée ". — S. Chrys. (hom. 15). Il leur enseigne encore à veiller avec soin sur leur propre conduite, parce qu’ils sont exposés à la vue du monde entier, comme une ville bâtie sur une montagne, ou comme une lumière placée sur le chandelier. — S. Chrys. (sur S. Matth). Cette cité, c’est l’Église des saints dont il est écrit : " Cité de Dieu, des merveilles ont été dites de toi ". Les citoyens de cette ville sont tous les fidèles dont l’Apôtre a dit : " Vous êtes les concitoyens des saints ". Cette cité a été bâtie sur la montagne qui est le Christ et dont le prophète Daniel avait dit (Dn 2, 34) : " Une pierre détachée de la montagne sans la main d’aucun homme est devenue une grande montagne ". — S. Aug. Ou bien elle est située sur une montagne, parce qu’elle est assise sur une justice éminente, figurée par la montagne du haut de laquelle le Seigneur fait entendre sa parole. — S. Chrys. (sur S. Matth). Une ville placée sur le sommet d’une montagne ne peut se dérober aux regards, quand elle le voudrait, car la montagne qui la porte, la dévoile à tous les yeux. Ainsi les Apôtres et les prêtres qui sont fondés sur Jésus-Christ, ne peuvent rester cachés, quand bien même ils le voudraient, parce que Jésus-Christ les découvre à tous les regards. — S. Hil. (can. 4). Cette cité peut encore signifier la chair dont le Sauveur s’est revêtu, car en s’unissant ainsi à notre nature, il renferme en lui la totalité du genre humain et nous-mêmes par la participation de sa chair nous devenons les habitants de cette ville. Or Jésus-Christ ne peut demeurer caché, placé qu’il est sur les hauteurs incommensurables de la divinité, et offert à l’admiration du genre humain par les œuvres merveilleuses qu’il opère.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Le Sauveur explique par une autre comparaison pourquoi ses disciples ne doivent point rester cachés dans l’obscurité, mais se produire au grand jour : " On n’allume pas une lampe pour la placer sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier. — S. Chrys. (homél. 15). On peut dire encore que par la comparaison de la ville bâtie sur la montagne, le Sauveur montre quelle sera sa vertu, et que par celle de la lampe allumée, il forme ses disciples à la liberté de l’apostolat : " C’est moi qui ai allumé le flambeau ", semble-t-il leur dire : " c’est à vous de veiller à ce qu’il ne cesse jamais de briller, non seulement pour vous, et pour ceux que vous devrez éclairer, mais encore pour la gloire de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth). Cette lampe c’est la parole de Dieu dont il est dit : " Votre parole est une lampe pour mes pieds ". Ceux qui allument cette lampe, sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
 

S. Aug. (serm. sur la mont., chap. 5 ou 12). Mais que veulent dire ces paroles : " On ne la place pas sous le boisseau ? " Signifient-elles seulement qu’il ne faut point cacher cette lampe, comme s’il disait, ou n’allume pas une lampe pour la cacher ? Ou bien le mot boisseau a-t-il une signification particulière ? Placer la lampe sous le boisseau ne serait-ce pas préférer les avantages temporels à la prédication de la vérité ? On place donc la lampe sous le boisseau, toutes les fois qu’on obscurcit et qu’on couvre la lumière d’une saine doctrine sous les nuages des biens temporels. Le boisseau est une figure très juste de ces biens du corps, soit à cause de la récompense qui sera donnée avec mesure, puisque chacun recevra ce qu’il aura mérité pendant qu’il était revêtu de son corps (2 Co 5, 10), soit parce que ces biens qui ont le corps pour objet et pour instrument, ont aussi le temps pour mesure de leur existence passagère figurée par le boisseau, tandis que les choses spirituelles et éternelles ne sont pas renfermées dans ces étroites limites. Or on place la lumière sur le chandelier, quand on assujettit son corps au ministère de la parole, de manière que la prédication de la vérité occupe le premier rang, et les soins du corps la dernière place. Car cet assujettissement du corps donne à la doctrine un nouvel éclat qui la fait pénétrer dans l’âme des disciples, à l’aide du concours que les bonnes œuvres du corps viennent donner à la voix. — S. Chrys. (sur S. Matth). Disons encore que le boisseau représente les hommes du monde, car de même que le boisseau est vide par le haut, et plein par le bas, ainsi les hommes du monde sont insensés à l’égard des biens spirituels, et n’ont de sagesse que pour les choses de la terre. Ainsi le boisseau tient la parole de Dieu cachée lorsque pour quelque motif tout humain, ils n’osent prêcher ouvertement ni la parole de Dieu ni la vérité de la foi. Le chandelier, c’est l’Église qui porte la parole, et c’est aussi chacun de ses ministres.

S. Hil. (Can. 4). Ou bien c’est la synagogue que le Seigneur compare au boisseau, parce que, gardant sans les distribuer les fruits qu’elle a reçus, elle ne contenait d’ailleurs qu’une certaine mesure de perfection. — S. Amb. (sur S. Luc, liv. 4). Que personne donc ne renferme sa foi dans les bornes étroites de la loi mosaïque, mais qu’il en fasse part à l’Église où brille la grâce de l’Esprit qui possède les sept dons. — Bède. Ou bien c’est le Christ lui-même qui allume le flambeau lorsqu’il a rempli de la flamme de sa divinité la lampe de terre de notre nature, lampe qu’il ne veut cacher à aucun de ceux qui croient en lui, ni placer sous le boisseau (c’est-à-dire sous la mesure de la loi), ni resserrer dans les limites d’un seul peuple. Le chandelier sur lequel il a placé la lumière c’est l’Église, parce qu’il a marqué sur nos fronts la foi en son Incarnation. — S. Hil. (Can. 4). Ou bien cette lampe du Christ placée sur le chandelier, c’est cette lampe suspendue par sa Passion au bois de la croix et qui doit répandre son éternelle clarté sur tous ceux qui font partie de l’Église ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Afin qu’elle brille aux yeux de tous ceux qui sont dans la maison ". — S. Aug. (serm. sur la mont). Rien ne s’oppose à ce que, par cette maison, on entende l’Église ; ou bien encore cette maison c’est le monde lui-même, comme sembleraient l’indiquer ces paroles : " Vous êtes la lumière du monde ". — S. Hil. (Can. 4). Le Sauveur avertit ses apôtres qu’ils doivent briller d’une lumière si vive qu’en admirant leurs bonnes œuvres les hommes en rendent gloire à Dieu : " Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres. — S. Chrys. (sur S. Matth). C’est-à-dire, répandez la lumière de votre enseignement de manière que non seulement on entende vos paroles, mais encore qu’on voie vos œuvres, et qu’ainsi vous assaisonniez, par le sel de vos exemples, ceux que vous aurez éclairés de la lumière de votre parole. Dieu se trouve glorifié par ces docteurs qui joignent la pratique à l’enseignement, car on reconnaît la sagesse du Maître aux mœurs de ceux qui composent sa famille, et c’est pour cela que Jésus-Christ ajoute : " Afin qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ". — S. Aug. S’il avait dit seulement : " Afin qu’ils voient vos bonnes œuvres ", il aurait paru leur assigner pour fin les louanges des hommes que recherchent les hypocrites ; mais il ajoute : " Afin qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux " ; il ne veut donc pas qu’en étant agréable aux hommes, on place dans leur estime la fin de ses bonnes œuvres, mais qu’on les rapporte à la gloire de Dieu, en un mot qu’on ne cherche à plaire aux hommes qu’afin que Dieu en soit glorifié. — S. Hil. (Can. 4). Ce n’est pas qu’il nous faille rechercher la gloire qui vient des hommes (car toutes nos actions doivent être faites pour la gloire de Dieu), mais tout en nous cachant ce qui nous est personnel dans nos bonnes œuvres, nous ne devons pas laisser de briller pour l’édification de ceux au milieu desquels nous vivons.

 

vv. 17-19.

La Glose. Après avoir exhorté ses disciples à se préparer à tout souffrir pour la justice, et à ne pas tenir cachée la doctrine salutaire qu’ils allaient entendre, mais à la recevoir dans l’intention de la communiquer aux autres, il leur fait connaître ce qu’ils devront enseigner. Il suppose qu’ils lui font cette question : Quelle est donc cette doctrine qui ne doit pas rester cachée et pour laquelle vous nous ordonnez de tout nous offrir ? Et il leur répond : " Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi ou les prophètes ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Il s’exprime ainsi pour deux raisons : premièrement, pour engager ses disciples à imiter son exemple, en s’efforçant d’accomplir toute la loi, ainsi qu’il le faisait lui-même ; secondement, les Juifs devaient l’accuser plus tard de violer la loi (Mt 12 ; Mc 2 ; Lc 6 ; 13 ; Jn 5 ; 7 ; 9, etc.) ; il fait donc raison de cette calomnie avant même qu’elle se produise.

Remi. Mais il ne veut pas qu’on s’imagine qu’il n’est venu que pour annoncer la loi, comme les prophètes ; il nie donc d’abord qu’il soit venu pour détruire la loi, et il affirme ensuite qu’il est venu pour l’accomplir : " Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir ". — S. Aug. (Serm. sur la mont). Cette maxime présente deux sens, car accomplir une loi c’est ou bien ajouter ce qui lui manque, ou faire ce qu’elle prescrit. — S. Chrys. Jésus-Christ a donc accompli les prophéties en réalisant tout ce qu’elles avaient prédit de lui, et il a également accompli la loi en n’omettant aucune des prescriptions légales et en justifiant les hommes par la foi, ce que la lettre de la loi ne pouvait faire. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 19, chap. 7). Enfin, comme il était difficile, même à ceux qui vivent sous l’empire de la grâce, dans cette vie mortelle d’accomplir ce commandement de la loi : " Vous n’aurez pas de désirs coupables " (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21 ; Rm 7, 8 ; 13, 9), le Sauveur, devenu notre Pontife par le sacrifice de sa chair, nous obtient miséricorde, et il accomplit encore ici la loi, car notre faiblesse et notre impuissance se trouvent guéries par la vertu de ce divin chef dont nous sommes devenus les membres. Je pense que ces paroles : " Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir ", peuvent s’entendre aussi de ces additions qui expliquent le sens des anciens préceptes ou la manière de les mettre en pratique. C’est ainsi que le Seigneur nous a fait connaître qu’un simple mouvement de haine qui nous porte à nuire à notre frère doit être rangé parmi les péchés d’homicide. Il nous dit encore plus loin qu’il aime mieux que nous restions dans la vérité suis recourir au serment que de nous exposer à tomber dans le parjure en jurant même selon la vérité. Pourquoi donc, ô Manichéens, rejetez-vous la loi et les prophètes, alors que le Christ affirme qu’il est venu non pour les détruire, mais pour les accomplir ? L’hérétique Fauste répond : Mais qui atteste que Jésus a tenu ce langage ? Matthieu. Et comment donc Matthieu peut-il raconter ce que Jésus a dit sur la montagne, lui qui n’a suivi le Sauveur que lorsqu’il en fut descendu, tandis que Jean, qui était sur la montagne, n’en dit pas un mot ? Saint Augustin répond : S’il n’y a pour dire la vérité sur le Christ que celui qui l’a vu ou entendu, personne aujourd’hui n’est en état de le faire. Pourquoi donc saint Matthieu n’aurait-il pu apprendre de la bouche de saint Jean la vérité sur le Christ, alors que nous, qui sommes nés si longtemps après, nous pouvons enseigner sur Jésus-Christ la vérité que nous puisons dans les écrits de saint Jean ? C’est ce qui fait que non seulement l’évangile de saint Matthieu, mais encore celui de saint Luc et de saint Marc jouissent d’une égale autorité. D’ailleurs, est-ce que le Seigneur n’a pu raconter à saint Matthieu les faits qui avaient précédé sa vocation ? Avouez donc franchement que vous ne croyez pas à l’Évangile, car en ne croyant dans l’Évangile qu’à ce qui vous convient, c’est plutôt à vous-mêmes qu’à l’Évangile que vous croyez.
 

Fauste dit encore : Nous pouvons prouver qu’un autre que saint Matthieu (et je ne sais qui) a écrit cette maxime sous le nom de cet apôtre : " Lorsque Jésus passait, il vit un homme assis au comptoir, Matthieu était son nom ". Et quel est donc l’écrivain qui, pour parler de lui-même, s’exprime de la sorte : " Il vit un homme ", et non pas : " Il me vit ? " — Saint Augustin répond, saint Matthieu parle de lui commue d’une personne étrangère, de même que saint Jean l’a fait dans ce passage : " Pierre, se retournant, vit cet autre disciple que Jésus aimait ", ce qui prouve que telle était la manière de s’exprimer des évangélistes dans leurs narrations.

Il y a plus, réplique Fauste, cette défense que Jésus-Christ nous fait de croire qu’il soit venu détruire la loi est bien plutôt de nature à nous faire soupçonner qu’il la détruisait réellement, car, puisqu’il ne violait aucun article de la loi, pourquoi les Juifs l’en auraient-ils soupçonné ? C’est là, répond saint Augustin, une bien faible difficulté, car nous ne nions pas qu’aux yeux des Juifs inintelligents, le Christ n’ait passé pour un destructeur de la loi et des prophètes.

Fauste ajoute : D’ailleurs, ni la loi ni les prophètes n’ont besoin de cet accomplissement, puisqu’il est écrit : " Vous observerez les commandements que je vous donne, sans y rien ajouter, ni sans rien ôter ". Fauste, répond saint Augustin, ne comprend pas ce que c’est que l’accomplissement de la loi, lorsqu’il l’entend de l’addition de nouveaux préceptes. La plénitude de la loi c’est la charité (Rm 13, 18) que le Seigneur a répandue sur les fidèles en leur envoyant l’Esprit saint. La loi est donc accomplie lorsqu’on obéit à ses préceptes ou lorsque les événements réalisent les prédictions qu’elle a faites.

Fauste continue : Reconnaître que Jésus est l’auteur du Nouveau Testament, qu’est-ce autre chose que déclarer qu’il a détruit l’Ancien ? Non, répond saint Augustin, car l’Ancien Testament renferme les figures de l’avenir, qui devaient disparaître devant les réalités apportées par Jésus-Christ, et dans ce fait même les prophètes trouvaient leur accomplissement, puisqu’ils annonçaient que Dieu devait donner aux hommes un nouveau Testament.

Fauste poursuit : Si le Christ a prononcé ces paroles, c’est évidemment dans un autre sens ou (ce qu’on ne peut admettre) c’est un mensonge, ou il n’a rien dit de semblable. Or, personne n’osera dire que le Christ a menti ; ces paroles ont donc une autre signification, ou elles n’ont jamais été dites. Quant à moi, la foi des Manichéens me met en garde contre l’admission de ce chapitre, car elle m’a tout d’abord appris qu’il ne faut pas regarder comme venant du Sauveur tout ce que les Évangélistes lui attribuent, et qu’il y a beaucoup d’ivraie que le glaneur qui rôde pendant la nuit a répandue dans presque toutes les Écritures pour corrompre le bon grain. Saint Augustin répond : Le Manichéen t’a enseigné une opinion impie et perverse en vertu de laquelle tu acceptes dans l’Évangile tout ce qui favorise ton hérésie, et tu rejettes tout ce qui la condamne.

Pour nous, l’Apôtre nous a enseigné cette divine méthode de regarder comme anathème quiconque annoncerait un Évangile différent de celui que nous avons reçu. Et quant à l’ivraie, le Seigneur lui-même nous a expliqué ce que c’était. Ce ne sont point les erreurs qui seraient mêlées à la vérité des Écritures, comme il vous plaît de le dire, mais ce sont les hommes enfants du démon.

Fauste ajoute : Lorsqu’un Juif viendra vous demander pourquoi vous n’observez pas ce que prescrivent la loi et les prophètes, puisque le Christ n’est pas venu les détruire, mus les accomplir, vous serez forcé ou de devenir l’esclave d’une vaine superstition, ou de reconnaître que ce chapitre n’est pas authentique, ou de nier que vous soyiez le disciple du Christ. — Les catholiques, répond saint Augustin, ne sont nullement embarrassés par ce chapitre, comme s’il leur reprochait de ne pas garder la loi et les prophètes, car ils ont dans le cœur l’amour de Dieu et l’amour du prochain, deux préceptes qui résument la loi et les prophètes, et ils savent que tout ce qui, dans l’Ancien Testament, a été prophétisé allégoriquement par les événements, par la célébration des fêtes légales, par les expressions figurées se trouve accompli en Jésus-Christ et en son Église. Donc nous ne devenons pas tributaires d’une vaine superstition, nous ne nions pas la véracité de ce chapitre, et nous ne renonçons pas à être les disciples du Christ. Celui donc qui vient dire : Si le Christ n’avait pas détruit la loi et les prophètes, les anciens rites se seraient perpétués dans les cérémonies chrétiennes, peut ajouter : Si le Christ n’avait pas détruit la loi et les prophètes, sa naissance, sa passion, sa résurrection seraient encore l’objet des promesses. Au contraire, une preuve qu’il n’a pas détruit, mais accompli la loi et les prophètes, c’est justement qu’il ne nous est plus prédit comme devant naître, souffrir et ressusciter, ce que proclamaient toutes les figures de l’ancienne loi ; mais qu’on nous annonce sa naissance, sa mort, sa résurrection comme autant de faits accomplis que nous rappellent à l’envi toutes les solennités chrétiennes. Combien donc est grossière l’erreur de ceux qui pensent que le changement des signes et des rites a dû changer la nature des choses signifiées dont le rite prophétique promettait l’existence, et dont le rite évangélique démontre l’accomplissement.

Fauste ajoute encore : Si le Christ est l’auteur de ces paroles, examinons pourquoi il les a dites. Est-ce pour adoucir la fureur des Juifs qui en le voyant fouler aux pieds ce qu’ils regardaient comme saint ne croyaient pas devoir l’entendre davantage ? Ou bien est-ce pour nous engager à nous soumettre au joug de la loi, nous qui devions croire parmi les Gentils ? Si ce n’est pas l’une de ces raisons, ce doit être l’autre, et en cela le Christ ne nous a pas induit en erreur. Il y a en effet trois sortes de loi, la première est celle des Hébreux, que saint Paul appelle loi de péché et de mort ; la seconde, la loi des Gentils, qu’il appelle naturelle, en disant : " Les nations font naturellement ce que la loi leur commande " ; la troisième, la loi de vérité appelée par saint Paul : " La loi de l’esprit de vie ". Il en est de même des prophètes : il y a les prophètes des Juifs, qui sont connus ; les prophètes des Gentils, dont saint Paul écrivait : " Un de leurs compatriotes et leur prophète a dit ". Enfin les prophètes de la vérité, dont le Christ a dit : " Je vous envoie des sages et des prophètes ". Or, s’il avait parlé des observances judaïques dans le dessein de nous les faire accomplir, nul doute qu’il ne fût ici question de la loi des prophètes des Juifs. Mais il ne rappelle ici que des préceptes plus anciens : " Vous lie tuerez pas, vous ne commettrez pas d’adultère ", qui furent autrefois promulgués par Enoch, par Seth et par d’autres justes ; il est donc évident qu’il veut parler ici de la loi et des prophètes de la vérité. Paraît-il au contraire vouloir parler des préceptes judaïques ; c’est pour les déraciner complètement, comme celui-ci : " Œil pour œil, dent pour dent ". — Saint Augustin répond : On voit clairement quelle est cette loi, quels sont ces prophètes que Jésus-Christ n’est pas venu détruire, mais accomplir : c’est la loi qui a été donnée par Moïse. C’est une erreur de dire, comme Fauste, que le Seigneur est venu accomplir certains préceptes, ceux qui avaient été transmis par les anciens justes avant la loi, comme celui-ci : " Vous ne tuerez pas " ; tandis qu’il en a détruit certains autres qui étaient propres à la loi mosaïque (comme celui-là : " œil pour œil, dent pour dent "), car nous tenons pour vrai que ces derniers préceptes ont été parfaitement conformes au temps où ils furent établis, et que le Christ ne les a pas détruits, mais accomplis, comme nous le prouverons pour chacun d’eux. C’est ce que ne comprenaient pas non plus ces hérétiques appelés Nazaréens, qui, persévérant dans cette croyance perverse, voulaient forcer les Gentils convertis à judaïser.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Comme tous les événements qui devaient se passer depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, étaient allégoriquement prophétisés dans la loi, Notre-Seigneur pour éloigner cette pensée que Dieu aurait pu ignorer par avance quelques-uns de ces événements, ajoute : " Il ne peut se faire que le ciel et la terre passent avant que tout ce qui a été prédit dans la loi ne soit accompli et réalisé ; c’est le sens de ces paroles : " Je vous le dis en vérité ; le ciel et la terre ne passeront point que tout ce qui est dans la loi, jusqu’à un seul iota et à un seul point, ne soit accompli parfaitement ".

Remi. Le mot amen est un mot hébreu qui signifie en latin, vraiment, exactement, ou ainsi soit-il. Le Seigneur emploie cette expression pour deux raisons, ou à cause de la dureté de cœur de ceux qui étaient lents à croire, ou pour avertir ceux qui croyaient de prêter une attention plus profonde à ce qui allait suivre. — S. Hil. (Can. 4). En s’exprimant de la sorte : " Jusqu’à ce que le ciel et la terre pussent ", il déclare que le ciel et la terre, qui sont les principaux éléments de la création, seront dissous comme nous le croyons nous-mêmes. — Remi. Ils demeureront quant à leur substance, mais ils passeront en ce sens qu’ils seront renouvelés. — S. Aug. (serm. sur la mont). Par ces paroles : " Un seul iota ou un seul point de la loi ne passera " le Sauveur exprime avec énergie la perfection qui est renfermée dans chacune des lettres de la sainte Écriture. Parmi ces lettres la plus petite est l’iota, qui s’écrit d’un seul trait. Le point est un petit signe qui surmonte l’iota à son sommet. En s’exprimant ainsi, le Seigneur nous apprend que dans la loi les petites choses doivent être accomplies avec soin. — Rab. C’est avec un dessein marqué qu’il emploie l’iota grec, et non l’iota des Hébreux, car l’iota exprime le nombre dix et par là même le nombre des préceptes du Décalogue dont l’Évangile est le point extrême et le plus haut degré de perfection.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Si un homme ami de la vérité ne peut s’empêcher de rougir lorsqu’on surprend un mensonge sur ses lèvres, et si l’homme sage ne promet jamais rien qu’il ne l’exécute, comment les paroles divines pourront-elles demeurer sans effet ? Et c’est pour cela qu’il conclut en disant : " Quiconque violera un de ces commandements les plus petits de tous et enseignera aux hommes à les violer, sera regardé comme le dernier dans le royaume de Dieu ". Le Seigneur nous fait entendre clairement, ce me semble, quels sont ces commandements les moindre de tous, en disant : " Celui qui violera l’un de ces moindres commandements ", c’est-à-dire, ceux dont je vais parler. — S. Chrys. (hom. 16). Ce n’est point des lois anciennes qu’il veut parler ici, mais des préceptes qu’il devait lui-même imposer ; il les appelle les plus petits quoique de la plus grande importance, par ce même sentiment d’humilité avec lequel il s’est si souvent exprimé sur son propre compte. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien autrement, les commandements de Moïse, " Vous ne tuerez pas, vous ne commettrez pas d’adultère ", sont d’un accomplissement facile, car l’énormité du crime effraie et arrête la volonté ; aussi la récompense qu’ils promettent est minime, bien que le crime qu’ils défendent soit grand. Les commandements du Christ au contraire : " Vous ne vous mettrez pas en colère, vous ne convoiterez pas ", sont difficiles à observer, et par la même raison, la récompense qui les sanctionne est grande, bien que ce qu’ils défendent soit léger. Il s’agit donc ici de ces préceptes du Christ : " Vous ne vous mettrez pas en colère, vous ne convoiterez pas ". Ceux qui commettent ces fautes légères seront les derniers dans le royaume de Dieu ; c’est-à-dire celui qui se sera mis en colère sans commettre un grand péché, n’aura pas à craindre la peine de la damnation éternelle, mais il ne partagera pas la gloire de ceux qui auront observé ces commandements de moindre importance. — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 1, chap. 15, 16 ou 8). Ou bien, au contraire, ces moindres commandements sont ceux de la loi ancienne, et ce sont les préceptes que le Christ va promulguer qui sont de la plus haute importance. Ces préceptes moindres que les autres sont indiqués ici par l’iota et par le point, celui-là donc qui les viole et qui enseigne aux autres à les violer de même sera appelé le dernier dans le royaume de Dieu. Et peut-être même n’entrera-t-il pas dans ce royaume des cieux, ou Dieu n’admet que ceux qui sont vraiment grands.

La Glose. Violer la loi, c’est ne pas faire ce qu’ordonne la loi bien comprise, ou ne pas comprendre la fausse interprétation qu’on lui donne, ou détruire dans quelqu’une de ses parties l’ensemble des commandements ajoutés par le Christ.
 

S. Chrys. (hom. 16). Ou bien dans ces paroles : " Il sera appelé le dernier dans le royaume des cieux, il ne faut voir autre chose que le supplice de la damnation éternelle. En effet, dans le langage ordinaire du Sauveur, le royaume des cieux ne signifie pas seulement la jouissance du bonheur éternel, mais le temps de la résurrection, et l’avènement terrible du Christ. — S. Grég. (hom. 12 sur les Evang). Ou bien par le Royaume des cieux il faut entendre l’Église où tout docteur qui viole un commandement de la loi est regardé comme le dernier, car celui dont la conduite est méprisable, comment peut-il empêcher que son enseignement ne soit méprisé ? — S. Hil. (can. 4). Ou bien, par ces moindres choses, le Seigneur fait allusion à sa passion et à sa croix ; celui qui par une fausse honte ne les confessera pas hautement, sera le plus petit, c’est-à-dire le dernier, et presque rien. Le Sauveur promet au contraire la gloire magnifique des cieux à celui qui ne rougira pas de les confesser ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Mais celui qui fera et enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux ". — S. Jér. Le Seigneur flétrit ici la conduite des Pharisiens qui, n’ayant que du mépris pour les commandements de Dieu, leur substituaient leurs propres traditions, et il leur apprend que l’enseignement qu’ils donnent au peuple perd tout son prix, s’ils détruisent le plus petit commandement de la loi. Voici encore une autre explication : c’est que la science du maître, ne fût-il esclave que d’une faute légère, le fait descendre de la place élevée qu’il occupait ; c’est qu’il ne sert de rien d’enseigner la justice si on la détruit en même temps par la moindre faute ; c’est qu’on n’est souverainement heureux qu’en traduisant dans sa conduite les enseignements que l’on donne aux autres. — S. Aug. Ou bien encore, celui qui violera les plus petits des commandements de la loi, et qui enseignera à les violer, sera appelé le dernier ; celui au contraire qui accomplira ces moindres commandements, et qui enseignera à les accomplir, ne devra pas être regardé comme grand, mais il sera toutefois au-dessus de celui qui les viole. Celui-là seul sera vraiment grand qui pratiquera et enseignera ce que le Christ enseigne.

 

vv. 20-22

S. Hil. (can. 4). Dans ce magnifique début le Sauveur s’élève bien au-dessus de la loi ancienne ; il déclare aux apôtres que l’entrée du ciel leur est fermée, si leur justice n’est supérieure à celle des Pharisiens ; c’est le sens de ces paroles : " Je vous le dis en vérité, à moins que votre justice ne soit plus abondante, etc. — S. Chrys. (hom. 16). La justice dont il parle ici est la réunion de toutes les vertus, pour la pratique desquelles il faut ajouter le secours de la grâce : car le Sauveur veut que ses disciples, tout grossiers qu’ils sont encore, se montrent plus vertueux que les docteurs de la loi ancienne. Il ne dit pas que les Scribes et les Pharisiens sont des hommes d’iniquité, puisqu’il parle de leur justice. Remarquez aussi qu’il confirme la vérité de l’Ancien Testament, par la comparaison qu’il en fait avec le Nouveau ; ils ne différent que du plus du moins, et sont du même genre. — S. Chrys. (sur S. Matth). Les justices des Scribes et des Pharisiens sont les commandements donnés par Moïse, et les commandements de Jésus-Christ sont le parfait accomplissement des premiers. Voici donc le sens des paroles du Sauveur : " Celui qui indépendamment des commandements de la loi n’accomplira pas ceux que je donne moi-même, quelque peu importants qu’ils lui paraissent, celui-là n’entrera pas dans le royaume des cieux " ; car les commandements de Moïse délivrent bien de la peine portée contre les transgresseurs de la loi, mais ils ne peuvent introduire dans le royaume des cieux, tandis que mes commandements délivrent du châtiment et tout à la fois donnent entrée dans le royaume des cieux. Mais puisqu’il est certain que violer ces moindres commandements et ne pas les observer est une seule et même chose, pourquoi est-il dit plus haut que celui qui les viole sera appelé le dernier dans le royaume de Dieu, tandis que nous voyons ici que celui qui ne les garde pas n’entrera point dans le royaume des cieux ? Je réponds à cela qu’être le dernier dans le royaume, ou n’y pas entrer reviennent au même, et qu’être simplement du royaume, ce n’est pas régner avec le Christ, mais faire seulement partie de son peuple. Il veut donc dire que celui qui viole ces commandements sera du nombre des chrétiens, mais relégué au dernier rang ; celui au contraire qui entre dans le royaume devient participant de la royauté du Christ : par conséquent, celui qui n’y entre pas n’a point de part à cette gloire, mais il est cependant de son royaume, en ce sens qu’il est du nombre de ceux sur lesquels règne le Christ, le roi des cieux.
 

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20, chap. 9). On peut encore donner cette explication : " Si votre justice n’est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens qui n’observent pas ce qu’ils enseignent, et dont il est dit ailleurs : " Ils disent et ne font pas " ; c’est-à-dire si votre justice n’atteint ce degré de perfection non-seulement de ne pas violer, mais de pratiquer ce que vous enseignez, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. Il faut donc entendre dans un sens différent le royaume des cieux, là où nous rencontrons ces deux sortes de personnes, celui qui transgresse ce qu’il enseigne, et celui qui le pratique, l’un appelé le plus petit, et l’autre grand ; ce royaume c’est l’Église actuelle. Au contraire le royaume des cieux dans lequel n’entre que celui qui observe les commandements c’est l’Église telle qu’elle existera dans le siècle à venir. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 9 et 10). Je ne sais si on pourrait trouver nommé une seule fois dans l’Ancien Testament ce royaume de Dieu dont il est si souvent question dans les discours du Seigneur. C’est une des révélations propres au Nouveau Testament, et cette révélation était réservée aux lèvres de ce roi dont l’Ancien Testament figurait l’empire sur ses serviteurs. Cette fin à laquelle doivent se rapporter les commandements demeurait voilée sous l’ancienne loi, bien que les Saints qui la voyaient révélée dans l’avenir, en faisaient dès lors la règle de toute leur vie. — La Glose. Ou bien encore ces paroles : " Si votre justice n’est plus abondante ", ne se rapportent pas à ce que prescrivait l’ancienne loi, mais à la manière dont les Scribes et les Pharisiens l’interprétaient. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 19, chap. 28). Presque tous les préceptes que le Sauveur fait précéder de ces mots : " Mais moi, je vous dis ", se trouvent dans les livres de l’Ancien Testament ; mais comme les Pharisiens ne comprenaient sous la défense de l’homicide que le seul fait de la mort donnée au prochain, le Seigneur leur découvre que tout mouvement de haine qui tend à nuire à notre frère fait partie du péché d’homicide. C’est pourquoi il ajoute : " Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez pas ". S. Chrys. (sur S. Matth). Le Christ voulant montrer qu’il est le même Dieu qui avait promulgué les préceptes de la loi ancienne, et qui donne ceux de la loi de grâce, pose en tête de ses préceptes ceux qui dans l’ancienne loi se trouvaient avant tous les autres, c’est-à-dire les préceptes prohibitifs qui ont pour objet le prochain.

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 20). De ce qu’il est écrit : Vous ne tuerez pas, nous ne concluons pas que c’est un crime d’arracher un arbrisseau, erreur grossière des Manichéens ; nous n’appliquons pas non plus ce précepte aux animaux sans raison ; car en vertu de l’ordre plein de sagesse établi par le Créateur, leur vie comme leur mort sont soumises à nos besoins. C’est donc de l’homme qu’il faut entendre ces paroles : " Vous ne tuerez pas " ; vous ne tuerez pas un autre, vous ne vous tuerez pas vous-même ; car celui qui se donne la mort, que fait-il d’autre chose que de donner la mort à un homme ? N’allons pas voir non plus une violation de ce précepte dans la conduite de ceux qui ont fait la guerre par l’ordre de Dieu, ou qui dépositaires du pouvoir public ont usé de leur autorité pour prononcer contre des scélérats la juste sentence qui les condamnait à mort. Abraham lui-même qui voulut mettre à mort son fils pour obéir à Dieu, non-seulement n’est pas accusé de cruauté ; mais l’Écriture fait le plus grand éloge de sa foi et de sa religion. Il ne faut donc pas comprendre dans ce précepte ceux que Dieu commande de mettre à mort, ou par une loi générale, ou dans un cas particulier, par un ordre exprès et transitoire. On ne peut non plus considérer comme homicide celui qui prête son concours à l’exécution d’un ordre légitime, pas plus que celui qui donne son appui au magistrat qui porte le glaive ; et on ne peut excuser autrement Samson de s’être enseveli avec ses ennemis sous les ruines de la maison où il se trouvait, qu’en disant qu’il obéit en cela à l’inspiration secrète de l’Esprit qui avait opéré par lui tant de prodiges.

S. Chrys. (hom. 19). Par cette formule : " Il a été dit aux anciens ", le Sauveur nous apprend qu’il y avait bien longtemps que ce commandement avait été donné aux Juifs. Il s’exprime ainsi pour entraîner vers des préceptes plus élevés, les esprits lents qui l’écoutaient, comme un maître qui voulant stimuler un enfant paresseux par le désir d’une instruction supérieure lui dirait : Vous avez perdu beaucoup de temps à épeler. Or le Seigneur ajoute : " Mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère contre son frère, méritera d’être condamné par le jugement ". Remarquez dans ces paroles la puissance du législateur ; aucun des anciens n’avait parlé de la sorte, mais ils s’exprimaient ainsi : " Le Seigneur a dit ". Ils parlaient comme des serviteurs qui portent les ordres de leur maître ; Jésus-Christ parle comme le fils qui commande au nom de son père et en son propre nom. Ils annonçaient les ordres de Dieu à ceux qui étaient comme eux les serviteurs de Dieu ; Jésus-Christ imposait ses lois à ses propres serviteurs. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 9, chap. 10). Il y a parmi les philosophes deux opinions sur les passions de l’âme. Les Stoïciens ne veulent pas qu’un sage puisse y être accessible ; les Péripatéciens admettent que le sage peut les éprouver, mais modérées toutefois et soumises à la raison, comme lorsque le sentiment de la compassion est tellement tempéré qu’il sauvegarde les droits de la justice. (Et au commencement du chap. 5). D’après les principes de la doctrine chrétienne, il est moins question de savoir si une âme pieuse peut se livrer au sentiment de la colère ou de la tristesse, que de connaître la source de ces impressions. — S. Chrys. (sur S. Matth). Celui qui se met en colère sans raison est coupable ; si sa colère est motivée, il cesse de l’être, car sans cette irritation légitime, la doctrine ne fait aucun progrès ; la justice n’a point de stabilité ; les crimes ne sont point réprimés. Celui donc qui ne se met pas en colère lorsqu’il le doit, commet une faute, car la patience qui est déraisonnable devient la source de tous les vices, nourrit la négligence, et porte directement au mal, non-seulement les mauvais, mais les bons eux-mêmes.

S. Jér. Dans quelques exemplaires, on lit ces mots : sans cause, mais dans les plus exacts, la pensée est claire, et la colère est tout à fait défendue, car s’il nous est ordonné de prier pour nos persécuteurs, quelle occasion nous reste-t-il de nous mettre en colère ? Il faut donc supprimer cette addition : " Sans cause ", car " la colère de l’homme n’opère pas la justice de Dieu ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Cependant la colère qui a une cause légitime n’est pas colère, mais jugement, car la colère proprement dite est une émotion produite par la passion. Or, lorsque la colère a une cause raisonnable, elle n’est plus le fruit de la passion, et alors ce n’est plus de la colère, mais du jugement. — S. Aug. (liv. 1 des Rétract., chap. 19). Nous disons encore qu’il faut considérer attentivement ce que c’est que la colère contre son frère, car ce n’est pas se mettre en colère contre son frère que de s’irriter du mal qu’il a commis. Celui-là donc se met en colère sans raison, qui s’emporte contre son frère et non contre le péché dont il s’est rendu coupable. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 14, chap. 5). Aucun homme raisonnable ne blâmera qu’on se mette en colère contre son frère pour le ramener au bien. Ces mouvements qui sont produits par l’amour de la vertu et par la sainte charité ne doivent pas être considérés comme des vices, puisqu’ils sont conformes à la droite raison. — S. Chrys. (sur S. Matth). D’ailleurs je pense que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne parle pas ici de l’irritation qui vient du sang, mais de la colère qui a sa source dans l’âme, car on ne peut commander au sang de ne pas se troubler. Lorsque donc un homme irrité ne cède pas aux inspirations de la colère, ce n’est pas l’âme, c’est l’homme extérieur et sensible qui est irrité. — S. Aug. Dans cette première partie, il n’est question que d’une seule chose, de la colère ; dans la seconde, le Sauveur condamne à la fois la colère et les paroles qui en sont l’expression : " Celui ", continue-t-il, " qui dira à son frère : Raca, méritera d’être condamné par le conseil ". Il en est qui veulent tirer du grec l’étymologie de ce mot raca, et comme racos (?????) en grec signifie haillons, ils en concluent que ce mot veut dire : couvert de haillons. Mais il est plus probable que ce mot n’a aucune signification déterminée, et qu’il exprime simplement le mouvement d’une âme pleine d’indignation. Les grammairiens appellent ces sortes de mots interjections, comme lorsqu’un homme dans la douleur s’écrie : hélas ! — S. Chrys. (homél. 16). Ou bien raca est un terme de mépris et de dédain ; cette locution correspond à celle dont nous nous servons en parlant à nos serviteurs ou à des personnes plus jeunes que nous : " Va-t’en toi, va le lui dire, toi ". C’est ainsi que le Seigneur veut déraciner jusqu’aux moindres effets de la colère, et qu’il nous ordonne d’avoir les uns pour les autres les plus grands égards. — S. Jér. Ou bien raca est un mot hébreu qui signifie sans valeur, esprit vide et qui équivaut à cette expression injurieuse : sans cervelle que nous n’oserions employer. C’est avec intention qu’il ajoute : " Celui qui dira à son frère ". Car nul ne peut être notre frère sans avoir le même père que nous. — S. Chrys. (sur S. Matth). C’est une indignité de dire à un homme qu’il n’a rien en lui, alors que son âme est le temple de l’Esprit saint. — S. Aug. La troisième partie de ce précepte comprend trois choses, la colère, les paroles qui la manifestent, l’outrage qu’elles expriment : " Celui qui dira à son frère vous êtes un fou, sera passible du feu de l’enfer ". — S. Aug. (serm. sur la mont). Il y a donc divers degrés dans ces péchés que la colère nous fait commettre : le premier est de se mettre en colère, tout en comprimant le mouvement de la colère dans son cœur ; si l’agitation intérieure se trahit par une parole qui ne signifie rien, mais dont l’éclat seul atteste l’irritation de l’âme, il y a un degré de plus que dans la colère dont le mouvement est réprimé par le silence. Mais on est bien plus coupable encore si l’on s’emporte à des paroles évidemment outrageantes. — S. Chrys. (sur S. Matth). De même qu’on ne peut appeler esprit vide celui qui possède l’Esprit saint, on ne peut appeler insensé celui qui connaît Jésus-Christ. Mais si le mot raca a le même sens que vide, c’est donc une même chose de dire, insensé et raca. Oui, mais ces deux mots diffèrent dans l’intention de celui qui les profère : le mot raca chez les Juifs était une expression en usage qu’ils employaient non pas sous l’impression de la colère ou de la haine, mais par un vain mouvement de présomption plutôt que par un sentiment de colère. Mais si la colère n’y a aucune part, pourquoi est-ce un péché ? Parce que c’est une expression qui favorise la dispute plutôt que l’édification, car si nous ne devons pas prononcer même une bonne parole, à moins qu’elle ne soit utile, combien plus devons-nous nous interdire ce qui est tout à fait mal en soi ?

S. Aug. (serm. sur la mont). Voici donc trois degrés de culpabilité qui nous rendent passibles du jugement, du conseil, du feu de l’enfer, et par lesquels le Sauveur nous fait monter de ce qui est léger à ce qui est plus grave. Dans le jugement, en effet, on peut encore se défendre ; mais au conseil, il appartient de prononcer la sentence définitive, après que les juges ont conféré entre eux sur le châtiment qu’ils doivent infliger au coupable ; dans la géhenne du feu, la condamnation est certaine aussi bien que le châtiment de celui qui est condamné. On voit donc la différence qui existe entre la justice des pharisiens et celle de Jésus-Christ : d’un côté l’homicide seul rend passible du jugement, de l’autre il suffit d’un simple mouvement de colère qui est le plus faible des trois degrés dont nous avons parlé. — Rab. Par le mot de géhenne, le Sauveur veut exprimer ici les tourments de l’enfer. On croit que ce nom vient d’une vallée consacrée aux idoles, près de Jérusalem, qui était remplie de cadavres, et que Josias livra à la profanation, comme nous le lisons au livre des Rois (4 R 23, 10). — S. Chrys. (hom. 10). C’est pour la première fois que le Sauveur prononce le mot d’enfer, et il ne le fait qu’après avoir parlé de son royaume, pour nous apprendre que l’un est un don de son amour, tandis que l’autre n’est que la punition de notre négligence et de notre lâcheté. Il en est beaucoup qui regardent comme trop sévère cette peine infligée pour une seule parole ; aussi quelques-uns voudraient-ils ne voir ici qu’une hyperbole. Mais je crains qu’en nous abusant ici-bas sur le sens des paroles, nous ne nous réservions en réalité le dernier supplice dans l’autre vie. Ne regardez donc pas ce châtiment comme excessif, car les paroles sont pour la plupart des hommes le principe de leurs crimes et de leurs châtiments. Que de fois, en effet, des paroles légères ont conduit à l’homicide ou à la destruction de villes entières ! Et d’ailleurs estimez-vous donc une faute légère que de traiter son frère de fou, et de le dépouiller ainsi de la prudence, de l’intelligence, qui nous font ce que nous sommes, et nous distinguent des animaux sans raison. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien il sera passible du conseil, c’est-à-dire qu’il fera partie de ce conseil qui s’est déclaré contre le Christ, interprétation qui est celle des Apôtres dans leurs canons. S. Hil. (Can. 4). Ou bien celui qui traite d’esprit vide son frère qui est rempli de l’Esprit saint, méritera d’être traduit devant le conseil des saints, qui, devenus ses juges, lui feront expier par une sentence sévère l’outrage qu’il a fait à l’Esprit saint. — S. Aug. (serm. sur la mont). On me demandera peut-être quel supplice plus grave est réservé à l’homicide, si le simple outrage est puni par le feu de l’enfer ; je répondrai qu’il faut admettre divers degrés dans les supplices de l’enfer. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien le jugement et le conseil sont des peines de la vie présente, et l’enfer le châtiment de la vie future. Jésus donne le jugement pour châtiment à la colère, pour montrer que s’il n’est pas possible à l’homme d’être tout à fait sans passions, il est en son pouvoir de leur mettre un frein ; et la raison pour laquelle il n’assigne pas à la colère de châtiment déterminé, c’est qu’il ne veut point paraître l’interdire entièrement. Il met ici le conseil par allusion au grand conseil des Juifs, pour ne point passer toujours pour un novateur.

S. Aug. (serm. sur la mont). Dans ces trois sentences, il faut faire attention aux mots qui sont sous-entendus. La première est complète et ne laisse rien à désirer : " Celui qui se met en colère " (sans cause selon quelques-uns) ; dans la seconde : " Celui qui dit à son frère : raca ". il faut sous-entendre sans cause ; et dans la troisième : " Celui qui dira : Vous êtes un insensé ", il faut sous-entendre : " à son frère et sans cause ? " C’est ainsi qu’on justifie l’Apôtre d’avoir appelé insensés (Ga 3, 3) les Galates qu’il nomme ses frères, parce qu’il ne l’a pas fait sans raison.

 

vv. 23-24.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 10 ou 20). S’il n’est pas permis de se mettre en colère contre son frère, ni de lui dire raca ou vous êtes un fou, à plus forte raison est-il défendu de conserver quelque chose contre lui dans son cœur, et de laisser changer en haine le premier mouvement d’indignation. Aussi le Sauveur ajoute : " Si vous présentez votre offrande à l’autel, et que vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous ". — S. Jér. Il ne dit pas : " Si vous avez quelque chose contre votre frère ", mais " si votre frère a quelque chose contre vous ", pour vous montrer combien est sévère et pressante la nécessité de la réconciliation. — S. Aug. (serm. sur la mont). Notre frère a quelque chose contre nous, lorsque nous l’avons offensé ; nous avons quelque chose contre lui, lorsque nous sommes nous-mêmes les offensés. Dans ce dernier cas, nous n’avons pas à provoquer une réconciliation, vous n’irez pas en effet demander pardon à celui qui vous a outragé, il suffit que vous lui pardonniez, comme vous désirez que Dieu vous pardonne les fautes que vous avez commises. — S. Chrys. (sur S. Matth). Si c’est lui qui vous a offensé, et que vous fassiez les premières avances, votre récompense sera grande. — S. Chrys. (hom. 16) Si toutefois la charité fraternelle est un motif insuffisant de réconciliation pour quelques-uns, qu’ils songent au moins à ne pas laisser leur oeuvre imparfaite surtout dans le lieu saint : " Laissez-là votre offrande devant l’autel, ajoute-t-il, et allez vous réconcilier avec votre fière ". — S. Grég. (sur Ezéchiel). Dieu ne veut donc pas recevoir le sacrifice des chrétiens divisés entre eux. Jugez de là quel grand mal est la discorde, puisqu’elle force Dieu de rejeter le moyen qu’il nous a donné pour effacer nos péchés.

S. Chrys. (sur S. Matth). Voyez la grandeur de la miséricorde de Dieu, il préfère notre propre utilité aux honneurs qui lui sont dus ; l’union des fidèles lui est plus chère que leurs offrandes ; tant qu’ils sont divisés entre eux, ni leurs sacrifices ne sont acceptés, ni leurs prières exaucées. On ne peut être l’ami intime de deux personnes ennemies entre elles, et Dieu lui-même ne veut pas être l’ami des fidèles, tant qu’ils demeurent ennemis les uns des autres. Nous ne pouvons donc rester fidèles à Dieu, en aimant ses ennemis, en détestant ses amis. Or la réconciliation doit être de même nature que l’offense qui a précédé. S’est-elle bornée à une simple pensée, réconciliez-vous intérieurement ; avez-vous offensé votre frère par des paroles injurieuses, réconciliez-vous par des paroles charitables ; avez-vous été jusqu’à des actes outrageants, opposez-leur pour vous réconcilier des actes contraires, car la pénitence et la réparation doivent avoir le même caractère que le péché qui a été commis. — S. Hil. (can. 4). La paix étant assurée avec le prochain, le Sauveur nous ordonne de reprendre l’oeuvre de la paix avec Dieu ; il veut que nous nous élevions de l’amour de nos frères jusqu’à l’amour de Dieu, et c’est pour cela qu’il ajoute : " Alors vous viendrez offrir votre don ".

S. Aug. (serm. sur la mont). Si cette recommandation doit être prise au littéral, on est fondé à croire qu’elle n’est possible qu’autant que notre frère est présent, car ce n’est pas une chose qu’on puisse traîner en longueur, puisqu’on vous commande de laisser votre offrande devant l’autel. Or, si cette pensée vous vient lorsque votre frère est absent, et ce qui peut arriver, au delà des mers, il serait absurde de croire qu’il faille laisser le sacrifice devant l’autel pour le continuer après avoir parcouru les terres et les mers. Nous sommes donc obligés de recourir au sens spirituel et caché de ces paroles pour échapper à une pareille absurdité. Ainsi nous pouvons entendre spirituellement l’autel de la foi, car quelque offrande que nous puissions faire à Dieu, science, prière ou toute autre chose, elle ne peut lui être agréable sans avoir la foi pour appui. Si donc vous vous êtes rendus coupables de quelque offense envers votre frère, il vous faut aller au-devant de la réconciliation, non par les pas du corps, mais par l’élan du cœur. C’est là que vous devez vous prosterner aux pieds de votre frère dans un profond sentiment d’humilité, en présence de celui à qui vous devez offrir votre sacrifice. C’est ainsi qu’agissant en toute sincérité, vous pourrez apaiser votre frère et lui demander votre pardon, comme s’il était présent. Vous reviendrez ensuite, c’est-à-dire vous ramènerez votre intention sur l’oeuvre que vous aviez commencée, et vous offrirez votre sacrifice.

 

v. 25.

S. Hil. (can. 4). Le Seigneur ne veut pas qu’il y ait un seul instant de notre vie où ne nous professions un vif amour pour la paix. Il nous commande donc de nous réconcilier au plus tôt avec notre ennemi, tandis que nous sommes dans le chemin de la vie, afin de ne pas arriver au moment de la mort sans avoir fait la paix : " Accordez-vous promptement avec votre adversaire, nous dit-il, pendant que vous êtes en chemin avec lui, de peur que votre adversaire ne vous livre au juge. — S. Jér. Dans le grec, au lieu du mot consentiens (qui est d’accord), qui se trouve dans les exemplaires latins, ou lit : ??????, bienveillant.

S. Aug. (serm. sur la mont). Examinons quel est cet adversaire que Dieu nous ordonne de traiter en ami : c’est ou le démon, ou l’homme, ou la chair, ou Dieu, ou son commandement. Quant au démon, je ne vois pas comment nous serions obligés de lui témoigner de la bienveillance ou du bon accord ; car la bienveillance suppose l’amitié, et personne n’oserait dire que nous devions rechercher celle du démon. Nous serait-il plus avantageux de faire la paix avec celui à qui nous avons renoncé et déclaré par là même une guerre éternelle ? Enfin, aucun accord n’est possible avec celui qui ne nous a plongés dans tous nos malheurs que par l’union qui existait entre nous et lui. — S. Jér. Il en est cependant qui prétendent que le Sauveur nous ordonne de nous montrer bienveillant pour le démon, en ne l’exposant point aux nouveaux supplices que Dieu lui inflige pour nous, disent-ils, toutes les fois que nous consentons à ses funestes inspirations. Quelques autres avancent avec plus de réserve que chacun de nous, en renonçant au démon dans le baptême, contracte un engagement avec lui. Si nous sommes fidèles à cet engagement, nous sommes, avec notre adversaire, dans les termes voulus de la bienveillance et du bon accord, et nous n’avons pas à craindre d’être jetés dans la prison.

S. Aug. (serm. sur la mont). Je ne vois pas non plus comment admettre que nous serons livrés à notre juge par un homme, alors que ce juge est le Christ devant le tribunal duquel nous devons tous comparaître. Comment cet homme pourrait-il vous remettre entre les mains de votre juge, lui qui doit comparaître lui-même devant son tribunal ? En supposant même qu’un homme devienne l’adversaire de son frère en lui donnant la mort, il ne lui est plus possible de faire la paix avec lui dans le chemin, c’est-à-dire pendant cette vie, et cependant le repentir pourra guérir son âme. Je comprends beaucoup moins encore qu’on nous ordonne de nous mettre d’accord avec la chair, car ce sont surtout les pécheurs qui vivent en parfait accord avec elle. Ceux, au contraire, qui la réduisent en servitude, ne s’accordent pas avec la chair, mais la forcent de s’accorder avec eux. — S. Jér. Comment d’ailleurs la chair serait-elle condamnée à la prison pour avoir été en désaccord avec l’âme, puisque l’âme et la chair seront punies du même supplice, et que la chair ne fait qu’obéir aux ordres de l’âme.

S. Aug. (serm. sur la mont). Peut-être est-ce avec Dieu qu’il nous est ordonné de nous mettre d’accord, car le péché nous sépare de lui, et il devient notre adversaire en nous résistant, selon cette parole : Dieu résiste aux superbes (1 P 5 ; Jc 4, 6 ; Pv 3, 34). Tout homme donc qui, pendant cette vie, ne se sera pas réconcilié avec Dieu par la mort de son Fils, sera livré par lui au juge, c’est-à-dire au Fils à qui le Père a donné tout jugement. Mais comment peut-on dire avec quelque raison que l’homme se trouve dans le chemin avec Dieu, si ce n’est parce que Dieu est partout ? Éprouvons-nous quelque difficulté à dire que les impies sont avec Dieu, qui est partout, comme à dire que les aveugles sont avec la lumière qui les environne ? Il ne nous reste plus qu’à voir dans cet adversaire le commandement de Dieu, qui se montre contraire à ceux qui veulent pécher. Ce commandement nous a été donné pour nous diriger dans le chemin de la vie ; il ne faut point tarder à nous accorder avec lui, en le lisant, en l’écoutant avec attention, en lui donnant sur nous une souveraine autorité. Si nous comprenons en partie ce précepte, nous ne devons pas le haïr, parce qu’il est contraire à nos péchés, mais nous devons l’en aimer davantage, parce qu’il nous fait rentrer dans le devoir et prier Dieu de nous révéler ce qui lui reste d’obscur pour nous.

S. Jér. Cependant les antécédents démontrent avec évidence, ce nous semble, que le Seigneur veut nous parler ici de l’union produite par la charité fraternelle, puisqu’il est dit plus haut : " Allez vous réconcilier avec votre frère ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Le Seigneur nous presse de nous hâter pendant cette vie de rechercher l’amitié de nos ennemis, car il sait quel danger nous courons, si l’un d’eux vient à mourir avant que nous ayons fait la paix avec lui. Si la mort vous surprend et que vous paraissiez devant votre juge dans cet état d’inimitié, votre ennemi vous livrera au Christ et vous convaincra de crime devant son tribunal. Vous eût-il demandé d’abord comme une grâce de vous réconcilier, il ne laissera pas de vous livrer entre les mains du juge, car celui qui prie son ennemi de lui accorder la paix augmente sa culpabilité aux yeux de Dieu. — S. Hil. Ou bien votre adversaire vous livrera au juge, parce que cette haine secrète que vous faites peser continuellement sur lui, sera votre accusateur devant Dieu. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ce juge, à mon avis, c’est le Christ, car le Père a donné tout jugement au Fils (Jn 5, 23). Le ministre, c’est l’ange de la justice de Dieu ; " Et les anges, dit l’Évangéliste, le servaient " (Mt 4). Nous croyons en effet qu’au jour du jugement les anges formeront son cortège. Voilà pourquoi il ajoute : " Et que le juge ne vous livre au ministre ".
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore ce ministre, c’est l’ange redoutable du châtiment, et c’est lui qui vous enverra dans le cachot de l’enfer signifié par ces paroles : " Et vous serez jeté en prison ". — S. Aug. (serm. sur la mont). La prison, ce sont les peines des ténèbres, et, dans la crainte que vous ne méprisiez ce supplice, il ajoute : Je vous le dis en vérité, vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole ". — S. Jér. L’obole est une pièce de monnaie qui vaut environ deux liards, la plus petite espèce de monnaie, et ces paroles du Sauveur veulent dire : " Vous n’en sortirez pas que vous n’ayez expié vos fautes les plus légères ". — S. Aug. Ou bien Notre-Seigneur emploie ces expressions pour nous marquer que rien ne reste impuni ; c’est ainsi que nous disons d’une chose exigée jusqu’à la rigueur, qu’on a été jusqu’à la lie. Ou bien cette dernière obole signifie peut-être les péchés de la terre, car la terre est la quatrième et la dernière partie des éléments de ce monde. Ces paroles : " Que vous n’ayez payé " signifient la peine éternelle, et l’expression jusqu’à ce que doit être prise dans le même sens que dans cette autre phrase : " Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied " ; car il est évident que son règne ne cessera pas lorsque ses ennemis lui seront soumis. " Vous n’en sortirez pas que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole ", ce qui n’arrivera jamais, car on y paiera tout, jusqu’à la dernière obole, tant que dureront les peines éternelles dues aux péchés qui ont été commis sur la terre.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, si vous faites votre paix en ce monde, vous pourrez recevoir le pardon des plus grands crimes, mais si vous êtes une fois condamné et jeté en prison, vous serez puni, non-seulement pour vos fautes les plus graves, mais pour une seule parole oiseuse qui peut être signifiée par cette obole dont il est ici parlé. — S. Hil. La charité couvre la multitude des péchés ; nous paierons donc jusqu’à la dernière obole si, à l’aide de cette divine charité, nous n’acquittons pas les dettes de nos péchés.

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, par cette prison, on peut entendre les angoisses de ce monde auxquelles Dieu condamne ceux qui se livrent habituellement au péché. — S. Chrys. (hom. 16). On peut dire enfin qu’il est ici question des juges de la terre, du chemin qui conduit à leur tribunal et des prisons d’ici-bas, car Notre-Seigneur veut produire la persuasion dans ceux qui l’écoutent, non-seulement par les choses de l’éternité, mais aussi par celles du temps, qui sont devant nos yeux et de nature à nous impressionner davantage. C’est dans ce sens que saint Paul disait " Si vous avez mal fait, craignez le pouvoir, car ce n’est pas sans raison qu’il est armé du glaive ".

 

vv. 27-28

S. Chrys. (hom. 17 sur S. Matth). Le Sauveur procède par ordre et après avoir développé le premier précepte : " Vous ne tuerez pas " ; il passe au second : " Vous savez qu’il a été dit aux anciens : " Vous ne commettrez pas d’adultère ".

S. Aug. (Des dix cordes, chap. 3, 9, 10). C’est-à-dire vous ne vous approcherez pas d’une autre que de votre épouse. Vous exigez de votre épouse qu’elle observe fidèlement cette loi et vous ne l’observeriez pas à son égard, vous qui devez lui être supérieur en vertus ? Il est honteux pour un homme de dire : Cela m’est impossible. Comment, ce que la femme peut faire, l’homme ne le pourrait pas ? Et ne dites pas : Je n’ai pas d’épouse, je vais trouver une courtisane, et je ne viole pas le précepte qui défend l’adultère ; car vous savez ce que vous valez, vous savez ce que vous mangez et ce que vous buvez, ou plutôt vous savez quel est celui qui devient votre nourriture et votre breuvage. Abstenez-vous donc de toute fornication. Par la fornication et par les débordements du libertinage, vous dégradez l’image de Dieu que vous portez en vous-même. Aussi le Seigneur qui sait ce qui vous est utile, vous commande de ne point laisser écrouler sous les coups dissolvants des voluptés criminelles son temple qu’il a commencé d’élever dans votre âme.

S. Aug. (contre Fauste, 19, 23). Mais comme les Pharisiens pensaient que la seule union charnelle avec la femme d’autrui était défendue sous le nom d’adultère, le Seigneur leur apprend que le désir seul de cette union était un véritable adultère : " Mais moi je vous dis que quiconque aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. Quant à ce commandement de la loi : " Vous ne désirerez pas la femme de votre prochain ", (Ex 20, 17 ; Dt 5, 21) les Juifs l’entendaient de l’enlèvement de la femme d’autrui, et non de l’union charnelle.

S. Jér. Il y a cette différence entre la véritable passion et le premier mouvement qui la précède, que la passion est regardée comme un vice réel, tandis que ce premier mouvement, sans être entièrement innocent, n’a cependant pas un caractère aussi criminel. Celui donc qui, à la vue d’une femme, sent un mauvais désir effleurer son âme, éprouve les premières atteintes de la passion ; s’il donne son consentement, la passion naissante se change en passion consommée, et ce n’est pas la volonté de pécher qui manque à cet homme, c’est l’occasion. Ainsi, quiconque voit une femme pour la convoiter, c’est-à-dire la regarde dans l’intention de faire naître ce désir criminel et de chercher à l’accomplir a commis en toute vérité l’adultère dans son cœur. — S. Aug. (serm. sur la mont., 12 ou 13) Trois choses concourent à la consommation du péché, la suggestion, la délectation, le consentement. La suggestion vient de la mémoire ou des sens. Si l’on trouve du plaisir dans l’idée de la jouissance, il faut réprimer cette délectation criminelle ; si l’on y consent, le péché est complet. Cependant, avant le consentement, la délectation est nulle ou légère, c’est un péché d’y consentir lorsqu’elle est illicite ; si elle va jusqu’à la consommation de l’acte, il semble que la passion soit rassasiée et comme éteinte. Mais que la suggestion revienne de nouveau, la délectation renaît plus vive, bien qu’elle soit moindre que celle qui se change en habitude, et qu’il est très difficile de vaincre.
 

S. Grég. (Moral., liv. 21). Celui dont les yeux s’égarent sans précaution sur les objets extérieurs, tombe presque toujours dans la délectation du péché, et comme enchaîné par ses désirs, il finit par vouloir ce qu’il ne voulait pas. C’est de tout son poids, et il est bien lourd, que la chair nous entraîne vers les choses basses, et une fois que notre cœur est lié à cette image de la beauté que les yeux lui ont transmise, les plus grands efforts suffisent à peine pour l’en arracher. Il nous faut donc veiller sur nous, et songer que nous ne devons pas regarder ce qu’il nous est défendu de désirer. Voulons-nous conserver à notre cœur la pureté de ses pensées, détournons les yeux de toute image voluptueuse et sensuelle, sans quoi ils nous entraîneront infailliblement au crime.

S. Chrys. (hom. 17). Si vous voulez fixer continuellement vos regards sur de beaux visages vous serez pris infailliblement, quand même vous échapperiez au mal deux ou trois fois, car vous n’êtes pas supérieur à la nature humaine. Mais celui qui en regardant une femme, allume dans son cœur une flamme coupable, conserve dans son âme même en l’absence de cette femme, l’image d’actions que la pudeur réprouve, et il finit presque toujours par s’y livrer. Si une femme de son côté, se pare dans l’intention d’attirer sur elle les regards des hommes, elle se rend digne des châtiments éternels, alors même qu’elle n’eût blessé personne de ses funestes coups. En effet elle a composé du poison, quoiqu’elle n’ait trouvé personne pour le boire. Ce que Jésus-Christ dit aux hommes, il le dit également aux femmes, car en parlant au chef, il s’adresse à tout le corps.

 

v. 29.

La glose. Il ne suffit pas seulement d’éviter le péché, il faut encore en faire disparaître l’occasion ; aussi, après nous avoir enseigné à fuir non-seulement l’adultère consommé, mais encore l’adultère intérieur, le Seigneur nous enseigne à retrancher les occasions de péché, en ajoutant : " Si votre oeil droit vous scandalise ".

S. Chrys. (sur S. Matth). Si d’après le roi-prophète, il n’y a aucune partie de notre chair qui soit saine, nous devons retrancher tous les membres de notre corps pour égaler leur châtiment à leur malice. Mais voyons si nous devons entendre ce passage de l’oeil ou de la main du corps. Lorsqu’un homme se convertit à Dieu, il est entièrement mort au péché ; de même l’oeil lorsqu’il renonce aux mauvais regards est affranchi du péché. Mais ce n’est pas la seule difficulté, car que fait l’oeil gauche pendant que l’oeil droit vous scandalise ? Tient-il une conduite différente pour être conservé comme innocent. — S. Jér. Cet oeil droit, cette main droite, signifient donc l’affection que nous avons pour des frères, pour une épouse, pour des parents, pour des proches ; si elle devient pour nous un obstacle à la contemplation de la vraie lumière, nous devons retrancher ces parties si chères de nous-mêmes. — S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43). De même que l’oeil est la figure de la contemplation, la main est la figure de l’action. L’oeil est encore pour nous l’image d’un de nos amis les plus chers ; aussi ceux qui veulent exprimer vivement leur affection disent-ils : Je l’aime comme l’un de mes yeux. Cet ami dont l’oeil est la figure, est un ami de bon conseil, de même que l’oeil sert à nous indiquer le chemin. C’est l’oeil droit probablement, pour faire ressortir la force de l’amitié, car on craint bien davantage de perdre l’oeil droit. Peut-être aussi par l’oeil droit, faut-il entendre l’ami qui nous conseille dans l’ordre des choses divines, et par l’oeil gauche celui qui donne des conseils sur les choses de la terre. Le sens serait donc : Quel que soit celui que vous aimez à l’égal de votre oeil droit, s’il vous scandalise, c’est-à-dire s’il est pour vous un empêchement au véritable bonheur, arrachez-le et jetez-le loin de vous. Or il n’était pas nécessaire de parler de l’oeil gauche qui scandalise, après avoir dit qu’il ne faut pas épargner l’oeil droit. La main droite représente l’ami qui nous aide dans les oeuvres spirituelles, la main gauche celui qui nous prête son concours dans les choses de la vie présente.

S. Chrys. (sur S. Matth). On peut dire aussi que Notre-Seigneur Jésus-Christ veut que nous prenions garde non-seulement de nous exposer au danger personnel de pécher, mais encore de laisser commettre des actions coupables par ceux dont la conduite nous est confiée. Vous avez par exemple un ami qui voit et connaît parfaitement vos affaires, comme votre oeil, ou qui les traite comme votre propre main ; vous apprenez qu’il s’est rendu coupable d’une action honteuse, chassez-le loin de vous, parce qu’il vous scandalise, car nous aurons à rendre compte non-seulement de nos propres fautes, mais encore des fautes du prochain que nous aurions pu empêcher. — S. Hil (Can. 4). C’est donc ici un degré d’innocence plus parfait ; nous devons non-seulement nous abstenir de tout péché personnel, mais encore nous garantir de ceux qui peuvent se commettre autour de nous.

S. Jér. Ou bien encore, comme le Sauveur parle plus haut du désir coupable que peut exciter la vue d’une femme, il prend ici l’oeil pour la pensée et le sentiment qui s’égarent sur divers objets ; la main droite et les autres parties du corps expriment les premiers mouvements de la volonté et de la passion. — S. Chrys. (sur S. Matth). Cet oeil du corps est le miroir de l’oeil intérieur ; le corps a aussi un sens qui lui est propre, c’est l’oeil gauche, et son appétit est figuré par la main gauche. Les facultés de l’âme sont désignées par la droite, parce que l’âme a été créée avec le libre arbitre et sous la loi de justice, pour juger et se conduire avec droiture. Le corps qui n’a pas la liberté en partage, et qui est sous la loi du péché, nous est représenté par la main gauche. Or on ne nous commande pas de retrancher les sensations ou les appétits de la chair, car nous pouvons réprimer ses désirs et ne pas les satisfaire, tandis que nous ne pouvons empêcher la chair de manifester ces désirs. Lorsque de propos délibéré nous pensons, nous voulons le mal, c’est notre sens droit, c’est notre volonté droite qui nous scandalise, et il nous est commandé de les retrancher, ce que nous pouvons faire à l’aide du libre arbitre. Ou bien encore dans un autre sens nous devons nous abstenir de toute bonne action qui devient un scandale pour nous ou pour les autres. Ainsi je fais visite à une femme pour un motif de religion, mon intention est bonne, c’est l’oeil droit. Mais si mes visites trop assidues me font tomber dans le piége du désir, ou deviennent un scandale pour ceux qui en sont témoins, c’est l’oeil droit qui scandalise, c’est le bien qui scandalise, car l’oeil droit c’est le bon regard, c’est la bonne intention, comme la main droite est la bonne volonté. — La Glose. On peut dire encore que l’oeil droit c’est la vie contemplative qui peut devenir un objet de scandale soit en nous jetant dans la paresse ou dans l’orgueil, soit parce que notre faiblesse nous empêche de nous élever jusqu’à la pure vérité. La main droite figure les bonnes oeuvres ou la vie active qui peut nous scandaliser en nous faisant tomber dans le piége que nous tendent la fréquentation du monde et l’ennui des occupations. Que celui donc qui ne peut goûter le bienfait de la vie contemplative ne se laisse pas gagner par la langueur au milieu de la vie active, dans la crainte qu’en se livrant aux occupations extérieures, il laisse se dessécher la douceur intérieure de son âme.

Remi. Mais pourquoi faut-il arracher l’oeil droit ; pourquoi faut-il couper la main droite ? Le Sauveur nous en donne la raison. " Car il vaut mieux pour vous qu’un de vos membres périsse ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Nous sommes les membres les uns des autres, il vaut donc mieux pour nous que nous soyons sauvés sans telle bonne intention, ou sans telle bonne oeuvre que de nous perdre avec toutes ces bonnes oeuvres pour avoir voulu les accomplir toutes sans exception.

 

vv. 30-32.

La Glose. Le Sauveur venait d’enseigner que l’on ne devait pas désirer la femme de son prochain ; il défend ici de renvoyer sa propre épouse : " Il a été dit : Quiconque renvoie son épouse doit lui délivrer un acte de répudiation ", etc. — S. Jér. Plus tard le Sauveur expliquera plus à fond ce passage, en faisant voir que si Moïse a commandé aux maris à cause de la dureté de leur cœur de donner un acte de répudiation, ce n’est pas pour légitimer le divorce, mais pour prévenir l’homicide. — S. Chrys. (sur S. Matth). Lorsque Moïse délivra les Israélites de l’Egypte, ils étaient enfants d’Israël par leur naissance, mais Égyptiens par leurs moeurs. Or par suite de ces moeurs idolâtres il arrivait souvent qu’un homme concevait de la haine pour sa femme, et comme il ne lui était pas permis de la renvoyer, il était porté ou à la mettre à mort, ou à la fatiguer de mauvais traitements. Il fit donc une obligation au mari de donner un certificat de répudiation, non comme d’une chose bonne en soi, mais comme d’un remède à un mal plus grand. — S. Hil. (Can. 4). Mais le Seigneur voulant assurer à tous les bienfaits de l’équité, veut qu’elle règne surtout dans l’union conjugale pour la paix des époux ; il ajoute donc : " Et moi, je vous dis que quiconque aura renvoyé son épouse ", etc. etc. — S. Aug. (cont. Faust., 19, 26). Le commandement que fait ici le Seigneur de ne pas renvoyer son épouse, n’est pas contraire aux prescriptions de la loi, comme le prétendent les Manichéens, car la loi ne disait pas : Que celui qui le voudra renvoie son épouse (le contraire alors serait de ne pas la renvoyer). Loin de vouloir le renvoi de la femme par le mari, la loi apportait tous les retards possibles à cette mesure afin que les esprits trop prompts à vouloir le divorce fussent arrêtés par la nécessité de l’acte de répudiation, difficulté d’autant plus grande que chez les Juifs, il n’était permis de faire les actes en langue hébraïque, qu’aux seuls Scribes qui faisaient profession d’une sagesse plus parfaite (cf. Esd 7, 6.21). C’est donc aux Scribes que la loi renvoyait celui qui voulait se séparer de sa femme, en leur ordonnant de donner l’écrit de répudiation, dans l’espérance que leur entremise pacifique ramènerait la concorde entre les deux époux, et que l’acte de répudiation serait inutile, à moins que leurs mauvaises dispositions ne rendissent impossible tout moyen de réconciliation. Notre-Seigneur n’accomplit donc pas ici, en y ajoutant, la loi donnée aux premiers hommes ; il ne détruit pas davantage la loi donnée par Moïse, en lui opposant une loi contraire, comme le disent les Manichéens ; mais il confirme toutes les prescriptions de la loi hébraïque, et tout ce qu’il paraît y ajouter personnellement ne tend qu’à en expliquer les obscurités, ou bien à garantir plus sûrement l’observation de ses prescriptions.

S. Aug. (serm. sur la mont., 25). En cherchant à entraver le renvoi de la femme, Notre-Seigneur a fait comprendre autant qu’il a pu aux hommes les plus durs, qu’il réprouvait le divorce. Pour confirmer ce principe que le renvoi lui-même ne doit pas avoir lieu facilement, il ne lui reconnaît qu’un seul motif, la seule cause de fornication : " Si ce n’est pour cause de fornication ". Quant aux autres peines du mariage, quelque multipliées qu’elles soient, il veut qu’on les supporte avec courage dans l’intérêt de la foi conjugale. — S. Chrys. (sur S. Matth). Si nous sommes obligés de supporter les défauts de ceux qui nous sont étrangers, d’après ces paroles de saint Paul : " Portez les fardeaux les uns des autres ", à combien plus forte raison les défauts de nos épouses ? Or un chrétien doit non-seulement éviter ce qui peut souiller son âme, mais encore ce qui serait pour les autres une occasion de se souiller eux-mêmes, car alors le crime d’autrui viendrait s’ajouter à son propre péché, parce qu’il en a été la cause directe. Celui donc qui en renvoyant son épouse devient une cause d’adultère, en exposant sa femme et celui qui la prend à commettre un double adultère, sera condamné lui-même pour ces mêmes fautes : et c’est pour cela qu’il est dit : " Celui qui renvoie son épouse la fait devenir adultère ". — S. Aug (serm. sur la mont). Plus loin Notre-Seigneur déclare également adultère l’homme qui prend la femme renvoyée par son mari, eût-elle un écrit de répudiation ; " celui : ajoute-t-il, qui prend la femme qui aura été renvoyée, devient adultère ". — S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth). Ne dites donc pas que son mari l’a renvoyée, car même après ce renvoi, elle ne cesse pas d’être son épouse.

S. Aug (serm. sur la mont). L’Apôtre a déterminé les limites de ce précepte en déclarant qu’il a force de loi pendant toute la vie du mari (1 Co 7, 39) ; mais après sa mort, la femme recouvre le droit de se marier. S’il n’est pas permis à une femme de s’unir à un autre du vivant du mari qu’elle a quitté, combien plus lui est-il défendu d’entretenir avec n’importe qui un commerce criminel ? Ce n’est pas d’ailleurs enfreindre le précepte qui défend de renvoyer son épouse que de la garder chez soi en n’ayant avec elle que des relations toutes spirituelles ; car les mariages où la continence est gardée d’un mutuel accord sont les plus heureux. (chap. 16 ou 26). Ici se présente une question : le Seigneur permet au mari de renvoyer son épouse pour cause de fornication ; que faut-il entendre par là ? Est-ce simplement la fornication dont on se rend coupable en se livrant à un commerce infâme ? Ou bien est-ce cette fornication plus générale que les Écritures appliquent à toute corruption criminelle de l’âme, comme l’avarice, l’idolâtrie, et toute transgression de la loi produite par la concupiscence qu’elle condamne ? Or si l’apôtre permet de renvoyer l’épouse infidèle, quoiqu’il soit mieux de ne pas le faire (1 Co 7), et que d’un autre côté le Seigneur n’admette d’autre cause de renvoi que la fornication, l’infidélité est donc une véritable fornication. Mais puisque l’infidélité est une fornication, l’idolâtrie une infidélité, et l’avarice une idolâtrie, nul doute que l’avarice elle-même ne soit une véritable fornication. Et si l’avarice est une fornication, qui pourra ôter à une concupiscence coupable, quelle qu’elle soit, le caractère de fornication ? — S. Aug. (Retract. 1, 19). Je ne veux pas cependant que, dans une matière aussi difficile, le lecteur croie que l’examen que nous venons de faire de cette question doive lui suffire. En effet, tout péché n’est pas une fornication spirituelle, et Dieu ne perd pas tout homme qui l’offense, lui qui exauce tous les jours cette prière de ses Saints : " Pardonnez-nous nos offenses ", tandis qu’il perd celui qui se rend coupable de fornication à son égard (Ps 62, 27). Or est-il permis de renvoyer son épouse pour une fornication de ce genre ? C’est une question fort obscure : Quant à la fornication qui déshonore le corps il ne peut y avoir de difficulté. — S. Aug. (Liv. des 83 Quest., Quest. dern). Si l’on soutient que le Seigneur n’admet d’autre cause de répudiation que la fornication qui consiste dans l’union coupable des corps, on peut dire que cette défense s’applique aux deux époux, de sorte qu’il n’est permis à aucun des deux de se séparer de l’autre, si ce n’est pour cause d’adultère.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 16). La permission que donne ici le Seigneur de renvoyer une épouse coupable d’adultère s’étend encore au renvoi qu’un mari fait de son épouse, au moment où il va être forcé de commettre un adultère : car alors il la renvoie pour cause de double fornication ; pour cause de fornication du côté de son épouse, parce qu’elle s’y est livrée ; pour cause de fornication de son côté, afin de s’en préserver lui-même. — S. Aug. (De la foi et des oeuvres, chap. 16). Un mari peut renvoyer aussi légitimement une femme qui lui dirait : Je ne serai votre épouse qu’à la condition que vous m’enrichirez par le vol, ou qui exigerait des jouissances qui feraient le crime et le déshonneur de son mari. L’homme à qui sa femme tiendra un pareil langage n’hésitera pas, s’il est vraiment chrétien, à retrancher ce membre qui le scandalise. — S. Aug. (serm. sur la mont). Mais c’est une souveraine injustice pour un mari que de renvoyer sa femme pour cause de fornication s’il peut-être convaincu d’être lui-même un fornicateur ; car alors il est sous le coup de ces paroles : " En condamnant les autres, vous vous condamnez vous-même ". Quant à ces autres paroles du Sauveur : " Et celui qui épouse celle que son mari aura quittée commet un adultère ", on peut demander si cette femme est coupable d’adultère au même degré que celui qui l’épouse ; car l’Apôtre lui ordonne de rester sans se marier, ou de se réconcilier avec son mari ; si elle en reste séparée, elle doit demeurer libre de nouveaux liens. Or, il importe beaucoup de savoir si elle a quitté d’elle-même son mari, ou si elle en a été renvoyée. Si c’est elle-même qui s’est séparée de son mari et qu’elle en ait épousé un autre, elle paraît n’avoir agi que par le désir de contracter un second mariage, désir qui est un véritable adultère. Au contraire, a-t-elle été renvoyée par son mari, l’homme et la femme s’unissant d’un commun consentement, on ne voit pas même dans ce cas pourquoi l’un serait adultère, à l’exclusion de l’autre. Ajoutez que s’il y a péché d’adultère pour celui qui s’unit à la femme renvoyée par son mari, c’est elle-même qui le rend adultère, ce qui est formellement défendu par le Seigneur.

 

vv. 33-37

La Glose. Le Seigneur avait défendu précédemment toute injustice contre le prochain, la colère aussi bien que l’homicide, le désir en même temps que l’adultère, et le renvoi de l’épouse avec un acte de répudiation. Il défend maintenant toute injustice contre Dieu, en interdisant non-seulement le parjure comme un mal, mais encore le serment comme pouvant être occasion de péché : " Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : " Vous ne ferez pas de parjure ". On lit en effet dans le Lévitique (Lv 19, 12) : " Vous ne commettrez pas de parjure en mon nom, afin que les hommes ne fussent pas exposés à regarder les créatures comme des dieux. Dieu avait ordonné de faire tous les serments en son nom, et défendu de jurer par les créatures. C’est le sens de ces paroles : " Vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous avez faits " ; c’est-à-dire, s’il vous arrive de faire un serment, vous le ferez au nom du Créateur, et non pas au nom des créatures. C’est ce qui est écrit au Deutéronome (Dt 6, 13) : " Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, et vous ne jurerez qu’en son nom ".

S. Jér. La loi leur fit cette concession comme à un peuple encore dans l’enfance ; elle leur permit de jurer au nom de Dieu, par la même raison qu’ils devaient lui offrir des victimes pour éviter de les immoler aux idoles. Elle ne regardait pas ces serments comme une chose bonne par elle-même, mais elle aimait mieux qu’on les fit au nom de Dieu qu’au nom des idoles. — S. Chrys, (sur S. Matth). L’habitude de faire des serments fait infailliblement tomber dans le parjure, de même que l’habitude de trop parler expose nécessairement à dire des choses déplacées.

S. Aug. (contre Fauste, 19, 22). Comme le parjure est un péché grave, et qu’on y est beaucoup moins exposé en ne jurant pas du tout, qu’en ayant l’habitude d’affirmer la vérité sous serment, le Seigneur a mieux aimé que nous restions dans la vérité sans recourir au serment, que de nous exposer au parjure en jurant même selon la vérité. Aussi ajoute-t-il : " Pour moi je vous dis : Ne jurez pas du tout ". — S. Aug. (serm. sur la mont). En cela il confirme la justice des Pharisiens qui condamnaient le parjure, car on ne se parjure pas quand on ne fait aucun serment. Mais comme jurer c’est prendre Dieu à témoin, il nous faut expliquer comment l’Apôtre n’a point enfreint ce précepte, lui que nous voyons souvent recourir à cette espèce de serment, par exemple : " Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens point en tout ce que je vous écris " ; et encore : " Dieu m’en est témoin, lui que je sers en esprit ". Dira-t-on que le serment qui est défendu consiste à jurer directement par un être quelconque et que l’Apôtre ne jure ici en aucune façon, puisqu’il ne dit point : " Par Dieu ", mais simplement : " Dieu m’est témoin ? " Ce serait là une explication ridicule. D’ailleurs, on doit se rappeler que saint Paul a fait des serments même de cette sorte lorsqu’il a dit : " Je meurs tous les jours par votre gloire, mes frères ". (1 Co 15). Et on ne peut interpréter ces paroles en ce sens : Votre gloire me fait tous les jours mourir, car les textes grecs prouvent à l’évidence que c’est là une véritable formule de serment. S. Aug. (contre le Mens). Il y a dans les paroles de l’Écriture bien des choses que nous ne pouvons comprendre ; la vie des saints nous apprend alors comment nous devons entendre ces passages dont on pourrait facilement détourner le sens, si leurs exemples ne nous en donnaient la véritable signification. Ainsi l’Apôtre, en employant le serment dans ses Epîtres, nous apprend comment nous devons expliquer ces paroles : " Pour moi, je vous dis de ne pas jurer du tout ", dans la crainte qu’en employant le serment on n’y recoure avec trop de facilité, que cette facilité n’entraîne l’habitude, et que l’habitude ne fasse tomber dans le parjure. Aussi ne fait-il usage du serment qu’en écrivant, alors qu’une réflexion plus attentive met en garde contre la précipitation de la langue. Et cependant le Seigneur nous dit de ne point jurer du tout, et il n’a pas fait d’exception en faveur de ceux qui écrivent. Mais comme on ne peut sans crime accuser saint Paul de la violation d’un précepte divin, surtout dans des lettres écrites pour l’édification des peuples, il faut entendre cette expression " pas du tout " dans ce sens : " Autant qu’il vous sera possible ". Vous ne devez ni affecter ni désirer avec un certain plaisir de recourir au serment, comme s’il s’agissait d’une bonne action. — S. Aug. (contre Fauste, 19, 23). L’Apôtre fait usage du serment dans des épîtres où l’attention est plus scrupuleuse ; il ne faut donc pas croire que l’on pèche en jurant pour la vérité, mais comprendre qu’en nous abstenant du serment nous préservons plus sûrement notre fragilité du parjure.

S. Jér. Remarquez enfin que le Sauveur n’a pas défendu de faire des serments au nom de Dieu, mais de jurer par le ciel, par la terre, par Jérusalem et par votre tête. On sait que les Juifs ont toujours eu cette détestable habitude de jurer par les éléments. Or, celui qui jure aime celui au nom duquel il fait serment, et les Juifs qui juraient par les anges, par la ville de Jérusalem, par le temple et par les éléments, rendaient à ces créatures l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu, alors que dans la loi il est ordonné de ne jurer que par le nom du Seigneur notre Dieu. — S. Aug. (serm. sur la mont., 31, 31 ou 17). Notre-Seigneur ajoute peut-être ces mots : " Ni par le ciel ", etc., parce que les Juifs ne regardaient pas comme obligatoires les serments qu’ils faisaient par les choses inanimées ; il leur dit donc : lorsque vous jurez par le ciel et par la terre, n’allez pas croire que vous n’êtes pas redevables à Dieu de vos serments, car vous avez évidemment juré par celui qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied. Ces expressions ne signifient pas évidemment que Dieu repose ses membres dans le ciel et sur la terre, comme lorsque nous nous asseyons nous-mêmes ; le trône de Dieu signifie le jugement de Dieu. Le ciel est sans contredit la plus grande partie de l’univers créé ; on dit donc que Dieu est assis dans les cieux comme s’il y manifestait sa présence par une plus grande magnificence, et qu’il foule la terre aux pieds parce qu’il l’a placée au dernier rang, comme la partie la moins brillante de la création. Dans le sens spirituel, le ciel signifie les âmes saintes, et la terre les pécheurs, parce que l’homme spirituel juge toutes choses (1 Co 2, 15) et que Dieu a dit au pécheur : " Tu es terre et tu retourneras en terre ". D’ailleurs, celui qui veut demeurer dans la loi est nécessairement soumis à la loi, et c’est avec raison qu’il est appelé : " L’escabeau de ses pieds ". Notre-Seigneur ajoute : " Ni par Jérusalem, parce qu’elle est la ville du grand Roi ", expression plus convenable que s’il avait dit : " La ville qui est à moi ", bien qu’il le dise en termes équivalents. Or, comme il est en même temps le Seigneur, c’est donc à lui qu’on est redevable des serments que l’on fait par Jérusalem. Il ajoute enfin : " Vous ne jurerez pas non plus par votre tête ". Que peut-on imaginer qui nous appartienne davantage que notre tête ? Mais comment serait-elle à nous, puisque nous n’avons pas le pouvoir d’en rendre un seul cheveu blanc ou noir ? C’est la raison que donne le Sauveur : " Parce que vous n’en pouvez faire un seul cheveu blanc ou noir ". Celui donc qui veut jurer par sa tête est redevable à Dieu de son serment et ainsi des autres serments de même nature.

S. Chrys. (hom. 17). Remarquez que si le Sauveur relève ainsi les éléments du monde créé, ce n’est pas en vertu de leur excellence naturelle, mais à cause des liens qui les rattachent à Dieu, pour ne point donner lieu à l’idolâtrie. — Rab. Après avoir prohibé le serment, il nous enseigne comment nous devons nous exprimer : " Que votre discours soit : Cela est, cela est, cela n’est pas, cela n’est pas " ; c’est-à-dire, il suffit de dire d’une chose qui est, cela est ; et cela n’est pas, d’une chose qui n’est pas. Peut-être l’affirmation et la négation sont-elles répétées ici deux fois pour nous apprendre à prouver par nos oeuvres la vérité de ce que notre bouche affirme, et à ne point confirmer par nos actes ce que nos paroles auraient nié. — S. Hil. (Can. 4). Ou bien encore, il n’est nul besoin de serment pour ceux qui vivent dans la simplicité de la foi, car avec eux, ce qui est est toujours vrai et ce qui ne l’est pas ne l’est pas, et ainsi tout en eux, parole et action est dans la vérité.

S. Jér. La vérité évangélique n’admet donc pas de serment, puisque toute parole d’un chrétien équivaut à un serment. — S. Aug. (serm. sur la mont). Aussi celui qui comprend que la vérité seule ne suffit pas pour légitimer l’usage du serment, s’il n’est d’ailleurs nécessaire, doit s’imposer un frein pour n’y recourir que dans le cas de nécessité, lorsqu’il voit par exemple des hommes peu disposés à croire des choses qui leur sont utiles, si on ne les affirme sous le serment. Ce qui est bien, ce qui est désirable est exprimé par ces mots : " Contentez-vous de dire : Cela est, cela est, ou cela n’est pas, cela n’est pas, ce qui est de plus vient du mal " ; c’est-à-dire que la nécessité où vous êtes de jurer vient de la faiblesse de ceux que vous voulez persuader, faiblesse qui est un mal. Aussi le Sauveur ne dit pas : " Ce qui est au delà est mal ", car vous ne faites point mal en faisant usage du serment pour persuader à un autre ce qu’il lui importe de savoir, mais " cela vient du mal ", c’est-à-dire de la mauvaise disposition de cet homme dont la faiblesse vous force de recourir au serment ". — S. Chrys. (hom. 12). Ou bien cela vient du mal, c’est-à-dire de l’infirmité de ceux à qui la loi permet de jurer. En s’exprimant de la sorte, Notre-Seigneur ne dit pas que la loi ancienne est l’oeuvre du démon, mais il nous fait passer de l’état ancien si imparfait à une nouveauté bien plus parfaite.

 

vv. 38-42.

La Glose. Après avoir interdit toute injustice contre le prochain, toute irrévérence envers Dieu, le Seigneur nous enseigne comment un chrétien doit se conduire à l’égard de ceux qui lui font quelque injure : " Vous avez appris ce qui a été dit : " oeil pour oeil, dent pour dent (Ex 21, 24 ; Lv 24, 20 ; Dt 19, 21) ". — S. Aug. (contre Fauste, 19, 25). Ce commandement a été donné pour éteindre le feu de ces haines violentes qui éclataient entre des ennemis acharnés les uns contre les autres, et pour mettre un frein à des colères sans mesure. Car quel est celui qui se contente d’une vengeance égale seulement à l’injure qu’il a reçue ? Ne voyons-nous pas au contraire des hommes légèrement offensés tramer le meurtre, avoir soif du sang et trouver à peine de quoi l’assouvir dans les maux dont ils accablent leurs ennemis ? C’est à cette vengeance aussi excessive qu’elle est injuste que la loi a posé de justes bornes en créant la peine du talion, qui mesure rigoureusement le châtiment à l’offense. Le but de cette loi n’est pas de donner une nouvelle force à la fureur, mais de la contenir et de la réprimer ; ce n’est pas de rallumer une flamme assoupie, mais de circonscrire celle qui brûlait déjà. En effet, la vengeance, réglée ici par la justice, ne dépasse pas les droits que l’injure donne à celui qui en est offensé. Il peut céder ce qui lui est dû, et c’est bonté de sa part ; mais il peut le demander sans injustice. Or, comme il y a péché à poursuivre une vengeance sans mesure tandis qu’il n’y en a aucun à ne vouloir qu’une vengeance modérée, il est évident que celui qui refuse toute vengeance est le moins exposé à pécher, et c’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : " Et moi, je vous dis de ne pas résister au mal ". Je pourrais traduire ainsi ces paroles : " Il a été dit aux anciens : Vous ne vous vengerez pas injustement ; pour moi, je vous dis : Ne vous vengez pas (ce qui est vraiment accomplir la loi) ", si ces paroles paraissaient être dans la pensée du Christ un complément de la loi. Mais il est plus naturel de penser qu’il n’a eu d’autre but que celui même que se proposait la loi de Moïse, c’est-à-dire qu’il recommande de ne se venger en aucune manière, afin d’être plus assuré d’observer ce précepte et de ne pas dépasser les bornes d’une légitime vengeance. — S. Chrys. (sur S. Matth). Sans ce nouveau commandement, celui de la loi de Moïse ne peut se soutenir, car si nous usons de cette concession de la loi pour rendre à tous le mal pour le mal, nous deviendrons tous mauvais, parce que ceux qui nous persécutent sont malheureusement très nombreux ; tandis que si, d’après le précepte du Christ, on ne résiste pas au mal, les bons restent bons, quand bien même ils ne pourraient adoucir les méchants. — S. Jér. Le Seigneur, en nous ôtant le droit de nous venger, tranche donc jusqu’à la racine du péché ; dans la loi, la faute est corrigée ; ici, les commencements mêmes du péché sont détruits.

La Glose. On peut dire aussi que par ces paroles le Seigneur ajoute quelque chose à la justice de l’ancienne loi. — S. Aug. (serm. sur la mont). La justice des Pharisiens qui s’appliquait à ne point dépasser la mesure de la vengeance, est une justice imparfaite, et c’est le commencement de la réconciliation et de la paix ; mais la justice parfaite est de s’interdire toute vengeance. Aussi entre cet excès que la loi condamne, de rendre plus de mal qu’on n’en a reçu, et la perfection dont le Sauveur fait un précepte à ses disciples, et qui consiste à ne pas rendre le moindre mal à ceux qui nous en ont fait, nous trouvons ce moyen terme qui ne rend que le mal qu’on a reçu. Et c’est par ce moyen terme que le monde a passé de la plus grande division à l’accord le plus parfait. En effet, si vous prenez l’initiative de l’offense, vous commettez une souveraine injustice ; si, sans avoir commencé, vous tirez de votre ennemi une vengeance supérieure à l’offense, vous n’atteignez pas tout à fait le même degré d’iniquité. Si vous ne rendez que le mal que vous avez reçu, vous vous montrez tant soit peu généreux ; car celui qui a commencé le premier mérite un châtiment supérieur à l’offense dont il s’est rendu coupable. Mais le Sauveur qui est venu accomplir la loi a porté à sa perfection cette justice ébauchée, exempte de sévérité, et où l’on sent déjà la miséricorde. Quant aux deux degrés intermédiaires, il nous les laisse à comprendre. Car il en est qui tirent une vengeance légère pour une grave offense, et c’est par ce degré qu’on arrive à ne pas se venger du tout. Mais c’est trop peu encore pour le Seigneur, il veut que vous soyez disposé à en supporter davantage. Aussi nous recommande-t-il non-seulement de ne pas rendre le mal pour le mal, mais de ne pas résister au mal, etc., c’est-à-dire non-seulement de ne pas rendre le mal qui nous aurait été fait, mais encore de ne pas empêcher celui qu’on voudrait nous faire. C’est ce que signifient ces paroles : " Si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi la gauche ". C’est donc un acte de miséricorde et de condescendance que le Sauveur demande, et c’est ce que comprennent parfaitement ceux qui acceptent d’être comme les serviteurs de personnes qui leur sont chères, par exemple, des enfants, ou de ceux qui sont atteints de frénésie. Que n’ont-ils pas à en souffrir, et si leur bien le demande, ils sont disposés à en supporter encore davantage. Le Seigneur souverain médecin des âmes enseigne donc ici à ses disciples à supporter les infirmités de ceux dont ils veulent sauver les âmes, car toute méchanceté vient de la faiblesse de l’esprit, et personne n’est plus inoffensif que celui qui pratique la vertu dans sa perfection. — S. Aug. (Du mensonge). La conduite que les Saints ont tenue sous la loi nouvelle sert à nous faire comprendre les exemples de l’Écriture qui nous sont présentés sous forme de préceptes, comme lorsque nous lisons dans l’Évangile : " Vous avez reçu un soufflet, présentez l’autre joue " (Lc 6). Nous ne pouvons certainement trouver de plus parfait exemple de patience que l’exemple du Seigneur lui-même : Or lorsqu’il eut reçu un soufflet dans sa passion, il ne dit pas : " Voici l’autre joue ", mais : " Si j’ai mal parlé, faites voir le mal que j’ai dit : et si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? " Cet exemple nous prouve que c’est intérieurement qu’il faut être disposé à présenter l’autre joue. — S. Aug. (serm. sur la mont). En effet, Notre-Seigneur était disposé non-seulement à recevoir un soufflet sur l’autre joue pour le salut des hommes, mais à voir son corps tout entier attaché à la croix. Mais que signifie cette joue droite ? C’est au visage que l’on reconnaît un homme ; être frappé au visage c’est donc d’après l’Apôtre devenir l’objet du dédain et du mépris. Mais on ne peut distinguer le visage en visage droit et en visage gauche, et cependant on peut avoir une double dignité, l’une selon Dieu, l’autre selon le monde, de là cette distinction de joue droite et de joue gauche, distinction qui apprend à tout disciple de Jésus-Christ qui voit mépriser en lui son caractère de chrétien à se montrer disposé à souffrir les mépris qui tomberaient sur les honneurs temporels dont il peut être revêtu. Toutes les offenses auxquelles nous sommes exposés peuvent se diviser en deux classes, les offenses qu’on ne peut réparer, les offenses qui peuvent l’être. Or c’est justement dans les offenses où la réparation n’est pas possible, qu’on cherche ordinairement la consolation de la vengeance. On vous a frappé, à quoi vous sert de rendre le coup que vous avez reçu ? Avez-vous guéri par là la blessure qu’on a pu faire à votre corps ? Non sans doute, il n’y a qu’une âme où la colère déborde qui puisse désirer de pareils adoucissements. — S. Chrys. (sur S. Matth). En rendant à votre ennemi le coup que vous avez reçu, l’avez-vous apaisé et amené à ne plus vous frapper ? Bien au contraire, vous l’avez excité à vous porter de nouveaux coups, car la colère loin de calmer la colère ne sert qu’à l’irriter davantage. — S. Aug. (serm. sur la mont., 10, 19, 20, ou 37, 38). Aussi le Seigneur veut-il que nous supportions cette faiblesse de la colère du prochain dans un vrai sentiment de compassion, plutôt que de chercher dans son châtiment un adoucissement à la nôtre. Et cependant il ne défend pas ici la vengeance qui a pour but la correction du prochain, car elle fait partie de la miséricorde et se concilie très bien avec la disposition de souffrir encore davantage de celui qu’on veut corriger. Celui qui est revêtu du pouvoir légitime doit nécessairement tirer vengeance des crimes commis ; mais il doit le faire avec le cœur d’un père qui ne peut haïr son enfant. De saints personnages ont puni de mort certains crimes pour inspirer aux vivants une crainte salutaire, et alors ce n’était pas la mort qui était préjudiciable à ceux qui étaient punis, mais bien leur péché, qui aurait pu s’aggraver s’ils avaient continué de vivre. C’est ainsi qu’Élie en frappa plusieurs de mort (cf. 3 R 18, 40 ; 4 R 1, 10 ; Lc 9, 54), et les disciples de Jésus-Christ ayant voulu s’autoriser de cet exemple, le Seigneur les reprit, en blâmant non pas l’action du prophète, mais l’ignorance qui les poussait à se venger, et en leur faisant remarquer que ce n’était pas l’amour de la correction fraternelle, mais la haine qui excitait en eux le désir de la vengeance. Mais après même qu’il leur eut enseigné la loi de charité et qu’il eut répandu l’Esprit saint dans leurs âmes, on vit encore de semblables vengeances ; c’est ainsi que la parole de Pierre fit tomber morts à ses pieds Ananie et sa femme, et que l’apôtre saint Paul livra un homme à Satan pour mortifier sa chair. C’est pourquoi je ne puis comprendre le déchaînement aveugle de quelques-uns contre les châtiments corporels que nous voyons dans l’Ancien Testament, dans l’ignorance où ils sont de l’esprit et l’intention qui les a fait infliger.

S. Aug. Quel est l’homme de bon sens qui oserait dire aux rois : " Qu’un de vos sujets choisisse d’être religieux ou impie, cela ne vous regarde pas ? On ne peut leur dire davantage : Que dans votre royaume on soit débauché ou de moeurs pures, vous n’avez pas à vous en occuper ". Sans doute il vaut mieux amener les hommes à la pratique de la religion par l’instruction que par des peines coercitives, mais cependant nous pourrions prouver par l’expérience que pour plusieurs il a été fort utile d’être forcés par la peine ou par la crainte à se faire instruire ou à pratiquer ce qu’on leur avait déjà enseigné. Ceux qui se laissent conduire par l’amour sont évidemment les meilleurs, mais c’est le plus grand nombre qu’on ne ramène que par la crainte. C’est la conduite que Jésus-Christ tient à l’égard de saint Paul : il le dompte d’abord par la force avant de le soumettre par ses divines leçons. — S. Aug. (serm. sur la mont). Un chrétien veut-il observer la juste mesure de vengeance qui lui est ici permise, lorsqu’il a reçu quelque outrage de ce genre, que la haine n’entre pas dans son cœur, qu’il soit disposé à souffrir encore davantage, et qu’en même temps il ne néglige pas de se servir de l’influence du conseil ou de l’autorité pour faire rentrer son frère dans le devoir.

S. Jér. Dans le sens mystique, lorsqu’on nous frappe sur la joue droite, nous devons présenter non pas la joue gauche, mais l’autre joue (cf. Pv 4, 27 ; Qo 10, 2 ; Mt 6, 3), car le juste n’a pas de gauche. Par exemple, si un hérétique nous frappe dans la discussion, et qu’il veuille porter atteinte au sens droit d’une vérité dogmatique, nous devons lui opposer un autre témoignage semblable tiré de l’Écriture.

S. Aug. (serm. sur la mont). Il est un autre genre d’injures qui peuvent se réparer complètement : elles sont de deux espèces, l’une s’attaque à l’argent, l’autre consiste dans les actions outrageantes. C’est de la première des deux dont Notre-Seigneur ajoute : " Si quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre robe, abandonnez lui encore votre manteau ". Or de même que le soufflet reçu sur la joue exprime tous les outrages qui ne peuvent être réparés que par le châtiment, ainsi ce que le Seigneur dit ici du vêtement comprend toutes les injures qui peuvent être réparées sans recourir à la vengeance ; et ce précepte doit s’entendre de la disposition du cœur, et non de ce qu’il faut faire en réalité. Ce qui nous est commandé à l’égard de la tunique ou du manteau, nous devons le faire pour tous les biens temporels dont nous avons le domaine, de quelque manière que ce soit. Car si ce précepte porte sur le nécessaire, à plus forte raison devons-nous abandonner le superflu ? C’est ce que Notre-Seigneur nous enseigne en disant : " Si quelqu’un veut plaider contre vous ". Ces paroles comprennent tout ce qu’on peut nous disputer devant les tribunaux. Mais doit-on y comprendre les esclaves ? C’est une grande question, car un chrétien ne peut assimiler la propriété d’un esclave à la propriété d’un cheval, quoiqu’il puisse se faire que le cheval soit d’un prix plus élevé qu’un esclave. Or si votre esclave trouve en vous un maître plus sage que celui qui désire vous l’enlever, je ne sais qui oserait vous conseiller de ne pas y attacher plus d’importance qu’à votre vêtement.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). C’est une chose indigne qu’un chrétien se présente devant le tribunal d’un juge infidèle. Mais quand même le juge serait chrétien, si vous le mettez dans la nécessité de vous juger, lui qui devait respecter en vous la dignité de la foi, vous perdez à ses yeux pour une affaire temporelle cette dignité dont le Christ vous avait revêtu. D’ailleurs tout procès est une source d’irritation et de pensées coupables, car si vous voyez qu’on veut l’emporter contre vous par l’intrigue ou par l’argent, vous vous empressez de recourir aux mêmes moyens dans l’intérêt de votre cause, et certes ce n’est pas ce que vous vouliez dès le début. — S. Aug. (Enchirid. chap. 78). C’est pourquoi le Seigneur défend ici aux chrétiens tout débat devant les tribunaux pour des affaires temporelles. Si donc l’Apôtre en défendant sous les peines les plus sévères tout appel au tribunal des infidèles permet cependant que les causes entre fidèles soient jugées entre eux, il est évident que c’est une concession qu’il fait à leur faiblesse.

S. Grég. (Moral., 31, 10). Parmi ceux qui nous ravissent nos biens temporels nous devons supporter les uns, mais nous devons nous opposer aux autres, tout en conservant la charité à leur égard. En cela nous ne nous opposons pas seulement à ce qu’ils nous enlèvent ce qui est à nous, mais nous les empêchons de se perdre eux-mêmes en ravissant ce qui ne leur appartient pas ; car nous devons beaucoup plus craindre pour les ravisseurs eux-mêmes, que désirer avidement des biens privés de raison. Or lorsque nous sacrifions la paix avec le prochain à un bien temporel, il est évident que nous aimons ce bien plus que le prochain.

S. Aug. (serm. sur la mont). La troisième espèce d’injures qui consiste dans des actions dommageables est un mélange des deux premières et peut se réparer par le châtiment ou sans le châtiment. Car celui qui contraint méchamment un homme, et le force malgré lui à l’aider, peut porter la peine de sa méchanceté et rendre ce que l’on a fait pour lui. A l’égard de ces injures le Seigneur veut qu’un cœur chrétien se montre rempli de patience et disposé à en souffrir encore davantage, c’est pourquoi il ajoute : " Si quelqu’un veut vous contraindre à faire mille pas avec lui, faites-en deux mille autres encore ", paroles qui exigent beaucoup moins que nous marchions en réalité, que d’être disposés à le faire. — S. Chrys. (hom. 16). Le mot ??????????, angariaverit, veut dire entraîner injustement, et tourmenter sans raison. — S. Aug. (serm. sur la mont). Nous pensons que par ces paroles : " Allez avec lui l’espace de deux autres milles : " Notre-Seigneur a voulu compléter le nombre trois, nombre qui exprime la perfection, pour rappeler à celui qui agit ainsi qu’il fait acte de justice parfaite. C’est pour cela qu’il appuie ce précepte sur trois exemples et que dans le troisième le nombre deux est ajouté à l’unité pour compléter le nombre trois. Ou bien, peut-être, faut-il entendre ici que dans ce précepte, le Seigneur monte par degré de ce qui est plus facile à ce qui est plus parfait. Il vous commande en premier lieu de présenter l’autre joue à celui qui vous frappe sur la droite, c’est-à-dire d’être disposé à supporter un affront moindre que celui que vous avez reçu. A celui qui veut vous prendre votre tunique, il vous commande d’abandonner votre manteau ou votre vêtement, suivant un autre texte ; c’est vous demander de supporter une injure égale, ou de bien peu supérieure à celle qui vous a été faite. Enfin il vous ordonne d’ajouter aux mille premiers pas, l’espace de deux autres mille, c’est-à-dire de faire le double de ce que vous avez fait. Mais comme ce serait peu de ne pas rendre le mal pour le mal, si l’on ne fait positivement le bien, il ajoute : " Donnez à celui qui vous demande ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Nos richesses ne sont pas à nous, mais à Dieu, et il a voulu que nous en soyons les dispensateurs, et non pas les maîtres. — S. Jér. Si nous restreignons au devoir de l’aumône ces paroles du Sauveur, on ne peut l’appliquer à un trop grand nombre de pauvres, car si les riches donnaient constamment, ils ne pourraient donner toujours. — S. Aug. (serm. sur la mont). Le Seigneur nous dit donc : " Donnez à tout homme qui vous demande ", mais non pas à celui qui vous demande toute sorte de choses. Quoi ! vous donneriez de l’argent à celui qui veut s’en servir pour opprimer un innocent ou pour corrompre la vertu d’une femme ! Il ne faut donc donner que ce qui ne peut être nuisible ni pour vous, ni pour un autre, autant que vous pouvez en juger sur la foi de celui qui demande. Et lorsque vous croirez devoir lui refuser ce qu’il demande, expliquez-lui les justes motifs de votre refus. De cette manière il ne s’en ira point sans avoir rien reçu, et en lui faisant comprendre l’injustice de sa demande vous lui aurez donné quelque chose de bien préférable à ce qu’il demandait. — S. Aug. (Lettre 48 à Vincent). Il est plus utile de retirer le pain à celui qui a faim, et qui assuré de sa nourriture négligerait de pratiquer la justice, que de faire de ce morceau de pain dont il a besoin, un moyen de séduction pour le forcer de consentir au mal. — S. Jér. On peut encore entendre ces paroles du trésor de la doctrine, qui ne s’épuise jamais, mais qui se remplit abondamment à proportion de ce qu’on donne.

S. Aug. (serm. sur la mont). Les paroles qui suivent : " Et ne vous détournez point de celui qui veut emprunter de vous " se rapportent aux dispositions de l’âme, car " Dieu aime celui qui donne gaîment ". Tout homme qui reçoit, emprunte, dût-il ne rien rendre, parce que Dieu rend à ceux qui exercent la charité plus qu’ils n’ont donné. Si cependant on ne veut entendre par emprunteur que celui qui reçoit avec l’intention de rendre, il faut dire alors que le Seigneur comprend dans ses paroles ces deux manières de donner, ou le don gratuit, ou le prêt soumis à l’obligation de rendre. Le Seigneur nous exhorte avec raison à ce genre de bienfait, en nous disant : " Ne rejetez point ", c’est-à-dire ne détournez pas votre volonté dans la pensée que Dieu ne vous serait plus redevable, parce que votre débiteur se serait acquitté à votre égard, car ce que l’on fait pour obéir à un précepte divin ne saurait demeurer sans fruit. — S. Chrys. (sur S. Matth). Le Christ nous fait donc un devoir de prêter, mais sans condition d’usure, car celui qui prête à cette condition ne donne pas ce qui est à lui ; il prend ce qui ne lui appartient pas ; il brise un des lieus de l’emprunteur, pour le charger d’un plus grand nombre de chaînes ; il donne, ce n’est point par un principe de justice divine, c’est dans une pensée toute d’intérêt personnel. L’argent qu’on prête à usure est semblable à la morsure d’un aspic, de même que le venin de l’aspic répand secrètement la corruption dans tous les membres, ainsi l’usure fait de tous les biens autant de dettes.

S. Aug. (lettre à Marcellin). On nous objecte que cette doctrine de Jésus-Christ n’est pas compatible avec les moeurs publiques, car qui peut, dira-t-on, se laisser ravir quelque chose par l’ennemi ? qui serait disposé à ne pas exercer contre ceux qui dévastent les provinces romaines les représailles qu’autorise le droit de la guerre ? Nous répondons que ces préceptes de patience doivent toujours se retrouver dans les dispositions de notre cœur, et que cette bonté qui défend de rendre le mal pour le mal doit toujours faire le fond de notre âme. On doit d’ailleurs agir envers ceux qui se refusent aux avances de la charité avec une sévérité pleine de douceur, et qui soit pour eux un châtiment salutaire. Si la société se conduisait d’après les préceptes du christianisme, les guerres elles-mêmes auraient leurs inspirations bienveillantes. On n’y chercherait que l’utilité des vaincus en rétablissant l’union entre l’impiété et la justice, car on gagne à être vaincu quand on perd la liberté de faire le mal. Il n’y a rien, en effet, de plus malheureux que la félicité des pécheurs, car elle alimente l’impunité qui est un châtiment, et fortifie au-dedans de nous cet ennemi intérieur qu’on appelle la volonté du mal.

 

vv. 43-47

La Glose. Le Seigneur nous a enseigné, dans ce qui précède, à ne pas résister à celui qui nous fait tort, mais à nous montrer disposé à en supporter davantage. Il va plus loin, et veut nous apprendre que nous devons aimer même ceux qui nous font du mal et leur prouver notre charité par des effets. Les commandements précédents étaient le complément de la justice légale, ce dernier précepte est l’accomplissement de la charité qui, selon l’Apôtre, est la plénitude de la loi. Voilà la raison de ces paroles du Sauveur : " Vous savez qu’il a été dit : Vous aimerez votre prochain ". — S. Aug. (Doctr. chrét., chap. 30). Le précepte d’aimer le prochain n’admet aucune exception ; c’est ce que nous apprend le Seigneur lui-même dans la parabole de cet homme laissé à demi-mort. Il nous dit que le prochain fut celui qui exerça la miséricorde à son égard, pour nous faire comprendre que notre prochain c’est tout homme à qui nous devons en témoigner dans le besoin. Et qui ne voit que nous ne devons en excepter personne, devant ces paroles : " Faites du bien à ceux qui vous haïssent ? "

S. Aug. (serm. sur la mont). Il y avait un certain degré dans la justice pharisaïque, qui relevait de l’ancienne loi ; la preuve c’est qu’il en est qui détestent même ceux qui les aiment. C’est donc s’élever d’un degré que d’aimer son prochain, tout en haïssant son ennemi, suivant ces paroles : " Et vous haïrez votre ennemi ", paroles qu’il ne faut pas regarder comme un commandement pour le juste, mais comme une condescendance pour le faible. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 19, chap. 24). Je demanderai aux Manichéens pourquoi ils s’obstinent à regarder comme particulier à la loi de Moise ce qui a été dit aux anciens : " Vous haïrez votre ennemi ". Et saint Paul lui-même n’a-t-il pas dit qu’il en est qui sont un objet de haine pour Dieu (Rm 1, 30) ? Il faut donc chercher à comprendre comment nous pouvons haïr nos ennemis à l’exemple de Dieu pour qui certains hommes sont haïssables, et comment nous devons aimer nos ennemis à l’exemple de ce même Dieu qui fait lever son soleil sur les bons et sur les mauvais. La règle que nous devons suivre, c’est de haïr dans un ennemi ce qu’il y a de mal en lui, c’est-à-dire l’iniquité, et d’aimer dans notre ami ce qu’il y a de bon, c’est-à-dire la créature douée de raison. C’est pour avoir entendu sans la comprendre cette parole qui avait été dite aux anciens : " Vous haïrez votre ennemi ", que les hommes étaient portés à se haïr mutuellement les uns les autres, alors qu’ils n’auraient dû haïr que le vice. C’est donc cette erreur que le Seigneur veut corriger lorsqu’il dit : " Pour moi, je vous dis : Aimez vos ennemis ". Il avait dit précédemment : " Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir " ; en nous ordonnant ici d’aimer nos ennemis, il nous force de comprendre comment nous pouvons, dans un seul et même homme, haïr le mal qu’il commet et aimer la nature dont il est revêtu.

La Glose. Remarquons toutefois que dans nul endroit de la loi on ne trouve ces paroles : " Vous haïrez votre ennemi ". Elles sont donc citées comme faisant partie de la tradition des Scribes qui ont cru pouvoir les ajouter, parce que le Seigneur avait commandé aux enfants d’Israël de poursuivre leurs ennemis (Lv 26), et de détruire Amalec de dessous le ciel (Ex 17). — S. Chrys. (sur S. Matth). Ces paroles : " Vous ne convoiterez pas " n’étaient pas adressées à la chair, mais à l’âme ; il en est de même de ce passage. La chair en effet ne peut aimer son ennemi, l’âme le peut, parce que la chair place le principe de l’amour ou de la haine dans les sens ; l’âme, au contraire, dans l’intelligence. Si donc nous avons reçu quelque injure, et que nous en ressentions de la haine, sans vouloir cependant en suivre les inspirations, c’est notre chair qui hait notre ennemi, tandis que notre âme ne laisse pas de l’aimer.

S. Grég. (Moral., 22, 6). Voulons-nous une marque certaine que nous aimons réellement notre ennemi, ne nous attristons pas de sa prospérité, ne nous réjouissons pas de ses malheurs ; ce n’est pas aimer quelqu’un que de ne pas le vouloir dans un état plus prospère, et on fait certainement des voeux contre sa fortune quand on applaudit à sa ruine. Toutefois, il arrive souvent que sans nous faire perdre la charité, la chute d’un ennemi nous cause de la joie, et que sa gloire nous contriste sans que nous lui portions envie, c’est lorsque nous croyons que sa chute sera la cause de l’élévation de plus dignes que lui et que sa prospérité nous fait craindre l’injuste oppression d’un grand nombre. Mais il faut ici une attention extrême pour ne point satisfaire notre haine sous le fallacieux prétexte de l’utilité du prochain. Nous devons également savoir faire la distinction de ce qu’exige de nous la ruine du pécheur et la justice de celui qui le frappe. Lorsque Dieu frappe un homme couvert de crimes, nous devons applaudir à la justice du juge, mais compatir en même temps au malheur de celui qui périt. — La Glose. Les ennemis de l’Église lui font la guerre de trois manières : par la haine, par leurs discours, par les supplices. L’Église, au contraire, leur oppose premièrement l’amour : " Aimez vos ennemis " ; secondement, les bienfaits : " Faites du bien à ceux qui vous haïssent " ; troisièmement, la prière : " Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient ".

S. Jér. Il en est plusieurs qui mesurent les préceptes de Dieu à leur faiblesse et non pas à la force qui fait les saints, et qui regardent ces préceptes comme impossibles. Ils disent qu’il suffit, pour pratiquer la vertu, de ne pas avoir de haine pour ses ennemis, mais que de les aimer c’est commander plus que ne peut la nature humaine. Qu’ils sachent donc que Notre-Seigneur ne commande pas des choses impossibles, mais parfaites. Et n’est-ce pas ce que fit David à l’égard de Saul et d’Absalon ? Le saint martyre Etienne n’a-t-il pas prié pour ceux qui le lapidaient ? Saint Paul n’a-t-il pas voulu être anathème à la place de ses persécuteurs ? N’est-ce pas ce que Jésus enseigne et ce qu’il fit lui-même lorsqu’il dit : " Mon Père, pardonnez-leur ? " — S. Aug. (Enchirid., chap. 73). Mais ce sont là les vertus des enfants de Dieu qui ont atteint la perfection ; c’est vers ce but que tout fidèle doit tendre ; c’est à cette générosité de sentiments qu’il doit élever son âme en priant Dieu, en luttant contre lui-même. Cependant une perfection aussi sublime n’est point le partage d’un aussi grand nombre de personnes que celui dont Dieu, nous le croyons, exauce cette prière : " Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ".

S. Aug. (serm. sur la mont). Une difficulté se présente, c’est qu’un très grand nombre de passages de l’Écriture paraissent contredire ce précepte de prier pour nos ennemis. En effet, on trouve dans les prophéties une multitude d’imprécations contre les ennemis, comme celle-ci : " Que ses enfants deviennent orphelins " (Ps 118, 9). La raison en est que les prophètes prédisent ordinairement l’avenir sous forme d’imprécations. Mais ces paroles de saint Jean offrent encore plus de difficulté : " Il y a un péché qui va à la mort, et ce n’est pas pour ce péché là que je dis qu’il faut prier " (1 Jn 5, 16). Par ce qui précède : " Si quelqu’un sait que son frère a péché, etc. ", le même apôtre nous enseigne clairement qu’il en est pour lesquels nous ne devons pas prier. Le Seigneur, au contraire, nous ordonne de prier pour nos persécuteurs. Cette difficulté ne peut se résoudre qu’en reconnaissant que nos frères peuvent se rendre coupables de péchés plus graves que le crime de la persécution. Ainsi saint Etienne prie pour ceux qui le lapidaient, parce qu’ils ne croyaient pas encore en Jésus-Christ (Ac 7), tandis que saint Paul ne prie pas pour Alexandre parce qu’il était du nombre des fidèles et qu’il avait péché en attaquant par un sentiment d’envie l’union fraternelle (1 Tm 15). Toutefois ce n’est pas prier contre quelqu’un que de ne pas prier pour lui. Mais que dirons-nous de ceux contre lesquels nous savons que des saints ont prié non pas pour leur conversion, c’eût été bien plutôt prier pour eux, mais pour qu’ils fussent livrés à l’éternelle damnation ? Je ne parle pas de la prière que le prophète adressait à Dieu contre celui qui a trahi le Seigneur, c’était une prédiction de l’avenir et non un souhait de condamnation, mais de la prière que nous lisons dans l’Apocalypse (Ap 6) et où les saints martyrs prient Dieu de venger leur sang répandu. — Or, cette prière n’a rien qui doive nous étonner ; car qui oserait affirmer qu’elle est dirigée contre les persécuteurs eux-mêmes et non contre le règne du péché ? Quelle est en effet la vengeance pure des martyrs, vengeance pleine de justice et de miséricorde, c’est de voir détruire l’empire du péché sous lequel ils ont tant souffert ; et ce qui renverse cet empire, c’est tout à la fois la conversion des uns et la damnation des autres qui persévèrent dans le péché. Est-ce que saint Paul, à votre avis, n’a pas suffisamment vengé dans sa personne le martyr saint Etienne, lorsqu’il dit : " Je châtie mon corps et je le réduis en servitude ". — S. Aug. (Quest. sur l’Anc. et le Nouv. Test., chap. 68). Ou bien les âmes de ces victimes crient et demandent vengeance comme le sang d’Abel du sein de la terre, non pas d’une voix matérielle et sensible, mais par la force même des choses. C’est dans ce sens qu’on dit d’une oeuvre, qu’elle loue celui qui l’a faite par cela même qu’elle le réjouit de son seul aspect. Pourquoi d’ailleurs les saints seraient-ils impatients de presser l’exécution d’une vengeance qu’ils savent devoir arriver au temps marqué ?

S. Chrys. (hom. 18). Voyez par combien de degrés le Sauveur nous fait monter et comme il nous établit sur le sommet le plus élevé de la vertu. Le premier degré c’est de ne pas prendre l’initiative de l’injure, le second de ne pas la venger par une injure égale, le troisième de ne pas faire endurer à notre ennemi ce qu’il nous a fait souffrir ; le quatrième de s’exposer soi-même à la souffrance ; le cinquième de donner plus ou de se montrer disposé à faire de plus grands sacrifices que ne le veut notre ennemi ; le sixième de ne pas avoir de haine pour celui qui se conduit de la sorte ; le septième de l’aimer ; le huitième de lui faire du bien ; le neuvième de prier pour lui, et comme c’est là un grand commandement il lui donne pour sanction cette magnifique récompense de devenir semblable à Dieu : " Afin que vous soyez, dit-il, les enfants de votre Père céleste qui est dans les cieux ". — S. Jér. Si celui qui garde les commandements de Dieu devient le fils de Dieu, il ne l’est donc point par nature, mais il le devient par l’effet de sa libre volonté.

S. Aug. (serm. sur la mont., 6, 23 ou 46). Ces paroles doivent s’entendre dans le même sens que ces autres de saint Jean : " Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ". Il n’y a qu’un seul Fils de Dieu par nature ; quant à nous, nous recevons le pouvoir de devenir les enfants de Dieu, lorsque nous accomplissons ses commandements. Aussi ne dit-il pas : " Faites cela, parce que vous êtes les enfants ", mais : " faites-le pour devenir les enfants de Dieu ". En nous appelant à cette sublime dignité, il nous appelle à lui devenir semblables, c’est pour cela qu’il ajoute : " Qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ". Par le soleil, on peut entendre non pas celui qui brille à nos yeux, mais celui dont le prophète a dit : " Le soleil de justice se lèvera sur vous qui craignez le nom du Seigneur " (Ml 4) ; et par la pluie, la rosée que répand dans les âmes la doctrine de la vérité ; parce qu’en effet le Christ s’est manifesté et a été évangélisé aux bons et aux mauvais. — S. Hil. On peut dire aussi que c’est dans le baptême et dans le sacrement qui confère l’esprit, qu’il fait luire ce soleil, et qu’il donne cette pluie. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien encore on peut entendre ces paroles et de ce soleil visible, et de la pluie qui fait croître les fruits ; en effet les méchants dans le livre de la Sagesse font entendre cette plainte : " Le soleil ne s’est pas levé pour nous ", et il est dit de la pluie spirituelle : " Je commanderai à mes nuées de ne pas répandre leur rosée sur elle ". Qu’on admette l’un ou l’autre sens, c’est toujours un effet de la grande bonté de Dieu qu’on nous ordonne d’imiter. Or il ne dit pas simplement : " Il fait lever le soleil " mais, " son soleil ", nous apprenant ainsi avec quelle largesse nous devons donner d’après ce précepte ce que nous n’avons pas créé, mais ce que nous recevons de sa munificence. — S. Aug. (Lettres 48 à Vincent). Mais tout en louant sa libéralité, pensons aux châtiments dont il frappe ceux qu’il aime, et concluons qu’on n’est pas ami parce qu’on épargne la correction ; et qu’on n’est pas ennemi parce qu’on châtie, car il vaut mieux aimer avec sévérité que de tromper avec douceur (Pv 27, 26).

S. Chrys. (sur S. Matth). C’est avec dessein que Notre-Seigneur dit : " Sur les justes ", et non pas " sur les justes comme sur les injustes ", car ce n’est pas à cause des hommes, mais à cause des Saints que Dieu distribue tous ses biens, de même que c’est à cause des pécheurs qu’il inflige ses châtiments sur la terre. Mais dans la distribution des biens, il ne fait pas distinction des pécheurs d’avec les justes, pour ne pas les jeter dans le désespoir ; de même que dans les châtiments qu’il envoie, il ne sépare pas les justes des pécheurs. Cette conduite est d’autant plus équitable que les biens ne sont pas d’une grande utilité aux méchants, qui par leur mauvaise vie, les font tourner à leur perte ; et que les maux loin de causer aucun dommage aux bons servent bien plutôt à leur progrès dans la vertu. — S. Aug. (Cité de Dieu, 1, 8). En effet, l’homme de bien ne se laisse ni enfler par la prospérité, ni abattre par le malheur, tandis que l’adversité devient un châtiment pour le méchant, parce qu’il se laisse corrompre par la bonne fortune. Ou bien encore, Dieu a voulu que les biens et les maux de cette vie fussent communs aux uns et aux autres pour nous ôter le désir trop vif de ces biens que nous voyons les méchants partager avec nous, et la crainte qui nous fait fuir honteusement des maux que les justes eux-mêmes ne peuvent éviter.

La Glose. Aimer celui qui nous aime, c’est un sentiment que la nature inspire ; aimer notre ennemi c’est un acte de pure charité, et c’est ce que le Sauveur exprime par les paroles suivantes : " Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? " (c’est-à-dire au ciel) ; comme s’il disait : Vous n’en aurez aucune, car c’est de vous qu’il est dit : " Vous avez reçu votre récompense ". Cependant il faut accomplir ce premier devoir et ne pas omettre le second. — Rab. Si donc les pécheurs sous la seule inspiration de la nature cherchent à se montrer bienfaisants pour ceux qui les aiment, à combien plus forte raison devez-vous embrasser dans le sein d’un amour plus étendu, ceux mêmes qui ne vous aiment pas. C’est pour cela qu’il vous dit : " Les Publicains ne le font-ils pas ? " c’est-à-dire ceux qui perçoivent les deniers publics ou qui poursuivent les honneurs et les richesses de la terre dans le commerce et dans les affaires du siècle. — La Glose. Si vous priez pour ceux-là seulement qui vous sont unis par les liens du sang ou de l’amitié, en quoi votre charité est-elle supérieure à celle des infidèles ? Il ajoute : " Si vous ne saluez que vos frères " ; (le salut est une espèce de prière), que faites-vous en cela de plus ? Les païens ne le font-ils pas aussi ? — Rab. Les païens sont les Gentils (le mot grec ????? correspond au mot latin gens,) ainsi appelés parce qu ils ont été comme engendrés sous la loi du péché.
 

Remi. Comme la perfection de la charité fraternelle ne peut aller plus loin que l’amour des ennemis, le Seigneur après en avoir imposé le précepte ajoute : " Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait ". Il est parfait comme tout puissant, l’homme devient parfait par le secours du Tout-Puissant. L’expression comme signifie quelquefois dans l’Écriture l’égalité et la vérité, par exemple dans ce passage : " Je serai avec vous, comme j’ai été avec Moïse ". Quelquefois, cette particule n’exprime qu’une simple ressemblance comme dans cet endroit. — S. Chrys. (sur S. Matth). De même que les enfants des hommes portent toujours dans leur corps quelque trait de ressemblance avec leur père ; de même aussi on reconnaît à leur sainteté les enfants spirituels de Dieu.
 

 

 

CHAPITRE VI.

 

v. 1.

La Glose. Le Sauveur après avoir accompli la loi quant aux préceptes, commence à l’accomplir en ce qui concerne les promesses, car il veut que nous observions les commandements de Dieu en vue des récompenses célestes, et non pour les récompenses temporelles que promettait la loi. Or ces récompenses temporelles se rapportent surtout à ces deux points ; la gloire humaine et l’abondance des biens de la terre ; la loi promettait l’une et l’autre ; la gloire en ces termes : " Le Seigneur ton Dieu t’élèvera au-dessus de toutes les nations qui habitent la terre " ; et un peu plus loin la richesse : " Le Seigneur te donnera en abondance toute sorte de biens " ; et c’est pour cette raison que Notre-Seigneur Jésus-Christ exclut l’une et l’autre de l’intention des fidèles.

S. Chrys. (hom. 19). Admettons en principe que le désir de la gloire aime à habiter avec la vertu. — S. Chrys. (sur S. Matth). Dans une action qui a de l’éclat, la vaine gloire trouve plus facilement à se glisser, aussi Notre-Seigneur nous prémunit tout d’abord contre ce danger : il a compris qu’il est mille fois plus pernicieux pour les hommes que tous les vices de la chair : car tandis que toutes les tentations mauvaises assaillent les serviteurs du démon, celle de la vaine gloire attaque de préférence les serviteurs de Dieu. — S. Aug. Or il n’y a que ceux qui ont lutté contre l’amour de la vaine gloire, qui puissent comprendre quelle puissance elle exerce contre nous ; car s’il vous est facile de ne pas désirer la louange qu’on vous refuse, il vous est fort difficile de ne pas vous complaire dans celle qui vous est offerte.

S. Chrys. (hom. 19). Considérez avec attention ses commencements comme si vous aviez à vous prémunir contre une bête féroce difficile à connaître et prête à dépouiller celui qui n’est pas sur ses gardes. Elle se glisse imperceptiblement ; et nous enlève par le moyen des sens tout ce que nous possédons à l’intérieur. — S. Chrys. (sur S. Matth). Aussi Notre-Seigneur nous ordonne d’éviter avec soin ce danger en nous disant : " Prenez garde de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes ". C’est notre cœur qui doit être l’objet de cette vigilance, car le serpent qu’on nous commande de surveiller est invisible, il pénètre secrètement dans notre âme pour nous séduire. Mais si le cœur dans lequel se glisse cet ennemi est pur, le juste reconnaît bientôt qu’il est sollicité par un esprit étranger. Si au contraire le cœur est rempli d’iniquités, il ne se rend pas facilement compte des suggestions du démon. Voilà pourquoi Notre-Seigneur a commencé par dire : " Ne vous mettez pas en colère, ne convoitez pas ", car un homme esclave de ses passions n’est pas capable de veiller sur les mouvements de son cœur. Mais comment est-il possible que nous ne fassions pas l’aumône devant les hommes, et dans cette hypothèse même, comment pourrons-nous y rester insensibles ? Car si un pauvre se présente à nous devant une autre personne, comment lui donner l’aumône en secret, et si vous le tirez à l’écart, c’est un moyen de trahir votre aumône ? Remarquez, que Notre-Seigneur ne dit pas seulement : " Ne faites pas devant les hommes ", mais qu’il ajoute " pour en être considérés ". Celui donc qui n’agit point dans le dessein d’être vu des hommes, bien qu’il agisse en leur présence, n’est pas censé faire des bonnes oeuvres devant les hommes ; car celui qui agit pour Dieu, ne voit dans son cœur que Dieu pour lequel seul il agit ; de même que l’ouvrier a toujours devant les yeux celui qui lui a commandé son travail.

S. Grég. (Moral., liv. 8, chap. 30). Si nous ne cherchons que la gloire de celui qui nous donne la grâce de bien faire, nos oeuvres, même celles que nous faisons en public demeurent secrètes sous la protection de ses regards, mais si dans ces oeuvres nous nous proposons notre propre gloire, elles sont bannies de la présence de Dieu, quand même elles seraient ignorées du grand nombre. C’est l’effet d’une haute perfection de chercher dans les oeuvres faites en public la gloire de l’auteur de tout bien, et de ne pas se complaire intérieurement dans la gloire individuelle qui peut nous en revenir. Mais comme les âmes encore faibles ne sont pas capables de ce parfait mépris qui nous fait triompher de la vaine gloire, ils doivent s’appliquer à dérober aux regards des hommes le bien qu’ils font.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 2 ou 3). En disant : " Pour être vus par eux ", sans rien ajouter, Notre-Seigneur nous défend évidemment de placer dans l’opinion des hommes la fin de nos bonnes oeuvres. Car l’apôtre qui d’un côté fait entendre ces paroles : " Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais plus le serviteur de Jésus-Christ ", dit ailleurs : " Je m’efforce de plaire à tous en toutes choses ". Or s’il agissait ainsi, ce n’était pas pour plaire aux hommes, mais à Dieu, et pour convertir à son amour les cœurs des hommes par là même qu’il leur était agréable ; de même qu’un homme pourrait dire avec raison : je cherche un navire, toutefois ce n’est pas le navire que j’ai en vue, mais la patrie. — S. Aug (serm. 2 sur les paroles du Seigneur). Notre-Seigneur ajoute : " Pour être vus par eux " ; il en est en effet qui ne font pas leurs oeuvres devant les hommes dans l’intention que les hommes les voient, mais afin qu’ils voient leurs bonnes oeuvres et glorifient le Père céleste qui est dans les cieux, car ils ne s’attribuent pas à eux-mêmes le mérite de leur propre justice, mais en renvoient toute la gloire à Dieu seul dans la foi duquel ils vivent (Ga 2, 29 ; 3, 1). — S. Aug. (serm. sur la mont). Par ces paroles : " Autrement vous n’en recevrez pas la récompense de votre Père, qui est dans les cieux ", le Sauveur veut nous apprendre surtout à ne point rechercher la gloire humaine comme récompense de nos bonnes oeuvres.

S. Chrys. (sur S. Matth). Que pourrez-vous recevoir de Dieu, vous qui n’avez rien donné à Dieu ? Ce que l’on fait pour Dieu, c’est à Dieu qu’on l’offre, et Dieu le reçoit ; ce que l’on fait pour les hommes s’évanouit dans les airs. Or quelle folie de donner un bien aussi précieux pour de vaines paroles, et de faire mépris des récompenses divines ? Considérez celui de qui vous attendez la louange, il croit que vous agissez pour Dieu, autrement il aurait pour vous un profond mépris. Or celui qui recherche les regards des hommes avec une volonté pleine et entière, agit évidemment pour les hommes. Si au contraire une pensée de vanité s’élève dans votre cœur et y fait naître le désir le paraître aux yeux des hommes, mais que la partie intelligente de votre âme s’oppose à ce désir, on ne peut dire que vous agissez pour les hommes ; car cette pensée est une pensée de la chair, mais c’est le jugement de votre âme qui a déterminé votre choix.

 

vv. 2-4.

S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 5). Le Seigneur, en disant à ses disciples : " Prenez garde que votre justice ", etc., n’a parlé de cette vertu que d’une manière générale ; il va maintenant en parcourir les divers degrés. — S. Chrys. Il oppose trois vertus d’une force toute divine (l’aumône, le jeûne, la prière), aux trois vices contre lesquels il a soutenu lui-même les assauts de la tentation. Le Sauveur a combattu pour nous, en effet, contre la sensualité dans le désert, contre l’avarice sur la montagne, contre la vaine gloire sur le haut du temple. L’aumône qui aime à répandre ses biens (cf. Ps 111, 8) est opposée à l’avarice qui amasse, le jeûne à la sensualité, dont il est le contraire, la prière à la vaine gloire, parce que la vaine gloire est le seul vice qui tire son origine du bien, tandis que tous les autres maux sont le produit d’un principe mauvais ; aussi, loin de la détruire, la vertu lui sert d’aliment. Il n’y a donc d’autre remède contre la vaine gloire que la prière seule.
 

S. Ambr. Toute la morale chrétienne se réduit à la miséricorde et à la piété, et c’est pour cela que le Sauveur place l’aumône en premier lieu : " Lorsque vous faites l’aumône, ne faites point sonner la trompette devant vous ". — S. Chrys. (sur S. Matth). La trompette c’est toute parole dite, toute oeuvre faite avec un extérieur d’ostentation visible ; par exemple, voici un homme qui, avec intention, fait l’aumône devant témoins ou par l’entremise d’un autre, ou à une personne honorable qui pourra s’acquitter envers lui ; dans d’autres circonstances, il n’en fait pas, ou bien s’il fait l’aumône en secret, il la fait pour s’attirer des louanges, c’est toujours la trompette. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 1). Ces paroles : " Ne faites pas sonner la trompette devant vous ", se rapportent à ce qu’il a dit plus haut : " Prenez garde de ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes ".

S. Jér. Celui qui sonne de la trompette en faisant l’aumône est un hypocrite, et c’est pour cela qu’il ajoute : " Comme font les hypocrites ". — La Glose. Peut-être agissaient-ils ainsi pour rassembler le peuple et pour attirer tout le monde à ce spectacle. — Isid. Le nom d’hypocrite vient des acteurs qui, dans les spectacles, ont l’habitude de dissimuler leurs traits naturels en appliquant sur leur visage diverses couleurs pour prendre le teint de la personne qu’ils veulent représenter, tantôt un homme, tantôt une femme, le tout pour faire illusion aux spectateurs dans les jeux publics. — S. Aug. (serm. sur la mont). Les hypocrites, c’est-à-dire les comédiens, jouent le rôle des personnages qu’ils veulent imiter sans qu’ils le soient en effet (celui qui joue le rôle d’Agamemnon n’est pas Agamemnon, mais s’efforce de le paraître). Ainsi, parmi les chrétiens, celui qui dans toute sa vie veut paraître ce qu’il n’est pas est un hypocrite, car il se couvre de l’extérieur du juste sans l’être en réalité, lui qui ne veut que la louange des hommes pour tout fruit de ses bonnes oeuvres. — La Glose. C’est pour cela que le Sauveur désigne les lieux fréquentés par le public : " Dans les synagogues et dans les carrefours, et qu’il ajoute : " Pour être honoré des hommes ", marquant ainsi le but qu’on se propose.

S. Grég. (Moral., 21, 8). Il en est cependant qui ont l’extérieur de la sainteté, mais qui ne peuvent en atteindre toute la perfection ; on ne doit pas les ranger parmi les hypocrites, car on ne peut assimiler celui qui pèche par faiblesse à celui qui pèche par hypocrisie.

S. Aug. (serm. sur la mont). Or, ceux qui se rendent coupables d’hypocrisie n’ont à attendre de Dieu, qui examine le fond du cœur, d’autre récompense que le châtiment de leur fourberie ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense ". — S. Jér. Ce n’est pas la récompense de Dieu, mais leur récompense ; ils ont fait leurs bonnes oeuvres pour les hommes, ils ont obtenu les louanges des hommes. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ces paroles se rapportent à celles qu’il a dites plus haut : " Autrement vous n’aurez pas la récompense de votre Père ". Il ajoute : " Pour vous, lorsque vous faites l’aumône, que votre main gauche ignore ce que fait votre main droite ", et vous ordonne ainsi de faire l’aumône, non pas comme ils la font mais comme il veut qu’elle soit faite. — S. Chrys. (hom. 49). Ces paroles sont dites par hyperbole et reviennent à celles-ci : S’il est possible, appliquez-vous avec le plus grand soin à vous ignorer vous-mêmes, et à vous cacher l’oeuvre de vos propres mains. — S. Chrys. (sur S. Matth). Voici l’interprétation que les Apôtres donnent de ces paroles dans le livre des Canons : La droite est le peuple chrétien qui est à la droite du Christ ; la gauche, le peuple qui est à gauche ; Notre-Seigneur veut donc que le chrétien qui est la droite ne se laisse pas voir lorsqu’il fait l’aumône par l’infidèle qui est à la gauche.

S. Aug. (serm. sur la mont). Selon cette interprétation, il semble qu’il n’y aurait aucun mal à vouloir plaire aux fidèles, et cependant il nous est défendu de nous proposer comme fin de nos bonnes oeuvres la louange des hommes quels qu’ils soient. Cependant si vous cherchez à leur plaire dans vos actions pour les porter à vous imiter, ce n’est pas seulement en présence des fidèles, mais aussi des infidèles que vous devez accomplir vos bonnes oeuvres. Si avec d’autres auteurs vous entendez par la gauche votre ennemi, et que le sens de ces paroles soit que votre ennemi doit ignorer que vous faites l’aumône, comment expliquer que le Seigneur, dans sa miséricorde, ait guéri les malades, entouré des Juifs ses plus cruels ennemis ? Comment, d’ailleurs, accorder ce commandement avec celui qui nous est imposé de faire l’aumône, même à notre ennemi ? " Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger " (Rm 12, 20 ; Pv 21, 21). Quant à la troisième opinion, qui prétend que la gauche signifie l’épouse, elle est ridicule. Comme dans le mariage, disent-ils, les femmes laissent difficilement échapper l’argent de leurs mains, les maris, pour éviter les querelles domestiques, doivent leur cacher ce qu’ils donnent aux pauvres. Mais ce précepte n’est pas donné pour les hommes seuls ; il concerne aussi les femmes. Ainsi, la femme étant obligée de cacher ses aumônes à sa main gauche, dira-t-on que l’homme est la gauche de sa femme ? Si on admet qu’il y a obligation pour eux de se gagner réciproquement à la vertu par le spectacle de leurs bonnes oeuvres, ils ne doivent point se les cacher l’un à l’autre, encore moins commettre un vol pour être agréables à Dieu. Accordons même que la faiblesse de l’un force l’autre de lui dérober la connaissance d’une oeuvre dont il ne pourrait supporter la vue, il n’y a rien en cela d’illicite, mais on ne peut en conclure que la gauche signifie la femme, alors que tout l’ensemble du chapitre s’oppose à cette interprétation. Que vous est-il donc défendu ? De faire ce que le Sauveur condamne dans les hypocrites qui recherchent les louanges des hommes. La gauche nous paraît donc signifier le désir des louanges, et la droite l’intention d’accomplir les commandements de Dieu. Lorsque le désir de la gloire humaine se glisse dans votre âme au moment où vous faites l’aumône, votre gauche devine les secrets de votre droite. Laissez donc votre gauche dans l’ignorance, c’est-à-dire que le désir des louanges des hommes ne trouve point de place dans votre âme. Mais Notre-Seigneur nous défend bien plus sévèrement de laisser la gauche agir seule en nous, que de lui permettre de se mêler aux oeuvres de la droite. Quant au but qu’il s’est proposé dans ce précepte, il nous le fait connaître en ajoutant : " Afin que votre aumône soit dans le secret ". C’est-à-dire dans une bonne conscience qui ne s’ouvre pas aux regards des hommes, ni à leurs discours si souvent mensongers. Votre conscience seule vous suffit pour mériter votre récompense, si vous l’attendez de celui qui seul pénètre dans la conscience, et c’est ce qu’enseignent les paroles suivantes : " Votre Père qui voit dans le secret vous le rendra lui-même ". Un grand nombre d’exemplaires latins portent : " Vous le rendra en public ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Il est impossible que Dieu laisse dans l’obscurité une seule bonne oeuvre : dans la vie présente il se contente de la produire au grand jour, et il la glorifiera dans l’autre vie, parce qu’il est la gloire de Dieu. Par la même raison, le démon met le mal en évidence parce que le mal fait éclater la puissance de sa méchanceté. Mais à proprement parler, Dieu ne dévoile les bonnes oeuvres que dans cette vie, où les biens ne sont pas communs aux bons et aux méchants ; tous ceux que Dieu y comble de biens peuvent les considérer comme la récompense méritée de leur justice ; sur la terre, au contraire, on ne peut distinguer clairement cette récompense, parce que les richesses y sont le partage des méchants comme des bons. — S. Aug. (serm. sur la mont). Dans les exemplaires grecs, qui sont antérieurs aux latins, on ne trouve pas le mot palam, en public.

S. Chrys. (hom. 19). Si vous voulez des spectateurs de vos actions, voici non-seulement les anges et les archanges, mais encore le Dieu souverain maître de toutes choses.

 

vv. 5-6.

S. Chrys. (sur S. Matth). Salomon (Si 9, 23) nous fait cette recommandation : " Avant la prière, préparez votre âme ". C’est ce que fait celui qui donne l’aumône avant de prier. Les bonnes oeuvres, en effet, réveillent la foi du cœur et donnent à l’âme la force de s’adresser à Dieu par la prière. L’aumône est donc une préparation à la prière et c’est pour cela qu’après avoir expliqué les conditions de l’aumône le Sauveur nous donne ses instructions sur la prière.

S. Aug. (serm. sur la mont). Or, il nous enseigne ici non pas l’obligation de la prière, mais la manière dont nous devons prier, de même que plus haut il n’a point parlé de la nécessité de l’aumône, mais de l’intention avec laquelle on doit la faire. — S. Chrys. (sur S. Matth). La prière est comme un tribut spirituel que l’homme tire du plus intime de son âme pour l’offrir à Dieu. Plus donc la prière est honorable et glorieuse, plus il faut prendre garde à ce qu’une intention tout humaine ne vienne l’avilir. Aussi, écoutez le Sauveur : " Lorsque vous prierez, vous ne serez pas comme des hypocrites ". — S. Chrys. (hom. 49). Il appelle hypocrites ceux qui font semblant de prier et regardent de tous côtés si les hommes les considèrent, et c’est pour cela qu’il ajoute " Qui aiment à prier dans les synagogues ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Je ne pense pas que le Seigneur veuille parler ici du lieu où l’on prie, mais de l’intention qui anime la prière, car c’est une action louable que de prier dans les assemblées des fidèles, selon cette parole du roi-prophète : " Bénissez Dieu dans les assemblées ". Celui-là donc qui prie pour être vu des hommes, ce n’est pas vers Dieu, mais vers les hommes qu’il tourne ses regards et, par son intention, il prie dans la synagogue. Le texte ajoute : " Et dans les coins des rues ", afin de paraître prier en secret, poursuivant ainsi aux yeux des hommes le double mérite de la prière et de la prière faite en secret. — La Glose. Ou bien ces coins de rues sont les endroits où une voie en coupe une autre et forme un carrefour.

S. Chrys. (sur S. Matth). Il nous défend donc de prier dans l’assemblée de nos frères dans l’intention d’en être remarqués ; aussi ajoute-t-il : " Pour être vus des hommes ". Que celui qui se livre à la prière évite donc avec soin tout ce qui est extraordinaire et qui peut attirer les regards des hommes, comme d’élever la voix, de se frapper la poitrine ou de tenir les mains étendues. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ce qui est un mal, ce n’est pas d’être vu des hommes, mais d’agir pour en être remarqué. — S. Chrys. (hom. 19). Il est toujours bon de se dérober au danger de la vaine gloire, mais surtout dans la prière, car si même sans ce défaut nos pensées nous égarent çà et là pendant la prière, comment comprenons-nous ce qui nous est dit si nous venons prier avec une âme travaillée de cette nouvelle infirmité ? — S. Aug. (serm. sur la mont). Nous devons éviter également de faire voir aux hommes que nous ne voulons pour récompense de nos actions que leur être agréables, car écoutons ce qui suit : " Je vous le dis en vérité, ils ont reçu leur récompense ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Chacun ne moissonnera que ce qu’il aura semé ; celui donc qui aura prié pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu recevra les louanges des hommes et n’aura aucun droit aux louanges de Dieu. Notre-Seigneur dit : " Ils ont reçu ", car Dieu voulait leur accorder la récompense dont il est l’auteur, ils ont mieux aimé rechercher celle que donnent les hommes. Mais comment doit-on prier ? Notre-Seigneur nous l’enseigne par ce qui suit : " Pour vous, lorsque vous voudrez prier, entrez dans votre chambre et, après en avoir fermé la porte, priez votre Père dans le secret. — S. Jér. Ces paroles, dans leur sens naturel, apprennent à celui qui les entend à fuir la vaine gloire dans la prière. — S. Chrys. (sur S. Matth). Il faut qu’il n’y ait absolument là que celui qui prie et celui à qui s’adresse la prière. Un témoin, loin de vous être alors utile, ne fait que vous être à charge.

S. Cypr. (De l’Oraison Dominicale). D’ailleurs il est plus convenable pour notre foi de prier dans les lieux retirés, nous comprenons mieux alors que Dieu est présent partout et qu’il pénètre les endroits les plus secrets de la plénitude de sa majesté. — S. Chrys. (sur S. Matth). Nous pouvons aussi par cette porte de la maison entendre notre bouche, en ce sens que nous n’avons pas besoin d’élever bien haut la voix, mais que nous devons prier dans le silence du cœur pour trois raisons : la première c’est que Dieu qui écoute la voix du cœur ne doit pas être importuné par des cris, mais apaisé par le spectacle d’une conscience droite ; la seconde, c’est que personne, excepté Dieu et vous ne doit connaître l’objet de vos prières secrètes ; la troisième, c’est que votre prière bruyante est un véritable empêchement pour celui qui prie à côté de vous. — Confér. Nous devons prier dans le plus grand silence, afin que nos ennemis qui nous entourent, surtout pendant la prière, ne puissent connaître dans quelle intention nous prions. — S. Aug. (serm. sur la mont). Par nos chambres on peut encore entendre nos cœurs, dont le Psalmiste a dit (Ps 4) : " Ce que vous dites dans vos cœurs, repassez-le avec amertume dans le lieu de votre repos ". La porte ce sont les sens de la chair ; au dehors sont toutes les choses temporelles qui pénètrent par les sens dans nos pensées, et la multitude des vains fantômes qui viennent nous étourdir pendant la prière. — S. Cypr. (de l’Or. Dom). Mais quelle est cette négligence qui vous laisse prendre et entraîner lorsque vous priez Dieu, par des pensées aussi ridicules que profanes ? Quelle pensée donc doit vous occuper davantage que celle-ci ; c’est à Dieu que je parle. Comment exiger que Dieu vous écoute, alors que vous ne vous écoutez pas vous-mêmes ? C’est vraiment là ne pas vous mettre en garde contre votre ennemi, c’est offenser Dieu par la négligence et la froideur de votre prière. — S. Aug. (serm. sur la mont). Il faut donc fermer la porte, c’est-à-dire résister à l’importunité des sens, afin que la prière toute spirituelle monte jusqu’au Père après avoir été formée au plus intime du cœur où l’âme prie Dieu dans le secret, c’est pourquoi il ajoute : " Et votre Père vous le rendra. — Remi. Voici donc le sens de ces paroles : qu’il vous suffise que votre prière soit connue de celui-là seul qui pénètre jusqu’au plus secret des cœurs, et qui par là même ne peut manquer de l’exaucer.

S. Chrys. hom. 12). Remarquez qu’il ne dit pas : " C’est lui qui vous donnera gratuitement ", mais " c’est lui qui vous le rendra ", car Dieu se constitue lui-même votre débiteur.

 

vv. 7-8

S. Aug (serm. sur la mont). Le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans leurs prières et de n’y chercher d’autres fruits que la louange des hommes ; ainsi le propre des païens (c’est-à-dire des Gentils) est de penser que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés dans leurs prières. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : " Or en priant, ne parlez pas beaucoup ". — Confér. des Pères. Nos prières doivent être fréquentes mais courtes, de peur que notre ennemi ne prenne occasion d’une prière trop prolongée pour jeter ses pernicieuses insinuations dans notre âme.

S. Aug. (Ep. 121 à Proba., chap. 10). Cependant ce n’est pas faire de longs discours en priant, comme plusieurs le pensent, que de prier longtemps. Les longs discours n’ont rien de commun avec la durée du sentiment intérieur. En effet, n’est-il pas dit du Seigneur lui-même, qu’il passa la nuit à prier (Lc 6), et ailleurs qu’il redoubla sa prière pour nous donner l’exemple ? (Lc 22) On dit que nos frères d’Égypte se livrent à de fréquentes mais très courtes prières qu’ils lancent pour ainsi dire vers le ciel à la dérobée afin que la ferveur d’intention si nécessaire à celui qui prie ne soit pas soumise à une espèce de violence pendant une prière trop prolongée. Par là ils nous apprennent que de même qu’il ne faut pas fatiguer cette intention, si elle ne peut durer plus longtemps, on ne doit pas non plus l’interrompre si elle veut encore continuer. Ne multiplions pas les paroles dans la prière, mais multiplions-y les supplications, si la ferveur de l’intention se soutient. Parler beaucoup dans la prière c’est noyer une demande nécessaire dans un flot de paroles superflues ; tandis que prier beaucoup c’est importuner pour ainsi dire celui que nous prions par les cris continuels de notre cœur : car presque toujours cette affaire se traite bien mieux par des gémissements que par des discours, et plus efficacement avec des larmes qu’avec des paroles.

S. Chrys. (hom. 49). Notre-Seigneur condamne ici toutes les paroles inutiles et vaines dans la prière, comme lorsque nous demandons à Dieu non pas ce qui est digne de lui et de nous, mais la puissance, la gloire, la victoire sur nos ennemis, de grandes richesses. Il nous défend donc ici les longues prières, je ne dis pas longues par leur durée, mais par la multitude des paroles dont elles sont composées. Cependant la persévérance dans la prière est nécessaire : " Persévérez dans la prière " nous dit l’apôtre (Rm 12 ; Col 4, 2 ; Ep 6, 18). Ce n’est pas qu’il nous ordonne de faire des prières composées de dix mille phrases ; il veut simplement que nous les prolongions par les instances de notre cœur ; c’est ce que Notre-Seigneur nous insinue indirectement par ces paroles : " N’affectez pas de parler beaucoup ".

La Glose. Notre-Seigneur condamne la multitude des paroles qui provient de l’incrédulité, ce qu’il exprime en disant : " Ainsi que font les païens ". Cette abondance de paroles était nécessaire aux païens pour instruire les démons de l’objet de leurs demandes, " car ", dit Jésus-Christ, " ils sont persuadés que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés. — S. Aug. (serm. sur la mont). Et en effet toute abondance superflue de paroles vient des païens, qui beaucoup plus occupés du soin d’exercer leur langue que de changer leur cœur, transportent ce flux habituel de paroles jusque dans les prières qu’ils adressent à Dieu. — S. Grég. (Moral., liv. 33, chap. 21). La prière véritable consiste dans les gémissements amers de la componction et non dans des paroles arrangées avec art ; aussi Notre-Seigneur conclut-il, " Ne vous rendez donc pas semblables à eux ". — S. Aug. (serm. sur la mont). Si cette abondance de paroles a pour objet de dissiper l’ignorance de celui à qui on s’adresse, qu’en est-il besoin vis-à-vis de celui qui connaît toutes choses ? C’est pourquoi il ajoute : " Votre Père céleste sait avant que vous le lui demandiez, ce qui vous est nécessaire ".

S. Jér. Quelques philosophes ont pris occasion de là pour formuler comme un dogme cette impiété : Si Dieu connaît par avance et l’objet de nos prières, et les besoins que nous voulons lui exposer, il est inutile de les lui dire. Nous leur répondons que nous faisons à Dieu non pas un récit mais une prière, et qu’il y a une grande différence entre raconter à quelqu’un ce qu’il ignore, et lui demander ce qu’il sait déjà.

S. Chrys. (homél. 19). Vous ne priez donc pas pour instruire Dieu, mais pour le fléchir, pour vous unir intimement à lui par la continuité de la prière, pour vous humilier, pour réveiller en vous le souvenir de vos péchés. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ce n’est pas par nos paroles que nous devons chercher à obtenir de Dieu ce que nous désirons, mais par les dispositions habituelles de notre âme, par la droiture de notre intention, la pureté de notre amour, la simplicité de notre cœur. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba). Cependant de temps à autre nous adressons à Dieu des prières vocales, afin que ces signes extérieurs nous réveillent, nous fassent connaître quels sont nos progrès dans le saint désir de la prière, et nous excitent plus vivement à l’augmenter en nous. Car ce désir qui s’attiédit au contact de mille soins divers, finirait par se refroidir et s’éteindre tout à fait, si nous ne ravivions fréquemment sa flamme. Les paroles nous sont donc nécessaires non pas pour apprendre à Dieu ce qu’il ne sait pas, ou pour le fléchir, mais pour nous donner de salutaires avertissements, et nous faire examiner l’objet de nos prières.

S. Aug. (serm. sur la mont). On pourrait demander encore en quoi la prière elle-même (qu’elle consiste en paroles ou en sentiments intérieurs) est nécessaire si Dieu sait par avance ce dont nous avons besoin, s’il n’était évident que la seule volonté de la prière est pour l’âme une source de paix et de pureté, et la rend plus propre à recevoir les dons spirituels que Dieu répand en nous. Dieu n’exauce pas nos prières par le désir qu’il a d’être prié, car il est toujours prêt à donner sa lumière, mais nous ne sommes pas toujours disposés à la recevoir, inclinés que nous sommes vers d’autres biens. Dans la prière notre cœur se tourne donc vers Dieu, et en excluant le désir des biens temporels l’oeil intérieur de notre âme se purifie, et ainsi rendu à sa pureté il devient capable de supporter la lumière dans toute sa clarté, et de demeurer dans cette sublime contemplation avec ce sentiment de joie qui est la perfection du bonheur.

 

v. 9.

La Glose. Parmi les enseignements salutaires et les conseils divins que Notre-Seigneur donne à ceux qui croient en lui, il leur propose une formule de prière, et cette formule renferme peu de paroles ; il veut que cette brièveté même qu’il nous commande nous inspire la confiance d’être promptement exaucés. Cette prière commence ainsi : " Notre Père qui êtes dans les cieux ". — S. Cypr. (de l’Or. Dom). Celui qui nous a donné la vie nous a enseigné aussi à prier, afin qu’en adressant au Père la prière que le Fils nous a lui même apprise, nous soyons plus facilement exaucés. C’est prier Dieu en ami et avec une espèce de familiarité que de se servir de ses propres paroles. Que le Père donc reconnaisse les paroles de son Fils dans nos prières, et puisque ce divin Fils est près du Père l’avocat qui intercède pour nos péchés, lorsque nous venons demander le pardon de nos péchés, empruntons le langage même de notre avocat. Ce ne sont pas cependant les seules paroles dont nous puissions nous servir pour prier ; il en est d’autres qui ont le même sens et qui peuvent également enflammer notre cœur.

S. Aug. (serm. sur la mont). Dans toute prière il faut avant tout se concilier la bienveillance de celui qu’on prie, et lui exposer ensuite l’objet de notre demande. C’est par la louange qu’on se concilie cette bienveillance, et on la place ordinairement au commencement de la prière. La loi contenait bien des préceptes sur la manière dont Dieu devait être loué, mais on n’en trouve aucun qui enjoigne au peuple d’Israël d’appeler Dieu notre Père (cf. Is 1, 2 ; 63, 16 ; 64, 8 ; Ps 81, 6 ; Ml 1, 6 ; Sg 14, 3 ; Si 23, 1.4). Car Dieu ne leur était présenté que comme un maître qui commande à ses serviteurs, et non comme un père plein de tendresse pour ses enfants. Le peuple chrétien au contraire, d’après le témoignage de l’Apôtre a reçu l’esprit d’adoption dans lequel nous crions : " Mon Père, mon Père ", non point sans doute par l’effet de nos mérites, mais par la grâce qui nous fait dire dans la prière : " Mon Père ". Ce nom excite à la fois la charité dans nos cœurs (car qu’y a-t-il de plus cher à des enfants que leur père), un sentiment d’affectueuse supplication, qui nous fait dire à Dieu : " Notre Père ", et l’espérance presque certaine d’obtenir ce que nous demandons. Car que peut-il refuser à ses enfants qui le prient, après le bienfait inestimable de cette filiation divine ? Enfin avec quelle sollicitude celui qui dit : " Notre Père " doit veiller à ne pas se rendre indigne d’une si auguste filiation ? Ceux qui ont les richesses en partage, ou qui se glorifient d’une illustre origine doivent apprendre, du moment qu’ils sont devenus chrétiens, à ne point se conduire avec hauteur à l’égard de ceux qui sont pauvres ou de condition obscure, puisque tous ensemble ils disent à Dieu : " Notre Père ", parole qui ne peut avoir dans leur bouche ni l’accent de la piété, ni celui de la vérité, s’ils ne les reconnaissent pour leurs frères. — S. Chrys. (hom. 28). Quel mal peut résulter pour nous de notre parenté d’ici-bas alors que par une alliance bien plus sublime nous ne formons tous qu’une même famille ? Par ce nom seul de Père, nous proclamons le pardon de nos péchés, notre adoption, notre droit à l’héritage, la fraternité qui nous unit au Fils unique, et l’effusion de l’Esprit saint dans nos âmes, car personne ne peut appeler Dieu son Père, s’il n’est en possession de tous ces biens. Notre âme donc se trouve au commencement de la prière élevée tout à la fois et par la dignité de celui qu’elle invoque, et par la grandeur des bienfaits dont elle est comblée. — S. Cypr. (de l’Or. Dom). Nous ne disons pas : " Mon Père ", mais " Notre Père " ; parce que le Maître de la paix et de l’unité ne veut pas de ces prières individuelles et privées, qui omit pour objet exclusif l’intérêt de celui qui prie. Notre prière a nous doit être publique et commune ; lorsque nous prions, ce n’est pas pour un seul, c’est pour tout le peuple chrétien, car nous ne formons tous qu’un seul peuple, et Dieu a voulu qu’un seul priât pour tous comme il nous a lui-même portés tous en un seul. — S. Chrys. (sur S. Matth). C’est la nécessité qui nous force de prier pour nous, mais c’est la charité fraternelle qui nous inspire de prier pour les autres. Or la prière qu’inspire l’amour de la fraternité est plus agréable à Dieu que celle qui est dictée par la nécessité. — La Glose. Nous disons : " Notre Père ", expression qui est commune à tous les chrétiens, et non pas : " Mon Père ", ce qui n’appartient qu’à Jésus-Christ seul, qui est fils par nature.

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur ajoute : " Qui êtes dans les cieux ", pour nous apprendre ainsi que nous avons un Père céleste et nous faire rougir lorsque nous nous abaissons au niveau des choses de la terre. — Confér. des Pères. C’est aussi pour nous inspirer un vif désir de parvenir à cette région où nous reconnaissons qu’habite notre Père. — S. Chrys. (hom. 26). En disant : " Qui êtes dans les cieux ", il n’y renferme pas l’immensité divine, mais il détache simplement de la terre celui qui prie pour le transporter dans les régions plus élevées. — S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 9). Ou bien ces paroles : " Dans les cieux ", veulent dire : Dans les saints et dans les justes, car Dieu ne peut être renfermé dans l’espace. On entend ordinairement par les cieux les parties de cet univers dont la nature est plus parfaite, et si l’on admet qu’elles sont le séjour de Dieu, il faudra dire que les oiseaux sont de meilleure condition que nous, puisqu’ils vivent dans des lieux plus rapprochés de Dieu. Or, il n’est pas écrit : " Le Seigneur est proche des hommes qui habitent les lieux élevés ou les montagnes ", mais : " Il est proche de ceux qui ont le cœur contrit " (Ps 33, 19). Mais de même que le pécheur est appelé terre et que Dieu lui a dit : " Tu es terre et tu retourneras en terre ", ainsi par une raison contraire le nom de ciel convient parfaitement aux justes. C’est donc avec raison que nous disons : " Qui êtes dans les cieux ", c’est-à-dire qui êtes dans les justes, car la distance spirituelle qui sépare les justes des pécheurs est aussi grande que la distance qui, dans le monde visible, sépare le ciel de la terre. C’est pour cela que lorsque nous prions nous nous tournons vers l’orient d’où nous voyons le ciel se lever. Ce n’est pas que Dieu y soit d’une manière particulière, à l’exclusion des autres parties du monde, mais c’est pour rappeler à notre âme qu’elle doit se tourner vers la nature plus parfaite de Dieu, en même temps que notre corps qui est terrestre se tourne vers un corps céleste qui est aussi plus parfait. Il est convenable aussi que tous, les petits comme les grands, se servent de leurs sens pour concevoir des sentiments dignes de Dieu, et pour ceux qui ne peuvent se faire une idée d’un être incorporel, il vaut mieux encore croire que Dieu est dans le ciel que sur la terre.
 

Que votre nom soit sanctifié.
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 12). Le Sauveur nous a fait connaître celui à qui doit s’adresser notre prière et le lieu qu’il habite, voyons maintenant quel doit être l’objet de nos prières. La première de toutes les demandes est celle-ci : " Que votre nom soit sanctifié ". Cette demande ne suppose pas que le nom de Dieu ne soit pas saint par lui-même, mais elle exprime le désir que la sainteté de ce nom soit reconnue par tous les hommes c’est-à-dire que les hommes aient une connaissance si parfaite de Dieu qu’ils n’estiment rien de plus saint que lui. — S. Chrys. (Hom. 20). Ou bien il veut que dans la prière nous demandions que Dieu soit glorifié par notre vie, comme si nous disions à Dieu : " Accordez-nous de vivre de manière que notre vie soit pour toutes les créatures un sujet de vous louer et de vous glorifier ", car l’expression : " Qu’il soit sanctifié " est la même que celle-ci : Qu’il soit glorifié. Or, pour être digne de Dieu, la prière ne doit rien demander avant la gloire du Père, et doit subordonner tout à ses louanges. — S. Cyp. (de l’Orais. Dom). Ou bien encore : Nous ne formons pas le souhait que Dieu soit sanctifié par nos prières, mais que son nom soit sanctifié en nous-mêmes. C’est lui qui nous a dit : " Soyez saint comme je suis saint " ; nous le supplions donc, lui qui nous a sanctifiés dans le baptême, de nous faire persévérer dans la sainteté que nous avons reçue. — S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 2). Mais pourquoi demander cette persévérance à Dieu, si, comme le prétendent les Pélagiens, Dieu ne peut la donner ? N’est-ce pas une dérision que de lui demander ce qu’on sait qu’il ne peut donner, et ce qui est au pouvoir de l’homme sans le concours de sa grâce ?

S. Cyp. (De l’Orais. Dom). C’est tous les jours que nous demandons que son nom soit sanctifié, car nous avons besoin de cette sanctification continuelle pour expier les offenses que nous commettons chaque jour de notre vie.
 

 

v. 10.

Que votre règne arrive

La Glose. Après l’adoption des enfants, il est juste que nous demandions l’avènement du royaume qui est promis aux enfants. C’est l’objet de la demande suivante : " Que votre règne arrive ". — S. Aug. (serm. sur la mont). Ces paroles ne veulent pas dire que Dieu ne règne pas actuellement sur la terre et qu’il n’y ait pas toujours régné. Cette expression : " Qu’il arrive " signifie donc : " Qu’il soit manifesté aux hommes ". Or, personne qui puisse ignorer le royaume de Dieu, lorsque son Fils unique viendra non plus d’une manière spirituelle, mais visiblement pour juger les vivants et les morts ; c’est alors, comme le Seigneur l’enseigne, qu’aura lieu le jugement dernier, lorsque l’Évangile aura été prêché à toutes les nations. Cette demande se rattache à la sanctification du nom de Dieu. — S. Jér. Ou bien nous demandons d’une manière générale que le démon cesse de régner sur toute la surface de la terre, ou que Dieu règne dans chacun de nous et détruise le règne du péché dans notre corps mortel (hom. 6). — S. Cyp. (de 1’Orais. Dom). Ou bien nous demandons l’avènement de ce royaume que Dieu nous a promis, que Jésus-Christ nous a mérité par son sang, afin qu’après l’avoir servi sur la terre nous puissions régner avec lui dans le ciel. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba, chap. 11). Voulons-le, ne le voulons pas, le royaume de Dieu ne laissera pas d’arriver, mais nous nous excitons à le désirer, afin qu’il arrive pour nous et que nous puissions y régner un jour. — Confér. des Pères. Ou bien le juste s’exprime ainsi parce qu’il sait, au témoignage de sa conscience, que lorsque apparaîtra le royaume de Dieu il en sera rendu participant. — S. Jér. Considérons quelle hardiesse étonnante et quelle pureté de conscience il faut avoir pour oser demander le royaume de Dieu, et ne pas craindre ses jugements.

S. Cyp. (de l’Orais. Dom). On peut encore entendre le royaume de Dieu de Jésus-Christ lui-même, dont l’avènement fait tous les jours l’objet de nos désirs les plus ardents. Car, de même qu’il est la résurrection (Jn 11, 25), parce que c’est en lui que nous ressusciterons, on peut aussi le prendre pour le royaume de Dieu, parce que c’est en lui que nous règnerons. C’est avec dessein que le Sauveur nous fait demander le royaume de Dieu, c’est-à-dire celui qui est dans les cieux, car il y a aussi un royaume terrestre ; mais celui qui a renoncé au monde est supérieur à ses honneurs et à son royaume. Celui donc qui s’est consacré à Dieu et à Jésus-Christ ne désire plus les royaumes de la terre, mais le royaume du ciel. — S. Aug. (Du don de la Persévér). Par cette demande : " Que votre règne arrive ", que peuvent désirer ceux qui ont déjà reçu la grâce de la sainteté, si ce n’est la persévérance dans cette grâce que Dieu leur a faite ? Car le royaume de Dieu, dont l’avènement est certain pour ceux qui persévèrent jusqu’à la fin, ne viendra pour eux qu’à cette condition (Mt 10, 22 ; 24, 13).
 

Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

S. Aug. (serm. sur la mont). Dans ce royaume de la vraie félicité, la vie heureuse aura toute sa perfection dans les saints, comme elle l’a maintenant dans les anges : aussi, après cette demande : " Que votre règne arrive ", vient celle-ci : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ", c’est-à-dire : " De même que les anges accomplissent cette volonté en jouissant de vous sans qu’aucun nuage d’erreur obscurcisse leur intelligence, sans qu’aucune misère fasse obstacle à leur bonheur, qu’elle s’accomplisse également dans les saints qui sont sur la terre et qui ont été, quant à leur corps, formés de la terre. On peut encore entendre ces paroles : " Que votre volonté soit faite " dans ce sens : Soyez obéi sur la terre comme dans le ciel, par les hommes comme par les anges, non pas que les anges agissent eux-mêmes sur la volonté de Dieu, mais parce qu’ils font ce qu’il veut et qu’ils agissent d’une manière conforme à sa volonté.

S. Chrys. (hom. 20). Voyez cet enchaînement admirable : Notre-Seigneur nous a enseigné à diriger nos désirs vers le ciel par ces paroles : " Que votre règne arrive " ; en ajoutant : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ", il veut, avant de parvenir au ciel, que nous fassions de la terre un ciel anticipé en accomplissant ces paroles : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ". — S. Jér. Qu’ils rougissent ici de leur opinion, ceux qui prétendent que le péché fait tous les jours des ruines dans le ciel. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien : " Sur la terre comme au ciel ", c’est-à-dire dans les pécheurs comme dans les justes, ce qui revient à dire : " De même que les justes font votre volonté, que les pécheurs l’accomplissent également en se convertissant à vous ", ou bien " De manière qu’on rende à chacun ce qui lui est dû, ce qui aura lieu au dernier jugement ". Ou bien encore nous pouvons entendre par le ciel et la terre l’esprit et la chair, et alors dans ces paroles de l’Apôtre : " Je suis soumis à la loi de Dieu selon l’esprit " (Rm 7), nous verrons la volonté de Dieu accomplie en esprit. Dans ce sens, le merveilleux changement qui est promis aux justes nous est signifié par ces paroles : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel " ; c’est-à-dire que le corps soit soumis à l’esprit comme l’esprit est soumis à Dieu. Ou bien enfin " sur la terre comme dans le ciel ", c’est-à-dire dans l’Église comme en Jésus-Christ, dans l’épouse qu’il s’est unie comme dans l’époux qui a fidèlement exécuté la volonté de son Père. En effet, le ciel et la terre sont une figure très juste de l’homme et de la femme, car la terre ne produit des fruits qu’autant qu’elle est fécondée par le ciel.

S. Cyp. (de l’Orais. Dom). Ainsi nous ne demandons pas que Dieu fasse ce qu’il veut, mais que, quant à nous, nous puissions faire ce que Dieu veut. Or, il n’y a que la volonté divine qui puisse nous en rendre capables, c’est-à-dire sa protection et le secours qu’il nous donne, car personne n’est fort de ses propres forces et la miséricorde divine fait seule toute notre sûreté. — S. Chrys. (hom. 20). La vertu n’est pas seulement le fruit de nos efforts, mais de la grâce d’en haut. Or, Notre-Seigneur prescrit de nouveau à chacun de nous de prier ici pour l’univers entier, car il n’a pas dit : " Que votre volonté soit faite en moi ", ou " soit faite en nous ", mais : " Qu’elle soit faite par toute la terre " ; que l’erreur en soit arrachée, que la vérité y soit plantée, que le mal en soit banni, que la vertu y soit ramenée et qu’ainsi il n’y ait plus de différence entre le ciel et la terre.

S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 3). Nous avons ici contre les Pélagiens une preuve évidente que le commencement de la foi est un don de Dieu, puisque la sainte Église prie pour les infidèles, afin que Dieu leur donne le commencement de la foi. Puisque la volonté de Dieu est déjà faite dans les saints, en priant qu’elle se fasse de nouveau, que demandent-ils si ce n’est de persévérer dans la voie où ils sont entrés ?

S. Chrys. (sur S. Matth). On doit joindre ces paroles : " Sur la terre comme au ciel " aux demandes précédentes : " Que votre nom soit sanctifié sur la terre comme dans le ciel ; que votre règne arrive sur la terre comme dans le ciel ; que votre volonté soit faite dans la terre comme dans le ciel ". Et voyez quelle sagesse dans les paroles du Sauveur ; il ne nous fait pas dire : " Père, sanctifiez en nous votre nom, que votre règne arrive pour nous, faites en nous votre volonté ", ou bien : " Sanctifions votre nom ; recevons votre royaume ; faisons votre volonté ", dans la crainte que l’accomplissement de ces commandements parût être l’oeuvre exclusive ou de Dieu ou de l’homme. Il s’exprime donc en général et sans déterminer personne, car de même que l’homme ne peut faire le bien sans le secours de Dieu, de même Dieu ne peut opérer le bien dans l’homme, si l’homme ne lui prête le concours de sa volonté.

 

v. 11.

Donnez-nous aujourd’hui notre pain au-dessus de toute substance

S. Aug. (Enchirid. chap. 15). Les trois choses contenues dans les demandes précédentes se commencent ici-bas et elles se développent en nous a proportion de notre progrès dans la vie spirituelle. Elles ne seront parfaites que lorsque nous les posséderons sans crainte de les perdre, comme nous l’espérons dans l’autre vie. Les quatre demandes suivantes ont pour objet les choses du temps qui nous sont nécessaires pour obtenir les biens éternels. Le pain qui fait l’objet de la première de ces demandes est une nécessité de la vie : " Donnez-nous aujourd’hui notre pain qui est au-dessus de toute substance. — S. Jér. L’expression que nous traduisons par au-dessus de toute substance est le mot grec ?????????, de tous les jours, que les Septante expriment fréquemment par ??????????, qui signifie également au-dessus de toute substance. Si nous examinons le texte hébreu, nous trouvons qu’au mot grec ?????????? correspond toujours le mot hébreu sogolla, que Symmache traduit par le mot ?????????, c’est-à-dire, principal ou remarquable, et auquel il donne dans un autre endroit le sens de particulier. Quand donc nous demandons à Dieu ce pain qui nous est propre ou ce pain d’une nature supérieure, nous avons en vue le pain dont le Seigneur a dit dans l’Évangile : Je suis le pain vivant descendu du ciel ". — S. Chrys. En effet, le Christ est le pain de vie ; ce pain n’appartient pas à tous, mais il est véritablement notre pain. Nous demandons que ce pain nous soit donné tous les jours, c’est-à-dire que nous tous, qui sommes en Jésus-Christ et qui recevons tous les jours la sainte Eucharistie, nous ne soyons pas éloignés de ce pain céleste par quelque faute grave et séparés ainsi du corps de Jésus-Christ. Nous prions donc Dieu, nous qui avons le bonheur de demeurer en Jésus-Christ, de n’être pas séparés de son corps et de sa grâce sanctifiante. — S. Aug. (Du don de la Persévér., chap. 4). C’est donc la persévérance que les saints demandent en priant Dieu de les conserver dans cette sainteté qui ne souffre aucun crime. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien ce pain au-dessus de toute substance est le pain quotidien. — Confér. des Pères. Cette expression " aujourd’hui " nous apprend que ce pain doit être mangé tous les jours et que nous devons faire cette prière en tout temps, car il n’est aucun jour dans la vie où nous ne devions fortifier par cet aliment le cœur de l’homme intérieur.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 7). Ceux qui, dans les églises d’Orient, ne participent pas tous les jours à la cène du Seigneur soulèvent ici une difficulté et ils appuient leur sentiment sur l’autorité ecclésiastique. Cette conduite, disent-ils, ne donne aucun scandale, et ceux qui gouvernent les églises ne s’opposent pas à cette manière d’agir. Mais, sans entreprendre aucune discussion sur cette matière, on verra, pour peu qu’on y réfléchisse, que nous avons reçu du Seigneur lui-même la règle de la prière et qu’il ne nous est pas permis de la transgresser. Qui donc oserait dire que nous ne devons réciter qu’une fois l’Oraison dominicale ou, si nous pouvons la réciter une deuxième et une troisième fois, qu’elle nous est défendue après que nous avons communié au corps du Seigneur ? Car il semble alors que nous ne pourrions plus dire : " Donnez-nous aujourd’hui notre pain ", puisque nous l’aurions déjà reçu. Ou bien il faudrait admettre qu’on pourrait nous forcer de célébrer le sacrifice dans la seconde partie du jour. — Confér. des Pères, 9. Aujourd’hui peut aussi s’entendre de la vie présente, c’est-à-dire : " Donnez-nous ce pain tant que nous sommes dans cette vie ".

S. Jér. Nous pouvons encore entendre dans un autre sens ce pain supersubstantiel, c’est-à-dire du pain qui est au-dessus de toutes les substances, qui est supérieur à toutes les créatures, en un mot du corps du Seigneur. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien, ce pain quotidien est un pain spirituel, c’est-à-dire les préceptes divins, que nous devons tous les jours méditer et accomplir. — S. Grég. (Moral., 24, 5). Nous disons : " Notre pain ", et cependant nous prions qu’il nous soit donné, parce qu’il est le pain de Dieu qui nous l’accorde, et qu’il devient notre pain lorsque nous le recevons. — S. Jér. D’autres expliquant simplement ce texte dans le sens des paroles de saint Paul (1 Tm 6) : " Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents ", disent que les saints ne doivent s’occuper de la nourriture que pour le jour présent. C’est pour cela que plus loin Notre-Seigneur nous donne ce précepte : " Ne vous inquiétez pas pour le lendemain ".

S. Aug. (Lettre 121 à Proba, chap. 11). Nous demandons ici toutes les choses qui nous sont nécessaires dans celle qui passe avant toutes les autres, et nous les renfermons toutes sous le nom de pain. — S. Chrys. (sur S. Matth). Nous ne faisons pas à Dieu cette prière : " Donnez-nous aujourd’hui notre pain ", seulement pour recevoir notre nourriture, ce qui est commun aux justes et aux pécheurs, mais pour la recevoir de la main de Dieu, ce qui est le partage exclusif des Saints : car Dieu donne le pain à celui qui se prépare à le recevoir par la justice, et le démon à celui qui ne s’y dispose que par le péché. Ou bien nous demandons que ce pain que Dieu nous donne soit sanctifié lorsque nous le recevons, et c’est pourquoi il est appelé notre, en ce sens : Ce pain que nous nous sommes procuré, donnez-le nous pour qu’il reçoive de vous sa sanctification, de même que le prêtre recevant le pain des mains d’un laïque, le sanctifie, et le lui rend ensuite. Ce pain appartient sans doute à celui qui l’offre, mais la sanctification qu’il reçoit vient du prêtre. Notre-Seigneur l’appelle " nôtre " pour deux raisons : d’abord le dessein de Dieu dans les biens qu’il nous donne, est de les répandre sur les autres par notre entremise, et il veut que nous en donnions une part aux indigents. Celui donc qui refuse de les assister du fruit de son travail ne mange pas seulement son pain, mais le pain des autres. Une seconde raison, c’est qu’il n’y a que celui qui a gagné ce pain par des moyens justes qui mange véritablement son pain ; celui qui ne le doit qu’a des voies coupables, mange le pain des autres. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 12). Peut-être sera-t-on surpris de nous voir demander à Dieu les choses nécessaires au soutien de cette vie, comme la nourriture et le vêtement, alors que le Seigneur nous dit : " Ne vous inquiétez pas comment vous trouverez votre nourriture ou vos vêtements ". Car on ne peut être sans quelque inquiétude à l’égard d’une chose qu’on désire et qu’on demande. Celui qui ne désire que les choses nécessaires à la vie reste dans les limites de la modération et n’est aucunement répréhensible. Nous ne demandons point ce nécessaire pour lui-même, mais pour satisfaire aux besoins de notre corps, aux convenances de notre état, et afin de nous conformer honnêtement aux usages des personnes au milieu desquelles nous vivons. Nous devons prier pour la conservation de ce nécessaire lorsque nous l’avons, et pour l’obtenir si nous ne l’avons pas.

S. Chrys. (hom. 20). Remarquons qu’après avoir dit : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ", Notre-Seigneur s’adressant à des hommes revêtus d’une chair mortelle et qui ne peuvent avoir la même impassibilité que les anges, veut bien condescendre à notre faiblesse qui a besoin de nourriture, Il nous commande donc de demander non pas les richesses, non pas les molles délicatesses de la vie, mais seulement le pain, et le pain quotidien, et non content de cela, il ajoute : " Donnez-nous aujourd’hui ", car il ne veut pas que nous soyons accablés sous le poids des préoccupations du lendemain. — S. Chrys. (sur S. Matth). A la première vue d’après ces paroles, ceux qui font cette prière ne devraient avoir aucune réserve pour le lendemain et les jours suivants. S’il fallait l’entendre ainsi, cette prière conviendrait à un bien petit nombre, aux apôtres par exemple, qui voyageaient continuellement pour prêcher l’Évangile, et peut-être ne conviendrait-elle à personne. Or nous devons interpréter la doctrine de Jésus-Christ de manière à ce que la pratique en soit accessible à tous.

S. Cypr. (de l’Or. Dom). Le disciple de Jésus-Christ doit donc demander la nourriture divine, et sa prière ne doit pas embrasser un trop long espace de temps, car il y a contradiction et répugnance à demander tout à la fois le prompt avènement du royaume des cieux et une longue vie sur la terre. — S. Chrys. (hom. 14). Ou bien peut-être ce pain est appelé quotidien parce qu’on doit en le mangeant, obéir aux exigences de la raison, et non pas à l’entraînement des désirs sensuels. Si pour un seul repas vous dépensez autant que demanderait la nourriture de cent jours, ce n’est plus votre pain quotidien que vous mangez, c’est le pain de plusieurs jours.

S. Jér. Dans l’Évangile selon les Hébreux, à la place du mot super-substantiel, on trouve l’expression mohar, qui signifie lendemain et donne ce sens à cette demande : " Donnez-nous aujourd’hui notre pain de demain ", c’est-à-dire pour l’avenir.
 

 

v. 12.

S. Cypr. Après avoir demandé le secours de la nourriture le chrétien demande le pardon de ses péchés, afin que nourri de la main de Dieu, il puisse vivre tout en Dieu et pourvoir ainsi aux besoins non-seulement de la vie présente, mais encore de la vie éternelle, dont l’entrée lui est ouverte par la rémission des péchés que le Seigneur désigne sous le nom de dettes. " Remettez-nous nos dettes ", comme dans cet autre endroit : " Je vous ai remis toute votre dette, parce que vous m’en avez prié ", La doctrine qui nous rappelle que nous sommes pécheurs, en nous obligeant de prier tous les jours pour nos péchés est aussi salutaire qu’elle est nécessaire. Nous aurions pu nous complaire dans notre innocence prétendue, et rendre notre chute plus lourde par une fausse idée d’élévation ; le commandement qui nous est fait de prier chaque jour pour nos péchés, prévient ce danger en nous rappelant que nous tombons tous les jours dans de nouveaux péchés.

S. Aug. (du don de la persév. chap. 5). Ces paroles sont comme un trait mortel qui frappe les Pélagiens, ces hérétiques qui osent dire que l’homme ne commet aucun péché dans cette vie, et que c’est en lui que se réalise, dans le siècle présent, l’Église sans tache et sans ride ". (Ep 5, 27) — S. Chrys. (hom. 20). Cette prière est la prière des fidèles ; c’est ce que nous enseignent les lois de l’Église, et l’exorde même de cette prière qui nous apprend à appeler Dieu notre Père. Or en nous faisant un précepte de demander la rémission de nos péchés, Notre-Seigneur prouve aussi contre les Novatiens que les péchés peuvent être remis après le baptême.
 

S. Cypr. (de l’Or. Dom). Celui qui nous a fait un devoir de prier pour nos péchés nous a fait espérer par là même la miséricorde de son Père. Mais à ce précepte se trouve jointe une autre loi, une condition rigoureuse. Nous demandons qu’on nous remette nos dettes, mais selon la mesure du pardon que nous accordons nous-mêmes a nos débiteurs ; c’est la condition exprimée dans ces paroles : " Comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ". — S. Grég. (Moral., 10, 11). Cette grâce que nous demandons à Dieu dans un sentiment de vrai repentir, Dieu veut que nous l’accordions d’abord nous-mêmes au prochain dès le premier moment de notre conversion. — S. Aug. Notre-Seigneur n’a point voulu parler ici exclusivement de l’argent, mais de toutes les choses qu’on peut faire servir à blesser nos droits, et par là même de l’argent ; car celui qui étant votre débiteur, et qui pouvant vous payer ne le fait pas, commet une injustice à votre égard. Or si vous ne lui remettez pas cette offense, vous ne pourriez pas dire : Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs ".
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Quelle peut donc être l’espérance du chrétien qui prie en conservant des sentiments de haine contre celui qui l’a peut-être offensé ? En priant Dieu, il fait un mensonge (car il dit : Je remets, et il ne le fait pas) ; et Dieu à qui il demande le pardon ne le lui accorde pas. Mais il en est plusieurs qui ne voulant point pardonner à leurs ennemis évitent de faire à Dieu cette prière. Ce sont des insensés, car premièrement celui qui ne prie pas selon la règle donnée par Jésus-Christ n’est pas son disciple ; en second lieu, le Père n’exauce pas volontiers une prière que le Fils n’a pas dictée ; car le Père reconnaît la pensée et l’expression de son Fils et il rejette les inventions de l’esprit humain et ne reçoit que des suppliques inspirées par la sagesse de Jésus-Christ.

S. Aug. (Enchirid. chap. 73). Cependant cette vertu si élevée d’aimer ses ennemis et de leur remettre les dettes qu’ils ont contractées envers nous, n’est pas le partage de tous ceux en si grand nombre que nous croyons être exaucés, lorsqu’ils font à Dieu cette prière : " Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à tous ceux qui nous doivent ". Il faut donc admettre que cet engagement pris devant Dieu est fidèlement exécuté lorsqu’un chrétien n’étant pas encore assez parfait pour aimer son ennemi, lui pardonne cependant de tout cœur lorsque celui-ci vient l’en prier, parce qu’il veut que Dieu lui accorde à lui-même le pardon qu’il sollicite. Or celui qui demande pardon à un homme qu’il a offensé (si le repentir de sa faute le porte à cette démarche), ne doit plus être regardé comme ennemi, et il ne doit plus être difficile de l’aimer comme lorsqu’il donnait un libre cours à son inimitié.

 

v. 13.

— Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur vient de donner aux hommes de sublimes préceptes, il leur a commandé d’appeler Dieu leur Père, de demander l’avènement de son règne ; aussi croit-il devoir ajouter une leçon d’humilité, en disant : " Et ne nous laissez pas succomber à la tentation ". — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14). Quelques exemplaires portent : " Et ne nous faites pas entrer dans la tentation ", ce qui me paraît présenter le même sens, ces deux variantes étant la traduction littérale du grec. Plusieurs traduisent de cette manière : " Ne souffrez pas que nous entrions en tentation ", et expliquent ainsi dans quel sens nous disons : " Ne nous induisez pas ", car ce n’est pas Dieu qui par lui-même fait entrer en tentation, mais il permet qu’on y entre, en abandonnant l’homme à ses propres forces. — S. Cypr. (de l’Or. Dom). Cette vérité nous apprend que notre ennemi ne peut rien contre nous, à moins que Dieu ne le permette, et c’est ce qui doit nous faire placer en Dieu toute notre crainte comme toute notre affection ".
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14). Être induit en tentation, et être tenté sont deux choses différentes : Aucun homme s’il n’a été tenté ne peut passer pour éprouvé à ses propres yeux on aux yeux des autres (cf. Ps 25). Dieu au contraire connaît à fond tous les hommes avant toute espèce de tentation. Nous ne prions donc pas Dieu de nous faire échapper à la tentation, mais de ne pas nous induire en tentation, de même qu’un homme qui devrait être éprouvé par le feu, demanderait non de ne point en être atteint, mais de n’en être pas consumé. En effet nous sommes induits en tentation lorsque la tentation est si forte, que nous ne pouvons y résister. — S. Aug. (Lettre 121 à Proba., chap. 72). Lors donc que nous disons : " Ne nous induisez pas en tentation ", nous devons demander à Dieu de ne pas permettre que délaissés de sa grâce, nous succombions à la tentation, séduits par l’illusion ou vaincus par la souffrance. — S. Cypr. (de l’Or. Dom). Dieu nous rappelle ainsi notre faiblesse, notre infirmité et nous prémunit contre les prétentions arrogantes de l’orgueil ; et sa bonté exauce volontiers une prière qui est précédée d’un aveu humble et modeste qui reconnaît que tout vient de lui.
 

S. Aug. (du don de la persév., chap. 5, 6, 7). Lorsque les Saints font cette prière : " Ne nous laissez pas succomber à la tentation ", que demandent-ils si ce n’est la persévérance dans la sainteté ? En effet il n’est aucun saint qui ayant reçu ce don de Dieu (la demande qu’il en fait à Dieu est une preuve que ce don vient de lui), ne persévère jusqu’a la fin dans la sainteté, car on ne cesse de persévérer dans la pratique de la vie chrétienne, qu’après avoir été induit d’abord en tentation. C’est pour prévenir ce malheur que nous demandons de ne pas entrer en tentation, et si nous l’évitons, c’est Dieu qui l’a permis, car tout ce qui se fait, c’est Dieu qui le fait, ou qui le permet. Dieu est donc assez puissant pour détourner la volonté du mal vers le bien, relever celui qui est tombé, et le conduire dans la voie qui lui est agréable, car ce n’est pas en vain que nous lui disons : " Ne nous laissez pas entrer en tentation ". Si on n’est pas exposé aux effets de la tentation par une volonté abandonnée au mal, on n’en sera jamais victime, " car chacun est tenté par sa propre concupiscence ". (Jc 1, 14). Dieu nous fait donc un devoir de lui demander la grâce de ne point succomber à la tentation, bien qu’il pût nous l’accorder sans nos prières, parce qu’il a voulu nous faire reconnaître ainsi l’auteur des bienfaits dont nous sommes comblés. Que l’Église donc médite attentivement ses prières de tous les jours, elle demande la foi pour les infidèles, c’est donc Dieu qui les convertit à la foi ; elle prie pour la persévérance des fidèles, c’est donc de Dieu que vient la persévérance finale.
 

Mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.
 

S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 11 ou 16). Nous sommes obligés de prier non-seulement pour éloigner de nous le mal dont nous avons été jusqu’ici préservés, mais encore pour être délivrés du mal dans lequel nous sommes tombés. Aussi Notre-Seigneur ajoute : " Mais délivrez-nous du mal ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Peut-être que dans ce nom de mal il veut désigner le démon, tant à cause de sa malice extrême, malice qui vient de sa volonté et non de sa nature, que parce qu’il nous a déclaré une guerre implacable, c’est pour cela qu’il nous fait dire : " Délivrez-nous du mal ".
 

S. Cypr. (de l’Or. Dom). Après tout ce qui précède la prière se termine par une demande qui renferme toutes les autres dans sa concise brièveté. En effet que pourrons-nous encore demander après avoir imploré la protection de Dieu contre le mal qui nous menace ? Après avoir obtenu cette protection nous sommes en sûreté contre toutes les entreprises du monde et du démon. Que peut-on craindre en effet du monde, quand on a Dieu pour défenseur contre le monde ? — S. Aug. (Lettre 121 à Proba., chap. 11). Le sens de cette dernière demande de l’Oraison dominicale est tellement étendu, que tout chrétien, dans quelque tribulation qu’il se trouve peut en faire l’interprète de sa douleur, l’auxiliaire de ses gémissements et de ses larmes, commencer et finir par elle sa prière. C’est pour cela que le mot amen, ainsi soit-il, vient après comme l’expression du désir de celui qui prie. — S. Jér. Cet amen qui termine l’Oraison dominicale en est comme le sceau ; Aquila traduit cette expression par fidèlement, ce que nous pouvons rendre par : " En vérité ".
 

S. Cypr. (de l’Or. Dom). Qu’y a-t-il d’étonnant que la prière que Dieu lui-même nous a enseignée soit si excellente, alors que par un effet de sa divine sagesse, il a voulu qu’elle renfermât tout ce que nous pouvons demander, dans quelques phrases aussi riches que concises. C’est ce qu’Isaïe avait prédit en ces termes : " Le Seigneur a fait un discours abrégé sur la terre ". (Is 10, 22). Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu pour tous les hommes pour réunir en un seul corps les savants et les ignorants, il a donné aux personnes de tout sexe et de tout âge les préceptes qui doivent les conduire au ciel ; il en a donc fait un abrégé remarquable pour ne pas fatiguer la mémoire de ceux qui voudraient apprendre cette morale céleste et il leur offre les moyens de s’instruire rapidement de ce qui est nécessaire à la simplicité de la foi.

S. Aug. Quelles que soient les autres formules dont nous faisons usage avant ou après notre prière, comme expression ou comme aliment de notre piété, nous ne pouvons rien dire que ce que contient l’Oraison Dominicale, si notre prière est conforme à la règle que nous avons reçue. En disant à Dieu : " Faites éclater votre gloire parmi les nations, comme vous l’avez fait éclater parmi nous ", (Qo 36) que disons-nous autre chose que : " Votre nom soit sanctifié ? " Cette prière : " Dirigez mes pas selon votre parole ", (Ps 118) ne ressemble-elles pas à celle-ci : " Que votre volonté soit faite ? " Celui qui dit à Dieu : " Montrez-nous votre face et nous serons sauvés ", (Ps 79) fait à Dieu cette demande : " Que votre règne arrive ". Vous dites à Dieu : " Ne me donnez ni la pauvreté ni la richesse ", (Pv 30) c’est lui dire équivalemment : " Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour ". Cette prière : " Souvenez-vous Seigneur de David et de toute sa douceur, (Ps 121) et cette autre : " Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait ", (Ps 7) ne rentrent-elles pas dans celle-ci : " Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ? " Dire à Dieu : " Éloignez de mon cœur les désirs de l’impureté ", (Qo 23) n’est-ce pas lui dire : " Ne nous induisez pas en tentation ? " Enfin ces paroles : " Délivrez-moi de mes ennemis ", (Ps 58) ne reviennent-elles pas à celles-ci : " Délivrez-nous du mal ? " Et si vous examinez en détail toutes les prières dictées par l’Esprit saint, vous n’y trouverez rien qui ne soit contenu dans l’Oraison dominicale. Toute prière en effet qui ne se rapporte pas à cette prière évangélique, est une prière inspirée par la chair, et que j’ose appeler coupable, puisque le Seigneur a enseigné à ceux qui sont régénérés à ne prier qu’en esprit. Celui-là donc qui dans la prière dit à Dieu : " Seigneur, multipliez mes richesses, augmentez mes honneurs, et qui le dit dans un sentiment de pure convoitise, sans se proposer le bien spirituel que les hommes pourraient en retirer, ne trouvera certainement rien dans l’Oraison dominicale qui puisse appuyer sa demande. Qu’il rougisse donc au moins de demander ce qu’il ne rougit pas de désirer ; ou si la passion l’emporte sur la honte qu’il éprouve, la meilleure prière qu’il puisse faire c’est d’être affranchi de ce mal de la cupidité par celui à qui nous disons : " Délivrez-nous du mal ".
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 18). Le nombre de demandes dont se compose l’Oraison dominale paraît aussi se rapporter aux sept béatitudes. En effet si c’est la crainte de Dieu, qui rend heureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient, demandons que le nom de Dieu soit sanctifié parmi les hommes, à l’aide de cette crainte chaste qui demeure dans les siècles des siècles. Si c’est la piété qui fait le bonheur de ceux qui sont doux, demandons que son règne nous arrive pour nous communiquer cette douceur qui ne connaît point la résistance. Si c’est la science qui donne à ceux qui pleurent le secret du bonheur, prions que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel, car lorsque le corps qui est figuré par la terre sera soumis à l’esprit qui représente le ciel, nous ne serons plus dans les larmes. Si c’est la force qui rend heureux ceux qui ont faim, demandons que Dieu nous donne aujourd’hui notre pain de chaque jour, afin que nous puissions parvenir là où nous serons pleinement rassasiés. Si c’est le conseil qui fait le bonheur de ceux qui sont miséricordieux parce que Dieu leur fera miséricorde, remettons leurs dettes à ceux qui nous doivent, afin que Dieu nous remette ce que nous lui devons. Si c’est l’intelligence qui rend heureux ceux qui ont le cœur pur, demandons à Dieu de ne pas entrer en tentation, pour ne pas tomber dans la duplicité du cœur, en poursuivant les biens terrestres et périssables, qui sont pour nous la source de toutes les tentations. Si c’est enfin la sagesse qui rend heureux les pacifiques parce qu’ils seront appelés les enfants de Dieu, prions pour qu’il nous délivre du mal, car cette délivrance nous établira dans la sainte liberté des enfants de Dieu.

S. Chrys. (hom. 20). Notre-Seigneur avait pu nous attrister par ces paroles : " Délivrez-nous du mal " qui nous rappelaient le souvenir de notre ennemi, il relève donc notre courage par Ces autres paroles que l’on trouve dans quelques exemplaires grecs : " Parce qu’à vous seul appartiennent l’empire, la puissance et la gloire ". En effet si l’empire lui appartient, nous n’avons rien à craindre d’aucune créature puisque celui qui combat contre nous est son sujet. Et comme sa puissance et sa gloire sont infinies, non-seulement il peut nous arracher au mal, mais encore nous combler de gloire. — S. Chrys. (sur S. Matth). Cette conclusion peut aussi se rapporter à ce qui précède. Ces paroles : " A vous appartient l’empire ", se rapportent à celles-ci : " Que votre règne arrive ", et préviennent cette objection : Dieu ne règne donc pas sur la terre. Celles qui suivent : " Et la puissance ", se rattachent à cette demande : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ", et répondent à ceux qui prétendraient que Dieu ne fait pas ce qu’il veut. Enfin cette dernière parole : " Et la gloire ", se rapporte aux demandes suivantes qui sont une manifestation de la gloire de Dieu.

 

vv. 14-15.

Rab. Le mot " Ainsi soit-il " qui termine cette prière nous apprend que Dieu accordera infailliblement tout ce que lui demanderont dans la forme prescrite ceux qui rempliront l’engagement et la condition qu’il exige ; et c’est pour cela qu’il ajoute : " Si vous remettez aux hommes leurs péchés contre vous " etc. — S. Aug. (serm. sur la mont). Remarquons ici que de toutes les maximes qui composent la prière que le Seigneur nous a dictée, il a cru devoir insister principalement sur celle qui a pour objet la rémission des péchés. C’est par là qu’il veut nous former à la miséricorde comme à l’unique moyen d’échapper à nos misères. — S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne nous fait pas dire : " Que Dieu nous remette le premier nos dettes et nous les remettrons ensuite à nos débiteurs ", car le Seigneur sait que les hommes sont sujets au mensonge, et qu’après avoir obtenu la rémission de leurs péchés, ils ne pardonneraient pas à ceux qui les ont offensés ; il exige donc que nous accordions d’abord ce pardon, avant de le solliciter par nous-mêmes.
 

S. Aug. (Enchirid. chap. 74). Celui qui ne pardonne pas du fond du cœur à son frère qui l’en supplie et qui se repent de sa faute, ne doit espérer en aucune manière le pardon de ses propres péchés. " Si vous ne pardonnez point aux hommes " dit le Sauveur, " votre Père céleste ne vous pardonnera point non plus vos péchés ". — S. Cypr. (de l’Or. Dom). Vous n’aurez aucune excuse à présenter au jour du jugement, car vous serez jugé d’après vos propres principes, et vous ne subirez que ce que vous aurez fait éprouver aux autres. — S. Jér. Si ces paroles de l’Écriture sainte : " Je l’ai dit, vous êtes des dieux, mais cependant vous mourrez comme des hommes " ; (Ps 81, 6 ; cf. Jn 10, 31) sont adressées à ceux qui par leurs péchés sont tombés du rang des Dieux à celui des hommes : on peut bien donner le nom d’hommes à ceux à qui les péchés sont pardonnés. — S. Chrys. (hom. 20). Notre-Seigneur vous rappelle le souvenir des cieux et de son Père, pour exciter en vous une noble émulation, car rien ne vous rend plus semblable à Dieu que de pardonner à ceux qui vous ont offensé. Mais il y a souveraine inconvenance à ce que le fils d’un tel Père se montre cruel, et qu’étant appelé à posséder un jour le ciel, il conserve des sentiments terrestres et tout humains.

 

v. 16.

S. Chrys. (sur S. Matth). Puisqu’un esprit humble et un cœur contrit donnent à la prière une véritable puissance (cf. Dn 3, 39), et que ces deux dispositions ne peuvent se concilier avec une vie de délices ; il est évident que la prière séparée du jeûne, est sans force et sans vertu. Aussi tous ceux qui ont voulu obtenir de Dieu quelque grâce pressante ont toujours joint le jeûne à la prière, parce que le jeûne est le soutien de la prière. Voilà pourquoi Notre-Seigneur fait suivre la doctrine sur la prière, de ses enseignements sur le jeûne : " Lorsque vous jeûnez, dit-il, ne vous rendez pas tristes comme les hypocrites ". Le Seigneur savait que la vaine gloire prend naissance au sein môme de toute vertu, il nous commande donc de couper l’épine de la vaine gloire qui pousse dans une bonne terre, pour qu’elle n’étouffe pas le fruit du jeûne. Il est impossible qu’on ne s’aperçoive pas que vous jeûniez, mais il vaut mieux que le jeûne vous fasse remarquer plutôt que de faire remarquer vous-même votre jeûne. Il est bien difficile que celui qui jeûne soit gai, aussi Notre-Seigneur ne dit-il pas : " Ne soyez pas tristes ", mais " ne vous rendez pas tristes ". Ceux qui par exemple cherchent à tromper les regards par une pâleur factice, ceux-ci ne sont pas tristes mais cherchent à le devenir ; celui au contraire qui est triste par un effet naturel du jeûne, ne cherche pas à se rendre triste, mais il l’est en réalité, c’est pour cela que le Sauveur ajoute : " Ils affectent de paraître avec un visage défiguré ".
 

S. Jér. Le mot exterminer qui est employé fréquemment dans les saintes Écritures par suite de l’ignorance des interprètes, a un sens plus étendu que celui qu’on lui donne ordinairement. On dit des exilés qu’ils sont exterminés, c’est-à-dire envoyés au delà des frontières : nous devons nous, donner à ce mot le sens de détruire ; or l’hypocrite détruit, exténue son visage pour paraître triste, et tandis que son cœur est plein de joie, il porte sur sa figure l’apparence du deuil. — S. Grég. (Moral., liv. 8, chap. 26). Vous voyez leur visage couvert de pâleur, leur corps tremblant de faiblesse, leur poitrine oppressée par leurs soupirs entrecoupés, et quel est le but de ces laborieux efforts ? l’opinion des hommes.
 

S. Léon. (serm. 4 sur l’Epiph). Les jeûnes qui ne viennent point d’un principe de mortification, mais qui sont le produit de la fourberie, ne sont pas des jeûnes purs aux yeux de Dieu. — S. Chrys. (sur S. Matth). Or si celui qui jeûne et affecte la tristesse n’est qu’un hypocrite, quel n’est pas le crime de celui qui sans jeûner, a recours à certains moyens pour imprimer sur son visage, comme signe de jeûne une pâleur vénale ?

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 19). Une remarque importante à faire sur cette matière, c’est qu’on peut mettre de la vanité non-seulement dans l’éclat et le luxe de tout ce qui tient au corps, mais jusque dans l’extérieur négligé qui exprime le deuil et la tristesse, vanité alors d’autant plus dangereuse, qu’elle cherche à tromper sous les apparences de la religion. Celui qui cherche à briller par une propreté affectée et par une recherche excessive dans ses vêtements ou dans les autres ornements du corps, est convaincu par ce seul fait d’être partisan des pompes du monde, et il ne trompe personne par l’apparence d’une sainteté hypocrite. Quant à celui qui, faisant profession d’une vie chrétienne, cherche à fixer sur lui les yeux du public par le spectacle d’une maigreur et d’une malpropreté extraordinaires, s’il le fait avec intention et sans y être réduit par la nécessité, l’ensemble de sa vie prouvera s’il agit ainsi par le mépris d’un luxe superflu, ou par un motif quelconque d’ostentation.
 

Remi. Les paroles suivantes nous font connaître le fruit du jeûne des hypocrites : Pour faire voir aux hommes qu’ils jeûnent ". Je vous le dis en vérité : ils ont reçu leur récompense ", c’est-à-dire celle qu’ils ont désirée.

 

vv. 17-18.

La Glose. Le Seigneur vient de nous apprendre ce qu’il fallait éviter, il nous enseigne maintenant ce qu’il faut faire : " Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête, etc ".
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 20). J’entends souvent demander quel est le sens de ces paroles. Bien que nous ayons l’habitude de nous laver tous les jours le visage, il serait hors de raison de nous commander de parfumer aussi notre tête lorsque nous jeûnons, ce qui, de l’aveu de tous, est souverainement indigne d’un chrétien. — S. Chrys. (sur S. Matth). Pourquoi d’ailleurs après nous avoir défendu d’affecter un extérieur triste pour ne pas découvrir aux hommes que nous jeûnons, le Seigneur nous ordonne-t-il de nous laver la figure et de nous parfumer la tête ? Car si ceux qui jeûnent observent ces pratiques, elles deviendront des indices de leur jeûne. — S. Jér. Notre-Seigneur parle donc ici en se conformant aux usages de la Palestine où on a l’habitude de se parfumer la tête aux jours de fête, et ce qu’il nous ordonne, c’est tout simplement de nous montrer nous-mêmes pleins de joie et avec un certain air de fête aux jours de jeûne. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ces paroles, comme les précédentes doivent être entendues dans un sens tant soit peu hyperbolique. Notre-Seigneur veut donc nous dire : vous devez fuir avec tant de soin toute ostentation lorsque vous jeûnez, que s’il était possible et permis (ce qui ne l’est pas), vous devriez au contraire affecter les dehors du plaisir et de la bonne chère. " Et pourquoi ? " Pour que les hommes ne voient pas que vous jeûnez.

Chrys. (homél. 20). Pour l’aumône, il ne s’est pas exprimé de la sorte ; il nous a dit qu’il ne fallait pas la faire devant les hommes, en ajoutant : " Pour en être remarqué ". Il n’ajoute rien de semblable pour le jeûne et pour la prière, parce qu’il est impossible que l’aumône demeure entièrement secrète, tandis que le jeûne et la prière peuvent très bien rester inconnus. Or, ce n’est pas un médiocre avantage que de mépriser la gloire humaine, car alors on est affranchi de l’esclavage accablant des hommes et c’est dans un sens véritable qu’on pratique la vertu, en l’aimant non pas pour les autres, mais pour elle-même. Nous regardons comme un outrage d’être aimés par rapport à d’autres et non pour nous-mêmes ; d’après cette règle, nous ne devons point pratiquer la vertu pour les autres, nous ne devons pas obéir à Dieu à cause des hommes, mais pour Dieu seul ; c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Mais à votre Père qui est dans le secret ". — La Glose. C’est-à-dire à votre Père céleste qui est invisible ou qui habite dans votre cœur par la foi. Or c’est jeûner pour Dieu que de se mortifier par amour pour lui, et on donne ainsi à un autre ce qu’on se retranche à soi même.

" Et votre Père qui voit dans le secret ", etc. — Remi. Il vous suffit que celui qui voit ce qui se passe dans la conscience vous en récompense lui-même. — S. Chrys. (sur S. Matth). Dans le sens spirituel, la face de l’âme c’est la conscience ; car, de même qu’un beau visage plaît aux regards des hommes, ainsi une conscience pure est un spectacle agréable aux yeux de Dieu. Les hypocrites, qui jeûnent pour plaire aux hommes, exténuent ces deux faces, voulant tromper à la fois Dieu et les hommes. En effet, la conscience de celui qui pèche est toujours couverte de blessures. Si donc vous avez fait disparaître le mal de votre âme, vous avez purifié votre conscience et votre jeûne est louable. — S. Léon. (serm. 6 sur le jeûne). Il faut accomplir la loi du jeûne non-seulement par le retranchement des aliments, mais en s’abstenant du vice. Car, quel est le but de cette mortification ? c’est d’éteindre en nous le foyer des désirs charnels ; le genre de tempérance auquel nous devons nous livrer de préférence, c’est d’être sobres de toute volonté coupable, c’est de pratiquer le jeûne à l’égard de toute action criminelle. Cette manière d’accomplir la loi du jeûne convient également à ceux qui sont malades, car un corps languissant peut renfermer une âme saine et robuste.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Dans le sens spirituel, le Christ est votre tête ; donnez à boire à celui qui a soif, à manger à celui qui a faim et vous aurez ainsi répandu sur votre tête le parfum de la miséricorde, c’est-à-dire sur Jésus-Christ qui vous dit dans l’Évangile (Mt 25) : " Ce que vous avez fait aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi-même que vous l’avez fait ". — S. Grég. (hom. 16 sur les Evang). Dieu approuve le jeûne, qui lève en sa présence des mains riches d’aumônes. Ce que vous vous retranchez, donnez-le à un autre, afin que le corps de votre frère qui est dans l’indigence soit soulagé par cette nourriture dont vous imposez la privation à votre propre corps. — S. Aug. (serm. sur la mont). Par la tête, nous pouvons encore entendre la raison, parce qu’elle est la reine de notre âme et qu’elle dirige toutes les autres facultés de l’âme et les autres membres du corps. Or, parfumer sa tête est un signe de joie. Réjouissez-vous donc intérieurement de votre jeûne, vous qui, en jeûnant, avez rompu avec les désirs du monde pour vous soumettre à Jésus-Christ. — La Glose. Voici une preuve que dans l’Évangile il ne faut pas tout prendre à la lettre, car il serait ridicule de se parfumer la tête lorsqu’on jeûne. Mais nous devons parfumer notre âme de l’esprit d’amour du Sauveur aux souffrances duquel la mortification nous fait participer. — S. Chrys. (sur S. Matth). C’est dans un sens très juste qu’on nous commande de laver notre visage et de parfumer seulement notre tête sans la laver, car tant que nous habitons ce corps mortel, notre conscience est souillée par le péché, tandis que notre chef qui est le Christ n’a pu se rendre coupable d’aucun péché.

 

vv. 19-20.

S. Chrys. (hom. 21). Après avoir guéri la maladie de la vaine gloire, Notre-Seigneur amène on ne peut plus naturellement son discours sur le mépris des richesses, car rien ne les fait autant désirer que l’amour de la gloire. Pourquoi, en effet, les hommes recherchent-ils avec ardeur cette foule de serviteurs et ces chevaux couverts d’or et ces tables toutes d’argent ? Ce n’est ni pour leur nécessité, ni pour leur plaisir, mais uniquement pour les étaler aux yeux de la multitude. C’est contre cette passion des richesses que Notre-Seigneur s’élève en disant : " Ne vous faites pas de trésors sur la terre ". — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 2). Si quelqu’un se propose pour motif de sa conduite un intérêt temporel, son cœur ne peut demeurer pur en se traînant ainsi sur la terre. Car on dégrade sa nature quand on l’unit à une nature inférieure, bien que cette nature ne soit pas souillée dans son espèce. Est-ce que par exemple l’argent, quoique pur lui-même, ne ternit pas l’or auquel on le mêle ? Ainsi, notre âme est souillée par le désir des choses terrestres, bien que la terre soit pure en elle-même et dans son genre.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). On peut encore donner cette explication : Notre-Seigneur, dans ce qui précède, n’a donné aucun précepte positif de l’aumône, de la prière, du jeûne ; il s’est contenté de combattre la fausse apparence de ces vertus. Il déduit maintenant les conséquences de sa doctrine qui correspondent à ces trois points ; la première regarde l’aumône : " N’amassez pas de trésors sur la terre, où la rouille et les vers ", etc. ; voici donc la suite de son discours : " Lorsque vous faites l’aumône, ne faites pas sonner de la trompette devant vous ", etc. ; ensuite : " N’amassez pas de trésors sur la terre ", etc.
 

Ainsi, il donne d’abord le conseil de faire l’aumône ; secondement, il démontre son utilité, et en troisième lieu il combat la crainte de la misère qui pourrait entraver la volonté prête à secourir le pauvre.
 

S. Chrys. (hom. 21). Après ces paroles : " Ne vous amassez pas de trésors sur la terre ", il ajoute : " Où la rouille et les vers les consument ", nous apprenant ainsi combien sont nuisibles les trésors de la terre, et de quelle utilité, au contraire, sont les trésors du ciel ; et il apporte à l’appui de son raisonnement le lieu où sont ces trésors et ce qu’ils renferment de nuisible, comme s’il disait : Que craignez-vous que votre argent ne s’épuise, si vous le donnez en aumône ? Faites donc l’aumône, et Dieu ajoutera à ce que vous avez déjà, car ce sont les trésors du ciel qui vous seront donnés. Si vous refusez de donner, vous perdez tout ; il ne dit pas : vous les laissez à d’autres, car cela même est une satisfaction pour les hommes. — Rab. Notre-Seigneur indique ici trois diverses manières dont les richesses peuvent se perdre en rapport avec leur nature, l’or et l’argent par la rouille, les vêtements par les vers. Quant aux richesses qui ne craignent ni la rouille ni les vers, comme les pierres précieuses, il indique une cause générale de danger et de perte : ce sont les voleurs qui peuvent nous ravir toute sorte de richesses.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Une autre version porte : Les vers et le manger les consument, car tous les biens de ce monde périssent de ces trois manières : ou bien ils vieillissent d’eux-mêmes et sont rongés par les vers, comme les vêtements ; ou bien ils sont dévorés par leurs maîtres, amis du plaisir ; ou bien ils deviennent la proie des étrangers qui s’en emparent à l’aide de la ruse, de la violence, de la calomnie ou de tout autre moyen injuste. Or, tous ceux qui les enlèvent ainsi sont appelés voleurs, parce que c’est l’iniquité qui les pousse à s’approprier les biens des autres. Mais, me direz-vous, est-ce que tous ceux qui sont en possession de ces biens les perdent ? Je réponds : Si ce n’est tous, un grand nombre du moins. Quant aux richesses que vous gardez par un motif coupable, si vous ne les perdez pas matériellement, vous les perdez au moins spirituellement, puisqu’elles vous deviennent complètement inutiles pour le salut.
 

Rab. Dans le sens allégorique, la rouille signifie l’orgueil qui ternit l’éclat des vertus ; les vers, c’est ce qui met pour ainsi dire en pièces les bonnes résolutions et détruit ainsi l’étroite liaison qui forme l’unité chrétienne. Les voleurs, ce sont les hérétiques et les démons, toujours prêts à nous dépouiller des biens spirituels. — S. Hil. La gloire céleste au contraire est éternelle ; ni le voleur ne peut s’en emparer par adresse, ni les vers, ni la rouille de l’envie ne peuvent la consumer. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Faites-vous des trésors dans le ciel, où ni la rouille, ni les vers ne les consument, et où il n’y a point de voleurs qui les déterrent et les dérobent ".
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 13 ou 21). Il ne faut pas entendre ici le ciel dans un sens matériel, car tout ce qui est corporel doit être considéré comme de même nature que la terre. Or, tout l’univers est digne de mépris aux yeux de celui qui amasse des trésors pour le ciel dont il est dit (Ps 113) : " Le ciel des cieux appartient au Seigneur ", c’est-à-dire pour le firmament des esprits. Le ciel et la terre passeront (Mt 24, 35 ; Mc 13, 31 ; Lc 21, 33) ; or, ce n’est pas dans ce qui passe que nous devons placer notre trésor, c’est-à-dire notre cœur, mais dans ce qui demeure éternellement.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Que vaut-il donc mieux pour nous, ou de placer notre trésor sur la terre, où il est fort douteux que nous puissions le conserver, ou de le placer dans le ciel, où la conservation nous en est assurée ? Quelle est donc cette folie de laisser ce trésor dans un lieu que vous devez quitter et de ne pas l’envoyer par avance dans la patrie vers laquelle vous vous dirigez. Placez donc vos richesses là où vous avez votre patrie.
 

S. Chrys. (hom. 21). Cependant, comme il y a des trésors de ce monde qui sont inaccessibles à la rouille, aux vers et aux voleurs, le Sauveur propose cette autre considération : " Où est votre trésor, là est votre cœur ", paroles qui reviennent à dire : Supposez que vous n’ayez à craindre aucune des pertes signalées plus haut, vous éprouverez un immense dommage en restant attachés à ces choses si basses, en vous rendant leurs esclaves, en perdant tout droit aux biens du ciel en devenant incapable d’aucun noble sentiment, d’aucune pensée élevée. — S. Jér. Tels sont les sentiments que nous devons avoir à l’égard non-seulement de l’argent, mais encore de tous les biens qui peuvent venir en notre possession. En effet, le dieu de l’intempérant, c’est son ventre ; le trésor de l’impudique, c’est la débauche ; celui du voluptueux, les plaisirs criminels. Chacun devient l’esclave de la passion qui le domine ; il a donc son cœur là où est son trésor.

S. Chrys. (sur S. Matth). Dans un autre sens, Notre Seigneur fait voir ici l’utilité de l’aumône. Celui qui place ses richesses sur la terre n’a plus rien à espérer dans le ciel. Pourquoi jeter ses regards vers le ciel où il ne place aucune réserve ? Il commet donc un double péché, d’abord parce qu’il amasse des richesses pernicieuses, et ensuite parce que son cœur est attaché à la terre. Par une raison contraire, celui qui place son trésor dans le ciel fait une action doublement méritoire.

 

vv. 22-23.

S. Chrys. (hom. 21). Le Sauveur vient de parler de l’intelligence réduite en captivité et soumise à l’esclavage ; mais cette doctrine n’était pas facile à comprendre pour un grand nombre ; il prend donc les choses extérieures comme terme de comparaison : " La lampe de votre corps c’est votre oeil ", etc., c’est-à-dire : Si vous ne comprenez ce que c’est que de perdre son intelligence, apprenez le par cette comparaison. Ce que votre oeil est à votre corps, votre intelligence l’est à votre âme. Or, de même que la privation de la vue enlève aux autres membres une grande partie de leur action, parce qu’ils ont perdu la lumière qui les éclairait, ainsi la corruption de votre intelligence plonge votre vie tout entière dans un abîme de maux. — S. Jér. Toute cette comparaison a pour objet de rendre le sens plus clair ; de même en effet que le corps tout entier sera dans les ténèbres, si l’oeil a cessé de voir droit, ainsi que l’âme vienne à perdre sa principale lumière, tous les sens (ou si l’on veut la partie sensible de l’âme) demeureront dans l’obscurité. Ce qui fait ajouter à Notre-Seigneur : " Si la lumière qui est en vous n’est que ténèbres, combien seront grandes les ténèbres elles-mêmes ? C’est-à-dire si l’intelligence et le sentiment, qui sont la lumière de votre âme, sont obscurcis par le vice, combien ce qui est obscur sera lui-même enveloppé de ténèbres ?
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Il est évident que le Sauveur ne veut point parler ici de l’oeil matériel ni de ce corps qui se voit au dehors, autrement il se serait exprimé de la sorte : " Si votre oeil est sain ou malade ", tandis qu’il dit au contraire : " Si votre oeil est simple ou mauvais ". Qu’on ait un oeil bienveillant, mais malade, le corps en verra-t-il plus clair ? Qu’on ait, au contraire, un oeil mauvais, mais sain, le corps en sera-t-il pour cela dans les ténèbres ? — S. Jér. Ceux dont les yeux sont malades voient des lumières multiples ; l’oeil simple et pur, au contraire, voit tous les objets dans leur pureté et leur simplicité. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien il s’agit ici exclusivement de l’oeil intérieur. Cette lampe, c’est l’intelligence à l’aide de laquelle notre âme voit Dieu. Donc celui dont le cœur est en Dieu a un oeil lumineux, c’est-à-dire que son âme est pure, et n’est point ternie par les désirs de la terre. Les ténèbres qui sont en nous, ce sont les sens de la chair qui se portent toujours vers les oeuvres de ténèbres. Celui dont l’oeil est pur, c’est-à-dire dont l’âme est toute spirituelle, conserve son corps lumineux, c’est-à-dire sans péché, car bien que la chair désire le mal, il réprime ces désirs par la force que lui donne la crainte de Dieu. Celui, au contraire, qui a l’oeil mauvais, c’est-à-dire dont l’âme est obscurcie par la malice ou troublée par la concupiscence, a nécessairement son corps dans les ténèbres. Il ne sait pas résister à la chair lorsqu’elle convoite le mal, car il ne nourrit pas dans son cœur cette espérance des cieux qui nous revêt d’une force invincible pour résister à nos passions.
 

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). Ou bien le Sauveur a emprunté à la lumière que l’oeil répand sur le corps l’expression de la lumière de l’âme. Si cette lumière spirituelle reste pure et brillante, elle communiquera à notre corps la clarté de la lumière éternelle, et au jour de la résurrection, elle répandra sur la corruption du tombeau la splendeur de son origine. Si au contraire elle se laisse obscurcir par les péchés et qu’elle devienne mauvaise par la dépravation de la volonté, notre corps lui-même subira la peine de ses vices.
 

S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien encore, cet oeil c’est notre intention. Si elle est pure et droite, toutes les oeuvres qu’elle dirige seront bonnes. En effet l’Apôtre appelle certaines oeuvres nos membres dans ce passage : " Mortifiez les membres de l’homme terrestre qui est en vous, la fornication, l’impureté ", etc. (Col 3, 5) Ce qu’il faut considérer dans la vie d’un homme, ce ne sont donc pas ses actions, mais ses intentions ; car c’est l’intention qui est la lumière de notre âme, puisque nous pouvons savoir clairement si nous agissons avec une bonne intention, et que " tout ce qui est évident est lumière ". (Ep 5) Quant aux actions qui sont une conséquence de nos rapports avec les autres hommes, leur résultat est pour nous incertain, et c’est pour cela que Notre-Seigneur les appelle ténèbres. Par exemple, lorsque je donne de l’argent à un pauvre, puis-je savoir l’usage qu’il en va faire ? Si donc votre intention qui vous est connue, vient à être ternie par des désirs terrestres, à plus forte raison cette action dont vous ignorez le résultat. Je veux que ce que vous avez fait avec une mauvaise intention soit utile à un autre, vous serez jugé sur le motif qui vous a fait agir et non sur le résultat de votre action. Si au contraire nos actions sont faites dans une intention simple, c’est-à-dire par un motif de charité, alors elles sont pures et agréables à Dieu. — S. Aug. (cont. le Mens., chap. 7). Il y a des actions qui sont évidemment péchés, on ne doit jamais les faire quelque bonne intention qu’on s’y propose ; il en est qui ne sont point par elles-mêmes péchés, qui sont indifférentes et deviennent bonnes ou mauvaises, selon le motif bon ou mauvais qui les détermine ; ainsi nourrir les pauvres, c’est une bonne action si on la fait par un principe de miséricorde, c’est une mauvaise action si on la fait pour satisfaire sa vanité. Quand des actions sont évidemment péchés en elles-mêmes, comme le vol, les crimes contre la pudeur et autres de ce genre, qui oserait dire qu’on peut les faire pour un bon motif, sans qu’il y ait aucune faute ? Qui oserait dire : " Volons les riches, pour avoir de quoi donner aux pauvres ".
 

S. Grég. (Moral., 28). Ou bien encore : " Si la lumière qui est en vous n’est que ténèbres, etc "., c’est-à-dire, si une intention droite et bonne au commencement de notre action vient à l’obscurcir en devenant elle-même mauvaise, combien seront ténébreuses les actions dont nous ne pouvons nous dissimuler le mal lorsque nous les faisons ? — Remi. Ou bien c’est la foi qui est ici comparée à une lampe ; car c’est elle qui éclaire les pas de l’homme intérieur (c’est-à-dire ses actions), pour les préserver de tout danger selon cette parole du Psalmiste (Ps 118) : " Votre parole, Seigneur, est la lumière de mon âme ". Si donc notre foi est pure et simple, tout notre corps sera lumineux ; si elle est obscure, il sera tout entier dans les ténèbres. Ou bien enfin, par la lumière il faut entendre celui qui est chargé de diriger les fidèles, et c’est avec raison qu’il est appelé l’oeil du corps, car il est chargé de veiller à ce que le peuple qui lui est soumis et qui est ici figuré par le corps ne manque d’aucune des choses qui peuvent être utiles à son salut. Si donc celui qui gouverne l’Église vient à s’égarer, combien plus le peuple qui est sous sa conduite sera exposé à une perte certaine.

 

v. 24.

S. Chrys. (sur S. Matth). Le Seigneur venait de dire que celui dont l’âme est soumise à l’esprit peut facilement conserver tout son corps dans la pureté, tandis que cela est impossible à celui qui n’obéit pas à l’esprit, Il en donne maintenant la raison : " Personne ne peut servir deux maîtres ". — La Glose. Voici une autre manière de rattacher cette pensée à ce qui précède : " Notre-Seigneur a déclaré plus haut qu’une intention terrestre rendait mauvais ce qui était bon. On pouvait en conclure qu’il était permis de faire le bien, en vue des biens de la terre aussi bien qu’en vue des biens du ciel ". Le Sauveur détruit cette erreur en ajoutant : " Personne ne peut servir deux maîtres à la fois ". — S. Chrys. (hom. 22). On peut encore donner cette explication : Dans ce qui précède, le Sauveur a combattu la tyrannie de l’avarice par des raisons fortes et nombreuses, il lui en oppose ici de plus pressantes encore. En effet, les richesses nous sont visibles non-seulement en armant contre nous les voleurs et en répandant les ténèbres sur notre intelligence, mais encore en nous arrachant au service de Dieu, ce que Notre-Seigneur prouve par cette maxime si connue : " Personne ne peut servir deux maîtres à la fois ". Il dit deux maîtres qui donnent des ordres contraires, car la bonne intelligence ne fait qu’un seul homme de plusieurs. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il : " Ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il se soumettra à l’un et méprisera l’autre ". Il met les deux maîtres en présence pour nous apprendre que l’on peut facilement quitter le mauvais pour le bon. Vous dites par exemple : " Je suis l’esclave des richesses par l’affection que j’ai pour elles ", Le Sauveur vous montre qu’il vous est possible de changer de maître, en vous dérobant à cette servitude, et en n’ayant pour elle que du mépris.
 

La Glose. Ou bien encore Notre-Seigneur paraît ici faire allusion a deux espèces de servitude, l’une qui est noble et naît de l’amour, l’autre qui est servile et qui vient de la crainte. Si donc un chrétien sert par un principe d’amour l’un de ces deux maîtres opposés, il faut nécessairement qu’il ait de la haine pour l’autre ; s’il agit au contraire par un motif de crainte, il ne peut supporter l’un sans mépriser l’autre. Que ce soit un objet terrestre, que ce soit Dieu, si l’un ou l’autre domine dans le cœur de l’homme, il se trouve entraîné dans une direction contraire à l’un des deux, car Dieu attire son serviteur vers les régions élevées, les choses de la terre l’entraînent vers la terre ; et voilà pourquoi il conclut en disant : " Vous ne pouvez pas à la fois servir Dieu et l’argent ". — S. Jér. Mammon est un mot syriaque qui signifie richesse. Que l’avare qui porte le nom de chrétien apprenne ici qu’il ne peut à la fois servir Jésus-Christ et les richesses. Et remarquez que le Sauveur ne dit pas : " Celui qui a des richesses ", mais " celui qui est le serviteur et l’esclave des richesses ", car celui qui en est l’esclave les garde comme fait un esclave ; celui au contraire qui est affranchi de leur servitude, les distribue comme en étant le maître. — La Glose. Par Mammon on peut entendre aussi le démon qui a l’empire sur les richesses, non pas qu’il puisse les distribuer à son gré, sans que Dieu le lui permette, mais parce qu’il les fait servir à tromper les hommes. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 22). Celui qui est l’esclave de Mammon ou des richesses devient aussi l’esclave de celui qui par sa perversité a été préposé au gouvernement des choses de la terre, et appelé par le Seigneur le prince de ce monde. Ou bien encore par ces paroles : " Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ", le Seigneur nous montre quels sont les deux seigneurs, Dieu et le démon. Or il faut nécessairement que l’homme haïsse l’un et qu’il aime l’autre, qu’il se soumette à l’un et méprise l’autre. En effet celui qui est l’esclave de l’argent souffre une dure servitude, car enchaîné par sa cupidité, il subit l’esclavage du démon, mais il ne l’aime pas ; de même que celui que sa passion unit à la servante d’un autre, est soumis à une cruelle servitude, sans qu’il ait aucune affection pour celui dont il aime la servante. Remarquez que le Sauveur dit : " Et il méprisera l’autre, et non pas il le haïra ". Car il n’est peut-être pas un homme qui puisse haïr Dieu dans sa conscience. Mais on peut le mépriser, c’est-à-dire ne pas le craindre lorsque sa bonté nous inspire une confiance présomptueuse.

 

v. 25.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22). Notre-Seigneur nous a enseigné plus haut que celui qui veut aimer Dieu et fuir ce qui l’offense, ne doit pas se flatter de pouvoir servir deux maîtres à la fois, dans la crainte que le cœur ne vienne à se partager par la recherche non du superflu, mais du nécessaire, et que pour se le procurer, l’intention ne soit détournée de sa véritable fin, il ajoute : " C’est pourquoi je vous le dis, ne soyez pas inquiets pour votre vie, de ce que vous mangerez ", etc. — S. Chrys. (homél. 22). En parlant ainsi le Sauveur ne suppose pas que l’âme ait besoin de nourriture (car elle est incorporelle), mais il se sert ici d’un langage reçu ; d’ailleurs l’âme ne peut rester dans le corps qu’à la condition pour celui-ci de prendre de la nourriture. — S. Aug. Ou bien l’âme est mise ici pour la vie animale. — S. Jér. Dans quelques exemplaires on lit cette addition : " Ni de ce que vous boirez ". Nous ne sommes donc pas délivrés entièrement de tout soin en ce qui concerne les biens que la nature accorde également à tous les êtres, et qui sont communs aux animaux sauvages et domestiques aussi bien qu’aux hommes. Mais Dieu nous défend d’avoir de l’inquiétude à l’égard de notre nourriture. C’est à la sueur de notre front que nous préparons notre pain ; il faut pour cela du travail, mais point de sollicitude. Ce qui est dit ici doit s’entendre de la nourriture et du vêtement de notre corps. Quant aux vêtements et à la nourriture de l’âme, ils doivent être l’objet constant de notre sollicitude.
 

S. Aug. (des hérés., chap. 57). On appelle Euchites (???????) certains hérétiques qui prétendent qu’il n’est pas permis à un moine de travailler pour le soutien de sa vie, et qu’ils n’embrassent eux-mêmes l’état monastique que pour s’affranchir de tout travail. — S. Aug. (Du travail des moines, chap. 1). Ils disent donc : ce n’est pas des oeuvres corporelles auxquelles se livrent les laboureurs et les artisans dont l’apôtre a voulu parler lorsqu’il a dit : " Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger ", (2 Th 2), car il ne pouvait se mettre en contradiction avec ces paroles de l’Évangile : " C’est pourquoi je vous dis ne soyez pas inquiets ", etc. Le travail dont veut parler ici l’Apôtre, ce sont donc les oeuvres spirituelles dont il a dit ailleurs : " J’ai planté, Apollon a arrosé ". Ces hérétiques prétendent ainsi obéir à la fois à la recommandation de l’Évangile et à celle de l’Apôtre en soutenant que l’Évangile nous a commandé de ne point nous inquiéter des besoins matériels de cette vie, et que c’est de la nourriture et des oeuvres spirituelles que l’Apôtre a dit : " Que celui qui ne veut pas travailler ne mange point ". Il faut donc leur démontrer tout d’abord que ce sont des oeuvres corporelles que l’Apôtre recommande aux serviteurs de Dieu. Il venait de leur dire précédemment : " Vous savez vous-mêmes ce qu’il faut faire pour nous imiter, puisque nous n’avons point causé de troubles parmi vous, nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne, mais nous avons travaillé nuit et jour pour n’être à charge à aucun de vous, non pas que nous n’en eussions le droit, mais nous avons voulu vous donner en nous un modèle à imiter ". C’est pour cela que lorsque nous étions auprès de vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut pas travailler ne doit pas manger. Que peut-on répondre à des paroles si claires, lorsque nous voyons l’Apôtre consacrer cette doctrine par son exemple, c’est-à-dire par le travail de ses mains. Ne le voyons-nous pas en effet travailler des mains dans ce passage des Actes des Apôtres (Ac 18), où il est dit : " Il resta auprès d’Aquila et de son épouse Priscilla et travailla chez eux, car leur métier était de faire des tentes ? " Et cependant le Seigneur avait établi que ce grand Apôtre, comme prédicateur de l’Évangile, comme soldat du Christ, comme planteur de la vigne et pasteur du troupeau, devait vivre de l’Évangile. Toutefois, il n’exigea pas le salaire auquel il avait droit, pour donner dans sa personne un exemple sans réplique à ceux qui étaient portés à exiger ce qui ne leur était pas dû.

Qu’ils prêtent donc l’oreille ceux qui n’ont pas le pouvoir dont l’Apôtre était revêtu, et qui ne pouvant présenter aucune oeuvre spirituelle, voudraient manger un pain qu’ils n’ont gagné par aucun travail corporel. Ils ont ce droit, s’ils sont prédicateurs de l’Évangile, ou ministres de l’autel, ou dispensateurs des sacrements. Si du moins ils possédaient dans le monde des biens qui pouvaient les faire vivre facilement sans travail, et qu’au moment de leur conversion, ils les aient distribués aux pauvres, il faut croire à leur faiblesse, y condescendre, et la supporter, sans faire attention à l’endroit qui a profité de leurs dons, puisque les chrétiens ne forment entre eux qu’une seule société. Mais quant à ceux qui viennent des champs, ou de l’atelier, ou d’une profession vulgaire pour se consacrer à Dieu dans l’état religieux, ils n’ont aucune excuse pour se dispenser du travail des mains. Est-il convenable que les artisans restent oisifs là où les sénateurs se livrent au travail ? Convient-il que des campagnards soient délicats là où les possesseurs de grands domaines ne viennent qu’après avoir quitté toutes les jouissances de la terre ? Ainsi lorsque Notre-Seigneur a dit : " Ne soyez pas inquiets ", son dessein n’est pas qu’on ne puisse chercher à se procurer les biens indispensables à une vie honnête, mais il défend d’avoir l’oeil fixé constamment sur ces biens, et que les prédicateurs de l’Évangile n’en fassent le but de leurs travaux évangéliques, car c’est cette intention qu’il avait appelée plus haut l’oeil du corps.
 

S. Chrys. (hom. 22). On peut encore établir autrement la liaison des paroles du Sauveur. Comme il venait d’enseigner le mépris des richesses, on pouvait donc dire : " Comment pourrons-nous vivre si nous abandonnons tout ce que nous possédons ? " Il répond en ajoutant : " C’est pourquoi je vous dis : Ne vous laissez pas préoccuper ", etc. — La Glose. Par les soins temporels qui vous détourneraient des biens de l’éternité.
 

S. Jér. Il nous est défendu d’avoir de l’inquiétude à l’égard de notre nourriture, car c’est à la sueur de notre front que nous devons assurer notre subsistance. Il faut donc du travail, mais point de sollicitude. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ce ne sont pas les préoccupations de l’esprit, mais le travail de nos bras qui doit nous procurer notre pain ; Dieu le donne libéralement au travail comme récompense, mais il le retire à la négligence pour la punir. Le Seigneur affermit notre espérance à cet égard, premièrement, par ce raisonnement du plus au moins, en disant : " Est-ce que la vie n’est pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? " — S. Jér. Celui qui vous a donné les choses les plus élevées vous refuserait-il celles qui sont de moindre importance ? — S. Chrys. (sur S. Matth). S’il n’avait pas voulu conserver les êtres qui existent, il ne les aurait pas créés. Or, en leur donnant l’existence, il a établi qu’elles se conserveraient au moyen de la nourriture ; il doit donc leur procurer cette nourriture, tant qu’il veut que se prolonge l’existence qu’il leur a donnée. — S. Hil. Ou bien encore, comme les pensées des infidèles sont perverties à l’égard des choses de l’autre vie et qu’ils demandent avec mauvaise foi quelle sera la forme de nos corps à la résurrection, quelle sera leur nourriture pendant l’éternité, le Seigneur met à néant ces questions aussi sottes qu’inutiles par cette réponse : " Est-ce que l’âme n’est pas plus que la nourriture ? " Il ne veut pas que l’espérance que nous avons de la résurrection s’arrête à ces misérables inquiétudes sur le manger, le boire et le vêtement ; il ne veut pas qu’on lui fasse outrage en le croyant incapable de nous accorder ces choses si minimes, alors qu’il nous rendra et notre corps et notre âme.

 

vv. 26-27.

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur vient d’affermir notre espérance par une raison du plus au moins, il la confirme maintenant par un argument du moins au plus : " Considérez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent ". — S. Aug. (Du travail des moines, chap. 23). Il en est qui prétendent n’être pas obligés au travail, parce que, disent-ils, les oiseaux du ciel ne sèment ni ne moissonnent. Pourquoi donc ne pas faire attention à ce qui suit : " Et ils n’amassent rien dans les greniers ? " Pourquoi veulent-ils avoir les mains oisives et leurs greniers pleins ? Pourquoi moudre leur blé et cuire leur pain ? Car les oiseaux du ciel ne le font pas. S’ils trouvent des personnes qu’ils détermineront à leur apporter chaque jour leur nourriture toute préparée, encore faudra-t-il qu’ils se procurent eux-mêmes de l’eau en allant la puiser à une fontaine, à une citerne ou à un puits. S’ils ne sont même pas obligés à remplir d’eau leurs vases, ils ont vraiment un degré de perfection de plus que les fidèles de Jérusalem qui, ayant reçu le blé qui leur était envoyé de la Grèce, ont pris soin d’en faire du pain ou au moins d’en faire préparer, ce que ne font pas les oiseaux. On ne peut pas assujettir à ne rien réserver pour le lendemain ceux qui se séparent pour longtemps du commerce des hommes sans aucune relation avec eux, et qui s’enferment pour vivre appliqués tout entiers à la prière. On peut dire même que plus leur perfection est grande, plus leur conduite diffère de celle des oiseaux. Si donc Notre-Seigneur prend les oiseaux pour terme de comparaison, c’est pour ne laisser à personne la pensée que Dieu puisse refuser le nécessaire à ses serviteurs, puisque sa providence s’étend jusque sur les oiseaux. Car il ne faut pas croire que ce n’est pas Dieu lui-même qui nourrit ceux qui travaillent de leurs propres mains. Ainsi, parce que Dieu dit : " Invoquez-moi au jour de la tribulation et je vous en délivrerai ", on ne doit pas en conclure que l’Apôtre ne devait pas recourir à la fuite, mais qu’il devait attendre qu’il fût saisi et que Dieu vînt le délivrer, comme il avait délivré les trois jeunes hommes de la fournaise. Les saints pourraient répondre à ceux qui leur feraient cette difficulté, qu’ils ne doivent pas tenter Dieu, mais que c’est à lui, s’il le veut, de les délivrer, comme il a délivré Daniel des lions et saint Pierre de ses liens, alors qu’ils étaient eux-mêmes dans l’impossibilité de le faire. Que si Dieu, au contraire, leur donne les moyens de fuir et qu’ils échappent ainsi au danger, c’est encore à lui seul qu’ils attribuent leur délivrance. Par la même raison, si des serviteurs de Dieu sont capables de gagner leur vie de leur travail personnel et que l’Évangile en main on vienne leur objecter l’exemple les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent, ils répondront facilement : " Si nous étions réduits à l’impuissance de travailler par suite de quelque maladie ou de quelque occupation, Dieu sans doute nous nourrirait comme les oiseaux du ciel qui ne travaillent pas. Mais puisque nous pouvons travailler, nous ne devons pas tenter Dieu, car cette puissance même que nous avons vient de sa bonté ; tant que nous vivons, notre vie vient de la même source que cette puissance, et nous sommes nourris par celui qui nourrit les oiseaux du ciel, comme Notre-Seigneur le dit : " Et votre Père céleste les nourrit ; n’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux ? " etc. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 22). C’est-à-dire, vous êtes d’un prix plus élevé, parce que l’homme, animal raisonnable, occupe dans la nature un rang supérieur aux animaux sans raison, comme les oiseaux.
 

S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 11, chap. 16). Cependant un cheval coûte ordinairement plus cher qu’un esclave, et une pierre précieuse plus cher qu’une servante ; mais ce n’est pas une appréciation raisonnable, c’est la nécessité ou le plaisir qui leur donne cette valeur. — S. Chrys. (sur S. Matth). Tous les animaux ont été faits pour l’homme ; mais l’homme a été fait pour Dieu et Dieu prend d’autant plus soin de l’homme qu’il occupe un rang plus élevé dans la création. Si donc les oiseaux trouvent leur nourriture sans travailler, pourquoi l’homme ne la trouverait-il pas, lui à qui Dieu a donné la science du travail et l’espérance du succès ?
 

S. Jér. Il en est qui, en voulant dépasser les limites respectées par nos pères et s’élever vers les hauteurs, tombent dans les abîmes. Ils prétendent que les oiseaux du ciel sont les anges et les autres puissances célestes qui exécutent les ordres de Dieu et qui sont nourris par la Providence divine sans aucun souci de leur part. S’il en est ainsi, comment expliquer les paroles suivantes qui s’appliquent nécessairement aux hommes : " Est-ce que vous n’êtes pas plus qu’eux ? " Il faut donc entendre ce passage tout simplement en ce sens que si, sans peine et sans préoccupation de leur part, la Providence de Dieu nourrit les oiseaux qui sont aujourd’hui et demain ne seront plus, elle fera bien plus pour les hommes à qui l’éternité est promise.
 

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). On peut dire aussi que dans cette comparaison des oiseaux le Sauveur nous instruit par l’exemple des esprits impurs qui, sans aucun travail pour chercher ou amasser leur nourriture, reçoivent cependant leur subsistance par un effet des conseils éternels de Dieu, et c’est pour confirmer ce rapport aux esprits impurs qu’il ajoute : " N’êtes vous pas plus qu’eux ? " montrant ainsi par une comparaison frappante la différence qui existe entre la malice et la sainteté.
 

La Glose. Ce n’est pas seulement par l’exemple des oiseaux, c’est encore par notre propre expérience que le Sauveur nous enseigne que pour exister et pour vivre, nos soins personnels ne suffisent pas, mais qu’il faut encore l’action de la divine Providence. " Qui donc d’entre vous peut ajouter par son intelligence une coudée à sa taille ? " — S. Chrys. (sur S. Matth). C’est Dieu qui chaque jour donne l’accroissement à votre corps sans que vous puissiez vous en rendre compte. Si donc la Providence de Dieu travaille tous les jours en vous à l’accroissement de votre corps, comment restera-t-elle inactive devant de véritables nécessités ? Mais comment vous-mêmes, si tous les efforts de votre pensée ne peuvent ajouter la plus petite partie à votre corps, pourrez-vous le sauver tout entier ? — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 23). Ou bien ces paroles se rapportent à ce qui suit de cette manière : " Une preuve que ce n’est pas votre sollicitude qui a fait parvenir votre corps à sa taille actuelle, c’est que, même quand vous le voudriez, vous ne pourriez lui ajouter une coudée ; laissez donc le soin de couvrir votre corps à celui qui a su lui donner une taille aussi élevée ". — S. Hil. De même qu’il s’est servi de l’exemple des esprits pour appuyer notre foi en la Providence à l’égard des nécessités de la vie, ainsi c’est en invoquant l’opinion commune qu’il nous fait connaître l’état qui nous attend après la résurrection. Puisque Dieu doit un jour ressusciter tous les corps qui ont en vie et en ramener la diversité à l’unité d’un homme parfait, et que seul il peut ajouter à la taille de chacun, une, deux ou trois coudées, n’est-ce pas lui faire outrage que d’être inquiet à l’égard du vêtement, c’est-à-dire de l’extérieur de notre corps, alors qu’il doit ajouter à la taille de tous les corps humains ce qui sera nécessaire pour établir l’égalité entre tous les hommes.
 

S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 15). Si le Christ est ressuscité avec cette taille qu’il avait au moment de sa mort, on ne peut dire qu’au jour de la résurrection générale il paraîtra avec une taille gigantesque, différente de celle qui était connue des Apôtres. Si, au contraire, nous prétendons que tous les corps d’une taille plus grande ou plus petite seront élevés ou raccourcis à sa taille, un grand nombre de corps perdront de leur volume, contrairement à la promesse qu’il nous a faite que pas un cheveu de notre tête ne périrait. Disons donc que chacun ressuscitera avec la taille qu’il avait dans sa jeunesse, s’il est mort dans un âge avancé, et avec celle qu’il aurait eue s’il est mort auparavant. L’Apôtre n’a pas dit : " Dans la mesure de la taille ", mais : " Dans la mesure de l’âge parfait du Christ (Ep 4, 13 ) ", parce que, en effet, les corps ressusciteront dans cet âge de jeunesse et de force auquel nous savons que le Christ est parvenu.

 

vv. 28-30.

S. Chrys. (hom. 23). Après nous avoir enseigné à bannir toute sollicitude pour la nourriture, Notre-Seigneur passe à une autre nécessité moins importante, le vêtement ; car le vêtement n’est pas d’une aussi pressante nécessité que la nourriture. " Et pourquoi vous inquiétez-vous pour le vêtement ? " il ne se sert plus ici de la comparaison tirée des oiseaux, bien que quelques-uns, comme le paon et le cygne, eussent pu lui servir d’exemple, mais il choisit les lis en disant : " Considérez les lis des champs ". Il veut faire ressortir l’inépuisable richesse de la Providence divine à l’aide de ces deux choses : la magnificence et l’éclat des lis, et la faiblesse de ces êtres que Dieu revêt d’une si éclatante splendeur.
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 14 ou 23). Il ne faut point interpréter trop subtilement ces divins enseignements dans un sens allégorique et rechercher ce que signifient ici les oiseaux du ciel ou les lis des champs. Le Sauveur n’a recours aux comparaisons qu’il emprunte à la nature extérieure que pour nous aider à comprendre des choses d’un ordre plus élevé. — S. Chrys. (sur S. Matth). Au temps marqué par la Providence, les lis déploient leurs feuilles, se revêtent de blancheur, se remplissent de parfums, et ce que la terre n’avait pu donner à la racine, Dieu le lui communique par une opération invisible. Tous reçoivent avec une égale abondance, pour qu’on n’y voie pas un effet du hasard, mais le résultat d’une disposition de la Providence de Dieu. Par ces paroles : " Ils ne labourent pas ", Notre-Seigneur encourage les hommes ; par ces autres : " Ni ils ne filent point ", il ranime la confiance des femmes (cf. Pv 30) ".
 

S. Chrys. (hom. 23). Cette doctrine du Sauveur ne tend pas à interdire le travail, mais la sollicitude, comme lorsqu’il a dit plus haut : " Les oiseaux ne sèment point ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Et pour faire ressortir davantage cette Providence qui surpasse toutes les inventions de l’industrie humaine, il ajoute : " Je vous déclare que Salomon ", etc. — S. Jér. En effet, quelle soierie, quelle pourpre royale, quel riche tissu peut soutenir la comparaison avec les fleurs ? Quel rouge plus vif que celui de la rose et quelle blancheur plus éclatante que celle du lis ? Aucune pourpre ne peut l’emporter sur la violette, c’est une vérité qui n’a pas besoin de démonstration, il suffit d’avoir des yeux pour s’en convaincre. — S. Chrys. (hom. 23). Il y a entre la richesse des vêtements et celle des fleurs, la différence qui sépare le mensonge de la réalité. Si donc la magnificence de Salomon, le plus splendide des rois, a été surpassée par celle des fleurs, comment la richesse de vos vêtements pourra-t-elle effacer leur éclat ? Et cet éclat des fleurs a triomphé de la magnificence de Salomon, non pas une ou deux fois, mais pendant toute la durée de son règne ; c’est ce qu’indiquent ces mots : " Dans toute sa gloire ", car pas même un seul jour il ne put atteindre la riche parure des fleurs. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien Notre-Seigneur parle ainsi parce que Salomon, sans travailler pour se procurer des vêtements, donnait cependant des ordres en conséquence. Or, le commandement est presque toujours accompagné de colère dans celui qui le fait, et de froissement dans celui qui l’exécute ; les fleurs, au contraire, reçoivent leur riche parure sans même qu’elles y pensent. — S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). Ou bien, par les lis, on peut entendre les célestes clartés des anges, que Dieu lui-même revêt d’une gloire éblouissante. Ils ne travaillent ni ne filent, car la grâce qui a, dès leur origine, assuré le bonheur des anges, se répand sur tous les moments de leur existence, et comme après la résurrection les hommes seront semblables aux anges, Notre-Seigneur, en faisant briller à nos yeux l’éclat des vertus célestes, a voulu nous faire espérer ce vêtement de gloire éternelle.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Si Dieu revêt avec tant de magnificence les fleurs qui ne naissent que pour satisfaire un instant les yeux et périr presque aussitôt après, pourra-t-il oublier les hommes, qu’il a créés non pour apparaître un instant, mais pour exister éternellement. C’est cette vérité dont il veut nous convaincre en ajoutant : " Si donc Dieu prend soin de vêtir ainsi l’herbe des champs qui est aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, combien prendra-t-il plus soin de vous, hommes de peu de foi ? " — S. Jér. Le mot demain, dans l’Écriture, signifie le temps qui suit : " Ma justice m’exaucera demain (Gn 30) ", dit Jacob. — La Glose. D’autres exemplaires portent : " Dans le feu, ou dans un de ces tas d’herbes enflammées qui ressemblent à un four. — S. Chrys. (homél. 23). " Le Sauveur ne leur donne déjà plus le nom de lis, c’est l’herbe des champs, pour montrer leur chétive nature. Il la fait encore ressortir davantage, en ajoutant, non pas : " Qui ne seront plus demain ", mais ce qui exprime bien plus leur peu de valeur. " Qui seront jetés au four ". Ces paroles : " A combien plus forte raison " nous donnent à entendre ce qui fait l’honneur du genre humain, comme si le Sauveur disait : " Vous à qui Dieu a donné une âme, dont il a formé le corps, à qui il a envoyé ses prophètes et livré son Fils unique ". Il dit : " De peu de foi ", car la foi qui ne s’étend pas même à des choses aussi minimes est une foi bien faible. — S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). Ou bien encore, sous cette figure de l’herbe des champs, on peut voir les Gentils. Si donc l’existence éternelle ne leur est accordée que pour devenir les victimes du feu du jugement, que les saints sont coupables de douter de l’éternité glorieuse, alors que Dieu donne aux méchants, pour leur punition, une existence éternelle ?
 

Remi. Dans le sens spirituel, on peut entendre ici par les oiseaux du ciel les saints qui sont régénérés dans les eaux sacrées du baptême, et que la piété porte à mépriser les choses de la terre et à soupirer après celle du ciel. Notre-Seigneur dit que les Apôtres sont plus que les oiseaux du ciel, parce qu’ils sont les chefs de tous les saints. Les lis figurent encore les saints qui, par la foi seule et sans le travail des cérémonies légales, ont su plaire à Dieu, et on peut leur appliquer ces paroles : " Mon bien-aimé qui se nourrit parmi les lis ". Les lis sont encore la figure de l’Église à cause de la blancheur éblouissante de la foi et du parfum de la bonne vie, et c’est d’elle qu’il est dit : " Elle est comme le lis parmi les épines ". L’herbe des champs figure les infidèles dont il est écrit : " L’herbe s’est desséchée et la fleur est tombée " ; et le four, la damnation éternelle en ce sens : " Si Dieu n’a pas refusé aux infidèles les biens du temps, à combien plus forte raison nous accordera-t-il ceux de l’éternité ? "

 

vv. 31-33.

La Glose. Après avoir successivement exclu toute sollicitude à l’égard de la nourriture et du vêtement par des raisons empruntées aux créatures inférieures, Notre-Seigneur combat ici cette double sollicitude : " Ne vous inquiétez donc point en disant : Que mangerons-nous ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? " — Remi. Le Seigneur renouvelle cette recommandation pour nous faire comprendre sa nécessité et la graver plus profondément dans nos cœurs. — Rab. Remarquez qu’il ne dit pas : " Ne soyez ni inquiet ni soucieux de la nourriture, de la boisson, du vêtement ", mais : " De ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, de quoi vous pourrez vous vêtir ", il me paraît condamner ici ceux qui, n’ayant que du mépris pour la manière ordinaire de se nourrir ou de se vêtir de ceux au milieu desquels ils vivent, affectent de rechercher des aliments ou des vêtements plus délicats ou plus austères.

La Glose. Il est encore une autre sollicitude superflue et qui tient à un principe vicieux du cœur humain. Vous voyez des hommes, désespérant pour ainsi dire de la bonté de Dieu, réserver au delà du nécessaire les richesses et les fruits de la terre et sacrifier les intérêts de leur âme à la préoccupation exclusive de ces biens temporels. C’est ce que Notre-Seigneur défend, lorsqu’il ajoute : " Car les païens recherchent toutes ces choses ". — S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, dans leur opinion, les choses humaines dépendent de la fortune et non de la Providence ; elles ne sont point gouvernées par les justes décrets de Dieu, mais par le hasard et à l’aventure. Leurs craintes et leurs défiances sont donc fondées, puisqu’ils ne croient à aucune direction supérieure. Mais pour celui qui croit à n’en pouvoir douter que c’est la main de Dieu qui gouverne son existence, il lui abandonne le soin de sa nourriture, c’est pourquoi le Sauveur ajoute : " Car votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses ". — S. Chrys. (hom. 23). Il ne dit pas : " Dieu sait ", mais : " Votre Père sait ", pour accroître ainsi leur confiance, car si c’est un Père, pourra-t-il négliger le soin de ses enfants, alors que les hommes eux-mêmes ne se rendent pas coupables de cet oubli. Il ajoute : " Que vous manquez de toutes ces choses ", car il s’agit du nécessaire. Quel est le père, en effet, qui refuserait le nécessaire à ses enfants ? S’il s’agissait, au contraire, du superflu, la même confiance serait déplacée. — S. Aug. (De la Trinité, chap. 13). Ce n’est pas depuis une époque déterminée que Dieu connaît ces choses ; de toute éternité, il a prévu dans sa prescience toutes les choses futures, le temps aussi bien que la matière de nos prières. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 12, chap. 15). Quant à ceux qui soutiennent que la science de Dieu ne peut embrasser toutes ces choses, parce qu’elles sont infinies, il leur reste à dire que Dieu ne connaît point tous les nombres, qui sont très certainement infinis. L’infinité des nombres ne peut être incompréhensible pour celui dont l’intelligence n’est point soumise aux lois des nombres. Si donc tout ce que la science peut embrasser est comme limité par l’intelligence qui comprend, on peut dire que toute infinité trouve des limites ineffables dans la science de Dieu pour laquelle rien n’est incompréhensible. — S. Grég. Nyss. (De l’homme). C’est par ces signes éclatants que se fait connaître la Providence divine. Comment expliquer, en effet, sans une Providence spéciale, la durée de tous les êtres (de ceux en particulier qui sont soumis aux lois de la génération et de la corruption), la place qu’ils occupent, le rang qui leur est assigné dans la création d’après un plan constamment suivi ? Mais il en est qui prétendent que Dieu ne s’occupe que de l’existence des créatures en général, que sa providence se borne à maintenir cet ordre général, mais que les choses particulières sont abandonnées au hasard. Or, on ne peut donner que trois raisons de cette conduite de la Providence abandonnant au hasard les choses particulières : ou bien Dieu ignore qu’il est bon d’étendre sur elles sa providence, ou bien il ne le veut pas, ou c’est chez lui impuissance. Quant à l’ignorance, elle répugne souverainement à cette divine et bienheureuse nature Et comment voudrait-on que Dieu ignorât ce qui ne peut échapper à l’homme sage : que la ruine des choses particulière entraîne la ruine des choses générales ? Or, comment empêcher cette destruction des êtres individuels sans une puissance toute providentielle ? Dira-t-on que Dieu ne le veut pas ? Ce ne pourrait être que par négligence ou parce qu’il regarde comme indigne de lui cette Providence de détail. La négligence ne peut venir que de deux causes : ou de l’attrait d’un plaisir qui nous captive, ou d’une crainte qui nous détourne d’agir. Or, il n’est pas permis de supposer en Dieu l’une de ces deux causes. S’ils disent qu’il est inconvenant pour Dieu et indigne de cette béatitude infinie de descendre aux petites choses, pourquoi n’est-il pas inconvenant qu’un ouvrier qui s’occupe de l’ensemble de son ouvrage s’applique en même temps aux plus petits détails, parce qu’ils contribuent à la perfection du tout ? Et n’est-ce pas une souveraine inconvenance que de prétendre que le Dieu créateur du monde est inférieur à un simple artisan ? Si Dieu ne le peut pas, il y a chez lui faiblesse, impuissance de faire le bien. Que si cette Providence qui s’étend aux plus petits détails de la création est incompréhensible pour nous, est-ce une raison pour nier son existence ? Pourquoi donc aussi ne pas nier qu’il y ait des hommes sur la terre, parce que nous ignorons le nombre de ceux qui existent.

S. Chrys. Que celui donc qui croit qu’une Providence divine gouverne son existence, lui abandonne le soin de sa nourriture, qu’il tourne toutes ses pensées sur ce qui est bien, sur ce qui est mal ; sans cette pensée sérieuse, il ne pourra ni fuir le mal, ni faire le bien. Aussi Notre-Seigneur ajoute-t-il : " Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice ". Le royaume de Dieu c’est la récompense des bonnes oeuvres ; sa justice, c’est la voie de la piété qui conduit à ce royaume. Si la gloire des saints devient l’objet de vos méditations, la crainte du supplice vous éloignera nécessairement du mal ou le désir de la gloire vous fera prendre la voie du bien. Et si vous réfléchissez sur la justice de Dieu, c’est-à-dire sur ce qui est l’objet de sa haine ou de son amour, la justice elle-même, qui suit ceux qui l’aiment, vous fera connaître ses voies. Nous n’aurons pas à rendre compte de ce que nous sommes pauvres ou riches, mais de nos bonnes ou de nos mauvaises actions qui dépendent de notre libre arbitre. — La Glose. Ou bien cette expression : " La justice " signifie que c’est par la grâce de Dieu et non par vos efforts que vous êtes justes.

S. Chrys. (sur S. Matth). La terre, à cause des péchés des hommes, a été frappée de malédiction et de stérilité par cette sentence : " La terre sera maudite dans ton travail ". Dieu la bénit, au contraire, lorsque nous faisons le bien. Cherchez donc la justice et le pain ne vous manquera pas ; les paroles suivantes vous en assurent : " Et toutes ces choses vous seront données comme par surcroît ". — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 24). C’est-à-dire les biens temporels : le Sauveur nous enseigne assez clairement que ce ne sont pas là les véritables biens en vue desquels nous devons pratiquer la vertu, mais que cependant ils nous sont nécessaires. Le royaume de Dieu et sa justice, voilà notre bien véritable dans lequel nous devons placer notre fin. Mais parce que nous avons à combattre en cette vie pour conquérir ce royaume, et que nous ne pouvons la conserver sans le soutien de ces biens temporels, le Seigneur nous dit : " Ils vous seront donnés comme par surcroît ". Ces paroles : " Cherchez d’abord " ne veulent pas dire qu’il faut chercher en second lieu les choses de la terre dans l’ordre du temps, mais selon l’estime que nous devons en faire ; cherchons le royaume de Dieu comme notre bien et les choses de la terre comme une nécessité de la vie. Ainsi, par exemple, nous ne devons pas annoncer l’Évangile pour nous procurer de quoi manger, ce serait faire moins de cas de l’Évangile que de la nourriture ; mais nous devons manger afin de pouvoir annoncer l’Évangile. Or, si nous cherchons d’abord le royaume de Dieu et sa justice, c’est-à-dire si nous les préférons à tout et que nous leur rapportions tous les autres biens, n’ayons aucune crainte que le nécessaire nous manque, car il est dit : " Et toutes ces choses vous seront données par surcroît ", c’est-à-dire sans aucune difficulté pour vous et sans crainte qu’en cherchant ces biens vous ne soyez détournés des premiers ou obligés de vous proposer deux fins à la fois. — S. Chrys. (hom. 23). Il ne dit pas : " Elles vous seront données ", mais : " Elles vous seront ajoutées ", pour nous apprendre que les choses présentes ne sont rien en comparaison de la magnificence des biens à venir.
 

S. Aug. (serm. sur la mont). Lorsque nous lisons que l’Apôtre eut à souffrir de la faim et de la soif, n’allons pas croire que Dieu ait failli à ses promesses ; ces biens sont des secours, le divin Médecin sait quand il faut nous les donner ou nous les refuser, selon ce qui nous est le plus utile. S’ils viennent à nous manquer, ce que Dieu permet souvent pour notre épreuve, cela ne doit ébranler en aucune manière le plan de vie que nous avons adopté, mais nous confirmer, au contraire, dans le choix réfléchi que nous en avons fait.
 

 

v. 34.

La Glose. Le Sauveur vient de défendre la sollicitude pour le présent, il nous défend maintenant pour l’avenir, les vaines inquiétudes qui viennent du vice de notre cœur. " Ne soyez pas inquiets pour le lendemain, nous dit-il ". — S. Jér. Demain, dans la sainte Écriture, signifie l’avenir, comme dans ces paroles de Jacob : " Demain mon équité me rendra témoignage ", et la pythonisse, parlant a Saül dans la personne de Samuel qu’elle avait évoqué, lui dit : " Demain tu seras avec moi ". En nous défendant la préoccupation de l’avenir, Dieu nous permet de nous occuper du présent. Cette pensée nous suffit, laissons à Dieu le soin d’un avenir plein d’incertitude ; c’est ce que signifient ces paroles : " Le jour de demain sera inquiet pour lui-même ", c’est-à-dire apportera avec lui sa part de sollicitude. " A chaque jour suffit son mal ", Le mot mal n’exprime pas ici une idée contraire à celle de vertu, mais la peine, l’affliction, les infortunes de la vie présente. — S. Chrys. (hom. 23). Rien ne cause, en effet, autant de douleur à l’âme que les inquiétudes et les soucis. " Le lendemain sera inquiet pour lui-même ". Notre-Seigneur veut se rendre plus intelligible, il personnifie donc le temps et adopte un langage reçu pour se faire comprendre d’un peuple sans instruction. Pour les impressionner davantage, ce sont les jours eux-mêmes qu’il met en place des soins superflus. Est-ce que chaque jour n’a pas son fardeau suffisant, c’est-à-dire les préoccupations qui lui sont propres ? Pourquoi donc le surcharger des sollicitudes du lendemain ?
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien l’expression aujourd’hui signifie le nécessaire de la vie présente, et le mot demain, le superflu. " N’ayez donc aucune sollicitude pour le lendemain ", c’est-à-dire ne cherchez pas à vous procurer au delà de ce qui est nécessaire à votre nourriture de chaque jour ; ce qui est superflu, c’est-à-dire le lendemain, aura souci de lui-même. C’est là le sens de ces paroles : " Le lendemain aura soin de lui-même ", paroles qui veulent dire : " Lorsque vous aurez amassé le superflu, il prendra soin de lui-même ", c’est-à-dire : " Sans que vous en jouissiez, il trouvera des maîtres qui en prendront soin. Pourquoi donc vous tourmenter de ce qui duit devenir la propriété des autres ? A chaque jour suffit son mal ; vous avez assez de vos travaux, de vos préoccupations pour le nécessaire, ne vous inquiétez pas du superflu ".
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 25). Ou bien encore le mot demain ne s’emploie que dans le temps, là où le passé fait place à l’avenir. Quand donc nous faisons le bien, pensons non pas au temps, mais à l’éternité. " Le lendemain aura soin de lui-même ", en d’autres termes : Lorsqu’il le faudra, que la nécessité s’en fera sentir, prenez la nourriture et autres choses semblables. " A chaque jour suffit son mal ", c’est-à-dire il suffit que vous preniez ce que demande le besoin. Il appelle ce besoin malice, parce qu’il est pour nous une peine, et qu’il fait partie de la mortalité que nous avons méritée par le péché. N’allez pas rendre plus accablante cette peine des nécessités de la vie ; vous la subissez, mais n’en faîtes pas le motif pour lequel vous servez Dieu. Il faut nous garder ici, lorsque nous voyons un serviteur de Dieu qui cherche à se procurer le nécessaire pour lui, ou pour ceux dont le soin lui est confié, de l’accuser de désobéissance au commandement du Seigneur. Est-ce que le Sauveur lui-même, qui était servi par les anges, ne s’est pas soumis, pour notre exemple, à la nécessité d’avoir une bourse ? Et ne lisons-nous pas dans les Actes des Apôtres que pour échapper au danger d’une famine imminente, on fit les provisions nécessaires pour l’avenir ? Ce que le Seigneur condamne, ce n’est donc pas qu’on cherche à se donner le nécessaire par les voies ordinaires, mais qu’on ne s’attache à Dieu que pour se le procurer.
 

S. Hil. Tout cet enseignement peut aussi se réduire à cette doctrine céleste : Dieu nous défend de nous inquiéter de l’avenir. Et en effet la malice de notre vie, les péchés qui marquent chacun de nos jours n’offrent-ils pas à notre méditation et à tous nos efforts une ample matière d’expiation ? Délivrés alors de tout souci, l’avenir est inquiet pour lui-même, alors que la providence de Dieu nous prépare le fruit des clartés éternelles.
 

 

 

 

CHAPITRE VII.

 

vv. 1-2
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 28). On ne peut savoir quelle intention nous porte à rechercher les biens temporels pour l’avenir, et nous pouvons les acquérir avec une intention simple ou avec duplicité de cœur. Notre-Seigneur ajoute donc très à propos : " Ne jugez pas ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien si l’on veut une autre liaison avec ce qui précède, jusqu’ici, Notre-Seigneur a déduit les conséquences du précepte de l’aumône, il va maintenant exposer les conséquences du précepte de la prière. Les enseignements qui suivent font en un certain sens partie de la prière, de manière que ces paroles : " Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ", feraient suite à celles-ci : " Remettez-nous nos dettes ". — S. Jér. S’il nous est défendu de juger, comment saint Paul a-t-il pu légitimement juger l’incestueux de Corinthe, et saint Pierre convaincre de mensonge Ananie et Saphire ? (Ac 4). — S. Chrys. (sur S. Matth). Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que Notre-Seigneur ne nous défend pas ici de reprendre nos frères par un principe de charité, mais qu’il interdit seulement aux chrétiens de se mépriser les uns les autres par une vaine affectation de justice, de les prendre en haine et de les condamner sur de simples soupçons, en couvrant des apparences de la piété les inspirations d’une haine personnelle. — S. Chrys. (hom. 24). Aussi ne dit-il pas : " N’arrêtez pas celui qui pèche ", mais : " Ne jugez pas ", c’est-à-dire ne soyez pas un juge sévère : reprenez, à la bonne heure, non pas comme un ennemi qui veut se venger, mais comme un médecin qui cherche à guérir.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). C’est afin de prévenir cette amertume dans la réprimande que les chrétiens se font entre eux, que Notre-Seigneur a dit : " Ne jugez point ". Mais quoi ! est-ce que par cela seul qu’ils se seront abstenus de cette réprimande amère ils obtiendront la rémission de leurs péchés en vertu de ces paroles : " Vous ne serez pas jugés ? " Est-ce qu’on est digne d’obtenir le pardon du mal qu’on a commis, par cela seul qu’on n’y a pas ajouté un autre mal ? Non sans doute, et notre dessein en parlant de la sorte est de faire comprendre que ces paroles du Sauveur ne nous défendent pas de juger ceux qui pêchent contre Dieu, mais ceux qui nous offensent personnellement. Car celui qui ne juge pas son prochain par suite d’une offense qu’il en a reçue, ne sera pas jugé lui-même ; Dieu lui pardonnera comme il a pardonné. — S. Chrys. (hom. 24). Ou bien encore, cette défense de juger ne s’étend pas à tous les péchés quels qu’ils soient, mais elle s’adresse à ces hommes qui remplis de vices sans nombre, reprennent sévèrement les autres pour les moindres fautes. C’est ainsi que saint Paul lui-même ne défend pas de juger ceux qui sont en faute, mais il reprend les disciples qui veulent juger leurs maîtres, et nous apprend par là à ne pas juger ceux qui sont au-dessus de nous.
 

S. Hil. (Can. 5 sur S. Matth). Ou bien encore Dieu nous défend de nous ériger en juges de ses desseins providentiels, car de même que tout jugement parmi les hommes porte sur des points douteux, ainsi tout jugement contre Dieu a pour objet des matières pleines d’obscurité. Il veut donc éloigner de nous cette disposition et nous laisser sous la garde d’une foi inébranlable, car si dans d’autres matières le jugement téméraire est chose coupable, quand il attaque les choses de Dieu, c’est un commencement de crime. — S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 23). Ou bien enfin je pense que le Seigneur, par ces paroles, ne nous ordonne autre chose que d’interpréter en bonne part les actions dont le motif nous est inconnu. Il est des actions dont l’intention ne peut être bonne, comme les outrages à la pudeur, les blasphèmes et autres crimes semblables, Dieu nous permet de les juger. Il est au contraire des actions intermédiaires ou indifférentes que l’on peut faire avec une intention bonne ou mauvaise ; c’est une témérité de les juger, surtout pour les condamner. Il est deux circonstances où nous devons éviter le jugement téméraire : lorsque l’intention qui a dirigé telle action nous est inconnue, et quand nous ignorons ce que deviendra par la suite une personne qui nous paraît être actuellement bonne ou mauvaise. Ne blâmons donc pas des actions dont nous ne connaissons pas l’intention, et quant à celles qui sont manifestement mauvaises, ne les reprenons pas de manière à rendre impossible la guérison. On peut être étonné de ce que dit Notre-Seigneur : " Vous serez jugés selon que vous aurez jugé les autres ". Est-ce que si nous jugeons témérairement, Dieu nous jugera de la même manière ? Et si nous nous sommes servis d’une mesure injuste, Dieu nous appliquera-t-il une mesure semblable ? car ces expressions mesure et jugement ont ici, je pense, le même sens. Ces paroles signifient donc que la témérité dont vous aurez rendu les autres victimes, sera elle-même votre châtiment ; car souvent l’injustice ne nuit en rien à celui qui en est l’objet, mais elle nuit toujours à celui qui en est l’auteur. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 2). Comment peut-il être vrai, disent quelques-uns, que nous serons mesurés selon la mesure avec laquelle nous aurons mesuré les autres, si un péché dont la durée a été limitée est puni d’un supplice éternel ? Ils ne font point attention qu’il ne s’agit pas ici d’une mesure semblable quant à la réciprocité de la peine, en ce sens que celui qui a fait le mal souffre un mal semblable, quoique cependant on pourrait appliquer ces paroles au sujet traité alors par le Sauveur, c’est-à-dire aux jugements et aux condamnations. Donc celui qui juge et condamne injustement reçoit dans la même mesure lorsqu’il est jugé et condamné selon toute justice, quoiqu’il ne reçoive pas ce qu’il a donné ; car il s’est servi du jugement pour commettre une injustice, Dieu se sert du jugement pour lui infliger le châtiment qu’il a justement mérité.

 

vv. 3-5

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 30). Notre-Seigneur vient de nous prémunir contre le jugement téméraire et injuste, jugement téméraire dont se rendent coupables ceux qui se prononcent légèrement et avec sévérité dans les choses incertaines, qui aiment mieux blâmer et condamner que de corriger et de ramener au bien, ce qui est toujours un effet de l’orgueil et de l’envie. Il poursuit sa pensée et ajoute : " Pourquoi voyez-vous une paille dans l’oeil de votre frère, tandis que vous ne voyez pas une poutre dans le vôtre ? " — S. Jér. Le Sauveur parle ici de ceux qui, esclaves qu’ils sont du péché mortel, ne pardonnent pas à leurs frères des fautes bien plus légères. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 31). Ainsi encore votre frère pèche par colère et vous le reprenez par haine ; or entre la colère et la haine il y a la différence qui existe entre une paille et une poutre, car la haine c’est la colère invétérée. Il peut se faire qu’en vous mettant en colère contre un homme, votre intention soit de le ramener au bien, ce qui vous sera toujours impossible si vous avez pour lui de la haine.

S. Chrys. (hom. 24). Il en est plusieurs qui en voyant un moine porter de riches vêtements ou user d’une nourriture abondante, le blâment avec amertume, tandis qu’eux-mêmes se livrent tous les jours à la rapine ou aux excès de la table. — S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore Notre-Seigneur s’adresse ici aux docteurs, car la gravité ou la légèreté d’une faute se mesure sur la personne qui la commet, et le péché d’un simple fidèle n’est qu’une paille légère auprès du péché d’un prêtre, péché qui est ici comparé à une poutre.
 

S. Hil. (can. 5 sur S. Matth). Ou bien le péché contre le Saint-Esprit consiste à nier la puissance de la vertu divine, et à refuser de reconnaître une substance éternelle en Jésus-Christ, par qui l’homme doit s’élever de nouveau jusqu’à Dieu, parce qu’étant Dieu lui-même il s’est abaissé jusqu’à se faire homme. D’après Notre-Seigneur, il y a donc autant de différence entre le péché contre le Saint-Esprit et les autres crimes, qu’entre une poutre et un fêtu de paille, et les infidèles se rendent coupables de ce péché lorsqu’ils reprochent aux autres leurs fautes extérieures, sans voir eux-mêmes le crime qui pèse sur eux, c’est-à-dire leur incrédulité aux promesses de Dieu, parce qu’ils ont l’oeil de l’âme aveugle comme si une poutre était tombée sur leurs yeux. " Ou comment pouvez-vous dire à votre frère : Laissez-moi tirer la paille de votre oeil, pendant que vous avez une poutre dans le vôtre ? " — S. Chrys. (sur S. Matth). C’est-à-dire de quel front osez-vous reprendre votre frère, vous qui êtes coupable de la même faute et peut-être plus coupable que lui ?
 

S. Aug. Lors donc que nous serons obligés de faire une réprimande, faisons-nous d’abord cette question : N’ai-je jamais commis cette faute ? et pensons alors qu’étant aussi des hommes fragiles, nous aurions pu la commettre. Si nous en avons été coupables, et que nous ayons cessé de l’être, rappelons-nous notre commune fragilité, afin que notre réprimande soit inspirée non par la haine, mais par la miséricorde. Mais si nous découvrons en nous ce même péché, abstenons-nous de tout reproche, confondons nos gémissements et excitons-nous mutuellement à de courageux efforts pour en sortir. Ce n’est du reste que rarement et lorsqu’il y a nécessité pressante qu’il faut employer les réprimandes sévères, et jamais dans des vues personnelles, mais dans l’intérêt de la gloire de Dieu.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien dans un autre sens : " Comment dites-vous à votre frère ", c’est-à-dire dans quelle intention ? Est-ce par charité, pour assurer son salut ? Non, car alors vous chercheriez tout d’abord à vous sauver vous-même. Ce que vous vous proposez, ce n’est donc pas de guérir les autres, mais de vous servir de la saine doctrine comme d’un manteau pour couvrir vos actions coupables ; vous recherchez auprès des hommes une vaine réputation de science, et non pas la récompense que Dieu accorde à celui qui édifie. Aussi écoutez ce que vous dit le Sauveur : " Hypocrite, enlevez plutôt la poutre de votre oeil ". — S. Aug. (serm. sur la mont). Il n’appartient qu’à la vertu de reprendre le vice, et lorsque les méchants essaient de le faire, ils usurpent un rôle qui leur est étranger. C’est ce que font les comédiens qui cachent sous un déguisement emprunté ce qu’ils sont, et s’en servent en même temps pour paraître ce qu’ils ne sont pas.
 

S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth). Il est à remarquer que toutes les fois que Notre-Seigneur veut signaler un péché d’une certaine gravité, il débute par un terme de reproche. " Mauvais serviteur, dit-il ailleurs, je vous ai remis toute votre dette ", et ici : " Hypocrite jetez d’abord ", etc. On connaît mieux ce qui est en soi, que ce qui se passe chez les autres ; on voit plus facilement ce qui est grand que ce qui est petit ; et on a pour soi plus d’affection que pour son prochain. C’est pour cela que Notre-Seigneur défend à celui qui s’est rendu esclave de fautes nombreuses, de juger avec amertume les péchés des autres, alors surtout qu’ils sont légers. Ce n’est pas qu’il nous interdise la correction ou la réprimande ; mais il ne veut pas qu’en fermant les yeux sur nos propres fautes, nous poursuivions avec sévérité les fautes des autres. Commencez par examiner avec soin votre propre conduite, avant de discuter la conduite du prochain. " Et alors, ajoute Notre-Seigneur, vous songerez à ôter le fêtu de l’oeil de votre frère ".

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 30). Une fois que nous aurons ôté de notre oeil la poutre de la jalousie, de la malice, de la fausseté, nous songerons à enlever la paille de l’oeil de notre frère.

 

v. 6.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 31). La simplicité que le Seigneur nous recommande par ce qui précède, pouvait induire quelques esprits en erreur, et leur donner à croire qu’on pèche en dissimulant quelquefois la vérité, comme en disant un mensonge ; il ajoute pour rectifier cette erreur : " Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux ".

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, le Sauveur nous avait ordonné plus haut d’aimer nos ennemis et de faire du bien à ceux mêmes qui nous ont offensé. Or les prêtres pouvaient peut-être conclure de là qu’il fallait aussi les admettre à la participation des choses divines ; il combat cette pensée en disant : " Ne donnez pas les choses saintes aux chiens ", comme s’il disait : Je vous ai commandé d’aimer vos ennemis, de les assister de vos biens temporels, mais non pas de leur distribuer indistinctement mes trésors spirituels ; car s’ils ont avec vous une commune nature, ils n’ont pas une même foi ; et si Dieu répand également les biens de la terre sur les méchants comme sur les bons, il n’en est pas de même des grâces spirituelles.
 

S. Aug. (serm. sur la mont). Examinons ce que sont ici les choses saintes, les chiens, les pierres précieuses, les pourceaux. Ce qui est saint, c’est ce qu’on ne peut profaner sans crime, et ce crime, la volonté s’en rend coupable, alors même que la chose sainte reste inviolable. Les pierres précieuses sont les choses spirituelles du plus grand prix. Cependant une seule et même chose peut réunir à la fois ces deux qualités, d’être sainte et pierre précieuse ; sainte, parce qu’on doit prendre garde de la profaner ; pierre précieuse, parce qu’on doit se garder d’en mépriser la valeur.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, les choses saintes, c’est le baptême, la grâce du corps de Jésus-Christ, et les autres trésors spirituels de même nature. Les perles sont les mystères de la vérité, car de même que les perles sont renfermées dans des coquilles, et cachées au fond de la mer, ainsi les mystères de la vérité sont cachés sous l’enveloppe des paroles et renfermés dans les profondeurs du sens de la sainte Écriture. — S. Chrys. (hom. 24). Pour ceux qui sont doués d’intelligence et d’une âme vertueuse, la connaissance qu’ils ont des mystères leur inspire pour eux une plus grande vénération. Ceux au contraire qui n’ont ni sentiment ni raison, ont plus de respect pour ce qu’ils ignorent.
 

S. Aug. (serm. sur la mont). D’après une interprétation assez juste, les chiens sont ceux qui attaquent la vérité, et les pourceaux ceux qui la méprisent. Comme les chiens s’élancent pour déchirer leur proie, et qu’ils mettent en pièces ce qu’ils déchirent, Jésus-Christ nous dit : " Ne donnez pas les choses saintes aux chiens ", car autant qu’il dépend d’eux, ils mettraient en pièces la vérité, si elle n’était inaccessible à leurs efforts. Quant aux pourceaux, quoiqu’ils n’aient pas l’habitude de déchirer avec les dents ce qu’ils rencontrent, ils le souillent en le foulant çà et là dans la fange, et c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux. — Rab. Ou bien, les chiens sont ceux qui sont retournés à leur vomissement, et les pourceaux ceux qui n’étant pas encore convertis se vautrent dans la fange du vice. — S. Chrys. (sur S. Matth). On peut encore dire que le chien et le porc sont des animaux immondes, mais avec cette différence que le chien l’est sous tous rapports, parce qu’il ne rumine pas et n’a pas la corne divisée en deux, tandis que le porc n’est immonde que sous un rapport, parce qu’il porte la corne fendue par le milieu, mais ne rumine pas. Aussi je pense que les chiens figurent ici les Gentils qui sont tout à fait immondes, et dans leur vie, et dans leur foi ; et les pourceaux, les hérétiques, parce qu’ils invoquent extérieurement le nom du Seigneur. Or on ne doit pas donner les choses saintes aux chiens, parce que le baptême et les autres sacrements ne doivent être administrés qu’à ceux qui font profession de la foi chrétienne. De même les mystères de la vérité figurés par les perles ne doivent être exposés qu’a ceux qui les désirent, et qui vivent d’une manière conforme à la raison. Si vous les jetez aux pourceaux, c’est-à-dire à ceux qui sont comme abrutis dans la fange des plaisirs sensuels, ils n’en comprendront pas le prix, mais les confondront avec les fables profanes, et les fouleront aux pieds par l’indignité d’une vie toute charnelle. — S. Aug. (serm. sur la mont). On foule aux pieds ce qu’on méprise, et c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " De peur qu’ils ne les foulent aux pieds ". — La Glose. Il dit : " De peur ", car ils peuvent se repentir de leur vie impure. — S. Aug. (serm. sur la mont). " Et que s’étant retournés, ils ne vous déchirent ". Remarquez qu’il ne dit pas : " Ils ne déchirent les perles, car pour elles, elles sont foulées aux pieds " ; et lorsqu’ils se sont retournés pour entendre encore quelque vérité, ils déchirent celui dont ils ont foulé les perles aux pieds ; car comment trouver grâce devant un homme qui méprise ce qui a coûté tant de travaux et de peines ? Il est donc impossible que ceux qui enseignent de telles gens ne soient pas comme déchirés par l’indignation et la douleur.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien les pourceaux non-seulement foulent les perles aux pieds, par leur conduite toute charnelle, mais encore à peine convertis de quelques jours, ils déchirent ceux qui les leur ont offertes. Presque toujours on les voit se scandaliser et calomnier ceux qui les enseignent comme s’ils annonçaient de nouveaux dogmes. Les chiens aussi foulent les choses saintes aux pieds en déchirant le prédicateur de la vérité par leurs sentiments, leur manière d’agir et leurs disputes. — S. Chrys. (hom. 24). Remarquez la justesse de cette expression : " S’étant retournés ", car ils affectent un certain air de douceur pour se faire instruire, et déchirent ensuite ceux qui les ont enseignés. — S. Chrys. (sur S. Matth). La défense qui nous est faite de jeter les perles aux pourceaux est pleine de sagesse, car s’il est défendu de les jeter aux pourceaux qui sont moins immondes, à plus forte raison ne doit-on pas les jeter aux chiens qui le sont bien davantage. Quant à la distribution des choses saintes, nous ne pouvons suivre la même règle de conduite, car souvent nous répandons nos bénédictions même sur des chrétiens qui vivent à la manière des bêtes (cf. Za 11, 4), non parce qu’ils les méritent, mais de peur qu’en les leur refusant nous ne les scandalisions et ne soyons la cause de leur perte.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 32). Il faut donc se garder de rien expliquer à celui qui n’est pas en état de comprendre ; car il vaut mieux le laisser chercher ce qui est caché pour lui, que de l’exposer à profaner par la haine comme le chien, ou par le mépris comme le pourceau, ce qui lui aura été découvert. De ce que l’on peut s’abstenir de dévoiler une vérité, il ne faut pas conclure qu’il soit permis de dire un mensonge, car le Seigneur, qui n’a jamais menti, a cependant cru devoir cacher quelques vérités comme le prouvent ces paroles : " J’ai beaucoup d’autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ". Si quelqu’un se trouve dans l’impossibilité de comprendre les vérités saintes à cause des souillures de son âme, nous devons l’en purifier par la parole ou par les oeuvres, autant qu’il est possible. De ce que le Seigneur ait souvent enseigné des vérités qu’un grand nombre de ceux qui l’écoutaient n’ont pas voulu recevoir, par mépris ou par opposition, il ne faut pas en conclure qu’il donnait les choses saintes aux chiens, ou qu’il jetait les perles devant les pourceaux. Il parlait pour ceux qui pouvaient le comprendre, et qui entendaient ses divines leçons, et qu’il n’était pas juste d’abandonner à cause de l’indignité des autres. Ceux qui venaient pour le tenter séchaient de douleur, et trouvaient la mort dans la sagesse de ses réponses, mais il y en avait un grand nombre d’autres capables de les comprendre, et qui profitaient de cette occasion pour entendre des leçons utiles. Celui qui est en état de répondre, doit le faire lorsqu’il s’agit de choses nécessaires au salut, dans l’intérêt de ceux qui seraient tentés de désespoir parce qu’ils s’imaginent que la difficulté qu’ils proposent est insoluble. Au contraire, dans les choses vaines et dangereuses, on doit ne rien dire, mais se contenter d’expliquer pourquoi on ne peut répondre à de semblables questions.

 

vv. 7-8.

S. Jér. Notre-Seigneur nous avait défendu plus haut de demander les biens temporels ; il nous apprend ici quel doit être l’objet de nos prières en nous disant : " Demandez et vous recevrez ". — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien dans un autre sens la défense qu’il nous fait de donner les choses saintes aux chiens, et de jeter les perles devant les pourceaux, aurait pu faire dire à quelqu’un de ceux qui l’entendaient, dans la conviction de son ignorance : " Pourquoi me défendez vous de donner aux chiens ce que je ne possède pas encore ? " C’est pour prévenir cette question qu’il ajoute : " Demandez et vous recevrez ".
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore Notre-Seigneur vient de donner à ses disciples quelques préceptes qui ont rapport à la prière, tels que celui-ci : " Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ", il ajoute donc très à propos : " Demandez et il vous sera donné " ; comme s’il disait : " Si vous montrez cette clémence à l’égard de vos ennemis, partout où une porte sera fermée, frappez et on vous ouvrira ". Demandez par les prières que vous ferez jour et nuit, cherchez par vos efforts et par votre travail. Ce travail sans la grâce de Dieu ne vous donnera pas la science des Écritures, et cette grâce vous ne l’aurez pas non plus sans l’application à l’étude, car le don de Dieu ne s’accorde pas à ceux qui ne font rien pour l’obtenir. Frappez donc par la prière, par les jeûnes, et par les aumônes. Car de même que celui qui frappe à une porte, non-seulement élève la voix pour se faire entendre, mais encore frappe de la main, ainsi celui qui fait des bonnes oeuvres, frappe par ces bonnes oeuvres elles-mêmes. Mais vous me direz peut-être : Ce que je demande, c’est de savoir ce que je dois faire, et la grâce de le faire ; comment donc puis-je le faire avant d’avoir reçu cette grâce ? faîtes d’abord ce que vous pouvez, afin de pouvoir plus encore ; pratiquez ce que vous savez, pour savoir encore davantage. Ou bien encore, il avait commandé plus haut à tous les chrétiens et surtout aux docteurs, d’aimer leurs ennemis ; il leur avait ensuite défendu de donner aux chiens les choses saintes sous prétexte de charité, il leur donne maintenant ce sage conseil : Priez Dieu pour vos ennemis et vous obtiendrez ce que vous demandez ; cherchez ceux qui sont morts dans leurs péchés, et vous les trouverez ; frappez à la porte de ceux qui sont dans l’erreur, et le Seigneur vous l’ouvrira. Ou bien enfin comme les préceptes qu’il a donnés plus haut dépassent les forces humaines, il élève ses disciples jusqu’à Dieu dont la grâce ne connaît rien d’impossible, en leur disant : " Demandez et vous recevrez ", de manière que ce qui surpasse les forces de l’homme soit rendu possible par la grâce de Dieu. Dieu a placé la force des autres animaux ou dans l’agilité de leur course, ou dans la rapidité de leur vol, dans leurs serres, dans leurs dents, ou dans leurs cornes ; mais il a voulu être lui-même la seule force de l’homme (cf. Ps 17, 1 ; 30, 4 ; 42, 2 ; 45, 1 ; 117, 14 ; 129, 1), afin que pressé par le sentiment de sa faiblesse, il ne pût un seul instant se passer de Dieu. — La Glose. Nous demandons par la foi, nous cherchons par l’espérance, nous frappons par la charité. Vous devez d’abord demander pour avoir, puis chercher pour trouver, puis mettre en pratique ce que vous avez trouvé, afin de pouvoir entrer. — Remi. Ou bien nous demandons en priant, nous cherchons en vivant chrétiennement, nous frappons en persévérant dans le bien.

S. Aug. (serm sur la mont. 2, 33). La demande a pour objet d’obtenir la santé de l’âme qui nous donne la force d’accomplir les commandements : la recherche se propose de trouver la vérité, et une fois qu’on a ainsi trouvé la véritable vie, on parviendra certainement à la possession du véritable bien qui nous sera ouvert aussitôt que nous frapperons. — S. Aug. (Retractat., liv. 1, chap. 16). Je me suis appliqué à montrer en quoi diffèrent ces trois degrés de la prière. Mais il est bien plus naturel de n’y voir que la prière elle-même avec ses vives instances, car Notre-Seigneur conclut en disant : " Il donnera les biens à ceux qui les demanderont ", et non pas " à ceux qui chercheront et qui frapperont ". — S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth). En ajoutant : " Cherchez et frappez ", le Sauveur nous fait un devoir de prier avec beaucoup de force et de ferveur, car celui qui cherche rejette toute autre pensée, et il est occupé exclusivement de ce qu’il cherche ; de même celui qui frappe est animé des plus vifs désirs.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Les pécheurs qui entendaient ces paroles : " Demandez et vous recevrez " pouvaient dire : Elles ne s’adressent qu’à ceux qui méritent d’être exaucés ; pour nous, nous en sommes indignes. Notre-Seigneur renouvelle donc sa promesse pour rappeler aux pécheurs comme aux justes la grandeur de la miséricorde de Dieu : " Quiconque demande reçoit ", c’est-à-dire : juste ou pécheur, qu’il n’hésite pas à demander, afin qu’il soit bien prouvé que Dieu ne rejette personne, si ce n’est celui qui a douté que Dieu pût exaucer sa prière. On ne peut croire, en effet, que Dieu nous commande de faire du bien à nos ennemis et qu’il n’accomplisse pas lui-même ce devoir de charité, lui qui est la bonté par essence. — S. Aug. (Traité 44 sur S. Jean). il est donc certain que Dieu exauce les pécheurs, car, s’il ne les exauçait pas, c’est en vain que le publicain aurait dit (Lc 11) : " Seigneur, soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur ". Or cependant c’est par cette confession qu’il mérita d’être justifié.
 

S. Aug (Liv. des Sent. Prosp). Dieu peut exaucer, dans sa miséricorde, celui qui le prie pour les nécessités de cette vie, comme il peut aussi refuser de l’exaucer par le même principe de miséricorde. Le médecin sait mieux que le malade ce qui convient à son état. Si ce qu’il demande est l’objet d’un commandement ou d’une promesse, il obtiendra certainement ce qu’il demande, et la charité recevra ce que la vérité tient en réserve. — S. Aug. (Lettre 250 à Paulin et à Therasia). C’est un effet de la bonté de Dieu de nous refuser souvent ce que nous voulons, pour nous accorder ce que nous devrions préférer.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 33). La persévérance nous est nécessaire, si nous voulons obtenir ce que nous demandons. — S. Aug. (serm. 5 sur les paroles du Seign). Lorsque Dieu diffère de nous exaucer, ce n’est pas qu’il nous refuse ses dons, il veut simplement en relever le prix ; les choses que nous avons longtemps désirées ont pour nous bien plus de douceur lorsque nous les obtenons ; si elles nous sont données aussitôt, elles perdent pour nous de leur prix. Demandez donc, cherchez, faites des instances ; en demandant et en cherchant, le désir que vous avez de recevoir s’accroît. Dieu tient en réserve ce qu’il ne veut pas accorder immédiatement, pour vous apprendre à désirer grandement d’aussi grandes faveurs ; c’est pour cela qu’il faut toujours prier et ne jamais cesser.

 

vv. 9-11.

S. Aug. Notre-Seigneur, par ces paroles : " Quel est l’homme parmi vous ", suit la même marche que précédemment, lorsqu’il a parlé des oiseaux du ciel et des lis des champs, voulant ainsi élever notre espérance de ces moindres choses à des objets plus importants. — S. Chrys. (sur S. Matth). Et de peur que le pécheur, en mesurant la distance qui sépare l’homme de Dieu et en pesant l’énormité de ses péchés, n’en vînt à perdre tout espoir d’être exaucé et à renoncer à la prière, il apporte cette comparaison d’un père et de ses enfants, afin que la considération de la bonté paternelle fasse renaître en nous l’espérance que nos péchés y détruisent. — S. Chrys. (hom. 24). Deux conditions sont exigées de celui qui prie : demander avec instance, demander des choses convenables, c’est-à-dire les biens spirituels, et c’est pour avoir suivi cette règle que Salomon obtint promptement ce qu’il avait demandé (3 R 3, 5.9.10).
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Sous cette figure du pain et du poisson, le Sauveur nous apprend quelles sont les choses que nous devons demander. Le pain, c’est le Verbe qui nous donne la connaissance du Père ; la pierre, c’est tout mensonge qui devient pour l’âme une pierre de scandale. — Remi. Nous pouvons voir aussi dans le poisson toute parole qui a rapport au Christ, et dans le serpent le démon lui-même. Ou bien par le pain on peut entendre la doctrine spirituelle, et par la pierre, l’ignorance ; par le poisson, l’eau du saint baptême ; par le serpent, la fourberie du démon ou l’infidélité. — Rab. Ou bien par le pain, qui est la nourriture commune à tous les hommes, on peut entendre la chante, sans laquelle les autres vertus n’ont aucun prix. Le poisson signifie la foi qui, née de l’eau du baptême, se trouve ballottée par les flots de ce monde au milieu desquels elle ne laisse pas de vivre. Saint Luc ajoute une troisième figure, qui est l’oeuf, espérance de l’animal qui doit en sortir, et qui est ici le symbole de l’espérance chrétienne. A la charité il oppose la pierre, c’est-à-dire la dureté de la haine ; à la foi, le serpent, ou le venin de la perfidie ; à l’espérance, le scorpion, c’est-à-dire le désespoir qui blesse par derrière, comme le scorpion.
 

Remi. Voici donc le sens de ce passage : Si nous demandons à Dieu le Père le pain, c’est-à-dire la doctrine ou la charité, nous n’avons pas à craindre qu’il permette jamais que notre cœur se resserre ou par la froideur qu’engendrent les haines, ou par la dureté de l’âme ; et si nous lui demandons la foi, il ne nous laissera pas périr victimes du poison de l’incrédulité ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Si vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants ". — S. Chrys. (hom. 24). En s’exprimant ainsi, Notre-Seigneur ne déverse pas le blâme sur la nature humaine, il ne déclare pas que tout le genre humain soit mauvais, mais il veut nous montrer combien sa bonté diffère de la nôtre ; il appelle mauvaise la tendresse des pères pour leurs enfants en comparaison de celle de Dieu, tant est grand l’excès de son amour pour les hommes. — S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, tous les hommes paraissent mauvais si on les compare à Dieu, qui est le seul bon par essence, de même qu’à côté du soleil toute lumière n’est qu’obscurité. — S. Jér. Ou bien dans la personne des Apôtres il condamne tout le genre humain dont le cœur est porté au mal dès son enfance, comme nous le lisons dans la Genèse (Gn 8). Il n’est point étonnant, du reste, qu’il appelle mauvais les hommes qui vivent dans le temps, puisque l’Apôtre nous déclare que les jours qui le composent sont mauvais.
 

Aug. (serm. sur la mont., 2, 33). Ou bien il appelle mauvais les pécheurs et ceux qui aiment la vie de ce monde. Or, les biens qu’ils donnent, d’après leur manière de voir, peuvent être appelés bons parce qu’ils les tiennent pour tels ; et encore, considérés seulement dans leur nature, ces biens temporels ont une bonté réelle, puisqu’ils sont les soutiens de cette vie misérable. — S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seign). Le bien qui seul peut vous rendre bon, c’est Dieu. L’or et l’argent sont bons, non pas qu’ils puissent vous rendre bons, mais parce qu’ils vous donnent le moyen de faire le bien. Puisque donc nous sommes mauvais et que notre Père est bon, ne demeurons pas toujours dans notre malice. — S. Aug. (serm. sur la mont). Si donc nous qui sommes mauvais nous ne laissons pas de donner ce qu’on nous demande, à combien plus forte raison devons-nous espérer que Dieu nous donnera les biens que nous lui demanderons.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Cependant, comme il ne nous accorde pas indifféremment tout ce que nous lui demandons, mais seulement ce qui est bon, Notre-Seigneur prend soin d’ajouter : " A combien plus forte raison donnera-t-il les biens ". Nous ne recevons de Dieu que des biens, quelle que soit l’idée que nous nous en faisons, car tout contribue au bien de ceux qui sont aimés de Dieu (Rm 8, 28).
 

Remi. Nous lisons dans saint Matthieu : " Il donnera les biens ", et dans saint Luc : " Il donnera le bon esprit " ; mais il n’y a pas ici de contradiction, car tous les biens que l’homme reçoit de Dieu lui sont donnés par la grâce de l’Esprit saint.

 

v. 12.

S. Aug. (serm. sur la mont., liv. 2, chap. 34). Une conduite sage et réglée donne à l’homme une certaine fermeté et la force de marcher dans la voie de la sagesse, et le font parvenir jusqu’à la pureté, jusqu’à la simplicité du cœur. Notre-Seigneur conclut tous les développements qu’il vient de donner sur cette matière par ces paroles : " Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-même pour eux ", car il n’est personne qui voudrait qu’on agît à son égard avec duplicité et dissimulation.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). On peut encore établir de cette manière la liaison avec ce qui précède. Notre-Seigneur, voulant rendre notre prière plus sainte et plus pure, nous a commandé plus haut de ne pas juger ceux qui nous ont offensés. Or, comme il s’était écarté de ce sujet pour traiter d’autres matières, il y revient et complète l’explication de ce précepte en ajoutant : " Tout ce que vous voudrez ", etc., c’est-à-dire non-seulement vous ne devrez pas juger, mais tout ce que vous voudrez que les hommes fassent pour vous, vous devez le faire pour eux ; c’est alors que vos prières pourront être exaucées. — La Glose. Ou bien encore c’est l’Esprit saint qui distribue toutes les grâces spirituelles qui nous font accomplir les oeuvres de la charité. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Faites aux hommes tout ce que vous vous voulez qu’ils vous fassent ".
 

S. Chrys. (hom. 24). Ou bien, enfin, le Seigneur veut établir que les hommes doivent chercher près de Dieu le secours dont ils ont besoin, et faire en même temps tout ce qui dépend d’eux pour assurer le succès de leurs prières. C’est ainsi qu’après avoir dit : " Demandez et vous recevrez ", il enseigne clairement que les hommes doivent s’appliquer aux oeuvres de la charité : " Tout ce que vous voulez ", etc.
 

S. Aug. (serm. 5 sur les paroles du Seign). Dieu nous avait promis de nous accorder les biens que nous lui demanderions ; or, si nous voulons qu’il nous reconnaisse pour ses mendiants, ne rejetons pas les nôtres. En effet, si on en excepte les richesses matérielles, il n’y a aucune différence entre ceux qui demandent et ceux à qui ils adressent leur prière. De quel front osez-vous donc approcher de Dieu pour le prier, vous qui ne voulez point écouter votre frère ? Aussi est-il écrit dans le livre des Proverbes : " Celui qui ferme son oreille au cri du pauvre demandera lui-même, et il ne sera pas exaucé (Pv 21) ". Mais que devons-nous accorder à la prière de nos frères si nous voulons que Dieu exauce la nôtre ? Pour répondre à cette question, demandons-nous ce que nous voulons que les autres fassent pour nous-mêmes. " Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu’on vous fasse ".

S. Chrys. (hom. 24). Notre-Seigneur ne dît pas seulement : " Toutes les choses ", mais il ajoute le mot " donc ", comme s’il disait : " Si vous voulez que je vous exauce, joignez cette recommandation à toutes celles qui précèdent. Et remarquez qu’il ne dit pas : " Tout ce que vous voulez que Dieu fasse pour vous, faites-le aussi pour votre prochain, car vous pourriez dire : Cela m’est impossible ", mais : " Tout ce que vous voudriez que vous fît votre frère, faites-le vous-même pour lui ".

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 34). On lit dans quelques exemplaires latins : " Faites-leur du bien ". Le mot bien a été ajouté pour plus de clarté. On pouvait en effet se demander si un homme qui désirerait qu’on agît à son égard d’une manière coupable, pourrait, en s’appuyant sur cette maxime, commettre le premier l’injustice dont il désire être lui-même l’objet. Il serait absurde de penser que cet homme accomplit ce précepte. Sans l’addition de ce mot " bien ", le sens de cette maxime est complet. Car ces paroles : " Tout ce que vous voulez ", ne doivent pas être prises ici dans un sens trop général, mais dans le sens propre du mot. Or, la volonté n’existe que dans les bons ; dans les mauvais, la volonté n’est à proprement parler que la cupidité. Sans doute les Écritures ne s’expriment pas toujours de la sorte, mais il faut les entendre ainsi alors qu’elles emploient une expression tellement propre qu’elles ne permettent pas de lui en substituer une autre.
 

S. Cypr. (de l’Orais. Dom). Le Verbe de Dieu, le Seigneur Jésus étant venu pour tous les hommes, a résumé comme dans un admirable abrégé tous ses commandements dans ces paroles : " Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux ". C’est pour cela qu’il ajoute : " Car c’est la loi et les prophètes ". — S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, tous les commandements de la loi et des prophètes disséminés dans les saintes Écritures, sont renfermés dans ce merveilleux abrégé comme les innombrables rameaux d’un arbre sont contenus dans une seule racine. — S. Grég. (Moral. 10, 4 ; cf. Jb 2). Celui, en effet, qui pense à faire aux autres ce qu’il voudrait qu’on lui fit à lui-même s’applique à rendre le bien pour le mal, et le bien au centuple de ce qu’on lui fait. — S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth). Il est donc évident que tous nous pouvons trouver en nous-mêmes la connaissance de ce qu’il nous importe de savoir et que nous ne pouvons prétexter d’ignorance. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ce précepte paraît avoir pour objet l’amour du prochain et non l’amour de Dieu, quoique Notre-Seigneur dise dans un autre endroit qu’il y a deux commandements qui renferment toute la loi et les prophètes. Mais ce dernier passage porte : " Toute la loi ", ce que Notre-Seigneur ne dit pas ici pour réserver la place à l’autre commandement qui est celui de l’amour de Dieu. — S. Aug. (De la Trinité, liv. 8, chap. 34). Ou bien encore, la sainte Écriture ne fait mention que du seul commandement de l’amour du prochain en disant : " Tout ce que vous voulez ", car celui qui aime son prochain aime nécessairement et premièrement l’amour lui-même. Or, Dieu est amour ; donc il aime Dieu lui-même par-dessus toutes choses.

 

v. 13-14.

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 35). Le Seigneur nous a recommandé plus haut la simplicité et la pureté du cœur qui font trouver Dieu. Mais c’est le partage d’un petit nombre. Aussi va-t-il nous parler de la recherche de la sagesse ; et tout ce qui précède avait pour but de rendre l’oeil de l’âme assez pur pour rechercher et contempler cette divine sagesse, et découvrir la voie resserrée et la porte étroite dont il est dit : " Entrez par la porte étroite ".
 

La Glose. Ou bien, quoiqu’il soit difficile de faire aux autres ce que nous voudrions qu’on nous fît à nous-mêmes, cependant c’est une condition indispensable si nous voulons entrer par la porte étroite.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, cette troisième conséquence se rapporte au précepte du jeûne, et telle est la suite des idées : " Pour vous, lorsque vous jeûnez, parfumez votre tête ", et puis ensuite : " Entrez par la porte étroite ". Il est en effet trois inclinations qui tiennent plus particulièrement à notre nature, et qui sont étroitement unies à notre corps. La première est celle du boire et du manger, la seconde l’affection de l’homme pour la femme, la troisième l’amour du sommeil, et ces trois inclinations sont plus difficiles à retrancher de notre nature que toutes les autres passions. Aussi la mortification d’aucune passion ne sanctifie autant le corps de l’homme comme d’être chaste, de jeûner, et de persévérer dans les veilles. Notre-Seigneur a donc en vue ces trois actes de vertu et en particulier le jeûne si rigoureux, lorsqu’il dit : " Entrez par la porte étroite.

La porte de la perdition c’est le démon, et c’est par cette porte qu’on entre dans l’enfer. Jésus-Christ, au contraire, est la porte de vie, porte qui nous ouvre l’entrée du royaume des cieux. Ce qui fait donner au démon le nom de porte large, ce n’est ni l’étendue, ni la grandeur de son pouvoir, mais le débordement de son orgueil effréné qui ne connaît point de bornes. Et si le Christ nous est présenté comme la porte étroite, ce n’est pas que son pouvoir soit faible et resserré, mais parce que son humilité lui a inspiré de se raccourcir et de se renfermer dans les étroites limites du sein d’une vierge, lui que le monde entier ne peut contenir. La voie de la perdition, c’est l’iniquité quelle qu’elle soit. Cette voie est appelée large parce qu’elle n’est pas contenue dans les sages limites de la règle et de la discipline, et que ceux qui prennent cette voie font profession de poursuivre tout ce qui a pour eux de l’attrait. Au contraire, tout acte de vertu est la voie qui conduit à la vie, et on l’appelle étroite pour des raisons opposées à celles que nous venons de dire. Or remarquez qu’il faut nécessairement marcher par cette voie pour arriver à la porte, car on ne peut arriver à une véritable connaissance du Christ qu’en suivant la voie de la justice ; de même qu’on ne tombe dans les mains du démon qu’en marchant dans la voie des pécheurs. — S. Grég. (hom. 17 sur Ezéch). Quoique la charité mette le cœur au large, elle ne détache les hommes de la terre qu’en les faisant passer par des sentiers étroits et escarpés. N’est-ce pas être à l’étroit en effet que de tout mépriser, de n’aimer qu’une seule chose, de ne pas désirer la prospérité, de ne pas craindre l’adversité ? — S. Chrys. (homél. 24 sur S. Matth). Mais comment le Sauveur qui bientôt nous dira : " Mon joug est doux, et mon fardeau léger ", peut-il appeler étroite et resserrée la voie qui conduit au ciel ? Pour comprendre cette douceur et cette suavité, il faut remarquer que Notre-Seigneur parle ici d’une voie et d’une porte, que ce qu’il appelle large et spacieux est aussi une voie et une porte. Ni l’une ni l’autre ne doivent toujours durer, et elles ne sont que passagères. Or la pensée qu’on ne fait que passer par les travaux et les peines pour arriver au bonheur, c’est-à-dire à la vie éternelle, ne suffit-elle pas pour adoucir toutes les souffrances de la vie ? Car si l’espérance seule d’une récompense périssable rend les tempêtes légères au matelot, et les blessures douces au combattant, à plus forte raison la vue du ciel qui nous est ouvert, et ses récompenses immortelles doivent-ils nous faire oublier les dangers qui nous menacent. D’ailleurs Notre-Seigneur n’appelle cette voie étroite que pour la rendre plus douce ; par là, en effet, il nous avertit d’être sur nos gardes, et il dirige nos désirs vers le but qu’il nous propose. N’est-il pas vrai que celui qui combat dans l’arène puise un nouveau courage quand il voit son souverain admirer ses généreux efforts ? Ne nous laissons donc pas abattre sous le poids des afflictions qui viendront fondre sur nous : la voie est étroite, mais non pas la cité. Ne cherchons pas le repos ici-bas, et ne redoutons pas de tribulations dans l’autre vie. En ajoutant : " Car il y en a peu qui la trouvent ", Notre-Seigneur fait allusion à la lâcheté d’un trop grand nombre, et il nous avertit de fixer nos regards non pas sur la prospérité de la multitude, mais sur les travaux du petit nombre.
 

S. Jér. Notre-Seigneur tient un langage distinct en parlant de ces deux voies. Il dit qu’il en est beaucoup qui marchent par la voie large, et qu’il en est peu qui trouvent la voie étroite. En effet, nous ne cherchons pas la voie large, et nous n’avons aucune peine à la trouver ; elle se présente d’elle-même, et c’est le chemin de ceux qui s’égarent. Tous au contraire ne trouvent pas la voie qui est étroite, et ne la suivent pas aussitôt qu’ils l’ont trouvée, cor il en est beaucoup qui après avoir trouvé la voie de la vérité, se laissent séduire par les voluptés de la terre, et reviennent sur leurs pas alors qu’ils étaient au milieu de leur course.

 

vv. 15-20.

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur avait ordonné précédemment à ses disciples de ne point faire parade devant les hommes de leurs jeûnes, de leurs prières, de leurs aumônes, comme font les hypocrites. Or, pour leur apprendre que toutes ces bonnes oeuvres peuvent être faites dans un esprit d’hypocrisie, il leur dit : " Gardez-vous des faux prophètes ".

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36). Ou bien après avoir dit qu’il en est peu qui trouvent la petite porte et la voie étroite, Notre-Seigneur voulant nous prémunir contre les hérétiques qui font souvent de leur petit nombre un titre de recommandation, ajoute aussitôt : " Gardez-vous des faux prophètes ".

S. Chrys. (hom. 24). Ou bien encore : Notre-Seigneur avait dit que la porte est étroite, et qu’il en est beaucoup qui pervertissent la voie qui doit y conduire, il ajoute donc : " Gardez-vous des faux prophètes ". Il les appelle faux prophètes pour exciter la sollicitude de ses disciples à cet égard, en leur rappelant ce qui est arrivé à leurs pères, qui ont eu à subir cette même épreuve. — S. Chrys. (sur S. Matth). Nous lisons dans un des chapitres suivants, il est vrai, que la loi et les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean-Baptiste, parce qu’après lui, il ne devait plus y avoir de prophétie relative au Christ. Il y a eu depuis ce temps, et il y a encore des prophètes, mais leurs prophéties n’ont point le Christ pour objet et ils interprètent simplement les prédictions anciennes relatives à Jésus-Christ ; ce sont les docteurs des Églises. Car personne ne peut interpréter le sens des prophéties, s’il ne participe lui-même à l’esprit prophétique. Le Seigneur, prévoyant donc qu’il viendrait de faux docteurs, qui enseigneraient diverses hérésies, nous prémunit contre eux en nous disant : " Gardez-vous des faux prophètes ". Ces faux prophètes ne devaient pas être des païens faciles à reconnaître, mais des séducteurs cachés sous le nom de chrétiens ; aussi ne dit-il pas : " Regardez ", mais : " Prenez garde ". En effet, quand une chose est évidente, on la regarde, c’est-à-dire qu’on la voit naturellement, si au contraire elle offre quelque incertitude, on y prend garde, c’est-à-dire qu’on l’examine avec précaution. Il nous dit encore : " Prenez garde ", parce que la plus sûre garantie du salut, est de connaître ceux que l’on doit fuir. Si Notre-Seigneur nous prémunit de la sorte, ce n’est pas que le démon puisse introduire les hérésies malgré la volonté de Dieu, il ne le peut que parce que Dieu le lui permet. Dieu veut que ses serviteurs soient soumis à l’épreuve, il leur envoie donc la tentation ; mais il ne veut pas que leur ignorance soit cause de leur perte, et c’est pour cela qu’il les avertit à l’avance. Et afin que les docteurs hérétiques ne puissent se défendre en disant : Ce n’est pas nous que le Seigneur appelle faux prophètes, mais les docteurs des Juifs et des Gentils, il ajoute expressément : " Qui viennent à vous couverts de peaux de brebis ". Les brebis sont les chrétiens, et les peaux de brebis sont les dehors de christianisme et les apparences d’une fausse religion. Or rien n’est plus contraire au bien que l’hypocrisie, car on ne peut connaître, et par conséquent on ne peut éviter le mal qui se cache sous l’apparence du bien. Et de peur que ces mêmes docteurs hérétiques ne prétendent qu’il est ici question des vrais docteurs, mais qui sont dans l’état de péché, il ajoute : " Au dedans ce sont des loups ravissants ". Or les docteurs catholiques qui deviennent esclaves de la chair lorsqu’ils succombent aux passions de la chair, ne sont pas appelés pour cela des loups ravissants, parce qu’ils ne cherchent pas à perdre les chrétiens. Il est donc évident qu’il veut parler ici des docteurs hérétiques qui prennent avec intention l’extérieur des chrétiens, pour déchirer plus facilement les fidèles sous les coups d’une séduction criminelle. C’est d’eux que l’Apôtre a dit : " Je sais qu’après mon départ il entrera parmi vous des loups ravissants qui n’épargneront pas le troupeau ".
 

S. Chrys. (hom. 22 sur S. Matth). Cependant il paraît assez vraisemblable que par ces faux prophètes Notre-Seigneur veut désigner non pas les hérétiques, mais ceux qui mènent une vie corrompue sous les dehors de la vertu ; c’est pour cela qu’il dit : " Vous les connaîtrez à leurs fruits ". Or on rencontre souvent des moeurs vertueuses chez certains hérétiques, mais jamais dans ceux dont je viens de parler. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36). C’est donc une question des plus importantes que de bien connaître quels sont les fruits sur lesquels le Sauveur veut attirer notre attention. Plusieurs en effet prennent pour des fruits ce qui n’est que le vêtement des brebis, et c’est ainsi qu’ils se laissent tromper par les loups. Je veux parler ici des jeûnes, ou des aumônes, ou des prières qu’ils étalent devant les hommes sans autre but que de plaire à ceux qui sont frappés de la difficulté de ces oeuvres. Ce ne sont pas là les fruits qui peuvent nous aider à les reconnaître, car si ces actions sont faites dans la vérité avec une intention droite, elles sont, il est vrai, les vêtements propres aux brebis ; mais elles ne font que couvrir les coups lorsqu’elles partent d’un cœur où l’erreur règne en maître. Ce n’est pas toutefois une raison pour les brebis d’avoir horreur de ces vêtements, parce qu’ils servent quelquefois à couvrir les loups. A quels fruits donc reconnaîtrons-nous un mauvais arbre ? L’Apôtre nous l’apprend. " Les oeuvres de la chair sont évidentes, nous dit-il ; ce sont la fornication, l’impureté ", etc. (Ga 5) Le même Apôtre nous apprend à connaître les fruits du bon arbre par ce qui suit : " Les fruits de l’esprit sont la charité, la joie, la paix ", etc.

S. Chrys. (sur S. Matth). Les fruits que produit l’homme juste c’est aussi la confession de la foi, car celui qui en suivant l’inspiration de Dieu, fait en toute humilité une véritable confession de foi, celui-là est une brebis, tandis que celui qui fait entendre contre la vérité et contre Dieu les hurlements du blasphème, est un loup. — S. Jér. Ce que Notre-Seigneur dit ici des faux prophètes qui sont tout autres dans leur conduite qu’ils ne le paraissent dans leur extérieur et leurs discours, doit s’appliquer d’une manière toute spéciale aux hérétiques qui se couvrent de la continence et du jeûne comme du vêtement de la piété, et qui portant au-dedans un esprit empoisonné par le vice séduisent les cœurs simples de leurs frères. — S. Aug. (serm. sur la mont. 2, 12). Mais on peut savoir, en examinant leurs oeuvres, si tout cet extérieur a pour principe un désir de vaine gloire. Lorsqu’en effet, à la suite de certaines épreuves, ils se voient enlever ou refuser ce qu’ils ont obtenu ou ce qu’ils ont voulu obtenir à l’aide de ce voile trompeur, on découvre alors nécessairement si c’était un loup caché sous la peau de la brebis, ou une brebis revêtue de sa propre peau. — S. Grég. (Moral., 31, 9). L’hypocrite est comme dominé par la paix dont jouit l’Église ; voilà pourquoi il veut paraître à nos yeux couvert du voile de la religion (cf. Jb 39). Mais qu’une persécution éclate, aussitôt les instincts féroces du loup le dépouillent de la peau de la brebis, et en persécutant le bien il montre de quelle fureur il est animé contre lui.
 

S. Chrys. (hom. 24 sur S. Matth). Il est facile de surprendre les hypocrites, car la voie qu’ils sont forcés de suivre est bien pénible. Or l’hypocrite ne choisira certainement pas de lui-même le travail et la peine. D’ailleurs, pour répondre à la prétendue impossibilité de les reconnaître, Notre-Seigneur vous apporte un exemple pris dans la nature en vous disant : " Peut-on cueillir des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces ? " — S. Chrys. (sur S. Matth). Le raisin est une figure mystérieuse du Christ, car de même que la grappe par l’intermédiaire du bois de la vigne tient suspendus des grains nombreux, ainsi le Christ, par le bois de la croix retient dans une étroite union la multitude des fidèles. La figue, c’est l’Église qui retient aussi la multitude de ses enfants dans les doux embrassements de sa charité, comme la figue tient cachées une quantité considérable de graines sous une seule enveloppe. Or la figue est le signe tout à la fois de la charité par sa douceur, et de l’unité par l’union de ses graines. Le raisin est tout ensemble le symbole de la patience parce qu’il est foulé dans le pressoir ; de la joie, parce qu’il réjouit le cœur de l’homme ; de la sincérité, parce qu’il n’est pas mélangé d’eau et de la suavité par le plaisir qu’il donne. Au contraire les épines et les ronces présentent des pointes de toutes parts ; et c’est ainsi que les serviteurs du démon sont pleins d’iniquités, de quelque côté qu’on les considère. Ces ronces et ces épines ne peuvent produire aucun des fruits que demande l’Église. Notre-Seigneur ne se borne pas à cette comparaison particulière du figuier et de la vigne pour rendre sensible cette vérité, il la généralise par ces paroles : " C’est ainsi que tout arbre qui est bon porte de bons fruits, et tout arbre mauvais en porte de mauvais ".
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 36). Il faut se garder ici de l’erreur des Manichéens qui prétendent que dans ces deux arbres il faut voir deux natures, l’une qui vient de Dieu, l’autre qui lui est étrangère. Nous soutenons, nous, que ces deux arbres ne peuvent servir d’appui à leur opinion, car il ne s’agit évidemment que des hommes, comme le prouvent les antécédents et les conséquents. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 12, chap. 4 et 5). Les hommes ont souvent de l’aversion pour les natures mêmes des choses, parce qu’ils les considèrent non pas en elles-mêmes, mais d’après l’utilité qu’ils peuvent en retirer. Or, toute nature ne rend gloire à son créateur qu’autant qu’on la considère en elle-même, et non pas dans l’utilité ou le désavantage qui peuvent en résulter pour nous. Les natures créées par le seul fait de leur existence ont leur manière d’être, leur beauté, un certain accord entre les différentes parties qui les composent, et par conséquent elles sont bonnes.
 

S. Chrys. (hom. 24). On pouvait objecter qu’un mauvais arbre porte sans doute de mauvais fruits, mais qu’il peut aussi en porter de bons et qu’il est ainsi difficile de le bien connaître à cause de cette double apparence ; le Seigneur prévient cette difficulté en ajoutant : " Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, et un mauvais arbre n’en peut produire de bons ". — S. Aug. (serm. sur la mont). De ces dernières paroles, les Manichéens concluent qu’une âme qui est mauvaise ne peut devenir meilleure, ni celle qui est bonne devenir mauvaise, comme si Notre-Seigneur avait dit : " Un arbre bon ne peut devenir mauvais, ni un arbre mauvais devenir bon " ; mais, au contraire, il s’est exprimé de la sorte " Un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits, ni un mauvais arbre en produire de bons ". Or, l’arbre c’est l’âme, c’est-à-dire l’homme lui-même ; les fruits sont ses oeuvres. L’homme qui est mauvais ne peut donc faire de bonnes actions, ni celui qui est bon en faire de mauvaises. Si donc celui qui est mauvais veut faire de bonnes actions, qu’il commence par devenir bon lui-même. Tant qu’un homme est mauvais, il ne peut porter de bons fruits. Il peut se faire que ce qui a été de la neige ne soit plus de la neige, mais il est impossible que la neige soit chaude ; ainsi peut-il arriver que celui qui a été mauvais cesse de l’être, mais jamais en demeurant mauvais il ne peut faire le bien, et si parfois il paraît faire quelque chose d’utile, ce n’est pas à lui qu’il faut l’attribuer, mais à la divine Providence.

Rab. Cet arbre, bon ou mauvais, c’est l’homme suivant que sa volonté est bonne ou mauvaise ; les fruits, ce sont ses oeuvres, qui ne peuvent être bonnes si la volonté est mauvaise, de même qu’elles ne peuvent être mauvaises si la volonté est bonne.

S. Aug. (cont. Julien, liv. 1, chap. 3). S’il est certain que la volonté vicieuse produit les actions mauvaises, comme un mauvais arbre produit de mauvais fruits, d’où vient à votre avis la mauvaise volonté elle-même, si ce n’est de l’ange considéré dans l’ange, et de l’homme considéré dans l’homme ? Or, qu’étaient ces deux volontés, avant qu’elles n’eussent produit le mal ? Un ouvrage digne de Dieu, deux natures bonnes et louables. C’est donc du bien que naît le mal, et on ne peut lui donner un autre principe d’existence que le bien. Je veux parler ici de la volonté mauvaise, car elle n’a été précédée ni d’aucun mal ni d’aucunes mauvaises actions, qui ne sortent que d’une volonté vicieuse comme d’un mauvais arbre. On ne peut dire cependant que la volonté mauvaise vient du bien en tant que bien, car c’est Dieu qui est essentiellement bon qui est l’auteur du bien ; mais elle est sortie d’un bien qui a été tiré du néant et non de Dieu.

S. Jér. Demandons aux hérétiques qui soutiennent l’existence de deux natures opposées l’une à l’autre, et qui prétendent qu’un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, comment Moïse, qui était un bon arbre, a pu pécher aux eaux de la contradiction, et comment Pierre a pu nier le Sauveur dans sa Passion en disant : " Je ne connais pas cet homme ", ou bien encore comment le beau-père de Moïse, qui était un mauvais arbre et qui ne croyait pas dans le Dieu d’Israël, a pu cependant donner un bon conseil ?

S. Chrys. (hom. 28). Le Seigneur n’a point ordonné de châtiment contre les faux prophètes ; il les pénètre d’un effroi salutaire en les menaçant du supplice que Dieu leur réserve : " Tout arbre qui n’est pas bon, dit-il, sera coupé et jeté au feu ". Ce sont les Juifs qu’il paraît avoir en vue dans ces paroles ; c’est pourquoi il se sert des paroles de Jean-Baptiste et leur annonce dans les mêmes termes (cf. Mt 3, 10 ; Lc 9, 9) le châtiment qui les attend. Le saint précurseur, en effet, emploie les mêmes figures de hache, d’arbre et de feu qui ne s’éteint pas. Pour celui qui examine sérieusement les choses, ce sont deux peines différentes, d’être coupé et d’être brûlé. Celui qui est jeté au feu est retranché tout à fait du royaume, peine qui est la plus terrible. Il en est qui ne craignent que l’enfer ; pour moi, je déclare que la perte de cette gloire éternelle est mille fois plus amère que la peine de l’enfer. En effet, quelles souffrances, petites ou grandes, n’accepterait pas un père pour jouir de la vue d’un fils bien-aimé ? Tels doivent être nos sentiments à l’égard de cette gloire, car il n’est point de fils dont la vue soit si douce pour son père que doit l’être pour nous le repos au sein des honneurs et la dissolution du corps pour être éternellement avec Jésus-Christ (cf. Ph 1, 23). C’est un supplice intolérable que le supplice de l’enfer ; mais que l’on ajoute dix mille enfers à la suite les uns des autres, jamais ce supplice ne sera comparable à la peine d’être à jamais exclu de la gloire des bienheureux et d’être éternellement haï de Jésus-Christ.

La Glose. La comparaison qu’il vient de développer amène cette conclusion, dont l’évidence ressortait déjà de tout ce qui précède : " Vous les connaîtrez donc à leurs fruits ".

 

vv. 21-23.

S. Jér. Notre-Seigneur nous a commandé d’éviter ceux qui, sous les dehors de la vertu, professent des doctrines perverses ; ici, au contraire, il nous apprend à ne pas nous confier à ceux dont la doctrine est irréprochable, mais qui la détruisent par des oeuvres mauvaises. Les serviteurs de Dieu doivent nécessairement réunir ces deux choses : soutenir leurs oeuvres par leurs discours, appuyer leurs discours par leurs oeuvres. C’est pour cela qu’il ajoute : " Ce n’est pas celui qui me dit : Seigneur ", etc. — S. Chrys. (hom. 25). Le Sauveur paraît ici faire allusion aux Juifs, pour qui les croyances étaient tout, et que saint Paul réprimande en ces termes : " Si vous, qui vous appelez Juifs, et qui vous reposez sur la loi ", etc.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, après nous avoir appris à reconnaître, d’après leurs fruits, les vrais et les faux prophètes, il nous enseigne ici plus clairement quels sont ces fruits qui peuvent nous servir à discerner les bons et les mauvais docteurs. — S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 39). Il faut prendre garde, en effet, qu’à la faveur du nom du Christ les hérétiques, ceux qui comprennent aussi mal la vérité, ou les partisans de ce monde, ne cherchent à nous tromper. C’est pour cela qu’il ajoute : " Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ", etc. Mais ici se présente une difficulté ; comment concilier avec cette maxime ces paroles de l’Apôtre : " Personne ne peut dire : Seigneur Jésus, si ce n’est dans l’Esprit saint " ; car nous ne pouvons admettre que ceux qui n’entrent pas dans le royaume des cieux aient en eux ce divin Esprit. L’Apôtre saint Paul a employé ici le mot dire dans un sens propre pour exprimer la volonté, l’intelligence de celui qui prononce ces paroles ; parce qu’en effet celui-là seul parle dans le sens vrai du mot dont la parole exprime la pensée et l’intention. Le Seigneur, au contraire, a pris le mot dire dans son sens général. Celui, en effet, qui ne veut ni ne comprend ce qu’il dit paraît aussi parler dans un certain sens. — S. Jér. C’est l’ordinaire des Écritures de prendre les paroles pour les actions, et c’est dans ce sens que l’Apôtre dit : " Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres ".
 

S. Amb. (cf. 1 Cor 12) On peut dire aussi que toute vérité, quelle que soit la bouche qui la profère, vient de l’Esprit saint. — S. Aug. (serm. sur la mont). N’allons pas croire que pour produire les fruits dont le Sauveur a parlé plus haut, il suffise de dire à Dieu : " Seigneur, Seigneur ", et d’avoir par là même l’apparence d’un bon arbre. Ces fruits consistent à faire la volonté de Dieu, comme l’indiquent les paroles suivantes : " Mais celui qui fait la volonté de mon Père ", etc. S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). C’est l’obéissance à la volonté de Dieu et non l’emploi répété de son nom qui nous fait trouver le chemin qui conduit au ciel. — S. Chrys. (sur S. Matth). Or, quelle est cette volonté de Dieu ? Le Seigneur nous l’enseigne lui-même lorsqu’il nous dit : " La volonté de mon Père qui m’a envoyé est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ". Le mot croire comprend ici la profession extérieure et les oeuvres de la foi. Celui donc dont la foi ou dont la vie n’est pas conforme à la parole du Christ, n’entrera pas dans le royaume de Dieu. — S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth). Il ne dit pas : " Celui qui fait ma volonté ", mais : " Celui qui fait la volonté de mon Père ", car c’était ce qu’il convenait d’abord de proposer à leur faiblesse ; mais par l’une de ces vérités il insinue l’autre indirectement, la volonté du Fils n’étant pas autre que celle du Père.
 

S. Aug. (serm. sur la mont., 2, 40). On peut rattacher à cette question l’avertissement suivant : Nous ne devons pas nous laisser tromper, d’abord par ceux qui, se couvrant du nom du Christ, invoquent ce nom sans en pratiquer les oeuvres ; mais nous devons encore nous défier de certains prodiges, de certains miracles tels que le Seigneur en opère en faveur des infidèles, tout en nous avertissant de ne pas nous laisser surprendre et de ne pas croire que ces miracles soient l’indice certain d’une sagesse intérieure et invisible : c’est pourquoi il ajoute : " Plusieurs me diront en ce jour-là ", etc. — S. Chrys. (hom. 10). Voyez comme le Sauveur se produit insensiblement en termes encore voilés. Il a complété son enseignement comme maître ; il s’annonce maintenant comme juge. Il a déclaré plus haut que le châtiment était réservé à ceux qui pèchent ; il fuit connaître maintenant celui qui doit infliger ce châtiment par ces paroles : " Plusieurs me diront en ce jour-là ".
 

S. Chrys. (sur S. Matth). C’est-à-dire alors qu’il viendra dans la majesté de son Père (cf. Lc 9, 26), alors que personne n’osera défendre le mensonge ou contredire la vérité à l’aide de discussions bruyantes ; alors que les oeuvres de tous les hommes parleront et que leurs bouches seront muettes ; alors que personne n’osera intervenir pour un autre, et que tous trembleront pour leur propre compte. Car dans ce jugement, les témoins ne seront pas les hommes enclins à la flatterie, mais les anges amis de la vérité, et le juge sera le Seigneur, la justice même. Le Sauveur a parfaitement exprimé les angoisses et l’effroi qu’éprouveront alors les hommes, en leur faisant répéter deux fois : " Seigneur, Seigneur ", car celui qui est en proie à une forte crainte ne se contente pas de dire une seule fois : " Seigneur ". — S. Hil. Ils prétendent que leur droit à la gloire leur vient de l’efficacité de leur parole, de leur esprit prophétique, du pouvoir qu’ils avaient de chasser les démons, et d’opérer d’autres prodiges semblables, et c’est pour cela qu’ils s’adjugent le royaume des Cieux par ces paroles : " Est-ce que nous n’avons pas prophétisé en votre nom ? "

S. Chrys. (sur S. Matth). Il en est qui croient que ce langage était un mensonge dans leur bouche, et que c’est la raison pour laquelle ils ont été rejetés. Mais on ne peut supposer qu’ils aient porté l’audace jusqu’à mentir devant leur juge ; d’ailleurs la question comme la réponse prouvent qu’ils ont réellement opéré ces prodiges. Tandis qu’ils avaient été sur la terre l’objet de l’admiration par les miracles qu’ils opéraient aux yeux de tous, ils se voient punis dans l’autre vie, et dans leur étonnement ils disent : " Seigneur, n’avons-nous pas fait beaucoup de miracles en votre nom, etc ? (cf. 1 Cor 12, 10) " Quelques auteurs prétendent que ce n’est pas dans le temps qu’ils opéraient des prodiges, mais par la suite, qu’ils se rendaient coupables d’iniquité. Mais alors que devient cette vérité que le Seigneur veut établir que sans la vertu, ni la foi, ni les miracles n’ont de valeur à ses yeux ? C’est ce que saint Paul enseigne par ces paroles : " Quand j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Remarquez qu’ils ne disent pas : " dans l’esprit ", mais " au nom ", car s’ils prophétisent au nom du Christ, c’est dans l’esprit du démon, comme font les devins. Or le signe auquel on peut les reconnaître, c’est que les oracles du démon sont souvent faux, ce qu’on ne peut jamais dire de ceux de l’Esprit saint. Dieu a permis au démon de dire quelquefois la vérité, de manière qu’il pût donner par ce rare mélange quelque valeur à ses mensonges. Ils chassent aussi les démons au nom de Jésus-Christ, tout en ayant l’esprit même de son ennemi ; ou plutôt ils les chassent en apparence et non en réalité, les démons étant en parfaite intelligence entre eux ; ils opèrent aussi des prodiges, c’est-à-dire des miracles, sans utilité, sans nécessité, et qui ne sont pas moins nuisibles que frivoles. — S. Aug. (serm. sur la mont). Lisez pour vous en convaincre les prodiges que les Mages d’Égypte ont opérés dans un esprit d’opposition à Moïse (Ex 7, 11.22 ; 8, 7).

S. Jér. Ou bien encore : Prophétiser, faire des miracles, chasser les démons, n’est pas toujours l’effet des mérites de celui qui opère ces prodiges ; c’est à l’invocation du nom de Jésus-Christ qu’il faut les attribuer, et Dieu les permet ou pour la condamnation de ceux qui invoquent ce nom, ou pour l’utilité de ceux qui en sont témoins, car tout en méprisant ceux qui font ces miracles, ils honorent Dieu par l’invocation duquel s’opèrent d’aussi grands prodiges. Saül (1 R 10), Balaam (Nb 23), Caïphe (Jn 11), n’ont-ils pas prophétisé ? Dans les Actes des Apôtres ne voyons-nous pas les enfants de Sceva chasser les démons (Ac 19), et Judas lui-même n’a-t-il pas fait plusieurs miracles avec les autres apôtres, quand son âme était déjà ouverte à la trahison ? — S. Chrys. (hom. 25 sur S. Matth). Tous n’avaient pas toutes les qualités au même degré de perfection : les uns menaient il est vrai une vie pure, mais sans avoir une foi aussi grande ; pour les autres c’était le contraire. Dieu convertissait donc les premiers par les seconds et les amenait à faire profession d’une foi plus vive ; et par le don ineffable des prodiges qu’il accordait aux autres, il les appelait à devenir plus vertueux, et il leur communiquait ce pouvoir avec une grande libéralité, comme eux-mêmes le proclament : " Nous avons fait beaucoup de miracles ". Mais parce qu’ils n’ont eu que de l’ingratitude pour celui qui les avait ainsi comblés d’honneur, le Seigneur leur fait cette déclaration : " Alors je leur dirai hautement : Je ne vous ai jamais connus ". — S. Jér. C’est avec intention qu’il se sert de cette expression : " Je leur dirai hautement ", car il a gardé le silence pendant bien longtemps. — S. Chrys. (sur S. Matth). Une aussi grande sévérité devait être précédée par une grande patience, pour rendre ainsi plus juste le jugement de Dieu, et plus mérité le châtiment des pécheurs. Or il faut se rappeler que Dieu ne connaît pas les pécheurs en ce sens qu’ils ne sont pas dignes d’être connus de lui ; on ne peut pas dire qu’il ne les connaît pas du tout, mais il ne les connaît pas pour siens. Dieu par sa nature connaît tous les hommes, mais il paraît ne pas connaître ceux qu’il n’aime pas, de même qu’on peut dire de ceux qui ne lui rendent pas le culte qui lui est dû, qu’ils ne le connaissent pas. — S. Chrys. (homél. 25). Il leur dit : " Je ne vous ai jamais connus : " non seulement au jour du jugement, mais alors même qu’ils faisaient des miracles, car il en est beaucoup qui sont pour Dieu un objet de haine dès ici-bas, et dont il se détourne avant de les punir. — S. Jér. Remarquez que ces paroles " Je ne vous ai jamais connus " sont une réfutation de ceux qui prétendent que tous les hommes ont toujours vécu comme il convient à des créatures raisonnables. — S. Grég. (cf. Jb 30) Cette sentence doit nous apprendre que c’est l’humble charité et non l’éclat des miracles qui a droit à notre vénération. Aussi la sainte Église n’a-t-elle que du mépris pour les miracles des hérétiques, parce qu’elle sait qu’ils ne sont pas une marque de sainteté ; en effet la preuve de la sainteté n’est pas de faire des miracles, c’est d’aimer le prochain comme soi-même, d’avoir sur Dieu des idées vraies et des autres une opinion plus favorable que de soi-même. — S. Aug. (contre l’ennemi de la loi et des proph., liv. 2, chap. 4). A Dieu ne plaise que nous admettions avec les Manichéens, que le Seigneur ait voulu parler des saints prophètes ; il n’est ici question que de ceux qui plus tard, après la prédication de l’Évangile, se sont imaginé qu’ils parlaient en son nom, alors qu’ils ne savaient ce qu’ils disaient. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). Les hypocrites se glorifient de la sorte comme s’ils étaient les auteurs des choses merveilleuses qu’ils disent ou qu’ils opèrent, et qu’on ne dût pas les attribuer tout entières à la puissance divine qu’ils invoquent. La lecture du saint Évangile mettra cette doctrine dans tout son jour, alors qu’on y verra le nom de Jésus-Christ tourmenter les démons. C’est donc à nous de mériter cette bienheureuse éternité, et nous devons coopérer à notre salut, en voulant le bien, en évitant le mal, et en faisant plutôt ce que demande la volonté de Dieu, que ce que réclame notre gloire personnelle. Il les repousse donc, il les rejette à cause de leurs oeuvres d’iniquité. " Retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité ". — S. Jér. Comme il ne veut pas détruire le mérite du repentir il ne dit pas : Vous qui avez commis l’iniquité, mais vous qui la commettez, qui jusqu’à ce jour, jusqu’à l’heure même du jugement, conservez encore l’affection, le désir du péché, alors même que vous n’en avez plus le pouvoir.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, la mort sépare l’âme du corps, mais elle ne change pas les dispositions de l’âme.

 

vv. 24-27.

S. Chrys. (hom. 25). Il devait s’en trouver qui tout en admirant la doctrine du Sauveur refuseraient de se déclarer ses disciples par les oeuvres ; il leur inspire donc par avance une salutaire frayeur par ces paroles : " Tout homme donc qui entend mes paroles, et les pratique, sera comparé à l’homme sage ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne dit pas : Je tiendrai pour un homme sage celui qui entend ces paroles et les pratique, mais il sera comparé à un homme sage. Donc celui qui est comparé, c’est l’homme. A qui est-il comparé ? Au Christ. Le Christ est donc cet homme sage qui a bâti sa maison, son Église, sur la pierre, c’est-à-dire sur la force de la foi. L’insensé, c’est le démon, qui a bâti sa maison, l’assemblée des impies, sur le sable, c’est-à-dire sur la terre sans consistance de l’infidélité, ou sur les hommes charnels, qu’il a comparés au sable à cause de leur stérilité, de leur défaut d’union entre eux, de la diversité des opinions qui les divisent, comme aussi de leur multitude innombrable. La pluie, c’est la doctrine dont l’esprit de l’homme est comme arrosé ; les nuages sont les sources qui répandent la pluie. Ces nuages sont souvent poussés par l’Esprit saint comme les apôtres et les prophètes ; d’autres suivent l’impulsion du démon, ce sont les hérétiques. Les vents favorables sont les esprits qui inspirent les différentes vertus, ou bien les anges qui agissent d’une manière invisible sur les sens de l’homme pour les amener à faire le bien. Les vents mauvais sont les esprits impurs, les fleuves salutaires sont les évangélistes et les docteurs, et les fleuves dont les eaux sont désastreuses, ceux qui sont remplis de l’esprit immonde, dont toute la science consiste dans des discours sans fin, comme les philosophes et les maîtres de la science profane, du sein desquels coulent des fleuves d’une eau morte. Or l’Église que le Christ a fondée n’est ni corrompue par la pluie d’une doctrine de mensonge, ni ébranlée par le souffle du démon, ni agitée par la violence des fleuves impétueux. On ne peut pas opposer à cette doctrine que plusieurs de ceux qui sont dans l’Église s’en séparent et tombent : car tous ceux qui portent le nom de chrétiens n’appartiennent pas à Jésus-Christ, mais le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent (cf. 2 Tm 2, 19). Quant à la maison bâtie par le démon, la pluie de la vraie doctrine est tombée sur elle ; les vents, c’est-à-dire les anges ou les grâces spirituelles ; les fleuves, c’est-à-dire les quatre évangélistes et les autres sages sont venus fondre sur elle, et cette maison, c’est-à-dire la gentilité, est tombée pour faire place à Jésus-Christ qui s’est élevé sur ses ruines ; et sa ruine a été grande, toutes les erreurs ayant été dissipées, le mensonge confondu, et les idoles détruites sur toute la face de la terre. Celui donc qui écoute les paroles de Jésus-Christ et les met en pratique est semblable au Christ, car il bâtit sur la pierre, c’est-à-dire sur le Christ, qui est le principe de tout bien ; de manière que tout homme qui construit sur le bien de quelque nature qu’il soit, construit sur Jésus-Christ. Or de même que l’Église bâtie par Jésus-Christ ne peut être renversée, de même le chrétien dont nous parlons qui a construit sur Jésus-Christ ne peut être renversé par aucune adversité d’après ces paroles : " Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ ". Au contraire, celui qui entend les paroles du Sauveur et ne les met pas en pratique, est semblable au démon. Les paroles qu’on écoute sans les mettre en pratique sont bientôt séparées et dispersées, et c’est pour cela qu’on les compare au sable. Le sable, c’est toute espèce de malice, ou encore tous les biens de la terre ; or de même que la maison du démon est bientôt renversée, ainsi tombent et sont détruits ceux qui ont assis les fondements de leur édifice sur le sable. La ruine est grande si elle atteint les fondements de la foi ; elle est moins grande si on s’est rendu coupable de fornication et d’homicide, car on peut alors se relever par la pénitence, à l’exemple de David.
 

Rab. Ou bien cette grande ruine c’est celle à laquelle Notre-Seigneur condamne ceux qui auront écouté ses enseignements sans les pratiquer, lorsqu’il leur dira : " Allez au feu éternel " (Mt 25). — S. Jér. Ou bien encore, tout enseignement des hérétiques qui ne s’élève que pour tomber, est bâti sur le sable, qui est mouvant et n’est point capable de cohésion. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). Ou bien les pluies sont une figure des séductions flatteuses des voluptés qui se glissent insensiblement par toutes les fentes ouvertes, et commencent par rendre la foi moins ferme ; puis vient le choc impétueux des fleuves ou des torrents, c’est-à-dire des passions plus criminelles ; puis enfin les vents se déchaînent dans toute leur violence, c’est-à-dire que le souffle de la puissance du démon entre tout entier dans l’âme. — S. Aug. (serm. sur la mont). Ou bien encore la pluie, lorsqu’elle est prise au figuré, en mauvaise part, représente la superstition couverte de ténèbres ; les bruits confus du monde sont comparés aux vents ; et les fleuves aux passions charnelles qui s’écoulent aussi sur la terre ; et celui qui se laisse entraîner par la prospérité, se laisse aussi briser par le malheur. Au contraire rien de tout cela n’est à craindre pour celui dont la maison est bâtie sur la pierre, c’est-à-dire qui, non content d’écouter les préceptes du Seigneur, se fait un devoir de les accomplir. Dans toutes ces circonstances on s’expose à de grands dangers lorsqu’on écoute la parole de Dieu sans la pratiquer, car on ne peut affermir dans son âme les vérités que Dieu nous fait connaître, ou les préceptes qu’il nous donne que par la pratique. Or remarquez qu’en disant : " Celui qui entend ces paroles que je viens de dire ", Jésus-Christ nous fait suffisamment entendre que ce discours comprend tous les préceptes destinés à former à la vie chrétienne, à toute perfection, de manière que ceux qui voudront en faire la règle de leur vie sont comparés avec raison à celui qui bâtit sur la pierre.

 

vv. 28-29.

La Glose. Jésus-Christ ayant complété son enseignement, l’Évangéliste nous montre l’effet de sa doctrine sur la foule par ces paroles : " Et il arriva lorsqu’il eut achevé ", etc. — Rab. Cette dernière expression nous représente la perfection des paroles du Sauveur, et l’excellence de ses préceptes. Cette remarque faite par l’Évangéliste que les peuples étaient dans l’admiration se rapporte ou aux infidèles qui étaient dans l’étonnement, parce qu’ils ne croyaient pas aux paroles du Sauveur, ou tous ceux en général qui admiraient en lui la supériorité d’une sagesse aussi sublime. — S. Chrys. (sur S. Matth). Si les raisons que l’on présente à l’esprit de l’homme sont de nature à le satisfaire, elles obtiennent ses louanges ; si elles triomphent de lui, elles excitent son admiration, car tout ce que nous ne pouvons louer comme il le mérite, nous l’admirons. Leur admiration cependant était bien plutôt un témoignage de la gloire de Jésus-Christ que de leur foi, car s’ils avaient cru en Jésus-Christ, ils ne l’auraient pas tant admiré. En effet qu’est-ce qui excite d’ordinaire cette admiration mêlée d’étonnement ? Ce qui surpasse la puissance de celui qui agit ou qui parle : aussi ne sommes-nous pas étonnés des paroles ou des oeuvres de Dieu, car elles sont toutes inférieures à sa puissance. C’était la foule qui était dans l’admiration, c’est-à-dire le vulgaire, et non les princes du peuple, qui n’écoutaient pas avec le désir d’apprendre. Le peuple simple au contraire écoutait avec simplicité, et son silence eût été troublé par les contradictions des princes du peuple, s’ils avaient été présents ; car plus il y a de science, plus la malice est grande, celui qui s’empresse trop d’être le premier ne pouvant se contenter d’être au second rang.
 

S. Aug. (De l’acc. des Ev., liv. 2, chap. 19). De ce qui est dit ici on peut conclure que l’Évangéliste veut parler de la foule des disciples, dans le grand nombre desquels il en avait choisi douze à qui il donna le nom d’Apôtres, circonstance qu’omet saint Matthieu (cf. Lc 6, 12), car Notre-Seigneur Jésus-Christ paraît n’avoir adressé qu’à ses disciples qui étaient sur la montagne ce discours que saint Matthieu insère ici et sur lequel saint Luc garde le silence. Et lorsque ensuite il fut descendu, il en tint un autre semblable sur lequel saint Matthieu se tait et que rapporte saint Luc. On peut dire aussi comme plus haut que Notre-Seigneur n’a prononcé devant les Apôtres et le reste de la foule qu’un seul et même discours que saint Matthieu et saint Luc rapportent de la même manière, quant aux vérités qu’il renferme quoique sous une forme différente. Ainsi s’explique naturellement l’admiration de la foule.

S. Chrys. (hom. 26). L’Évangéliste indique la cause de cette admiration : " Car il les enseignait ", etc. Si lorsque cette puissance se manifestait par des oeuvres, les scribes repoussaient le Christ loin d’eux, combien plus auraient-ils été scandalisés, alors que cette puissance ne se déclarait que par de simples paroles. Mais la foule n’éprouva pas cette impression ; car, lorsqu’une âme veut le bien, elle se laisse facilement persuader aux enseignements de la vérité. Notre-Seigneur manifestait cette puissance d’enseignement en captivant un grand nombre de ceux qui l’écoutaient, et en excitant leur admiration. Aussi le charme de ses paroles était si grand qu’ils ne voulaient pas le quitter, alors même qu’il avait cessé de parler, et c’est pourquoi ils le suivirent lorsqu’il descendit de la montagne. Ce qui les étonnait davantage dans cette puissance, c’est que Notre-Seigneur ne rapportait pas à un autre l’objet de son enseignement, comme Moïse et les prophètes, mais qu’il déclarait en toute circonstance qu’il était le souverain Maître ; en effet, il ne porte aucune loi sans cette formule : " Pour moi, je vous dis ", etc. — S. Jér. C’est comme étant le Dieu et le Maître de Moïse lui-même que, dans la plénitude de sa liberté, il ajoutait à la loi ce qui devait lui donner plus de clarté, ou même qu’il la changeait dans ses prédications au peuple, ainsi que nous l’avons vu plus haut : " Il a été dit aux anciens : Pour moi, je vous dis ". Les scribes, au contraire, ne faisaient qu’enseigner ce que contenaient les écrits de Moïse et des prophètes.
 

 

S. Grég. (cf. Jb 33) (Moral., liv. 23, chap. 7). Ou bien Jésus-Christ a eu ce privilège spécial de parler avec un pouvoir légitime, parce qu’il n’y a jamais en chez lui ni faute ni faiblesse. Pour nous, qui sommes faibles, consultons notre faiblesse pour apprendre d’elle ce que nous devons enseigner à nos frères faibles comme nous. — S. Hil. (can. 6 sur S. Matth). Ou bien ils mesuraient l’effet de son pouvoir sur la vertu de ses paroles. — S. Aug. (serm. sur la mont). C’est ce qui est ainsi figuré dans ces paroles des Psaumes : " J’agirai à son égard avec confiance ; les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, de l’argent éprouvé par le feu, passé par le creuset, purifié sept fois ".

C’est ce nombre sept qui m’a donné la pensée de rapporter tous ces préceptes aux sept maximes qui forment l’exorde de ce discours, c’est-à-dire aux béatitudes. En effet, qu’un homme se mette en colère contre son frère, qu’il lui dise raca ou qu’il le traite de fou, c’est l’effet d’un grand orgueil contre lequel il n’y a qu’un remède, implorer de Dieu le pardon avec un esprit suppliant qui n’ait aucune enflure, aucun sentiment d’ostentation. " Bienheureux donc les pauvres d’esprit, parce que le royaume de Dieu leur appartient ". On se montre d’accord avec son adversaire, c’est-à-dire qu’on rend à la parole de Dieu le respect qui lui est dû en s’approchant pour ouvrir le testament du Père céleste non pas avec amertume et le désir de la chicane, mais avec la douceur qu’inspire la piété : " Bienheureux donc ceux qui sont doux parce qu’ils posséderont la terre ". Que celui qui sent l’attrait des voluptés sensuelles se révolter contre la droite volonté s’écrie : " Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de la mort de ce corps ? " (Rm 7, 24) et que par ses larmes il implore le secours de Dieu son consolateur. " Bienheureux donc ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés ". Que peut-on imaginer de plus dur que de triompher d’une habitude vicieuse en retranchant en soi les membres qui sont un obstacle à ce royaume des cieux, et cela sans être brisé par la douleur ; de supporter dans l’union conjugale toutes les choses qui n’ont pas le caractère de la fornication quoiqu’elles soient souverainement pénibles, de dire toujours la vérité, et de ne point l’appuyer sur des serments faits à tout propos, mais sur l’intégrité des moeurs ? Mais qui osera se dévouer à de si grands travaux, sans être enflammé de l’amour de la justice, et comme dévoré par la faim et par une soif ardente ? Bienheureux sont ceux qui ont faim et soif, parce qu’ils seront rassasiés ". Qui sera toujours prêt à supporter les outrages de ceux qui sont faibles, à donner à celui qui lui demande, à aimer ses ennemis, à faire du bien à ceux qui le haïssent, à prier pour ceux qui le persécutent, si ce n’est celui qui sera parfaitement miséricordieux ? " Bienheureux donc les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde ". Pour avoir l’oeil du cœur pur, il ne faut point se proposer pour fin de ses bonnes oeuvres le désir soit de plaire aux hommes, soit de pourvoir aux nécessités de la vie, ni condamner témérairement les intentions du prochain, et dans tout ce qu’on fait pour lui, il faut agir comme on voudrait qu’il agit à notre égard. " Bienheureux donc ceux qui ont le cœur pur ", etc. Il faut encore qu’à l’aide d’un cœur pur nous trouvions la voie étroite de la sagesse, que les séductions des esprits pervers veulent nous dérober. Si on parvient à les éviter, on est sûr d’arriver à la paix que donne la sagesse. " Bienheureux donc les pacifiques ". Mais soit qu’on admette cette liaison d’idées, soit qu’on en préfère un autre, c’est une obligation pour nous de mettre en pratique les préceptes que nous avons reçus du Seigneur, si nous voulons bâtir sur la pierre.
 

 

CHAPITRE VIII.

 

vv. 1-4.

S. Jér. Après la prédication et l’exposé de la doctrine, l’occasion se présente de faire des miracles pour confirmer par leur vertu et par leur éclat les enseignements du Sauveur. — S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur enseignait comme ayant autorité ; mais pour ôter toute apparence d’ostentation à cette manière d’enseigner, il la continue dans ses oeuvres miraculeuses, où il fait éclater le pouvoir qu’il avait de guérir ; c’est pourquoi l’Évangéliste dit : " Jésus étant descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivait ". — Orig. Tandis que le Seigneur enseignait sur la montagne il n’avait avec lui que ses disciples auxquels il avait été donné de connaître les secrets de la céleste doctrine ; maintenant qu’il descend de la montagne, il est suivi par la foule qui n’avait pu monter avec lui, car celui qui est accablé du fardeau de ses péchés ne peut point gravir les sublimes hauteurs des mystères. Mais lorsque le Seigneur descend et s’abaisse jusqu’à l’infirmité, jusqu’à l’impuissance des autres hommes, et qu’il a pitié de leurs imperfections et de leurs faiblesses, une grande foule de peuple le suit, les uns par un sentiment de charité, la plupart attirés par sa doctrine, quelques-uns parce qu’il les guérissait et prenait soin d’eux.

Haym. Ou bien encore, par cette montagne sur laquelle le Seigneur s’assied, il faut entendre le ciel dont il est écrit : " Le ciel est mon trône ". Lorsque le Seigneur est assis sur la montagne, ses disciples seuls s’approchent de lui, car avant qu’il se fût revêtu de notre nature fragile, Dieu n’était connu que dans la Judée. Mais lorsqu’il descendit des hauteurs de sa divinité pour prendre les faiblesses de notre humanité, les nations le suivirent en foule. Il apprend ainsi aux docteurs à suivre dans leurs prédications un genre tempéré, et à toujours annoncer la parole de Dieu de la manière qu’ils jugeront plus propre à la faire comprendre. Les docteurs montent sur la montagne lorsqu’ils enseignent aux plus parfaits les préceptes les plus sublimes, et ils en descendent lorsqu’ils développent à ceux qui sont plus faibles, les devoirs plus faciles de la vie chrétienne.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Parmi ceux qui ne purent gravir la montagne, se trouvait le lépreux qui ne pouvait monter, accablé sous le poids de ses péchés, car le péché de nos âmes est une véritable lèpre. Notre-Seigneur descend donc des hauteurs du ciel comme d’une montagne élevée pour guérir la lèpre de nos péchés, et le lépreux se présente à lui comme s’il attendait qu’il fût descendu ; c’est pourquoi il est dit : " Et voici qu’un lépreux venant à lui ". — Orig. (homél. 51). Jésus guérit lorsqu’il est descendu, et il n’opère aucun prodige sur la montagne, car toute chose a son temps sous le ciel ; il y a le temps de la doctrine, et le temps de la guérison des malades. Sur la montagne il a enseigné, il a pris soin des âmes, il a guéri les cœurs ; après ces oeuvres spirituelles, comme il est descendu des hauteurs des cieux pour sauver des hommes revêtus d’une chair mortelle, voici qu’un lépreux vient à lui et l’adore. Avant de rien demander, il l’adore, et professe ainsi les sentiments de religion qui l’animent. — S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne demandait point sa guérison au Seigneur comme à un homme habile dans l’art de guérir, mais il l’adorait comme Dieu. Ce qui rend la prière parfaite c’est la foi et la confession que nous en faisons ; aussi le lépreux satisfait au précepte de la foi en adorant, et il accomplit l’obligation de la confession par le langage qu’il tient. " Il l’adorait en lui disant : " — Orig. (homél. 5). Seigneur, c’est par vous que toutes choses ont été faites ; si vous voulez, vous pouvez me guérir ; vouloir et faire sont pour vous une même chose, et toutes les oeuvres obéissent à votre volonté. Vous avez autrefois guéri de la lèpre Naaman le Syrien par le prophète Élisée, et si vous le voulez maintenant, vous pouvez aussi me guérir. — S. Chrys. (hom. 26 sur S. Matth). Il ne dit pas : " Si vous le demandez à Dieu ", ou bien " si vous recourez à la prière ", mais : " si vous le voulez, vous pouvez me guérir ", il ne dit pas non plus : " Seigneur, guérissez-moi ", mais il s’abandonne entièrement à lui, le proclame maître absolu, et confesse que sa puissance s’étend à toutes choses. — S. Chrys. (sur S. Matth). Au médecin spirituel, il offre une récompense spirituelle ; on reconnaît les services des médecins avec de l’argent ; c’est par la prière qu’on s’acquitte à l’égard de ce divin médecin des âmes, car nous ne pouvons rien offrir à Dieu qui soit plus digne de lui qu’une prière dictée par la foi. Lorsque le lépreux dit à Jésus : " Si vous voulez ", ce n’est pas qu’il doute que la volonté du Sauveur ne soit disposée à toute sorte de bonnes oeuvres ; mais comme la santé du corps n’est pas utile à tous, il ne savait pas si la guérison lui serait avantageuse. Il lui dit donc : " Si vous le voulez ", c’est-à-dire je crois que vous ne pouvez vouloir que ce qui est bon, mais j’ignore si ce que je demande l’est également.

S. Chrys. (hom. 26). Il pouvait guérir ce lépreux par le seul acte de sa volonté, ou par une seule parole ; cependant il veut y employer les mains et le toucher. " Et ayant étendu la main, il le toucha ". C’est ainsi qu’il fait voir qu’il n’est pas soumis à la loi, et que rien n’est impur pour celui qui est pur lui-même. Élisée au contraire, pour se conformer aux prescriptions de la loi, ne sortit pas de sa demeure pour toucher Naaman, il se contenta de l’envoyer se laver dans le Jourdain. Le Seigneur prouve que ce n’est pas comme serviteur, mais comme maître qu’il touche et guérit ; car sa main ne fut point souillée par l’attouchement de la lèpre, mais le corps souillé de lèpre fut purifié par le contact de cette main si pure. En effet le Sauveur n’est pas venu seulement pour guérir les corps, mais aussi pour conduire les âmes vers la véritable sagesse. De même donc qu’il ne défendait plus de manger sans s’être lavé les mains, de même il nous apprend ici que nous ne devons redouter que la lèpre de l’âme, c’est-à-dire le pêché, et que la lèpre du corps n’est en aucune façon un obstacle pour la vertu.

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur paraît violer la lettre de la loi, mais il en respecte l’intention. La loi en effet défendait de toucher la lèpre, parce qu’il était impossible que celui qui la touchait ne fût pas atteint de la contagion. Le but de cette défense n’était donc point de mettre obstacle à la guérison du lépreux, mais de garantir de cette maladie contagieuse ceux qui seraient tentés de le toucher. Or le Sauveur en touchant la lèpre n’en fut pas atteint, au contraire il la guérit par ce contact, et par là même il nous apprend qu’il n’y a que la lèpre de l’âme qui soit à craindre. — S. Jean Damas. Il n’était pas seulement Dieu, il était homme aussi, et c’est pourquoi il opérait les miracles par l’intermédiaire du toucher et de la parole, car son corps lui servait comme d’instrument pour l’accomplissement de ces actions toutes divines. — S. Chrys. (hom. 24). Personne encore ne l’accuse de toucher un lépreux, car l’envie ne s’était pas encore emparée de ceux qui venaient l’entendre. — S. Chrys. (sur S. Matth). S’il l’avait guéri sans parler, qui aurait pu savoir à quelle puissance était due cette guérison ? Notre-Seigneur avait la volonté de guérir, c’était pour le lépreux ; il prononce une parole de guérison, c’est pour ceux qui sont présents : " Je le veux, soyez guéri ". — S. Jér. La plupart des interprètes latins unissent ensemble, mais à tort, ces deux mots en leur donnant ce sens : " Je veux guérir " ; il faut les séparer de cette manière : Notre-Seigneur dit d’abord : " Je le veux ", puis il ajoute cette parole de commandement : " Soyez guéri ". En effet le lépreux avait dit : " Si vous le voulez " ; Notre-Seigneur lui répond : " Je le veux " ; il avait dit : " Vous pouvez me guérir " ; le Sauveur répond : " Soyez guéri ".

S. Chrys. (hom. 26). Nous ne voyons pas que dans les actions les plus éclatantes, le Seigneur ait jamais prononcé ce mot : " Je le veux " ; il l’emploie dans cette circonstance pour affermir l’opinion que le peuple et le lépreux avaient de sa puissance. — S. Chrys. (homél. 26). La nature obéit à ce commandement avec une respectueuse promptitude, comme l’indiquent les paroles suivantes : " Et aussitôt sa lèpre fut guérie " ; mais ce mot " aussitôt " ne saurait exprimer la rapidité de cette guérison. — Orig. (homél. 5). Le lépreux n’a point hésité à croire, sa guérison ne se fait pas attendre ; il n’a point différé de professer sa foi, il est immédiatement purifié. — S. Aug. (de l’arc. des Evang., liv, 2, chap. 19). Saint Luc rapporte aussi la guérison de ce lépreux, mais dans un autre endroit. Il suit en cela la méthode des Évangélistes qui placent plus loin dans leur récit ce qu’ils ont omis précédemment, ou qui racontent par anticipation ce qui n’est arrivé que plus tard, suivant en cela l’inspiration divine qui leur faisait écrire de souvenir ce qu’ils avaient appris auparavant.

S. Chrys. (hom. 26). Après avoir opéré cette guérison, Jésus défend au lépreux d’en parler à personne. Et Jésus lui dit : " Gardez-vous de parler de ceci à personne ". Quelques-uns prétendent qu’il lui fit cette défense afin que la malignité ne pût s’emparer contre lui de cette guérison, ce qui n’a pas de sens. En effet en guérissant ce lépreux, a-t-il laissé le moindre doute sur sa guérison ? Si donc il lui défend d’en parler, c’est pour nous apprendre à éviter l’ostentation et la vaine gloire. Lors donc qu’il commande à un autre malade qu’il avait guéri de publier sa guérison, c’est pour nous enseigner que nous devons avoir une âme reconnaissante, car ce n’est pas sa propre gloire, mais celle de Dieu, qu’il lui ordonne de publier. Par l’un de ces deux infirmes, le lépreux, il nous apprend donc à fuir la vaine gloire ; par l’autre, à éviter l’ingratitude et à tout rapporter à la gloire de Dieu. — S. Jér. Et en effet, quelle nécessité de publier de vive voix ce que la guérison de son corps faisait assez connaître ? — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Ou bien le silence lui est commandé parce que cette guérison ne lui est accordée qu’après qu’il l’a demandée.
 

" Mais allez, montrez-vous au prêtre ". — S. Jér. Il l’envoie se présenter aux prêtres, premièrement pour lui faire pratiquer l’humilité par cet acte de déférence à leur égard ; secondement pour sauver les prêtres eux-mêmes, s’ils voulaient croire au Sauveur du monde, et les rendre inexcusables s’ils ne voulaient pas croire ; et en même temps pour prévenir le reproche qu’ils lui firent si souvent de violer la loi. — S. Chrys. (homél. 26). Il ne la violait pas toujours, de même qu’il ne l’observait pas en toute circonstance ; mais tantôt il en négligeait les prescriptions pour ouvrir la voie à la sagesse de l’avenir, tantôt il les observait pour réprimer les discours insolents des Juifs, et condescendre à leur faiblesse. C’est pour la même raison que nous voyons les apôtres garder quelquefois, et quelquefois laisser de côté les observances de la loi. — Orig. (homél. 5). Ou bien il envoie ce lépreux se présenter aux prêtres pour qu’ils reconnaissent que ce n’est point par la vertu ordinaire de la loi, mais par l’efficacité de la grâce, qu’il a obtenu sa guérison.

S. Jér. La loi ordonnait à ceux qui avaient été guéris de la lèpre d’offrir des présents aux prêtres. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : " Et offrez le don prescrit par Moïse afin qu’il leur serve de témoignage ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Il ne faut pas entendre ces paroles en ce sens que Moïse ait prescrit cette offrande pour servir de témoignage aux prêtres. Notre-Seigneur dit : " Allez et offrez ce don pour qu’il leur serve de témoignage. — S. Chrys. (hom. 26). Le Sauveur prévoyait qu’ils ne tireraient aucun profit de ce miracle, aussi ne dit-il pas : " Pour les rendre meilleurs ", mais " pour être un témoignage " (c’est-à-dire un chef d’accusation et de preuve) que j’ai fait tout ce que je devais faire. Il a bien prévu en effet qu’ils ne réformeraient pas leur vie, il n’a pas laissé de faire ce qu’il jugeait nécessaire. Mais pour eux ils ont persévéré dans la malice qui leur était propre. Il ne dit pas non plus : " Le don que je prescris ", mais, " le don que prescrit Moïse " ; il les renvoie ainsi de temps en temps à la loi pour fermer la bouche des méchants. Il ne veut pas qu’on puisse dire qu’il a ravi aux prêtres la gloire qui leur appartenait ; il accomplit l’oeuvre de la guérison, mais il leur laisse le soin d’en constater la preuve. — Orig. (homél, 5). Ou bien, offrez votre présent, afin que tous ceux qui vous verront accomplir cette prescription croient au miracle de votre guérison.

S. Chrys. (sur S. Matth). Ou bien encore, il lui ordonne de faire l’offrande prescrite, afin que si plus tard les prêtres avaient l’intention de le chasser, il pût leur dire : " Vous avez accepté mon offrande, comme venant d’un homme parfaitement guéri ; pourquoi donc me chassez-vous aujourd’hui comme lépreux ? " — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). — Ou bien encore, on peut admettre ce sens : " Que Moïse a ordonné comme témoignage pour eux ", car ce que Moïse a ordonné dans la loi, n’est pas un effet mais un témoignage.

Bède. (Dimanche 3 après l’Epiph). Peut-être sera-t-on surpris de ce que Notre-Seigneur paraît ici approuver le sacrifice prescrit par Moïse et que l’Église n’admet pas ; qu’on se rappelle donc que le Sauveur n’avait pas encore offert par sa passion son corps en holocauste. Or il entrait dans les desseins de Dieu que les sacrifices figuratifs fussent offerts jusqu’au temps où la divinité de celui qu’ils figuraient eût été annoncée par la prédication des Apôtres, et reconnue par la foi de tous les peuples. Or cet homme qui était non-seulement lépreux, mais d’après saint Luc tout couvert de lèpre (Lc 5), est la figure du genre humain ; car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu (Rm 3), c’est-à-dire qu’ils ont besoin que le Sauveur étende sur eux la main (par l’incarnation du Verbe de Dieu uni à la nature humaine) pour les guérir des vanités de leurs anciennes erreurs. C’est ainsi qu’après avoir été longtemps un objet d’abomination et d’horreur et rejetés hors du camp du peuple de Dieu, il leur est enfin permis d’entrer dans le temple, et de venir offrir leur corps comme une hostie vivante à celui dont le roi-prophète a dit : " Tu es prêtre pour l’éternité " (Ps 109).

Remi. Le lépreux, au sens moral, signifie le pécheur ; car le péché rend l’âme impure et la couvre de mille plaies. Le pécheur se prosterne aux pieds de Jésus-Christ, lorsqu’il est confus des péchés qu’il a commis ; cependant il doit les confesser, et demander le remède de la pénitence, à l’exemple du lépreux qui découvre ses plaies et en la guérison. Le Seigneur étend la main lorsqu’il accorde le secours de sa divine miséricorde, qui est immédiatement suivi de la rémission des péchés. Le pécheur toutefois ne doit être réconcilié à l’Église que par le jugement du prêtre.

 

vv. 5-9

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur, après avoir enseigné ses disciples sur la montagne, et guéri ce lépreux lorsqu’il fut descendu dans la plaine, vient à Capharnaüm pour y accomplir un mystère, celui de la guérison des Gentils, qui vient après celle des Juifs. — Haym. Capharnaüm, dont le nom signifie la terre de l’abondance ou le champ de la consolation, figure l’Église formée par la réunion des Gentils. C’est elle qui est remplie de cette abondance spirituelle dont il est dit (Ps 62) : " Que mon âme soit remplie et comme rassasiée et comme engraissée " ; elle qui au milieu des tribulations de cette vie reçoit les consolations célestes dont parle le même roi-prophète : " Vos consolations ont réjoui mon âme " (Ps 93). C’est pour cela que l’Évangéliste nous dit : " Lorsqu’il fut entré à Capharnaüm, le centurion s’approcha de lui ".
 

S. Aug. (serm. 6 sur les paroles du Seign). Ce centurion était Gentil d’origine, car déjà la Judée était occupée par les armées romaines. — S. Chrys. (sur S. Matth). Il fut le premier fruit de la foi chez les Gentils, et en comparaison de sa foi, celle des Juifs ne fut qu’incrédulité. Il n’avait pas entendu les enseignements du Sauveur, il n’avait pas été témoin de la guérison du lépreux, mais à peine l’eut-il apprise que sa foi alla bien au delà de ce qu’on lui racontait. Il était en cela la figure de ces nations qui devaient croire dans la suite sans avoir lu ni la loi ni les prophéties qui annonçaient le Christ, et sans l’avoir vu lui-même opérer des prodiges. Il s’approche donc de lui et lui fait cette prière : " Seigneur, mon serviteur est couché et malade de paralysie dans ma maison, et il souffre extrêmement ". Voyez la bonté du centurion qui se hâte plein de sollicitude pour la santé de son serviteur. Ce n’est pas un intérêt d’argent, c’est sa vie même que la mort de son serviteur semble devoir compromettre. Il ne fait aucune différence entre le maître et le serviteur ; car quoiqu’ils n’aient ni la même dignité, ni le même rang dans le monde, ils ont une même nature. Mais voyez aussi la foi de ce centurion, qui ne dit pas : " Venez et sauvez-le ", car tout en étant pour lors dans cet endroit, le Seigneur était présent en tout lieu ; admirez en même temps sa sagesse, car il ne lui dit pas : " Sauvez-le sans quitter d’ici ". Il savait en effet que sa puissance peut tout, que sa sagesse comprend tout, et que sa miséricorde est toujours prête à nous exaucer. Il se contente donc de lui exposer l’infirmité de son serviteur en lui disant : " Et il souffre extrêmement ", et il laisse le choix du remède à sa puissance miséricordieuse. On voit par là qu’il aimait son serviteur, car on s’imagine toujours que celui qu’on aime, quelque légère que soit son indisposition, est plus mal qu’il ne l’est en réalité. — Rab. Il accumule avec douleur tous ces mots : gisant, paralytique, souffrant, pour exprimer les angoisses de son âme et émouvoir le Seigneur. C’est ainsi que tous les maîtres doivent compatir aux souffrances de leurs serviteurs et en prendre soin.

S. Chrys. (hom. 27). Il en est qui prétendent qu’en parlant de la sorte le centurion donne la raison pour laquelle il n’a point amené son serviteur, car il n’était pas possible de transporter un homme brisé par ses souffrances et presque au dernier soupir. Pour moi je vois dans ces paroles l’indice d’une grande foi : le centurion savait qu’une parole seule suffirait pour guérir ce paralytique, et il regardait comme inutile de l’amener à Jésus. — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Au sens spirituel on doit regarder les Gentils comme des malades en ce monde, anéantis sous le poids des maladies suites de leurs péchés, à qui leurs membres languissants et sans vigueur ne permettent ni de se soutenir ni de marcher. Le mystère de leur guérison s’accomplit dans le serviteur du centurion, qui, comme nous l’avons dit suffisamment, est le chef des nations qui devaient embrasser la foi. Quel est ce chef ? Le cantique de Moïse dans le Deutéronome nous l’apprend par ces paroles : " Il a marqué les bornes des nations d’après le nombre des anges de Dieu. (Dt 32, 8) — Remi. Ou bien le centurion figure les premiers qui crurent parmi les nations et qui pratiquèrent les vertus chrétiennes dans la perfection. Car on appelle centurion celui qui commande à cent hommes, et le nombre cent est un nombre parfait. C’est donc avec raison que le centurion prie pour son serviteur, de même que les prémices des nations prièrent le Seigneur pour le salut de toute la Gentilité.

S. Jér. Notre-Seigneur voyant la foi, l’humilité et la prudence du centurion, promit aussitôt d’aller lui-même guérir son serviteur. Et Jésus lui dit : " J’irai et je le guérirai ". — S. Chrys. (hom. 27). Jésus fait ici ce qu’il n’a jamais fait jusqu’à présent. Partout ailleurs nous le voyons suivre la volonté de ceux qui s’adressent à lui ; ici il la prévient ; il promet au centurion non-seulement de guérir, mais d’aller visiter lui-même son serviteur, voulant ainsi nous faire connaître la foi du centurion.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, si le Sauveur ne lui avait pas dit : " J’irai et je le guérirai ", jamais le centurion n’eût répondu : " Je ne suis pas digne ". C’est aussi parce qu’il le prie pour son serviteur, que Notre-Seigneur promet d’aller le visiter, et il nous apprend ainsi à ne pas cultiver l’amitié des grands en méprisant les petits, mais à honorer également les pauvres et les riches. Nous trouvons admirable la foi du centurion qui crut que son serviteur paralytique pouvait être guéri par le Sauveur ; son humilité n’est pas moins éclatante lorsqu’il se reconnaît indigne que le Seigneur entre dans sa maison. Et le centurion lui répondit : " Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit ". — Rab. (cf. Lc 7) La conscience qu’il avait de sa vie païenne lui fit craindre que cette condescendance du Seigneur ne fût pour lui plutôt un fardeau qu’un secours ; car s’il croyait en lui, il n’avait cependant pas encore été renouvelé par les sacrements. — S. Aug. (serm. 6 sur les paroles du Seign). En proclamant son indignité, il s’est rendu digne de voir entrer non pas dans sa maison, mais dans son cœur, le Christ Verbe de Dieu. Il n’eût point tenu un tel langage, s’il n’avait déjà porté dans son cœur celui qu’il craignait de voir entrer dans sa maison, et son bonheur eût été beaucoup moins grand si Jésus fût entré dans sa maison sans entrer dans son âme.

Sever. Dans le sens mystique, ce toit, cette demeure, c’est le corps qui sert d’enveloppe à l’âme et qui par un dessein du ciel couvre à tous les regards la liberté de l’âme. Or Dieu ne dédaigne pas de faire sa demeure dans notre chair mortelle, ni d’entrer sous le toit de notre corps. — Orig. (homél. 5). Et maintenant encore lorsque de saints et vertueux prêtres entrent dans votre maison, le Seigneur y entre avec eux, et c’est lui-même que vous devez considérer dans leur personne. Et encore lorsque vous mangez le corps du Seigneur et que vous buvez son sang, c’est également le Seigneur qui entre sous votre toit ; humiliez-vous donc en sa présence, et dites : " Seigneur, je ne suis pas digne ", etc. Car lorsqu’il entre dans une âme qui est indigne de le recevoir, il n’y entre que pour sa condamnation. — S. Jér. Le centurion nous fait voir la sagesse qui l’anime en pénétrant au delà de l’enveloppe du corps pour voir la divinité qu’elle recouvrait ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Il savait qu’autour de lui se tenaient invisiblement rangés les anges pour le servir, pour accomplir chacun de ses ordres, et qu’à leur défaut, les maladies disparaissent devant ses paroles pleines de vie. — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Le centurion dit qu’une seule parole peut guérir son serviteur, parce que le salut des nations dépend tout entier de la foi, et que la vie de tous les hommes est dans l’accomplissement des préceptes du Seigneur ; aussi ajoute-t-il : " Car quoique je ne sois moi-même qu’un homme soumis au pouvoir, ayant des soldats sous moi, je dis à l’un : allez, et il va ; et à l’autre : venez, et il vient ; et à mon serviteur : faites cela, et il le fait ", — S. Chrys. (sur S. Matth). Le centurion, sous l’inspiration de l’Esprit saint, retrace ici le mystère des relations du Père et du Fils, comme s’il disait : " Quoique je sois placé sous la puissance d’un autre, j’ai cependant le pouvoir de commander à ceux qui sont sous moi : et vous aussi, quoique soumis à votre Père en tant qu’homme, vous avez cependant le pouvoir de commander aux anges ". Sabellius, qui ne veut pas faire de distinction entre le Père et le Fils, voudrait nous donner cette explication : " Si moi, qui suis placé sous la puissance d’un autre, je puis cependant commander ; à plus forte raison, vous qui n’êtes sous la puissance de personne ". Mais le texte lui-même est contraire à cette interprétation : car le centurion ne dit pas : " Si moi qui suis un homme soumis à l’autorité ", mais : " car moi qui suis un homme soumis à la puissance d’un autre ", paroles qui prouvent qu’il a voulu faire un raisonnement non pas de disparité, mais bien de similitude entre Jésus-Christ et lui. — S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig). Si moi qui suis soumis à l’autorité d’un autre, j’ai le pouvoir de commander, que ne pouvez-vous pas, vous de qui relèvent toutes les puissances ? — La Glose. Vous pouvez, par le ministère des anges et sans vous rendre présent, dire à la maladie de se retirer et elle se retirera ; à la santé de venir, et elle viendra.
 

Haym. On peut voir dans les serviteurs du centurion les vertus naturelles qui brillaient dans un grand nombre de Gentils, ou bien les pensées bonnes et les pensées mauvaises. Aux unes nous devons dire : retirez-vous, et elles se retireront ; aux autres : venez, et elles viendront ; nous devons également commander à notre serviteur, c’est-à-dire à notre corps, de se soumettre à la volonté de Dieu.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang. ; liv. 2, chap. 20). Le récit de saint Matthieu paraît ici en opposition avec celui de saint Luc (Lc 7), où nous lisons : " Le centurion, ayant entendu parler de Jésus, lui envoya quelques-uns des anciens d’entre les Juifs, le priant de venir et de guérir son serviteur " ; et plus loin : " comme il était peu éloigné de la maison, le centurion lui envoya ses amis pour lui dire : " Seigneur, ne vous donnez pas cette peine, car je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison ". — S. Chrys. (hom. 27). Quelques interprètes pensent que ce n’est pas le même personnage dont il est question dans ces deux récits, et cette opinion ne manque pas de probabilité. En effet, les Juifs parlant de l’un, disent à Jésus : Il a construit notre Synagogue, et il aime notre nation ", tandis que le Sauveur lui-même a fait de l’autre cet éloge : " Je n’ai pas trouvé autant de foi dans Israël ", paroles qui feraient supposer qu’il était Juif. Pour moi, je pense que c’est le même dont parlent les deux Évangélistes. (cf. Jn 4, 43-54) Lorsque saint Luc raconte qu’il envoya prier Jésus de venir, il a voulu faire ressortir les bonnes dispositions des Juifs pour cet officier : car il est probable que le centurion voulant lui-même faire cette démarche en fut empêché par les Juifs qui s’empressèrent de lui dire : Nous irons nous-mêmes, et nous vous l’amènerons. Mais lorsqu’il fut débarrassé de leurs instances il envoya dire au Sauveur : " Ne pensez pas que c’est par indifférence que je ne suis pas venu en personne, c’est que je me jugeais indigne de vous recevoir dans ma maison ". Que saint Matthieu lui fasse tenir ce langage à lui-même sans l’intermédiaire de ses amis, il n’y a pas de contradiction, les deux Évangélistes expriment le vif désir de cet homme, et l’idée juste qu’il se faisait du Christ. On peut encore admettre qu’après avoir envoyé ses amis, il vint en personne exprimer les mêmes sentiments. Si saint Luc omet un détail, et saint Matthieu un autre, ils ne sont pas pour cela en contradiction, mais ils complètent réciproquement leurs récits. — S. Aug. (de l’acc. des Evange., liv. 2, chap. 20). Saint Matthieu ne nous a pas raconté la démarche que le centurion avait faite près de Jésus par l’intermédiaire d’autres personnes, parce que son dessein était de faire ressortir sa foi (qui donne accès auprès de Dieu) et dont le Sauveur a fait ce magnifique éloge : " Je n’ai pas trouvé même dans Israël une si grande foi ". Saint Luc au contraire raconte le fait dans tous ses détails pour nous faire comprendre de quelle manière cet homme vint trouver Jésus selon le récit de saint Matthieu, qui n’a pu nous tromper. — S. Chrys. (hom. 27). Il n’y a point non plus de contradiction à dire d’un côté que cet homme a élevé une synagogue et de l’autre qu’il n’était pas israélite, car il peut très bien se faire que sans être Juif il eût construit une synagogue et qu’il aimât la nation juive.

 

vv. 10-13.

S. Chrys. (hom. 27). Le lépreux avait confessé la puissance de Jésus-Christ en lui disant : " Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir ", et Notre-Seigneur avait confirmé ces paroles en lui répondant : " Je le veux, soyez guéri " ; de même ici, non-seulement il ne blâme pas, mais il relève avec éloge le témoignage que le centurion vient de rendre à sa puissance. Il fait même quelque chose de plus, car l’Évangéliste, voulant faire ressortir l’étendue de cet éloge, ajoute : " Jésus, entendant ces paroles ", etc. — Orig. Considérez la grandeur, l’excellence de ce que le Fils unique de Dieu, Dieu lui-même, daigne admirer. L’or, les richesses, les royaumes, les empires sont devant lui comme une ombre ou comme une fleur qui tombe. Aucune de ces choses n’a droit à l’admiration de Dieu par sa grandeur ou par son prix ; la foi seule a ce privilège, il l’admire, il lui rend hommage, il proclame qu’elle lui est agréable.
 

S. Aug (sur la Genése contre les Manich., liv. 1, chap. 8). Mais qui avait produit en lui cette foi, si ce n’est Dieu même qui l’admirait ? Et si un autre que lui en était l’auteur, pourquoi donc admirer ce qu’il avait dû prévoir ? Si donc le Seigneur donne ces marques d’admiration, c’est pour nous apprendre à ressentir nous-mêmes ces sentiments d’admiration dont nous avons encore besoin. Pour Jésus-Christ, au contraire, ces mouvements n’étaient pas le signe d’une âme agitée, mais ils tenaient à la forme même de son enseignement. — S. Chrys. (hom. 27). Voilà pourquoi l’Évangéliste nous dit qu’il fut dans l’admiration en présence de tout le peuple, afin de lui donner l’exemple : " Et il dit à ceux qui le suivaient ; Je vous le dis en vérité ", etc. — S. Aug. (contre Fauste, liv. 22, chap. 74). Il fit l’éloge de sa foi, mais il ne lui commanda pas d’abandonner la carrière des armes. — S. Jér. Notre-Seigneur ne parle ici que de ceux qui vivaient alors, et non pas de tous les patriarches et de tous les prophètes des temps anciens. — S. Chrys. (sur S. Matth). En effet, André crut en Jésus-Christ, mais à la parole de Jean qui lui disait : " Voici l’Agneau de Dieu ". Pierre crut également, mais sur le témoignage d’André ; Philippe crut aussi, mais après avoir lu les Écritures, et Nathanaël n’offrit à Jésus l’hommage de sa foi qu’après avoir reçu de lui une preuve de sa divinité. — Orig. (hom. 25). Jaïre, un des princes d’Israël, venant prier Jésus pour sa fille, ne lui dit pas : " Dites seulement une parole ", mais : " Venez au plus vite ". Nicodème, écoutant les divines leçons du Sauveur sur le mystère de la foi, s’écria : " Comment cela peut-il se faire ? " Marthe et Marie disent à Jésus : " Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne fut pas mort ", et elles semblent douter que la puissance divine pût s’étendre à tous les lieux.
 

S. Chrys. (sur S. Matth). Si nous voulons reconnaître dans le centurion une foi plus grande que dans les Apôtres, il nous faut entendre le témoignage de Jésus-Christ en ce sens que le bien dans un homme doit se mesurer à sa position personnelle ; c’est ainsi que nous admirons une parole sage dans la bouche d’un homme sans instruction, tandis qu’elle n’aura rien d’étonnant dans celle d’un philosophe. C’est dans ce sens que Jésus a dit du centurion : " Je n’ai trouvé nulle part autant de foi dans Israël ". — S. Chrys. En effet, la foi n’avait ni la même facilité, ni le même mérite pour un juif et pour un païen.
 

S. Jér. Ou bien peut-être dans la personne du centurion, le Sauveur exalte la foi des Gentils au-dessus de celle d’Israël, comme paraissent l’indiquer ces paroles : " Je vous le dis en vérité, plusieurs viendront de l’Orient ". — S. Aug (serm. sur les par. du Seig). Il ne dit pas tous, mais un grand nombre, et de l’Orient comme de l’Occident, c’est-à-dire de l’univers entier, qui est désigné par ces deux parties du monde. — Haym. Ou bien ceux qui viennent de l’Orient sont ceux qui abandonnent le monde immédiatement après avoir été éclairés des lumières de la foi ; ceux qui viennent de l’Occident sont ceux qui ont souffert persécution pour la foi jusqu’à la mort. Ou bien encore, celui-ci vient de l’Orient parce qu’il a commencé à servir Dieu dès son enfance ; celui-là vient de l’Occident lorsqu’il se convertit à Dieu dans son extrême vieillesse. — Orig. (hom. 5). Mais comment Notre-Seigneur dit-il ailleurs qu’il y en a peu d’élus ? C’est qu’en effet dans chaque génération il y a un petit nombre d’élus, mais au jour où Dieu visitera le monde, lorsque les élus de toutes les générations seront réunis, le nombre en sera considérable. Et ils s’asseoiront, non pas en étendant leurs membres, mais en reposant leur âme fatiguée, non pas à des tables chargées des boissons de la terre, mais à la table des festins éternels ; ils prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, où se trouvent la lumière, l’allégresse, la gloire et la longévité de la vie éternelle. — S. Jér. Comme le Dieu d’Abraham, créateur du ciel, est le Père du Christ, Abraham se trouve dans le royaume des cieux, et avec lui viendront s’asseoir les nations qui ont cru en Jésus-Christ Fils du Créateur.
 

S. Aug. (serm. 6 sur les par. du Seig). En même temps que nous voyons les chrétiens appelés au festin du ciel, dont la justice est le pain, la sagesse le breuvage, nous voyons la réprobation des Juifs annoncée dans ces paroles : " Les enfants du royaume, au contraire, seront jetés dans les ténèbres extérieures " ; c’est-à-dire les Juifs qui ont reçu la loi, qui célèbrent dans leurs cérémonies figuratives les mystères futurs, et qui ne les ont point reconnus lorsqu’ils s’accomplissaient. — S. Jér. Ou bien il appelle les Juifs les enfants du royaume, parce que Dieu avait autrefois régné sur eux.
 

S. Chrys. (hom. 27). Ou bien ces fils du royaume sont ceux pour qui le royaume était préparé, ce qui devait produire sur eux une plus vive impression. — S. Aug. (cont. Faust, liv. 15, chap. 24). Si donc Moïse n’a fait connaître au peuple d’Israël d’autre Dieu que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et que le Christ ne leur en prêche pas d’autre, on ne peut l’accuser d’avoir détourné ce peuple du culte de son Dieu. Donc, lorsqu’il les menace d’être précipités dans les ténèbres extérieures, c’est qu’il les voyait s’éloigner eux-mêmes de leur Dieu, dans le royaume duquel il nous montre toutes les nations appelées à prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, en récompense de la foi qu’ils ont toujours gardée au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Et dans ce témoignage que leur rend le Sauveur, nous ne voyons pas qu’ils aient attendu à la mort pour se convertir à Dieu, ou qu’ils n’aient été justifiés qu’après sa passion.

S. Jér. Il appelle ces ténèbres extérieures, parce que celui qui est chassé dehors par le Sauveur est abandonné par la lumière. — Haym. Que souffre-t-on dans ces ténèbres ? Notre-Seigneur nous l’apprend dans les paroles suivantes : " Il y aura là des pleurs et des grincements de dents ". Il décrit les tourments des damnés à l’aide d’une métaphore empruntée aux souffrances du corps. En effet, les yeux atteints par la fumée versent des larmes ; de même un froid très vif donne lieu à un grincement de dents ; preuve que les réprouvés dans l’enfer auront à supporter à la fois et une chaleur intolérable, et un froid des plus aigus, selon cette parole de Job : " Ils passeront des eaux de la neige à une excessive chaleur ". — S. Jér. Si les pleurs ne peuvent sortir que des yeux, si le grincement de dents prouve l’existence des os, il y aura donc résurrection véritable des corps et des mêmes membres qui auront été soumis à la mort. — Rab. Ou bien ce grincement de dents exprime un sentiment d’indignation, et ce mouvement (le repentir tardif et de colère après coup qu’éprouveront les réprouvés à la vue de leur opiniâtre persistance dans le mal. — Remi. Ou bien ces ténèbres extérieures figurent les nations étrangères, car au point de vue historique Notre-Seigneur prédit ici la ruine des Juifs, qui en punition de leur infidélité, devaient être emmenés captifs, et dispersés dans les différentes contrées de la terre. Or, comme les pleurs naissent ordinairement sous l’impression d’une ardente chaleur, et le grincement des dents sous l’action d’un froid aigu, les pleurs désignent ceux qui habiteront les contrées brûlantes de l’Inde et de l’Éthiopie, et le grincement de dents ceux qui seront exilés dans des pays plus froids comme l’Hircanie et la Scythie.
 

Chrys. (hom. 27). Les paroles du Sauveur ne sont pas un vain éloge de la foi dont il vient de faire voir la nécessité ; aussi sont-elles suivies d’un miracle que l’Évangéliste raconte ainsi : " Et Jésus dit au centurion : Allez, et qu’il vous soit fait comme vous avez cru ". — Rab. C’est-à-dire, cette grâce vous est accordée dans la mesure de votre foi ". Le mérite du maître peut seconder le mérite du serviteur non seulement sous le rapport de la foi, mais encore dans l’observance de la loi. Voilà pourquoi l’Évangéliste ajoute : " Et le serviteur fut guéri dès ce moment ". — S. Chrys. (sur S. Matth). Admirez cette promptitude, car ce n’est pas seulement la guérison, mais la guérison imprévue, instantanée, qui fait éclater la puissance du Christ. — S. Aug. (serm. sur les par. du Seigneur). Le Seigneur n’est pas entré dans la maison du centurion, il en était absent corporellement, et la présence seule de sa majesté a guéri le serviteur ; ainsi n’a-t-il paru sous une forme extérieure qu’au milieu du peuple juif ; il n’a point renouvelé pour les autres nations les merveilles de sa naissance virginale, de sa passion, de ses souffrances, de ses miracles, et cependant ce que le roi-prophète avait prédit s’est trouvé accompli : " Le peuple qui ne me connaissait pas m’a servi, il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu ma voix ". Le peuple juif l’a connu et l’a crucifié, l’univers n’a fait que l’entendre et a cru en lui.

 

vv. 14-15.

Rab. Après avoir montré dans ce lépreux la guérison du genre humain tout entier, et dans le serviteur du centenier celle des Gentils, par une suite naturelle, saint Matthieu nous montre dans la belle-mère de Pierre la guérison de la synagogue. Le Sauveur a commencé par la guérison du serviteur, parce que la conversion des Gentils a été à la fois un plus grand miracle et une grâce plus signalée, ou parce que ce n’est qu’à la fin des siècles après que la plénitude des nations sera entrée dans l’Église, que la synagogue se convertira tout entière (cf. Rm 11, 24-26). Or, la maison de Pierre était dans Bethsaïde.
 

S. Chrys. (hom. 28). Mais pourquoi Jésus entra-t-il dans la maison de Pierre ? Je pense que c’était pour prendre quelque nourriture, comme paraissent l’indiquer les paroles suivantes : " Elle se leva et elle les servait ". Jésus s’arrêtait ainsi chez ses disciples pour leur faire honneur et rendre plus vif le désir qu’ils avaient de le suivre. Considérez ici le respect de Pierre pour Jésus-Christ, quoique sa belle-mère fût malade de la fièvre, il n’entraîna pas Jésus dans sa maison, mais il attendit qu’il eût terminé ses divines leçons et qu’il eût guéri les autres malades, car il avait appris dès le commencement à faire céder ses intérêts à ceux des autres. Aussi n’est-ce pas lui qui amène le Christ, mais le Christ qui vient de lui-même après ces paroles du centurion : " Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison ", montrant ainsi toute sa bonté pour son disciple. Il ne dédaigne pas d’entrer sous le pauvre toit d’un pêcheur, pour nous apprendre à fouler aux pieds en toute circonstance l’orgueil et la vanité. Remarquez aussi que tantôt il guérit par sa seule parole, tantôt il étend simultanément la main ; c’est ce qu’il fait ici : " Et il lui toucha la main ". Il ne voulut pas toujours faire des miracles extraordinaires, et il était nécessaire de voiler quelquefois sa divinité. En touchant le corps de cette femme, non-seulement il fit cesser la fièvre, mais encore il lui rendit tout à fait la santé. Cette maladie n’étant point naturellement incurable, il manifestait sa puissance par la manière dont il la guérissait, en faisant ce que la science de la médecine ne pouvait faire, c’est-à-dire en rendant aussitôt à cette femme une santé parfaite ; c’est ce que l’Évangéliste veut nous exprimer en disant : " Elle se leva et elle les servait ". — S. Jér. Nous éprouvons ordinairement après la fièvre un surcroît de lassitude, et dans les commencements de la convalescence nous ressentons encore les douleurs de la maladie. Mais la santé que rend le Seigneur revient tout entière en un moment. L’auteur sacré nous fait remarquer qu’elle se leva et qu’elle le servait : c’est une preuve tout à la fois de la puissance de Jésus-Christ et des dispositions de cette femme à son égard.

Bède. Dans le sens mystique, la maison de Pierre figure la loi ou la circoncision ; sa belle-mère est la figure de la synagogue, qui est en quelque sorte la mère de l’Église confiée à Pierre. C’est elle qui est malade de la fièvre, de cette fièvre de jalousie dont elle brûlait en persécutant l’Église. Le Seigneur lui touche la main, en changeant ses oeuvres charnelles et en leur donnant une direction toute spirituelle. — Remi. Ou bien encore, par la belle-mère de Pierre, on peut entendre la loi, qui, selon l’Apôtre (Rm 8), était affaiblie par la chair, c’est-à-dire par le sens charnel qu’on lui donnait. Mais lorsque le Seigneur se fut rendu visible au milieu de la synagogue par le mystère de son incarnation, et qu’il eut fait voir dans ses oeuvres l’accomplissement de la loi, en même temps qu’il en donnait l’intelligence spirituelle, elle reçut bientôt tant de force de cette union avec la grâce de l’Évangile, qu’après avoir été un instrument de mort et de châtiment, elle devint comme le ministre de la vie et de la grâce (2 Cor 3, 9). Rab. Ou bien encore, toute âme qui est en lutte avec les passions de la chair, est comme travaillée par la fièvre ; mais à peine a-t-elle été touchée par la main de la miséricorde divine, elle recouvre la santé, elle réprime les désirs licencieux de la chair, et fait servir à la justice les membres qu’elle avait consacrés à l’impureté. — S. Hil. Ou bien enfin on peut voir dans la belle-mère de Pierre le vice pernicieux de l’infidélité, auquel se trouve toujours jointe la liberté de la volonté, et qui nous attache à lui comme par les liens les plus étroits. Mais aussitôt que le Seigneur entre dans la maison de Pierre c’est-à-dire dans notre corps, il guérit cette infidélité toute brûlante des ardeurs du péché, et débarrassée de l’accablante domination des vices, elle consacre la santé qu’elle recouvre au service du Seigneur.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 2, chap. 21). A quel temps cette guérison a-t-elle eu lieu ? avant ou après quel événement ? Saint Matthieu ne le dit pas, car rien n’oblige à la placer après le récit qui la précède immédiatement. Toutefois saint Matthieu paraît raconter ici ce qu’il avait omis précédemment. En effet, saint Marc raconte cette guérison avant celle du lépreux, qu’il paraît placer après le sermon sur la montagne (dont cependant il ne parle pas). Saint Luc de son côté place la guérison de la belle-mère de Pierre après le même événement que saint Marc, et avant un discours fort long qui paraît être le même que saint Matthieu fait tenir à Jésus sur la montagne. Mais qu’importe la place qu’occupent les faits, ou l’ordre dans lequel ils sont présentés ? Qu’importe qu’un évangéliste raconte un fait qu’il avait omis précédemment, ou qu’il en fasse une narration anticipée, pourvu que ce fait ainsi placé ne contredise en rien d’autres faits racontés par lui ou par un autre ? Il n’est personne qui puisse raconter dans l’ordre où elles se sont passées, les choses qui lui sont le plus connues. Il est donc probable que chaque Évangéliste a cru devoir raconter les événements suivant l’ordre dans lequel Dieu les présentait à son souvenir. Aussi, lorsque la suite chronologique des faits ne nous paraît pas clairement marquée, nous ne devons pas nous préoccuper de l’ordre que chaque Évangéliste a cru devoir adopter dans son récit.

 

vv. 16-17.

S. Chrys. (hom. 24). La multitude de ceux qui croyaient en Jésus-Christ s’était augmentée, et malgré le temps qui les pressait, ils ne voulaient pas se séparer du Sauveur ; aussi, le soir étant venu, ils lui amènent plusieurs possédés du démon. " Sur le soir, dit l’Évangéliste, on lui présenta un grand nombre de possédés ". — S. Aug. (de l’accord des Evang, liv, 2, chap. 21). Ces expressions : " Le soir étant venu ", indiquent assez qu’il s’agit ici du même jour, bien qu’il ne soit pas nécessaire de les entendre toujours du soir de la même journée.

Remi. Or Jésus-Christ, Fils de Dieu, auteur du salut des hommes, source et origine de toute miséricorde, appliquait à tous un remède divin. " Et il chassait les esprits par sa parole, et il guérit tous ceux qui étaient malades ". Il mettait en fuite les démons et les maladies d’un seul mot, pour montrer par ces prodiges de sa puissance qu’il était venu pour le salut du genre humain tout entier.
 

S. Chrys. (hom. 28). Considérez quelle multitude de guérisons particulières les Évangélistes passent sous silence ; ils ne font pas mention de chaque personne guérie, mais d’un seul mot ils nous mettent sous les yeux cet océan inexprimable de miracles. Et afin que la grandeur de ces prodiges ne devienne un motif de ne point admettre qu’une si grande multitude et tant de maladies aient été guéries en un instant, l’Évangéliste vous présente le Prophète appuyant de son témoignage ces faits miraculeux. Et ainsi fut accompli ce que le prophète Isaïe avait prédit : " Il a pris lui-même nos infirmités ". (cf. Is 53, 4 ; 1 P 2, 24) — Rab. Ce n’est pas sans doute pour les garder, mais pour nous en délivrer, et il s’est chargé de nos maladies afin de porter lui-même en notre place ce qui était un fardeau écrasant pour notre faiblesse. — Remi. Il s’est revêtu de l’infirmité de notre nature pour nous rendre forts et robustes, de faibles que nous étions. — S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Par les souffrances qu’il a endurées dans son corps (selon les oracles des prophètes), il a fait disparaître complètement les infirmités de la faiblesse humaine. — S. Chrys. (hom. 28). C’est surtout des péchés que le Prophète semble avoir voulu parler. Comment donc l’Évangéliste peut-il entendre ces paroles des maladies ? C’est qu’il a voulu les appliquer à un fait historique, ou bien nous faire comprendre que la plupart des maladies ont pour cause les péchés de notre âme, et que la mort elle-même n’a point d’autre origine.
 

S. Jér. — Remarquons que toutes ces guérisons s’opèrent non pas le matin, non pas au milieu du jour, mais vers le soir, lorsque le soleil est sur son coucher, et que le grain tombe dans la terre pour y mourir et produire des fruits en abondance. Rab. En effet, le coucher du soleil figure la passion et la mort de celui qui a dit : " Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde " ; de celui qui dans le temps de sa vie mortelle n’a enseigné qu’un très petit nombre de Juifs, mais qui après avoir détruit l’empire de la mort a promis les dons de la foi à toutes les nations répandues sur la face de la terre.

 

vv. 19-22.

S. Chrys. (hom. 28). Comme Jésus-Christ ne guérissait pas seulement les corps, mais qu’il rendait encore les âmes meilleures en leur enseignant la vraie sagesse, il a voulu montrer dans sa personne non-seulement la puissance qui guérit les maladies, mais encore l’humilité qui fuit toute ostentation ; c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : " Or, Jésus se voyant environné d’une grande foule de peuple, ordonna à ses disciples de passer à l’autre bord. Il agissait de la sorte pour nous enseigner la modestie dans nos actions, calmer l’envie des Juifs, et nous apprendre à ne rien faire par amour de la vaine gloire. — Remi. Ou bien il agissait ici comme homme, pour se débarrasser des importunités de la foule. Ce peuple lui était fortement attaché, plein d’admiration pour sa personne, et ne pouvait se lasser de le voir. Qui aurait pu, en effet se séparer d’un homme qui opérait de tels prodiges ? Qui n’aurait voulu contempler l’auguste simplicité de son visage et la bouche d’où sortaient de tels oracles ? Si Moïse avait le visage resplendissant de gloire (Ex 34), et saint Etienne la figure d’un ange (Ac 7), comment le souverain Maître de toutes choses n’aurait-il point paru avec la majesté qui convenait à son auguste personne, et n’est-ce pas ce que le Roi-Prophète prédisait en ces termes : " Vous surpassez en beauté tous les enfants des hommes ".
 

S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth). Le nom de disciples ne s’applique pas seulement aux douze apôtres, car nous voyons qu’outre les apôtres, Jésus eut plusieurs disciples.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang. liv. 2, chap. 22). Il est évident que le jour où Jésus ordonna à ses disciples de passer à l’autre bord ne fut pas le lendemain du jour où il avait guéri la belle-mère de Pierre, car ce jour là il se retira dans le désert, comme le racontent saint Marc et saint Luc. — S. Chrys. (hom. 28). Remarquez qu’il ne renvoie pas directement la foule, pour ne pas la blesser ; mais il ordonne à ses disciples d’aller au delà, en laissant au peuple l’espérance de pouvoir l’y suivre.
 

Remi. Mais que s’est-il passé entre l’ordre donné ici par le Sauveur et son exécution ? L’Évangéliste a pris soin de nous l’apprendre. Et voici qu’un scribe lui dit : " Maître, je vous suivrai partout où vous irez ". — S. Jér. Si ce scribe, qui ne connaissait que la lettre qui tue (cf. Rm 7), avait dit : " Seigneur, je vous suivrai partout ou vous irez ", il n’eût pas été repoussé par le Sauveur ; mais comme il ne le considérait que comme un maître ordinaire, qu’il n’était lui-même qu’un homme attaché à la lettre extérieure, et n’avait pas les oreilles intérieures de l’âme, il n’a rien en lui où Jésus puisse reposer sa tête. Nous voyons aussi que ce scribe a été rejeté, parce qu’à la vue des prodiges étonnants opérés par le Sauveur, il ne voulait le suivre que pour recueillir du profit de ces oeuvres. Il désirait ce que Simon le magicien voulait plus tard acheter de saint Pierre (Ac 8).

S. Chrys. (hom. 28). Voyez aussi quel est son orgueil : il arrive, et à son langage, on voit qu’il dédaigne d’être confondu avec la foule, et qu’il veut montrer qu’il lui est supérieur. S. Hil. (can. 7 sur S. Matth). Ou bien encore, ce scribe, qui est un des docteurs de la loi, demande à Jésus s’il doit le suivre, comme si la loi ne disait pas clairement que c’est le Christ, et qu’il a tout intérêt de marcher à sa suite. Il trahit donc l’incrédulité de son âme par cette question de défiance, car on ne doit pas interroger, mais suivre les inspirations et les enseignements de la foi.

S. Chrys. (hom. 28). Le Sauveur répond ici non pas à la question contenue dans ses paroles, mais à la pensée renfermée dans son âme. Et Jésus lui dit : " Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ". C’est-à-dire pourquoi voulez-vous me suivre dans l’espérance des richesses et des avantages du siècle, moi dont la pauvreté est si grande que je ne possède pas même un petit réduit, et que je couche sous un toit qui ne m’appartient pas. — S. Chrys. (hom. 28). Notre-Seigneur ne lui tient pas ce langage pour le repousser, mais pour lui reprocher sa mauvaise intention, et il lui accorderait ce qu’il demande, s’il consentait à pratiquer la pauvreté en marchant à sa suite. Mais voyez, sa malice est si grande que cette leçon ne peut le convertir et qu’il ne s’écrie pas : " Je suis prêt à vous suivre ".
 

S. Aug. (serm. sur les par. du Seigneur). Ou bien encore, le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête dans votre foi ; les renards ont leurs tanières dans votre âme pleine de ruses ; les oiseaux du ciel ont aussi leurs nids dans votre cœur dominé par l’orgueil ; avec cet esprit de ruse et d’orgueil vous ne pouvez me suivre ; celui qui est trompeur peut-il suivre celui qui marche simplement ? — S. Grég. (Moral. 19, 1). Ou bien, les renards sont des animaux rusés qui se cachent dans des trous ou dans des cavernes. Lorsqu’ils en sortent, ce n’est point dans les droits chemins, mais dans les sentiers détournés qu’on les voit courir ; quant aux oiseaux, leur vol est très élevé au-dessus de terre. Il faut donc entendre par les renards les démons de la ruse et de la fourberie, et par les oiseaux les démons de l’orgueil. Voici donc le sens des paroles de Jésus : Les démons de la ruse et de la vaine gloire trouvent place dans votre cœur, mais mon humilité ne peut se reposer dans une âme livrée à l’orgueil. — S. Aug. (quest. sur l’Evang). Il est à croire que, séduit par l’éclat des miracles du Sauveur, il voulut s’attacher à lui par un motif de vaine gloire, figurée ici par les oiseaux, et qu’il a joué le personnage d’un disciple obéissant, hypocrisie qui est représentée par les renards. — Rab. Les hérétiques qui mettent toute leur confiance dans leurs subtilités sont ici figurés par les renards, et les esprits malins par les oiseaux du ciel. Les uns et les autres avaient leurs tanières et leurs nids, c’est-à-dire leur demeure dans le cœur du peuple juif.
 

Un autre de ses disciples lui dit : " Seigneur, permettez-moi d’aller d’abord ensevelir mon père ". — S. Jér. Quelle différence entre le scribe et ce disciple ! Celui-ci l’appelle simplement maître, celui-là le reconnaît pour son Seigneur. L’un, obéissant à un sentiment de piété filiale, désire aller ensevelir son père ; l’autre promet de suivre Jésus partout, mais ce n’est pas la personne du Maître qu’il recherche, c’est le gain qu’il espère en retirer. — S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth). Ce disciple ne demande pas non plus s’il doit suivre Jésus ; il croit que c’est pour lui une obligation, et il demande simplement qu’il lui soit permis d’aller ensevelir son père.
 

S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig). Lorsque le Seigneur prépare les hommes au ministère évangélique, il rejette toutes les excuses que suggèrent les sentiments de la nature et les sollicitudes de cette vie ; c’est ce que prouvent les paroles suivantes : " Or Jésus lui dit : Suivez-moi, et laissez les morts ensevelir leurs morts ". S. Chrys. (hom. 28). Gardons-nous de croire que le Sauveur nous commande de refuser à nos parents l’honneur qui leur est dû ; il nous apprend à ne rien voir de plus nécessaire que l’affaire de nos intérêts éternels, à nous y appliquer avec toute l’ardeur possible, sans le plus léger retard, quelque inévitables, quelque irrésistibles que soient les attachements qui nous retiennent. Car quoi de plus nécessaire, et aussi quoi de plus facile que d’ensevelir son père ? L’accomplissement de ce devoir ne demandait pas grand temps. Par là encore le Seigneur a voulu nous arracher à une multitude de maux, à la douleur, à l’affliction, et à tout ce qui accompagne de semblables accidents. Après les funérailles, en effet, seraient venus les débats sur le testament, le partage de la succession, et ces agitations successives auraient pu l’éloigner considérablement de la vérité. Si votre cœur se soulève encore, rappelez-vous que souvent on laisse ignorer à des malades la mort de leur père, ou de leur fils, ou de leur mère, et qu’on ne leur permet pas de les accompagner jusqu’au lieu de leur sépulture. Loin que ce soit là de la cruauté, c’est la conduite contraire qui mériterait ce reproche. Ce serait un bien plus grand mal de détourner un homme des enseignements spirituels, alors surtout que d’autres pourraient le remplacer pour rendre ces derniers devoirs ; c’est justement ce qui avait lieu ici ; c’est ce qui fait dire au Sauveur : " Laissez les morts ensevelir leurs morts ". — S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig). C’est-à-dire : votre père est mort, il y a d’autres morts qui pourront ensevelir leurs morts, car ils sont dans l’infidélité. — Chrys. (hom. 28). Ces paroles indiquent que celui qui était mort n’était pas un de ses disciples, mais qu’il était du nombre des infidèles. Vous admirez ce jeune homme qui, en présence d’un devoir aussi pressant, vient demander à Jésus ce qu’il faut faire, et ne veut point agir de lui-même ; mais qu’il est bien plus admirable d’avoir obéi à la défense qui lui était faite, non point par un sentiment d’ingratitude ou de négligence, mais pour ne pas interrompre une affaire plus importante ! — S. Hil. D’ailleurs, comme nous avons appris à dire au commencement de l’Oraison dominicale : " Notre Père qui êtes dans les cieux ", et que ce disciple représente tout le peuple croyant, le Seigneur lui rappelle ici qu’il n’y a pour lui qu’un Père qui est dans les cieux (Mt 23, 9), et que les droits que donne ce nom de père ne sont pas laissés au père infidèle à l’égard de son fils devenu fidèle. Il nous apprend encore à ne pas mêler à la mémoire des saints le souvenir de ceux qui sont morts dans l’infidélité, et à regarder comme morts ceux qui vivent en dehors de la vie de Dieu. Que les morts donc ensevelissent leurs morts ; car pour ceux qui sont vivants, ils doivent s’attacher au Dieu vivant par la foi qu’ils ont en lui.

S. Jér. Si donc c’est aux morts à ensevelir les morts, nous devons prendre soin des vivants, et non point des morts, de peur que cette préoccupation pour les morts ne nous fasse ranger nous-mêmes parmi les morts. — S. Grég. (Moral., liv. 4, chap. 25). On peut dire encore que les morts ensevelissent leurs morts lorsque les pécheurs se montrent favorables aux pécheurs, car en prodiguant les louanges à celui qui pêche, ils enterrent pour ainsi dire ce mort sous le poids de leurs éloges. — Rab. Cette maxime du Sauveur nous apprend aussi qu’il faut quelquefois sacrifier un bien moins important à un bien qui l’est davantage. S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 23). S. Matthieu raconte ce fait comme étant arrivé après que Jésus eut ordonné à ses disciples de passer sur l’autre bord, tandis que saint Luc le place au moment où ils étaient en chemin ; il n’y a ici aucune contradiction, puisqu’ils étaient en chemin pour arriver au bord de la mer.

 

vv. 23-27.

Orig. Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant fait éclater sur la terre de grands et d’étonnants prodiges, passe sur la mer pour y opérer des miracles plus extraordinaires encore, et se faire ainsi reconnaître partout comme le Seigneur de la terre et de la mer. " Et après qu’il fut monté dans une barque ", dit l’Évangéliste, il fut suivi de ses disciples qui n’étaient plus des disciples faibles, mais fermes et stables dans la foi. En le suivant, ils étaient moins attachés à ses pas qu’à la sainteté de sa vie qui les attirait à lui. — S. Chrys. (hom. 29). Il prend ses disciples avec lui et les fait monter dans la même barque pour leur apprendre à ne pas s’effrayer au milieu des dangers, et leur enseigner à conserver toujours l’humilité au milieu des honneurs, car il permet qu’ils soient le jouet des flots, afin de prévenir la haute idée qu’ils auraient pu avoir d’eux-mêmes en voyant que Jésus les avait se tenus de préférence aux autres. Lorsqu’il opérait des prodiges éclatants, il permettait à la foule d’en être témoin ; mais lorsqu’il s’agit de se mesurer avec les tentations, avec les craintes, il ne prend avec lui que les athlètes qu’il devait former à combattre contre l’univers entier. — Orig. Après qu’il fut entré dans la barque, il commanda à la mer de s’agiter. " Et voici, dit le texte sacré, qu’une grande tempête s’éleva sur la mer ". Cette tempête ne s’éleva pas d’elle-même, mais elle obéit à la puissance de celui qui commande et qui fait sortir les vents de ses trésors (Ps 134). La tempête fut grande pour que le miracle le fut également ; plus les flots venaient fondre sur la barque, plus aussi l’effroi bouleversait les disciples, et leur faisait désirer d’être délivrés par la puissance du Sauveur.

S. Chrys. (hom. 29). Ils avaient été témoins des bienfaits que Jésus répandait si libéralement sur les autres ; mais comme nous ne jugeons pas de la même manière de ce qui se fait dans l’intérêt des autres, et de ce que l’on fait pour nous, Notre-Seigneur voulut les faire jouir de ses bienfaits par une expérience personnelle ; il permit donc cette tempête, pour que leur délivrance leur fît comprendre plus clairement ce qu’il faisait en leur faveur. Or cette tempête était la figure des tentations qu’ils devaient éprouver dans l’avenir, et dont saint Paul a dit : " Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nous avons été surchargés au-dessus de nos forces ". L’Évangéliste nous dit que Jésus dormait, parce qu’il voulait laisser à la crainte le temps de s’emparer de leur âme. Car si la tempête était survenue pendant qu’il était éveillé, ou ils n’auraient eu aucune crainte, ou ils n’auraient pas imploré son secours, ou ils n’auraient pas cru qu’il pût opérer un semblable miracle.

Orig. Chose étonnante et merveilleuse ! L’Évangéliste nous montre livré au sommeil celui qui ne dort, qui ne sommeille jamais (Ps 120, 4). Son corps dormait, mais la divinité veillait, et il prouvait par là qu’il portait un corps véritable comme le nôtre, et qu’il s’en était revêtu avec toutes ses faiblesses. Il dormait donc extérieurement pour apprendre à ses apôtres à veiller, et nous apprendre à tous à éviter le sommeil de l’âme. La crainte qui les bouleversait était si grande, qu’ils avaient presque perdu la tête, qu’ils se précipitaient près de lui et qu’au lieu de lui parler avec modération et avec douceur, ils le réveillent brusquement. Et ses disciples s’approchèrent, et ils l’éveillèrent en disant : " Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ".
 

S. Jér. Nous voyons une figure de cet événement dans le prophète Jonas, qui, pendant que tous tremblent à la vue du danger, seul est tranquille, et dort si profondément qu’il faut le réveiller. — Orig. Et vous les vrais disciples de Jésus-Christ, vous avez le Seigneur au milieu de vous, et vous craignez le danger ? La vie est avec vous, et la crainte de la mort vous préoccupe ? Peut-être vont-ils répondre : Nous sommes encore faibles, pusillanimes ; c’est pour cela que la crainte s’empare de nous. Aussi Jésus leur dit : " Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? " C’est-à-dire : vous avez été témoins de ma puissance sur la terre, pourquoi doutez-vous que cette puissance s’étende aussi à la mer ? Et quand la mort elle-même viendrait fondre sur vous, ne devriez-vous pas la supporter avec courage ? Celui qui croit faiblement sera repris, celui qui ne croit pas du tout sera condamné. — S. Chrys. (hom. 20). Dira-t-on que réveiller Jésus ne fut pas chez eux un signe de peu de foi ? Au moins est-ce une preuve qu’ils n’avaient pas de lui une opinion convenable, car ils pensaient qu’il pourrait apaiser la mer étant éveillé, mais que cela lui serait impossible pendant son sommeil. Aussi est-ce pour cela qu’il n’opère pas ce miracle en présence de la foule, pour n’avoir pas à leur reprocher devant elle leur peu de foi ; il les prend seuls avec lui pour leur faire ce reproche et il apaise ensuite les flots soulevés. " Et se levant en même temps, il commanda aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme.
 

S. Jér. Cet acte de puissance doit nous faire conclure que toutes les créatures ont le sentiment de leur Créateur, car ceux qui reçoivent un commandement doivent avoir sentiment de celui qui leur commande ; nous ne partageons pas cependant l’erreur des hérétiques qui considèrent tous les êtres comme animés, mais nous disons que la majesté du Créateur rend pour ainsi dire sensibles pour lui les créatures qui demeurent insensibles pour nous. — Orig. Il commanda donc aux vents et à la mer, et à cette grande agitation succéda un grand calme. Il est digne de celui qui est grand de faire de grandes choses, et c’est pour cela qu’après avoir troublé magnifiquement les profondeurs de la mer, il commande qu’un grand calme se fasse, afin que la joie de ses disciples égale la crainte qui les a troublés.
 

S. Chrys. (hom. 29). Ces paroles nous font voir encore que la tempête a été calmée tout d’un coup et tout entière, sans qu’il restât la moindre trace d’agitation ; chose tout à fait extraordinaire, car lorsque le soulèvement des flots s’apaise selon les lois ordinaires de la nature, ils restent encore longtemps agités, taudis qu’ici toute agitation cesse dans un instant. Ainsi Jésus-Christ accomplit en sa personne ce que le Roi-Prophète avait dit de Dieu le Père : " Il a parlé et la tempête s’est apaisée ", car d’une seule parole et par son seul commandement il a calmé la mer et mis un frein à la fureur des flots. Ceux qui étaient avec lui, à son aspect, à son sommeil, à l’usage qu’il faisait d’une barque, le regardaient seulement comme un homme ; aussi ce miracle les jette dans l’étonnement. Or les hommes furent dans l’admiration, et ils disaient : " Quel est celui-ci ? " etc. — La Glose. Saint Chrysostome traduit ainsi : " Quel est cet homme ? " En effet, à ne considérer que son sommeil et son extérieur, c’était un homme ; mais la mer et le calme qu’il y ramena montraient qu’il était Dieu. Orig. Mais quels sont ces hommes qui furent dans l’admiration ? Ne croyez pas que cette expression désigne les Apôtres, car il n’est jamais parlé d’eux qu’en termes honorables, et ils sont toujours appelés ou apôtres ou disciples. Ceux qui étaient dans l’admiration furent donc ceux qui étaient avec le Sauveur dans la barque, et à qui cette barque appartenait. — S. Jér. Si quelqu’un cependant, par esprit de contradiction, prétend que ce sont les disciples de Jésus qui furent dans l’admiration, nous répondrons que c’est à juste titre que l’Évangéliste leur donne le nom d’hommes, car ils ne connaissaient pas encore la puissance du Sauveur.

Orig. En disant : " Quel est donc celui-ci ? " ils ne font pas une question, mais ils affirment que c’est à cet homme que les vents et la mer obéissent. " Quel est donc celui-ci ? " C’est-à-dire quelle est sa puissance, quelle est sa force, quelle est sa grandeur ? Il commande à toute créature, et elle ne transgresse pas ses ordres ; les hommes seuls lui résistent, et seront pour cela condamnés au jugement.

Dans le sens mystique, nous naviguons tous avec le Seigneur dans la barque de l’Église sur la mer orageuse du monde ; le Seigneur cependant dort d’un sommeil de miséricorde, et attend ainsi notre patience dans les maux et le repentir des pécheurs. S. Hil. (Can. 7 sur S. Matth). Ou bien il dort, parce que notre propre sommeil l’assoupit au milieu de nous. C’est ce que Dieu permet pour nous faire espérer le secours du ciel au milieu de l’effroi que nous cause le danger, et plût à Dieu qu’une espérance même tardive nous donne l’assurance d’échapper au péril, grâce à la puissance du Christ qui veille au milieu de nous ! — Orig. Approchons-nous donc de lui avec empressement, en lui disant avec le Prophète : " Levez-vous ; pourquoi dormez-vous, Seigneur ? " (Ps 43). Et il commandera lui-même aux vents, c’est-à-dire aux démons qui soulèvent les flots, aux princes de ce monde qui suscitent les persécutions contre les saints, et le Christ fera régner un grand calme autour du corps et de l’esprit, en rendant la paix à l’Église et la tranquillité au monde.
 

Rab. Ou bien encore la mer, ce sont les flots agités du monde, la barque dans laquelle monte Jésus-Christ ; c’est l’arbre de la croix à l’aide duquel les fidèles traversent cette mer du monde et parviennent à la céleste patrie comme à un port assuré. Jésus-Christ monte dans cette barque avec ses disciples, et c’est pour cela qu’il dit plus bas : " Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive ". Lorsque le Christ fut attaché à la croix, il se fit une grande agitation, parce que l’âme de ses disciples fut troublée par le spectacle de la passion. La barque fut couverte par les flots, car la violence de la persécution se déchaîna autour de la croix sur laquelle Jésus-Christ succomba. C’est pour cela qu’il est dit : " Et lui cependant dormait ". Son sommeil était la mort. Les disciples éveillent leur Maître, alors que, bouleversés par sa mort, ils font les voeux les plus ardents pour sa résurrection, et lui disent : " Sauvez-nous en ressuscitant, car nous périssons dans le trouble où nous a jetés votre mort. Lorsqu’il ressuscite, il leur reproche la dureté de leur cœur, comme nous le voyons ailleurs. Le Seigneur a commandé aux vents, lorsqu’il a écrasé l’orgueil du démon ; il a commandé à la mer, en dissipant la fureur insensée des Juifs ; et il s’est fait un grand calme, car la frayeur des disciples s’apaisa lorsqu’ils furent témoins de la résurrection de leur Maître. — La Glose. Ou bien encore, la barque c’est l’Église de la terre, dans laquelle le Christ traverse avec les siens la mer de ce monde et apaise les flots des persécutions, digne objet de notre admiration et de notre reconnaissance.

 

vv. 28-34.

S. Chrys. (hom. 29). Les hommes ne voyaient dans Jésus-Christ que la nature humaine ; les démons vinrent proclamer sa divinité, afin que ceux qui n’avaient point écouté la voix de la mer en fureur et soudain redevenue calme, entendissent la voix des démons ; c’est l’objet des versets suivants : " Jésus étant passé à l’autre bord, dans le pays des Géraséniens ", etc. — Rab. Gérasa est une ville de l’Arabie, située au delà du Jourdain auprès du mont Galaad ; elle était habitée par la tribu de Manassès et n’était pas éloignée du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux furent précipités.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv, 2, chap. 24). Saint Matthieu parle ici de deux possédés, saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul ; cette différence s’explique en disant qu’il y en avait un des deux plus connu et plus renommé, qui affligeait davantage cette contrée et dont les habitants désiraient plus ardemment la guérison, guérison qui eut aussi plus de retentissement. — S. Chrys. (hom. 29). Ou bien saint Luc et saint Marc ont choisi le plus furieux pour sujet de leur récit, et ils nous retracent plus en détail ses souffrances. Saint Luc, en effet, dit qu’après avoir brisé ses liens, il était emporté dans le désert, et saint Marc qu’il se meurtrissait lui-même avec des cailloux. Cependant ils ne disent pas qu’il était seul, pour ne pas se mettre en contradiction avec saint Matthieu. Nous voyons ensuite qu’ils sortaient des tombeaux, ce qu’ils faisaient pour accréditer cette erreur pernicieuse que les âmes de ceux qui sont morts deviennent des démons. C’est par suite de cette erreur qu’un grand nombre d’aruspices égorgent des enfants pour associer leur âme à leurs criminelles opérations. C’est pour cela qu’on entend les possédés s’écrier : " Je suis l’âme d’un tel ! " Ce n’est pas l’âme de celui qui est mort qui s’exprime de la sorte, mais le démon qui emprunte sa voix pour tromper ceux qui l’entendent ; car si l’âme d’un mort pouvait entrer dans un corps étranger, à plus forte raison pourrait-elle rentrer dans celui qu’elle animait précédemment. Mais il est contraire à la raison de croire qu’une âme qui souffre des peines injustes prête son concours à celui qui les lui fait souffrir, ou qu’un homme puisse changer un être incorporel en une autre substance, c’est-à-dire une âme en la substance du démon ; car même pour les corps cela est impossible à l’homme, et il ne pourrait par exemple changer le corps d’un homme en celui d’un âne. D’ailleurs serait-il raisonnable de penser qu’une âme séparée de son corps soit comme errante sur la terre ? Les âmes des justes sont dans la maison de Dieu (Sg 3) ; de même aussi les âmes innocentes des enfants. Quant aux âmes des pécheurs, il est certain, d’après l’histoire de Lazare et du mauvais riche, qu’elles sont aussitôt enlevées de ce monde (Lc 16). Or comme personne n’osait amener ces possédés à Jésus-Christ, il va lui-même les trouver. L’Évangéliste nous donne une idée de leur fureur en ajoutant : " Ils étaient si furieux que personne n’osait passer ", etc. Mais ces furieux qui empêchaient les autres de passer trouvèrent à leur tour quelqu’un qui leur défendit d’aller plus loin ; ils se sentaient flagellés d’une manière invisible, et la présence seule du Christ leur causait des tourments intolérables, comme nous le voyons par ce qui suit : " Et ils se mirent à pousser des cris, en disant, " etc.

S. Jér. Mais ce n’est pas là cette confession volontaire que Dieu se plaît à récompenser aussitôt, c’est la force de la nécessité qui malgré eux leur extorque cet aveu. Ainsi lorsque des esclaves ont pris la fuite, et que bien longtemps après ils se trouvent en présence de leur maître, ils ne demandent qu’une chose, c’est d’échapper au châtiment qu’ils méritent ; ainsi les démons se trouvant tout à coup devant le Seigneur qu’ils voient descendre sur la terre, croyaient qu’il était venu pour les juger. Quelques auteurs trouvent absurde de dire que les démons connaissaient le Fils de Dieu, tandis que le prince des démons ne le connaissait pas, parce que leur malice est moins grande et qu’ils ne sont que ses satellites. Est-ce que, en effet, toute la science des disciples ne doit pas être rapportée au Maître ?

S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 21). Dieu ne se fit connaître à eux qu’autant qu’il le voulut, et il ne le voulut qu’autant qu’il le fallait. Il ne se manifesta donc pas à leurs regards comme la vie éternelle et comme cette lumière qui éclaire les âmes pieuses, mais seulement par quelques effets temporels de sa puissance et par quelques-uns de ces signes secrets de sa puissance, qui sont sensibles pour les esprits angéliques, même pour ceux qui sont mauvais, plutôt que pour la faiblesse de notre nature. — S. Jér. Cependant il faut admettre que les démons et le diable lui-même ont soupçonné qu’il était le Fils de Dieu, plus qu’ils ne l’ont connu véritablement. — S. Aug. (quest. sur l’Anc. et le Nouir. Test). Ce cri que poussent les démons : " Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous, Jésus, Fils de Dieu ", est plutôt l’expression d’un soupçon, que d’une connaissance certaine, car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient permis que le Dieu de gloire fût crucifié. Remi. Toutes les fois qu’ils étaient tourmentés par les effets de sa puissance, ils croyaient que c’était le Fils de Dieu ; mais lorsqu’ils le voyaient soumis à la faim, à la soif et à d’autres nécessités semblables, le doute rentrait dans leur esprit, et ils le regardaient comme un simple mortel. Remarquons aussi que les Juifs incrédules, qui osaient dire que c’était par Belzébul que le Sauveur chassait les démons, et les Ariens, qui prétendaient que c’était une simple créature, sont condamnés tout à la fois et par le jugement de Dieu et par la confession des démons qui proclament que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. C’est avec raison qu’ils disent : " Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? " etc. C’est-à-dire il n’y a rien de commun entre notre malice et votre grâce, car, d’après l’Apôtre (2 Co 6), il n’y a point d’union possible entre la lumière et les ténèbres. — S. Chrys. (hom. 20). Ce qui prouve que cet aveu n’était pas dicté par la flatterie, c’est qu’une douloureuse expérience les force de s’écrier : " Vous êtes venu nous tourmenter avant le temps. — S. Aug. (Cité de Dieu, chap. 23). Peut-être regardaient-ils comme soudain ce qu’ils pensaient ne devoir leur arriver que beaucoup plus tard ; peut-être considéraient-ils comme leur perte ce qui allait arriver, d’être dévoilés et couverts de mépris, et cela avant le jour où ils entendraient l’arrêt de leur damnation éternelle. — S. Jér. La présence du Sauveur est elle-même un tourment pour les démons. — S. Chrys. (hom. 29). Ils ne pouvaient pas dire qu’ils n’avaient commis aucune faute, car Jésus-Christ les avait surpris en flagrant délit, en se faisant un jeu de tourmenter une créature de Dieu. Aussi craignaient-ils qu’en raison de cette multitude de crimes dont ils étaient coupables, il n’attendît pas, pour les punir, la sentence suprême du dernier jugement.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang, liv. 2, chap. 24). Que les paroles des démons aient été rapportées différemment par les Évangélistes, il n’y a point à s’en inquiéter, car on peut ramener toutes ces variantes à une seule pensée, ou bien supposer même que toutes ces paroles ont été dites. On ne doit pas non plus s’étonner que dans saint Matthieu les démons parlent au pluriel, tandis que les autres Évangélistes les font parler au singulier, car ces derniers rapportent que le démon interrogé quel était son nom, répondit qu’il s’appelait légion, parce qu’en effet ils étaient plusieurs démons.
 

" Or il y avait non loin d’eux un nombreux troupeau de pourceaux qui paissaient ". — S. Grég. (Moral. liv, 2, chap. 6). Le démon sait fort bien qu’il ne peut rien faire par sa propre puissance, puisque ce n’est point de lui même qu’il tient son existence comme esprit. — Remi. Ils ne demandèrent pas à entrer dans d’autres hommes, parce que celui qui les tourmentait paraissait revêtu de la nature humaine. Ils ne demandèrent pas non plus à entrer dans un troupeau de moutons, car ces animaux étaient purs d’après la loi et pouvaient être offerts dans le temple de Dieu. Parmi les animaux immondes, ils choisirent de préférence les pourceaux, parce qu’il n’y a point d’animal plus immonde. Le mot de pourceau en latin est même synonyme de couvert d’ordures, car cet animal se plaît au milieu des immondices. Comme eux aussi les démons se plaisent dans les souillures du péché. Ils ne demandèrent pas à être envoyés dans les régions de l’air, à cause de l’extrême désir qu’ils ont de nuire aux hommes.
 

Et il leur dit : " Allez ". — S. Chrys. (hom. 29). Ce n’est point à leur persuasion que Notre-Seigneur agit de la sorte, mais pour plusieurs raisons dignes de sa sagesse : d’abord il voulait montrer combien sont malfaisants et pernicieux les démons qui cherchaient à perdre ces hommes ; en second lieu il voulait nous apprendre que sans sa permission ils n’osent rien entreprendre, même contre des pourceaux ; troisièmement il faisait voir par là qu’ils auraient fait endurer à ces hommes un traitement plus cruel qu’aux pourceaux, si la divine providence n’était venue à leur secours dans leur malheur, car les démons ont bien plus de haine contre les hommes que contre les animaux. Nous avons encore ici une preuve évidente que chacun de nous est l’objet des soins de la divine Providence ; elle ne suit pas à l’égard de tous les mêmes voies, elle n’emploie pas les mêmes moyens, et c’est en cela qu’éclate surtout sa sagesse, car la Providence se révèle en procurant à chacun de nous ce qui lui est le plus utile. En outre, nous voyons aussi que non-seulement elle a soin de tous en général, mais de chacun de nous en particulier, et nous en serons convaincus en considérant ce qui serait arrivé à ces possédés qui depuis longtemps auraient été étouffés si la divine Providence n’avait veillé sur eux. Jésus leur permit encore d’envahir ce troupeau de pourceaux, pour rendre sa puissance plus sensible aux habitants de cette contrée. En effet, dans les endroits où il n’était pas encore connu, il faisait des miracles plus éclatants pour attirer les hommes à la connaissance de sa divinité. — S. Jér. Ce n’est donc pas pour accéder à leur demande, qu’il leur dit : " Allez ", mais afin que la mort de ces pourceaux devint une occasion de salut pour les hommes. L’Évangéliste ajoute : " Et étant sortis (c’est-à-dire des possédés), ils entrèrent dans ces pourceaux, et aussitôt tout le troupeau courut avec impétuosité se précipiter dans la mer, et ils moururent dans les eaux ". Que le manichéen rougisse ici de son opinion ! Si les âmes des hommes et celles des bêtes ont une même substance et une même origine, comment deux mille porcs ont-ils été sacrifiés pour sauver un ou peut-être deux hommes ?

S. Chrys. (hom. 29). Les démons firent périr ces pourceaux, parce qu’ils n’ont point d’autre occupation que de jeter les hommes dans la tristesse et de se réjouir de leurs pertes. La grandeur du dommage augmentait la renommée de ce prodige. Bien des personnes allaient le rendre public, ceux qui avaient été guéris, ceux à qui les pourceaux appartenaient, et leurs gardiens ; c’est ce que nous lisons dans la suite du récit : " Ceux qui les gardaient s’enfuirent, et étant venus à la ville, ils racontèrent tout ceci, et ce qui était arrivé aux possédés des mauvais esprits, et aussitôt toute la ville sortit au devant de Jésus ". Mais alors qu’ils auraient dû l’adorer et admirer sa puissance, ils le renvoient loin d’eux. " Et l’ayant vu, ils le priaient de se retirer des confins de leur pays ". Remarquez la douceur de Jésus-Christ après le miracle de sa puissance. Ces hommes qu’il vient de combler de ses bienfaits le chassent loin d’eux ; il ne résiste pas et il abandonne ceux qui se jugent indignes de ses divines leçons, leur laissant pour docteurs ceux qu’il vient de délivrer de la possession des démons, et les gardiens des pourceaux. — S. Jér. Ou bien on peut dire que ce n’est point par un sentiment d’orgueil, mais d’humilité, qu’ils prient Jésus de s’éloigner de leur contrée. Ils se jugent indignes de la présence de Dieu, à l’exemple de Pierre, qui disait : " Seigneur, retirez-vous de moi, car je suis un homme pécheur ".
 

Rab. Le mot Gerasa signifie celui qui repousse son habitant, ou bien l’étranger qui approche, c’est-à-dire la gentilité qui repousse loin d’elle le démon, et qui d’abord éloignée du Christ s’approche de lui lorsqu’après sa résurrection il la visite par ses Apôtres. — S. Amb. (Liv. 6 sur saint Luc, chap. 18). Ces deux possédés du démon sont aussi la figure des païens, car Noé ayant eu trois enfants, Sem, Cham et Japhet, et la famille de Sem ayant seule formé le peuple de Dieu, ses deux frères sont comme la souche de la multitude des nations païennes. — S. Hil. (can. 8 sur S. Matthieu). Voilà pourquoi les démons retenaient ces deux possédés hors de la ville, hors de la synagogue, de la loi et des prophètes ; en effet, les origines de ces deux nations étaient comme situées au milieu des demeures des défunts et des cadavres des morts, rendant le chemin de la vie présente dangereux à tous ceux qui le traversent. — Rab. Ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste nous fait remarquer que ces deux possédés habitaient dans les tombeaux. Que sont en effet, les corps de ceux qui sont infidèles à leur Dieu, si ce n’est des tombeaux où est renfermée non pas la parole de Dieu, mais l’âme que les péchés ont mise à mort ? L’auteur sacré ajoute que personne ne pouvait passer par le chemin, parce qu’avant l’avènement du Sauveur la gentilité était en marche et dans le chemin. Ou bien encore, ces deux hommes représentent les Juifs et les païens qui n’habitaient plus dans leur maison, c’est-à-dire qui ne trouvaient plus de repos dans leur conscience, mais qui demeuraient dans des tombeaux, c’est-à-dire dans des oeuvres mortes, et personne ne pouvait plus passer par le chemin de la foi, que les attaques des Juifs rendaient impraticable.
 

S. Hil. (can. 8). Ceux qui viennent au devant de Jésus figurent le concours de ceux qui se portent volontairement au devant du salut. Quant aux démons, voyant qu’ils ne peuvent plus demeurer au milieu des Gentils, ils demandent avec instance qu’on leur laisse habiter le cœur des hérétiques, et à peine s’en sont-ils emparés, que par 1’instinct qui leur est naturel, ils les précipitent dans la mer, c’est-à-dire dans les passions du monde, pour les y faire périr avec les restes de l’incrédulité. — Bède. Ou bien, les pourceaux sont ceux qui mettent leur jouissance dans la fange du vice, car le démon n’a de pouvoir sur personne à moins qu’il ne vive de la vie des pourceaux ou s’il a quelque pouvoir, ce n’est point celui de perdre, mais d’éprouver. Ces pourceaux qui ont été précipités dans le lac sont une figure de ceux qui après que les Gentils ont été délivrés de la tyrannie des démons, ont refusé de croire en Jésus-Christ et pratiquent dans des lieux retirés leurs rites sacrilèges, aveuglés qu’ils sont et comme submergés dans les abîmes de leur curiosité. Ces gardiens des pourceaux qui s’enfuient tout en annonçant ce prodige figurent ces princes des impies qui, tout en ne voulant point se soumettre à la loi chrétienne, ne cessent cependant de célébrer avec admiration la puissance de Jésus-Christ. Ceux qui frappés d’une grande crainte, prient le Sauveur de s’éloigner, représentent la multitude retenue par la fausse douceur de ses anciennes habitudes, qui ne veut point rendre honneur à la loi chrétienne, en disant qu’il lui est impossible de l’accomplir.

S. Hil. Ou bien encore, cette ville est une figure du peuple juif ; elle entend parler des oeuvres du Christ, et va au devant de son Seigneur, mais c’est pour lui défendre d’entrer sur les confins de son territoire et dans ses murs, car les partisans de la loi n’ont point voulu recevoir la prédication de l’Évangile.
 

source: clerus.org
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