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Sainte Thérèse d'Avila
docteur de l'église catholique

article du Dictionnaire de Théologique Catholique

THERESE DE JESUS (SAINTE), réformatrice du Carmel et écrivain (1515-1582). – On étudiera la sainte, la réformatrice (col. 561), la fondatrice (col. 563) et l’écrivain mystique (col. 566).

I. LA SAINTE. – Il y a intérêt à distinguer deux périodes dans la vie de sainte Thérèse : celle qui a précédé l’élévation habituelle de la sainte aux états mystiques, qui se termine en 1558 (Thérèse a 43 ans), et celle qui l’a suivie, de 1558 à 1582, date de sa mort. Dans la première nous sommes les témoins de son ascension progressive vers la perfection et dans la deuxième nous la voyons vivre dans les états mystiques et en même temps se livrer tout entière à l’œuvre de la réforme du Carmel et de la fondation de ses monastères de carmélites.

De la première partie de la vie de sainte Thérèse trois faits surtout retiendront l’attention de l’historien : la " conversion ", la maladie au début de la vie religieuse et l’utilisation de l’oraison comme moyen de sanctification.

La conversion. – A l’époque de la jeunesse de sainte Thérèse, avant son entrée dans la vie religieuse, y eut-il conversion proprement dite, c’est-à-dire passage de l’état de péché mortel à l’état de grâce ? Les circonstances où sainte Thérèse aurait pu pécher gravement sont les suivantes. Née le 28 mars 1515 à Avila, dans une famille bien chrétienne, Thérèse eut une enfance très pieuse. Vers l’âge de douze ans elle se livre avec avidité à la lecture des romans de chevalerie si répandus alors en Espagne, lecture " qui fit le plus de tort à son âme ", dit Thérèse, Vie, c. II. Après la mort de mère – Thérèse avait treize ans – laissée sans surveillance attentive, elle reçut fréquemment la visite de " plusieurs cousins germains ", qui lui parlaient " de leurs inclinations et autres enfantillages qui n’avaient rien de bon ". Vie, ibid. Enfin, la fréquentation d’une parente, qui " était des plus légères " et " compagnie dangereuse ", mit Thérèse en grave péril d’offenser Dieu. Mais elle ne fit rien qui fût contraire à l’honneur. " Sur ce point, j’étais, ce me semble, dit-elle, inébranlable. " Ibid. Après sa grande maladie et étant religieuse depuis plusieurs années, Thérèse connut une autre période d’infidélité, où l’esprit mondain pénétra son âme. Thérèse déclare qu’elle éprouvait un véritable effroi en pensant qu’elle s’était exposée à de " grands périls " pour son âme pendant ce temps de dissipation. Vie, c. V, VII.

Selon l’estimation des biographes de sainte Thérèse, ces fautes, qu’elle se reproche si sévèrement, ne constituent pas des péchés mortels. Lorsqu’elle composa le livre de sa Vie, en 1562, elle était arrivée aux états mystiques. Elle avait des lumières très vives sur la malice du péché. Elle était donc portée à exagérer la culpabilité des fautes commises trente ans plus tôt : " Quelque soin qu’elle ait pris d’exagérer ses infidélités, écrit de Villefore, le vice ne donna jamais d’atteinte mortelle à son innocence et tout se réduisit à des transgressions et à des légèretés qu’il ne faut nullement dissimuler, mais aussi qui ne doivent pas être empoisonnées. " La Vie de sainte Thérèse tirée des auteurs originaux espagnols et des historiens contemporains, Paris, 1748, t. I, p. 14. Ribera ramène les péchés de Thérèse à des fautes d’imprudence : " Pour mon regard, dit-il, je pense que ses péchés ne furent point autres sinon se mettre et exposer au danger de faire quelque péché ou d’en commettre de griefs par telle conversation, devis et familiarités qu’elle avait avec telles personnes. " La Vie de la Mère Thérèse de Jésus, fondatrice des Carmes déchaussés, trad. franç., Paris, 1645, t. I, c. VII.

Le pape Grégoire XV, dans la bulle de canonisation de Thérèse du 12 mars 1622, a solennellement sanctionné les vues des biographes : Inter cæteras ejus virtules… integerrima effulsit castitas, quam adeo eximie coluit, ut non solum propositu virginitatis servandæ a pueritia conceptum usque ad mortem perducerit, sed omnis expertem maculæ angelicam in corde et corpore servaverit puritatem. Le P. Bouix est si persuadé que la sainte exagère ses fautes qu’il n’hésite pas à changer, dans sa traduction de la Vie, les passages très affirmatifs où elle en parle. Au début de la vision de l’enfer, Vie, c. XXXII, Thérèse écrit : " Je compris que Dieu voulait me montrer la place que les démons m’y avaient préparée [dans l’enfer] et que j’avais méritée par mes péchés. " Œuvres complètes de sainte Thérèse, trad. des carmélites de Paris, t. II, 1907, p. 1. (Traduction que je citerai toujours.) Bouix modifie la phrase ainsi : " Je compris que Dieu voulait me faire voir la place que les démons m’y avaient préparée, et que j’aurais méritée par les péchés, où je serais tombée si je n’avais changé de vie. " Œuvres de sainte Thérèse, traduites d’après les manuscrits originaux, t. I, Paris, 1859, p. 400.

Thérèse, elle, paraît convaincue – son texte le prouve – qu’elle a offensé dieu gravement. Cette conviction a exercé une réelle influence sur sa sanctification. Elle lui a inspiré une profonde humilité. Dans le prologue de sa Vie elle s’exprime ainsi : " On m’a donné l’ordre d’écrire ma manière d’oraison… J’aurais bien voulu qu’on m’eût également laissée libre de faire connaître clairement, et dans tous leurs détails, mes grands péchés et ma triste vie. C’eût été pour moi une joie bien vive, mais on s’y est refusé et l’on m’a même imposé sur ce point beaucoup de réserves. Ainsi je conjure, pour l’amour de Dieu, ceux qui liront cette relation, de ne jamais oublier combien ma vie a été coupable. " Œuvres complètes, t. I, p. 41. Elle revient, pour la regretter, sur cette interdiction de préciser ses fautes aux c. V, VII, X de sa Vie. Au c. V, elle parle de la contrition qu’elle eut dans la confession faite durant sa grande maladie : " Cette contrition, dit-elle, eût été suffisante pour assurer mon salut, quand bien même Dieu ne m’aurait pas tenu compte de l’erreur où m’avaient engagée certains confesseurs, en m’assurant qu’il n’y avait point de péché mortel là où je reconnus ensuite, d’une manière positive, qu’il existait réellement. " Ibid., p. 85. Le P. Bouix, on le devine, atténue fortement ces passages.

Le sentiment de la crainte fut aussi renforcé dans l’âme de Thérèse par cette conviction d’avoir péché gravement : " Oui, en vérité, dit-elle, au sujet de sa jeunesse, arrivée à cet endroit de ma vie, j’éprouve un tel effroi en voyant de quelle manière Dieu me ressuscita en quelque sorte, que j’en suis, pour ainsi dire, toute tremblante… O mon âme ! Comment n’as-tu pas réfléchi au péril dont le Seigneur t’avait délivrée ? Et si l’amour ne suffisait pas pour te faire éviter le péché, comment la crainte ne te retenait-elle point ? Car enfin, la mort aurait pu mille fois te frapper dans un état plus dangereux encore. Et, en disant mille fois, je n’exagère, je crois, que de bien peu. " Vie, c. V, ibid., p. 86.

Cette grande crainte influa sûrement sur sa détermination à la vie religieuse : " Je me disais avec frayeur que la mort m’eût trouvée sur le chemin de l’enfer. Je n’avais pas encore d’attrait pour la vie religieuse, cependant je voyais que c’était l’état le plus excellent et le plus sûr, et peu à peu je me décidai à me faire violence pour l’embrasser. Ce combat dura trois mois… C’était moins l’amour, ce me semble, que la crainte servile qui me poussait à choisir cet état de vie. " Vie, c. III, ibid., p. 61-62.

" La voie de la crainte n’est pas celle qui convient à mon âme ", dira plus tard Thérèse. Vie, c. XXXII, t. II, p. 4. La crante chez elle ne tarda pas à être " absorbée dans l’amour ". Vie, c. VI, t. I, p. 91. Cependant la crainte filiale ne fut jamais absente de son âme. Vie, c. XV, p. 199. Ce n’était pas " la crainte du châtiment ", mais celle de perdre le Seigneur en l’offensant. Vie, c. XXXVII, t. II, p. 95. Dans Le chemin de la perfection, Thérèse recommande instamment à ses filles d’avoir cette crainte dans le cœur. Le " moyen de vivre sans trop d’alarme " au milieu du combat, " c’est, dit-elle, l’amour et la crainte. L’amour nous fera hâter notre marche, la crainte nous fera regarder où nous posons le pied, afin d’éviter les chutes ". C. XL, t. II, p. 288. " La crainte doit toujours avoir le premier pas. " C. XLI, p. 300. Vers la fin de sa vie, alors qu’elle était élevée au mariage spirituel depuis plusieurs années, elle parle encore de la crainte. Lorsqu’on songe, dit-elle, " à certains personnages que l’Ecriture mentionne comme ayant été favorisés de Dieu, un Salomon, par exemple, qui a eu tant de communications " avec Dieu, on ne peut " s’empêcher de craindre. Ainsi, mes sœurs, que celle d’entre vous qui se figurerait être le plus en sûreté, soit celle qui craigne davantage ". Château intérieur, 7e dem., c. IV, t. VI, p. 305-306. Cette craint était aussi motivée par la période d’infidélité qui suivit sa grande maladie. Elle était religieuse, dans le monastère de l’Incarnation, depuis plusieurs années et cependant elle fut en grand danger d’offenser Dieu. Vie, c. VII. Même dans la vie religieuse la sécurité n’est pas complète : " Quant à la sécurité, n’y comptons pas en cette vie, disait Thérèse à ses sœurs ; elle nous serait même très dangereuse. " Chem. De la perf., c. XLI, t. V, p. 301.

La maladie du début. – Quelle est la nature de la maladie dont souffrit Thérèse au début de sa vie religieuse ? – Pour essayer de la caractériser il faut tout d’abord en examiner les causes et ensuite la décrire d’après les témoignages de la sainte.

Les circonstances qui précèdent l’entrée de Thérèse au carmel de l’Incarnation, à Avila, semblent avoir été une épreuve pour sa santé. La précipitation avec laquelle son père, inquiet de la " vie frivole " de sa fille, décida de l’envoyer comme pensionnaire au couvent des augustines d’Avila, l’impressionna. Elle lui fit craindre d’avoir nui à sa réputation : " Les huit premiers jours, dit-elle, me furent très pénibles, beaucoup moins par l’ennui de me trouver dans cette maison, que par la crainte de voir ma vaine conduite mise au grand jour. " Vie, c. II, p. 56. Lorsque la pensée d’être religieuse s’empara de son âme, ce fut durant trois mois un rude combat, qui altéra ses forces physiques, entre son " aversion pour l’état religieux " et les aspirations à cet état qui naissaient en elle. Quoique décidée à faire la volonté de Dieu, " pourtant, dit-elle, je redoutais encore la vocation religieuse et j’eusse bien désiré que Dieu ne me la donnât point ". Vie, c. III, p. 59. Durant cette lutte intérieure elle avait été " saisie de grandes défaillances, accompagnées de fièvres ". Car sa santé " laissait toujours beaucoup à désirer ". Ibid., p. 62.

La décision prise d’entrer dans la vie religieuse fut exécutée par Thérèse avec une énergie et une fermeté d’âme peu ordinaires. Mais la violence qu’elle dut se faire ne laissa pas d’avoir de profondes répercussions sur son être physique. Elle partit malgré son père opposé à sa vocation : " Quand je quittai la maison de mon père, écrit-elle, j’éprouvai une douleur si excessive que l’heure de la mort ne peut, je pense, m’en réserver de plus cruelle. Il me semblait sentir mes os se détacher les uns des autres. Le sentiment de l’amour divin n’étant pas assez fort pour contrebalancer celui que je portais à mon père et à mes proches, j’étais obligée de me faire une incroyable violence et, si Dieu ne fût venu à mon aide, toutes mes considérations n’auraient pas été suffisants pour me faire passer outre. Mais en cet instant, il me donna le courage de me vaincre, et je vins à bout de mon entreprise. " Vie, c. IV, p. 66.

Thérèse fut heureuse pendant son noviciat. Elle déclare cependant avoir éprouvé " de grands troubles pour des choses en elles-mêmes peu importantes ". Vie, c. V, p. 76. Troubles assez fréquents, sans doute, chez les novices. Après sa profession, où elle goûta une " joie si vive ", la santé de Thérèse déclina : " Ma santé, dit-elle, souffrit du changement de vie et de nourriture. Mes défaillances augmentèrent, et je fus saisie de douleurs de cœur si aiguës qu’on ne pouvait me voir sans en être effrayé… Telle était la gravité de mon état, que je me voyais continuellement sur le point de perdre connaissance, et parfois je la perdais effectivement. " Vie, c. IV, p. 69. Thérèse, à la demande de son père, s’absenta du monastère pendant un an pour se soigner. Dieu la réconforta dans cette épreuve en lui accordant " l’oraison de quiétude et parfois même celle d’union ". Vie, c. IV, p. 72. Elle fut conduite chez la célèbre empirique de Bécédas qui devait, pensait-on, la guérir facilement. Le traitement dura trois mois et aggrava la maladie au lieu de la faire disparaître. C’est ici le commencement de la grande crise qui se prolongea, avec des intermittences, pendant " près de trois ans ". Vie, c. VI, p. 88. Le récit que fait Thérèse de son entrée dans la vie religieuse et de ses deux premières années au couvent de l’Incarnation, nous laisse supposer qu’une profonde dépression nerveuse s’était produite en elle.

Elle décrit avec précision ce qu’elle souffrit à Bécédas et après : " Mon séjour en ce lieu, dit-elle, fut de trois mois. J’y endurais d’indicibles souffrances, le traitement qu’on me fit suivre étant trop violent pour mon tempérament. Au bout de deux mois, à force de remèdes, on m’avait presque ôté la vie. Les douleurs causées par la maladie de cœur dont j’étais allée chercher la guérison étaient devenues beaucoup plus intenses. Il me semblait par moments qu’on m’enfonçait dans le cœur des dents aiguës. On finit par craindre que ce ne fût de la rage. A la faiblesse excessive – car un dégoût extrême me mettait dans l’impossibilité d’avaler autre chose que des liquides – à une fièvre continue, à l’épuisement causé par les médecines que j’avais prises tous les jours durant près d’un mois, vint se joindre un feu intérieur si violent que mes nerfs commencèrent à se contracter, mais avec des douleurs si insupportables que je ne pouvais trouver de repos ni de jour ni de nuit. " Ajoutez à cela une tristesse profonde. " Voilà ce que j’avais gagné, lorsque mon père me ramena chez lui. Les médecins me virent de nouveau. Tous me condamnèrent, disant qu’indépendamment des maux que je viens de dire, j’étais atteinte de phtisie. Cet arrêt me laissa indifférente, absorbée que j’étais par le sentiment des souffrances qui me torturaient également des pieds à la tête. De l’aveu des médecins, les douleurs de nerfs sont intolérables et, comme chez moi leur contraction était universelle, j’endurais un cruel martyre. La souffrance, à ce degré d’intensité, ne dura pas plus de trois mois, me semble-t-il ; mais on n’aurait jamais cru qu’il fût possible de supporter tant de maux réunis. Aujourd’hui je m’en étonne moi-même, et je regarde comme une grande faveur de Dieu la patience qu’il m’accorda. " Vie, c. V, p. 82-83.

" La fête de l’Assomption de Notre-Dame arriva. Mes tortures duraient depuis le mois d’avril, plus intenses cependant les trois derniers mois. Je demandais instamment à me confesser… On crut que ce désir m’était inspiré par la frayeur de la mort, et mon père, pour ne pas m’alarmer, ne voulut pas le satisfaire… Cette nuit-là même, j’eus une crise qui me laissa sans connaissance pendant près de quatre jours. Je reçus en cet état l’extrême-onction. A chaque heure, à chaque moment, on croyait me voir expirer, et l’on ne cessait de me dire le Credo, comme si j’eusse pu comprendre quelque chose. Parfois même on me crut morte, au point qu’on laissa couler sur mes paupières de la cire que j’y trouvais ensuite. Mon père était au désespoir de ne m’avoir pas permis de me confesser… Dans mon monastère, la sépulture était ouverte depuis un jour et demi, attendant mon corps, et dans une autre ville les religieux de notre ordre avaient déjà célébré à mon intention un service funèbre, quand le Seigneur permit que je revinsse à moi. " Ibid., p. 84-85.

" Au sortir de cette crise de quatre jours, je me trouvais dans un état lamentable. Dieu seul peut savoir les intolérables douleurs auxquelles j’étais en proie. J’avais la langue en lambeaux à force de l’avoir mordue, la gorge tellement resserrée par suite de l’absence d’aliments et de l’extrême faiblesse, que je suffoquais et ne pouvais même pas avaler une goutte d’eau. Tout mon corps paraissait disloqué, ma tête livrée à un désordre étrange. Mes membres contractés étaient ramassés en peloton, par suite de la torture des jours précédents. A moins d’un secours étranger, j’étais aussi incapable de remuer les bras, les pieds, les mains, la tête, que si j’eusse été morte : j’avais seulement, me semble-t-il, la faculté de mouvoir un doigt de la main droite. On ne savait comment m’approcher, toutes les parties de mon corps étant tellement endolories que je ne pouvais supporter le moindre contact. Pour me changer de position, il fallait se servir d’un drap que deux personnes tenaient, l’une d’un côté, l’autre de l’autre.

" Cette situation se prolongea jusqu’à Pâques-fleuries [Dimanche des Rameaux] avec cette seule amélioration que souvent, lorsqu’on s’abstenait de me toucher, mes douleurs se calmaient. Un peu de répit, à mes yeux, c’était presque la santé. Je craignais que la patience ne m’échappât : aussi je fus charmée de voir les douleurs devenir moins aiguës et moins continuelles. Pourtant, j’en éprouvais encore d’insupportables lorsque venaient à se produire les frissons d’une fièvre double-quarte très violente qui m’était demeurée. Mon dégoût de la nourriture restait aussi accentué.

" Il me tardait à tel point de retourner à mon monastère que je m’y fis transporter en cet état. On reçut donc en vie celle qu’on attendait morte, mais le corps en pire état que s’il eût été privé de vie ; sa seule vue inspirait la compassion. Impossible de dépeindre l’excès de mon épuisement : je n’avais que les os. Cette situation, je le répète, dura près de huit mois. Quant à la contraction des membres, malgré une amélioration progressive, elle se prolongea près de trois ans. Quand je commençais à l’aide des genoux et des mains, j’en remerciai Dieu avec effusion. " Vie, c. VI, p. 87-88. Sa patience fut admirable : " Dieu aidant, dira-t-elle, j’endurais patiemment de cruelles maladies. " Vie, c. XXXII, t. II, p. 6.

Cette longue citation était nécessaire pour avoir sous les yeux tous les détails, donnés par Thérèse, sur sa maladie. Celle-ci est évidemment à forme nerveuse : contraction violente des membres du corps, spasmes du cœur, suppression apparente, et une fois prolongée, de la vie par la suspension de la sensibilité extérieure et du mouvement volontaire ou catalepsie. La forte crise fut précédée de " défaillances " physiques assez fréquentes et même de pertes de connaissance. Vie, c. IV, p. 69. Sainte Thérèse paraît convaincue de ce caractère nerveux. La cessation progressive de la paralysie et des autres malaises, sans emploi de remède, confirme cette conviction. Thérèse eut recours, il est vrai, à la prière pour obtenir sa guérison. Vie, c. VI, p. 91. Thérèse n’obtint cependant pas une guérison subite mais plutôt lente. Voici son témoignage se rapportant aux années de sa vie qui suivirent la grande crise : " Bien remise de la terrible maladie dont j’ai parlé, j’en avais et j’en ai encore [des infirmités] de bien fâcheuses. Depuis peu, il est vrai, elles ont diminué d’intensité ; cependant, j’en souffre de bien des manières. Durant vingt ans, en particulier, j’ai eu tous les matins des vomissements… Il est très rare, ce me semble, que je n’éprouve à la fois des souffrances de diverses natures, et par moment bien intenses, celles du cœur par exemple. Seulement ce mal, qui autrefois était continuel, ne se fait plus sentir que de loin en loin. Quant à ces rhumatismes aigus et à ces fièvres qui m’étaient si ordinaires, j’en suis délivrée depuis huit ans. " Vie, c. VII, p. 106. Sainte Thérèse écrivait ceci en 1565, une quinzaine d’années après la grande maladie.

On a cru pouvoir qualifier d’hystérique la grande maladie de Thérèse. Ce mot doit être écarté, car sa signification, même atténuée, reste péjorative. Il est synonyme de déséquilibre foncier, donc durable, à la fois physique et mental. Or, cette maladie qui vient d’être décrite ne tient pas de l’état constitutif de la sainte. Elle fut, dans la vie de Thérèse, un accident passager, bien localisé durant trois années de sa vie et qui ne se reproduisit plus. Nous en avons discerné et énuméré les causes extérieures immédiates. Et d’ailleurs, d’après ce que nous savons du tempérament de la sainte, il n’y avait en lui aucune tare héréditaire chronique. Tous ses biographes font ressortir les qualités naturelles de Thérèse. Il y avait, en elle, écrit Ribera, " un naturel excellent si enclin de soi à [la] vertu, un entendement clair et fort capable, une grande prudence et quiétude, un courage pour entreprendre [de] grandes choses et industrie et manière pour les accomplir, une persévérance et force pour ne s’y lasser point, et une grande force et grande grâce en son parler, que si on l’eût laissée faire des discours de vertu, elle eût pu facilement gagner beaucoup d’âmes à Dieu. " La Vie de la Mère Thérèse de Jésus, tr. fr., Paris, 1645, l. I, c. V, p. 42. Son ferme bon sens dans l’appréciation de toutes choses, ses qualités d’écrivain, la sagesse de sa mystique et son œuvre de réformatrice du Carmel et de fondatrice de monastères sont incompatibles avec un tempérament hystérique et une psychologie maladive comme celle des anormaux.

Ce que nous savons de la constitution physique et mentale de la sainte cadre avec le caractère accidentel et passager de sa maladie nerveuse. Névrose, " état de nervosisme grave ", si l’on veut, mais ne provenant pas d’une altération complète de l’être physique et mental, comme le prouve surabondamment la vie de Thérèse postérieure à la crise. On peut comparer cette névrose à celle dont M. Olier souffrit pendant deux années. Le tempérament sanguin du fondateur du Saint-Sulpice ne le prédisposait pas, lui non plus, à cette névrose, bien circonscrite par ailleurs, dans la durée et qui n’eut pas de suites. Cf. P. Pourrat, Jean-Jacques Olier, Fondateur du Saint-Sulpice (Coll. les Grands Cœurs), p. 80 sq. Les années postérieures à ces accidents de santé furent, pour sainte Thérèse et pour M. Olier, les plus actives et les plus fécondes de leurs vies. L’hystérie, tare congénitale, ne saurait rien produire de semblable. Cf. A. Farges, Les phénomènes mystiques distingués de leurs contrefaçons humaines et diaboliques, Paris, 1923, t. II, p. 192 sq. ; J. de Tonquédec, Les maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques, c. III, L’hystérie, Paris, 1938. Dans le plan providentiel, ces névroses fortuites sont, sans doute, des moyens dont Dieu se sert pour purifier intensément les saintes âmes. Sainte Thérèse, parlant des purifications préparatoires au mariage spirituel, s’exprime ainsi : " Le Seigneur envoie alors d’ordinaire de très grandes maladies. C’est là un tourment supérieur au précédent [les critiques et les moqueries], surtout si les douleurs qu’on éprouve sont aiguës. A mon avis, quand ces douleurs se font sentir avec intensité, c’est en quelque sorte le plus grand que l’on puisse endurer ici-bas : je parle des tourments extérieurs et du cas où les douleurs atteignent un degré excessif. " Château, 6e dem., c. I, t. VI, p. 171. Les peines intérieures sont, en effet, plus douloureuses encore. Thérèse fait ici allusion à sa grande maladie et semble la considérer comme une préparation aux états mystiques. Cf. Grégoire de Saint-Joseph, La prétendue hystérie de sainte Thérèse, Lyon, 1895 ; Dr Groix, Les extases de sainte Thérèse, dans Annales de philosophie chrétienne, mai-juin 1896 ; P. de San, Etude pathologico-théologique sur sainte Thérèse, Louvain, 1886.

Les écrivains catholiques qui croient pouvoir qualifier d’hystériques certains phénomènes de la vie de sainte Thérèse ne rejettent pas pour cela l’authenticité de ses états mystiques. Cf. Guillaume de Hahn, Les phénomènes hystériques et révélations de sainte Thérèse, dans Revue des questions scientifiques, Bruxelles, 1883, mis à l’index le 1er décembre 1885. A tort ou à raison, ils croient possible la conciliation des deux, ce qui nous paraît toutefois impossible. Il n’en est pas de même pour ceux qui nient le caractère surnaturel et divin de tout état mystique. Selon H. Delacroix, l’évolution mystique de sainte Thérèse est un produit de " son activité subconsciente ", préparé " par cet " état de nervosisme grave " que même les plus prévenus de ses biographes sont contraints de reconnaître ". Deux étapes dans cette évolution. Dans la première, celle de " l’excitation des images mentales ", Thérèse arrive à croire à la présence du Dieu mystique en elle, présence rare d’abord, ensuite continue. Dieu prit ainsi " possession de tous les états " de son âme et la dirigea par sa " parole intérieure ". Puis il s’opéra en Thérèse " comme un dédoublement " – c’est la deuxième étape – " certaines images s’exaltèrent et s’extériorisèrent : la parole intérieure s’objectiva, lui sembla venir d’un étranger… à qui elle les rapportait. " Ce furent d’abord des paroles qui vinrent du dehors, ensuite les visions. " Ainsi, pendant que se déroulait l’évolution interne qui réalisait en elle le Dieu confus, le divin au-delà de toute forme, il s’organisait au-dehors le Dieu objectivé, le Dieu qui parle et qu’on voit, le Dieu qui est le Dieu de l’Ecriture. " Les grands mystiques chrétiens (Bibl. de phil. contemp.), nouv. édit., 1938, p. 72-75. Vouloir expliquer les faits mystiques par l’activité subconsciente, par " l’irruption des phénomènes subconscients dans la personnalité ordinaire ", c’est faire preuve d’incompréhension, c’est prendre pour des états qui peuvent être parfois morbides les manifestations les plus hautes des communications de Dieu avec l’âme humaine. Conséquence du préjugé rationaliste qui rejette la réalité objective du surnaturel et du divin.

L’oraison comme moyen de sanctification. – Sainte Thérèse est l’apôtre de l’oraison mentale, elle en est aussi, on peut dire, le docteur. Elle a retiré, la première, les plus précieux avantages de cet exercice. Aussi est-ce avec les accents d’une éloquence entraînante qu’elle en recommande la pratique aux autres.

Chez les augustines, elle récitait " beaucoup de prières vocales ". La lecture méditée des livres de piété lui fit comprendre, avant son entrée dans la vie religieuse, " la vanité de tout ce qui est ici-bas, le néant du monde, la rapidité avec laquelle tout passe ". " J’avais pris goût aux bons livres, dit-elle, ils me donnèrent la vie. Je lisais les épîtres de saint Jérôme et j’y puisais tant de courage, que je me décidai à m’ouvrir à mon père de ma vocation religieuse ". Vie, c. III, p. 59, 62.

La vie d’oraison proprement dite sainte Thérèse commença à son entrée au monastère de l’Incarnation d’Avila. La méthode qu’elle suivait alors et les fruits qu’elle retirait de cet exercice sont exposés longuement dans la Vie. Elle se servit d’un livre pendant près de vingt ans : " Je n’osais, dit-elle, faire oraison sans un livre. L’aborder sans ce secours causait à mon âme autant d’effroi qu’un combat à soutenir contre une multitude ennemie. " Vie, c. IV, p. 74. Elle ne pouvait faire l’oraison discursive, car Dieu ne lui avait pas " donné le talent de discourir avec l’entendement ", ni celui de se " servir utilement de l’imagination ". Ibid., p. 72. Aussi recommande-t-elle beaucoup l’usage d’un livre aux personnes qui souffrent de cette impuissance. Ibid., p. 73.

Sainte Thérèse faisait ordinairement l’oraison affective où il y a peu de raisonnements. " Ne pouvant discourir avec l’entendement, je cherchais à me représenter Jésus-Christ au-dedans de moi. Je me trouvais bien surtout de le considérer dans les circonstances où il a été le plus délaissé ; il me semblait que, seul et affligé, il serait, par sa détresse même, plus disposé à m’accueillir. " Vie, c. IX, p. 128. Le point capital de l’oraison n’est pas " le travail de l’entendement ". " L’avancement de l’âme ne consiste pas à penser beaucoup mais à aimer beaucoup. " Fondations, c. V, t. III, p. 97-98.

L’impuissance à faire l’oraison discursive expose aux distractions et aux sécheresses. Les premières se combattent par l’usage du livre. Mais les autres doivent être subies. Sainte Thérèse parle des " grandes sécheresses " que lui " causait cette impuissance à discourir ". Vie, c. IV, p. 73. A cause de cela " et pendant des années, dit-elle, j’étais plus occupée du désir de voir la fin de l’heure que j’avais résolu de donner à l’oraison, plus attentive au son de l’horloge qu’à de pieuses considérations. " Elle devait vaincre sa répugnance, parfois extrêmement vive, pour entrer à l’oratoire où elle faisait son oraison. Vie, c. VIII, p. 122. Si elle insiste tant sur les difficultés qu’elle a rencontrées elle-même dans la pratique de l’oraison, c’est pour encourager ceux qui en souffriraient et les empêcher d’abandonner un exercice qui est " la porte par où pénètrent dans l’âme les grâces de choix ". Vie, c. VIII, p. 124.

Elle n’hésite pas à dire que, pendant une année, elle abandonna l’oraison, afin de faire éviter ce malheur à d’autres. Elle était cependant appelée à une oraison sublime ! Pendant les vingt années d’oraison difficile, elle fut gratifiée, en quelques circonstances, de " l’oraison de quiétude " et " quelquefois même " de " celle d’union ". Vie, c. IV, p. 72. Il y eut donc, dans sa vie, une infidélité qui explique cet abandon.

Cette circonstance de la vie de Thérèse est instructive et mérite d’être remarquée. Ce ne fut pas la violence qu’elle devait s’imposer pour se recueillir malgré les distractions, les sécheresses et les aridités qui la détourna de l’oraison. Ce fut la dissipation dans laquelle elle vécut après sa grande maladie. La coexistence dans une âme, disent les auteurs spirituels, de la pratique habituelle de l’oraison mentale et d’une vie de péché est impossible. Ou bien l’âme se convertira ou bien elle laissera l’oraison. Il semble, en effet, qu’il y ait une contradiction intolérable pour une âme que de se recueillir chaque jour en présence de Dieu pendant le temps de l’oraison, et rester cependant dans le péché. Sans doute, sainte Thérèse ne commit pas des péchés graves. Elle était portée à les croire tels cependant : " J’en vins à m’exposer à de si grands périls et à livrer mon âme à de telles frivolités que j’avais honte de m’approcher de Dieu par cet intime commerce d’amitié qui s’appelle l’oraison. " Le démon put facilement " sous prétexte d’humilité " lui tendre le piège et lui persuader qu’une " personne qui méritait d’habiter avec les démons ne devait pas faire oraison mentale et entretenir des relations si intimes avec Dieu ". Vie, c. VII, p. 97-98. La conviction de la sainte qu’elle péchait gravement fut ici nuisible à sa vie spirituelle. L’autre raison qu’elle donne de l’oraison est bien secondaire : " A mesure que mes fautes augmentaient, je ne trouvais plus dans les choses de la piété le même goût, la même douceur. " Ibid., p. 97. Elle avait bien souvent déjà triomphé de ce dégoût. Elle en aurait sûrement triomphé encore s’il eût été seul à la détourner de l’oraison.

Sainte Thérèse reprit l’oraison après la mort de son père, grâce à l’exhortation d’un dominicain, le P. Baron. Désormais cet exercice va élever son âme aux sommets de la perfection. Dans la lutte qui se livra alors en elle-même entre Dieu et l’esprit du monde, le rôle de l’oraison fut capital. Toujours la même alternative : ou abandonner l’oraison ou abandonner le monde : " La vie que je menais, dit-elle, était extraordinairement pénible, car l’oraison me faisait comprendre mes fautes. D’un côté, Dieu m’appelait ; de l’autre je suivais le monde. Je trouvais beaucoup de joie dans les choses de Dieu, et celles du monde me tenaient captive. Je voulais, ce semble, allier ces deux contraires, si ennemis l’un de l’autre : d’une part, la vie spirituelle avec ses consolations, de l’autre les divertissements et les plaisirs des sens. Je souffrais beaucoup dans l’oraison, parce que l’esprit, au lieu d’être le maître, se trouvait esclave. Je ne pouvais me renfermer au-dedans de moi-même, ce qui était toute ma méthode d’oraison, sans y renfermer en même temps mille futilités. Bien des années s’écoulèrent ainsi, et je m’étonne maintenant d’avoir pu supporter un pareil combat sans abandonner l’un ou l’autre. Mais, ce que je sais très bien, c’est qu’il n’était plus en mon pouvoir de renoncer à l’oraison, parce que Celui-là me retenait qui me voulait à lui afin de m’accorder de plus grandes faveurs. " Vie, c. VII, p. 111-112.

Notre-Seigneur punissait à sa manière les fautes de Thérèse " par de souverains délices ". " Avec ma nature, dit-elle, il m’était incomparablement plus pénible, quand j’étais tombée dans des fautes graves, de recevoir des faveurs que des châtiments ; aussi je le dis avec assurance, une seule de ces faveurs m’accablait, me confondait, me désolait plus que bien des maladies jointes à toutes sortes d’épreuves. " Ibid., p. 113.

C’est ainsi que Dieu sanctifia Thérèse par l’oraison. Elle a voulu s’étendre sur ce récit " pour montrer quelle grâce Dieu accorde en une âme, lorsqu’il met en elle la résolution bien arrêtée de s’appliquer à l’oraison, n’eût-elle pas encore pour cela toutes les dispositions requises ; c’est enfin pour montrer que, si l’âme persévère malgré les péchés, malgré les tentations, malgré les chutes de toutes sortes où le démon l’entraîne, Dieu, j’en suis convaincue, finira par la conduire au port du salut, comme il m’y a, ce semble, conduite moi-même ". Vie, c. VIII, p. 119.

Aussi, quels éloges elle fait de l’oraison ! Exercice " qui n’est autre chose qu’une amitié intime, un entretien fréquent seul à seul avec Celui dont nous nous savons aimés ". Vie, c. VIII, p. 120. Dieu lui " a fait trouver dans l’oraison le remède " à tous ses maux. P. 125. " La porte par où pénètrent dans l’âme les grâces de choix, comme celles que Dieu m’a faites, c’est l’oraison. " P. 124. " L’heureux sort des âmes qui se déterminent à suivre, par le chemin de l’oraison, Celui qui nous a tant aimés ", c’est de commencer " à être les esclaves de l’amour ". Vie, c. CI, p. 143. Enfin, dans son grand désir de voir pratiquer ce saint exercice, Thérèse, aux c. XII et XIII de la Vie, exhorte fortement les commençants à faire les efforts nécessaires à l’oraison de méditation. Elle donne les conseils pratiques pour y réussir. Voir aussi Le chemin de la perfection, c. XX-XXIII, t. V, p. 158 sq.

II. LA REFORMATRICE DU CARMEL. – Le 24 août 1562 fut établi à Avila le monastère de Saint-Joseph, le premier d’une réforme appelée à un succès si éclatant et si durable. Comment sainte Thérèse fut-elle amenée à entreprendre cette réforme et comment l’opéra-t-elle ?

En 1562, elle avait quarante-sept ans. Depuis plusieurs années elle était habituellement dans les oraisons mystiques. A la fin de 1559 ou au début de 1560, elle eut la célèbre vision de l’enfer, qui exerça sur son projet de réformer le Carmel une influence décisive, semble-t-il.

Dans la vision, sainte Thérèse ressentit effectivement les souffrances dont le spectacle était devant elle:  " Il plut à Dieu, dit-elle, de me faire ressentir en esprit ces tourments et ces peines, aussi véritablement que si je les eusse soufferts en mon corps…Mon épouvante fut indicible. Au bout de six ans et à l’heure où je trace ces lignes, ma terreur est encore si vive que mon sang se glace dans mes veines. " Vie, c. XXXII, t. II, p. 4. Cette réalisation des souffrances des damnés lui a été, dit-elle, " d’une utilité immense ". Tout d’abord pour l’exciter " à remercier Dieu " de l’avoir " délivrée… de maux si terribles et qui seront sans fin ". Ensuite pour l’aider à supporter les souffrances de cette vie : " Tout ce qu’on peut souffrir ici-bas n’est plus rien à mes yeux, disait-elle, et il me semble en quelque sorte que nous nous plaignons sans sujet. " Enfin pour lui faire déplorer l’inexprimable malheur des âmes qui se damnent. Ibid.

Mais Thérèse ne se contente pas d’éprouver " la mortelle douleur " que lui cause " la perte de cette multitude " qui se jette en enfer. Elle éprouve " d’immenses désirs d’être utile aux âmes ". Pour " en délivrer une seule de si horribles tourments ", volontiers elle endurerait " mille fois la mort ". Ibid. Elle ressentait " un désir ardent " de faire, pour sauver les âmes, tout ce qui serait en son pouvoir, " absolument tout ". Ibid., p. 6. En particulier " faire pénitence ". C’est alors que la pensée d’un ordre plus sévère que le sien se présenta à son esprit. Le monastère de l’Incarnation où était Thérèse " comptait bon nombre de servantes de Dieu, et Notre-Seigneur y était bien servi ", mais la vie " y était trop douce ". Il suivait la règle mitigée en 1431 par le pape Eugène IV. Il n’était pas soumis à la clôture, ce qui était nuisible à la sanctification des religieuses. Vie, c. VII, p. 99 sq. Si un particulier qui " fait de généreux efforts pour atteindre, avec l’aide de Dieu, la cime de la perfection… ne va jamais seul au ciel… y mène à sa suite une troupe nombreuse ", que sera-ce d’un ordre religieux qui, grâce à sa réforme, priera mieux et fera de plus nombreuses et de plus généreuses pénitences ? Cf. Vie, c. XI, p. 146.

C’est donc une pensée de zèle apostolique qui a été l’inspiratrice de la réforme du Carmel. Thérèse le redit avec précision au début du Chemin de la perfection. " J’appris, dit-elle, les calamités qui désolaient la France, les ravages qu’y avaient fait les malheureux luthériens, les accroissements rapides que prenait cette secte désastreuse. J’en éprouvai une douleur profonde… J’aurais, me semblait-il, donné mille vies pour sauver une seule de ces âmes qui se perdaient en si grand nombre dans ce pays ; mais je le voyais, j’étais femme et bien misérable… Je résolus donc de faire le peu qui dépendait de moi, c’est-à-dire de suivre les conseils évangéliques avec toute la perfection dont je serais capable, et de porter les quelques âmes qui sont ici à faire de même. Enfin, il me semblait qu’en nous occupant toutes à prier pour les défenseurs de l’Eglise, pour les prédicateurs et les théologiens qui soutiennent sa cause, nous viendrions selon notre pouvoir au secours de mon Maître bien-aimé. " Chemin de la perfection, c. I, t. V, p. 33-34. Thérèse cherchait à inspirer à ses carmélites " le zèle de l’avancement des âmes et de l’exaltation de l’Eglise ". Cette intention apostolique, catholique doit être préférée par elles à toute intention particulière de prier. Chemin de la perfection, c. I, t. V, p. 35 ; Fondations, c. I, t. III, p. 58 sq.

Les exceptionnelles qualités naturelles de sainte Thérèse se manifestent dans l’exécution de son projet de réforme du Carmel : la sûreté du coup d’œil qui prévoit les difficultés et les moyens d’en triompher, la promptitude à saisir toutes les occasions favorables, la patience qui sait s’arrêter lorsque l’opposition est violente, tout en gardant la ferme résolution de faire aboutir coûte que coûte l’œuvre commencée, l’habileté à tourner l’obstacle, enfin le charme que ses séduisantes qualités de relation exerçaient même sur ses plus irréductibles adversaires. Sans doute, elle consultait Dieu dans ses oraisons. Elle agissait cependant comme si tout eût dépendu d’elle. Aux c. XXXII-XXXVI de sa Vie, Thérèse raconte les curieuses péripéties de cette difficile réforme qui a consisté à rétablir la règle des carmes donnée par saint Albert en 1209 et approuvée en 1226 par le pape Honorius III. Cette règle aura été révisée sur la demande de saint Simon Stock, général de l’ordre, par le pape Innocent IV en 1248, date du Bullaire des carmes. La règle ainsi révisée est celle qui s’observe dans toute la réforme de sainte Thérèse. Elle " prescrit l’abstinence perpétuelle de viande, sauf le cas de nécessité, le jeûne huit mois de l’année ", la clôture la plus rigoureuse " et bien d’autres choses qu’on peut voir dans la règle primitive ". Vie, c. XXXVI, t. II, p. 86-87. Le premier monastère des carmes déchaussés fut fondé en 1568 par sainte Thérèse et saint Jean de la Croix à Duruelo. Fondations, c. XIII, t. III, p. 179 sq.

Un des points de la réforme causa quelques hésitations. Les monastères devaient-ils avoir des revenus ou vivre dans la plus stricte pauvreté, attendant leur subsistance uniquement des aumônes reçues ? Saint Pierre d’Alcantara, consulté par la sainte à ce sujet, se prononça énergiquement en faveur de la pauvreté absolue. Vie, c. XXXV, t. II, p. 56. Thérèse adoptait aussi cette manière de voir. Cependant son bon sens lui faisait craindre que la préoccupation de trouver les aumônes nécessaires aux monastères ne fût une cause de trouble pour les religieuses. Finalement elle consentit à créer des monastères avec des revenus, Fondations, c. IX, et il y eut des monastères sans revenus et d’autres avec revenus. Les premiers ne devaient pas avoir plus de treize ou quatorze religieuses. " De nombreux avis, joints à ma propre expérience, dit Thérèse, m’ont appris que pour conserver l’esprit intérieur qui est le nôtre et vivre d’aumônes, sans faire de quêtes, il ne faut pas être davantage. " Vie, c. XXXVI, t. II, p. 88. Les monastères dotés de revenus peuvent avoir vingt religieuses, y compris les sœurs converses. Enfin, de même qu’elle avait obtenu de Rome l’autorisation de fonder des monastères sans revenus, elle obtint aussi que les monastères des carmélites fussent soumis à la juridiction des évêques. Et ceci, comme dit saint Pierre d’Alcantara, pour mieux établir l’observance de la première règle du Carmel. Cf. Œuvres complètes de sainte Thérèse, t. II, p. 423. Les carmes mitigés, s’ils eussent dirigé les carmels, auraient eu peu de zèle pour leur faire observer la règle primitive.

III. LA FONDATRICE. – Sainte Thérèse, dit Ribera, n’eut pas tout d’abord l’intention " de faire un nouvel ordre et religion, mais seulement de perfectionner son ordre ancien de Notre-Dame du Mont-Carmel. Depuis, considérant les grandes nécessités de l’Eglise, et désirant avec sa grande charité aider, en ce qu’elle pourrait, à ceux qui bataillent pour elle, elle éleva plus haut ses pensées ". Vie de la Mère Thérèse de Jésus, l. II, c. I. Et d’ailleurs, n’était-il pas plus facile de fonder des carmels selon la réforme que de réformer des carmels mitigés ? Sainte Thérèse fut donc une fondatrice. Son important ouvrage : Les fondations montre un aspect nouveau de sa riche nature. Aussi bien douée pour l’action que pour la contemplation, elle dut bien vite quitter le monastère réformé de Saint-Joseph d’Avila, où elle passa cinq années, " les plus douces de ma vie ", dit-elle, Fondations, c. I, et aller sur les routes de la Castille, de la Manche et de l’Andalousie répandre, dans tout le centre de l’Espagne, les fleurs du nouveau Carmel. Dans ses voyages, nous la voyons aux prises avec les difficultés et les embarras de notre vie de chaque jour. Par sa patience, son entrain, sa gaîté et sa bonne humeur dans les incidents même les plus pénibles de la route, elle nous apparaît souvent héroïque. Et quelle habileté à se tirer d’affaires parfois très compliquées !

La pieuse caravane se composait d’ordinaire de cinq ou six religieuses renfermées dans un lourd véhicule à roues pleines, recouvert d’une toile et traîné par plusieurs paires de mules. Monastère ambulant où les religieuses vivent en carmélites, faisant tous les exercices de piété ordinaires, annoncés par une petite cloche. Mais beaucoup de chemins sont mauvais ou dangereux. Il faut assez souvent descendre de voiture, faire un long trajet à pied sous la pluie ou les ardeurs du soleil. Il y avait aussi des prêtres qui accompagnaient les religieuses : des prêtres séculiers comme Julien d’Avila, des carmes réformés comme saint Jean de la Croix et Jérôme Gratien. Des laïques, gens de grande piété, montés sur des mules escortaient le véhicule des religieuses. Car il fallait veiller sur les carreteros ou conducteurs des chars " trop souvent maladroits et négligents " et sur les mozos de caminos, jeunes gens à pied chargés de tirer les chars des mauvais pas, de les aider à franchir les passages périlleux, et de les relever quand ils avaient versé, accident assez fréquent. Thérèse veillait sur tout ce monde, réconfortant et égayant dans les moments difficiles, oubliant elle-même les souffrances que lui causait sa santé souvent chancelante. Lorsqu’elle voyageait seule ou avec une compagne, c’était à dos de mulet ou d’âne.

Que dire des auberges ou ventas, où la pieuse troupe devait passer la nuit ? Malpropreté, encombrement, cris, jurements, impossibilité de se ravitailler, c’est ce qu’on y trouvait le plus souvent. Un jour, en 1575, avant d’arriver à Cordoue, sous un soleil brûlant, Thérèse en proie à une forte fièvre fut contrainte de s’arrêter dans l’une de ces auberges. Elle eut " une petite chambre, à simple toit sans plafond ; il ne s’y trouvait pas de fenêtre, et dès qu’on ouvrait la porte, le soleil y pénétrait en plein… On me mit, dit-elle, dans un lit si singulièrement conditionné que j’eusse bien préféré m’étendre à terre. Il était si haut d’un côté et si bas de l’autre que je ne savais quelle position prendre : je me serais crue sur des pierres pointues… Finalement, je crus plus sage de me lever et de me remettre en route avec mes compagnes, le soleil du dehors me paraissant plus tolérable que celui de cette pauvre chambre ". Fondations, c. XXIV, t. IV, p. 40. Julien d’Avila avait raison de dire qu’à peine avait-on franchi le seuil de ces hôtelleries qu’on ne songeait qu’en sortir le plus vite possible.

Sainte Thérèse commença ses voyages le 13 août 1567, à l’âge de cinquante-deux ans. Elle avait reçu du général des carmes, le P. Jean-Baptiste Rossi, alors à Avila, l’autorisation de fonder des monastères réformés. " Dans un espace de quatre ans (1567-1571), elle établit neuf monastères, sept de religieuses : Medina del Campo, Malagon, Valladolid, Tolède, Pastrana, Salamanque et Albe, et deux de religieux : Duruelo et Pastrana. Son priorat de trois ans au couvent de l’Incarnation d’Avila (1571-1574) arrête pour un temps les fondations : une seule exception est faite pour Ségovie. Rendue à la liberté, elle reprend ses voyages et ses travaux. En moins d’un an (février 1575-janvier 1576), elle donne trois nouveaux couvents de religieuses à la réforme : Beas, Séville et Caravaco. Alors la persécution se déchaîne contre son œuvre et la met à deux doigts de la ruine. Toute fondation est suspendue jusqu’en 1580. En revanche les trois dernières années qu’elle passe sur terre (1580-1582) verront s’élever cinq nouveaux monastères : Villanueva de la Jara, Palencia, Soria, Grenade, et Burgos. " Œuvres compl. de sainte Thérèse, t. III, p. 17.

Le succès de la réforme de sainte Thérèse fut donc rapide et éclatant. Des personnes appartenant aux plus illustres familles d’Espagne demandaient de fonder des monastères dans les villes où elles habitaient. D’autres fois ces demandes étaient faites par les évêques. Cf. Fondations, c. IX, X, XX, XXVII, XIX, XXX. Des enfants de famille noble quittaient le monde pour entrer au Carmel, ce qui produisait une grosse impression dans les populations espagnoles. Fondations, c. X, XI, XII, XXII. Enfin la réforme atteignit les carmes eux-mêmes. Fondations, c. XIII, XIV, XVII. Tant de succès devaient amener la persécution.

Elle ne vint cependant pas tout de suite. Au contraire, ce fut un heureux événement, précieux résultat du commencement de la réforme, qui arriva tout d’abord. Le P. Pierre Fernandez, O. P., avait été chargé par une bulle de saint Pie V de travailler à la réforme du Carmel dans la province de Castille. Il dut donc s’occuper du monastère mitigé de l’Incarnation d’Avila. Depuis que Thérèse l’avait quitté, le relâchement n’avait fait qu’y grandir. Pour le réformer, le P. Fernandez décida d’y envoyer sainte Thérèse comme prieure. Le 6 octobre 1571, il conduisit au monastère la nouvelle prieure, qu’il fit accepter sans peine aux religieuses, pour la plupart hostiles à la réforme. Thérèse triompha des résistances par sa douceur et sa sagesse. Elle fut bien aidée par saint Jean de la Croix qui devint aumônier de l’Incarnation. Enfin les trois années de son priorat écoulées, en février 1575, Thérèse reprit ses voyages.

Elle dut les cesser en 1576 jusqu’en 1580. La persécution violente se déchaîna contre la réforme et faillit la ruiner. On connaît cette période douloureuse de l’histoire de l’ordre des carmes. Les supérieurs des couvents espagnols de carmes mitigés et, à leur tête, le général Tostado, s’assemblèrent en chapitre et tentèrent de détruire la réforme en imposant à tous les carmes réformés l’obligation de vivre dans des couvents mitigés. Libre à eux de suivre d’une manière privée leur règle plus sévère ! Le P. Jérôme Gratien, si apprécié de sainte Thérèse, Fondations, c. XXXII-XXXIV, fut chargé de faire triompher la réforme. Etait-il à la hauteur de cette difficile tâche ? Heureusement le nonce, Mgr Nicolas Ormaneto, et surtout Philippe II étaient favorables à l’entreprise. Les décisions des carmes mitigés furent cassées et les déchaussés gardèrent la possibilité de faire valoir leurs droits. Mais la mort de Mgr Ormaneto, 18 juin 1577, aggrava la situation. Son successeur à la nonciature d’Espagne, Mgr Philippe Séga " semblait, dit sainte Thérèse, envoyé de Dieu pour nous exercer à la patience. Il était un peu parent du pape [Grégoire XIII], et nul doute qu’il ne fût serviteur de Dieu. Mais il prit fort à cœur la cause des mitigés et, se basant sur ce que ces pères lui disaient de nous, arrêta qu’il fallait empêcher les progrès de la réforme ". Fondations, c. XXVIII, t. IV, p. 96.

Sainte Thérèse suivait avec soin tous ces événements. Elle écrivait aux pères déchaussés, chargés de défendre les intérêts de la réforme, pour les conseiller et les encourager. Sa correspondance avec le P. Gratien est particulièrement abondante dans ces années douloureuses. Elle n’hésita pas à s’adresser directement, le 18 septembre 1577, à Philippe II pour le supplier de prendre en main la cause des réformés : " Notre catholique monarque, don Philippe, dit-elle, Fondations, c. XXVIII, fut instruit de ce qui se passait et comme il connaissait la vie très parfaite des déchaussés, il prit en main notre cause. " Le 4 décembre 1577, elle écrivit de nouveau au roi pour lui demander de faire délivrer saint Jean de la Croix, incarcéré par les mitigés dans leur couvent de Tolède. Elle comprit ; dès le début de la persécution, que la solution du conflit était dans la séparation des mitigés et des déchaussés. Elle écrivait au P. Gratien, vers le 20 septembre 1576 : " On m’a dit que vous avez formé le projet d’obtenir une province séparée par la voie de notre T. R. P. Général et d’employer pour cela tous les moyens en votre pouvoir ; de fait, c’est une guerre intolérable que de lutter contre le supérieur de l’ordre. " Elle conseille un voyage à Rome à faire au plus tôt. " Si l’on ne pouvait rien obtenir du P. Général on traiterait avec le pape. " Ce conseil fut approuvé le 9 octobre 1578 au chapitre d’Almodovar, qui nomma le P. Antoine de Jésus provincial et envoya deux religieux à Rome négocier en faveur de la réforme. Le nonce Séga, considérant ce chapitre comme un attentat à son autorité, en cassa les actes, assujettit les réformés aux mitigés et fit emprisonner dans trois couvents de Madrid les PP. Gratien, Antoine de Jésus et Mariano de Saint-Benoît. Thérèse est traitée " de femme inquiète et vagabonde ". Sur la plainte de personnages de marque, Philippe II " ne voulut pas, dit Thérèse, que le nonce fût notre seul juge : il lui adjoignit quatre assesseurs, personnages graves, dont trois appartenaient à des ordres religieux ". Fondations, c. XXVIII. Le 1er avril 1579, le nonce dut retirer aux mitigés tout pouvoir sur les déchaussés. Ceux-ci eurent un vicaire général pour les gouverner et en mai deux pères de la réforme s’embarquèrent pour Rome afin de solliciter la séparation des déchaussés et des mitigés. Cette séparation ne devait être faite qu’en 1593 par un bref du 20 décembre du pape Clément VIII : chacune des deux observances aurait son supérieur général. Le 27 juin 1580, Grégoire XIII décida seulement que les réformés formeraient une province autonome sous l’autorité d’un provincial réformé qui fut le P. Gratien. Sainte Thérèse put continuer ses fondations. Le couvent de Burgos fut le dernier qu’elle créa, déjà bien malade. De Burgos elle se rendit à Albe où elle mourut le 4 octobre 1582.

Malgré les angoisses causées par cette persécution, sainte Thérèse rédigea l’Ecrit sur la visite des monastères en août ou septembre 1576. Puis en octobre de la même année, elle reprit la composition du Livre des fondations. Et du 2 juin au 29 novembre 1577 elle écrivit le Château intérieur. En sainte Thérèse, l’écrivain n’est pas inférieur à la fondatrice.

IV. SAINTE THERESE ECRIVAIN MYSTIQUE. – L’analyse complète des écrits mystiques de sainte Thérèse, leur explication et la solution des problèmes théologiques qu’ils pourraient soulever sont réservées au Dictionnaire de spiritualité. Il suffira d’indiquer ici les qualités d’écrivain de la sainte, les circonstances où elle a composé ses ouvrages et d’énumérer, en les caractérisant brièvement, les degrés d’oraison auxquels elle a été élevée.

Qualités de l’écrivain. – Ce qui se remarque tout d’abord en sainte Thérèse écrivain, c’est sa prodigieuse facilité à écrire : " Elle écrivait ses ouvrages, dit le P. Gratien, sans faire de ratures et avec une extrême vélocité. Son écriture était très nette et sa rapidité à écrire égalait celle des notaires publics. " Dilucidario del verdadero spiritu…, Ia, part., c. I. La promptitude de sa conception et la maîtrise de son style lui permettaient de composer rapidement ses ouvrages au milieu de la correspondance et des démarches nécessitées par ses fondations. Elle écrivit, à Tolède, vingt-huit chapitres du Livre des fondations, du début d’octobre 1576 au 14 novembre de la même année. Et pendant la persécution livrée par les mitigés à sa réforme, elle composa, du 2 juin au 29 novembre 1577, le Château intérieur, ouvrage de haute mystique exigeant une réflexion soutenue.

Cette facilité supposait une connaissance étendue de la langue espagnole. Les lectures des romans d’Amadis de Gaule et de sa considérable lignée servirent le talent de la sainte. Elle lut aussi beaucoup de livres spirituels anciens traduits en castillan, et de modernes composés en cette langue. Cf. Morel-Fatio, Les lectures de sainte Thérèse, dans le Bulletin hispanique, t. X, 1908, p. 17-67 ; Gaston Etchegoyen, L’amour divin, Essai sur les sources de sainte Thérèse, Bordeaux-Paris, 1923, p. 33 sq. Thérèse maniait la langue espagnole d’une manière géniale. Avec les écrivains mystiques de son époque elle a forgé cette langue et lui a fait parler " le langage des anges ". Sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, l’augustin Louis de Léon et autres encore eurent une part dans la formation de la langue espagnole aussi grande peut-être que celle de Cervantès, l’immortel auteur de Don Quichotte.

Sainte Thérèse a un style imagé. Elle sait trouver les comparaisons excessives qui symbolisent toute une doctrine ou dépeignent des états d’âme. Ainsi les quatre manières d’arroser un jardin caractérisent les quatre degrés d’oraison dont elle parle dans le Livre de la vie. Son imagination est remplie d’images de chevalerie. Pour elle, comme pour saint Ignace de Loyola, le Christ est un roi, un conquérant. Elle l’appelle " sa Majesté ". Sa vision de l’enfer rappelle les oubliettes des châteaux forts dont elle avait lu la description dans les romans. On sait que, pour les visions imaginatives, Dieu se sert d’ordinaire des images qui sont déjà dans l’imagination. Le Château intérieur est révélateur : " La veille de la fête de la très sainte Trinité [1577], dit Diego de Yepez, Tandis qu’elle était à se demander quelle serait l’idée fondamentale de ce traité, Dieu, qui dispose de tout avec sagesse, exauça ses vœux et lui fournit le plan de l’ouvrage. Il lui montra un magnifique globe de cristal en forme de château, ayant sept demeures. Dans la septième, placée au centre, se trouvait le Roi de gloire, brillant d’un éclat merveilleux, dont toutes ces demeures jusqu’à l’enceinte se trouvaient illuminées et embellies. Plus elles étaient proches du centre, plus elles participaient à cette lumière. Celle-ci ne dépassait pas l’enceinte : au-delà il n’y avait que ténèbres et immondices, des crapauds, des vipères et autres animaux venimeux. " Œuvres complètes de sainte Thérèse, t. VI, p. 6.

Aux qualités de l’imagination s’ajoute une sensibilité délicate qui sent vivement la valeur des dons divins ou la portée des événements providentiels et qui sait communiquer aux autres ses impressions. Cet art de faire partager ses propres sentiments était perfectionné en sainte Thérèse par un abandon plein de simplicité et de charme. Elle écrit souvent comme l’on cause familièrement avec des intimes. Car elle n’écrivait pas pour le public, mais pour ses confesseurs qui voulaient connaître son âme ou pour ses carmélites qu’elle désirait initier à ses expériences religieuses.

Enfin un ferme bon sens maintient toutes ces qualités dans la juste mesure. Bon sens tout viril. Si Thérèse a la sensibilité féminine, elle a la maîtrise de l’homme. Elle appréciait le bon sens des personnes avec lesquelles elle traitait les affaires de ses fondations. Fondations, c. XV. Elle sait éviter, dans l’exposé de ses états mystiques, toute exagération, toute expression outrée qui indiquerait que le sentiment a le pas sur la raison, ce qui n’est jamais en sainte Thérèse. Cf. R. Hoornaert, Sainte Thérèse écrivain, Paris-Bruges, 1922.

Quelques défauts cependant déparent, fort légèrement d’ailleurs, de si riches qualités. La facilité si grande d’écrire a fait tomber Thérèse dans quelques longueurs. Les digressions sont parfois trop abondantes. Et sa mauvaise mémoire – dont elle se plaint souvent – lui a fait commettre des contradictions, parfois assez notables pour qu’on ne puisse pas avoir, avec certitude, sa vraie pensée sur quelques points de la mystique. Sa chronologie est souvent défectueuse. Elle écrivait longtemps après les événements et, comme elle ne pensait pas que ses écrits seraient publiés, elle se préoccupait peu de l’exactitude des dates. Bien petites ombres dans de ravissants tableaux !

Caractères de la mystique thérésienne. – Signalons tout d’abord le don qu’a sainte Thérèse d’étaler ses états mystiques. Don d’introspection. Elle sait discerner ce qui se passe dans son âme avec une sûreté rare. Elle peut sans doute prendre pour des communications surnaturelles de Dieu de pieux mouvements de son âme. Mais elle tient compte de cette possibilité qu’elle reconnaît. Aussi, malgré les révélations, elle n’entreprendra rien de tant soit peu important sans avoir l’avis de théologiens instruits et l’approbation de ses supérieurs. A cette sûreté de coup d’œil psychologique s’ajoutait la facilité d’analyser finement ses états mystiques et enfin la talent de les décrire clairement et avec précision : " Recevoir de Dieu une faveur, disait-elle, est une première grâce, savoir en quoi elle consiste en est une seconde ; enfin, c’en est une troisième de pouvoir en rendre compte et en donner l’explication. " Vie, c. XVII, t. I, p. 213. " Dans la sublimité des choses qu’elle traite et dans la délicatesse et la clarté dont elle les déduit, disait Louis de Léon, elle surpasse beaucoup d’esprits, et dans la manière de les dire, dans la pureté et facilité du style, dans la grâce et l’agencement des paroles, et dans une élégance naïve qui délecte au dernier point son lecteur. Je doute que dans toute notre langue [espagnole] il y ait rien qu’on lui puisse comparer. " Lettre à la Mère Anne de Jésus, prieure du carmel de Madrid.

La mystique de sainte Thérèse n’est pas spéculative mais pratique, en ce sens qu’elle consiste dans des analyses psychologiques de ses états mystiques. Saint Jean de la Croix nous montre ses expériences mystiques au travers de théories théologiques. La mystique thérésienne, elle, est dépourvue de théories. Elle se trouve dans la description psychologique des faits mystiques vécus par la sainte. A peine, de loin en loin, contient-elle des allusions aux explications des théologiens. Aussi la mystique thérésienne est-elle très personnelle, puisqu’elle consiste dans les états par où la sainte a passé et qu’elle décrit. Tous les mystiques ne suivent pas nécessairement la même voie qu’elle. Bien souvent elle le laisse entendre. Les écrits de sainte Thérèse sont ainsi son autobiographie mystique, mais leur lecture édifie tout le monde.

Sur l’origine et les sources de la mystique thérésienne deux opinions sont en présence : celle des anciens biographes de sainte Thérèse et celle des écrivains modernes. Selon les anciens thérésiens, tout ce que sainte Thérèse a écrit vient de Dieu. Elle n’a rien appris dans les livres. Elle a lu fort peu d’ouvrages spirituels ; elle en a donné les titres, mais elle ne prend en eux aucune citation. Sa mauvaise mémoire ne le lui aurait pas permis, du reste : " Encore, si Dieu m’avait donné un peu de capacité et de mémoire ! dit-elle en gémissant. Je pourrais alors mettre à profit ce que j’ai lu ou entendu. Mais j’en suis aussi dépourvue que possible. Si donc je dis quelque chose de bon, c’est que le Seigneur l’aura ainsi voulu, pour en tirer quelque bien. " Vie, c. X, Œuvres, t. I, p. 140. Thérèse ne devrait donc qu’à Dieu la doctrine qu’elle nous enseigne. Diego de Yepez, religieux hiéronymite, puis évêque de Terrassone dit à ce sujet : " Dieu versa dans l’âme de la sainte Mère cette sagesse admirable [de la théologie mystique]. Car étant si rude et si grossière, non seulement pour déclarer les choses spirituelles, mais encore pour les entendre, Notre-Seigneur en fort peu de temps lui donna tant de lumière et d’intelligence des choses surnaturelles et divines que de grands théologiens en plusieurs années d’étude n’eussent su parvenir jusque-là… Cette intelligence et science qu’elle eut des choses divines fut presque soudaine et tout à coup enfin comme infuse de Dieu. " Vie de la sainte Mère Thérèse de Jésus, 2e part., c. XVIII, trad. fr., Paris, 1656.

Cette manière de voir commence à se modifier, à la suite d’études plus attentives des sources littéraires auxquelles la sainte a puisé. Thérèse n’a pas négligé les moyens humains de s’instruire des voies surnaturelles. Elle savait interroger ses confesseurs et les théologiens. Elle a lu, souligné et annoté des livres spirituels traduits en castillan. Les exemplaires de ces livres annotés de sa main ont été conservés. Ce sont : les Lettres de saint Jérôme (Vie, c. III, XI ; Château, 6e dem., c. IX) ; les Morales sur le livre de Job de saint Grégoire le Grand (Vie, c. V) ; Les Chartreux ou la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux (Vie, c. XXXVIII) ; les Confessions de saint Augustin (Vie, c. IX). Elle a étudié trois écrivains espagnols franciscains ses contemporains : Alonso de Madrid, auteur de l’Art de servir Dieu publié à Séville en 1521 (Vie, c. XII) ; Francisco de Osuna, qui a composé les Abécédaires, dont sainte Thérèse a lu le troisième (Vie, c. IV ; cf. Un maître de sainte Thérèse : le P. François d’Osuna, par le P. Fidèle de Ros, Paris, 1927) ; enfin Bernardino de Laredo, à qui on doit La montée du Mont Sion. Cet ouvrage rassura Thérèse au sujet de l’oraison de quiétude et d’union auxquelles elle était arrivée et dont elle ignorait la nature. Vie, c. XXIII. " Je consultai des livres, dit-elle, afin de voir s’ils m’aideraient à m’expliquer sur mon oraison. Dans un ouvrage intitulé : L’ascension de la Montagne, à l’endroit où il est parlé de l’union de l’âme avec Dieu, je rencontrai toutes les marques de ce que j’éprouvais relativement à l’impuissance de réfléchir. Et c’est précisément cette impuissance que je signalai surtout à propos de cette oraison. Je marquai d’un trait les endroits en question. " Sainte Thérèse trouva aussi dans les livres la terminologie classique dont on se sert pour parler des divers degrés d’oraison et des faits mystiques. Les images et les métaphores empruntées à la Bible, à la nature ou à la vie familiale et sociale lui furent aussi révélées par eux. Elle reçut sans doute pour écrire des lumières spéciales de Dieu, mais elle ne négligea pas l’étude personnelle.

Les écrits de sainte Thérèse furent rédigés de 1562 à 1582, année de sa mort. Le Livre de la vie fut écrit en 1562, sur l’ordre de son confesseur, puis retouché et complété en 1565 à Saint-Joseph d’Avila. Le Chemin de la perfection fut rédigé une première fois en 1565 au même monastère, puis une seconde fois, probablement à Tolède, pendant les fondations, en 1569 et 1570. Les Constitutions, destinées aux seules religieuses, furent composées à Avila, vers 1563. Les Exclamations, ou accents passionnés d’amour divin, semblent écrites de 1566 à 1569, dans plusieurs monastères. Les Pensées sur le Cantique des Cantiques datent sans doute de 1574, la sainte étant à Ségovie. Le Livre des fondations fut commencé à Salamanque en 1573, continué à Tolède en 1576 et terminé à Burgos en 1582. L’Ecrit sur la visite des monastères remonte à 1576, à Tolède. Le Livre du château intérieur ou des Demeures de l’âme fut composé en 1577. Commencé le 2 juin à Tolède, il fut achevé à Avila à la fin de novembre. Le Château intérieur devait remplacer le Livre de la vie dont le manuscrit était gardé par les inquisiteurs. Les Avis et les Relations spirituelles sont d’époques diverses qu’il est difficile de préciser. Cf. Œuvres complètes de sainte Thérèse, t. I, c. XXI-XXII. Les écrits thérésiens sont une autobiographie de la sainte, une description de son âme séraphique, une histoire du développement de ses états mystiques. Thérèse, merveilleusement psychologue, se raconte elle-même d’une façon captivante.

Les diverses oraisons d’après sainte Thérèse. – Nous avons deux classifications thérésiennes des oraisons : celle du Livre de la vie et celle du Livre du château intérieur. La première est symbolisée par la célèbre comparaison de l’arrosage d’un jardin (Vie, c. XI) : l’oraison de méditation, qui consiste à tirer l’eau du puits à force de bras pour arroser, c’est-à-dire " travailler avec l’entendement " pour produire des considérations ; l’oraison de quiétude, où l’âme " touche au surnaturel " et a moins de peine, comme le jardinier qui arrose en se servant " noria et de godets mis en mouvement au moyen d’une manivelle " ; l’oraison du sommeil des puissances, où les puissances de l’âme, " sans être entièrement suspendues, ne comprennent point comment elles opèrent ", c’est l’arrosage par l’eau courante amenée d’une rivière ou d’un ruisseau ; enfin l’oraison d’union où Dieu agit pleinement : l’âme n’a aucune peine, comme le jardinier qui voit son jardin arrosé par " une pluie abondante ".

En 1577, quand elle composait le Château intérieur, sainte Thérèse avait expérimenté un degré de plus d’oraison mystique : le mariage spirituel. Elle modifia donc la classification du Livre de la vie. En allant de l’extérieur à l’intérieur du Château, les trois premières demeures correspondent aux exercices des commençants dans la vie spirituelle qui font l’oraison ordinaire de méditation. Cf. Chemin de la perfection, c. XXV. Les quatre autres demeures concernent respectivement l’oraison de recueillement, qui ne peut s’obtenir " par le travail de l’entendement… ni par celui de l’imagination ", c’est Dieu qui produit ce recueillement. Cf. Vie, c. XIV-XV ; Relations spirituelles, I, LIV ; l’oraison de quiétude ou des goûts divins, où l’âme recueillie par Dieu jouit d’un parfait repos et goûte un suave plaisir. Cf. Vie, ibid. ; chemin de la perfection, c. XXXI ; Relations, LIV ; l’oraison d’union, avec ou sans extase, où Dieu fait sentir soudainement et intensément sa présence dans l’âme. Cf. Vie, c. XVIII-XIX ; Relations, LIV ; enfin le mariage spirituel, Château, 7e dem. Cf. R. Hoornaert, Le progrès de la pensée de sainte Thérèse entre la " Vie " et le " Château ", dans Revue des sciences phil. et théol., janvier 1924.

Entre l’oraison d’union et le mariage spirituel, sainte Thérèse parle des préparations habituelles à ce mariage. L’oraison d’union est comme une " entrevue " de l’âme avec Notre-Seigneur, qui annonce d’ordinaire, mais pas toujours, le mariage spirituel. Celui-ci est préparé par les purifications passives, Vie, c. XXX-XXXI ; Château, 6e dem., c. I-II, les ravissements, l’extase, les visions et les révélations. Vie, c. XX, XXIV-XXIX, XXXII, XXXVII-XL ; Château, 6e dem., c. III-XI ; Fondations, c. VI, VIII ; Relations, LIV. Sainte Thérèse rapporte les visions intellectuelles, imaginatives et corporelles dont elle fut favorisée. Elle analyse avec précision l’extase et le ravissement. Elle parle aussi de l’ivresse spirituelle, Château, 6e dem., c. VI, et du fait mystique de la transverbération, grâce personnelle à la sainte. Vie, c. XXIX. Il suffira d’énumérer ici ces grâces mystiques. Ce n’est pas le lieu de les expliquer. Cette étude appartient aux publications de spiritualité proprement dite.

I. EDITIONS DES ŒUVRES DE SAINTE THERESE. – Le chemin de la perfection fut la première œuvre de sainte Thérèse publiée. La sainte en avait préparé l’impression. Edité à Evora en 1583, réédité à Salamanque avec les Avis en 1585, puis à Valence en 1587 et en 1588 avec l’édition des Œuvres de la sainte par Louis de Léon. Il y a deux textes assez différents du Chemin, celui du ms. de l’Escurial et celui du ms. de Valladolid. En plus une copie de Tolède, révisée par la sainte, contient des variantes. A cause de cette différence, et les chapitres des deux textes ne concordant pas, il est difficile de donner les références des citations empruntées au Chemin.

L’édition princeps des Œuvres de sainte Thérèse parut à Salamanque en 1588 par les soins de Louis de Léon : Los libros de la Madre Teresa de Jesus, fondatora… Elle contenait la Vie avec ses Additions, le Chemin de la perfection, les Avis, le Château intérieur et les Exclamations. Le Livre des fondations ne put figurer dans cette édition, trop de personnes encore vivantes y étant mentionnées, ni l’Ecrit sur la visite des monastères, ni les Pensées sur le Cantique des Cantiques. Louis de Léon déclare dans sa lettre à la Mère Anne de Jésus qu’il a rétabli les écrits de Thérèse " en leur première pureté ". Il les a confrontés " avec les originaux " qu’il a eus entre les mains. Il n’a rien changé " ni dans la matière ni dans les termes " du texte de la sainte, comme l’avaient fait témérairement les auteurs des copies remises à Louis de Léon. Malgré cela cette édition n’est pas parfaite.

En 1589 parut à Salamanque une seconde édition, simple réédition, semble-t-il, de l’œuvre de Louis de Léon.

Nombreuses éditions espagnoles dans les années suivantes : en 1597 (Madrid), 1604 (Naples), 1622-1627 (Madrid), 1630 (Anvers, édition qui contient pour la première fois les Fondations, les Pensées sur le Cantique des Cantiques, et l’Ecrit sur la visite des monastères), 1635, 1661 et 1670 (Madrid), 1674 et 1675 (Bruxelles), avec deux volumes de Lettres, en 1678 (Madrid), 1724 (Barcelone), 1752 (Madrid). Ces éditions espagnoles ne remédiaient pas aux défectuosité de l’édition princeps ; souvent elles en ajoutaient de nouvelles. Encore en 1851 l’édition de Castro Palomino (Madrid) est imparfaite.

C’est l’édition de don Vincente de la Fuente, laïque, professeur à l’université de Madrid qui accuse un réel progrès : Escritos de santa Teresa, añadidos e illustrados por don Vicente de la Fuente… dans Biblioteca de autores españoles, t. LIV et LV, Madrid, Rivadeneyra, 1861-1862, 2 vol. gr. in-8°. En 1881 Vincente de la Fuente publia une édition populaire réduite. Dans cette édition se trouvent pour la première fois les Relations spirituelles en entier, les Poésies et la collection des Lettres était aussi augmentée. Les introductions et les notes de l’édition de la Fuente ont renouvelé l’histoire des origines du Carmel réformé et , par cela même, ont suscité la contradiction sur quelques points.

Vincente de la Fuente a commencé à Madrid la reproduction photo-lithographique des manuscrits de sainte Thérèse. En 1873 reproduction de la Vie, en 1880 une autre des Fondations. En 1882, le cardinal Lluch fit exécuter à Séville celle du Château. En 1883, don François Herrero-Bayona reproduisit à Valladolid le Chemin de la perfection et l’Ecrit sur la visite des monastères. Les traducteurs peuvent travailler maintenant sur des fac-simile des originaux.

Enfin l’édition de Silverio de Santa Teresa, O. C. D., Obras de Santa Teresa de Jesus, Burgos, 6 vol., 1915-1919. Epistolario, t. I-III, 1922-1924.

III. TRADUCTIONS FRANCAISES. – La première fut publiée à Paris en 1601, en 3 vol. in-18, par Jean de Quintanadoine de Brétigny. Elle contenait la Vie avec les Additions, le Chemin de la perfection avec les Avis, le Château et les Exclamations. Traduction revue par les chartreux de Bourgfontaine. Traduction lue, sans doute, par saint François de Sales et par les auteurs de l’école française.

En 1630 traduction du P. Elisée de Saint-Bernard, O. C. D., et en 1644 à Paris, celle du P. Cyprien de la Nativité de la Vierge. Elles contiennent en plus de la traduction de Brétigny les Fondations, les Pensées sur le Cantique des Cantiques et l’Ecrit sur la visite des monastères.

En 1670 traduction des Œuvres de sainte Thérèse par Arnauld d’Andilly, souvent rééditée. L’abbé Martial Chanut traduisit en 1681 le Chemin de la perfection, les Exclamations et les Avis et en 1691 la Vie.

Dans la première partie du XIXe siècle (1836), traduction des abbés Grégoire et Collombet ; mais la traduction du XIXe siècle la plus célèbre est celle du P. Bouix, S. J., traduction faite non plus sur les éditions espagnoles, mais sur les manuscrits originaux. En 1852 parut le t. Ier, en 1854 et 1856 le t. II et III ; les trois volumes des Lettres en 1861. Traduction reçue avec enthousiasme et souvent rééditée. Mais la traduction n’est pas fidèle ; elle a été corrigée au début du XXe siècle.

Au XXe siècle les carmélites de Paris, sous la direction de Mgr Manuel-Marie Polit, évêque de Cuenca, (Equateur), ont publié à Paris une traduction nouvelle des Œuvres complètes de sainte Thérèse, t. I et II, 1907, III et IV, 1909, t. V et VI, 1910 ; traduction citée ici.

Enfin traduction par le P. Grégoire de Saint-Joseph ; édition de la Vie spirituelle ; traduction des Lettres de sainte Thérèse par le même, 2e éd., 4 vol., édit du Cerf, 1939.

III. BIOGRAPHIES DE SAINTE THERESE. – Jean de Jésus-Marie et Jean de Saint-Jérôme, des premiers carmes déchaussés, ont laissé une vie abrégée de sainte Thérèse en latin : Vita et mores, spiritus, zelus et doctrina servæ dei Theresæ de Jesu (1610) ; François de Ribera, S. J., La vida de la Madre Teresa de Jesus fundadora de las delcaças y descalços carmelitas, Salamanque, 1590, rééd. en 1606 ; trad. fr. La vie de la Mère Thérèse de Jésus fondatrice des carmes déchaussés, par de Brétigny, Paris, 1602 (Œuvres complètes de Ste-Thérèse, Introd., t. I, p. XLV, note 2). Autre trad. fr. par J.-D.-B. P., 1607, nouv. éd., Paris, 1645 ; Fray Diego de Yepez, religieux hiéronymite, puis évêque de Terrassone, Vida, virtudes y milagos de la bienaventurada virgen Teresa de Jesus…, Saragosse, 1606, traduction française publiée à Paris vers 1644 ; Fray Luis de Léon, De la vida, muerte, virtudes y milagos de la santa madre Teresa de Jesus, biographie inachevée de publiée en 1883 seulement, dans les œuvres complètes de Louis de Léon éditées en 1883 à Madrid par Antolin Merino, O. S. A., et dans la Revista agustiniana, t. V, 1883 ; Julian de Avila, Vida de santa Teresa de Jesus, éd. Par la Fuente en 1881 ; Fr. Antonio de la Encarnacion, O. C. D., Vida, milagos… de santa Teresa de Jesus, 1614 ; Miguel Mir, Santa Teresa de Jesus, Madrid, 1912 ; les bollandistes, Acta Sanctorum, Octobr. T. VII, Bruxelles, 1843, cf. L’histoire de sainte Thérèse d’après les bollandistes, ses divers historiens et ses œuvres complètes, par une carmélite de Caen, Paris, 1882 ; de Villefore, La vie de sainte Thérèse…, Paris, 1748 ; Henri Joly, Sainte Thérèse, coll. Les Saints, Paris, 1902 ; Cazal, Sainte Thérèse, Paris, 1921 ; Louis Bertrand, de l’Académie fr., Sainte Thérèse, Paris, 1927 ; Coleridge, The life and letters of S. Teresa ; Histoire générale des carmes et des carmélites de la réforme de sainte Thérèse, composée en Espagne par le P. François de Sainte-Marie, trad. fr., 5 vol., Abbaye de Lérins, 1896 ; Antonio de San Joaquin, Año Teresiano, Madrid, 1743 à 1766, 12 vol. in-4° ; M. Marie du S.-Sacrement, carmélite, La jeunesse de sainte Thérèse, Paris, 1939.

IV. ETUDES SUR SAINTE THERESE. – Il est impossible de les citer toutes. Consulter H. de Curzon, Bibliographie thérésienne, Paris, 1902 ; Serrano y Sanz : Apuntes para una biblioteca de escritoras españolas desde el año 1401 al 1833, art. Teresa de Jesu, Madrid, 1905, t. II ; la Bibliografia Teresana préparée par Silverio de Santa-Teresa ; R. Hoornaert, Sainte Thérèse écrivain, bibliographie, p. XIII-XIX.

Voici quelques travaux les plus récents : Gaston Etchegoyen, L’amour divin, Essai sur les sources de sainte Thérèse (Bibliothèque de l’Ecole des hautes études hispaniques, fasc. IV), Bordeaux-Paris, 1923 ; J. Maréchal, S. J., Etudes sur la psychologie des mystiques, Bruges-Paris, 1924 ; Poulain, S. J., Les grâces d’oraison, 10e éd., Paris, 1922 ; Saudreau, Les degrés de la vie spirituelle, Paris, 1905 ; du même, L’état mystique, sa nature, ses phases…, 3e éd., Paris, 1921 ; La Vie spirituelle, oct. 1922 ; A. Tanquerey, Précis de théologie ascétique et mystique, p. 889 ; J. de Guibert, Theologia spiritualis ascetica et mystica, Rome, 1937 ; P. Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. III, 9e mille, p. 187-268 ; Albert Farges, Les phénomènes mystiques distingués de leurs contrefaçons humaines et diaboliques, 2 vol., Paris, 1923 ; Montmorrand, Psychologie des mystiques catholiques orthodoxes, Paris, 1920 ; Mgr Lejeune, Manuel de Théologie mystique, Paris, 1897 ; du même, Introduction à la vie mystique, Paris, 1899 ; Garrigou-Lagrange, Les trois âges de la vie intérieure, Paris, 1940 ; Boutroux, La psychologie du mysticisme, 1902 ; Bulletin de la société française de philosophie, janv. 1906 ; Ribot, Psychologie de l’attention, 9e éd., Paris, 1905.

Auteurs disposés à voir dans les faits mystiques des cas pathologiques ou des produits du subconscient : Dr A. Marie, Mysticisme et folie, 1906 ; Dr Murisier, Les maladies du sentiment religieux, 2e éd., Paris, 1903 ; W. James, The variety of religions experience, London, 1904, trad. fr. L’expérience religieuse ; Pierre Janet, Automatisme psychologique, Paris, 1889 ; L’état mental des hystériques, Paris, 1892 ; Conférences sur une extatique, Paris, 1901 ; Leuba, Les tendances fondamentales des mystiques chrétiens, dans rev. Phil., t. LIV, 1902 ; Psychologie du mysticisme religieux, trad. fr., Paris, 1923 ; Norrero, L’union mystique chez sainte Thérèse, Paris, 1905.

P. POURRAT.

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