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Saint Jean Marie Vianney
le Saint curé d’Ars - mystique - saint patron des curés
Tome 2 des Sermons de saint Jean Marie Vianney

TABLE DES MATIERES

Dimanche de Quasimodo 2
Sur la Confession pascale. 2
2ème Dimanche après Pâques 14
Sur la Persévérance 14
3ème dimanche après Pâques 31
Sur les Afflictions 31
5ème dimanche après Pâques 44
Sur la Prière 44
Sur les Rogations et les Processions 61
L'Abstinence et les Quatre-Temps 61
Pour le jour de l’Ascension 76
Pour le jour de la Fête-Dieu. 91
2ème dimanche après la Pentecôte 105
Sur la sainte Messe 105
3ème dimanche après la Pentecôte 124
Sur la miséricorde de Dieu 124
3ème dimanche après la Pentecôte 139
Sur la miséricorde de Dieu envers le Pécheur. 139
4ème dimanche après la Pentecôte 149
Sur l'Espérance 149
5ème dimanche après la Pentecôte. 166
Sur le deuxième Commandement de Dieu 166
6ème dimanche après la Pentecôte 183
Sur la Communion 183
7ème dimanche après la Pentecôte 201
Sur la fausse et vraie Vertu 201
7ème dimanche après la Pentecôte 219
Sur le Mensonge 219
7ème dimanche après la Pentecôte 235
Nécessité de faire de bonnes œuvres 235
8ème dimanche après la Pentecôte 253
Sur le jugement particulier 253
9ème dimanche après la Pentecôte 267
Sur les larmes de Jésus-Christ 267
10ème dimanche après la Pentecôte 285
Sur l’orgueil 285
11ème dimanche après la Pentecôte 301
Sur le jugement téméraire 301
11ème dimanche après la Pentecôte 318
Sur la Médisance 318
11ème dimanche après la Pentecôte 333
Sur les péchés cachés en confession 333
 Dimanche de Quasimodo
Sur la Confession pascale.

Erat autem proximum Pascha, dies festus Judœorum.
La fête de Pâques, qui était la grande fête des Juifs, était proche.
(S. Jean, VI, 4.)

Oui, M.F., le voilà arrivé et passé ce temps heureux où tant de chrétiens ont quitté le péché, le démon, et ont arraché leurs pauvres âmes d'entre les griffes de l'enfer, pour se remettre sous le joug aimable du Sau-veur. Ah ! Plût à Dieu que nous fussions nés dans le temps heureux des premiers chrétiens, qui voyaient venir ce moment avec une sainte allégresse ! O beau jour ! O jour de salut et de grâce, qu'êtes-vous devenu ? Où sont ces joies saintes et célestes qui font le bonheur des enfants de Dieu ? Oui, M.F., ou ce temps de grâces tournera à notre salut ou il tournera à notre perte : il sera la cause de notre bonheur si nous correspondons aux grâces qui nous sont offertes dans ce moment pré-cieux, ou il tournera à notre perte si nous n'en profitons pas ou que nous en abusions. – Mais, me direz-vous, que veut dire ce mot de Pâques ? – Vous ne le savez donc pas, mon ami ? Eh bien ! écoutez-le et vous allez le savoir. Cela veut dire passage, c'est-à-dire sortie de la mort du péché et passage à la vie de la grâce. D'après cela, vous allez voir si vos pâques sont bonnes, et si vous pouvez être tranquilles, surtout vous, nos braves gens, qui vous contentez d'accomplir le commandement de l'Église, de faire seulement une confession et une communion pour Pâques.

I. – Pourquoi est-ce, M.F., que l'Église a établi le saint temps de Carême ? – C'est, me direz-vous, pour nous préparer à célébrer dignement le saint temps de Pâques, qui est un temps où le bon Dieu semble redoubler ses grâces, et excite le remords de nos consciences pour nous faire sortir du péché. – C'est très bien, mon ami, c'est ce que vous enseigne votre catéchisme ; mais si je demandais à un enfant quel est le péché de ceux qui ne font point de pâques ? II me répondrait tout simplement que c'est un gros péché mortel ; et si je lui disais : Com-bien faut-il de péchés mortels pour être damné ? Il me dirait : Un seul suffit, si l'on meurt sans en avoir obtenu le pardon. Eh bien ! mon ami, que dites-vous de cela ? Vous n'avez point fait de pâques ? – Eh non ! me direz-vous. – Mais, puisque vous n'avez point fait de pâques, et que de les manquer c'est un péché mortel, vous serez donc damné. Qu'en pensez-vous, mon ami ? N'est-ce pas, cela ne vous fait rien ? – Ah ! vous avez bien raison, dites--vous en vous-même ; mais si je suis damné, je ne serai pas le seul. – A la bonne heure, si cela ne vous fait rien, si vous aimez autant être damné que sauvé, il fau-dra aussi vous en consoler ; si vous espérez adoucir votre malheur en vous refiant que vous ne serez pas seul, il ne faudra donc plus vous tourmenter. Pauvre âme ! que dites-vous du langage que tient ce corps de péché où vous avez le malheur d'habiter ? Oh ! que de larmes vous allez répandre pendant l'éternité ! Oh ! que de gémissements ! Oh ! que de hurlements vous allez pous-ser dans les flammes, sans espérer d'en sortir ! Oh ! que vous êtes malheureux d'avoir tant coûté à Jésus-Christ, et vous en voir séparé pour jamais ! Pourquoi, M.F., n'avez-vous point fait de pâques ? – C'est, me direz-vous, parce que je n'ai pas voulu. – Mais si vous mou-rez dans cet état, vous serez damné. – Tant pis ! – Eh bien ! dites-moi, croyez-vous avoir une âme ? – Ah ! je sais bien que j'ai une âme. – Mais, peut-être croyez--vous que, quand vous serez mort, tout sera fini ?- Ah ! vous pensez en vous-même : Je sais bien que notre âme sera heureuse ou malheureuse, selon qu'elle aura bien ou mal fait. – Et qui peut la rendre malheureuse ? – C'est le péché, me direz-vous. – Vous vous sentez coupable de péché, donc je conclus que vous êtes damné. N'est--ce pas, mon ami, vous êtes bien venu vous confesser une fois ou deux ; mais vous vous en êtes tenu là. Pour-quoi cela ? C'est que vous n'avez pas voulu vous corriger et que vous aimez autant vivre dans le péché et être damné, que de le quitter pour être sauvé. Vous voulez être damné ? Eh bien ! ne vous inquiétez pas, vous le serez bien. – N'est-ce pas, ma sœur, vous avez laissé passer les pâques sans vous confesser ; le Carême, vous avez vécu dans le péché, et à Pâques aussi ; pourquoi cela ? En voici la raison : c'est que vous n'avez plus de religion, que vous avez perdu la foi, que vous ne pensez plus qu'à vous réjouir un peu dans le monde, en atten-dant que vous soyez jetée dans les flammes. Nous vous verrons, ma sœur, oui, nous vous verrons un jour ; oui, nous verrons vos larmes, votre désespoir ; je vous recon-naîtrai, du moins, je crois ; vous vous serez perdue, vous en êtes bien la maîtresse. Oui, M.F., tirons le ban-deau, laissons cachées toutes ces ordures dans les ténè-bres jusqu'au jour du jugement.
Examinons maintenant ce que c'est que la confession et la communion de ceux qui se contentent d'une fois tous les ans, et nous verrons s'ils ont lieu d'être tran-quilles ou non. Mon ami, si pour faire une bonne con-fession, il suffisait de demander pardon à Dieu, de dé-clarer ses péchés et de faire quelques pénitences, le péché, dont la religion nous fait un monstre, n'aurait rien qui dût tant nous effrayer ; rien ne serait plus facile que de réparer la perte de la grâce de Dieu, et de suivre le chemin qui conduit au ciel, qui est cependant si diffi-cile selon Jésus-Christ même. Écoutez le langage qu'il tient à ce jeune homme, qui lui demandait s'il y en au-rait bien de sauvés et si le chemin qui conduit au ciel est bien malaisé à suivre : Que lui répond le Sauveur ? « Oh ! que ce chemin est étroit ! Oh ! qu'il y en a peu qui le suivent ! Oh ! que parmi ceux qui le commencent, peu vont jusqu'au bout . » En effet, M.F., après avoir vécu une année entière sans gêne, sans contrainte, ne restant occupé que de vos affaires temporelles, de vos biens, ou même de vos plaisirs, sans vous mettre en peine de vous corriger, ni de travailler à acquérir les vertus qui vous manquent ; vous viendrez seulement dans la quinzaine de Pâques, toujours le plus tard que vous pourrez, ra-conter vos péchés, de la même manière que vous feriez le récit d'une histoire : vous lirez dans un livre quelques prières, ou vous en ferez quelques autres pendant un certain temps. Moyennant cela, tout sera dit, vous irez votre train ordinaire ; vous ferez ce que vous avez fait, vous vivrez comme de coutume, l'on vous a vu dans les jeux et les cabarets, l'on vous y reverra ; l'on vous a trouvé dans la danse et les bals, l'on vous y retrouvera : ainsi de tout le reste. Les pâques prochaines, vous répé-terez la même chose. Ainsi vous ferez ce commerce jus-qu'à la mort : c'est-à-dire, que le sacrement de Péni-tence, où Dieu semble oublier sa justice pour ne mani-fester que sa miséricorde, ne sera plus pour vous qu'un jeu ou un amusement ! Vous sentez très bien, mon ami, que si vos confessions n'ont rien de mieux, vous pouvez très bien conclure qu'elles ne valent rien, pour ne pas dire autre chose.

II. – Mais pour vous convaincre davantage, examinons la chose de plus près. Pour faire une bonne confession, qui puisse nous réconcilier avec Dieu, il faut détester nos péchés de tout notre cœur, non parce que nous sommes obligés de dire au prêtre des choses que nous voudrions pouvoir nous cacher à nous-mêmes ; mais il faut nous repentir d'avoir offensé un Dieu si bon, d'être resté si longtemps dans le péché, d'avoir méprisé toutes ses grâces par lesquelles il nous sollicitait d'en sortir. Voilà, M.F., ce qui doit faire couler nos larmes et bri-ser notre cœur. Dites-moi, mon ami, si vous aviez cette véritable douleur, ne vous empresseriez-vous pas de réparer le mal qui en est la cause et de vite rentrer en grâce avec Dieu ? Que diriez-vous d'un homme qui, mal à propos, se serait brouillé avec son ami, mais qui, reconnaissant sa faute, s'en repent de suite ; ne cher-chera-t-il pas la manière de se réconcilier ? Si son ami fait quelques démarches auprès de lui pour cela, ne profitera-t-il pas de l'occasion ? Mais au contraire, s'il méprisait tout, n'auriez-vous pas raison de dire qu'il lui est égal d'être bien ou mal avec cette personne ? La com-paraison est sensible. Celui qui a eu le malheur de tom-ber dans le péché, soit par faiblesse ou surprise, ou même par malice, s'il en a un véritable regret, pourra--t-il rester longtemps dans cet état ? N'aura-t-il pas de suite recours au sacrement de Pénitence ? Mais au con-traire, s'il reste un an dans le péché, et qu'il ne voie même venir le saint temps de Pâques qu'avec peine, parce qu'il faut se confesser ; si, bien loin de venir se présenter au tribunal de la pénitence au commencement du Carême, afin d'avoir quelque temps pour faire péni-tence, et ne point passer, de suite, du péché à la table sainte ; s'il ne veut entendre parler qu'à Pâques de la confession, que même il tâche de retarder jusqu'à la quinzaine, où il viendra se présenter avec les mêmes dispositions qu'un criminel que l'on conduit à la mort que signifie cela, mon ami ? Le voici : c'est que, si les pâques étaient prolongées jusqu'à la Pentecôte, vous ne vous confesseriez qu'à la Pentecôte, ou que si elles ne venaient que tous les dix ans, vous ne vous confesseriez que tous les dix ans ; et enfin, que si l'Église ne vous en faisait pas un commandement, vous ne vous confes-seriez qu'à la mort. Qu'en pensez-vous, mon frère ? N'est-ce pas, mon ami, que ce n'est ni le regret d'avoir offensé Dieu qui vous fait vous confesser, ni l'amour de Dieu qui vous fait faire vos pâques ? – Ah ! me direz-vous, c'est bien quelque chose, nous ne les faisons pas sans savoir pourquoi. – Ah ! vous n'en savez rien du tout ; vous les faites par habitude, pour dire que vous avez fait vos pâques, ou, si vous vouliez dire la vérité, vous diriez que vous avez ajouté à vos anciens péchés un péché nouveau. Ce n'est donc ni l'amour de Dieu, ni le regret de l'avoir offensé, qui vous fait confesser et faire vos pâques, ni même le désir de mener une vie plus chrétienne. En voici la preuve : si vous aimiez le bon Dieu, pourriez-vous consentir à commettre le péché avec tant de facilité, et même avec tant de plaisir ? Si vous aviez horreur du péché, comme vous devriez l'avoir, pourriez-vous le garder un an entier sur votre conscience ? Si vous aviez un vrai désir de mener une vie plus chrétienne, ne verrait-on pas au moins quelque petit changement dans votre manière de vivre ? Non, M.F., je ne veux pas vous parler aujourd'hui de ces malheureux qui ne disent que la moitié de leurs péchés, crainte de ne pas faire leurs pâques ou d'être renvoyés ; peut-être même pour couvrir leur vie honteuse du voile de la vertu ; et qui, dans cet état, s'approchent de la table sainte et vont consommer leur réprobation, livrer leur Dieu au démon, et vomir leur maudite âme en enfer.
Non, j'ose espérer que cela ne vous regarde pas ; mais cependant je continuerai à vous dire que les confessions d'un an n'ont rien qui puisse vous tranquilliser. – Mais, me direz-vous, que faut-il faire afin qu'une confession soit bonne ? – Vous le voulez savoir, mon ami, le voici ; écoutez-le bien, et vous verrez si vous êtes en sûreté. Pour que votre confession mérite le pardon, il faut qu'elle soit humble et sincère, accompagnée d'une véri-table douleur causée par le regret d'avoir offensé Dieu, et non à cause des châtiments que le péché mérite, avec un ferme propos de ne plus pécher à l'avenir. D'après cela, je dis qu'il est très difficile que toutes ces dispo-sitions se trouvent dans ceux qui ne se confessent qu'une fois l'année : vous allez le voir. Qu'est-ce qu'un chrétien aux pieds du prêtre auquel il fait l'aveu de ses péchés ? C'est un pécheur qui vient avec la douleur dans le cœur, et se jette aux pieds de son Dieu comme un criminel devant son juge, pour s'accuser lui-même afin de demander sa grâce. Comment s'accusera-t-il ? Le voici : Je suis un criminel indigne d'être appelé enfant ; j'ai vécu jusqu'à présent d'une manière tout opposée à ce que ma religion me commandait ; je n'ai eu que du dégoût pour tout ce qui avait rapport au service de Dieu ; les saints jours de dimanche et de fête n'ont été pour moi que des jours de plaisirs et de débauches : ou, pour mieux dire, je n'ai rien fait jusqu'à présent ; je suis perdu et damné si Dieu n'a pas pitié de moi. Voilà, M.F., les sentiments d'un chrétien qui a le péché en horreur.
Mais, dites-moi, est-ce de cette manière que s'accusent ceux qui trouvent que ce n'est pas assez de rester douze mois dans le péché, qui trouvent que les pâques vien-nent toujours trop tôt ? Hélas ! mon Dieu, vous voyez ces confessions d'un an que font ces pauvres malheu-reux, qui ne les font qu'avec un dégoût mortel. Oh ! non, non, mon ami, ce n'est plus un criminel couvert de honte et pénétré de douleur d'avoir offensé Dieu, qui s'humilie, qui s'accuse lui-même, qui demande un par-don dont il se reconnaît infiniment indigne ; mais, hélas ! oserai-je bien le dire ? c'est un homme qui semble ra-conter une histoire et qui la raconte mal, qui tâche de se défigurer et de paraître le moins coupable qu'il peut. Écoutez-le : ce n'est pas lui qui a commis ce péché d'im-pureté, c'est un autre qui l'a sollicité, comme s'il n'avait pas été maître de ne pas suivre son conseil. Ce n'est pas lui qui s'est mis en colère, c'est son voisin qui lui a dit une parole piquante. II a manqué la messe, c'est vrai ; mais c'est la compagnie qui en est la cause. C'est une fois qu'il fit gras, un jour défendu ; si on ne l'avait sollicité il ne l'aurait pas fait. Il a mal parlé, c'est celui qui s'est trouvé auprès de lui qui l'a fait pécher. Disons mieux le mari accuse la femme, la femme le mari ; le frère, la sœur, et la sœur, le frère ; le maître, le domestique, et le domestique tâche, autant qu'il peut, de se décharger dessus son maître. En disant leur confiteor, ils s'accusent eux-mêmes, en disant : C'est par ma faute ; deux minutes après, ils s'excusent et accusent les autres. Point d'hu-milité, point de sincérité et point de douleur : voilà pré-cisément les dispositions de ceux qui ne se confessent que tous les ans. Un pauvre pasteur verra bien à la manière dont ils s'accusent, qu'ils n'ont nullement les dispositions nécessaires pour recevoir l'absolution. Veut--il leur donner quelque temps pour ne pas leur faire faire un sacrilège, que font-ils ? Écoutez-les : ils murmurent en disant qu'ils n'ont pas le temps de revenir et qu'une autre fois ils ne seront pas mieux disposés ; et ils finis-sent pour vous dire que si l'on ne veut pas les recevoir, ils iront à un autre qui ne sera pas si scrupuleux, qui les passera bien... Comme si Dieu ne pouvait pas vivre sans eux ! Pauvres aveugles !... Jugez d'après cela quelles sont leurs dispositions. Le prêtre voit bien à la manière dont ils s'accusent, qu'ils ne disent pas tout ; il est obligé de leur faire mille questions ; ils ne disent ni le nombre, ni les circonstances qui changent l'espèce. II y a certains péchés qu'ils ne voudraient pas dire, ni les cacher. Que font-ils ? Ils les disent à moitié, comme si le prêtre pouvait savoir ce qui se passe dans leur cœur. L'on se contente de raconter en gros les péchés, sans même distinguer les pensées d'avec les désirs. Le prêtre lui dira : N'avez-vous jamais eu des pensées d'orgueil, de vanité, de vengeance ou d'impureté ? Vous savez bien que toutes ces choses sont des péchés mortels quand on s'y arrête volontairement. Avez-vous commis quelques -unes de ces fautes ? – Peut-être bien, dira-t-il, mais je ne m'en souviens pas. – Mais il faut dire à peu près le nombre, sans quoi vos confessions ne valent rien. -Ah ! monsieur, comment voulez-vous que je me rappelle toutes les pensées que j'ai eues pendant l'année ? cela m'est impossible. – Ah ! mon Dieu, que de confessions, ou plutôt que de sacrilèges !... Non, M.F., presque jamais l'on ne s'accuse des circonstances qui aggravent le péché et qui peuvent rendre le péché mortel. Écoutez comment l'on s'accuse : je me suis enivré, j'ai calomnié mon prochain, j'ai commis le péché contre la sainte vertu de pureté, je me suis disputé, je me suis vengé ; si le confesseur ne fait point de question, il n'y a rien de plus. – Mais, lui dira le confesseur, combien de fois cela vous est-il arrivé ? Avez-vous commis de ces péchés dans l'église ? Est-ce un saint jour de dimanche  ? Est--ce en présence de vos enfants, de vos domestiques ? Y avait-il bien du monde ? La réputation de votre prochain en a-t-elle souffert quelque dommage ? Ces pensées d'or-gueil vous sont-elles venues dans l'église, pendant la sainte Messe ? Vous y êtes-vous arrêté longtemps ? Ces pensées contraires à la sainte vertu de pureté, ont-elles été accompagnées de mauvais désirs ? Cet autre péché, est-ce par surprise ou par malice ? N'avez-vous pas ajouté péché sur péché, dans la pensée qu'il ne vous en coûterait pas plus de vous confesser de beaucoup que de peu ? Il y en a qui ne se contentent pas de ne faire au-cun détail de leurs péchés, ils vous disent qu'ils n'ont rien à se reprocher, qu'ils n'ont pas le temps, qu'il faut qu'ils s'en aillent. Vous n'avez pas le temps, mon ami, eh bien ! allez vous-en. De vous en aller, ou de demeurer, l'un vaut autant que l'autre.
O mon Dieu ! quelles dispositions ! O mon Dieu ! sont--ce là des pécheurs qui viennent pour pleurer leurs péchés ? Il faut cependant convenir qu'il y en a qui font tout ce qu'ils peuvent pour bien s'examiner, et qui disent leurs péchés autant qu'ils peuvent ; mais, avec une telle indifférence, une telle froideur, et une si grande insensibilité que cela déchire le cœur d'un pau-vre prêtre. Point de soupirs, point de gémissements, point de larmes ! pas un seul signe qui annonce la dou-leur que leur donnent leurs péchés ! Il faut que le prêtre, pour leur donner l'absolution, soit persuadé qu'ils ont de meilleures dispositions qu'ils ne le montrent. Je sais bien que les larmes et les soupirs ne sont pas des marques infaillibles de contrition ni de conversion. Il n'arrive que trop souvent qu'il y en a qui pleurent leurs péchés au tribunal de la pénitence, et qui ne sont pas plus chrétiens. Mais aussi il est bien difficile de raconter avec tant de froideur et d'indifférence ce qui doit néces-sairement nous attrister et exciter nos larmes. Si un homme était sûr de recevoir sa grâce en faisant l'aveu de ses crimes, je vous laisse à penser s'il pourrait même les déclarer sans faire couler ses larmes, dans l'espé-rance que son extérieur touchera le cœur de son juge, qui lui accordera son pardon. Voyez un malade, quand il découvre ses plaies à son médecin, de suite vous entendez ses soupirs et vous voyez ses larmes qui cou-lent. Voyez un ami qui vous fera le récit de ses peines ses gestes, son ton de voix, sa manière de s'exprimer, tout en lui vous dépeint son chagrin et sa douleur. Pourquoi est-ce, M.F., que rien de tout cela ne paraît quand nous accusons nos péchés ? N'est-ce pas, mon ami, vous n'en savez rien ? Souvent vous en êtes étonné. Eh bien ! je vais vous l'apprendre : c'est que votre cœur n'est pas plus touché que vos paroles, et que votre inté-rieur est semblable à votre extérieur, que vos péchés ne vous donnent pas plus de douleur que vous n'en faites paraître. Cela est bien facile à concevoir, puisque, après vos pâques, vous êtes si peu chrétien, et que vous n'êtes ni plus sage, ni moins pécheur qu'auparavant.

III. – Nous avons dit que le regret d'avoir offensé Dieu, s'il est véritable, doit nécessairement renfermer une volonté sincère de ne plus pécher ; que si cette volonté est sincère, elle nous portera à nous tenir sur nos gar-des ; à regretter toutes ces mauvaises pensées, soit de vengeance, soit d'impureté, aussitôt que nous les aper-cevons ; à fuir les occasions qui nous avaient portés au péché ; ou bien à ne rien négliger pour nous corriger de nos mauvaises habitudes. Eh bien ! mon ami, votre volonté de ne plus offenser le bon Dieu n'a donc pas été sincère, puisque l'on vous a vu dans les cabarets et que l'on vous y voit encore ; l'on vous a trouvé dans cette compagnie où vous avez commis ce péché et que vous y paraissez encore aujourd'hui. Vous conviendrez avec moi que vous n'avez fait aucun effort pour mieux vivre que vous n'aviez fait pendant l'année. Pourquoi cela, mon ami ? Pourquoi ? Le voici : c'est que vous ne désirez nullement de vous corriger, que votre confession n'a été que mensonge et votre contrition un fantôme de péni-tence.
En voulez-vous une seconde preuve ? La voici. De quoi vous accusiez-vous l'année passée ? D'ivrognerie, d'im-pureté, d'orgueil, de colère, de négligence dans le ser-vice de Dieu ? Et de quoi vous accusez-vous cette année ? De la même chose. Et de quoi vous accuserez-vous l'année prochaine si vous êtes en vie ? Encore de la même chose. Pourquoi cela, M.F. ? C'est que vous ne désirez nullement de mener une vie plus chrétienne ; mais vous vous confessez seulement par manière d'ac-quit et pour dire que vous avez fait vos pâques ; ou, si vous disiez la vérité, vous diriez que vous vous confes-sez chaque année pour ajouter un nouveau péché à vos anciens : alors, disant cela, vous diriez ce que vous faites. Vous ne voyez donc pas que c'est le démon qui vous trompe. S'il vous proposait de tout abandonner, à vous qui avez l'habitude de vous confesser tous les ans, vous auriez horreur de cela, vous ne voudriez pas le croire. Mais pour vous avoir un jour, il se contente de -vous tenir toujours dans vos mauvaises habitudes. Doutez-vous de ce que je vous dis ? Examinez votre con-duite et voyez si vous vous êtes corrigés de quelques péchés depuis tant d'années que vous vous confessez tous les ans ; ou, si je disais mieux, chaque année vous enfonce plus profond dans les abîmes.
Mais, me direz-vous, tout cela n'est pas trop enga-geant à nous faire faire nos pâques. – C'est bien ; mais pourquoi vous tromper ? Il y a déjà bien assez du démon qui vous trompe, sans me mettre encore avec lui. Je -vous dis la vérité telle quelle est ; ensuite vous en ferez ce que vous voudrez. Je me comporte envers vous. comme un médecin au milieu d'un grand nombre de malades : il commence à leur proposer à chacun les remèdes convenables pour rétablir leur santé ; ceux qui méprisent ces remèdes, il les laisse de côté ; mais ceux qui veulent les prendre, ils les instruit de la manière de les prendre, il leur dit le grand bien qu'ils leur feront s'ils les reçoivent avec toutes les préparations qu'il leur indiquera, et en même temps le mal que ces remèdes, leur feront s'ils ne font pas tout ce qu'il ordonne avant de s'en servir. Oui, M.F., je fais la même chose, je vous fais considérer combien sont grands les avantages que nous promettent les sacrements ; ou, pour mieux dire, que si nous ne fréquentons pas les sacrements, jamais nous ne verrons la face de Dieu, et nous sommes sûrs d'être damnés. Pour ceux qui, soit par ignorance, soit par impiété, méprisent ces remèdes salutaires, seuls capables de les réconcilier avec le bon Dieu, je fais comme ce médecin qui laisse de côté ceux qui ne veu-lent pas de ses remèdes. Mais à ceux qui témoignent le désir de les prendre, il faut absolument leur faire con-naître les dispositions qu'il faut y apporter. Je pense, M.F., que peut-être tout ce que je viens de vous dire vous donnera quelque inquiétude sur vos confessions passées : je le désire de tout mon cœur, afin qu'étant vivement touchés par la grâce du bon Dieu et par vos remords de conscience, vous preniez les moyens que Dieu vous offre encore aujourd'hui pour sortir du péché.
Mais, me direz-vous, que faut-il faire pour réparer tout cela ? – Voulez-vous le savoir et le faire, mon ami ? Le voici. C'est de recommencer vos confessions, d'aussi loin que vous pouvez juger les avoir faites sans contri-tion ; vous vous accuserez du nombre de confessions et de communions : et vous direz bien si vous avez déguisé quelque péché, si vous avez fait quelques efforts pour ne plus retomber. Il faut, pour que vos confessions puis-sent vous consoler, que chaque confession ait opéré en vous quelque changement ; il faut que vous fassiez comme nous dit l'évangile de Pâques, en parlant de Jésus-Christ, qu'une fois sorti du tombeau, il n'y rentre plus  ; de même, vous étant confessés de vos péchés, vous ne devez plus les recommettre. Il faut que vous fassiez naître dans votre cœur, la douceur, la bonté et la charité, à la place de cette colère, de cet air de mépris que vous faisiez paraître à la moindre injure qu'on vous faisait. Vous manquiez vos prières le matin et le soir, l'on vous voyait les faire sans attention et sans respect ; maintenant si vous êtes véritablement sorti du péché, l'on vous verra faire vos prières tous les matins et tous les soirs avec ce respect et cette attention que doit vous inspirer la pensée de la présence de Dieu. Les saints jours de dimanche l'on vous voyait souvent venir à l'église que les offices étaient bien avancés ; mainte-nant, si vous avez bien fait vos pâques, l'on vous verra de bonne heure commencer à vous préparer pour assis-ter saintement à cette grande action. L'on verra cette mère, au lieu de courir de maison en maison, repassant la conduite de l'un et de l'autre, on la verra occupée à son ménage, à instruire ses enfants, ou, pour mieux dire, la vertu paraîtra dans tout ce qu'elle fera. Elle fera comme cette jeune fille, qui, pendant quelque temps, s'était livrée aux plaisirs, même les plus honteux ; mais ayant réfléchi sur l'état affreux où elle se plongeait, et ayant horreur d'elle-même, elle se convertit. Quelque temps après elle rencontra un jeune homme avec lequel elle avait souvent couru dans les plaisirs ; il commença à lui tenir le même langage qu'autrefois. Elle le regarda d'un air de mépris et d'indignation, en se rappelant com-ment ce malheureux avait été cause qu'elle avait offensé le bon Dieu. Tout étonné, il lui dit que sans doute elle ne le connaissait plus. « Ah ! malheureux, je ne t'ai que trop connu ! Je vois bien que tu es toujours le même, enseveli dans la fange du crime ; mais, pour moi, grâce à Dieu, je ne suis plus la même ; j'ai quitté ce maudit péché qui avait tant défiguré ma pauvre âme. Ah ! non, plutôt mille fois mourir que de retomber dans mes anciens péchés ! » O ! beau modèle pour un chrétien qui a eu le malheur de pécher !
Que devons-nous conclure de tout cela ? Le voici, M.F. C'est que si vous voulez ne pas être damnés, vous ne devez pas vous contenter de vous confesser une fois l'année ; parce que, à chaque fois que vous seriez en état de péché vous courriez risque d'y périr et d'être perdus pour une éternité. C'est que si vous aviez été assez malheureux d'avoir caché quelque péché par crainte ou par honte, ou, que vous les ayez confessés sans contrition, sans désir de vous en corriger ; ou même, si depuis tant d'années que vous vous confessez, vous n'avez connu aucun changement dans votre vie concluez de là que toutes vos confessions ne valent rien, et par conséquent n'ont été que des sacrilèges et des abominations qui vous jetteront en enfer. Pour ceux qui ne font point de pâques, je n'ai rien à leur dire ; puisqu'ils veulent absolument se damner, ils en sont les maîtres. Pleurons leur malheur, prions pour eux : la charité que nous devons avoir les uns pour les autres nous y oblige. Demandons à Dieu de ne pas tom-ber dans un tel aveuglement ! Résistons courageuse-ment au monde et au démon ! Soupirons sans cesse après notre véritable patrie qui est le ciel, notre gloire, notre récompense et notre félicité. C'est ce que je vous souhaite...
 

2ème Dimanche après Pâques
Sur la Persévérance
 

Qui autem perseveraverit usque in finem, hic salvus erit.
Celui qui persévérera jusqu'à la fin, sera sauvé.
(S.Matth., x, 22.)

Celui, nous dit le Sauveur du monde, qui combattra et qui persévérera jusqu'à la fin de ses jours, sans avoir -été vaincu, ou qui, étant tombé, s'est relevé et persé-vère, sera couronné, c'est-à-dire sauvé : paroles, M.F., qui devraient nous faire trembler et nous glacer d'effroi, si nous considérons d'un côté les dangers auxquels nous sommes exposés, et de l'autre, notre faiblesse et le nombre des ennemis qui nous environnent ; ne soyons pas étonnés si les plus grands saints ont quitté leurs parents et leurs amis, leurs biens et leurs plaisirs, pour aller les uns s'enfoncer dans les forêts, les autres pleurer entre des rochers ; enfin d'autres s'en-fermer entre quatre murs pour y pleurer le reste de leurs jours, pour être plus libres et débarrassés de -tous les tracas du monde, et n'être occupés qu'à com-battre les ennemis de leur salut, bien convaincus que le ciel ne serait accordé qu'à leur persévérance. – Mais, me direz-vous, qu'est-ce que c'est que persévérer ? – Mon ami, le voici. C'est être prêt à tout sacrifier : ses biens, sa volonté, sa liberté et sa vie même, plutôt que de déplaire à Dieu. – Mais, me direz-vous encore, qu'est--ce que c'est que de ne pas persévérer ? – Le voici. C'est de retomber dans les péchés que nous avons déjà con-fessés, de suivre les mauvaises compagnies qui nous ont portés au péché qui est le plus grand de tous les malheurs, puisque nous y avons perdu notre Dieu ; nous avons tourné contre nous toute sa colère, nous arrachons notre âme du ciel, nous la traînons en enfer. Plût à Dieu que les chrétiens qui ont le bonheur de se réconcilier avec Dieu par le sacrement de Pénitence, le comprissent bien ! Et pour vous en donner une idée, je vais vous montrer les moyens que vous devez pren-dre pour persévérer dans la grâce que vous avez reçue dans le saint temps de Pâques. J'en trouve cinq prin-cipaux qui sont : la fidélité à suivre les mouvements de la grâce de Dieu, la fuite des mauvaises compagnies, la prière, la fréquentation des sacrements et enfin la mortification.
C'est vraiment aujourd'hui que vous pourrez dire que tout ce que vous allez entendre ne vous regarde pas, du moins un bon tiers. Moi, vous parler de la persévé-rance ! mais je suis donc un faux pasteur, je ne viens donc travailler qu'à votre perte ! II faudra que le démon se serve de moi pour accélérer votre réprobation ! je vais donc faire tout le contraire de ce que le bon Dieu m'a commandé de faire : il ne m'envoie au milieu de vous que pour vous sauver, et mon occupation serait donc de vous conduire dans les abîmes ! Moi, être le cruel bourreau de vos pauvres âmes ! Mon Dieu ! quel malheur ! Moi, vous parler de la persévérance ! mais ce langage ne convient qu'à ceux qui ont quitté le péché pour tout de bon, qui sont dans, la résolution de perdre mille vies, plutôt que de recommettre le péché ; mais dire à un pécheur de persévérer dans ses désordres. O mon Dieu ! ne serais-je pas la plus malheureuse créature que la terre ait jamais portée ? Non, non, ce n'est pas le langage que je devrais tenir. Ah ! plutôt, cesse, mon ami ; ah ! cesse de persévérer dans ton état déplorable, sans quoi tu es damné. Moi, dire à cet homme qui depuis nombre d'années ne fait point de pâques ou qui les fait mal, de persévérer ! Non, non, mon ami, si tu persévères, tu es perdu, jamais de ciel pour toi ! Moi, dire à cette personne qui se contente de faire ses pâques de persévérer ; mais ne serait-ce pas lui mettre un bandeau devant les yeux et la traîner en enfer ? Moi, dire à ces pères et mères qui font leurs pâques, et qui lâchent la bride à leurs enfants, de per-sévérer ! Ah ! non, non, je ne veux pas être le bourreau de leur pauvre âme. Moi, dire de persévérer à ces jeunes filles qui ont fait leurs pâques avec la pensée et le désir de retourner dans les danses et les plaisirs ! Oh ! malheur à moi ! ô horreur ! ô abomination ! ô chaîne de crimes et de sacrilèges ! Moi, dire de persévérer à ces personnes qui fréquentent cinq ou six fois les sacrements par année, qui ne font paraître aucun chan-gement dans leur manière de vivre : mêmes murmures dans leurs peines, mêmes emportements, même ava-rice, même dureté envers les pauvres ; toujours aussi empressés à calomnier et à noircir la réputation de leur prochain... O mon Dieu ! que de chrétiens aveu-gles et vendus à l'iniquité ! Moi, dire de persévérer à ces personnes qui, sans se gêner, ou par respect hu-main, mangent de la viande les jours défendus et qui travaillent sans scrupule le saint jour du dimanche ! O mon Dieu ! quel malheur ! A qui vais-je m'adresser ? Je n'en sais rien.
Ah ! non, non, M.F., ce n'était pas sur la persévérance dans la grâce que j'aurais dû vous parler aujour-d'hui ! Ah ! plutôt, il aurait fallu vous dépeindre l'état affreux et désespérant d'un pécheur qui n'a point fait de pâques ou qui les a mal faites, et qui persévère dans cet état. Ah ! plût à Dieu qu'il me fût permis de dessiner à vos yeux le désespoir d'un pécheur cité devant le tri-bunal de son juge, dont les mains sont garnies de foudres et d'éclairs, et de vous faire entendre ces torrents de malédiction : « Va, maudit réprouvé, va, pécheur endurci, va pleurer ta vie criminelle et tes sacrilèges. Oh ! ce n'est pas encore assez d'y avoir croupi pendant ta vie... » Il faudrait les traîner jusqu'à la porte de l'enfer, avant que le démon les y précipite pour n'en sortir jamais, et leur faire entendre les cris, les hurle-ments de ces malheureux réprouvés et leur montrer à chacun la place qui leur est désignée. O mon Dieu ! pourraient-ils encore vivre ? Un ciel perdu... Un enfer... une éternité... Ils ont méprisé, profané les souffrances :.. Ah ! que dis-je ? les souffrances, la mort d'un Dieu... Voilà la récompense de la persévérance dans le péché ; oui, voilà le sujet que j'aurais dû traiter aujourd'hui. Mais vous parler de la persévérance, qui suppose une âme qui craint plus le péché que la mort même, qui passe ses jours dans l'amour de son Dieu ; une âme, dis--je, dépouillée de toute affection terrestre, dont les désirs ne sont que pour le ciel... Eh bien, où voulez-vous donc que j'aille ? Où pourrais-je donc la trouver, cette âme ! Ah ! où est-elle ? Où est la terre qui est si heureuse que de la posséder. Hélas ! je n'en ai point trouvée, ou du moins, je n'en trouve presque point. O mon Dieu ! peut--être en voyez-vous quelqu'une que je ne connais pas. Je vais donc parler comme si j'étais sûr qu'il y en eût au moins une ou deux, pour leur montrer les moyens qu'elles doivent employer pour continuer la route heureuse qu'elles ont commencée. Écoutez-moi bien, âmes saintes, si toutefois il s'en trouve parmi ceux qui m'é-coutent, ce que Dieu vous dira par ma bouche.

I. – Je dis donc 1° que le premier moyen de persévérer dans le chemin qui conduit au ciel, c'est d'être fidèle à suivre et à profiter des mouvements de la grâce que Dieu veut bien nous accorder. Tous les saints ne sont redevables de leur bonheur qu'à leur fidélité à suivre les mouvements que l'Esprit-Saint leur a donnés, et les damnés ne peuvent attribuer leur malheur qu'au mépris qu'ils en ont fait. Cela seul peut suffire pour vous en faire sentir tout le prix et la nécessité d'y être fidèles. – Mais, me direz-vous, comment, par quel moyen pouvons-nous connaître que nous correspondons à ce que la grâce veut de nous, ou bien que nous y résistons ? – Si vous ne savez pas, écoutez-moi un instant, et vous en connaî-trez le plus essentiel. Je dis d'abord que la grâce, c'est une pensée qui nous fait sentir la nécessité d'éviter le mal et de faire le bien. Entrons dans quelques détails familiers pour mieux vous le faire comprendre, et vous verrez quand vous y résistez ou quand vous y êtes fidèles. Le matin, en vous éveillant, le bon Dieu vous suggère la pensée de lui donner votre cœur, de lui offrir votre travail, de faire votre prière de suite et à genoux si vous le faites de suite, de bon cœur, vous suivrez le mouvement de la grâce ; et, si vous ne le faites pas, ou bien si vous le faites mal, vous ne le suivez pas. Vous vous sentez, tout à coup, le désir d'aller vous confesser et de vous corriger de vos défauts, de ne pas rester comme vous êtes ; vous pensez que si vous veniez à mourir vous seriez damnés. Si vous suivez ces bonnes inspirations que le bon Dieu vous donne, vous êtes fidèles à la grâce. Mais vous laissez passer cela sans rien faire... ; vous avez la pensée de faire quelque aumône, quelque pénitence, d'aller à la messe les jours ouvriers, d'y envoyer vos domestiques ; vous ne le faites pas. Voilà, M.F., ce que c'est que suivre la grâce ou y résister. Tout ceci, c'est ce que l'on appelle des grâces intérieures. Pour celles qui sont appelées grâces exté-rieures, c'est, par exemple, une bonne lecture, une conversation que vous aurez eue avec quelques personnes sages, qui vous font sentir la nécessité de changer de vie, de mieux servir le bon Dieu, le regret que vous aurez à l'heure de la mort ; c'est un bon exemple que vous aurez devant les yeux, qui semble vous tourmenter de vous convertir ; c'est enfin une instruction qui vous apprend les moyens qu'il faut prendre pour servir Dieu et remplir vos devoirs envers lui, envers vous-mêmes et envers votre prochain. Votre salut ou votre damnation en dépend, faites-y bien attention. Les saints ne se sont sanctifiés que par leur grande attention à suivre toutes les bonnes inspirations que le bon Dieu leur envoyait, et les damnés ne sont tombés en enfer que parce qu'ils les ont méprisées ; vous allez en voir la preuve.
Nous voyons dans l'Évangile que toutes les conver-sions que Jésus-Christ a opérées pendant sa vie ont été appuyées sur la persévérance. Comment savons-nous, M.F., que saint Pierre a été converti ? Il est bien dit que Jésus-Christ le regarda, que saint Pierre pleura son péché , mais qui nous assure sa conversion, sinon qu'il a persévéré dans la grâce, et qu'il n'a plus péché ? Comment est-ce que saint Matthieu a été converti ? Nous savons bien que Jésus-Christ, l'ayant vu dans son bu-reau, lui dit de le suivre, et qu'il le suivit , mais ce qui nous assure que sa conversion a été véritable, c'est qu'il ne rentra plus dans ce bureau, qu'il ne commit plus d'injustice ; c'est qu'après avoir commencé à suivre Jésus-Christ, il ne le quitta plus. La persévérance dans la grâce, le renoncement pour toujours au péché, furent les marques très certaines de sa conversion. Oui, M.F., quand vous auriez vécu vingt ou trente ans dans la vertu et dans la pénitence, si vous ne persévérez pas, tout est perdu pour vous. Oui, dit un saint évêque à son peuple, quand vous auriez donné tout votre bien aux pauvres, quand vous auriez déchiré votre corps, quand vous l'au-riez mis tout en sang, quand, à vous seul, vous auriez souffert autant que tous les martyrs ensemble, quand vous auriez été écorché comme un saint Barthélemy, scié entre deux planches comme un prophète Isaïe, brûlé à petit feu comme un saint Laurent, si, par malheur, vous manquez de persévérance, c'est-à-dire, si vous retombez dans le péché que vous avez déjà confessé, tout est perdu pour vous si la mort vous surprend dans cet état. Qui de nous sera sauvé ? Est-ce celui qui aura combattu qua-rante ou soixante ans ? Non, M.F. Est-ce celui qui aura blanchi ses cheveux dans le service de Dieu ? Non, M.F., s'il manque de persévérance : tel qu'un Salomon, dont l'Esprit-Saint, parlant de lui, dit qu'il est le plus sage des rois de la terre  ; il semblait être parfaitement assuré de son salut, et cependant, il nous laisse sur ce point dans une grande incertitude. Saül nous en présente une image encore plus effrayante. Choisi de Dieu même pour ré-gner sur son peuple, comblé de tant de bienfaits, il meurt en réprouvé . « Ah ! malheureux ! nous dit saint Jean Chrysostome, prends garde, après avoir reçu la grâce de ton Dieu, de ne pas la mépriser. Ah ! je tremble quand je considère combien le pécheur retombe facile-ment dans son péché déjà confessé ; comment oserait-il bien redemander son pardon ? Oui, M.F., il vous suffirait, avec le secours de la grâce, pour ne jamais retomber dans le péché, de comparer l'é-tat malheureux où le péché vous avait réduits avec celui où la grâce vous a mis. Oui, M.F., une âme, qui retombe dans le péché, livre son Dieu au démon, lui sert de bourreau, et le crucifie sur la croix de son cœur ; arrache son âme d'entre les mains de son Dieu, la traîne en enfer, la livre à toute la fureur et à la rage des démons, lui ferme le ciel, et tourne à sa condamna-tion toutes les souffrances de son Dieu. Ah ! mon Dieu, qui pourrait recommettre le péché, si l'on faisait toutes ces réflexions ? Écoutez, M.F., ces terribles paroles du Sauveur : « Celui qui aura combattu jusqu'à la fin sera sauvé. » D'après cela, M.F., tremblons, nous qui tom-bons à chaque instant. Jamais de ciel, si nous ne sommes pas plus fermes que nous n'avons été jusqu'à présent ; mais ce n'est pas encore tout. Vos confessions sont-elles bien faites ? Car vous pouvez persévérer dans la pratique de la vertu et être damnés . Avez-vous pris toutes les précautions que vous deviez prendre pour bien faire et confession et communion ? Avez-vous bien examiné votre conscience avant de vous approcher du tribunal de la pénitence ? Avez-vous bien déclaré tous vos péchés, tels que vous les connaissiez, sans dire, peut-être, que ce n'est pas mal fait, que ce n'est rien, ou : je le dirai une autre fois ? Avez-vous cette véritable contrition de vos péchés ? L'avez-vous bien demandée à Dieu en sortant du confessionnal ? Auriez-vous préféré la mort plutôt que de recommettre les péchés que vous veniez de confesser ? -Êtes-vous bien dans la résolution ferme de ne plus revoir les personnes avec lesquelles vous avez fait le mal ? Té-moignez-vous au bon Dieu que si vous deviez encore l'offenser, vous aimeriez mieux qu'il vous fasse mourir ? Et cependant quand vous seriez dans toutes ces disposi-tions, tremblez toujours, vivez entre une espèce de dé-sespoir et l'espérance. Vous êtes aujourd'hui dans l'amitié de Dieu, tremblez que, peut-être demain, vous ne soyez dans sa haine et un réprouvé. Écoutez saint Paul, ce vase d'élection, qui avait été choisi de Dieu pour porter son nom devant les princes et les rois de la terre, qui a conduit tant d'âmes à Dieu, dont les yeux se troublaient à chaque instant par l'abondance des larmes qu'il répan-dait ; il s'écriait à tout moment : « Hélas ! je ne cesse de traiter durement mon corps, et de le réduire en servi-tude, crainte qu'après avoir prêché aux autres et montré les moyens d'aller au ciel, je n'en sois moi-même banni et réprouvé . » Dans un autre endroit, il semble avoir un peu plus de confiance ; mais sur quoi est-elle fondée cette confiance ? » « Oui, mon Dieu, s'écrie-t-il, je suis comme une victime prête à être immolée, bientôt mon corps et mon âme seront séparés, je vois bien que je ne vivrai pas longtemps ; mais toute ma confiance est que j'ai toujours suivi les mouvements que la grâce de Dieu m'a donnés. Depuis que j'ai eu le bonheur de me con-vertir, j'ai conduit autant d'âmes à Dieu qu'il m'a été possible, j'ai toujours combattu, j'ai fait une guerre con-tinuelle à mon corps. Ah ! combien de fois j'ai demandé à Dieu la grâce de me défaire de ce misérable corps qui toujours tendait vers le mal  ; enfin grâce à mon Dieu, je vais recevoir « la récompense de celui qui a combattu et persévéré jusqu'à la fin . » O mon Dieu ! qu'il y en a peu qui persévèrent, et par conséquent, qu'il y en a peu de sauvés !
Nous lisons dans la vie de saint Grégoire, qu'une dame romaine lui écrivit pour lui demander le secours de ses prières, afin que Dieu lui fit connaître si ses péchés lui avaient été pardonnés, et si, un jour, elle re-cevrait la récompense de ses bonnes œuvres. « Ah ! disait-elle, je tremble que Dieu ne m'ait pas pardonnée ! – Hélas ! lui dit saint Grégoire, vous me demandez une chose très difficile ; cependant je vous dirait-que vous pouvez espérer que Dieu vous pardonnera et que vous irez au ciel si vous persévérez ; mais, malgré tout ce que vous avez fait, vous serez damnée si vous ne persévérez pas. » Hélas ! combien de fois ne tenons--nous pas le même langage en nous tourmentant pour savoir si nous serons damnés ou sauvés ! Pensées inu-tiles, M.F. ! Écoutons un Moïse qui, étant sur le point de mourir, fit assembler les douze tribus d'Israël : « Vous savez, leur dit-il, que je vous ai tendrement aimés, que je n'ai recherché que votre salut et votre bien ; maintenant que je vais rendre compte à Dieu de toutes mes actions, il faut que je vous avertisse, que je vous presse de ne jamais oublier ceci : servez le Seigneur fidèlement, rappelez-vous tant de grâces dont il vous a comblés ; quoi qu'il vous en coûte, ne vous séparez jamais de lui. Vous aurez des ennemis qui vous persécuteront, et qui feront ce qu'ils pourront pour vous le faire abandonner ; mais prenez courage, vous êtes sûrs de les vaincre si vous êtes fidèles à Dieu . »
Hélas ! M.F., les grâces que le bon Dieu nous accorde sont encore bien plus nombreuses et les ennemis qui nous environnent sont bien plus puissants. Je dis : les grâces, parce qu'ils n'avaient reçu que quelques biens temporels et la manne ; et nous, qui avons eu le bon-heur de recevoir le pardon de nos péchés, d'arracher notre âme de l'enfer et d'être nourris, non d'une manne, mais du corps et du sang adorable de Jésus-Christ !... O mon Dieu ! quel bonheur ! Il ne faut donc pas retour-ner travailler continuellement à nous faire perdre ce trésor. O combien peu qui persévèrent, parce qu'ils craignent le combat !
Nous lisons dans l'histoire qu'un saint prêtre rencon-tra un jour un chrétien, qui était dans une appréhension continuelle de succomber à la tentation. « Pourquoi crai-gnez-vous ? lui dit le prêtre. – Hélas ! mon père, lui dit-il, je crains d'être tenté, de succomber et de périr. Ah ! s'écrie-t-il en pleurant, n'ai-je pas lieu de trembler, si tant de millions d'anges ont succombé dans le ciel, si Adam et Ève ont été vaincus dans le paradis terrestre, si Salomon, qui a passé pour le plus sage des rois, et qui était parvenu jusqu'au plus haut degré de perfection, a souillé ses cheveux blancs par les crimes les plus hon-teux et les plus déshonorants ; si cet homme, après avoir fait l'admiration du monde, en est devenu l'horreur et l'opprobre ; quand je considère un Judas, qui succomba en compagnie de Jésus-Christ même ; si tant de brillantes lumières se sont éteintes, que dois-je penser de moi--même, qui ne suis que péché ? Qui pourrait compter le nombre d'âmes qui sont en enfer, et qui, sans la tenta-tion, seraient dans le ciel ? O mon Dieu ! s'écriait-il, qui est celui qui tremble et qui pourra espérer persé-vérer ? – Mais, mon ami, lui dit le saint prêtre, ne savez-vous pas ce que nous dit saint Augustin, que le démon est comme un gros chien à l'attache, il aboie et fait grand bruit ; mais il ne mord que celui qui s'approche de trop près. Ayez confiance en Dieu, fuyez les occa-sions du péché, et vous ne succomberez pas. Si Eve n'avait pas écouté le démon, si elle avait pris la fuite dès qu'il lui parla de transgresser les commandements de Dieu, elle n'aurait pas succombé. Lorsque vous serez tenté, rejetez de suite les tentations, et, si vous pouvez, faites dévotement le signe de la croix, pensez aux tour-ments qu'endurent les réprouvés pour n'avoir pas su résister à la tentation ; levez les yeux vers le ciel, et vous verrez la récompense de celui qui combat ; appelez votre bon ange à votre secours, jetez-vous promptement entre les bras de la Mère de Dieu, en réclamant sa pro-tection ; vous êtes sûr d'être victorieux de vos ennemis, et vous les verrez bientôt couverts de confusion. »
Si nous succombons, M.F., cela ne vient donc que de ce que nous ne voulons pas prendre les moyens que le bon Dieu nous offre pour combattre. Il faut surtout être bien convaincus que, de nous-mêmes, nous ne pou-vons que nous perdre ; mais qu'avec une grande con-fiance en Dieu, nous pouvons tout. Voyez saint Philippe de Néri, il disait souvent à Dieu : « Hélas ! Seigneur, tenez-moi bien, je suis si mauvais qu'il me semble qu'à chaque instant je vais vous trahir ; je suis si peu de chose, que même lorsque je sors pour faire une bonne œuvre, je me dis en moi-même : Tu sors chrétien, peut--être vas-tu rentrer comme un païen, après avoir renié ton Dieu. » Un jour, se croyant seul dans un désert, il se mit à crier : « Hélas ! je suis perdu, je suis damné ! » Quelqu'un qui l'entendit vint à lui, en lui disant : « Mon ami, est-ce que vous désespérez de la miséricorde de Dieu ? est-ce qu'elle n'est pas infinie ? – Hélas ! lui dit ce grand saint, je ne désespère pas, au contraire, j'espère beaucoup ; mais je dis que je suis perdu et damné si Dieu m'abandonne à moi-même. Quand je considère combien de personnes qui ont persévéré jus-qu'à la fin et qu'une seule tentation a perdues : voilà ce qui me fait trembler nuit et jour, dans la crainte d'être du nombre de ces malheureux. »
Hélas ! M.F., si tous les saints ont tremblé toute leur vie, crainte de ne pas persévérer, que sera-ce donc de nous qui, sans vertu, presque sans confiance en Dieu, de nous-mêmes chargés de péchés, ne sommes nulle-ment attentifs à prendre garde de ne pas nous laisser enfiler dans les pièges que le démon nous tend ; nous qui marchons comme des aveugles au milieu des plus grands dangers, qui dormons tranquillement parmi une foule d'ennemis, les plus acharnés à notre perte ! – Mais, me direz-vous, que faut-il donc faire pour ne pas suc-comber ? – Mon ami, le voici : il faut fuir les occasions qui nous ont fait tomber les autres fois ; avoir sans cesse recours à la prière, et enfin, fréquenter souvent et di-gnement les sacrements, si vous le faites, si vous suivez ce chemin, vous êtes sûr de persévérer ; mais si vous ne prenez ces précautions, vous aurez beau faire et prendre toutes vos mesures, vous ne laisserez pas d'être perdu.

II. – Je dis 2° que vous devez fuir le monde autant que vous le pourrez, parce que son langage et sa ma-nière de vivre sont entièrement opposés à ce que doit faire un bon chrétien, c'est-à-dire une personne qui cherche les moyens les plus sûrs pour aller au ciel. Demandez à Sainte Marie Égyptienne qui quitta le monde et passa sa vie au fond d'un affreux désert ; elle vous dira qu'il est impossible de pouvoir sauver son âme et plaire à Dieu si l'on ne fuit pas le monde ; car partout l'on n'y trouve que pièges et embûches ; et, comme il est opposé à Dieu, il faut absolument le mépriser et le quitter pour jamais. Où avez-vous entendu des mauvaises chansons, les propos les plus infâmes, qui vous donnent une infinité de mauvaises pensées et de mau-vais désirs ? N'est-ce pas dans ce moment où vous vous êtes trouvé dans cette compagnie de libertins ? Qui vous a fait faire des jugements téméraires ? N'est-ce pas en entendant parler du prochain dans la compagnie de ce médisant ? Qui vous a donné l'habitude de faire des regards ou des touchements abominables sur vous ou sur d'autres ? N'est-ce pas depuis que vous avez fréquenté cet impudique ? Quelle est la cause que vous ne fréquen-tez plus les sacrements ? N'est-ce pas depuis que vous allez avec cet impie, qui a tâché de vous faire perdre la foi, en vous disant que tout ce que le prêtre vous disait, c'étaient des bêtises ; que la religion n'était que pour retenir les jeunes gens ; que l'on était des imbéciles d'aller conter à un homme ce qu'on avait fait ; que tous ceux qui sont instruits se moquent de tout cela, c'est-à--dire, jusqu'à la mort ; ensuite ils avoueront qu'ils se sont trompés . Eh bien ! mon ami, sans cette mau-vaise compagnie, auriez-vous eu tous ces doutes ? Non, sans doute. Dites-moi, ma sœur, depuis quel temps est-ce que vous avez tant de goût pour les plaisirs, les danses, les bals, les rendez-vous, les parures mondaines ? N'est-ce pas depuis le moment que vous avez fréquenté cette jeune fille mondaine, qui n'est pas encore con-tente d'avoir perdu sa pauvre âme et qui a perdu la vôtre ? Dites-moi, mon ami, combien y a-t-il de temps que vous fréquentez les cabarets, les jeux ? N'est-ce pas depuis l'instant que vous avez connu ce débauché ? Dites-moi depuis quel temps l'on vous entend vomir toute sorte de jurements et de malédictions ? N'est-ce pas depuis que vous êtes en condition chez ce maître dont la bouche et le gosier crie et n'est qu'un tuyau d'abomination ?
Oui, M.F., au jour du jugement, chaque libertin verra l'autre libertin lui demander son âme, son Dieu et son paradis. Ah ! malheureux, se diront-ils les uns aux autres, rends-moi mon âme que tu m'as perdue, et rends-moi le ciel que tu m'as ravi. Malheureux, où est mon âme ? Arrache-la donc de l'enfer où tu me jettes. Ah ! sans toi, je n'aurais pas commis ce péché qui me damne. Non, non, je ne le connaissais pas. Non, non, jamais je n'aurais eu cette pensée ; ah ! ce beau ciel que tu m'as fait perdre ! Adieu, beau ciel que tu m'as ravi ! Oui, chaque pécheur se jettera sur celui qui lui a donné mauvais exemple, et qui l'a porté le premier au péché. « Ah ! dira-t-il, plût à Dieu que je ne t'aie jamais connu ! Ah ! si du moins j'étais mort avant de te voir, je serais dans l’enfer et jamais je n'irai... Adieu, beau ciel, je t'ai perdu pour bien peu de chose !... » Non, M.F., non, ja-mais vous ne persévérerez dans la vertu si vous ne fuyez les compagnies du monde ; vous aurez beau vouloir vous sauver, vous ne laisserez pas d'être damnés. Ou l'enfer, ou la fuite ; point de milieu. Choisissez lequel des deux vous voulez prendre. Dès qu'une jeune fille ou un jeune homme suit ses plaisirs, fille et jeune homme réprou-vés... Vous aurez beau dire que vous ne faites point de mal, que peut-être je suis scrupuleux. Moi je vous dis que vous en viendrez toujours là, qu'un jour vous serez en enfer, si vous ne changez pas ; non seulement vous le verrez, mais, de plus, vous le sentirez. Tirons le voile, M.F., et passons à un autre sujet.

III. – J'ai dit 3° que la prière est absolument néces-saire pour avoir le bonheur de persévérer dans la grâce de Dieu après l'avoir reçue dans le sacrement de Péni-tence. Avec la prière vous pouvez tout, vous êtes, pour ainsi dire, maîtres des volontés de Dieu, si j'ose parler ainsi ; et, sans la prière, vous n'êtes capables de rien, et cela seul suffit pour vous montrer la nécessité de la prière. Tous les saints ont commencé leur conversion par la prière et ont persévéré par la prière ; et tous les damnés se sont perdus par leur négligence de la prière. Je dis donc que la prière nous est absolument nécessaire pour persévérer ; mais je distingue : non une prière faite en dormant, appuyé sur une chaise, ou couché contre son lit ; non une prière faite en s'habillant et se déshabillant, en marchant ; non une prière faite en poussant son bois au feu, en criant après ses enfants et ses domestiques ; non une prière faîte en tournant son chapeau ou son bonnet par ses mains ; non une prière faite en baisant ses enfants, ou rangeant son mouchoir ou son tablier ; non une prière faite en laissant occuper son esprit par un étranger ; non une prière que nous faisons avec précipitation comme une chose qui ennuie, dont nous ne voyons que le moment de nous dé-barrasser : tout ceci n'est plus une prière, mais une insulte que nous faisons à Dieu. Bien loin d'y trouver les moyens de nous garantir de tomber dans le péché, cette prière elle-même nous est un sujet de chute ; parce que, au lieu d'y trouver un nouveau degré de grâce ! Dieu nous retire celle qu'il nous avait donnée, pour punir le mépris que nous faisons de sa présence. Au lieu d'affaiblir nos ennemis, nous les fortifions ; au lieu de leur arracher les armes qu'ils avaient pour nous com-battre, nous leur en donnons de nouvelles ; au lieu de fléchir la justice de Dieu, nous l'irritons davantage ! Voilà, M.F., le profit que nous faisons et que nous retirons de nos prières.
Mais la prière dont je vous parle, qui est si puissante auprès de Dieu, qui nous attire tant de grâces, qui semble même lier la volonté de Dieu, qui semble, pour ainsi dire, le forcer à nous accorder ce que nous lui demandons, c'est une prière faite dans une espèce de désespoir et d'espérance. Je dis désespoir, considérant notre indignité et le mépris que nous avons fait de Dieu et de ses grâces, nous reconnaissant indignes de paraître devant lui et d'oser lui demander notre grâce, nous qui l'avons tant de fois déjà reçue, et l'avons toujours payé d'ingratitude, ce qui doit nous porter, à chaque instant de notre vie, à croire que la terre va s'ouvrir sous nos pieds, que toutes les foudres du ciel sont prêtes à nous frapper, et que toutes les créatures crient vengeance à la vue des outrages que nous avons faits à leur Créa-teur ; là, tout tremblant devant lui, nous attendons si Dieu lancera sa foudre pour nous écraser ou s'il voudra bien nous pardonner encore une fois. Le cœur brisé de regret d'avoir offensé un Dieu si bon, nous laissons couler nos larmes de repentir et de reconnaissance ; notre cœur et notre esprit sont tout abîmés dans la pro-fondeur de notre néant et de la grandeur de celui que nous avons outragé et qui nous laisse encore l'espérance de notre grâce. Bien loin de regarder le temps de la prière comme un moment perdu, nous le regardons comme le plus heureux et le plus précieux de notre vie, parce qu'un chrétien pécheur ne doit avoir d'autres occupations dans ce monde que de pleurer ses péché aux pieds de son Dieu ; bien loin de faire passer ses affaires temporelles les premières et de les préférer à celles de son salut, il les regarde comme des riens ou plutôt comme des obstacles à son salut, il n'y donne des soins et de l'attention qu'autant que Dieu le lui com-mande, bien convaincu que s'il ne les fait pas, d'autres les feront ; mais que, s'il n'a pas le bonheur d'obtenir sa grâce et de se rendre Dieu favorable, tout est perdu pour lui, personne ne le fera pour lui. Il ne quitte la prière qu'avec la plus grande peine, les moments où il est en la présence de Dieu ne sont rien ou plutôt passent comme un éclair ; si son corps quitte la présence de Dieu, son cœur et son esprit y sont toujours. Pendant sa prière, il n'est plus question ni de travail, ni de se cou-cher sur une chaise ou contre son lit...
Je dis qu'un chrétien doit être entre le désespoir et l'espérance. Je dis l'espérance, en se représentant la grandeur de la miséricorde de Dieu, le désir qu'il a de nous rendre heureux, ce qu'il a fait pour nous mériter le ciel. Animés par une pensée si consolante, nous nous adresserons à lui avec une grande confiance ; nous dirons comme saint Bernard : « Mon Dieu, ce que je vous demande je ne l'ai pas mérité, mais vous l'avez mérité pour moi. Si vous m'accordez, ce n'est que parce que vous êtes bon et miséricordieux. » Dans ces senti-ments, que fait un chrétien ? Le voici. Pénétré de la plus vive reconnaissance, il prend la plus ferme résolution de ne plus outrager son Dieu, qui vient de lui accorder sa grâce. Voilà, M.F., la prière dont je veux parler, qui nous est absolument nécessaire pour avoir notre pardon et le don précieux de la persévérance.

IV. – En quatrième lieu, nous avons dit que nous devons joindre la fréquentation des sacrements pour avoir le bonheur de conserver la grâce de Dieu. Un chrétien qui fait un saint usage de la prière et des sacrements, est aussi redoutable au démon qu'un dragon monté sur un coursier, les yeux étincelants, armé de sa cuirasse, de son sabre et de ses pistolets, en présence de son ennemi sans armes : sa seule présence le ren-verse de front et le met en fuite. Mais, qu'il descende de son cheval et qu'il quitte ses armes : de suite son ennemi lui tombe dessus, le foule sous ses pieds et s'en rend maître ; tandis que, muni de ses armes, sa seule présence semblait anéantir cet ennemi. Image sensible d'un chrétien qui est muni des armes de la prière et des sacrements. Non, non, un chrétien qui prie, et qui fré-quente les sacrements avec les dispositions nécessaires, est plus redoutable au démon que ce dragon dont je viens de vous parler. Qu'est-ce qui rendait saint Antoine si terrible aux puissances de l'enfer, sinon la prière ? Écoutez le langage que le démon lui tenait un jour, lui disant : pourquoi il le faisait tant souffrir, qu'il était son plus cruel ennemi. « Ah ! que vous êtes peu de chose, lui dit saint Antoine moi qui ne suis qu'un pauvre solitaire qui ne peux me tenir sur mes pieds, d'un seul signe de croix je vous mets en fuite. » Voyez encore ce que le démon dit à sainte Thérèse, que par le grand amour qu'elle avait pour Dieu, par la fréquentation des sacrements, il ne pouvait pas même respirer là où elle avait passé. Pourquoi ? C'est que les sacrements nous donnent tant de force pour persévérer dans la grâce de Dieu, que jamais l'on n'a vu un saint s'éloigner des sacrements et persévérer dans l'amitié de Dieu ; et que dans les sacrements, ils ont trouvé toutes les forces pour ne pas se laisser vaincre au démon : en voici la raison. Quand nous prions, Dieu nous donne des amis, il nous envoie tantôt un saint ou un ange pour nous consoler ; comme il fit à Agar, la servante d'Abraham , au chaste Joseph lorsqu'il était dans sa prison ; de même à saint Pierre... ; il nous fait sentir avec plus d'abon-dance ses grâces pour nous fortifier et nous encourager. Mais dans les sacrements, c'est non un saint ou un ange, c'est lui-même qui vient avec ses foudres pour anéantir notre ennemi. Le démon, le voyant, dans notre cœur, se précipite comme un désespéré dans les abîmes  ; voilà précisément pourquoi le démon fait tout ce qu'il peut pour nous en éloigner et nous les faire profaner. Oui, M.F., dès qu'une personne fréquente les sacrements, le démon perd toute sa puissance. Disons cependant, il faut bien distinguer : ce sont ceux qui les fréquentent avec les dispositions nécessaires, qui ont véritablement le péché en horreur, qui prennent tous les moyens que Dieu nous donne pour ne plus y retomber et profiter des grâces qu'il nous fait. Je ne veux pas vous parler de ceux qui se confessent aujour-d'hui et qui demain retombent dans leur faute ; je ne veux pas parler de ceux qui s'accusent de leurs péchés avec aussi peu de regret et de repentir que s'ils faisaient le récit d'une histoire faite à plaisir, ni de ceux qui n'apportent point ou presque point de préparation, qui viendront se confesser sans peut-être s'examiner, qui diront ce qui se présente à leur esprit ; ils s'approcheront de la table sainte sans avoir sondé les replis de leur cœur, sans avoir demandé la grâce de connaître leurs péchés et la douleur qu'ils doivent en avoir, sans avoir pris aucune résolution de ne plus pécher. Non, non, tous ceux-ci ne travaillent qu'à leur perte. Au lieu de combattre contre le démon, ils se tournent de son côté, et se creusent eux-mêmes un enfer. Non, non, ce n'est, pas de ceux-là dont je veux vous parler. Si tous ceux qui fréquentent les sacrements étaient de ces personnes, quoique le nombre en soit bien petit, il y en aurait plus de sauvés qu'il n'y en aura. Mais je parle de ceux qui sortent, soit du tribunal de la pénitence, soit de la table sainte, pour paraître avec grande confiance devant le tribunal de Dieu, sans crainte d'être condamnés pour les défauts de préparation dans leurs confessions ou communions. O mon Dieu ! qu'ils sont rares, que de chrétiens se sont ainsi perdus !

V. – Je dis 5° que pour avoir le bonheur de conserver la grâce que nous avons reçue dans le sacrement de Péni-tence, nous devons pratiquer la mortification : c'est le chemin que tous les saints ont tenu. Ou châtiez ce corps de péché, ou vous ne serez pas longtemps sans tomber. Voyez le saint roi David : pour demander au bon Dieu la grâce de persévérer, il châtia son corps toute sa vie. Voyez saint Paul qui vous dit qu'il traitait son corps comme un cheval. D'abord, nous ne devons jamais passer un repas sans nous priver de quelque chose, pour qu'à la fin de chaque repas, nous puissions offrir à Dieu quel-que privation. Pour notre sommeil, de temps en temps, en retrancher un peu. Dans notre démangeaison de parler, dès lors que nous avons la pensée de dire quel-que chose, nous en priver pour le bon Dieu. Eh bien ! M.F., qui sont ceux qui prennent toutes ces précautions dont je viens de vous montrer l'importance ? Où sont-ils ? Hélas ! je n'en sais rien. Qu'ils sont rares ! et que le nom-bre en est petit ! Mais aussi, où sont ceux qui, ayant reçu le pardon de leurs péchés, persévèrent dans l'état heureux où le sacrement de Pénitence les a mis ? Hélas ! mon Dieu, où faut-il les aller chercher ? Y en a-t-il parmi ceux qui m'écoutent, qui soient de ces heureux chré-tiens ? Hélas ! je n'en sais rien.
Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? Le voici. Si nous retombons, comme auparavant, dès que les occasions se présentent, c'est que nous ne prenons pas de meilleures résolutions, que nous n'augmentons pas nos pénitences, que nous ne redoublons pas nos prières et nos mortifications. Tremblons sur nos confes-sions, qu'à l'heure de la mort nous ne trouvions que des sacrilèges, et par conséquent, notre perte éternelle. Heu-reux, et mille fois heureux, ceux qui persévèreront jus-qu'à la fin, puisque le ciel est pour ceux-là !...

3ème dimanche après Pâques
Sur les Afflictions
 

Amen, amen dico vobis : quia plorabitis et flebitis vos ; mundus autem gaudebit.
En vérité, en vérité je vous le dis : vous pleurerez et vous gémirez, et le monde se réjouira.
(S. Jean, XVI, 20.)

Qui pourrait, M.F., entendre sans étonnement le lan-gage que le Sauveur tient à ses disciples avant de monter au ciel, en leur disant que leur vie ne serait qu'une suite de larmes, de croix et de souffrances ; tandis que les gens du monde se livreraient et s'abandonneraient à une joie insensée et riraient comme des frénétiques ? « Ce n'est pas, nous dit saint Augustin, que les gens du monde, c'est-à-dire les méchants, n'aient aussi leurs peines, puisque les troubles et les chagrins sont les suites d'une conscience criminelle, et qu'un cœur déré-glé trouve son supplice dans son propre dérèglement. » Hélas ! ils sont enveloppés dans la malédiction que Jésus-Christ prononce contre ceux qui ne pensent qu’à se livrer au plaisir et à la joie. Le partage des bons chré-tiens est bien différent : il leur faut se résoudre à passer leur vie à souffrir et à gémir ; mais, de leurs larmes et de leurs souffrances, ils passeront à une joie et à un plaisir infini dans sa grandeur et sa durée ; au lieu que les gens du monde, après quelques instants d'une joie mêlée de bien des amertumes, passeront leur éternité dans les flammes. « Malheur à vous, leur dit Jésus-Christ, à vous qui ne pensez qu'à vous réjouir, parce que vos plaisirs vous engendrent des maux infinis dans le lieu de ma justice. Ah ! bienheureux, dit-il ensuite aux bons chrétiens, ah ! bienheureux, vous qui passez vos jours dans les larmes, parce qu'un jour viendra que je vous consolerai moi-même. » Je vais donc vous montrer M.F., que les croix, les souffrances, la pauvreté, et les mépris sont le partage d'un chrétien qui cherche à sauver son âme et à plaire à Dieu. Il faut ou souffrir dans ce monde, ou ne jamais espérer de voir Dieu dans le ciel. Exami-nons cela d'un peu plus près.

I. – Je dis 1° que dès l'instant que nous sommes admis au nombre des enfants de Dieu, nous prenons une croix qui ne doit nous quitter qu'à la mort. Dans quel-que endroit que Jésus-Christ nous parle du ciel il ne manque jamais de nous dire que ce n'est que par les croix et les souffrances que nous pouvons le mériter : « Prenez votre croix, nous dit Jésus-Christ, et suivez-moi, non un jour, un mois, une année, mais toute votre vie. » Saint Augustin nous dit : « Laissez les plaisirs et la joie aux gens du monde ; mais pour vous, qui êtes les en-fants de Dieu, pleurez avec les enfants de Dieu. » Les souffrances et les persécutions nous sont très avantageuses sous deux rapports. Le premier est que nous y trouvons des moyens très efficaces pour expier nos péchés passés, puisque, ou dans ce monde ou dans l'autre, il faut en subir la peine. Dans ce monde, les peines ne sont infinies ni dans leur rigueur ni dans leur durée : c'est un Dieu miséricordieux qui ne nous châtie que parce qu'il a de grands desseins de miséricorde sur nous ; il nous fait souffrir un instant, pour nous rendre heureux pendant toute une éternité. Quel-que grandes que soient nos peines, ce n'est que son petit doigt qui nous touche ; au lieu que, dans l'autre vie, les supplices et les tourments que nous endurerons seront engendrés par sa puissance et sa fureur. Il semblera prendre à tâche de s'épuiser à nous faire souffrir. Nos maux seront infinis dans leur durée et leur rigueur. Dans ce monde, nos peines sont encore adoucies par les con-solations et les secours que nous trouvons dans notre sainte religion ; mais, dans l'autre, point de consolations ni d'adoucissement : au contraire, tout sera pour nous comme un sujet de désespoir. Oh ! heureux est le chré-tien qui passe sa vie dans les larmes et les souffrances, puisqu'il pourra éviter tant de maux et se procurer tant de plaisirs et de joies éternelles !
Le saint homme Job nous dit que la vie de l'homme n'est qu' « une suite de misères. » Entrons dans quel-ques détails. En effet, si nous allons de maisons en maisons, nous y trouvons partout plantée la croix de Jésus-Christ ; ici, c'est une perte de biens, une injus-tice qui a réduit une pauvre famille à la misère ; là, c'est une maladie, qui tient ce pauvre homme sur un lit de douleur, pour qu'il passe ses jours dans les souf-frances ; ailleurs, c'est une pauvre femme qui trempe son pain dans ses larmes, par le chagrin qu'elle éprouve de la part d'un mari brutal et sans religion. Si je me tourne vers une autre, je vois la tristesse peinte sur son front : si je lui en demande la raison, elle me répondra qu'elle est accusée de choses auxquelles elle n'a jamais pensé. Dans un endroit, ce sont de pauvres vieillards rejetés et méprisés de leurs enfants, réduits à mourir de chagrin et de misères. Enfin, dans un autre endroit, j'entends une maison retentir des cris causés par la perte d'un père, d'une mère ou d'un enfant. Voilà en général, M.F., ce qui rend la vie de l'homme si triste et si misérable, si nous ne considérons tout cela qu'humainement ; mais si nous nous tournons du côté de la religion, nous verrons que nous sommes infiniment malheureux de nous désoler et de nous plaindre, comme nous le faisons.

II. – Ensuite, je vous dirai que ce qui vous fait vous trouver si malheureux, c'est que vous regardez tou-jours ceux qui sont mieux que vous. Un pauvre, dans les misères de sa pauvreté, au lieu de penser aux cri-minels qui sont chargés de fer, condamnés à passer leurs jours dans les prisons, ou à perdre sur un gibet leur vie languissante, portera sa pensée dans la maison d'un grand du monde, qui regorge de biens et de plai-sirs. – Un malade, bien loin de penser aux tourments qu'endurent les malheureux réprouvés qui hurlent dans les flammes, qui sont écrasés par la colère de Dieu, dont une éternité de tourments ne sera pas dans le cas d'effacer le moindre des péchés, jettera les yeux sur ceux que la maladie et la pauvreté n'ont jamais touchés. Voilà, M.F., ce qui nous fait trouver nos maux insupporta-bles. Mais que s'ensuit-il de là, M.F., sinon des mur-mures et des plaintes, qui nous en font perdre tout le mérite pour le ciel ? Car, d'un côté, nous souffrons sans consolations et sans espérance d'en être récom-pensés ; d'un autre côté, au lieu de nous en servir pour expier nos péchés, nous ne faisons que les augmenter par nos murmures et notre défaut de patience. En voici la preuve : depuis que vous dites du mal de cette per-sonne qui a cherché à vous nuire, en êtes-vous plus avancé ? Sa haine s'est-elle apaisée ? Non, M.F., non. Depuis tant d'années que vous ne cessez de crier après ce mari qui vous désole par son ivrognerie, ses débau-ches et ses folles dépenses, en est-il devenu plus rai-sonnable ? Non, ma sœur, non. Lorsqu'étant accablés de maladies et de perte vous vous êtes laissés aller au désespoir, presque jusqu'à vouloir vous détruire, jus-qu'à maudire ceux qui vous ont donné la vie ; vos maux ont-ils cessé, vos peines sont-elles moins cui-santes ? Non, M.F., non. Cet enfant qui vous a tant fait verser de larmes, est-il ressuscité ? Non, M.F., non. Ainsi, M.F., vos impatiences, votre défaut de sou-mission à la volonté de Dieu et votre désespoir n'ont donc servi qu'à vous rendre plus malheureux, vous n'avez donc fait qu'ajouter de nouveaux péchés à vos anciens. Hélas ! M.F., voilà le sort malheureux et désespérant d'une personne qui a perdu de vue la fin pour laquelle Dieu lui envoie ses croix.
Mais, me direz-vous, nous avons cent fois entendu ce langage, ce sont des paroles et non des consolations ; nous en disons autant à ceux qui sont dans les peines. – Ah ! mon ami, regarde, regarde en haut ; tire ton cœur du limon de la terre où tu l'as plongé, déchire ces brouillards qui te cachent les biens que tes peines peu-vent te procurer. Ah ! regarde en haut, considère la main d'un bon père qui te destine une place heureuse dans son royaume ; un Dieu te frappe pour guérir les plaies que le péché a faites à ta pauvre âme ; un Dieu te fait souffrir pour te couronner d'une gloire immor-telle !...
Voulez-vous savoir, M.F., comment il faut recevoir les croix qui nous viennent ou de la main de Dieu ou de celle des créatures ? Le voici. Je veux dire, comme le saint homme Job, qui, après avoir perdu des biens immenses et une famille nombreuse, ne s'en prit, ni au feu du ciel qui avait brûlé une partie de ses troupeaux, ni aux voleurs qui avaient emporté le reste, ni au vent impétueux qui, en renversant sa maison, avait écrasé ses pauvres enfants : mais il se contenta de dire « Hélas ! la main du Seigneur s'est appesantie sur moi. » Lorsque, couché pendant un an sur un fumier, tout couvert d'ulcères, sans ressources et sans consolations, méprisé des uns, abandonné des autres, persécuté même par sa femme qui, au lieu de le consoler, se moquait de lui, en lui disant : « Demande à Dieu la mort, afin de faire fuir ces maux. Vois-tu ton Dieu, que tu sers avec tant de fidélité, vois-tu comment il te traite ? – Taisez-vous, lui dit le saint homme, si nous avons reçu avec actions de grâces les biens de sa main bienfaisante, pourquoi ne recevrions-nous pas les maux dont il nous afflige ? »
Mais, pensez-vous, je ne peux pas comprendre que ce soit Dieu qui nous afflige, lui qui est la bonté même qui nous aime infiniment. Demandez-moi donc aussi s'il est possible qu'un bon père châtie son enfant, qu'un médecin donne le remède amer à ses malades. Penseriez-vous qu'il serait plus à propos de laisser vivre cet enfant dans le libertinage, plutôt que de le châtier pour le faire vivre dans le chemin du salut et le conduire au ciel ? Croiriez-vous qu'un médecin ferait mieux de laisser périr son malade, crainte de lui donner des re-mèdes amers ? Oh ! que nous sommes aveugles si nous raisonnons de la sorte ! Il faut bien que le bon Dieu nous châtie, sinon, nous ne serions pas du nombre de ses enfants ; puisque Jésus-Christ lui-même nous dit que le ciel ne sera donné qu'à ceux qui souffrent et qui combattent jusqu'à la mort. Pensez-vous, M.F., que Jésus-Christ ne dit pas la vérité ? Eh bien ! examinez la vie que les saints ont menée, voyez le chemin qu'ils ont pris ; dès l'instant qu'ils ne souffrent pas, ils se croient perdus et abandonnés de Dieu. « Mon Dieu, mon Dieu, s'écriait saint Augustin en pleurant, ne m'épargnez pas en ce monde, faites-moi bien souffrir ; pourvu que vous me fassiez miséricorde dans l'autre, je suis content. » « O que je suis heureux, disait saint François de Sales dans ses maladies, de trouver un moyen si facile d'expier mes fautes ! Oh ! qu'il est bien plus doux et consolant de satisfaire à la justice de Dieu sur un lit de douleur que d'aller y satisfaire dans les flammes ! » Et moi je dis, après tous les saints, que les souffrances, les persécutions et autres misères, sont les moyens les plus efficaces pour attirer une âme à Dieu. En effet, nous voyons que les plus grands saints sont ceux qui ont le plus souffert : Dieu ne distingue ses amis que par les croix. Voyez saint Alexis qui demeura pendant qua-torze ans couché sur un côté tout écorché, et, dans cette cruelle situation, il se contentait de dire : « Mon Dieu, vous êtes juste, vous me châtiez parce que je suis un pécheur et que vous m'aimez. » Voyez encore sainte Liduvine, dont la beauté était extraordinaire, demander à Dieu, si sa beauté pouvait être un sujet de chute et de perte pour son âme, de lui faire la grâce de la perdre. Dès l'instant même, elle devint toute couverte de lèpre, ce qui la rendit un objet d'horreur aux yeux du monde, et cela pendant trente-huit ans, c'est-à-dire jusqu'à sa mort. Et pendant ce temps, elle ne laissa pas même échapper une parole de plainte. Combien, M.F., qui sont en enfer seraient maintenant dans le ciel, si Dieu leur avait fait la grâce d'avoir été longtemps malades. Écoutez saint Augustin : « Mes enfants, nous dit-il, dans les sacrifices, encouragez-vous par la pensée de la récom-pense qui vous est préparée.
Il est rapporté dans l'histoire qu'une pauvre femme était depuis nombre d'années étendue sur un lit de douleur ; on lui demanda ce qui pouvait lui donner tant de courage pour souffrir avec tant de patience. « Hé ! leur dit-elle, je suis si contente d'être ce que Dieu veut, que je ne changerais pas mon état contre tout l'empire du monde. Lorsque je pense que Dieu veut que je souffre, je suis toute consolée. » Sainte Thérèse nous dit qu'un jour Jésus-Christ lui ayant apparu, lui dit : « Mon enfant, ne vous étonnez pas de ce que vous voyez ; mes fidèles serviteurs passent leur vie dans les croix, le mépris ; plus mon Père aime quelqu'un, plus il lui envoie de quoi souffrir. » Saint Bernard recevait les croix avec tant d'actions de grâces, qu'un jour il disait à Dieu en pleu-rant – « Ah ! Seigneur, que je serais heureux si j'avais la force de tous les hommes, afin de pouvoir souffrir toutes les croix de l'univers ! » Sainte Elisabeth, reine de Hongrie, ayant été chassée de son palais par ses propres sujets et traînée dans la boue, au lieu de penser à les punir, courut à l'église pour faire chanter le Te Deum en actions de grâces. Saint Jean Chrysostome, ce grand amateur de la croix, disait qu'il aimait mieux souffrir avec Jésus-Christ que de régner avec lui dans le ciel. Saint Jean de la Croix, après avoir essuyé toute la cruauté de ses frères, qui le mirent en prison et le frap-pèrent avec tant de cruauté qu'il était tout couvert de sang ; que répond-il à ceux qui étaient témoins de ces horreurs ? « Quoi ! mes amis, vous pleurez sur ce que je souffre, je n'ai jamais passé un moment si heureux. » Jésus-Christ lui étant apparu lui dit : « Jean, que veux--tu que je te donne pour te récompenser de tout ce que tu souffres pour l'amour de moi ? – Ah ! s'écria-t-il, Seigneur, faites que je souffre de plus en plus ! » Conve-nons tous ensemble, M.F., que les saints comprenaient bien mieux que nous le bonheur de souffrir pour Dieu.
L'on entend dire à plusieurs d'entre vous, lorsqu'ils ont des peines : Mais qu'ai-je donc fait au bon Dieu pour avoir tant de misères ? – Quel mal vous avez fait, mon ami, pour que le bon Dieu vous afflige de la sorte ?... Prenez tous les commandements de Dieu, les uns après les autres, voyez s'il y en a un seul contre lequel vous n'ayez pas péché. Quel mal vous avez fait ?... Parcourez toutes les années de votre jeunesse, repassez dans votre mémoire tous les jours de votre misérable vie ; après cela, demandez quel mal vous avez fait pour que le bon Dieu vous afflige de la sorte ? Vous comptez donc pour rien toutes les habitudes honteuses dans lesquelles vous avez croupi depuis longtemps ? Vous comptez donc pour rien cet orgueil, qui vous fait croire que l'on doit se mettre à vos pieds pour quelques pièces de terre que vous avez de plus que les autres et qui, peut-être, seront cause de votre damnation ? Vous comptez donc pour rien cette ambition qui fait que vous n'êtes jamais content, cet amour-propre, cette vanité qui vous occupent conti-nuellement, ces vivacités, ces ressentiments, ces intem-pérances, ces jalousies ? Vous comptez donc pour rien cette négligence affreuse pour les sacrements et tout ce qui regarde le salut de votre pauvre âme : tout cela vous l'avez oublié ; mais êtes-vous moins coupable ? Eh bien ! mon ami, si vous êtes coupable, n'est-il pas juste que le bon Dieu vous châtie ? Dites-moi, mon ami, quelle péni-tence avez-vous faite pour expier tant de péchés ? Où sont vos jeûnes, vos mortifications et vos bonnes œuvres ? Si après tant de péchés, vous n'avez pas versé une larme ; si après tant d'avarice, vous vous êtes seulement contenté de faire quelque légère aumône ; si après tant d'orgueil, vous ne voulez pas essuyer les moindres humi-liations ; si après avoir fait servir tant de fois votre corps au péché, vous ne voulez pas entendre parler de péni-tence, il faut que le ciel se fasse justice puisque vous ne voulez pas la lui faire vous-même.
Hélas ! que nous sommes aveugles ! Nous voudrions faire le mal sans être punis, ou plutôt, nous voudrions que Dieu ne fût pas juste. Eh bien ! Seigneur, laissez vivre ce pécheur tranquille, n'appesantissez pas votre main sur lui, laissez-le s'engraisser comme une victime destinée aux vengeances éternelles, et dans ce feu, vous aurez le temps de le faire satisfaire à votre justice ; épargnez-le en ce monde, puisqu'il le veut ; dans les flammes vous saurez bien lui faire faire une pénitence inutile, sans fin. O mon Dieu ! que ce malheur ne nous arrive jamais. « Oh ! plutôt, s'écrie saint Augustin, multipliez mes afflictions et mes souffrances autant qu'il vous plaira, pourvu que vous me fassiez miséricorde dans l'autre vie ! »
Mais, dira un autre, tout cela est bien bon pour ceux qui ont commis de gros péchés ; mais, pour moi, grâces à Dieu, je n'ai pas fait grand mal. – Eh ! vous croyez donc que, parce que vous pensez n'avoir pas fait beaucoup de mal, vous ne devez pas souffrir ; et moi je vous dirai : précisément parce que vous avez tâché de bien faire, le bon Dieu vous afflige et il permet que l'on se moque de vous, qu'on vous méprise et que l'on tourne en ridicule votre dévotion, et c'est Dieu lui-même qui vous fait éprouver des chagrins et des maladies. Vous vous éton-nez de cela, mon ami ? Jetez un coup d'œil sur Jésus--Christ, votre véritable modèle, voyez s'il a passé un seul instant sans souffrir ce que jamais l'homme ne pourra comprendre. Dites-moi, pourquoi est-ce que les phari-siens le persécutaient, et cherchaient sans cesse le moyen de le surprendre pour le condamner à la mort ? Est-ce parce qu'il était coupable ? Non, sans doute ; mais en voici la raison. C'est que ses miracles et ses exemples d'humilité et de pauvreté étaient la condam-nation de leur orgueil et de leurs mauvaises actions.
Disons mieux, M.F., si nous parcourions les saintes Écritures, nous verrions que, dès le commencement du monde, les souffrances, le mépris et les railleries ont été le partage des enfants de Dieu : c'est-à-dire, de ceux qui ont pensé à plaire à Dieu. En effet, qui peut mépri-ser et railler une personne qui remplit ses devoirs de religion, sinon un pauvre malheureux réprouvé, que l'enfer a vomi sur la terre pour faire souffrir les bons, ou pour essayer de les entraîner dans les abîmes où il est déjà pour jamais ? En voulez-vous la preuve ? La voici. Pourquoi est-ce que Caïn tua son frère Abel ? N'est-ce pas parce qu'il faisait mieux que lui ? N'est-ce pas parce qu'il ne put le porter au mal, qu'il lui ôta la vie ? Quel était le dessein des frères de Joseph, lorsqu'ils le jetèrent dans une citerne, n'est-ce pas parce que sa vie sainte condamnait leur vie libertine ? Qui attira tant de persécutions aux apôtres, qui, à chaque instant, pour ainsi dire, étaient jetés en prison, fouettés, garrottés, ou plutôt, dont la vie depuis la mort de Jésus-Christ ne fut qu'un martyre continuel ; tous ont fini leur vie de la manière la plus cruelle et la plus douloureuse ? Or, quel mal faisaient-ils, puisqu'ils ne cherchaient que la gloire de Dieu et le salut des âmes ? On vous méprise, on vous raille et on vous persécute quoique vous ne disiez et ne fassiez rien à personne ? Tant mieux que l'on vous mé-prise, que l'on vous raille. Si vous n'aviez rien à souf-frir, qu'auriez-vous donc à offrir à Dieu à l'heure de la mort ?
Mais, me direz-vous, ils offensent Dieu ; ils se per-dent en faisant souffrir les autres ; si Dieu voulait, il les en empêcherait bien. – Certainement qu'il les empê-cherait, s'il le voulait. Pourquoi est-ce que Dieu souffrait les tyrans ? II lui était aussi facile de les punir que de les conserver ; mais il se servait de leurs mauvais desseins pour éprouver les bons et hâter leur bonheur. Il n'y a pas de doute que vous devez les plaindre et prier pour eux, non pas parce qu'ils vous méprisent et qu'ils vous raillent, puisque Dieu s'en sert pour vous faire gagner le ciel ; mais à cause du mal qu'ils se font. En effet, il faut convenir que c'est être bien aveugle que de mépri-ser quelqu'un parce qu'il sert le bon Dieu mieux que nous, qu'il cherche avec plus d'empressement le che-min du ciel, et qu'il fera plus de bonnes œuvres ou de pénitences. Ici c'est un mystère vraiment incompréhen-sible. Si tu veux te damner : eh bien ! fais-le. Pourquoi es-tu fâché que j'aille où tu ne veux pas aller ? Je veux aller au ciel, si tu n'y vas pas c'est bien parce que tu ne veux pas. Ouvre les yeux, mon ami, reconnais ton aveuglement : quand tu m'auras empêché de servir le bon Dieu, ou que tu seras la cause que je serai damné, qu'en auras-tu de plus ? Encore une fois, ouvre les yeux et reviens de ton égarement. Tâche d'imiter ceux que tu as méprisés jusqu'à présent, et tu y trouveras ton bonheur dans ce monde ainsi que dans l'autre.
Mais, me direz-vous, je ne leur fais point de mal, pourquoi veulent-ils m'en faire ? – Tant mieux, mon ami, c'est bonne marque, vous êtes sûr d'être dans le chemin qui conduit au ciel. Écoutez Notre-Seigneur : « Prenez votre croix et suivez-moi ; l'on me persécute, on vous persécutera ; l'on me méprise, on vous mépri-sera ; mais, bien loin de vous décourager, réjouissez--vous, parce qu'une grande récompense vous est promise dans le ciel. Celui qui n'est pas prêt à tout souffrir, jus-ques à perdre la vie pour l'amour de moi, n'est pas digne de moi. » Pourquoi est-ce que le saint homme Tobie devint aveugle ? N'est-ce pas parce qu'il était un homme de bien ? Écoutez Jésus-Christ parlant à saint Pierre, martyr, lorsqu'il se plaignit d'un outrage qu'on lui faisait, quoique innocent. « Et moi, Pierre, lui dit Jésus-Christ, quel mal avais-je fait lorsqu'on me fit mourir ? »
Convenons tous ensemble, M.F., que nous faisons de belles promesses au bon Dieu tant que personne ne nous dit rien, que tout va selon nos désirs ; mais la première petite raillerie, le premier petit mépris, ou bien la moindre plaisanterie qu'un impie, qui n'a pas la force de faire ce que vous faites, vous fera, vous rou-gissez et abandonnez le service de Dieu. Ah ! ingrat, tu ne te rappelles pas ce que ton Dieu a souffert pour l'a-mour de toi ? N'est-ce pas, mon ami, parce que l'on vous a dit que vous faisiez le sage, que vous n'étiez qu'un hypocrite, et que vous étiez plus méchant que ceux qui ne se confessent jamais, que vous avez abandonné Dieu pour vous mettre du côté de ceux qui seront des réprou-vés ? Arrêtez-vous, mon ami, n'allez pas plus loin, re-connaissez votre folie et ne vous jetez pas en enfer.

III. – Dites-moi, M.F., qu'est-ce que nous répon-drons lorsque Dieu va confronter notre vie avec celle de tant de martyrs, dont les uns ont été hachés en mor-ceaux par les bourreaux, les autres ont pourri dans les prisons, plutôt que de trahir leur foi ? Non, M.F., si nous sommes bons chrétiens, nous ne nous plaindrons jamais des railleries qu'on fera de nous : au contraire, plus on nous méprisera, plus nous serons contents, et plus nous prierons le bon Dieu pour ceux qui nous per-sécutent ; nous remettrons toute la vengeance entre les mains de Dieu, et, s'il le trouve à propos pour sa gloire et notre salut, il le fera. Voyez Moïse, accablé d'injures de la part de son frère et de sa sœur : à tous ces mépris, il oppose une bonté et une charité si grandes que Dieu en fut touché. L'Esprit-Saint dit qu'il était « le plus doux des hommes qui fussent alors sur la terre. » Le Seigneur frappa sa sœur d'une lèpre affreuse pour la punir de ce qu'elle avait murmuré contre son frère. Moïse, la voyant punie, bien loin d'en être content, dit à Dieu : « Ah ! Seigneur, pourquoi punissez-vous ma sœur ? Vous savez bien que je n'ai jamais demandé vengeance ; guérissez, s'il vous plaît, ma sœur. » Dieu ne put résister à sa bonté : à l'instant il la guérit.
O quel bonheur pour nous, M.F., si, dans les mépris et les railleries que l'on fait de nous, nous nous comportions de la même manière ! Que de trésors pour le ciel ! Non, M.F., tant que l'on ne nous verra pas faire du bien à ceux qui nous méprisent, les préférer même à nos amis, et n'opposer à leurs outrages que bonté et charité, nous ne serons pas du nombre de ceux que Dieu a destinés pour le ciel. Savez-vous ce que nous sommes ? Le voici. Nous faisons comme ces soldats qui, tant qu'il n'y a point de danger, semblent être invincibles, et qui, au premier danger, prennent la fuite ; de même, tant que l'on nous flatte dans notre manière de nous conduire, et que l'on loue nos bonnes œuvres, nous croyons que rien ne nous pourra faire tomber, et un rien nous fait tomber et tout abandonner. Mon Dieu, que l'homme est aveugle lorsqu'il se croit capable de quelque chose, tandis qu'il n'est capable que de vous trahir et de se per-dre ! Et moi je dis, M.F., que rien n'est plus capable de convertir ceux qui déchirent notre réputation que la douceur et la charité. Ils ne peuvent pas y résister. S'ils sont trop endurcis, et qu'ils aient mis déjà le sceau à leur réprobation, ils seront tout confus, ils s'en iront comme des désespérés : en voici la preuve. Il est rap-porté que saint Martin avait un clerc depuis son enfance. Quoiqu'il eût fait tout ce qu'il avait pu pour le bien éle-ver dans le service de Dieu, il devint un véritable libertin, un scandaleux ; il n'y avait sorte d'injures et d'ou-trages qu'il ne fit à son saint évêque. Mais saint Martin, au lieu de le chasser de chez lui comme il le méritait, lui montra une si grande charité, qu'il semblait multiplier ses soins à proportion des insultes qu'il en recevait. A chaque instant il répandait des larmes au pied de son crucifix, pour solliciter sa conver-sion. Tout à coup, le jeune homme ouvre les yeux ; con-sidérant, d'un côté, la charité de son évêque, de l'autre, les injures dont il l'avait accablé, il court se jeter à ses pieds pour lui demander pardon. L'évêque l'embrasse et bénit le bon Dieu d'avoir eu pitié de cette pauvre âme. Ce jeune homme fut toute sa vie un modèle de vertu et regardé comme un saint. Avant de mourir, il répéta plu-sieurs fais que la patience et la charité de Martin, lui avaient valu la grâce de sa conversion.
Oui, M.F., voilà ce que nous ferions si, au lieu de rendre injure pour injure, nous avions le bonheur de n'y opposer que douceur et charité. Hélas ! quand les saints n'avaient pas l'occasion d'être méprisés, ils la cher-chaient : en voici la preuve. Nous lisons dans la vie de saint Athanase, qu'une dame, désirant de travailler à gagner le ciel, alla trouver l'évêque et lui demanda un des pauvres que l'on nourrissait d'aumônes, pour en avoir soin chez elle ; parce que, disait-elle, je voudrais que ma patience soit un peu exercée. Le saint évêque lui envoya une femme qui était extrêmement humble, et ne pouvait souffrir d'être servie par cette dame. Chaque fois qu'elle lui rendait quelque service, elle lui faisait mille remerciements. Non contente de tous ces remerciements, la dame toute triste, va trouver l'évêque, lui disant « Monseigneur,, vous ne m'avez pas bien servie comme je le désirais ; vous m'avez donné une personne qui me couvre de confusion par son humilité. Au moindre service que je lui rends, elle s'abaisse jusqu'à terre ; donnez-m'en une autre. » L'évêque, voyant son courage à souffrir, lui en donna une qui était d'un caractère orgueil-leux, colère, méprisant. Chaque fois que cette dame la servait, elle l'accablait d'injures, en lui disant qu'elle l'avait demandée, non pour en avoir soin, mais pour la faire souffrir. Elle alla même jusqu'à la frapper ; et que fit-elle, M.F. ? Le voici : plus elle méprisait la dame, plus celle-ci la servait avec empressement et sans cesser malgré tant de peines. De là que s'ensuivit--il ? sinon que, touchée de tant de charité, cette femme se convertit et mourut comme une sainte. Oh ! M.F., que d'âmes, au jour du jugement, nous reprocheront que si nous n'avions opposé que bonté et charité à leurs injures, elles seraient dans le ciel, tandis qu'elles brûleront pen-dant une éternité !
Si nous avons dit, M.F., en commençant, que les croix, ainsi que toutes les misères de la vie, nous étaient données de Dieu pour satisfaire à sa justice pour nos péchés, nous pouvons dire aussi qu'elles sont un préser-vatif contre le péché. Pourquoi est-ce que Dieu a permis que l'on vous fît tort, qu'un autre vous trompât ? En voici la raison. C'est que Dieu, qui voit l'avenir, a prévu que votre cœur s'attacherait trop aux choses de la terre et que vous perdriez de vue le ciel. Il permet que l'on noircisse votre réputation, que l'on vous décrie : pour-quoi cela, M.F. ? sinon parce que vous êtes trop orgueil-leux, trop jaloux de votre réputation ; c'est pour cela qu'il a permis que vous fussiez humiliés, sans quoi vous vous seriez damnés. Je dis donc, M.F., en finis-sant, qu'il n'y a rien de si malheureux dans les croix, qu'un homme sans religion. Tantôt il s'accuse lui-même en disant : Si j'avais pris ces mesures, ce malheur ne me serait pas arrivé. Tantôt il accuse les autres : C'est cette personne qui est cause de mes maux ; je ne lui pardonnerai jamais. Il se souhaite la mort, il la lui souhaite. Il maudit le jour de sa naissance ; il fera mille bassesses qu'il se croira permises pour se tirer d'em-barras ; mais non, sa croix, ou plutôt son enfer, le suivra.
Telle est la fin malheureuse de celui qui souffre sans se tourner du côté de Dieu, qui seul peut le consoler et le soulager. Mais regardez une personne qui aime Dieu, qui désire de l'aller voir dans le ciel : O mon Dieu, dit--elle, que mes souffrances sont peu de chose en compa-raison de ce que mes péchés méritent de souffrir dans l'autre vie ! Vous me faites souffrir un petit moment dans ce monde pour me rendre heureux pendant toute l'éternité. Que vous êtes bon, mon Dieu ! faites-moi souffrir, que je sois un objet de mépris et d'horreur aux yeux du monde ; pourvu que j'aie le bonheur de vous plaire, je ne veux rien autre. Concluons de cela que celui qui aime Dieu est heureux même au milieu de toutes les tempêtes de ce monde. Mon Dieu, faites que nous souffrions toujours, afin qu'après vous avoir imité ici-bas, nous allions régner avec vous dans le ciel !
 5ème dimanche après Pâques
Sur la Prière
 

Amen, amen dico vobis : si quid petieritis Patrem in nomine meo, dabit vobis.
En vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous l'accordera.
(Saint Jean, XVI, 23.)

Non, M.F., rien de plus consolant pour nous que les promesses que Jésus-Christ nous fait dans l'Évangile, en nous disant que tout ce que nous demanderons à son Père en son nom, il nous l'accordera. Non content de cela, M.F., non seulement il nous permet de lui demander ce que nous désirons ; mais il va jusqu'à nous le com-mander, il nous en prie. Il disait à ses Apôtres : « Voilà bien trois ans que je suis avec vous et vous ne me demandez rien. Demandez-moi donc, afin que votre joie soit pleine et parfaite. » Ce qui nous montre que la prière est la source de tous les biens et de tout le bonheur que nous pouvons espérer sur la terre. D'après cela, M.F., si nous sommes si pauvres, si dénués de lumières et des biens de la grâce ; c'est que nous ne prions pas ou que nous prions mal. Hélas ! M.F., disons--le en gémissant : une grande partie ne savent pas même ce que c'est que de prier, et d'autres n'ont qu'une grande répugnance pour un exercice qui est si doux et si consolant pour un bon chrétien. Parfois, nous en voyons quelques-uns qui prient, mais qui n'obtiennent rien, cela vient de ce qu'ils prient mal : c'est-à-dire, sans préparation, et sans savoir même ce qu'ils vont demander au bon Dieu. Mais pour mieux vous faire sentir la grandeur du bien que la prière nous attire, M.F., je vous dirai que tous les maux qui nous acca-blent sur la terre ne viennent que de ce que nous ne prions pas, ou que nous prions mal ; et, si vous voulez en savoir la raison, la voici. C'est que si nous avions le bonheur de prier le bon Dieu comme il faut, il nous serait impossible de tomber dans le péché ; et si nous étions exempts de péché, nous nous retrouverions pour ainsi dire comme Adam avant sa chute. Pour vous engager, M.F., à prier souvent et à prier comme il faut, je vais vous montrer 1° que sans la prière, il nous est impossible de nous sauver ; 2° que la prière est toute puissante auprès de Dieu ; 3° quelles sont les qualités que doit avoir une prière pour être agréable à Dieu et méritoire pour celui qui la fait.

I. – Pour vous montrer, M.F., le pouvoir de la prière et les grâces qu'elle vous attire du ciel, je vous dirai que ce n'est que par la prière que tous les justes ont eu le bonheur de persévérer. La prière est à notre âme ce que la pluie est à la terre. Fumez une terre, tant que vous voudrez ; si la pluie manque, tout ce que vous ferez ne servira de rien. De même, faites des bonnes œuvres tant que vous voudrez ; si vous ne priez pas souvent et comme il faut, jamais vous ne serez sauvés ; parce que la prière ouvre les yeux de notre âme, lui fait sentir la grandeur de sa misère, la nécessité d'avoir recours à Dieu, elle lui fait redouter sa faiblesse. Le chrétien compte pour tout sur Dieu seul, et rien sur lui--même. Oui, M.F., c'est par la prière que tous les justes ont persévéré. En effet, qui a porté tous ces saints à faire de si grands sacrifices que d'abandonner tous leurs biens, leurs parents et toutes leurs commodités, pour aller passer le reste de leur vie dans les forêts, afin d'y pleurer leurs péchés ? C'est, M.F., la prière, qui enflam-mait leur cœur de la pensée de Dieu, du désir de lui plaire, et de ne vivre uniquement que pour lui. Voyez Magdeleine, quelle est son occupation après sa conver-sion ? N'est-ce pas la prière ? Voyez saint Pierre ; voyez encore saint Louis, roi de France, qui, dans ses voyages, au lieu de passer la nuit dans son lit, la passait dans une église, pour y prier, en demandant au bon Dieu le don précieux de persévérer dans sa grâce. Mais sans aller si loin, M.F., ne voyons-nous pas nous-mêmes que dès que nous négligeons nos prières, nous perdons de suite le goût des choses du ciel : nous ne pensons plus qu'à la terre ; et si nous reprenons la prière, nous sentons renaître en nous la pensée et le désir des choses du ciel. Oui, M.F., si nous avons le bonheur d'être dans la grâce de Dieu, ou nous aurons recours à la prière, ou nous sommes sûrs de ne pas persévérer longtemps dans le chemin du ciel.
En second lieu, nous disons, M.F., que tous les pé-cheurs ne doivent, sans un miracle extraordinaire, qui arrive très rarement, leur conversion qu'à la prière. Voyez sainte Monique, ce qu'elle fait pour demander la conversion de son fils : tantôt elle est au pied de son crucifix, qui prie et qui pleure ; tantôt, auprès des per-sonnes qui sont sages, pour demander le secours de leurs prières. Voyez saint Augustin lui-même, lorsqu'il voulut sérieusement se convertir ; voyez-le dans un jardin, livré à la prière et aux larmes, afin de toucher le cœur de Dieu et de changer le sien. Oui, M.F., comme que nous soyons pécheurs, si nous avions recours à la prière, et si nous priions comme il faut, nous serions sûrs que le bon Dieu nous pardonnerait. Ah ! M.F., ne soyons pas étonnés de ce que le démon fait tout ce qu'il peut pour nous faire manquer nos prières, et nous les faire faire mal ; c'est qu'il comprend bien mieux que nous combien la prière est redoutable à l'enfer, et qu'il est impossible que le bon Dieu puisse nous refuser ce que nous lui demandons par la prière. Oh ! que de pécheurs sortiraient du péché, s'ils avaient le bonheur d'avoir recours à la prière !
En troisième lieu, je dis que tous les damnés se sont damnés parce qu'ils n'ont pas prié, ou ont prié mal. De là je conclus, M.F., que sans la prière, nous ne pou-vons que nous perdre pour l'éternité, et qu'avec la prière bien faite, nous sommes sûrs de nous sauver. Oui, M.F., tous les saints étaient tellement convaincus que la prière leur était absolument nécessaire pour se sauver, qu'ils ne se contentaient pas de passer les jours à prier, mais encore les nuits entières. Pourquoi est-ce, M.F., que nous avons tant de répugnance pour un exercice si doux et si consolant ? Hélas ! M.F., c'est que, le faisant mal, nous n'avons jamais senti les dou-ceurs que les saints y éprouvaient. Voyez saint Hila-rion, qui pria pendant cent ans sans discontinuer, et ces cent ans de prières furent si courts que sa vie lui sembla passer comme un éclair. En effet, M.F., une prière bien faite est une huile embaumée qui se répand dans toute notre âme, qui semble déjà lui faire sentir le bonheur dont jouissent les bienheureux dans le ciel. Cela est si vrai, que nous lisons dans la vie de saint François d'Assise que, souvent, quand il priait, il tom-bait dans le ravissement, au point qu'il ne pouvait distinguer s'il était sur la terre ou dans le ciel parmi les bienheureux. C'est qu'il était embrasé par le feu divin que la prière allumait dans son cœur, et qui lui com-muniquait une chaleur sensible. Un jour qu'il était à l'église, il se sentit un amour si violent qu'il se mit à crier à haute voix : « Mon Dieu, je ne peux plus y tenir. » – Mais, pensez-vous en vous-mêmes, cela est bien bon pour ceux qui savent bien prier et dire de belles prières. – M.F., ce ne sont ni les longues, ni les belles prières que le bon Dieu regarde ; mais celles qui se font du fond du cœur, avec un grand respect et un véritable désir de plaire à Dieu. En voici un bel exemple. Il est rapporté dans la vie de saint Bonaven-ture, qui était un grand docteur de l'Église, qu'un reli-gieux très simple lui dit : « Mon père, moi qui suis peu instruit, pensez-vous que je puisse prier le bon Dieu, et l'aimer ? » Saint Bonaventure lui dit : « Ah ! mon ami, c'est principalement ceux-là que le bon Dieu chérit le plus, et qui lui sont le plus agréables. » Ce bon religieux, tout étonné d'une si bonne nouvelle, va se mettre à la porte du monastère, disant à tous ceux qu'il voyait passer : « Venez, mes amis, j'ai une bonne nouvelle à vous donner ; le docteur Bonaventure m'a dit que nous autres, quoique ignorants, nous pouvions autant aimer le bon Dieu que les savants. Quel bonheur pour nous de pouvoir aimer le bon Dieu et lui plaire, sans rien savoir ! » D'après cela, M.F., je vous dirai que rien n'est plus facile que de prier le bon Dieu, et qu'il n'est rien de plus consolant.
Nous disons que la prière est une élévation de notre cœur vers Dieu. Disons mieux, M.F., c'est un doux entretien d'un enfant avec son père, d'un sujet avec son roi, d'un serviteur avec son maître, d'un ami avec son ami, dans le sein duquel il dépose ses chagrins et ses peines. Pour mieux encore vous exprimer ce bonheur, c'est une vile créature que le bon Dieu reçoit entre ses bras pour lui prodiguer toutes sortes de bénédictions. Que vous dirai-je encore, M.F. ? C'est la réunion de tout ce qu'il y a de plus vil, avec tout ce qu'il y a de plus grand, de plus puissant, de plus parfait en toutes sortes de manières. Dites-moi, M.F., nous en faut-il davantage, pour nous faire sentir le bonheur de la prière et la nécessité de la prière ? D'après cela, M.F., vous voyez que la prière nous est absolument néces-saire si nous voulons plaire à Dieu et nous sauver.
D'un autre côté, nous ne pouvons trouver notre bon-heur sur la terre qu'en aimant Dieu ; et nous ne pou-vons l'aimer qu'en le priant. Nous voyons que Jésus--Christ, pour nous encourager à avoir souvent recours à lui par la prière, nous promet de ne jamais rien nous refuser si nous le prions comme il faut. Mais, sans aller chercher de grands détours pour vous montrer que nous devons souvent prier, vous n'avez qu'à ouvrir votre catéchisme, et vous y verrez que le devoir d'un bon chrétien est de prier le matin et le soir et souvent pen-dant le jour : c'est-à-dire, toujours.
Je dis que, le matin, un chrétien qui désire de sau-ver son âme doit, dès l'instant qu'il s'éveille, faire le signe de la croix, donner son cœur à Dieu, lui offrir toutes ses actions, se préparer à faire sa prière. Il ne faut jamais travailler avant de la faire ; mais la faire à genoux, après avoir pris de l'eau bénite, et la faire de-vant son crucifix. Ne perdons jamais de vue, M.F., que c'est le matin que le bon Dieu nous prépare toutes les grâces qui nous sont nécessaires pour passer sainte-ment la journée ; parce que le bon Dieu sait toutes les occasions que nous aurons de pécher, toutes les tenta-tions que le démon nous livrera pendant le jour ; et, si nous prions à genoux et comme il faut, il nous donne toutes les grâces dont nous avons besoin pour ne pas succomber. C'est pour cela que le démon fait tout ce qu'il peut pour nous les faire manquer ou pour nous les faire faire mal ; étant très convaincu, comme il l'avoua un jour par la bouche d'un possédé, que s'il peut avoir le premier moment de la journée, il est sûr d'avoir tout le reste. Qui de nous, M.F., pourrait entendre, sans pleurer de compassion, ces pauvres chrétiens qui osent vous dire qu'ils n'ont pas le temps de prier ! Vous n'avez pas le temps ! pauvres aveugles ; quelle est l'action la plus précieuse, ou de travailler à plaire à Dieu et à sauver votre âme, ou d'aller donner à manger à vos bêtes qui sont à l'écurie, ou bien d'appeler vos enfants ou vos domestiques pour les envoyer remuer la terre ou le fumier ? Mon Dieu, que l'homme est aveugle !... Vous n'avez pas le temps ! mais, dites-moi, ingrats, si le bon Dieu vous avait fait mourir cette nuit, auriez-vous tra-vaillé ? Si le bon Dieu vous avait envoyé trois ou quatre mois de maladie, auriez-vous travaillé ? Allez, miséra-bles, vous méritez que le bon Dieu vous abandonne à votre aveuglement, que vous périssiez. Nous trouvons que c'est trop de lui donner quelques minutes pour le remercier des grâces qu'il nous accorde à chaque instant. – Vous voulez faire votre ouvrage, dites-vous. – Mais, mon ami, vous vous trompez grandement, vous n'avez pas d'autre ouvrage que de plaire à Dieu et de sauver votre âme, tout le reste n'est pas votre ouvrage : si vous ne le faites pas, d'autres le feront ; mais si vous perdez votre âme, qui la sauvera ? Allez, vous êtes un insensé, quand vous serez en enfer, vous apprendrez ce que vous eussiez dû faire ; mais ce que, malheureusement, vous n'avez pas fait.
Mais, me direz-vous, quels sont donc les avantages que nous recevons par la prière, que nous devons si souvent prier ? – M.F., les voici. La prière fait que nos croix sont moins pesantes, elle adoucit nos peines et nous sommes moins attachés à la vie, elle attire sur nous le regard de la miséricorde de Dieu, elle fortifie notre âme contre le péché, elle nous fait désirer la pénitence et nous la fait pratiquer avec plaisir, elle nous fait sentir et comprendre combien le péché outrage le bon Dieu. Disons mieux, M.F., par la prière nous plaisons à Dieu, nous enrichissons nos âmes, et nous nous assurons la vie éternelle. Dites-moi, M.F., en faut-il davantage pour nous porter à faire que notre vie ne soit qu'une prière continuelle par notre union avec Dieu ? Quand on aime quelqu'un, a-t-on besoin de le voir pour penser à lui ? Non, sans doute. De même, M.F., si nous aimons le bon Dieu, la prière nous sera aussi familière que la respiration. Cependant, M.F., je vous dirai que pour prier de manière qu'elle puisse nous attirer tous ces biens, il ne suffit pas d'y employer un instant à la hâte, c'est-à-dire, avec précipitation. Le bon Dieu veut que nous y passions un temps convenable, que nous ayons au moins le temps de lui demander les grâces qui nous sont nécessaires, de le remercier de ses bienfaits, et de gémir sur nos fautes passées en lui en demandant pardon.
Mais, me direz-vous, comment pouvons-nous donc prier sans cesse ? – M.F., rien de plus facile : c'est de nous occuper du bon Dieu, de temps en temps, pendant notre travail ; tantôt faisant un acte d'amour, pour lui témoigner que nous l'aimons, parce qu'il est bon et digne d'être aimé ; tantôt, un acte d'humilité, nous reconnaissant indignes des grâces dont il ne cesse de nous combler ; tantôt un acte de confiance, de ce que, quoique bien misérables, nous savons qu'il nous aime et qu'il veut nous rendre heureux. Ou bien, nous penserons à la mort et passion de Jésus-Christ, nous le verrons au jar-din des Olives, portant sa croix ; nous nous rappellerons son couronnement d'épines, son crucifiement ; ou, si vous voulez, son incarnation, sa naissance, sa fuite en Égypte ; ou bien encore, la pensée de la mort, du juge-ment, de l'enfer ou du ciel. Nous ferons quelques prière en l'honneur de notre saint ange gardien, et ne man-querons jamais de dire nos Benedicite, nos actions de grâces, nos Angelus, le Salut, Marie, quand l'heure sonne : ce qui nous fait ressouvenir de nos fins dernières, que bientôt nous ne serons plus sur la terre, et ce qui nous porte à ne pas nous y attacher, et à ne pas rester dans le péché, crainte que la mort nous y surprenne. Voyez, M.F., combien il est facile de prier sans cesse en faisant cela. Voilà, M.F., comme les saints priaient toujours.

II. – Le deuxième motif qui doit nous porter à avoir recours à la prière, c'est que tout l'avantage tourne contre nous. Le bon Dieu veut notre bonheur, et il sait que ce n'est que par la prière que nous pouvons nous le procurer. D'ailleurs, M.F., quel plus grand honneur pour une vile créature comme nous, que Dieu veuille bien s'abaisser jusqu'à elle, en s'entretenant avec elle aussi familièrement qu'un ami avec son ami. Voyez quelle bonté de sa part en nous permettant de lui faire part de nos chagrins, de nos peines. Et ce bon Sauveur s'empresse de nous consoler, de nous soutenir dans les épreuves, ou, pour mieux dire, il souffre pour nous. Dites-moi, M.F., ne serait-ce pas vouloir renoncer à notre salut et à notre bonheur sur la terre que de ne pas prier ? puisque, sans la prière, nous ne pouvons être que malheureux, et qu'avec la prière nous sommes sûrs de tout obtenir ce qui nous est nécessaire pour le temps et pour l'éternité, comme nous allons le voir.
Je dis 1° M.F., que tout est promis à la prière, et 2° que la prière obtient tout quand elle est bien faite : c'est une vérité que Jésus-Christ nous répète presque à chaque page de la sainte Écriture. La promesse que Jésus-Christ nous en fait est formelle : « Deman-dez, nous dit-il, et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez, l'on vous ouvrira. Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, vous l'obtiendrez, si vous le faites avec foi. » Jésus-Christ ne se contente pas de nous dire que la prière bien faite obtient tout. Pour mieux encore nous en convaincre, il nous l'assure avec serment : « En vérité, en vérité je vous le dis, tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous l'accordera. » D'après les paroles de Jésus-Christ même, il me semble, M.F., qu'il serait impossible de douter du pouvoir de la prière. D'ailleurs, M.F., d'où pourrait venir notre défiance ? Serait-ce de notre indi-gnité ? Mais, le bon Dieu sait bien que nous sommes pécheurs et coupables, et que nous comptons en tout sur sa bonté qui est infinie, et que c'est en son nom que nous prions. Et notre indignité n'est-elle pas couverte, et comme cachée par ses mérites ? Est-ce parce que nos péchés sont trop affreux ou trop nombreux ? Mais, ne lui est-il pas aussi facile de nous pardonner mille péchés qu'un seul ? N'est-ce pas principalement pour les pé-cheurs qu'il a donné sa vie ? Écoutez ce que nous dit le saint Roi-Prophète : « A-t-on jamais vu quelqu'un qui ait prié le Seigneur, et dont la prière n'ait pas été exaucée  ? » « Oui, nous dit-il, tous ceux qui invoquent le Seigneur, et qui ont recours à lui, ont éprouvé les effets de sa miséricorde. ».
Voyons cela par des exemples, ce qui vous sera plus sensible. Voyez Adam après son péché demander misé-ricorde. Non seulement le Seigneur lui pardonne, mais encore à tous ses descendants ; il lui promet son Fils, qui devait s'incarner, souffrir et mourir pour réparer son péché. Voyez les Ninivites qui étaient si coupables, puisque le Seigneur leur envoie son prophète Jonas, pour les avertir qu'il allait les faire périr de la manière la plus épouvantable : c'est-à-dire, par le feu du ciel . Tous se livrent à la prière, et le Seigneur leur accorde à tous leur pardon. Lors même que le bon Dieu était prêt à faire périr l'univers par un déluge universel, si ces pécheurs avaient eu recours à la prière, ils auraient été sûrs que le Seigneur les aurait pardonnés. Si vous allez plus loin, voyez Moïse sur la montagne, pendant que Josué combat les ennemis du peuple de Dieu. Tant que Moïse prie, les Israélites sont victorieux ; et aussitôt qu'il cesse de prier, ils sont vaincus. Voyez encore ce même Moïse qui va demander au Seigneur le pardon de trente mille coupables que le Seigneur avait résolu de faire périr : par ses prières, il força pour ainsi dire le Seigneur à les pardonner. « Non, Moïse, lui dit le Seigneur, ne demande pas grâce pour ce peuple, je ne veux pas le pardonner. » Moïse continue, et le Seigneur est vaincu par les prières de son serviteur, et les pardonne. Que fait Judith, M.F., pour délivrer sa patrie de son redoutable ennemi ? Elle se met en prière, et, pleine de confiance en celui qu'elle vient de prier, elle va chez Holopherne, lui tranche la tête et sauve sa patrie. Voyez le pieux roi Ézéchias, à qui le Seigneur envoie son prophète pour lui dire de mettre ordre à ses affaires parce qu'il va mourir. Il se prosterne devant le Seigneur, en le priant de ne pas l'ôter encore de ce monde. Le Seigneur, touché de sa prière, lui donne encore quinze ans de vie. Si vous passez plus loin, voyez le publicain qui, se reconnaissant coupable, va dans le temple prier le Seigneur de le par-donner. Jésus-Christ nous dit lui-même que ses péchés lui sont pardonnés. Voyez la pécheresse qui, prosternée aux pieds de Jésus-Christ, le prie avec larmes. Jésus--Christ ne lui dit-il pas : « Vos péchés vous sont par-donnés ? » Le bon larron prie sur la croix, quoique tout couvert des crimes les plus énormes : non seulement Jésus-Christ le pardonne ; mais, bien plus, lui promet qu'au même jour, il sera dans le ciel avec lui. Oui, M.F., s'il vous fallait citer tous ceux qui ont obtenu leur par-don par la prière, il faudrait vous citer tous les saints qui ont été pécheurs ; puisque ce n'est que par la prière qu'ils ont eu le bonheur de se réconcilier avec le bon Dieu, qui se laissa toucher par leurs prières.

III. – Mais peut-être pensez-vous : D'où peut donc venir que, malgré tant de prières, nous sommes toujours pécheurs et pas meilleurs une fois que l'autre ? – Mon ami, notre malheur vient de ce que nous ne prions pas comme il faut, c'est-à-dire que nous prions sans pré-paration et sans désir de nous convertir, souvent même sans savoir ce que nous voulons demander au bon Dieu. Rien de si sûr, M.F., que cela, puisque tous les pécheurs qui ont demandé au bon Dieu leur conversion l'ont obtenue, et que tous les justes qui ont demandé à Dieu la persévérance ont persévéré. – Mais peut-être me direz-vous : L'on est trop tenté. – Vous êtes trop tenté, mon ami ? Vous pouvez prier et vous êtes sûr que la prière vous donnera la force de résister à la tenta-tion. Vous avez besoin de grâce ? Eh bien ! la prière vous l'obtiendra. Si vous en doutez, écoutez ce que nous dit saint Jacques, qu'avec la prière nous domi-nons sur le monde, sur le démon et sur nos penchants. Oui, M.F., dans quelques peines que nous soyons, si nous prions, nous aurons le bonheur de les supporter avec résignation à la volonté de Dieu ; et quelque vio-lentes que soient nos tentations, si nous avons recours à la prière, nous les surmonterons. Mais que fait le pécheur ? Le voici. II est très persuadé que la prière lui est absolument nécessaire pour éviter le mal et pour faire le bien, et pour sortir du péché quand il a le malheur d'y être tombé ; mais comprenez, si vous le pouvez, son aveuglement ; il ne fait presque point de prière ou il la fait mal. Cela n'est-il pas vrai, M.F. ? Voyez la manière dont un pécheur fait sa prière, sup-posé même qu'il en fasse, car la plupart des pécheurs n'en font point ; hélas ! on les voit se lever et se cou-cher comme des bêtes. Mais examinons ce pécheur faisant sa prière : voyez-le se couchant sur une chaise ou contre son lit, la faisant en s'habillant ou se désha-billant, en allant ou en criant, et peut-être même en jurant après ses domestiques ou ses enfants. Quelle préparation y apporte-t-il ? Hélas ! point du tout. Sou-vent et la plupart du temps, ces hommes ont fini leur prétendue prière, non seulement sans savoir ce qu'ils ont dit, mais encore sans penser devant qui ils étaient et ce qu'ils venaient faire et demander. Voyez-les dans la maison du bon Dieu, cela ne vous ferait-il pas mou-rir de compassion ? Pensent-ils qu'ils sont en la sainte présence de Dieu ? Non, sans doute : ils regardent qui entre et qui sort, ils parlent à l'un et à l'autre, ils bâil-lent, ils dorment, ils s'ennuient, peut-être même sont--ils en colère de ce que les offices sont, selon eux, trop longs. Ils ont de la dévotion en prenant l'eau bénite à peu près comme quand ils en prennent dans le seau pour boire. A peine mettent-ils les deux genoux par terre, il leur semble que c'est beaucoup que de courber un petit peu la tête pendant la Consécration ou la Bénédiction. Vous les voyez promener leurs regards dans l'église, peut-être même sur des objets qui peuvent les porter au mal ; ils ne sont pas même entrés, qu'ils voudraient déjà être dehors. Quand ils sortent, vous les entendez crier comme des personnes que l'on tire d'une prison pour les mettre en liberté. Eh bien ! M.F., voilà le besoin du pécheur : vous voyez qu'il est bien grand. D'après cela, devons-nous nous étonner si un pécheur reste toujours dans son péché, et de plus, s'il y per-sévère ?
Nous avons dit, en troisième lieu, que les avantages de la prière sont attachés à la manière dont nous nous acquittons de ce devoir, comme vous allez le voir. 1° Pour qu'une prière soit agréable à Dieu et avanta-geuse à celui qui la fait, il faut être en état de grâce ou du moins dans une bonne résolution de sortir du péché promptement, parce que la prière d'un pécheur qui ne veut pas sortir du péché est une insulte qu'il fait à Dieu ; 2° Pour qu'une prière soit bonne, il faut nous y être préparé. Toute prière qui est faite sans préparation est une prière mal faite, et cette préparation c'est, au moins, de s'occuper un instant du bon Dieu avant de se mettre à genoux, pensant à qui vous allez parler, ce que vous allez lui demander. Hélas ! que le nombre de ceux qui s'y préparent est petit, et par conséquent qu'il y en a peu qui prient comme il faut, c'est-à-dire de manière à être exaucés ? D'ailleurs, M.F., que voulez--vous que le bon Dieu vous accorde, puisque vous ne voulez rien et ne désirez rien ! Disons encore mieux c'est un pauvre qui ne veut pas d'aumône, c'est un malade qui ne veut pas de guérison, c'est un aveugle qui veut rester dans son aveuglement ; enfin, c'est un damné qui ne veut point de ciel et qui consent d'aller en enfer.
En deuxième lieu, nous avons dit que la prière est l'élévation de notre cœur vers Dieu, c'est un doux et heureux entretien d'une créature avec son Dieu. Ce n'est donc pas, M.F., prier le bon Dieu comme il faut, lorsque nous pensons à autre chose pendant que nous prions. Aussitôt que nous nous apercevons que notre esprit s'égare, il faut vite revenir en la présence du bon Dieu, nous en humilier devant lui, et ne jamais laisser nos prières parce que nous ne sentons point de plaisir à prier. Au contraire, plus nous avons de dégoût, plus notre prière est méritoire aux yeux de Dieu, si nous continuons toujours dans la pensée de plaire à Dieu. Il est rapporté dans l'histoire qu'un jour un saint disait à un autre saint : « Pourquoi est-ce que quand l'on prie le bon Dieu, notre esprit se remplit de mille pensées étran-gères, et que, bien souvent, si l'on n'était pas occupé à la prière, l'on n'y penserait pas. » L'autre lui répon-dit : « Mon ami, cela n'est pas étonnant : d'abord, le démon prévoit les grâces abondantes que nous pouvons obtenir par la prière, et par conséquent, il désespère de gagner une personne qui prie comme il faut ; ensuite, plus nous prions avec ferveur plus nous le rendons furieux ». Un autre à qui le démon apparut, lui de-manda pourquoi il était continuellement occupé à ten-ter les chrétiens ? Le démon lui répondit lui-même qu'il ne pouvait pas souffrir qu'un chrétien, qui tant de fois a péché, puisse encore obtenir son pardon, et que tant qu'il y aurait un chrétien sur la terre, il le tente-rait. Ensuite il lui demanda comment il les tentait. Le démon lui répondit, le voici : « Aux uns, je leur mets le doigt dans la bouche pour les faire bâiller ; les autres, je les endors ; et d'autres, je transporte leur esprit de ville en ville. » Hélas ! M.F., cela n'est que trop véritable ; nous éprouvons chaque jour ces choses, toutes les fois que nous sommes en la sainte présence de Dieu pour le prier.
Il est rapporté que le supérieur d'un monastère voyant un de ses religieux qui, avant de commencer ses prières, se donnait certain mouvement et semblait parler avec quelqu'un, lui demanda de quoi il s'occu-pait avant de commencer ses prières. « Mon père, lui dit-il, c'est qu'avant de commencer mes prières, j'ai la coutume d'appeler toutes mes pensées et mes désirs en leur disant : Venez tous et nous adorerons Jésus-Christ notre Dieu. » « Ah ! M.F., nous dit Cassien, qu'il faisait bon voir prier les premiers fidèles ! Ils avaient un si grand respect en la présence de Dieu, qu'il semblait qu'ils étaient morts, tant le silence était grand ; on les voyait dans l'église tout tremblants ; il n'y avait ni chaises ni bancs ; ils se tenaient prosternés comme des criminels qui attendent leur sentence. Mais aussi, M.F., que le ciel se peuplait vite et qu'il faisait bon vivre sur la terre ! Ah ! bonheur infini pour ceux qui ont vécu dans ces temps heureux ! »
3° Nous avons dit qu'il faut que nos prières soient faites avec confiance, et avec une espérance ferme que le bon Dieu peut et veut nous accorder ce que nous lui demandons, si nous le demandons comme il faut. Dans tous les endroits où Jésus-Christ nous promet de tout accorder à la prière, il met toujours cette condition « Si vous la faites avec foi. » Quand quelqu'un lui de-mandait sa guérison ou autre chose, il ne manquait jamais de leur dire : « Qu'il vous soit fait selon votre foi. » D'ailleurs, M.F., qui pourrait nous porter à dou-ter, puisque notre confiance est appuyée sur la toute -puissance de Dieu qui est infinie, et sur sa miséricorde qui est sans bornes, et sur les mérites infinis de Jésus--Christ au nom duquel nous prions. Quand nous prions au nom de Jésus-Christ, ce n'est pas nous qui prions, mais c'est Jésus-Christ lui-même qui prie son Père pour nous. L'Évangile nous donne un bel exemple de la foi que nous devons avoir en priant, dans la personne de cette femme qui était atteinte d'une perte de sang. Elle se disait en elle-même : « Si je peux seulement toucher le bord de son manteau, je suis sûre d'être guérie. » Vous voyez qu'elle croyait fermement que Jésus-Christ pouvait la guérir ; elle attendait avec une grande con-fiance une guérison qu'elle désirait ardemment. En effet, le Sauveur passant près d'elle, elle se jette aux pieds de Jésus-Christ, lui touche son manteau, et aussi-tôt elle est guérie. Jésus-Christ, voyant sa foi, la regarde avec bonté, en lui disant : « Allez, votre foi vous a sauvée. » Oui, M.F., c'est à cette foi et à cette confiance que tout est promis.
4° Nous disons que quand nous prions, il faut avoir des intentions bien pures dans tout ce que nous de-mandons, et ne rien demander que ce qui peut contri-buer à la gloire de Dieu et à notre salut. « Vous pouvez, nous dit saint Augustin, demander des choses tempo-relles ; mais toujours dans la pensée que vous vous en servirez pour la gloire de Dieu et le salut de votre âme, ou pour celui de votre prochain ; autrement, vos de-mandes ne sont formées que par l'orgueil et l'ambition ; et si, dans ce cas, le bon Dieu refuse de vous accorder ce que vous lui demandez, c'est qu'il ne veut pas contri-buer à votre perte. Mais que faisons-nous dans nos prières, nous dit encore saint Augustin ? Hélas ! nous demandons une chose, et nous en désirons une autre. En récitant notre Pater, nous disons : « Notre Père, qui êtes aux cieux ; c'est-à-dire : Mon Dieu, détachez-nous de ce monde ; faites-nous la grâce de mépriser toutes les choses qui ne sont que pour la vie présente ; faites--moi la grâce que toutes mes pensées et tous mes désirs soient pour le ciel ! » Hélas ! nous serions bien fâchés si le bon Dieu nous faisait cette grâce ; du moins, un grand nombre .
Nous devons souvent prier, M.F., mais nous devons redoubler nos prières dans les épreuves et les tentations. En voici un bel exemple. Nous lisons dans l'histoire que, du temps de l'empereur Licinius, l'on voulut que tous les soldats fissent des sacrifices au démon. Dans le nom-bre il y en eut quarante qui refusèrent, en disant que les sacrifices n'étaient dus qu'à Dieu seul, et non au démon. On leur fit toutes sortes de promesses. Voyant que rien ne pouvait les vaincre, ils furent condamnés après bien des tourments à être jetés nus dans un étang d'eau glacée, pendant une nuit, dans les rigueurs de l'hiver, afin de les faire mourir par la rigueur du froid. Les saints martyrs, se voyant ainsi condamnés, se dirent les uns aux autres : « Mes amis, que nous reste-t-il à présent, sinon de nous jeter entre les mains du Dieu tout-puissant, de qui seul nous devons attendre la force et la victoire ? Ayons recours à la prière, et prions sans cesse pour attirer sur nous les grâces du Ciel ; deman-dons à Dieu que tous les quarante nous ayons le bonheur de persévérer. » Mais pour les tenter, l'on mit près de là un bain chaud. Malheureusement, un d'entre eux perdant courage, quitte le combat, et va se mettre dans le bain chaud ; mais en y entrant il perdit la vie. Celui qui les gardait voyant trente-neuf couronnes des-cendre du ciel, une seule restait. « Ah ! s'écria-t-il, c'est ce malheureux qui a quitté les autres !... » Il se met à sa place, reçoit la quarantième et est baptisé dans son sang. Le lendemain, comme ils respiraient encore, le gouverneur ordonna qu'ils fussent jetés dans le feu. Les ayant mis sur un chariot, excepté le plus jeune qu'on espérait encore pouvoir gagner ; sa mère qui en fut témoin, s'écria : « Ah ! mon fils, courage ! un moment de souffrance te vaudra une éternité de bonheur. » Et prenant elle-même son fils, elle le porte sur le chariot avec les autres ; pleine de joie, elle le conduit, comme en triomphe, à la gloire du martyre. Ils ne cessèrent de prier pendant tout le temps de leur martyre, tant ils étaient persuadés que la prière est le moyen le plus puis-sant pour attirer sur nous les secours du Ciel. Nous voyons que saint Augustin, après sa conversion, se retira pendant longtemps dans un petit désert, pour demander au bon Dieu la grâce de persévérer dans ses bonnes résolutions. Étant évêque, une bonne partie de ses nuits était occu-pée à la prière. Saint Vincent Ferrier, qui a tant converti d'âmes, disait que rien n'était si puissant pour convertir les pécheurs que la prière ; qu'elle était semblable à un dard qui perce le cœur du pécheur.
Oui, M.F., nous pouvons dire que la prière fait tout ; c'est elle qui nous fait connaître nos devoirs, c'est elle qui nous fait connaître l'état misérable de notre âme après le péché, c'est elle qui y met les dispositions qui nous sont nécessaires pour recevoir les sacrements ; c'est elle qui nous fait comprendre combien la vie et les biens de ce monde sont peu de chose, ce qui nous porte à ne pas nous y attacher ; c'est elle qui imprime vivement la crainte salutaire de la mort, du jugement, de l'enfer et de la perte du ciel. Ah ! M.F., si nous avions le bonheur de prier comme il faut, que nous serions bientôt de saints pénitents ! Nous voyons que saint Hugues, évêque de Grenoble, dans sa maladie, ne pouvait se contenter de dire le « Notre Père. » On lui dit que cela pourrait contribuer à augmenter sa maladie. « Ah ! non, leur répondit-il, au contraire, cela soulage. »
Nous avons dit, M.F., que la troisième condition afin que notre prière soit bien agréable à Dieu, est la persé-vérance. Nous voyons souvent que le bon Dieu ne nous accorde pas toujours de suite ce que nous lui deman-dons ; c'est pour nous le faire désirer davantage, ou pour nous le faire mieux apprécier. Ce retard n'est pas un refus, mais une épreuve, qui nous dispose à recevoir avec plus d'abondance ce que nous demandons. Voyez saint Augustin qui, pendant cinq ans, demande au bon Dieu la grâce de sa conversion. Voyez sainte Marie Égyptienne qui, pendant dix-neuf ans, demanda au bon Dieu la grâce de la délivrer des sales pensées. Mais qu'ont fait les saints ? Le voici. Ils ont toujours persévéré à demander, et par leur persévérance, ils ont toujours obtenu ce qu'ils ont demandé au bon Dieu. Pour nous, quoique tout couverts de péchés, si le bon Dieu ne nous accorde pas de suite ce que nous lui demandons, nous pensons que le bon Dieu ne veut pas nous accorder ce que nous lui demandons, et de suite, nous laissons la prière. Non, M.F., ce n'est pas là la conduite qu'ont tenue les saints en persévérance : ils ont toujours pensé qu'ils étaient indignes d'être exaucés, et que, si Dieu le leur accordait, il n'écoutait que sa miséricorde et non leur mérite. Je dis donc que quand nous prions, quoi-qu'il semble que le bon Dieu n'écoute pas nos prières, il ne faut pas se lasser de prier ; mais toujours continuer. Si le bon Dieu ne nous accorde pas ce que nous lui demandons, il nous accorde une autre grâce qui nous est plus avantageuse que celle que nous demandons. Nous avons un exemple de la manière dont nous devons persévérer dans la prière, en la personne de cette femme chananéenne, qui s'adresse à Jésus-Christ pour lui demander la guérison de sa fille. Voyez son humi-lité et sa persévérance, etc... Voici un autre exemple admirable de la puissance de la prière. Nous lisons dans l'histoire des Pères du désert, que les catholiques étant allés trouver un saint dont la réputation s'étendait bien au loin, pour le prier de venir confondre un certain hérétique, dont les discours séduisaient beaucoup de monde, ce saint s'étant mis en dispute avec ce mal-heureux, sans pouvoir le porter à convenir qu'il avait tort, et qu'il était un malheureux qui semblait n'être né que pour perdre les âmes ; voyant toujours que, par ses détours, il voulait faire croire qu'il n'avait pas tort ; le saint lui dit : « Malheureux, le royaume de Dieu ne consiste pas en paroles, mais en œuvres ; allons tous les deux, et avec tout ce monde qui seront autant de témoins, allons au cimetière ; nous invoquerons le bon Dieu sur le premier mort que nous trouverons, et nos œuvres feront voir notre foi. » Cet hérétique fut tout interdit de cette proposition, il n'osa se rendre à l'invi-tation : il demanda au saint d'attendre jusqu'au lende-main ; le saint y consentit. Le lendemain, le peuple qui désirait avec empressement de savoir à quoi cela abou-tirait, se rendit en foule au cimetière. L'on attendit jusqu'à trois heures du soir ; mais on annonça au saint que son adversaire avait pris la fuite pendant la nuit et s'était retiré en Égypte. Alors saint Macaire conduisit tout ce peuple qui attendait le résultat de leur confé-rence, et surtout ceux que ce malheureux avait trompés, il les mena au cimetière. S'étant arrêté sur un tombeau, là, en leur présence, il se mit à genoux, pria quelque temps, et s'adressant au plus ancien cadavre qui fût enterré dans ce lieu, lui dit : « O homme ! écoute-moi : si cet hérétique fût venu ici avec moi, et que, devant lui, j'eusse invoqué le nom de Jésus-Christ mon Sau-veur, ne te serais-tu pas levé pour rendre témoignage à la vérité de ma foi ? » A ces mots, le mort se lève et en présence de tout le monde, dit qu'il l'aurait de suite fait comme il faisait maintenant. Saint Macaire lui dit « Qui es-tu ? et en quel âge du monde as-tu vécu ? As-tu connaissance de Jésus-Christ ? » Le mort ressuscité lui répondit qu'il avait vécu du temps des plus anciens rois ; mais qu'il n'avait jamais entendu nommer le nom de Jésus-Christ. Alors saint Macaire, voyant que tout le monde était bien convaincu que ce malheureux héré-tique était un trompeur, dit au mort : « Dors en paix jusqu'à la résurrection générale. » Et tout le monde se retira en louant Dieu, qui avait si bien fait connaître la vérité de notre sainte religion. Pour saint Macaire, il retourna dans son désert pour y continuer à faire péni-tence .
Voyez-vous, M.F., la puissance de la prière quand elle est bien faite ? Ne conviendrez-vous pas avec moi que si nous n'obtenons pas ce que nous demandons au bon Dieu, c'est que nous ne prions pas avec foi, avec un cœur assez pur, avec une confiance assez grande, ou que nous ne persévérons pas assez dans la prière ? Non, M.F., jamais Dieu n'a refusé et ne refusera rien à tous ceux qui lui demandent quelque grâce comme il faut. Oui, M.F., c'est la seule ressource qui nous reste pour sortir du péché, pour persévérer dans la grâce, pour toucher le cœur de Dieu, et pour nous attirer tou-tes sortes de bénédictions du ciel, soit pour l'âme, soit même pour les choses temporelles.
De là, je conclus que si nous restons dans le péché, si nous ne nous convertissons pas, si nous nous trou-vons si malheureux dans les peines que le bon Dieu nous envoie, c'est que nous ne prions pas ou que nous prions mal. Sans la prière, nous ne pouvons pas fré-quenter dignement les sacrements ; sans la prière, vous ne connaîtrez jamais l'état où le bon Dieu vous appelle. Sans la prière, nous ne pouvons qu'aller en enfer. Sans la prière, jamais nous ne goûterons les douceurs que nous pouvons goûter en aimant Dieu. Sans la prière, toutes nos croix sont sans mérite. Oh ! que de plaisirs, M.F., nous aurions en priant, si nous avions le bonheur de savoir prier comme il faut ! Ne prions donc jamais sans bien penser à qui nous parlons et à ce que nous voulons demander au bon Dieu. Prions surtout, M.F., avec humilité et confiance, et par là, nous aurons le bonheur d'obtenir tout ce que nous désirons, si nos demandes sont selon Dieu. Ce que je vous souhaite...
 

Sur les Rogations et
les Processions

L'Abstinence et les Quatre-Temps
 

Surrexit David et abiit, et universus populus... ut adducerent arcam Dei.
David s'en alla, accompagné de tout son peuple pour amener l'arche du Seigneur.
(II Liv. des Rois, VI, 2).

Pouvons-nous, M.F., trouver une cérémonie plus touchante que de voir le saint roi, accompagné de tous les prêtres et des lévites, qui étaient eux-mêmes suivis de tout le peuple, transportant l'arche sainte du taber-nacle de Silo  dans le lieu qu'il lui avait préparé à Jérusalem. Les prêtres et les lévites exerçaient autour d'elle les fonctions de leur ministère, et chaque tribu marchait sous son étendard. Nous voyons en cela, c'est--à-dire en ce triomphe du peuple Juif conduisant l'arche, une figure bien naturelle du pieux concours des chré-tiens qui vont en processions d'un endroit à un autre, sous la conduite de leur pasteur, ayant à leur tête la croix et les bannières. Réunis ensemble, ils forment un petit corps d'armée redoutable au démon et puissant auprès de Dieu, pour le remercier de quelques grâces, ou pour lui en demander. Il est donc très nécessaire de vous faire comprendre pourquoi l'on a établi ces proces-sions et comment nous devons y assister. Nous dirons aussi un mot sur l'abstinence, qui est établie à peu près pour les mêmes motifs : c'est-à-dire, pour demander au bon Dieu de conserver les récoltes, de nous fournir les moyens de satisfaire à sa justice pour nos péchés, et, en même temps, nous préserver d'en commettre de nou-veaux. II est donc de votre intérêt de bien écouter cette instruction, qui vous apprendra les moyens de profiter de ces biens que l'Église nous présente.

I. – Je vous dirai d'abord, M.F., que la première et la plus ancienne loi que le bon Dieu ait imposée à l'homme est celle de l'abstinence. Dès qu'Adam eut été créé, et que le bon Dieu l'eut placé dans le paradis terrestre, en lui donnant la puissance sur toutes les créatures, il lui défendit, en même temps, de toucher au fruit d'un cer-tain arbre qu'il lui marqua. Si Adam avait été fidèle à cette loi, nous n'aurions pas eu besoin que l'Église nous imposât de nouvelles abstinences. Mais, par le péché, notre chair s'étant soulevée contre notre esprit, il a fallu nécessairement la dompter par le jeûne et l'abstinence. C'est pour cela que l'Église ordonne à ses enfants, outre les jeûnes de Carême, ceux des Vigiles et des Quatre--Temps, et l'abstinence du vendredi et du samedi. Voilà, M.F., la fin générale que l'Église se propose en ordon-nant l'abstinence et le jeûne en certains jours : c'est d'entretenir dans ses enfants l'esprit de pénitence, que Jésus-Christ n'a cessé de recommander lorsqu'il était sur la terre, et qui est comme l'abrégé de la divine morale. Oui, M.F., c'est en mortifiant nos corps que nous affaiblissons nos passions, que nous pouvons expier nos péchés passés, et que nous trouverons un remède pour nous préserver d'en commettre de nou-veaux. Puisque, M.F., nous avons tant de fautes à expier, il faut donc profiter des moyens si efficaces pour satisfaire à la justice de Dieu. Oui, M.F., nous avons tous des passions à dompter, et c'est précisément en retranchant tout ce qui peut nous flatter dans le goût, que nous pourrons les surmonter. L'Église, qui sait le besoin que nous en avons et notre répugnance à le faire, vient à notre secours, en nous en faisant un comman-dement, afin de déterminer plus efficacement notre volonté à nous y soumettre .
Mais, outre cette loi générale, elle a encore des vues particulières : elle nous ordonne aussi des jeûnes, les veilles de grandes fêtes, pour nous disposer, par la pénitence, à les célébrer avec plus de piété et en retirer plus de fruit. Comme l'Église a consacré le dimanche à la mémoire de la résurrection de Jésus-Christ, de même, elle a consacré le vendredi au souvenir de la mort et passion de Jésus-Christ. N'est-il pas juste que nous con-sacrions ce jour à la pénitence et à la mortification, puisque ce sont nos péchés qui ont attaché Jésus-Christ à la croix ? N'est-il pas juste que nous prenions part à ses souffrances, si nous voulons avoir part à la grâce de la rédemption ? C'est pour cela, M.F., que, dans les premiers siècles de l'Église, tous les vendredis étaient des jours de jeûne. L'on jeûnait aussi le samedi pour honorer la sépulture de Jésus-Christ, et, en même temps, pour se préparer à la sanctification du dimanche. Puisque ces jours, M.F., sont des jours de grâce et de bénédiction, nous devons donc nous y préparer par la mortification, si nous voulons recevoir avec abondance les biens que le bon Dieu veut nous y donner. Aujour-d'hui, M.F., comme vous le voyez, ce jeûne du vendredi et du samedi se réduit seulement à se priver de manger de la viande, et l'Église nous en fait un commandement « Vendredi chair ne mangeras, ni le samedi mêmement. » Oui, M.F., nous devons tous nous soumettre à cette loi, et même les enfants, dès qu'ils le peuvent ; il n'y a que ceux qui véritablement ne le peuvent pas, qui en sont exempts .
Mais, hélas ! dans quel siècle misérable sommes-nous venus ? L'on ne connaît plus parmi les chrétiens s'ils sont des enfants de l'Église : presque tous semblent se faire une joie de violer les lois de l'abstinence. Hélas ! l'on ne se fait plus de scrupule de manger de la viande le samedi ou le vendredi ; la mauvaise compagnie vous fait renoncer à votre religion. Hélas ! que de péchés mortels ! Vous voit-on faire des fiançailles le samedi sans que l'on mange de la viande comme des païens ou des idolâtres ? Hélas ! quel scandale pour les enfants, et quelle source de malédictions pour ceux qui se marient ! – C'est l'habitude. – Hélas ! mon ami : si c'est l'habi-tude de manger de la viande le vendredi, le bon Dieu ne prendra jamais l'habitude de mettre dans le ciel ceux qui méprisent sa loi. La religion se perd donc parmi nous, parce que nous ne faisons plus cas de ses lois. Si Adam, M.F., s'est perdu en mangeant du fruit défendu, de même nous nous perdons en mangeant de la viande les jours défendus. Oh ! triste pensée, de mieux aimer aller brûler dans les enfers pour une éternité, que de se priver de manger de la viande ! – Mais, me direz-vous, c'est la compagnie. – Ah ! la compagnie, M.F. ! vous aussi ! eh ! quoi, la compagnie ! elle ne vous y force pas ; l'on ne vous ouvre pas la bouche pour vous mettre de la viande dedans. – Malheureux, vous aurez bien le temps de vous repentir !... Non, non, M.F., que jamais ce maudit respect humain ne vous fasse faire une action si indigne d'un chrétien et qui montre une si grande ingratitude envers le bon Dieu. Eh ! quoi, mon ami, vous craignez le monde ; mais jetez donc vos regards sur cette croix : voyez donc si votre Dieu a eu honte d'y mourir tout nu, à la vue d'une foule immense de monde ; allez, malheureux, vous êtes ingrats ; le bon Dieu vous attend devant son tribunal, où vous paierez cher votre respect humain. Vous craignez qu'on vous raille ? Oh ! certainement, vous êtes bien tant une belle relique, pour tant craindre que l'on se moque de vous ! Regardez donc votre modèle, M.F. ; a-t-il craint les railleries qu'on lui a faites pendant sa passion ? S'il les avait craintes, ne nous aurait-il pas laissés dans l'escla-vage du démon ? Allez, misérable, allez manger votre viande, vous aurez bien le temps de la regretter pen-dant l'éternité !... Non, M.F., que jamais ce maudit respect humain ne vous fasse trahir si lâchement votre devoir . Mais passons à une deuxième réflexion sur les jeûnes des Quatre-Temps.
Nous lisons dans l'Écriture sainte que les Juifs chas-sés de Jérusalem à cause de leurs infidélités, conduits en captivité à Babylone, éloignés du temple du Sei-gneur, reconnaissant que leurs péchés leur avaient mé-rité tous ces châtiments, voulurent essayer d'apaiser la colère de Dieu, et pour cela, ils se prescrivirent de jeûner le quatrième, le cinquième, le septième et le dixième jour du mois  et c’est à cet exemple que l'Église a institué les jeûnes des Quatre-Temps, afin de nous faire expier les péchés que nous ne cessons de commettre chaque jour, et afin d'attirer sur nous par cette pénitence générale, qui est beaucoup plus méri-toire que si nous nous l'imposions à nous-mêmes, pour nous attirer, dis-je, la miséricorde et les bénédictions du Ciel. Vous conviendrez avec moi que les trois jours de jeûne que nous pratiquons chaque saison : c'est-à--dire, tous les trois mois, n'ont guère de proportion avec les péchés que nous avons le malheur de commettre tous les jours. Cependant, l'Église, qui est une bonne mère et qui aime ses enfants, se contente de ce peu, si nous le faisons bien et de bon cœur : c'est-à-dire, du jeûne et des autres bonnes œuvres que nous pourrons faire. Pour mieux nous faire sentir la nécessité où nous sommes de bien accomplir ces saints jeûnes, elle nous en fait un commandement : « Quatre-Temps, Vigiles, jeûneras. » Elle veut, par ces jeûnes des Quatre-Temps, nous faire ressouvenir que, comme il n'y a point de temps où nous n'ayons le malheur d'offenser le bon Dieu, il n'y en a point aussi où nous ne fassions péni-tence, afin d'apaiser la colère du bon Dieu par le sacrifice d'un cœur contrit et humilié. Voilà la pre-mière raison qui a porté l'Église à instituer les Quatre--Temps.
La deuxième raison se rapporte à nos besoins tempo-rels. Vous savez qu'il y a des jeûnes de Quatre-Temps dans le printemps, parce que c'est dans ce moment que le retour du soleil commence à ranimer la nature, et à ouvrir la terre pour la production des fruits. L'Église nous avertit de demander à Dieu qu'il veuille bien donner la fécondité à la terre par ses bénédictions. Dans l'été, comme la récolte est exposée à mille accidents fâcheux, l'intention de l'Église est que nous priions le bon Dieu de les conserver et de nous accorder, par miséricorde, ce qui nous est nécessaire à la vie pendant l'année. Je dis, M.F., par miséricorde : c'est parce que, étant pécheurs comme nous le sommes, nous n'avons aucun droit aux biens même nécessaires à la vie. D'après cela, nous devons donc humblement demander au bon Dieu la nourriture, le vêtement, comme une aumône qu'il peut nous refuser sans injustice, et les recevoir avec beaucoup de reconnaissance, comme un bienfait tout gratuit qu'il répand sur nous par sa pure bonté. C'est pour cela qu'en automne, où l'on est occupé à la récolte, et en hiver, lorsqu'elle est achevée, l'Église veut que nous offrions à Dieu nos jeûnes et nos aumônes comme un sacrifice d'actions de grâces, pour tous les biens qu'il nous a accordés pendant l'année.
La troisième raison pour laquelle l'Église a institué les Quatre-Temps, c'est pour demander au bon Dieu la grâce de faire un bon usage des biens qu'il nous a don-nés, et de ne jamais perdre de vue Celui qui nous les a donnés. Mais, malheureusement, ce n'est pas ce que nous faisons ! Hélas ! M.F., qui de nous pourrait ne pas déplorer l'aveuglement des chrétiens, qui, dans le temps des récoltes, devraient remercier le bon Dieu des biens qu'il nous donne, et qui, bien loin de là, sem-blent redoubler leur fureur envers lui par les péchés qu'ils commettent dans ces mêmes temps qu'ils ramas-sent les biens que le bon Dieu leur a donnés. Nous devons donc conclure, M.F., que si nous sommes en état de jeûner, et que nous ne le fassions pas, nous péchons mortellement, et que, si nous ne pouvons pas jeûner, nous devons toujours le remplacer par quelque bonnes œuvres : soit en nous privant de quelque chose dans nos repas, soit en assistant à la sainte messe, ou bien en faisant quelque prière de plus que les autre jours. Nous devons, pour nous unir à l'Église, nous exciter à la contrition de nos péchés, gémir de ce que nous ne pouvons pas faire pénitence, afin de satisfaire au moins ainsi pour nos péchés à la justice de Dieu.
La quatrième raison qui a porté l'Église à instituer le jeûne, c'est de demander au bon Dieu que les évêques n'ordonnent que de bons prêtres ; puisque c'est par le ministère du prêtre que le bon Dieu nous éclaire, nous conduit, nous distribue ses grâces et nous applique dans les sacrements le prix du sang de Jésus-Christ. Un bon pasteur, un pasteur selon le cœur de Dieu : c'est là le plus grand trésor que le bon Dieu puisse accorder à une paroisse, et un des plus précieux dons de la mi-séricorde divine. Au contraire, un mauvais prêtre est un des plus terribles fléaux de la colère de Dieu ; c'est pour cela que l'Église invite et commande à tout le monde qui sont en état de faire le jeûne, afin d'attirer sur les évêques les lumières nécessaires pour bien connaître ceux que le bon Dieu destine à son service, et pour qu'il répande ses grâces et ses dons sur ceux qui vont être ordonnés. Vous voyez, M.F., combien nous y sommes tous intéressés, puisqu'il semble que notre salut en dépend ; en effet, si vous êtes conduits par un bon prêtre, vous pouvez recevoir toute sorte de béné-dictions, soit par les prières qu'il fera pour vous, soit par les bons conseils qu'il vous donnera,

II. – En deuxième lieu, nous avons dit que nous par-lerions des différentes processions qui se font pendant l'année, qui ont chacune un objet particulier. La pro-cession du Saint-Sacrement a pour objet de célébrer le triomphe que Jésus-Christ a fait remporter à son Église sur ses ennemis qui nient la présence réelle dans le sacrement adorable, et, en même temps, de se faire rendre les hommages qui lui sont dus dans ce sacre-ment d'amour. C'est la plus auguste de toutes les pro-cessions, puisque Jésus-Christ y marche en personne. Oh ! de quel respect et de quel amour ne devrions-nous -pas être pénétrés dans ce moment si heureux, si nous avions le bonheur de le bien comprendre, puisque nous avons le même avantage que ceux qui suivaient le Sau-veur lorsqu'il était sur la terre ! La procession des Ra-meaux se fait pour honorer la marche, l'entrée triom-phante de Jésus-Christ à Jérusalem, cinq jours avant sa mort ; celle de la Purification, pour représenter le voyage que la sainte Vierge fit au Temple, portant Jésus-Christ entre ses bras ; celle de l'Assomption a été instituée pour célébrer le triomphe de la Mère de Dieu élevée au ciel, et pour renouveler la consécration de la France à cette auguste Reine, qui nous a tant donné de preuves de sa protection. Les dimanches, avant la messe de paroisse, on fait une procession pour honorer Jésus--Christ ressuscité, qui alla de Jérusalem en Galilée ; parce que tous les dimanches sont une suite de la résurrection de Jésus-Christ. L'on fait cette procession avant la Messe, pour rappeler le voyage que Jésus-Christ fit en allant au Calvaire ; puisque le saint sacrifice de la Messe n'est autre chose qu'une continuation du sacrifice de la croix. Dites-moi, si vous aviez bien réfléchi que la procession que nous faisons les dimanches avant la sainte Messe  était pour honorer le voyage que Jésus-Christ fit en allant au Calvaire, avec quel empressement ne vous y ren-driez-vous pas pour avoir le bonheur de suivre en esprit Jésus-Christ qui va s'immoler une deuxième fois pour nous ? Avec quelle piété, M.F., et avec quel respect, vous y assisteriez ! Ne vous semblerait-il pas voir le sang que ce divin Sauveur a répandu en allant au Cal-vaire ? Hélas ! si nous voyons tant d'indifférence et si peu de respect, c'est que l'on ne connaît pas ce que l'on fait et les mystères que ces différentes cérémonies nous rappellent. Heureux le chrétien qui est instruit et qui entre dans l'esprit de l'Église !
Nous voyons que, dans les temps de calamités publi-ques, les évêques ordonnent des processions extraordi-naires pour apaiser la colère de Dieu, ou pour obtenir de sa miséricorde quelque grâce particulière. Dans ces processions, l'on porte quelquefois les reliques des saints, afin que le bon Dieu, à la vue de ce dépôt pré-cieux, se laisse fléchir en notre faveur. L'Église a fixé quatre jours dans l'année pour faire ces processions de pénitence, qui sont : le jour de Saint-Marc et les trois jours des Rogations. Dans ces processions, l'on porte une croix et des bannières, où est peinte l'image de la sainte Vierge et du patron de la paroisse : c'est pour avertir les fidèles qu'ils doivent toujours marcher à la suite de Jésus-Christ crucifié, et s'efforcer d'imiter les saints que l'Église nous a donnés pour patrons, protec-teurs et modèles. Nous devons regarder toutes les pro-cessions que nous faisons comme une espèce de triom-phe où nous accompagnons Jésus-Christ et les saints ou saintes. Jésus-Christ se plaît à répandre les bénédictions dans tous les lieux où son image ou celle des saints a passé : c'est ce qui s'est vu d'une manière particulière à Rome, lorsque la peste semblait ne vouloir laisser personne. Le Pape voyant que ni les pénitences, ni les autres bonnes œuvres, ne pouvaient faire cesser ce fléau, ordonna une procession générale, où l'on porta l'image de la sainte Vierge peinte par saint Luc. Dès que l'on fut en route, partout où l'image de la sainte Vierge passait, la peste cessait et l'on entendit des anges qui chantaient : « Regina cæli lætare, Alleluia. » Alors la peste cessa entièrement. Cette marche, que nous faisons en suivant la croix, nous rappelle que notre vie ne doit être autre chose qu'une imitation de celle de Jésus-Christ qui s'est donné pour être notre modèle, et en même temps notre guide ; et que, toutes les fois que nous le quittons, nous sommes surs de nous égarer. La croix et les bannières, M.F., que nous voyons à la tête des pro-cessions, sont pour les vrais fidèles un grand sujet de joie, parce que nous faisons un petit corps d'armée qui est formidable au démon et nous donne droit aux grâces de Dieu, puisqu'il n'y a rien de si puissant que les priè-res qui se font, tous réunis ensemble, sous la conduite des pasteurs . Voyez, M.F., ce qui arriva aux Israé-lites sous la conduite de Josué : ils firent pendant sept jours le tour des remparts de la ville de Jéricho avec l'arche, marchant respectueusement avec les ministres sacrés. Les Chananéens s'en moquaient du haut de leurs murailles ; mais ils changèrent bientôt de sentiments . A la fin de cette étrange procession, les fortifications tombèrent au seul son des trompettes, et le Seigneur livra leurs ennemis entre leurs mains avec la même faci-lité que des agneaux sans aucune résistance. Tel est, M.F., la victoire que Jésus-Christ nous fait remporter sur les ennemis de notre salut, lorsque nous avons le bonheur d'assister à ces processions avec beaucoup de religion et de respect.

III. – En troisième lieu, nous disons que les proces-sions doivent nous faire penser que nous ne sommes que de pauvres voyageurs sur la terre, que le ciel est notre véritable patrie, et que nous avons des lumières et des grâces de Jésus-Christ pour y arriver. Il est lui--même le chemin, puisque c'est lui qui nous a montré tout ce que nous devions faire pour y parvenir. L'Église veut nous inspirer par ces processions que nous ne devons point nous attacher à la vie, mais à Jésus-Christ jusqu'à la mort, puisqu'il est notre récompense pour l'éternité. Oui, M.F., voilà les avantages que nous trou-vons dans les processions, si nous avons le bonheur de bien nous pénétrer de ce que nous faisons. Hélas ! quel mépris Jésus-Christ ne reçoit-il pas dans les pro-cessions que nous faisons ? Les uns ne savent plus ce qui les y conduit ; ils y vont comme en riant ; les autres y parlent comme dans une place ordinaire, regardent d'un côté et d'un autre. Hélas ! si j'osais le dire, com-bien promènent leurs regards sur des objets qui ani-ment et enflamment leurs passions et qui, à la fin de la procession, sortent beaucoup plus criminels que dans le moment où ils sont entrés parmi les fidèles ! Mon Dieu, que de grâces méprisées ! que de péchés qui se commet-tent dans un moment si précieux pour obtenir les grâ-ces les plus abondantes ! que de choses pour conten-ter le démon !... Si nous y paraissions avec de bonnes dispositions !... Nous devons donc nous faire un devoir d'assister aux processions autant que nous le pouvons ; si absolument nous ne pouvons pas y assister, il nous faut y suppléer en faisant toutes les prières que font ceux qui ont le bonheur d'y assister et nous efforcer de les accompagner avec les saintes dispositions que l'Église nous commande.
La première disposition, c'est de nous pénétrer de ce que l'Église veut nous représenter dans chaque proces-sion. Ne perdons jamais de vue, M.F., que pour plaire à Dieu et mériter ses grâces, il faut l'adorer en esprit et en vérité, et que nous faisons comme les Juifs quand nous nous contentons de n'y être que de corps. Mais un bon chrétien doit se pénétrer l'esprit de ce que l'Église veut lui représenter dans toutes les cérémonies qu'elle fait. Il faut que nous croyions véritablement que nous sommes en la présence de Dieu, que nous le suivions comme faisaient les premiers chrétiens dans le cours de sa vie mortelle, et que nous ne venions dans ces proces-sions que pour y demander miséricorde, et par consé-quent, être sensiblement affligés d'avoir offensé un Dieu si bon.
La seconde disposition que le bon Dieu veut que nous ayons dans les processions, c'est de marcher avec beaucoup d'ordre : parce qu'il y a assez d'une personne qui va mal, pour donner combien de distractions aux autres. L'ordre consiste à marcher avec modestie sans regarder d'un côté et d'un autre, sans parler, sans rire ; parce que ceci serait un mépris que l'on ferait de la présence de Dieu et des choses saintes.
La troisième disposition est de joindre ses prières à celles que la sainte Église fait pendant la procession ; c'est-à-dire que vous devez vous unir au prêtre en fai-sant toutes les prières qu'on y fait. Si vous ne savez pas lire, eh bien ! vous dites votre chapelet, en unissant vos prières à celles du prêtre et de tous les autres fidèles. Il faut bien prendre garde de ne pas laisser égarer notre esprit par les différents objets que nous voyons devant nous ; mais il faut un peu baisser les yeux pour que le démon n'y ait pas tant d'occasions de nous distraire. Avant que de commencer, il faut bien demander au bon Dieu pardon de nos péchés, afin qu'il arrête sa miséri-corde sur nous. Hélas ! depuis combien d'années assis-tons-nous aux saintes processions, et malgré cela, nous n'en valons pas mieux ! Savez-vous, M.F., d'où nous peut venir ce malheur ? C'est que nous ne nous sommes jamais bien pénétrés de ce que nous faisons, et que toujours nous l'avons fait par habitude, par coutume, et non par un esprit de piété et d'amour. Oui, M.F., un bon chrétien doit toujours assister aux prières et à tous les exercices de la religion avec un nouveau goût, tou-jours avec un nouveau désir d'en profiter mieux qu'il n'a fait. Quelle bonté de la part du bon Dieu que de nous souffrir en sa sainte présence, et de nous permet-tre de faire ce que font les saints dans le ciel ! Que l'homme serait mieux sur la terre s'il avait le bonheur de connaître la sainte religion !
Mais voyons maintenant un mot de ce que c'est que la procession de Saint-Marc et celle des Rogations. Écoutez bien : ceci est assez intéressant. Il faut que vous sachiez qui les a instituées, quand elles ont été instituées, et pourquoi elles ont été instituées.
En l'année 492, les tremblements de terre furent si grands, et les habitants de la ville de Vienne en Dau-phiné furent si épouvantés qu'ils se croyaient à la fin du monde. Ce qui les effraya encore plus, ce fut le feu du ciel qui tomba sur la maison de ville, et la réduisit en cendres avec plusieurs maisons voisines. Les bêtes féroces sortaient des forêts, et venaient attaquer les hommes au milieu des places publiques. Les habitants, tout effrayés, courent dans l'église avec leur évêque, pour se garantir de ces monstres. Saint Mamert, qui était leur évêque, fit faire beaucoup de prières et de pénitences ; et ensuite, pour demander à Dieu la cessa-tion de ces maux, il ordonna, trois jours avant l'Ascen-sion, des processions solennelles et des jeunes pour apaiser la colère de Dieu. Les autres églises de France, et plusieurs autres églises en firent de même, et ensuite ces processions se firent dans tout le monde chrétien. Rien n'était plus édifiant que la manière dont ces pro-cessions se faisaient alors : on y assistait nu-pieds, revêtu de cilice et couvert de cendres ; on observait un jeûne très rigoureux pendant les trois jours ; il était défendu de travailler, afin que l'on eût plus de temps pour la prière, et tout ce temps était employé à deman-der pardon au bon Dieu des péchés, à prier pour la conservation des fruits de la terre et pour les besoins de l'État.
Pour la procession de Saint-Marc, elle a été instituée par le pape saint Grégoire le Grand, en 590, à l'occasion d'une horrible calamité qui ravageait Rome. Les eaux ayant croupi longtemps après une furieuse inondation, elles corrompirent l'air, ce qui causa une peste cruelle qui fit périr une multitude considérable de monde, de tout âge et de tout état. La procession que saint Gré-goire le Grand ordonna se fit avec tant de piété, de ferveur et de larmes que la peste cessa sur-le-champ. L'Église, voyant combien le péché se multipliait sur la terre, voyant que le bon Dieu nous châtiait rigoureuse-ment, ordonna de continuer ces saintes processions, afin de nous porter à la pénitence, d'apaiser la justice de Dieu et de conserver les fruits de la terre, qui sont exposés pendant neuf mois de l'année à mille accidents. On appelle ces processions grandes et petites Litanies, ce qui veut dire : prière et supplication. Les litanies n'étaient au commencement que des cris redoublés qu'on poussait vers le bon Dieu en demandant miséricorde par ces deux mots : Kyrie eleison. On y a ensuite ajouté les noms de la sainte Vierge et des saints, pour les prier de s'intéresser à nous auprès du bon Dieu. L'Église, après avoir invoqué le nom de Dieu, réclame l'intercession des saints, expose dans ces litanies les maux dont elle se sent pressée et les biens dont elle se sent le besoin ; elle conjure la bonté de Dieu, par tous les mystères de Jésus-Christ, et surtout par sa qualité d'Agneau et de Victime de Dieu pour nos péchés, qui est le titre le plus capable d'apaiser la colère de Dieu. Oui, ces litanies, ces processions, la sainte Messe et l'abstinence  que l'Église nous prescrit ces jours-là nous montrent parfaitement quelles sont ses vues dans tout cela.
Nous devons donc, M.F., pour nous conformer à son intention, regarder ces jours comme des jours consa-crés à la prière, à la pénitence et aux autres bonnes œuvres ; nous faire un grand scrupule d'y man-quer ; et y paraître avec un extérieur modeste et recueilli, avec un cœur contrit et profondément humi-lié sous la puissante main de Dieu, par la vue de nos péchés et des châtiments qu'ils méritent. Étant animés de ces sentiments, nous devons solliciter avec instance, au nom de Jésus-Christ, la divine Miséricorde pour nous, pour nos frères, pour tous les besoins de l'Église, pour les besoins de l'État, et particulièrement pour la conservation des biens de la terre. Mais, hélas ! des devoirs si nécessaires et fondés sur des motifs si intéressants sont presque entièrement oubliés ; tandis qu'on voit certaines personnes sans cesse aux vogues  du monde. Eh quoi ! si l'Église nous prescrit des prières pendant ces quatre jours, nous nous ferions une peine d'y assister, puisque ce n'est que pour apai-ser la colère du bon Dieu et pour détourner les maux que méritent nos péchés ?
Savez-vous, M.F., à quoi l'Église nous invite lors-qu'elle nous appelle aux processions ? Le voici, M.F. C'est de quitter quelques moments le travail de la terre, pour nous occuper de celui de notre salut. Quel bonheur, quelle grâce de nous forcer en quelque sorte de sauver notre âme ! Mon Dieu, quel don !  nous cherchons le ciel dans ces processions. Disons encore que nous fai-sons, dans ce moment, ce que les saints ont fait toute leur vie. Dites-moi, M.F., qu'a fait Jésus-Christ pen-dant sa vie ? Rien autre, sinon que de travailler à nous sauver. Eh bien ! M.F., voilà ce que nous faisons pen-dant les jours de Saint-Marc et des Rogations. Quel bonheur, M.F., de travailler dans ce moment au salut de notre âme ! Hélas ! M.F., que le bon Dieu se contente de peu de chose, si nous comparons ce que nos péchés méritent à ce que les saints ont fait ! Ils ne se sont pas contentés de quelques jours de jeûne et de quelques voyages de dévotion, ni de quelques jours d'abstinence ; mais voyez combien d'années de larmes et de péni-tences pour bien moins de péchés que nous ! Voyez un saint Hilarion, qui pleura pendant quatre-vingts ans dans un bois. Voyez un saint Arsène, qui passa le reste de sa vie entre deux roches. Voyez un saint Clément, qui a enduré un martyre qui a duré trente-deux ans. Voyez encore ces foules de martyrs, qui ont donné leur vie pour assurer leur salut. On en voit un exemple bien frappant dans la personne de sainte Félicité, mère de sept enfants, qui vivait sous l'empereur Antonin. Les prêtres des idoles, voyant comment cette sainte savait faire sortir les gens de l'idolâtrie, dirent à l'empereur : « Nous croyons, Seigneur, devoir vous avertir qu'il y a dans Rome une veuve avec ses sept enfants qui, étant de cette secte impie que l'on nomme chrétienne, font des vœux sacrilèges qui rendront vos dieux implaca-bles. » Sur-le-champ, l'empereur dit au préfet de faire venir cette veuve, de la forcer, par toutes sortes de tourments, à sacrifier à ses dieux ; et à son refus, de la faire mourir. Le préfet l'ayant fait venir, la pria avec bonté de quitter sa religion impie, et de sacrifier aux dieux de l'empire ; sinon l'empereur avait ordonné de la faire mourir. Mais sainte Félicité lui répondit avec une sainte fierté : « N'espérez pas, Publius, que vous me gagnerez par vos prières ni par vos menaces. Vous avez le choix, ou de me laisser vivre, ou de me faire mourir ; mais vous êtes sûr d'être vaincu par une femme. » – « Mais, lui dit le préfet, si tu veux mourir, meurs ; mais au moins ne sois pas la cause que tes enfants périssent. » – « Mes enfants périraient, s'ils savaient sacrifier aux démons qui sont tes dieux ; mais s'ils meurent pour le vrai Dieu, ils vivront éternellement. » Mais le préfet : « Ayez au moins pitié de vos enfants qui sont à la fleur de leur âge. » – « Gardez votre compassion pour d'au-tres, nous n'en voulons point. » Ensuite se tournant contre ses enfants qui étaient présents : « Voyez-vous, mes enfants, ce ciel si beau et si élevé, c'est là que Jésus-Christ vous attend pour vous récompenser ; com-battez généreusement, mes enfants, pour le grand Roi du Ciel et de la terre. » On la fit frapper cruellement au visage. Le préfet fit venir le premier de ses enfants nommé Janvier ; ne pouvant le gagner, il le fit cruellement fouetter, puis conduire en prison. Félix se pré-senta ensuite, et lui répondit : « Non, préfet, vous ne nous ferez pas renoncer à notre Dieu pour sacrifier au démon ; faites-nous endurer tous les tourments que vous voudrez, nous ne les craignons pas. » Publius, les ayant fait passer devant son tribunal sans rien pouvoir gagner, le dernier lui dit : « Ah ! préfet, si tu savais les feux qui te sont préparés pour te brûler pendant toute l'éternité ! Ah ! si tu savais que la justice de Dieu est prête à te frapper ! Profite du temps que notre Dieu te laisse encore pour te repentir. » Rien ne put le gagner, il les fit tous mourir ; mais pendant l'exécution, la mère les engageait à souffrir généreusement pour Jésus-Christ : « Courage, mes enfants ; voyez le ciel où Jésus-Christ vous attend pour vous récompenser. »
Eh bien ! voilà des saints qui n'avaient qu'une âme à sauver, qu'un Dieu à servir comme nous, et voyez ce qu'ils ont fait. Oui, M.F., ils ne se sont pas contentés de quelques prières comme nous les faisons pendant quelques moments où l'Église nous appelle à prier ; mais ils ont courageusement donné leur vie pour sauver leur âme. Finissons, M.F., en disant que nous devons nous faire un grand plaisir, une grande joie d'assister à toutes ces saintes processions qui se font dans le cou-rant de l'année, et tâchons d'y venir avec un désir sin-cère pour demander miséricorde. Faisons que jamais le respect humain, ni la moindre incommodité ne soient capables de nous faire transgresser la loi de l'abstinence et du jeûne. Heureux, M.F., si nous remplissons toutes ces petites pratiques de piété, puisque le bon Dieu veut s'en contenter...
 Pour le jour de l’Ascension
 

Gaudete, et exultate, quoniam merces vestra copiosa est in cælis.
Réjouissez-vous, faites éclater votre joie, parce qu'une grande récompense vous est promise dans le ciel.
(S. Matth., V, 12.)

Telles furent, M.F., les consolantes paroles que Jésus-Christ adressa à ses Apôtres pour les consoler et les animer à souffrir courageusement les croix et les persécutions qui devaient leur arriver. « Oui, mes en-fants, leur dit ce tendre Père, vous allez devenir l'objet de la haine et des mépris des méchants, vous serez la victime de leur fureur, les hommes vous haïront, vous conduiront devant les princes de la terre, pour être jugés et condamnés aux supplices les plus affreux, à la mort la plus cruelle, la plus honteuse ; mais, bien loin de vous décourager, réjouissez-vous parce qu'une grande récompense vous est réservée dans le ciel. » O beau ciel ! qui ne vous aimerait pas, puisque tant de biens sont renfermés dans vous ! N'est-ce pas, en effet, M.F., la pensée de cette récompense qui rendait les Apôtres infatigables dans leurs travaux apostoliques, invincibles contre les persécutions qu'ils eurent à souffrir de la part de leurs ennemis ? N'est-ce pas la pensée de ce beau ciel qui faisait paraître les martyrs devant leurs juges avec un courage qui étonnait les tyrans ? N'est-ce pas la vue d'un tel objet, qui éteignait l'ardeur des flammes destinées à les dévorer, et qui émoussait le tranchant des glaives qui les frappaient ? Oh ! combien ils se trou-vaient heureux de sacrifier leurs biens, leur vie, pour leur Dieu, dans l'espérance qu’ « ils passeraient à une meilleure vie qui ne finirait jamais ! O heureux habi-tants de la cité céleste, que de larmes vous avez versées et que de souffrances vous avez endurées pour acquérir la possession de votre Dieu ! Oh ! nous crient-ils du haut de ce trône de gloire où ils sont assis, oh ! comme Dieu nous récompense pour le peu de bien que nous avons fait ! Oui, nous le verrons, ce tendre Père ; oui, nous le bénirons, cet aimable Sauveur ; oui, nous le remercierons, ce charitable Rédempteur, pendant des années sans fin. O heureuse éternité ! s'écrient-ils, que tu vas nous faire éprouver de douceurs et de joies ! Beau ciel, quand te verrons-nous ? O heureux mo-ment, quand viendras-tu  ? Sans doute, M.F., que tous, nous désirons et soupirons après de si grands biens ; mais pour vous les faire désirer avec encore plus d'ardeur, je vais vous montrer, autant qu'il me sera possible, le bonheur dont les saints sont enivrés ; en-suite, le chemin qu'il faut prendre pour y aller.

I. – Si je devais, M.F., vous faire le triste et déplo-rable tableau des peines qu'endurent les réprouvés dans les abîmes, je commencerais à vous prouver la certitude de ces peines ; ensuite, j'étalerais devant vos yeux avec un tremblement, ou pour mieux dire, avec une espèce de désespoir, la grandeur et la durée des maux qu'ils souffrent et qu'ils souffriront éternellement. A ce récit lamentable, vous vous sentiriez saisis d'horreur, et pour vous le faire encore mieux comprendre, je vous montre-rais quelles sont les causes qui peuvent si vivement dévorer leurs âmes de désespoir et d'horreur. Il y en a quatre, vous dirais-je, qui sont : la privation de la vue de Dieu, la douleur qu'ils ressentent, la certitude qu'ils ont qu'elle ne finira jamais, et les moyens qu'ils avaient eus, par lesquels ils pouvaient si facilement s'en exemp-ter : ce qui sera comme autant de bourreaux qui les dévoreront pendant une éternité entière. En effet, quand un damné demanderait pendant mille éternités, s'il était possible d'en avoir mille, avec les cris les plus déchi-rants et les plus attendrissants, le bonheur de voir Dieu une seule minute, il est certain que jamais cela ne lui sera accordé. En deuxième lieu, je dis qu'à chaque ins-tant, lui seul souffre plus que jamais n'ont souffert tous les martyrs ensemble, ou, pour mieux dire, il endure, à chaque minute de l'éternité, toutes les souffrances qu'il doit souffrir pendant l'éternité. La troisième cause de leurs supplices c'est que, malgré la rigueur de leurs peines, ils sont assurés qu'elles ne finiront jamais. Mais ce qui achèvera de mettre le comble à leurs tourments, à leur désespoir, c'est qu'ils verront tant de moyens si faciles, non seulement pour éviter toutes ces horreurs, mais encore pour être heureux pendant toute l'éternité ; ils verront sans cesse toutes les grâces que Dieu leur a offertes pour se sauver, ce qui sera autant de bourreaux qui les dévoreront. Du fond des flammes, ils verront les bienheureux assis sur des trônes de gloire, saisis d'un amour ardent et si tendre qu'ils seront dans une ivresse continuelle ; pour eux, la pensée des grâces que Dieu leur a faites, le souvenir du mépris qu'ils en ont fait, leur feront pousser des hurlements de rage et de désespoir si affreux que l'univers entier, si Dieu permettait qu'ils fussent entendus, en perdrait la vie et tomberait dans le néant. De là s'ensuivront les blasphèmes les plus horribles, qu'ils vomiront les uns contre les autres. Un enfant criera qu'il n'est perdu que parce que ses parents l'ont bien voulu ; il invoquera la colère de Dieu, et lui demandera, avec les plus horribles cris, de lui accorder d'être le bourreau de son père. Une fille arrachera les yeux à sa mère qui, au lieu de la conduire au ciel, l'a poussée, traînée en enfer par ses mauvais exem-ples, par des paroles qui ne respiraient que la monda-nité, le libertinage. Ces enfants vomiront des blasphè-mes horribles contre Dieu de n'avoir pas assez de puis-sance et de fureur pour faire souffrir leurs parents ; ils courront dans les abîmes comme des désespérés qu'ils seront, pour arracher et traîner les démons, pour les jeter sur leurs pères et mères ; afin de faire sentir que jamais ils ne seront assez tourmentés pour les avoir perdus, tandis qu'ils pouvaient si bien les sauver. O éternité malheureuse ! ô malheureux pères et mères, que les tourments qui vous sont réservés sont affreux ! Encore un instant, et vous les éprouverez, encore un instant et vous brûlerez dans les flammes !...
Mais non, M.F., n'allons pas plus loin ; ce n'est pas le moment de nous entretenir d'un objet aussi triste et aussi malheureux ; ne troublons pas la joie que nous avons ressentie en... aux approches d'un jour consacré à publier le bonheur dont jouissent les élus dans la cité céleste et permanente. Je vous ai dit, M.F., que quatre choses accableront de maux les réprouvés dans les flammes ; de même, par rapport aux bienheureux, je vous dirai que quatre choses s'unissent ensemble pour ne rien laisser à désirer. Ces choses sont : 1° la vue et la présence du Fils de Dieu, qui se manifestera dans tout l'éclat de sa gloire, de sa beauté et de toutes ses amabilités ; c'est-à-dire, tel qu'il est dans le sein de son Père ; 2° c'est ce torrent de douceur et de chastes plaisirs qu'ils ressentiront, qui sera semblable au débordement d'une mer agitée par les fureurs d'une horrible tempête ; elle transporte dans ses flots, et les plonge dans une ivresse si ravissante qu'ils en ou-blient qu'ils existent. La troisième cause de leur bon-heur, au milieu de toutes ces délices, c'est l'assurance où ils seront qu'elles ne finiront jamais ; et enfin, ce qui achèvera de les noyer dans ces torrents d'amour, c'est que tous ces biens leur sont donnés pour récom-pense des vertus et des pénitences qu'ils auront faites. Ces saintes âmes verront que c'est à leurs bonnes œuvres qu'elles sont redevables des chastes embrasse-ments de leur époux.
Je dis d'abord que le premier transport d'amour qui s'emparera de leur cœur, c'est à la vue des beautés qu'elles découvriront aux approches de la présence de Dieu. Dans ce monde, si beau et si flatteur que soit un objet qui se présente à nous, après un instant de plai-sir, notre esprit se lasse et se tourne d'un autre côté, s'il y trouve de quoi se satisfaire ; il va d'une chose à l'autre sans pouvoir trouver de quoi se contenter ; mais, dans, le ciel, il n'en est pas de même ; il faut, au con-traire, que Dieu nous rende participants de ses forces, pour pouvoir soutenir l'éclat de ses beautés et des choses tendres et ravissantes qui s'offrent continuelle-ment à nos yeux ; ce qui jette les âmes des élus dans un tel abîme de douceur et d'amour, qu'elles ne peu-vent pas distinguer si elles vivent, ou si elles se chan-gent en amour. O heureuse demeure ! O bonheur per-manent ! qui de nous te goûtera un jour ?
En deuxième lieu, je dis que quelque grandes et ravissantes que soient ces douceurs, nous entendrons continuellement les anges qui chanteront qu'elles dure-ront toujours. Je vous laisse à penser ce que les bien-heureux ressentent de tout cela.
En troisième lieu, dans ce monde, si nous goûtons quelques plaisirs, nous ne tardons pas à ressentir quel-ques peines qui en diminuent les douceurs, soit par la crainte que nous avons de les perdre, soit aussi par les soins qu'il faut prendre pour les conserver : ce qui fait que nous ne sommes jamais parfaitement contents. Dans le ciel, ce n'est pas de même ; nous sommes dans la joie et les délices, et assurés que jamais rien ne pourra nous les ravir ni les diminuer.
En quatrième lieu, je dis que le dernier trait d'amour dont notre cœur sera percé, c'est le tableau que Dieu mettra devant nos yeux de toutes les larmes que nous aurons versées et de toutes les pénitences que nous aurons faites pendant notre vie, sans même laisser échapper une bonne pensée, un bon désir. Oh ! quelle joie pour un bon chrétien, qui verra le mépris qu'il a eu pour lui-même, les duretés qu'il aura exercées sur son corps, le plaisir qu'il éprouvait en se voyant mé-prisé ! Il verra sa fidélité à rejeter toutes ces mauvaises pensées dont le démon avait tâché de salir son imagina-tion ; il se rappellera ses préparations pour ses confes-sions, son empressement à nourrir son âme à la table sainte ; il aura devant les yeux chaque fois qu'il s'est dépouillé pour couvrir son frère pauvre et souffrant. « O mon Dieu ! O mon Dieu ! s'écriera-t-il à chaque ins-tant, que de biens pour si peu de chose ! » Mais Dieu, pour enflammer les élus d'amour et de reconnaissance, placera sa croix sanglante au milieu de sa cour, et leur fera la description de toutes les souffrances qu'il a endurées pour les rendre heureux, guidé qu'il était par son seul amour. Je laisse à penser quels seront leurs transports d'amour et de reconnaissance ; quels chastes embrassements ne vont-ils pas lui prodiguer pendant l'éternité, en se rappelant que cette croix est l'instru-ment dont Dieu s'est servi pour leur donner tant de biens !
Les saints Pères, en nous faisant la description des peines qu'endurent les réprouvés, nous disent que cha-cun de leurs sens est tourmenté, selon les crimes qu'ils ont commis et les plaisirs qu'ils ont goûtés : une per-sonne qui aura eu le malheur de s'être livrée au vice impur sera couverte de serpents et de dragons qui la dévoreront pendant l'éternité ; ses yeux qui auront eu des regards déshonnêtes, ses oreilles qui auront pris plaisir aux chansons et discours impudiques, sa bouche qui aura vomi ces impudicités, seront autant de canaux par où sortiront des tourbillons de flammes qui les dévoreront ; leurs yeux ne verront que les objets les plus horribles. Un avare y ressentira une faim à se dévo-rer lui-même ; un orgueilleux sera foulé sous les pieds des autres damnés, un vindicatif sera traîné par les démons dans les flammes. Non, M.F., il n'y aura aucune partie de notre corps qui ne souffrira à proportion des crimes qu'elle aura commis. O horreur ! O malheur épouvantable !...
D'après cela, je dis que, par rapport au bonheur des bienheureux dans le ciel, il en sera de même : leur bon-heur, leurs plaisirs et leurs joies seront grands à pro-portion de ce qu'ils auront fait souffrir leur corps pen-dant leur vie. Si nous avons eu horreur des chansons et des discours infâmes, nous n'entendrons, dans le ciel, que des cantiques tendres et ravissants, dont les anges feront retentir la voûte des cieux ; si nous avons été chastes dans nos regards, nos yeux ne seront occupés qu'à contempler des objets dont la beauté les tiendra dans un ravissement continuel sans pouvoir s'en lasser : c'est-à-dire que toujours nous découvrirons de nouvelles beautés semblables à une source d'amour qui coule sans cesse. Notre cœur qui aura gémi, pleuré pendant son exil, ressentira une telle ivresse de douceur qu'il ne sera plus à lui-même. Le Saint-Esprit nous dit que les personnes chastes seront semblables à une personne couchée sur un lit de roses, dont les odeurs la tiennent dans une extase continuelle. Pour mieux dire, ce ne sont que des plaisirs chastes et purs dont les saints seront nourris et enivrés pendant l'éternité.
Mais, pensez-vous en vous-même, quand nous serons dans le ciel, nous serons bien tous heureux de même. – Oui, mon ami, mais il y a quelque chose à distinguer. Si les damnés sont malheureux, et souffrent selon les crimes qu'ils ont commis ; de même, il ne faut pas douter que plus les saints ont fait de pénitences, plus leur gloire est brillante ; et voici comment cela se fera. Il est nécessaire, ou plutôt il faut que Dieu nous donne des forces proportionnées à l'état de gloire dont il veut nous environner, de sorte qu'il nous donnera des forces à proportion des douceurs qu'il veut nous faire éprouver. A ceux qui ont fait de grandes pénitences sans avoir commis de péchés, il donnera des forces suffisantes pour soutenir les grâces qu'il leur communiquera pendant toute l'éternité. Il est très véritable que nous serons tous très heureux et tous contents, parce que nous trouve-rons des délices autant qu'il nous en faudra pour ne rien nous laisser à désirer. « O mon Dieu ! mon Dieu ! s'écrie saint François de Sales, dans une furieuse tentation qu'il éprouve, vos jugements sont épouvantables ; mais si j'étais assez malheureux que de ne pas vous aimer dans l'éternité, ah ! du moins, accordez-moi la grâce de vous aimer autant que je pourrai en ce monde. » Ah ! si du moins, pauvres pécheurs qui ne voulez pas revenir à votre Dieu, si du moins, vous aviez les mêmes désirs que ce grand saint, que vous aimassiez le bon Dieu autant que vous le pouvez en cette vie ! O mon Dieu ! combien de chrétiens qui m'écoutent ne vous verront jamais ! O beau ciel ! ô belle demeure ! quand te verrons-nous ? O mon Dieu ! jusques à quand nous laisserez-vous lan-guir dans cette terre étrangère ? dans ce bannissement ?... Ah ! si vous voyiez celui que mon cœur aime ! ah ! dites--lui que je languis d'amour, que je ne vis plus, mais que je meurs à toute heure !...Oh ! qui me donnera des ailes comme à la colombe pour quitter cet exil et voler dans le sein de mon bien-aimé !... O cité heureuse ! d'où sont bannies toutes les peines et où l'on nage dans un déli-cieux torrent d'amour éternel !...

II. – Eh bien ! mon ami, vous en fâcherait-il d'être de ce nombre, tandis que les damnés brûleront, et pousse-ront des cris horribles sans jamais espérer de fin ? – Oh ! me direz-vous, non seulement il ne m'en fâcherait pas ; mais je voudrais déjà y être. – Je pensais bien que vous m'alliez dire cela ; mais il y a plus qu'à le désirer, il faut travailler pour le mériter. – Eh bien ! que faut-il donc faire ? – Vous ne le savez donc pas, mon ami ; eh bien ! le voici : écoutez-le bien et vous le saurez. Il faudrait ne pas tant vous attacher aux biens de ce monde, avoir un peu plus de charité pour votre femme, vos enfants, vos domestiques et vos voisins ; avoir un cœur un peu plus tendre pour les malheu-reux ; au lieu de ne penser qu'à ramasser de l'argent, à acheter des terres, il faudrait penser à vous acheter une place dans le ciel ; au lieu de travailler le diman-che, il faudrait le bien sanctifier en venant dans la maison de Dieu pour y pleurer vos péchés, lui demander de ne plus y retomber et de vous pardonner ; bien loin de ne pas donner le temps à vos enfants et à vos domestiques de remplir leurs devoirs de religion, vous devriez être les premiers à les y porter par vos paroles et vos bons exemples ; au lieu de vous emporter à la moindre perte ou contradiction qui vous arrive, vous devriez considérer qu'étant pécheur, vous en méritez bien plus, et que Dieu ne se conduit envers vous que de la manière la plus sûre pour vous rendre heureux un jour. Voilà, mon ami, ce qu'il faudrait faire pour aller au ciel, et vous ne le faites pas.
Non, me direz-vous. – Et qu'allez-vous devenir, mon frère, puisque vous tenez le chemin qui conduit dans un lieu où l'on souffre des maux si affreux ? Prenez garde, si vous ne quittez pas cette route, vous ne tar-derez pas d'y tomber ; faites là-dessus vos réflexions, et ensuite vous me direz ce que vous aurez trouvé, et moi je vous dirai ce qu'il faudra faire. N'est-ce pas, mon ami, que vous portez envie à ces heureux habi-tants de la cour céleste ? – Ah ! je voudrais y être déjà ; au moins je serais délivré de toutes les misères de ce monde. – Et moi aussi, je voudrais ; mais c'est qu'il y a autre chose à faire et à penser. – Que faut-il donc faire ? Je le ferai. – Vos pensées sont très bonnes eh bien ! écoutez un instant et je vais vous le montrer. Ne dormez pas, s'il vous plaît. Il faudrait, ma sœur, être un peu plus soumise à votre mari, ne pas vous laisser monter le sang à la tête pour un rien ; il fau-drait un peu plus le prévenir, et lorsque vous le voyez revenir dans le vin, ou bien ayant fait quelque mau-vais marché, il ne faudrait pas vous déchaîner contre lui jusqu'à ce que vous l'ayez fait mettre dans une fureur à ne plus se posséder. De là viennent les blasphèmes et les malédictions sans nombre contre vous, et qui scandalisent vos enfants et vos domesti-ques ; bien loin d'aller courir les maisons pour rappor-ter ce que vous dit ou fait votre mari, vous devriez employer ce temps-là en prières pour demander au bon Dieu de vous donner la patience et la soumission que vous devez à votre mari ; demander que Dieu lui touche le cœur pour le changer. Je sais bien ce qu'il faudrait encore faire pour aller au ciel : ma mère, écoutez-le bien et cela ne vous sera pas inutile. Ce serait de donner un peu plus de temps à instruire vos enfants et vos domestiques, à leur apprendre ce qu'ils doivent faire pour aller au ciel ; ce serait de ne leur acheter pas tout à fait de si beaux habits, pour avoir de quoi faire l'aumône, et attirer les bénédictions de Dieu, et peut-être même vous donner de quoi payer vos dettes ; il faudrait laisser les vanités de côté, et que sais-je encore ? Il faudrait qu'il n'y ait dans votre conduite que de bons exemples, cette exactitude à faire vos prières le matin et le soir, à vous préparer à la sainte communion, à approcher des sacrements ; il faudrait ce détachement des biens du monde, un langage qui montre le mépris que vous faites de toutes les choses d'ici-bas et l'estime que vous faites des choses de l'autre vie. Voilà quels devraient être vos occupations et tous vos soins ; si vous vous comportez autrement, vous êtes perdus ; pen-sez-y bien aujourd'hui, peut-être que demain il ne sera plus temps ; faites votre examen là-dessus, et ensuite, jugez-vous vous-même ; pleurez vos fautes, et tâchez de mieux faire, sinon vous ne serez jamais au ciel.
N'est-ce pas, ma sœur, que toutes ces ravissantes beautés dont les saints sont enivrés vous font envie ? – Ah ! me direz-vous, l'on porterait bien envie à un bonheur moins grand que celui-là. – Vous avez bien raison, je serais, je crois, comme vous ; mais ce qui me donne de l'inquiétude, c'est que je n'ai rien fait pour le mériter ; peut-être que vous êtes comme moi ? – Quoi qu'il faille faire, pensez-vous, je le ferais bien si je le savais ; que ne doit-on pas entreprendre pour se procurer tant de biens ? S'il était nécessaire de tout quitter et de tout sacrifier, même d'abandonner le monde, pour passer le reste de ses jours dans un monastère, je le ferais bien volontiers. – Voilà qui est très bien : ces pensées sont vraiment dignes d'une bonne chrétienne ; je ne croyais pas que votre courage fût si grand ; mais je vous dirai que Dieu n'en demande pas autant. – Eh bien ! pensez-vous, dites ce qu'il faut faire, et je le ferai très volontiers. – Je vais donc vous le dire et vous prier d'y bien faire réflexion. Ce serait de ne pas autant prendre soin de votre corps, le faire un peu plus souffrir ; ne pas tant craindre que cette beauté se perde ou se diminue ; n'être pas tout à fait si longue, le dimanche matin, à vous arranger, à vous considérer devant une glace de miroir, afin d'avoir plus de temps à donner au bon Dieu. Ce serait seulement d'avoir un peu plus de soumission à vos parents, en vous rappelant qu'après Dieu c'est à eux que vous devez là vie, et que vous devez leur obéir de bon cœur et non en murmurant. Ce serait aussi, au lieu de vous voir dans les plaisirs, dans les danses et les rendez-vous, de vous voir dans la maison du Sei-gneur, à le prier, à vous purifier de vos péchés et à nourrir votre âme du pain des anges. Ce serait aussi d'être un peu plus réservée dans vos paroles, un peu plus réservée dans les entretiens que vous avez avec les personnes d'un sexe différent. Voilà seulement ce que Dieu demande de vous ; si vous le faites, vous irez au ciel.
Et vous, mon frère, que pensez-vous de tout cela ? De quel côté portez-vous vos désirs ? – Ah ! dites-vous, j'aimerais bien mieux aller au ciel, puisque l'on y est si bien, que d'être jeté en enfer où l'on souffre tant et de toutes sortes de tourments ; mais c'est qu'il y a bien à faire pour y aller, c'est qu'il me manque du courage. Si un seul péché nous condamne, moi qui à chaque ins-tant, me mets en colère, je n'ose pas même entrepren-dre ! – Vous n'osez pas entreprendre ? Voulez-vous m'écouter un moment, et je vais vous montrer bien clairement que ce n'est pas si malaisé que vous le croyez bien ; et que vous aurez moins de peine à plaire à Dieu et à sauver votre âme, que vous en avez à vous procurer des plaisirs et à contenter le monde. Tournez seulement vos soins et vos peines que vous avez donnés au monde du côté du bon Dieu, et vous verrez qu'il n'en demande pas tant que le monde vous en demande. Vos plaisirs sont toujours mêlés de tristesses et d'amertumes, et de plus, suivis du repentir de les avoir goûtés. Combien de fois vous dites en revenant de passer une partie de la nuit dans un cabaret ou une danse : « Je suis fâché d'y avoir été ; si j'avais su tout ce qui s'y passe, je n'y aurais pas été. » Mais, au contraire, si vous aviez passé une partie de la nuit en prières, bien loin d'être fâché, vous sentiriez au dedans de vous-même une certaine joie, une douceur qui dévorerait votre cœur par ses traits d'amour. Plein de joie, vous diriez comme le saint roi David : « O mon Dieu ! qu'un jour passé dans votre temple est préférable à mille passés dans les assemblées du monde. » Les plaisirs que vous goûtez pour le monde vous dégoûtent ; presque chaque fois que vous vous y livrez, vous prenez des résolutions de n'y plus retourner ; souvent même vous vous livrez aux larmes, pres-que jusqu'à vous désespérer de ce que vous ne pouvez pas vous corriger ; vous maudissez les personnes qui ont commencé à vous déranger ; vous vous en plaignez à chaque instant ; vous enviez le bonheur de ceux qui passent tranquillement leurs jours dans la pratique de la vertu, dans un entier mépris des plaisirs du monde ; combien de fois même vos yeux laissent couler des larmes en voyant cette paix, cette joie qui brillent sur le front des bons chrétiens ; que sais-je ? vous portez envie jusqu'aux personnes qui ont le bon-heur d'habiter sous le même toit.
J'ai dit, mon ami, que quand vous avez passé les nuits dans les excès du vice, et de quelque autre liber-tinage que je n'ose nommer, vous ne trouvez après vous que trouble, qu'ennuis, que regrets et désespoir ; cependant vous avez fait tout ce que vous avez pu pour vous contenter, sans en pouvoir venir à bout. Eh bien ! mon ami, voyez combien il est plus doux de souffrir pour Dieu que pour le monde. Quand on a passé une nuit ou deux en prière, bien loin d'en être fâché, de s'en repentir, de porter envie à ceux qui passent ce temps dans le sommeil et la mollesse : au contraire, l'on pleure leur malheur et leur aveuglement ; l'on bénit mille fois le Seigneur de nous avoir inspiré la pensée de nous procurer tant de douceurs et de consolations ; bien loin de maudire les personnes qui nous ont fait embras-ser un tel genre de vie, nous ne pouvons les voir sans laisser couler des larmes de reconnaissance, tant nous nous trouvons heureux ; bien loin de prendre la résolu-tion de n'y plus retourner, nous nous sentons résolus d'en faire davantage, et nous portons une sainte envie à ceux qui ne sont occupés qu'à louer le bon Dieu. Si vous avez dépensé votre argent pour vos plaisirs, le lendemain, vous le pleurez ; mais un chrétien qui l'a donné pour conserver la vie à un pauvre homme qui ne pou-vait vivre, un chrétien qui a vêtu un malheureux qui était nu, bien loin de le regretter, au contraire, il cherche continuellement le moyen d'en faire davantage ; il est prêt, s'il le faut, à se refuser le nécessaire, à se dépouiller de tout, tant il a de joie de soulager Jésus--Christ dans la personne de ses pauvres. Mais, sans aller si loin, mon ami, il ne vous en coûterait pas plus, quand vous êtes à l'église, de vous y tenir avec respect et modestie que d'y rire et tourner la tête ; vous seriez aussi bien d'avoir vos deux genoux par terre que d'en tenir un en l'air ; lorsque vous entendez la parole de Dieu, vous serait-il plus pénible de l'écouter dans l'espé-rance d'en profiter, et de la mettre en pratique dès que vous le pourrez, que de sortir dehors pour vous amuser à causer de choses indifférentes, peut-être mauvaises ? Ne seriez-vous pas plus content si votre conscience ne vous reprochait rien, et si vous vous approchiez de temps en temps des sacrements, ce qui vous donnerait tant de force : pour supporter avec patience les misères de la vie ? Si vous en doutez, M.F., demandez à ceux qui ont fait leurs pâques, combien ils étaient contents pendant quelque temps : c'est-à-dire, tant qu'ils ont eu le bon-heur d'être les amis du bon Dieu.
Dites-moi, mon ami, vous serait-il aussi pénible que vos parents vous grondent, parce que vous avez trop resté à l'église, que s'ils vous reprochent d'avoir passé la nuit dans la débauche ? Non, non, mon ami, de quel-que côté, que vous considériez ce que vous faites pour le monde, il vous en coûte beaucoup plus que pour plaire à Dieu et sauver votre âme. Je ne vous parlerai pas de la différence qu'il y a, à l'heure de la mort, entre un chrétien qui a bien servi le bon Dieu, et les regrets et le désespoir de celui qui n'a suivi que ses plaisirs, qui n'a cherché qu'à contenter les désirs corrompus de son cœur ; car rien de si beau que de voir mourir un saint : Dieu lui-même se fait honneur d'y être présent, ainsi qu'il est rapporté dans la vie de plusieurs. Peut-on le comparer avec les horreurs qui se passent à celle du pécheur, où les démons le suivent de si près, et se dé-vorent les uns les autres, à celui qui aura la barbare sa-tisfaction de le traîner le premier dans les abîmes ? Mais non, laissons tout cela ; et considérons seulement la vie présente.
Concluons que si vous faisiez pour Dieu ce que vous faites pour le monde, vous seriez des saints. – Oh ! dites--vous en vous-mêmes, vous nous dites qu'il n'est pas difficile d'aller au ciel ; il me semble qu'il y a encore bien des sacrifices à faire. – Cela n'est pas douteux : il y a des sacrifices à faire, sinon ce serait faussement que Jésus-Christ nous aurait dit que la porte du ciel est étroite, qu'il faut faire des efforts pour y entrer, qu'il faut se renoncer soi-même, prendre sa croix et le suivre, qu'il y en a beaucoup qui ne seront pas du nombre des élus ; aussi nous promet-il le ciel comme une récom-pense que nous aurons méritée. Voyez ce qu'ont fait les saints pour se la procurer. Allez, M.F., dans ces antres du fond des déserts, entrez dans les monastères, par-courez ces rochers, et demandez à toutes ces troupes de saints : Pourquoi tant de larmes et de pénitences ? Montez sur les échafauds, et informez-vous de ce qu'ils préten-dent faire. Tous vous diront que c'est pour acheter le ciel. O mon Dieu ! que de larmes ces pauvres solitaires ont versées pendant tant d'années ! O mon Dieu ! que de pénitences et de rigueurs n'ont-ils pas exercées sur leur corps, tous ces illustres anachorètes ! Et moi, je ne vou-drais rien souffrir, moi qui ai la même espérance qu'eux, et le même juge qui doit m'examiner ? O mon Dieu ! que je suis lâche lorsqu'il s'agit de travailler pour le ciel ! Que vos saints vont me servir de condamnation, lorsqu'ils vont vous montrer tant de sacrifices qu'ils ont faits pour vous plaire ! Vous dites qu'il en coûte pour aller au ciel : dites-moi, mon ami, ne coûtait-il rien à saint Barthélemy de se laisser écorcher tout vif pour plaire à Dieu ? N'en coûtait-il rien à saint Vincent lors-qu'on l'étendit sur un chevalet et qu'on lui faisait brûler le corps avec des torches allumées, jusqu'à ce que ses entrailles tombèrent dans le feu ; lorsque ensuite on le conduisit en prison, et lui ayant fait un lit de morceaux de bouteilles de verre, on le coucha dessus ? Mon ami demandez à saint Hilarion ce qu'il fit pendant quatre--vingts ans dans son désert, à pleurer nuit et jour ? Allez, interrogez un saint Jérôme, ce grand savant : demandez--lui pourquoi il se frappait la poitrine avec des pierres, jusqu'à ce qu'il en fût tout meurtri. Allez dans les ro-chers trouver le grand saint Arsène, et demandez-lui pourquoi il a quitté les plaisirs du monde pour venir pleu-rer le reste de ses jours parmi les bêtes sauvages. Point d'autre réponse, mon ami : « Ah ! c'est pour gagner le beau ciel, encore l'avons-nous pour rien ; oh ! que ces pénitences sont peu de chose, si nous les comparons au bonheur qu'elles nous préparent ! » Non, M.F., les saints, il n'y a sorte de tourments qu'ils n'aient été prêts à endurer pour acheter ce beau ciel.
Nous lisons que du temps de l'empereur Néron, il fit aux chrétiens des cruautés si affreuses, que la seule pensée en fait frémir. Ne sachant de quelle manière ou-vrir sa persécution contre les chrétiens, il mit le feu dans la ville, afin de faire croire que c'étaient les chré-tiens qui l'avaient fait. Se voyant applaudi de tous ses sujets, il se livre à tout ce que sa fureur peut lui inspirer. Semblable à un tigre en fureur, qui ne respire que le carnage, les uns, il les faisait coudre dans des peaux de bêtes et les faisait jeter dans les champs pour les faire manger aux chiens ; aux autres, il faisait prendre une robe enduite de poix et de soufre, et les faisait pen-dre aux arbres des grands chemins pour servir de torches aux passants pendant la nuit ; lui-même en avait formé deux allées dans son jardin, et, la nuit, il y faisait mettre le feu pour avoir le barbare plaisir de conduire son char à la lueur de ce spectacle triste et déchirant. Sa fureur ne se trouvant pas encore assez satisfaite, il inventa un autre supplice, le voici : il fit faire des masses de cuivre comme des taureaux, les faisait rougir pendant plusieurs jours, et tous les chrétiens que l'on pouvait prendre, on les jetait dedans, où il les voyait impitoyablement brûler. Ce fut dans cette même persécution que saint Pierre fut mis à mort. Étant en prison avec saint Paul qui eut la tête tranchée, saint Pierre trouva le moyen de sortir de la prison. En chemin, Notre-Seigneur lui apparut et lui dit : « Pierre, je vais mourir une seconde fois à Rome », et il disparut. Saint Pierre connaissant par là qu'il ne devait pas fuir la mort, retourna dans sa prison, où il fut condamné à mourir en croix. Lorsqu'il entendit pro-noncer sa sentence : « O grâce ! ô bonheur ! de mourir de la mort de mon Dieu ! » Mais il demanda une grâce à ses bourreaux, c'est de lui permettre d'être crucifié la tête en bas : « parce que, disait-il, je ne mérite pas ce bonheur de mourir d'une manière semblable à mon Dieu. » Eh bien ! mon ami, n'en a-t-il rien coûté aux saints d'aller au ciel ? O beau ciel ! si vous nous coûtez tant qu'à tous ces bien-heureux, qui de nous ira ? Mais non, M.F., consolons--nous, Dieu n'en demande pas tant de nous.
Mais, pensez-vous, que faut-il donc faire pour y aller ? – Ah ! mon ami, ce qu'il faut faire, je le sais bien, moi. Avez-vous envie d'y aller ? – Oh ! sans doute, dites-vous, c'est bien là tout mon désir ; si je fais des prières, si je fais des pénitences, c'est bien pour mériter ce bonheur. – Eh bien ! écoutez-moi un instant, et vous allez le sa-voir. Ce qu'il faut faire ? c'est de ne pas manquer vos prières le matin ni le soir ; de ne pas travailler le dimanche ; de fréquenter les sacrements de temps en temps, de ne pas écouter le démon quand il vous tente, et vite, avoir recours au bon Dieu. – Mais pensez-vous, il y a bien des choses qu'on ferait ; mais, pour se confesser, cela n'est pas trop commode. – Cela n'est pas trop commode, mon ami ? vous aimez donc mieux rester entre les mains du démon que de le chasser pour rentrer dans le sein de votre Dieu, qui, tant de fois, vous a fait éprouver combien il est bon ? Vous ne regardez donc pas comme un moment des plus heureux, celui où vous avez le bonheur de recevoir votre Dieu ? O mon Dieu ! si l'on vous aimait, combien l'on soupirerait après cet heu-reux moment !...
Courage ! mon ami, ne vous découragez pas ; tout à l'heure vous allez être à la fin de vos peines ; regardez le ciel, cette demeure sainte et permanente ; ouvrez les yeux, et vous verrez votre Dieu qui vous tend la main pour vous attirer à lui. Oui, mon ami, dans quelques instants il vous fera comme l'on fit à Mardochée, pour publier la grandeur de vos victoires sur le monde et sur le démon. Le roi Assuérus, pour reconnaître les bienfaits de son général, voulut le faire monter sur son char de triomphe avec un héraut qui marchait devant lui, criant : « C'est ainsi que le roi récompense les ser-vices qu'on lui a rendus. » Mon ami, si dans ce moment, Dieu présentait à nos yeux un de ces bienheureux dans tout l'éclat de la gloire dont il est revêtu dans le ciel, qu'il nous montrât ces joies, ces douceurs, ces délices dont les saints sont inondés dans la céleste patrie, et qu'il nous criât à tous : « O hommes ! pourquoi n'aimez--vous pas votre Dieu ? Pourquoi ne travaillez-vous pas à mériter un si grand bien ? O homme ambitieux, qui avez collé votre cœur à la terre, que sont les honneurs de ce monde frivole et périssable, en comparaison des honneurs et de la gloire que Dieu nous prépare dans son royaume ? O hommes avares, qui désirez ces richesses périssables, que vous êtes aveugles de ne pas travailler à en mériter qui ne finiront jamais ! L'avare cherche le bonheur dans ses biens, l'ivrogne dans son vin, l'or-gueilleux dans ses honneurs, et l'impudique dans les plaisirs de la chair. Ah ! non, non, mon ami, vous vous trompez, levez les yeux de votre âme vers le ciel, por-tez vos regards vers ce beau ciel et vous trouverez votre bonheur parfait, foulez et méprisez la terre et vous trouverez le ciel ! Mon frère, pourquoi te plonges-tu dans ces vices honteux ? Regarde ces torrents de délices que Jésus-Christ te prépare dans la céleste patrie ! ah ! soupire après cet heureux moment !... »
Oui, M.F., tout nous le prêche, tout nous sollicite à ne pas perdre ce trésor. Les saints qui sont dans ce beau séjour nous crient du haut de ces trônes de gloire : « Oh ! si vous pouviez bien comprendre le bonheur dont nous jouissons, pour quelques moments que nous avons combattu. » Mais les damnés nous le disent d'une manière bien plus touchante : « O vous qui êtes encore sur la terre, oh ! que vous êtes heureux de pouvoir gagner le ciel que nous avons perdu ! Oh ! si nous étions à votre place, que nous serions plus sages que nous n'avons été ; nous avons perdu notre Dieu et nous l'avons perdu pour toujours ! O malheur incom-préhensible !... ô malheur irréparable !... beau ciel, nous ne te verrons jamais !... » Oh ! M.F., qui de nous ne soupire pas après un si grand bonheur ?

 Pour le jour de
la Fête-Dieu.
 

Incola ego sum in terra.
Je suis comme un étranger sur la terre.
(PS. CXVIII, !9.)

Ces paroles, M.F., nous montrent toutes les misères de la vie, le mépris que nous devons faire des choses créées et périssables, et le désir que nous devons res-sentir d'en sortir pour aller dans notre véritable patrie, puisque ce monde n'est pas la nôtre.
Cependant, M.F., consolons-nous dans notre exil ; nous y avons un Dieu, un ami, un consolateur et un rédempteur, qui peut adoucir nos peines, qui, de ce lieu de misères, nous fait envisager de grands biens ; ce qui doit nous porter à nous écrier, comme l'Épouse des Cantiques : « Avez-vous vu mon bien-aimé ? et si vous l'avez vu, ah ! dites-lui bien que je ne fais plus que lan-guir . » « Ah ! jusques à quand, Seigneur, s'écrie le saint Roi-Prophète dans ses transports d'amour et de ravissement, ah ! jusques à quand prolongerez-vous mon exil séparé de vous  ? » Oui, M.F., plus heureux que ces saints de l'Ancien Testament, non seulement nous possédons Dieu par la grandeur de son immensité, qui se trouve partout ; mais encore nous l'avons tel qu'il fut pendant neuf mois dans le sein de Marie, tel que sur la croix. Encore plus heureux que les premiers chré-tiens, qui faisaient cinquante ou soixante lieues pour avoir le bonheur de le voir, oui, M.F., chaque paroisse le possède, chaque paroisse peut jouir autant qu'elle le veut, de sa douce compagnie. O nation heureuse !
Quel est mon dessein ? le voici. C'est de vous montrer combien Dieu est bon dans l'institution du sacrement adorable de l'Eucharistie, et les grands avantages que nous en pouvons tirer.

I. – Je dis que ce qui fait le bonheur d'un bon chré-tien, fait le malheur d'un pécheur. En voulez-vous la preuve ? la voici. Oui, M.F., pour un pécheur, qui ne veut pas sortir du péché, la présence de Dieu devient son supplice : il voudrait pouvoir effacer la pensée que Dieu le voit et le jugera ; il se cache, il fuit la lumière du soleil, il s'enfonce dans les ténèbres, il a en horreur tout ce qui peut lui en donner la pensée ; un ministre de Dieu lui fait ombrage, il le hait, il le fuit ; chaque fois qu'il pense qu'il a une âme immortelle, qu'un Dieu la récompensera ou la punira pendant une éternité, selon ce qu'elle aura fait : tout cela lui est un bourreau qui le dévore sans cesse. Ah ! triste existence, que celle d'un pécheur qui vit dans son péché ! En vain, mon ami, vou-dras-tu te cacher de la présence de Dieu, tu ne le pour-ras jamais ! « Adam, Adam, où es-tu ? » – « Ah ! Seigneur, s'écrie-t-il, j'ai péché, et j'ai craint votre présence . » Adam, tout tremblant, court se cacher, et c'est précisé-ment dans le moment où il croyait que Dieu ne le voyait pas, que sa voix se fait entendre : « Adam, tu me trouveras partout ; tu as péché, et j'ai été témoin de ton crime ; et mes yeux étaient arrêtés sur toi. » « Caïn, Caïn, où est ton frère ? » Caïn, entendant la voix du Sei-gneur, fuit comme un désespéré. Mais Dieu le poursuit l'épée aux reins : « Caïn, le sang de ton frère crie ven-geance . » Oh ! qu'il est donc bien vrai qu'un pécheur est dans une frayeur et un désespoir continuels. Pécheur, qu'as-tu fait ? Dieu te punira. – Non, non, s'écrie-t-il, Dieu ne m'a pas vu, « il n'y a point de Dieu ». – Ah ! mal-heureux, Dieu te voit et te punira. De là, je conclus qu'un pécheur a beau vouloir se rassurer, effacer ses péchés, fuir la présence de Dieu et se procurer tout ce que son cœur peut désirer, il ne sera que malheureux ; partout il traînera ses chaînes et son enfer. Ah ! triste existence ! Non, M.F., n'allons pas plus loin, cette pensée est trop désespérante, ce langage ne nous convient nullement aujourd'hui ; laissons ces pauvres malheureux dans les ténèbres, puisqu'ils veulent bien y rester ; laissons-les se damner, puisqu'ils ne veulent pas se sauver.
« Venez, mes enfants, disait le saint roi David, venez, j'ai de grandes choses à vous annoncer ; venez, et je vous dirai combien le Seigneur est bon pour ceux qui l'ai-ment. Il a préparé à ses enfants une nourriture céleste qui porte des fruits pour la vie. Partout nous le trouve-rons, notre Dieu ; si nous allons dans le ciel, il y sera ; si nous passons les mers, nous le verrons à côté de nous ; si nous nous enfonçons dans le chaos de la mer, il nous accompagnera . » Non, non, notre Dieu ne nous perd pas plus de vue qu'une mère ne perd de vue son enfant qui commence à remuer le pied. « Abraham, dit le Seigneur, marche en ma présence, et tu la trouveras partout. » – « Mon Dieu ! s'écrie Moïse, montrez-moi, s'il vous plaît, votre face ; j'aurai tout ce que je peux désirer . » Ah ! qu'un chrétien est consolé, par cette heureuse pensée, qu'un Dieu le voit, est témoin de ses peines et de ses combats, qu'un Dieu est à ses côtés. Ah ! disons mieux, M.F., un Dieu le presse tendrement contre son sein ! Ah ! nation des chrétiens, que tu es heureuse de jouir de tant d'avantages que tant d'autres nations n'ont pas ! Ah ! n'avais-je pas raison de vous dire que, si la présence de Dieu est un tyran pour le pécheur, cette même présence est un bonheur infini, un ciel anticipé pour un bon chrétien.
Oui, M.F., tout cela est bien beau, c'est vrai ; mais c'est encore peu de chose, si j'ose le dire, en comparai-son de l'amour que Jésus-Christ nous porte dans le sacrement adorable de l'Eucharistie. Si je parlais à des incrédules ou à des impies, qui osent douter de la pré-sence de Jésus-Christ dans ce sacrement adorable, je commencerais par leur donner des preuves si claires et si convaincantes, qu'ils mourraient de  honte d'avoir douté d'un mystère appuyé sur des raisons si fortes et si convaincantes ; je leur dirais : si Jésus-Christ est véri-table, ce mystère l'est aussi, puisque, ayant pris du pain en présence de ses apôtres, il leur dit : « Voici du pain, eh bien ! je vais le changer en mon corps ; voici du vin, je vais le changer en mon sang ; ce corps est vraiment le même que celui qui sera crucifié et ce sang est le même que celui qui sera répandu pour la rémission des péchés ; et chaque fois que vous prononcerez ces mêmes paroles, dit-il encore à ses apôtres, vous ferez le même miracle ; ce pouvoir, vous vous le communiquerez les uns aux autres jusqu'à la fin des siècles  » Mais ici laissons ces preuves de côté, ce raisonnement est inutile à des chrétiens, qui ont tant de fois goûté les dou-ceurs que Dieu leur communique dans le sacrement d'amour.
Saint Bernard nous dit qu'il y a trois mystères aux-quels il ne peut penser sans sentir son cœur mourir d'amour et de douleur. Le premier est celui de l'Incar-nation, le deuxième est celui de la mort et passion de Jésus-Christ, et le troisième est celui du sacrement adorable de l'Eucharistie. Quand l'Esprit-Saint nous parle du mystère de l'Incarnation, il emploie des termes qui nous mettent dans l'impossibilité de pouvoir com-prendre jusqu'où va l'amour de Dieu pour nous, en nous disant : « C'est ainsi que Dieu aime le monde, » comme s'il nous disait : je laisse à votre esprit, à votre imagination la liberté de former telles idées que vous voudrez ; quand vous auriez toutes les sciences des pro-phètes, toutes les lumières des docteurs et toutes les connaissances des anges, il vous serait impossible de comprendre l'amour que Jésus-Christ a eu pour vous dans ces mystères. Quand saint Paul nous parle des mystères de la Passion de Jésus-Christ, voici comment il s'explique : « Quoique Dieu soit infini en miséricorde et en grâce, il semble s'être épuisé pour l'amour de nous. Nous étions morts, il nous a donné la vie. Nous étions des-tinés à être malheureux pendant toute l'éternité, et par sa bonté et sa miséricorde, il a changé notre sort  » Enfin, quand saint Jean nous parle de la charité que Jésus-Christ a eue pour nous en instituant le sacrement adorable de l'Eucharistie, il nous dit « qu'il nous a aimés jusqu'à la fin . » c'est-à-dire, qu'il a aimé l'homme, pendant toute sa vie, d'un amour sans égal. Disons mieux, M.F., il nous aime autant qu'il pouvait nous aimer. O amour, que tu es grand et peu connu !
Quoi ! mon ami, nous n'aimerions pas un Dieu qui a soupiré pendant toute l'éternité pour notre bonheur ! Un Dieu !... Ah ! un Dieu, qui a tant pleuré nos péchés, et qui est mort pour les effacer ! Un Dieu, qui a bien voulu quitter les anges du ciel où il est aimé d'un amour si pur et si parfait, pour venir dans ce monde, quoiqu'il sût très bien combien il serait méprisé. Il savait d'avance les profanations qu'il recevrait dans ce sacrement d'a-mour. Il savait que les uns le recevraient sans contri-tion ; les autres, sans désir de se corriger : hélas ! d'au-tres peut-être, avec le crime dans leur cœur, et le fe-raient mourir. Mais, non, tout cela n'a pas pu arrêter son amour. O heureuse nation que celle des chrétiens !... « O ville de Sion, réjouissez-vous, faites éclater votre joie, s'écrie le Seigneur par la bouche du prophète Isaïe, parce que votre Dieu habite au milieu de vous . » Oui M.F., ce que le prophète Isaïe disait à son peuple, je peux encore vous le dire, ce semble, avec plus de vérité. Chrétiens, réjouissez-vous ! votre Dieu va paraître au milieu de vous. Oui, M.F., ce tendre Sauveur va visiter vos places, vos rues et vos maisons ; partout il va répan-dre ses bénédictions les plus abondantes. O heureuses maisons, devant lesquelles il va passer ! O heureux che-mins, qui soutiendront ses pas saints et sacrés ! Pouvons--nous, M.F., nous empêcher de dire en nous-mêmes lors-que nous repasserons dans cette même route : Voilà où mon Dieu a passé, voilà le sentier qu'il a pris lorsqu'il répandait ses bénédictions bienfaisantes dans cette pa-roisse.
Oh ! que ce jour est consolant pour nous, M.F. ! Ah ! s'il est permis de goûter quelques consolations dans ce monde, n'est-ce pas dans ce moment heureux ? Oui, M.F., oublions, s'il est possible, toutes les misères. Cette terre étrangère va devenir vraiment l'image de la céleste Jérusalem, les fêtes et les joies du ciel vont des-cendre sur la terre. Ah ! « si ma langue peut oublier ces bienfaits, qu'elle s'attache à mon palais  » !... Ah ! si mes yeux doivent encore porter leurs regards sur des choses terrestres, que le ciel leur refuse la lumière !
Oui, M.F., si nous considérons tout ce que Dieu a fait : le ciel et la terre, ce bel ordre qui règne dans ce vaste univers, tout nous annonce une puissance infinie qui a tout créé, une sagesse admirable qui gouverne tout, une bonté suprême qui pourvoit à tout avec la même facilité que si elle n'était occupée qu'à un seul être : tant de prodiges ne peuvent que nous remplir d'étonne-ment et d'admiration. Mais, si nous parlons du sacre-ment adorable de l'Eucharistie, nous pouvons dire que c'est ici le prodige de l'amour d'un Dieu pour nous ; c'est ici que sa puissance, sa grâce et sa bonté éclatent d'une manière tout extraordinaire. Nous pouvons dire avec beaucoup de vérité, que c'est ici le pain descendu du ciel, le pain des anges, qui nous est donné pour nourriture de nos âmes. C'est ce pain des forts qui nous console et adoucit nos peines. C'est là vraiment « le pain des voyageurs » ; disons mieux, M.F., c'est la clef qui nous a ouvert le ciel. « Celui, dit le Sauveur, qui me recevra aura la vie éternelle ; celui qui ne me recevra pas, mourra. Celui, dit le Sauveur, qui aura recours à ce banquet sacré fera naître en lui une source qui rejaillira jusqu'à la vie éternelle . »
Mais pour mieux connaître l'excellence de ce don, il faut examiner jusqu'à quel point Jésus-Christ a porté son amour pour nous dans ce sacrement. Non, M.F., ce n'est pas assez pour le Fils de Dieu de s'être fait homme pour nous ; il fallut, pour contenter son amour, qu'il se donnât à chacun de nous en particulier. Voyez, M.F., combien il nous aime. Dans le même moment que ses pauvres enfants prenaient les mesures pour le faire mourir, son amour le porte à faire un miracle, afin de rester parmi eux. A-t-on vu, peut-on voir un amour plus généreux et plus libéral que celui qu'il nous témoigne dans le sacrement de son amour ? Ne pouvons-nous pas dire, comme le Concile de Trente, que c'est là que sa libéralité et sa générosité ont épuisé toutes ses richesses  ? Peut-on, en effet, trouver quelque chose sur la terre, et même dans le ciel, qui puisse lui être comparé ? A-t-on vu quelquefois la tendresse d'un père, la libéralité d'un roi pour ses sujets, aller si loin que celle de Jésus-Christ dans le sacrement de nos autels ! Nous voyons que les parents, dans leur testament, donnent leurs biens à leurs enfants ; mais dans le testament que Jésus-Christ nous fait, ce ne sont pas des biens temporels, puisque nous les avons..., mais il nous donne son Corps adorable et son Sang précieux. Oh ! bonheur du chrétien, que tu es peu goûté ! Non, M.F., il ne pouvait pas porter plus loin son amour qu'en se donnant ; puisqu'en le recevant, nous le recevons avec toutes ses richesses. N'est-ce pas là une véritable prodigalité d'un Dieu pour ses créatures ? Oui, M.F., si Dieu nous avait donné la liberté de lui deman-der tout ce que nous voudrions, aurions-nous osé porter si loin nos espérances ? « D'un autre côté, Dieu lui-même, tout Dieu qu'il est, pouvait-il trouver quelque chose de plus précieux à nous donner ? » nous dit saint Augustin.
Savez-vous encore, M.F., ce qui porta Jésus-Christ à consentir à rester nuit et jour dans nos églises ? Hélas ! M.F., c'est pour que, chaque fois que nous voudrions le voir, nous puissions le trouver. Ah ! tendresse de père, que tu es grande ! Quoi, M.F., de plus consolant pour un chrétien qui sent qu'il adore un Dieu présent en corps et en âme ! « Ah ! Seigneur, s'écrie le Roi-Prophète, qu'un jour passé auprès de vous est préférable à mille passés dans les assemblées du monde  ! » Qu'est-ce qui rend nos églises si saintes et si respecta-bles ? N'est-ce pas la présence de Jésus-Christ ? Ah ! heureuse nation que celle des chrétiens !

II. – Mais, me direz-vous, que devons-nous faire pour témoigner à Jésus-Christ notre respect et notre recon-naissance ? – Le voici, M.F. :
1° Nous ne paraîtrons devant lui qu'avec le plus grand respect, et nous le suivrons avec une joie toute céleste, en nous représentant le grand jour de cette procession qui se fera après le jugement général. Oui, M.F., il nous suffit pour nous pénétrer du respect le plus profond, de nous rappeler que nous sommes des pécheurs, qui sommes indignes de suivre un Dieu si saint et si pur. C'est un bon père que nous avons tant de fois méprisé et outragé, qui nous aime encore, et qui nous dit qu'il est prêt à nous accorder notre grâce. Que fait Jésus-Christ, M.F., lorsque nous le portons en procession ? le voici. Il est comme un bon roi au milieu de ses sujets, comme un bon père environné de ses enfants, et enfin, comme un bon pasteur qui visite ses troupeaux. Quelle est la pensée, M.F., que nous devons avoir en marchant à la suite de notre Dieu ? la voici. Nous devons le suivre comme les premiers fidèles qui le suivaient lorsqu'il était sur la terre, faisant du bien à tout ce monde. Oui, si nous avons le bonheur de l'accompagner avec une foi vive, nous sommes sûrs d'obtenir tout ce que nous lui demanderons.
Nous lisons dans l'Évangile, que deux aveugles, s'étant trouvés sur le chemin où le Sauveur passait, se mirent à crier : « O Jésus ! fils de David, ayez pitié de nous ! » Les voyant, il en fut touché de compassion, leur demanda ce qu'ils voulaient. « Ah ! Seigneur, lui dirent-ils, faites, s'il vous plaît, que nous voyions. » « Eh ! bien, voyez, » leur dit ce bon Sauveur . Un grand pécheur, nommé Zachée, désirant le voir, monte sur un arbre ; mais Jésus-Christ, qui n'était venu que pour sauver les pécheurs, lui cria : « Zachée, descendez, car c'est chez vous que je veux aller loger aujourd'hui. » Chez vous ! c'est comme s'il lui avait dit : Zachée, depuis longtemps la porte de votre cour est fermée par votre orgueil et vos injustices ; ouvrez-moi aujour-d'hui, je viens vous donner votre pardon. A l'instant même, Zachée descend, s'humilie profondément devant son Dieu, répare toutes ses injustices, et ne veut plus que la pauvreté et la souffrance pour partage . O Heu-reux moment, qui lui a valu une éternité de bonheur ! Un autre jour que le Sauveur passait par une autre rue, une pauvre femme, affligée depuis douze ans d'une perte de sang, le suivait. « Ah ! se disait-elle en elle-même, ah ! si j'avais le bonheur de toucher seulement le bord de la frange de son habit, je suis sûre que je serais guérie . » Pleine de confiance, elle court se jeter aux pieds du Sauveur : à l'instant même, elle fut délivrée. Oui, M.F., si nous avions la même foi, la même con-fiance, nous obtiendrions la même grâce ; parce que c'est le même Dieu, le même Sauveur et le même père, animé de la même charité. « Venez, disait le Prophète, venez, Seigneur, sortez de vos tabernacles, montrez-vous à votre peuple qui vous désire et vous aime. » Hélas ! M.F., que de malades à guérir ; que d'aveugles, à qui il faudrait rendre la vue ! Que de chrétiens, qui vont suivre Jésus-Christ, et dont les pauvres âmes seront toutes couvertes de plaies ! Que de chrétiens qui sont dans les ténèbres, et qui ne voient pas qu'ils sont prêts à tomber en enfer ! Mon Dieu ! guérissez les uns et éclairez les autres ! Pauvres âmes, que vous êtes mal-heureuses !
Saint Paul nous dit qu'étant à Athènes il trouva écrit sur un autel : « Ici réside le Dieu inconnu, ou du moins, oublié . » Mais, hélas ! M.F., je pourrais bien vous dire le contraire : je viens vous annoncer un Dieu que vous savez être votre Dieu, et que vous n'adorez pas et que vous méprisez. Hélas ! combien de chrétiens qui, ces saints jours de dimanche, sont embarrassés de leur temps ; qui ne daignent pas seulement venir, quelques petits moments, visiter leur Sauveur qui brûle du désir de les voir auprès de lui, pour leur dire qu'il les aime, et qu'il veut les combler de bienfaits. Oh ! quelle honte pour nous !... Arrive-t-il quelque nou-veauté ? l'on quitte tout, et l'on court. Pour Dieu, nous ne faisons que le mépriser et nous le fuyons ; le temps nous dure en sa sainte présence, tout ce que nous fai-sons, est toujours long. Ah ! quelle différence entre les premiers fidèles et nous ! ils regardaient comme le plus heureux temps de leur vie lorsqu'ils avaient le bonheur de passer des jours et des nuits entières dans les églises à chanter les louanges du Seigneur, ou à pleurer leurs péchés ; mais aujourd'hui ce n'est plus de même. Il est délaissé, il est abandonné de nous, il y en a même qui le méprisent ; pour la plupart, nous paraissons dans nos églises, ces lieux sacrés, sans respect, sans amour de Dieu, sans savoir même ce que nous venons y faire. Les uns laissent occuper leur esprit et leur cœur de mille choses terrestres, et peut-être même criminelles ; les autres y sont avec ennui et dégoût ; il y en a d'autres qui à peine se mettent à genoux, tandis qu'un Dieu répand son sang précieux pour leur pardon ; enfin d'au-tres, à peine laisseront-ils descendre le prêtre de l'autel, qu'ils fuient déjà. Mon Dieu, que vos enfants vous aiment peu ou plutôt qu'ils vous méprisent ! En effet, M.F., quel esprit de légèreté et de dissipation ne faites--vous pas paraître, lorsque vous êtes dans l'église ? les uns dorment, les autres parlent, et presque personne n'est occupé à ce qu'il doit faire.
2° Je dis, M.F., que tous les hommes n'étant faits que pour Dieu, comblés sans cesse de ses bienfaits les plus abondants, nous devons tous lui témoigner notre reconnaissance, et nous affliger de le voir tant outragé. Nous devons faire comme un ami qui s'attriste sur les malheurs de son ami : c'est par là qu'il lui montre une amitié sincère. Cependant, M.F., quelques services que cet ami lui ait pu rendre, il ne fera jamais ce que Dieu a fait pour nous. – Mais, direz-vous, qui sont ceux qui doi-vent, ce semble, porter un amour plus grand et plus ardent à la vue des outrages que Jésus-Christ va rece-voir de la part des mauvais chrétiens ? – Il est vrai que tout le monde doit s'affliger des mépris que l'on fait de lui, et tâcher de le dédommager ; mais il y en a quel-ques-uns parmi les chrétiens qui y sont tenus d'une manière toute particulière, les voici : ce sont ceux qui ont le bonheur d'être de la confrérie du Saint-Sacrement. Je dis : « Qui ont le bonheur. » Ah ! peut-on en trouver un plus grand que d'être choisis pour faire réparation à Jésus-Christ, pour les outrages qu'il reçoit, dans le sacre-ment de son amour ! Mais ne vous y trompez pas, M.F., vous, comme confrères, vous êtes obligés de mener une vie bien plus parfaite que le commun des chrétiens. Vos péchés sont beaucoup plus sensibles à Jésus-Christ. Non, M.F., il ne suffit pas d'avoir un cierge à la main, pour montrer que nous sommes de ceux que Dieu a choisis ; mais il faut que notre vie nous distingue, comme notre cierge nous distingue de ceux qui n'en ont point. Pourquoi, M.F., ces cierges qui brillent ? sinon, parce que votre vie doit être un modèle de vertu, que vous vous faites gloire d'être de véritables enfants de Dieu, et que vous êtes prêts à donner votre vie pour soutenir les intérêts de votre Dieu, à qui vous vous êtes voués pour toute la vie. Oui, M.F., s'empresser à parer les églises et les reposoirs : toutes ces marques exté-rieures sont bien bonnes et louables ; mais ce n'est pas assez. Les Bethsamites, lorsque l'arche du Seigneur passa sur leur terre, montrèrent le plus grand empres-sement et le zèle le plus ardent : dès qu'ils l'aperçurent, tout le peuple sortit en foule pour lui aller au-devant ; tous s'empressèrent de couper du bois pour faire les sacrifices. Cependant cinquante mille furent frappés de mort, parce que leur respect n'avait pas été assez grand . Oh ! M.F., que cet exemple doit nous faire trembler ! Que renfermait cette arche, M.F. ? Hélas ! un peu de manne, les tables de la Loi ; et parce que ceux qui s'en approchent ne sont pas assez pénétrés de sa pré-sence, le Seigneur les frappe de mort. Mais, dites-moi, qui est celui qui, réfléchissant tant soit peu sur la pré-sence de Jésus-Christ, ne serait pas saisi de crainte ? Combien, M.F., qui sont assez malheureux d'assister à la compagnie du Sauveur, avec un cœur tout de péchés. Ah ! malheureux, tu auras beau fléchir les genoux, tandis qu'un Dieu se lève pour bénir son peuple, ses regards perçants ne laisseront pas que de voir les hor-reurs qui se passent dans ton cœur. Mais si notre âme est bien pure, représentons-nous à la suite de Jésus-Christ comme d'un grand roi qui sort de sa ville capitale, pour recevoir les hommages de ses sujets et les combler de bienfaits.
Nous lisons dans l'Évangile que les deux disciples d'Emmaüs marchaient avec le Sauveur sans le connaî-tre ; lorsqu'ils le reconnurent, il disparut. Tout ravis de leur bonheur, ils se disaient l'un à l'autre : » Comment est-ce que nous ne l'avons pas connu ? N'est-il pas vrai que nos cœurs se sentaient tout enflammés d'amour, lorsqu'il nous parlait en nous expliquant la sainte Écri-ture  ? » Mille fois plus heureux, M.F., que ces disci-ples, qui marchaient avec Jésus-Christ sans le connaître, pour nous, nous savons que c'est notre Dieu et notre Sauveur qui marche devant nous ; qui va parler au fond de notre cœur, qui va y faire naître un nombre infini de bonnes pensées, de bonnes inspirations. « Mon fils, va-t--il dire, pourquoi ne veux-tu pas m'aimer ? Pourquoi ne pas quitter ce maudit péché qui met un mur de sépa-ration entre nous deux ? Ah ! mon fils, peux-tu bien m'abandonner ! faudra-t-il bien que tu me forces à te condamner à des supplices éternels ! Mon fils, voilà ton pardon, veux-tu te repentir ? » Mais que lui dit le pé-cheur : « Non, non, Seigneur, j'aime mieux vivre sous la tyrannie du démon et être réprouvé que de vous deman-der pardon. »
Mais, me direz-vous, nous ne disons pas cela au bon Dieu. – Et moi, je vous dis que vous le dites continuel-lement, chaque fois que Dieu vous donne la pensée de vous convertir. Ah ! malheureux, viendra un jour que tu demanderas ce que tu refuses aujourd'hui, et qui peut--être ne te sera pas accordé. Il est bien certain, M.F., que si nous avions le bonheur de tant de saints à qui Dieu se faisait voir, comme à une sainte Thérèse, tantôt comme un enfant dans sa crèche, tantôt comme sur la croix, nous aurions sans doute bien plus de respect et d'amour pour lui ; mais nous ne le méritons pas, et nous nous croirions déjà des saints, ce qui nous serait un sujet d'orgueil. Mais, quoique le bon Dieu ne nous accorde pas cette grâce, il n'est pas moins présent, et prêt à nous accorder tout ce que nous demanderons.
Il est rapporté dans l'histoire qu'un prêtre doutant de cette vérité, après avoir prononcé les paroles de la con-sécration : « Comment, se disait-il en lui-même, est-il possible que les paroles d'un homme fassent un si grand miracle ? » Mais Jésus-Christ, pour lui reprocher son peu de foi, fit que la sainte Hostie sua du sang avec tant d'abondance, que l'on fut obligé de le ramasser avec une cuillère . Écoutez ce que nous dit le même auteur : que le feu s'étant mis dans une chapelle, tout le bâtiment brilla et fut détruit, et la sainte Hostie resta suspendue en l'air, sans être appuyée sur rien ; le prê-tre étant venu pour la recevoir dans un vase, de suite elle descendit dedans .
Nous voyons dans l'histoire ecclésiastique  que la domestique d'un Juif, par pure complaisance à son maître, lui apporta la sainte Hostie. Après qu'elle l'eut reçue dans la bouche, cette malheureuse la prend, la met dans son mouchoir et la donne à son maître. Ce monstre, ravi de joie d'avoir Jésus-Christ en son pou-voir, comme autrefois ses pères lorsqu'ils le crucifiè-rent sur la croix, se livra à tout ce que la fureur put lui inspirer. Or, il semble que Jésus-Christ voulut lui montrer combien il était sensible aux outrages qu'il lui faisait. Ce malheureux ayant mis la sainte Hostie sur une table, lui donna plusieurs coups de canif ; elle fut toute couverte de sang : ce qui fit frémir sa femme et ses enfants, qui étaient présents à ce spectacle si affreux. Il la reprend, la suspend à un clou et lui donne quantité de coups de fouet et de lance ; le sang sortait avec autant d'abondance que la première fois. Il la reprend, pour la troisième fois, la jette dans une chau-dière d'eau bouillante. Aussitôt l'eau fut changée en sang ; et, dans ce même moment, Jésus-Christ reprend la forme qu'il avait sur l'arbre de la croix. En cet état, il semble que Jésus-Christ voulait essayer s'il pouvait le toucher. Mais ce malheureux, semblable à Judas, regarde son crime comme trop grand, et désespérant de son pardon, il fut condamné à être brûlé vif. Non, M.F., nous ne pouvons entendre ces horreurs sans frémir. Hélas ! que de chrétiens qui le traitent encore plus cruellement !
Mais, me direz-vous, comment est-ce que l'on pourrait se comporter de cette manière ? – Hélas ! mon ami, plaise à Dieu que ce malheur ne vous arrive jamais ! Toutes les fois que vous consentez au péché  : une pensée d'orgueil le foule sous les pieds et lui donne la mort ; une pensée d'impureté lui percera le cœur. Hélas ! représentons-nous dans cette procession le Sau-veur comme allant au Calvaire : les uns lui donnaient des coups de pieds, les autres le chargeaient d'injures et de blasphèmes..., quelques saintes âmes seulement le suivaient en pleurant et mêlaient leurs larmes avec son sang précieux dont il arrosait le pavé. Oh ! que de Juifs et de bourreaux vont suivre Jésus-Christ, et qui ne se contenteront pas seulement de le faire mourir une fois, mais sur autant de calvaires que de cœurs ! Ah ! est-il bien possible qu'un Dieu qui nous aime tant soit si méprisé et maltraité !
Oui, M.F., si nous aimions bien le bon Dieu, nous nous ferions une joie et un bonheur de venir, tous les dimanches, passer quelques instants pour l'adorer, pour lui demander la grâce de nous pardonner : nous regarderions ces moments comme les plus beaux de notre vie. Ah ! que les instants passés avec ce Dieu de bonté sont doux et consolants ! Êtes-vous dans le cha-grin ? venez un instant vous jeter à ses pieds et vous vous sentirez tout consolé. Êtes-vous méprisé du monde ? venez ici, et vous trouverez un bon ami qui ne vous manquera jamais de fidélité. Êtes-vous tenté ? oh ! c'est ici que vous allez trouver des armes fortes et ter-ribles pour vaincre votre ennemi. Craignez-vous le jugement formidable qui a fait trembler les plus grands saints ? profitez du temps que votre Dieu est le Dieu de miséricorde, et qu'il est si aisé d'en avoir votre grâce. Êtes-vous opprimé par la pauvreté ? venez ici, vous y trouverez un Dieu infiniment riche et qui vous dira que tous ses biens sont à vous, non dans ce monde, mais dans l'autre : C'est là que je te prépare des biens infi-nis ; va, méprise ces biens périssables, et tu en auras qui ne périront jamais. Voulons-nous commencer à goûter le bonheur des saints ? venons ici et nous en éprouverons les heureux commencements.
Ah ! qu'il fait bon, M.F., jouir des chastes embrasse-ments du Sauveur ! Ah ! vous ne les avez jamais goû-tés ! Si vous aviez eu ce bonheur, vous ne pourriez plus en sortir. Ne soyons plus étonnés de ce que tant de saintes âmes ont passé leur vie dans sa maison et le jour et la nuit ; elles ne pouvaient plus se séparer de sa présence.
Nous lisons dans l'histoire, qu'un saint prêtre trou-vait tant de douceurs et de consolations dans nos églises, qu'il couchait sur le marchepied de l'autel pour avoir le bonheur, en s'éveillant, de se trouver auprès de son Dieu ; et Dieu, pour le récompenser, permit qu'il mourût au pied de l'autel. Voyez saint Louis, qui, dans ses voyages, au lieu de passer la nuit dans un lit, la passait au pied des autels, auprès de la douce pré-sence de son Sauveur. Pourquoi est-ce, M.F., que nous avons tant d'indifférence et de dégoût lorsqu'il faut venir ici ? Hélas ! M.F., c'est que nous n'avons jamais ressenti ces heureux moments.
Que devons-nous conclure de tout cela ? le voici. C'est de regarder comme le moment le plus heureux de notre vie celui où nous pouvons tenir compagnie à un si bon ami. Marchons à sa suite avec un saint tremblement ; comme pécheur, demandons-lui avec larmes et douleur le pardon de nos péchés et nous sommes sûrs de l'ob-tenir... Étant réconciliés, sollicitons le don précieux de la persévérance. Ah ! disons-lui bien que si nous devons encore l'offenser, nous aimons bien mieux mou-rir. Non, M.F., tant que vous n'aimerez pas votre Dieu, vous ne serez jamais contents : tout vous accablera, tout vous ennuiera, et dès que vous l'aimerez, vous passerez une vie heureuse ; vous attendrez la mort !... Ah ! cette heureuse mort, qui nous va réunir à notre Dieu !... Ah ! bonheur ! quand viendras-tu !... Que ce temps est long !,.. Ah ! viens ! tu nous procureras le plus grand de tous les biens, qui est la possession de Dieu même !... Ce que...
 2ème dimanche après la Pentecôte
Sur la sainte Messe
 

In omni loco sacrificatur et offertur nomini meo oblatio munda.
On sacrifie et on offre en tous lieux, en mon nom, une oblation pure.
(Malach., I, 11.)

Il est certain, M.F., que l'homme, comme créature, doit à Dieu l'hommage de tout son être, et comme pécheur, il lui doit une victime d'expiation ; c'est pour-quoi, dans l'ancienne Loi, on offrait à Dieu, tous les jours, ces multitudes de victimes dans le temple. Mais ces victimes ne pouvaient pas satisfaire entièrement à Dieu pour nos péchés ; il en fallait une autre plus sainte et plus pure, qui devait continuer jusqu'à la fin du monde, et qui fût capable de payer ce que nous devons à Dieu. Cette sainte victime c'est Jésus-Christ lui-même, qui est Dieu comme son Père, et homme comme nous. Il s'offre tous les jours sur nos autels, comme autrefois sur le calvaire, et, par cette oblation pure et sans tache, il rend à Dieu tous les honneurs qui lui sont dus, et il s'acquitte, pour l'homme, de tout ce que l'homme doit à son Créateur ; il s'immole chaque jour, afin de reconnaître le souverain domaine que Dieu a sur ses créatures, et l'outrage que le péché a fait à Dieu est pleinement réparé. Jésus-Christ, étant le médiateur entre Dieu et les hommes, nous obtient, par ce sacrifice, toutes les grâces qui nous sont néces-saires : s'étant fait pareillement victime d'actions de grâces, il rend à Dieu pour les hommes toute la recon-naissance qu'ils lui doivent. Mais, pour avoir le bon-heur, M.F., de recevoir tous ces biens, il faut aussi que nous fassions quelque chose de notre côté. Pour mieux vous le faire sentir je vais vous faire  com-prendre, du moins autant qu'il me sera possible, 1° la grandeur du bonheur que nous avons d'assister à la sainte Messe ; 2° les dispositions avec lesquelles nous devons y assister ; 3° comment la plupart des chrétiens y assistent.
Je ne veux pas, M.F., entrer dans l'explication de ce que signifient les ornements dont le prêtre est revêtu ; je pense que vous le savez, ou du moins, plu-sieurs. Lorsque le prêtre va à la sacristie pour s'ha-biller, cela nous représente Jésus-Christ qui descend du ciel pour s'incarner dans le sein de la très sainte Vierge, en prenant un corps comme le nôtre, afin de le sacrifier à son Père pour nos péchés. Quand le prê-tre prend l'amict, qui est le linge blanc qu'il se met sur les épaules, c'est pour nous représenter le moment où les Juifs bandèrent les yeux à Jésus-Christ, en lui donnant des coups de poings et lui disant : « Devine qui t'a frappé. » L'aube marque la robe blanche, dont Hérode le fit revêtir par moquerie quand il le renvoya à Pilate. La ceinture représente les cordes dont il fut lié, quand on le prit au jardin des Oliviers, et les fouets dont il fut déchiré. Le manipule, que le prêtre se met au bras gauche, nous représente les cordes dont Jésus-Christ fut attaché à la colonne pour être flagellé ; le manipule se met au bras gauche parce qu'il est plus près du cœur, ce qui nous montre que c'est l'excès de son amour qui lui a fait souffrir cette cruelle flagella-tion pour nos péchés. Pour l'étole, elle nous repré-sente la corde qu'on lui jeta au cou lorsqu'il portait sa croix. La chasuble nous rappelle la robe de pourpre, et sa robe sans couture que l'on jeta au sort.
L'Introït nous représente le désir ardent que les patriarches avaient de la venue du Messie, c'est pour cela qu'on le répète deux fois. Lorsque le prêtre dit le Confiteor, il nous représente Jésus-Christ se chargeant de nos péchés, afin de satisfaire à la justice de Dieu son Père . Le Kyrie eleison, qui veut dire : « Seigneur, ayez pitié de nous, » représente l'état malheureux où nous étions avant la venue de Jésus-Christ. Je ne veux pas aller plus loin. L'Épître signifie la doctrine de l'An-cien Testament ; le Graduel signifie la pénitence que firent les Juifs après la prédication de saint Jean-Bap-tiste ; l'Alleluia nous représente la joie d'une âme qui a obtenu sa grâce ; l'Évangile nous rappelle la doctrine de Jésus-Christ. Les différents signes de croix que l'on fait sur l'hostie et sur le calice nous rappellent toutes les souffrances que Jésus-Christ a endurées pendant le cours de sa Passion. Je pourrai revenir une autre fois là-dessus.

I. – Avant de vous montrer la manière d'entendre la sainte messe, il faut vous dire un mot de ce que l'on entend par le mot de saint sacrifice de la messe. Vous savez que le saint sacrifice de la messe est le même que celui de la croix, qui a été offert une fois sur le Cal-vaire, le vendredi saint. Toute la différence qu'il y a, c'est que, quand Jésus-Christ s'est offert sur le Calvaire, ce sacrifice était visible, c'est-à-dire, qu'on le voyait des yeux du corps ; que Jésus y a été offert à Dieu son Père, par les mains de ses bourreaux, et qu'il y a répandu son sang ; c'est ce que l'on appelle sacrifice sanglant : cela veut dire que le sang sortait de ses veines, et qu'on le vit couler jusqu'à terre. Mais, à la sainte messe, Jésus-Christ s'offre à son Père d'une manière invisible ; c'est-à-dire, que nous ne le voyons que des yeux de l'âme et non de ceux du corps. Voilà, M.F., en abrégé, ce que c'est que le saint sacrifice de la messe. Mais, pour vous donner une idée de la grandeur du mérite de la sainte messe, M.F., il me suffit de vous dire avec saint Jean Chrysostome, que la sainte messe réjouit toute la cour céleste, soulage toutes les pauvres âmes du pur-gatoire, attire sur la terre toutes sortes de bénédictions, et rend plus de gloire à Dieu que toutes les souffrances de tous les martyrs, que les pénitences de tous les solitaires, que toutes les larmes qu'ils ont répandues depuis le commencement du monde et que tout ce qu'ils feront jusqu'à la fin des siècles. Si vous m'en demandez la raison, c'est tout clair : toutes ces actions sont faites par des pécheurs plus ou moins coupables ; tandis que dans le saint sacrifice de la messe, c'est un Homme-Dieu égal à son Père qui lui offre le mérite de sa mort et passion. Vous voyez, d'après cela, M.F., que la sainte messe est d'un prix infini. Aussi, voyons-nous dans l'Évangile que, dans le moment de la mort de Jésus-Christ, il s'opéra beaucoup de conversions : le bon larron y reçut l'assurance du paradis, plusieurs Juifs se convertirent et des Gentils se frappaient la poitrine, en disant qu'il était vraiment le Fils de Dieu. Les morts ressuscitèrent, les rochers se fendirent et la terre trembla.
Oui, M.F., si nous avions le bonheur d'y assister avec de bien bonnes dispositions, quand nous aurions le mal-heur d'être aussi obstinés que les Juifs, plus aveugles que les Gentils, plus durs que les rochers qui se fendi-rent, nous obtiendrions très certainement notre conver-sion. En effet, saint Jean Chrysostome nous dit qu'il n'y a point de temps plus précieux pour traiter avec Dieu de notre salut que celui de la sainte Messe, où Jésus-Christ s'offre lui-même en sacrifice à Dieu son Père, pour nous obtenir toutes sortes de bénédictions et de grâces. « Som-mes-nous dans l'affliction ? dit ce grand saint, nous y trou-vons toutes sortes de consolations. Sommes-nous accablés de tentations ? allons entendre la sainte messe et nous y trouverons la manière de vaincre le démon. » Et, en pas-sant, je vais vous en citer un bel exemple. Il est rapporté par le Pape Pie II, qu'un gentilhomme de la province d'Ostie était continuellement combattu d'une tentation de désespoir qui le portait à se pendre, et il avait été plu-sieurs fois sur le point de le faire. Étant allé trouver un saint religieux pour lui découvrir l'état de son âme et lui demander conseil, le serviteur de Dieu, après l'avoir consolé et fortifié le mieux qu'il put, lui conseilla d'avoir dans sa maison un prêtre qui lui dît tous les jours la sainte Messe. Le gentilhomme lui dit qu'il le ferait volontiers. Dans le même temps, il alla se retirer dans un château qu'il avait ; et tous les jours un saint prêtre lui disait la sainte Messe, à laquelle il assistait aussi dévo-tement qu'il pouvait. Après y avoir demeuré dans une grande tranquillité d'esprit, il arriva que le prêtre le pria de lui permettre d'aller dire la sainte Messe dans le voisinage pour une fête particulière ; ce qu'il lui accorda facilement, dans l'intention d'y aller aussi entendre la sainte Messe. Mais une affaire qui survint l'arrêta insen-siblement jusqu'à midi. Alors, plein de frayeur d'avoir perdu la sainte Messe, ce qui ne lui arrivait jamais, et se sentant déjà tourmenté de son ancienne tentation, il sort de chez lui et rencontre un paysan qui lui demande où il va. « Je vais, répond le gentilhomme, entendre la sainte Messe. » – « Mais, c'est trop tard, lui dit le paysan, elles sont toutes dites. » Ce fut une nouvelle si cruelle pour lui, qu'il se mit à crier. « Hélas ! puisque j'ai perdu la sainte Messe, je suis perdu. » Le paysan, qui le voyait dans cet état et qui aimait bien l'argent, lui dit : « Si vous voulez je vous vendrai la Messe que j'ai entendue et tout le bien que j'en ai retiré. » L'autre sans réfléchir à rien, et si chagrin d'avoir manqué la sainte Messe : « Eh bien ! voilà mon manteau. » Cet homme ne pouvait certainement pas lui vendre la sainte Messe sans commettre un gros péché. S'étant séparés, il ne laisse pas cependant de continuer son chemin pour faire ses prières à l'église et comme il s'en retournait chez lui, après les avoir faites, il trouva ce pauvre paysan avare, pendu à un arbre, dans le même endroit où il avait pris le manteau. Le bon Dieu, en punition de son avarice, permit que la tentation du gentilhomme passât à cet avare. Frappé d'un tel spectacle, ce gentilhomme remer-cia Dieu toute sa vie de l'avoir délivré d'un si grand châ-timent, et ne manqua jamais d'assister à la sainte Messe pour remercier le bon Dieu. A l'heure de la mort, il avoua que depuis qu'il avait eu le bonheur d'assister tous les jours à la sainte Messe, le démon ne l'avait plus tenté de désespoir .
Eh bien ! M.F., saint Jean Chrysostome n'a-t-il pas bien raison de nous dire que si nous sommes tentés il faut entendre dévotement la sainte Messe, et nous som-mes sûrs que le bon Dieu nous délivrera ? Oui, M.F., si nous avions assez de foi, la sainte Messe serait un re-mède pour tous les maux que nous pourrions avoir pen-dant notre vie ; en effet, Jésus-Christ n'est-il pas notre médecin de l'âme et du corps ?…

II. – Nous avons dit que la sainte Messe est le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ, qui n'est offert qu'à Dieu seul, et non aux anges et aux saints. Vous savez que le saint sacrifice de la sainte Messe a été institué le jeudi saint, lorsque Jésus-Christ prit du pain, le changea en son Corps, puis du vin, et le changea en son Sang. Dans le même moment, il donna à ses apôtres et à tous leurs successeurs ce pouvoir, qui est ce que nous appelons le sacrement de l'Ordre. La sainte Messe consiste dans les paroles de la consécration ; et vous savez que les minis-tres de la sainte Messe sont les prêtres et le peuple , qui a le bonheur d'y assister, s'il s'unit à eux ; d'où je conclus, M.F., que la meilleure manière d'entendre la sainte Messe est de s'unir au prêtre dans tout ce qu'il dit, de le suivre dans toutes ses actions, autant qu'on le peut, et de tâcher de se pénétrer des plus vifs sentiments d'amour et de reconnaissance : il faut bien conserver cette méthode.
Nous pouvons distinguer trois parties dans le saint sacrifice de la sainte Messe : la première partie, depuis le commencement jusqu'à l'Offertoire ; la deuxième, depuis l'Offertoire jusqu'à la Consécration ; la troisième, depuis la Consécration jusqu'à la fin. Il faut bien vous faire re-marquer que si nous étions distraits volontairement pen-dant une de ces parties, nous commettrions un péché mortel ; ce qui doit nous porter à bien prendre garde de ne pas laisser aller notre esprit à des choses étran-gères, c'est-à-dire, qui n'ont pas rapport au saint sacrifice de la Messe. Je dis, M.F., que, depuis le commence-ment jusqu'à l'Offertoire, nous devons nous comporter comme des pénitents qui sont pénétrés de la plus vive douleur de leurs péchés. Depuis l'Offertoire jusqu'à la consécration, nous devons nous conduire comme des ministres qui doivent offrir Jésus-Christ à Dieu son Père, et lui faire le sacrifice de tout ce que nous sommes c'est-à-dire, lui offrir nos corps, nos âmes, nos biens, notre vie, et même notre éternité. Depuis la Consécra-tion, nous devons nous regarder comme des personnes qui doivent participer au Corps adorable et au Sang pré-cieux de Jésus-Christ : et il faut, par conséquent, faire tous nos efforts pour nous rendre dignes de ce bonheur.
Pour mieux, M.F., vous le faire comprendre, je vais vous proposer trois exemples tirés de la sainte Écriture, qui vont vous montrer la manière dont vous devez en-tendre la sainte Messe : c'est-à-dire, de quoi vous devez vous occuper pendant ce moment heureux pour celui qui a le bonheur de le bien comprendre. Le premier, c'est celui du publicain, qui vous apprendra ce que vous devez faire au commencement de la sainte Messe. Le deuxième est celui du bon larron, qui vous apprendra comment vous devez vous comporter pendant la Consé-cration. Le troisième, le centenier, qui vous guidera pendant la sainte Communion.
Nous disons 1° que le publicain nous apprendra com-ment nous devons nous conduire au commencement de la sainte Messe, qui est une action si agréable à Dieu et si puissante pour nous obtenir toutes sortes de grâces. Nous ne devons donc pas attendre d'être à l'église pour nous y préparer. Non, M.F., non, un bon chrétien commence à se préparer en s'éveillant, en ne laissant occuper son esprit de rien qui n'ait rapport à ce bonheur. Nous devons nous représenter Jésus-Christ au jardin des Olives, qui, prosterné la face contre terre, se prépare au sacrifice sanglant qu'il va endurer sur le Calvaire, et de la grandeur de sa charité, qui va lui faire subir le châtiment que nous devrions subir pendant l'éternité. Il faut y venir à jeûn, autant que nous le pou-vons ; ce qui est très agréable au bon Dieu. Dans les commencements de l'Église, tous les chrétiens y allaient à jeûn . Il faut, la matinée, ne jamais vous laisser occuper l'esprit à vos affaires temporelles, vous rappe-lant qu'ayant travaillé toute la semaine pour votre corps, il est bien juste que vous donniez cette journée aux soins de votre âme, et à demander au bon Dieu par-don de vos péchés. Lorsque vous venez à l'église, ne faites point de conversation ; pensez que vous suivez Jésus-Christ portant sa croix au Calvaire et qu'il va mourir pour vous sauver. Il faut avoir toujours un moment, avant la sainte Messe, pour se recueillir un peu ; pour gémir sur ses péchés et en demander pardon au bon Dieu ; pour examiner les grâces qui nous sont les plus nécessaires, afin de les lui demander pendant la Messe ; et bien prendre garde de ne jamais manquer ni l'eau bénite, ni la Passion , ni les processions , parce que ce sont de saintes actions qui vous préparent à bien entendre la Messe.
Lorsque vous entrez dans l'église, pénétrez-vous de la grandeur de votre bonheur par un acte de la foi la plus vive, et un acte de contrition sur vos péchés, qui vous rendent indignes d'approcher d'un Dieu si saint et si grand. Pensez, en ce moment, aux dispositions du publicain, lorsqu'il entra dans le temple pour offrir à Dieu le sacrifice de sa prière. Écoutez saint Luc : « Le publicain, nous dit-il, se tenait au bas du temple, bais-sant les yeux contre terre, n'osant regarder l'autel et se frappant la poitrine en disant à Dieu : Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis un grand pécheur . » Vous voyez donc, M.F., qu'il ne faisait pas comme ces chrétiens qui entrent dans nos églises avec un air fier et arrogant, « qui semblent vouloir s'approcher de Dieu, nous dit le prophète Isaïe, comme des personnes qui n'ont rien sur la conscience qui puisse les humilier devant leur Créateur . » En effet, si vous voulez prendre la peine de voir entrer ces chrétiens, qui ont peut-être plus de péchés sur leur conscience qu'ils n'ont de cheveux sur la tête ; vous les voyez, dis-je, entrer avec un air de dédain, ou plutôt, avec une espèce de mépris de la présence de Dieu. Ils prennent de l'eau bénite à peu près comme ils prennent un bassin d'eau pour se laver les mains en venant de travailler ; ils le font, pour la plupart, sans dévotion et sans penser que l'eau bénite, prise avec bien du respect, efface les péchés vé-niels et nous dispose à bien entendre la sainte Messe. Voyez notre publicain, qui, se croyant indigne d'entrer dans le temple, va se placer dans l'endroit le moins appa-rent qu'il peut trouver ; il est tellement confus à la vue de ses péchés, qu'il n'ose pas même lever les yeux au ciel. Il est donc bien éloigné de ces chrétiens de nom, qui ne sont jamais assez bien placés, qui se mettent seulement à genoux sur une chaise, qui baissent à peine la tête pendant l'élévation, qui s'étendent sur une chaise ou se croisent les jambes. Nous ne disons rien de ces gens qui ne devraient venir à l'église que pour y pleurer leurs péchés, et qui n'y viennent que pour insulter un Dieu humilié et méprisé, par leurs vains étalages de vanité ; dans l'intention d'y attirer les yeux du monde ; et d'autres, pour y entretenir le feu de leurs passions criminelles. O mon Dieu ! avec de telles dispositions peut-on bien oser venir assister à la sainte Messe  ? « Mais notre publicain, nous dit saint Augustin, frappe son cœur, pour montrer à Dieu le regret qu'il ressent de l'avoir offensé . » Hélas ! M.F., si les chrétiens avaient le bonheur d'assister à la sainte Messe avec les mêmes dispositions que le publicain, que de grâces, que de biens nous obtiendrions ! Nous sortirions aussi chargés des biens du ciel que les abeilles après avoir trouvé plus de fleurs qu'elles n'en voulaient ! Oh ! si le bon Dieu nous faisait la grâce qu'au commencement de la sainte Messe nous soyons bien pénétrés de la gran-deur de Jésus-Christ devant qui nous paraissons et du poids de nos péchés, que nous aurions bientôt obtenu le pardon de nos péchés et la grâce de persévérer !
Nous devons surtout nous tenir dans de grands sen-timents d'humilité pendant la sainte Messe ; c'est ce que le prêtre doit nous inspirer lorsqu'il descend de l'autel pour dire le Confiteor en s'inclinant profondément, lui qui, tenant la place de Jésus-Christ même, semble se charger de tous les péchés de ses paroissiens. Hélas ! si le bon Dieu nous faisait une fois bien comprendre ce que c'est que la sainte Messe, que de grâces, que de biens nous n'avons pas et que nous aurions ! Que de dangers, dont nous serions préservés si nous avions une grande dévotion à la sainte Messe ! Pour vous le prouver, M.F., je vais vous citer un bel exemple, qui vous mon-trera que le bon Dieu protège d'une manière visible ceux qui ont le bonheur d'y assister avec dévotion.
Nous lisons dans l'histoire, que sainte Élisabeth, reine de Portugal, et nièce de sainte Élisabeth, reine de Hon-grie, était si charitable envers les pauvres que, quoi-qu'elle eût ordonné à son aumônier de ne jamais rien leur refuser, elle faisait encore de continuelles aumônes de ses propres mains ou par celles de ses domestiques. Elle se servait ordinairement d'un page, dont elle avait reconnu la grande piété ; ce que voyant, un autre page en fut jaloux. II alla un jour trouver le roi, et lui dit qu'un tel page avait un commerce criminel avec la reine. Le roi, sans rien examiner, résolut de suite de se défaire de ce page le plus secrètement possible. Un moment après, s'étant trouvé de passer  dans un endroit où l'on faisait cuire de la chaux, il fit appeler les gens qui avaient soin d'entretenir le feu du fourneau, et leur dit que, le lendemain au matin, il leur enverrait un page dont il était mécontent, qui leur demanderait s'ils avaient exécuté les ordres du roi ; qu'ils ne manquassent pas de le prendre et de le jeter aussitôt dans le feu. Après cela, il s'en retourna et commanda au page de la reine d'aller le lendemain, de bonne heure, faire cette commission. Mais, vous allez voir que le bon Dieu n'abandonne ja-mais ceux qui l'aiment. Le bon Dieu permit qu'il passât auprès d'une église pour aller faire sa commission, et que, dans ce moment, il entendît qu'on sonnait l'éléva-tion. Il entre pour adorer Jésus-Christ et entend le reste de la Messe. Une autre commence, il l'entend ; une troi-sième commence après la deuxième finie, il l'entend encore. Cependant le roi, impatient de savoir si l'on avait exécuté ses ordres, envoie son page pour leur demander s'ils avaient fait ce qu'il leur avait commandé. Croyant que c'était le premier, ils le prennent et le jettent dans le feu. L'autre, qui, pendant ce temps-là, avait achevé ses dévotions, va faire sa commission, en leur disant s'ils avaient fait ce que le roi leur avait ordonné. Ils lui répondirent que oui. Il retourna rendre réponse au roi, qui fut fort étonné de le voir revenir. Tout en fureur de ce qu'il en était arrivé tout au con-traire de ce qu'il espérait, le roi lui demanda où il était resté si longtemps ?... Le page lui dit que, passant près d'une église pour aller où il lui avait ordonné, il avait entendu la clochette de l'Élévation, que cela l'avait obligé d'entrer, qu'il y était demeuré jusqu'à la fin de la Messe, et, qu'une autre Messe ayant ensuite commencé avant que celle-là finît et enfin une troisième, il les avait toutes entendues ; parce que son père, avant de mourir, après lui avoir donné sa bénédiction, lui avait bien recom-mandé de ne jamais quitter une Messe commencée sans attendre qu'elle fût finie : que cela nous attirait beau-coup de grâces et nous garantissait de bien des malheurs. Alors le roi, rentrant en lui-même, comprit bien que cela n'était arrivé que par un juste jugement de Dieu ; que la reine était innocente et le page, un saint ; que l'autre n'avait fait cela que par envie. Vous voyez, M.F., que ce pauvre jeune homme aurait été brûlé sans sa dévotion, et que le bon Dieu lui inspira d'entrer dans l'église pour le garantir de la mort ; tandis que l'autre, qui n'avait pas de dévotion pour Jésus-Christ dans le sacrement adorable de l'Eucharistie, fut jeté dans le feu.
Saint Thomas nous dit qu'il vit un jour pendant la sainte Messe, Jésus-Christ, les mains pleines de trésors qu'il cherchait à distribuer, et que, si nous avions le bonheur d'assister saintement et souvent à la sainte Messe, nous aurions beaucoup plus de grâces que nous n'en avons, pour sauver nos âmes, et même pour le temporel.
2° En second lieu, nous avons dit que le bon larron nous instruirait de la manière de nous conduire pendant le temps de la Consécration et de l'Élévation de la sainte Hostie, qui est le temps où nous devons nous offrir à Dieu avec Jésus-Christ, comme étant ceux qui doivent participer à cet auguste mystère. Voyez, M.F., com-ment cet heureux pénitent se comporte dans le temps même de son supplice ; voyez-vous comment il ouvre les yeux de l'âme pour reconnaître son libérateur ? Mais aussi, M.F., quel progrès ne fait-il pas, pendant les trois heures qu'il se trouve en la compagnie de son Sauveur mourant ? Il est attaché à la croix, il ne lui reste plus que son cœur et sa langue de libre, voyez avec quel empressement il offre à Jésus-Christ l'un et l'autre : il lui donne tout ce qu'il peut lui donner, il lui consacre son cœur par la foi et par l'espérance, il lui demande humblement une place en paradis, c'est-à-dire, dans son royaume éternel. Il lui consacre sa langue en publiant son innocence et sa sainteté. Il dit à son compagnon de supplice : « Il est juste que nous souffrions ; mais, pour lui, il est innocent . » Dans le temps que les autres ne s'occupent qu'à outrager Jésus-Christ par les blas-phèmes les plus horribles, il devient son panégyriste ; pendant que ses disciples même l'abandonnent, il prend son parti ; et sa charité est si grande, qu'il fait tous ses efforts pour porter l'autre à se convertir. Non, M.F., ne soyons nullement étonnés si nous découvrons tant de vertu dans ce bon larron, parce qu'il n'y a rien de si capable de nous toucher que la vue de Jésus-Christ mourant ; il n'y a point de moment où la grâce nous soit donnée avec tant d'abondance, et cependant nous en sommes témoins tous les jours. Hélas ! M.F., si, dans ce moment heureux de la Consécration, nous avions le bonheur d'être animés d'une foi vive, une seule Messe suffirait pour nous arracher de quelques mauvais vices où nous serions, et pour faire de nous de vrais pénitents, c'est-à-dire, de parfaits chrétiens.
Pourquoi est-ce donc, me direz-vous, que nous assis-tons à tant de messes et que nous sommes toujours les mêmes ? Hélas ! M.F., c'est que nous y sommes pré-sents de corps et que notre esprit n'y est nullement, et que nous y venons plutôt achever notre réprobation par les mauvaises dispositions avec lesquelles nous y assis-tons. Hélas ! que de messes mal entendues, qui, bien loin d'assurer notre salut, nous endurcissent davantage ! Jésus-Christ étant apparu à sainte Mechtilde, lui dit : -« Sache, ma fille, que les saints assisteront à la mort de tous ceux qui auront entendu dévotement la sainte Messe, pour les aider à bien mourir, pour les défendre contre les tentations du démon et pour présenter leurs âmes à mon Père. » Quel bonheur pour nous, M.F., d'être assistés, dans ce moment redoutable, par autant de saints que nous aurons entendu de saintes Messes !...
Non, M.F., ne craignons jamais que la sainte Messe nous retarde dans nos affaires temporelles ; c'est bien tout le contraire : nous sommes sûrs que tout ira mieux, et que même nos affaires nous réussiront mieux que si nous avons le malheur de ne pas y assister. En voici un exemple admirable. Il est rapporté de deux artisans, qui étaient du même métier et qui demeu-raient dans un même bourg, que l'un d'eux, étant chargé d'une grande quantité d'enfants, ne manquait jamais d'entendre tous les jours la sainte Messe et vivait très commodément dans son métier ; mais l'autre, au contraire, qui n'avait point d'enfants, travaillait une partie de la nuit et tout le jour, et souvent le saint jour de dimanche, encore avait-il toutes les peines du monde à vivre. Celui-ci, qui voyait les affaires de l'autre si bien lui réussir, lui demanda, un jour qu'il le rencontra, où il pouvait prendre de quoi entretenir si bien une famille si grande que la sienne ; tandis que lui, qui n'avait que lui et sa femme, et qui travaillait sans cesse, était sou-vent dépourvu de toutes choses. L'autre lui répondit que, s'il voulait, il lui montrerait le lendemain, d'où il tenait tout son profit. L'autre, bien content d'une si bonne nouvelle, ne voyait que l'heure  d'arriver au lendemain, qui lui devait apprendre à faire sa fortune. En effet, l'autre ne manqua pas d'aller le prendre. Le voilà qui part de bon cœur et le suit avec bien de la fidélité. L'autre le conduisit jusqu'à l'église, où ils entendirent la sainte Messe. Après qu'ils furent retour-nés : « Mon ami, lui dit celui qui était bien à son aise, retournez à votre travail. » Il en fit autant le lendemain ; mais, l'étant allé prendre une troisième fois pour la même chose : « Comment, lui dit l'autre ? Si je veux aller à la Messe, je sais le chemin sans que vous preniez la peine de venir me chercher ; ce n'est pas ce que je voulais savoir ; mais le lieu où vous trouvez tout ce bien qui vous fait vivre si bien à votre aise ; je voulais voir si, faisant comme vous, je pourrais y trouver mon compte. – Mon ami, lui répondit l'autre, je ne sais point d'autre lieu que celui de l'église, et pas d'autre moyen que d'entendre tous les jours la sainte Messe ; et pour moi, je vous assure que je n'ai point employé d'autres moyens pour avoir tout le bien qui vous étonne. Mais, n'avez-vous pas vu ce que Jésus-Christ nous dit dans l'Évangile, de chercher première-ment le royaume des cieux, et que tout le reste nous sera donné. » Ces paroles firent comprendre à cet homme le dessein de l'autre en le menant à la sainte Messe. « Eh bien ! lui dit-il, vous avez raison : celui qui ne compte que sur son travail est un aveugle, et je vois que jamais la sainte Messe n'appauvrira personne. Vous en êtes une preuve bien grande. Je veux faire comme vous, et j'espère que le bon Dieu me bénira. »
En effet, le lendemain, il commença et continua toute sa vie ; et, en peu de temps, il fut fort à son aise. Quand on lui demandait d'où venait que, maintenant, il ne travaillait plus les dimanches ni la nuit, comme autrefois ; qu'il allait tous les jours à la Messe et qu'il devenait plus riche ; il disait : « J'ai suivi le conseil de mon voisin ; allez le trouver et il vous apprendra à être bien sans travailler davantage, mais en entendant la Messe tous les jours. »
Cela vous étonne peut-être, M.F. ? pas moi. C'est ce que nous voyons tous les jours dans les maisons où il y a de la piété : ceux qui viennent souvent à la sainte Messe, font beaucoup mieux leurs affaires que ceux auxquels leur peu de foi fait croire qu'ils n'ont jamais le temps. Hélas ! si nous avions mis toute notre con-fiance en Dieu, et ne comptions rien sur notre travail, que nous serions plus heureux que nous ne sommes ! – Mais, me direz-vous, si nous n'avons rien, l'on ne nous donne rien. – Que voulez-vous que le bon Dieu vous donne, quand vous ne comptez que sur votre travail et pour rien sur lui ? Puisque vous ne vous donnez pas seulement le temps de faire vos prières le matin ni le soir, et que vous vous contentez de venir une fois la semaine à la sainte Messe. Hélas ! vous ne connaissez pas les ressources de la providence du bon Dieu pour celui qui se confie en lui. En voulez-vous une preuve bien frappante ? elle est devant vos yeux ; jetez les yeux sur votre pasteur et examinez cela devant le bon Dieu. – Oh ! me direz-vous, c'est parce que l'on vous donne. – Mais qui me donne, sinon la providence du bon Dieu ? voilà où sont mes trésors, et pas ailleurs. Hélas ! que l'homme est aveugle de tant se tourmenter pour se damner et être bien malheureux en ce monde ! Si vous aviez le bonheur de bien penser à votre salut et d'assister à la sainte Messe, autant que vous le pouvez, vous verriez bientôt la preuve de ce que je vous dis.
Non, M.F., point de moment plus précieux pour demander à Dieu notre conversion, que celui de la sainte Messe ; vous allez le voir. Un saint ermite nommé Paul, vit un jeune homme fort bien habillé qui entrait dans une église, une quantité de démons l'ac-compagnaient ; mais après la sainte Messe, il vit sortir le jeune homme accompagné d'une troupe d'anges qui marchaient à ses côtés. « O mon Dieu, s'écria le saint, qu'il faut que la sainte Messe vous soit agréable ! » Le saint concile de Trente nous dit que la sainte Messe apaise la colère de Dieu, convertit le pécheur, réjouit le ciel, soulage les âmes du purgatoire, rend gloire au bon Dieu et attire toutes sortes de bénédictions sur la terre . Oh ! M.F., si nous pouvions bien comprendre ce que c'est que le saint sacrifice de la sainte Messe, avec quel respect n'y serions-nous pas ?...
Le saint abbé Nilus nous rapporte que son maître saint Jean Chrysostome lui avait dit un jour, en confi-dence, qu'il voyait, pendant la sainte Messe, une troupe d'anges qui descendaient du ciel pour adorer Jésus-Christ sur l'autel, et que plusieurs allaient dans l'église pour inspirer aux fidèles le respect et l'amour qu'ils doivent avoir pour Jésus-Christ présent sur l'autel. Moment précieux, moment heureux pour nous, M.F., que celui où Jésus-Christ est présent sur nos autels ! Hélas ! si les pères et mères le comprenaient bien et qu'ils sussent en profiter, leurs enfants ne seraient pas si misérables, si éloignés du chemin du ciel. Mon Dieu, que de gens pauvres auprès d'un si grand trésor !
3° Nous avons dit que le centenier nous servirait  d'exemple quand nous avons le bonheur de communier, ou spirituellement ou corporellement. Je dis que nous devons communier spirituellement par un grand désir de nous unir à Jésus-Christ . L'exemple de ce cente-nier est si admirable, qu'il semble que l'Église prenne plaisir à nous le remettre devant les yeux, chaque jour, à la sainte Messe. « Seigneur, lui dit cet humble servi-teur, je ne suis pas digne que vous veniez dans ma mai-son, mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri . » Ah ! si le bon Dieu voyait en nous cette même humilité, cette même connaissance de notre néant, avec quel plaisir et avec quelle abondance de grâces ne viendrait-il pas dans notre cœur ? Que de force et de courage pour vaincre l'ennemi de notre salut ! Voulons-nous, M.F., obtenir notre changement de vie : c'est-à-dire, quitter le péché pour revenir au bon Dieu ? Entendons quelques messes à cette intention, et nous sommes sûrs, si nous les entendons dévotement, que le bon Dieu nous aidera à sortir du péché ; en voici un exemple. Il est rapporté dans l'histoire qu'une jeune fille, pendant plusieurs années, menait une vie bien misérable avec un jeune homme. Tout, par une fois, elle se sentit frappée de frayeur, en considérant l'état où pouvait être sa pauvre âme, en menant la vie qu'elle menait. De suite, après la sainte Messe, elle va trouver un prêtre pour le prier de l'aider à sortir du péché. Le prêtre, qui connaissait sa vie, lui demanda ce qui l'avait portée à un tel changement. « Mon père, lui dit-elle, pendant la sainte Messe, que ma mère, avant de mou-rir, me fit promettre d'entendre tous les samedis, j'ai conçu une si grande horreur de mon état, que je ne puis plus y tenir. » – « O mon Dieu ! s'écrie le saint prêtre, voilà une âme sauvée par le mérite de la sainte Messe ! »
Ah ! M.F., que d'âmes sortiraient du péché, si elles avaient le bonheur d'entendre la sainte Messe avec de bonnes dispositions ! Ne soyons pas étonnés si le démon nous met dans la tête tant de pensées étrangères. Hélas c'est qu'il prévoit, bien mieux que vous, la perte que vous faites, en y assistant avec si peu de respect et de dévotion. Ah ! M.F., combien la sainte Messe nous pré-serve d'accidents et de morts subites ! Combien de personnes que, pour une sainte Messe qu'elles auront entendue, le bon Dieu garantira du malheur ! Saint Antonin nous en rapporte un bel exemple. Il nous dit qu'un jour de fête, il y avait deux jeunes gens qui étaient allés faire une partie de chasse : l'un avait entendu la sainte Messe, mais pas l'autre. Étant en che-min, le temps devint noir ; ils entendaient les tonnerres les plus épouvantables, et ils voyaient des éclairs si mul-tipliés, qu'il leur semblait que le ciel fût en feu. Mais ce qui les effrayait encore plus, c'est que, parmi toutes ces foudres, ils entendaient à chaque instant une voix qui semblait être en l'air et qui criait : « Frappez ces mal-heureux, frappez-les ! » Mais le temps s'étant un peu calmé, ils commencèrent à se rassurer. Continuant leur chemin, tout à coup il vint un coup de tonnerre qui moulut  celui qui n'avait pas entendu la sainte Messe. L'autre fut saisi d'une si grande frayeur, qu'il ne savait s'il devait aller plus loin ou tomber par terre. Comme il était dans cette frayeur, il entendit la voix qui criait : « Frappez, frappez le malheureux ! » ce qui redoublait d'autant plus sa frayeur, qu'il venait de voir écraser à ses pieds son compagnon. « Frappez, frappez encore celui-ci ! » Se croyant perdu, il entendit une autre voix qui dit : « Non, ne le frappez pas, il a entendu la sainte Messe ce matin. » De sorte que ce fut la sainte Messe qu'il avait entendue avant de partir, qui le préserva d'une mort si épouvantable. Voyez-vous M.F., com-bien le bon Dieu nous accorde de grâces et nous pré-serve de malheurs, quand nous avons le bonheur d'en-tendre la sainte Messe comme il faut ? Hélas ! à quels châtiments doivent s'attendre ceux qui ne font point difficulté d'y manquer le dimanche ! D'abord ce qu'il y a de visible, c'est qu'ils périssent presque tous misérable-ment ; leurs biens vont en décadence, la foi abandonne leur cœur, et, par là, ils sont doublement malheureux Mon Dieu ! que l'homme est aveugle sous tous les rap-ports, pour l'âme et pour le corps !

III. – La plupart des gens du monde n'entendent la sainte Messe qu'en pharisiens, en mauvais larron, en Judas. Nous avons dit que la sainte Messe est le sou-venir de la mort de Jésus-Christ sur le Calvaire ; c'est pourquoi Jésus-Christ veut que toutes les fois que nous célébrons le saint sacrifice de la Messe, nous le fassions en mémoire de lui. Cependant, nous pouvons dire en gémissant que, pendant que nous renouvelons le sou-venir des souffrances de Jésus-Christ, plusieurs des assistants renouvellent le crime des Juifs et des bour-reaux qui l'attachèrent à la croix. Mais, pour mieux vous faire connaître si vous avez le malheur d'être du nombre de ceux qui déshonorent de la sorte nos saints mystères, je vais vous faire remarquer, M.F., que parmi ceux qui furent témoins de la mort de Jésus-Christ sur la croix, il y en avait de trois sortes : les uns ne faisaient que passer devant la croix, sans s'arrêter et sans entrer dans les sentiments d'une véritable douleur, plus insen-sibles que les créatures les plus inanimées. D'autres s'approchaient du lieu du supplice et considéraient toutes les circonstances de la passion de Jésus-Christ ; mais ce n'était que pour s'en moquer, en faire un sujet de raillerie et l'outrager par les blasphèmes les plus horribles. Enfin, un petit nombre versait des larmes amères de voir exercer tant de cruautés sur le corps de leur Dieu et de leur Sauveur. Voyez à présent du nombre desquels vous êtes. Je ne parlerai pas de ceux qui courent entendre une Messe à la hâte dans une paroisse où ils ont quelque affaire, ni de ceux qui n'y viennent que la moitié du temps ; qui, pendant ce temps, vont trouver un voisin pour boire une bouteille ; laissons--les de côté, parce que ce sont des personnes qui vivent comme si elles étaient sûres de n'avoir point d'âme à sauver ; elles ont perdu la foi, et, par là, tout est perdu. Mais parlons seulement de ceux qui y viennent ordinai-rement.
Je dis 1° que plusieurs n'y viennent que pour voir et être vus, avec un air tout dissipé, comme vous iriez dans un marché, dans une foire et, si j'ose le dire, dans un bal. Vous vous y tenez sans modestie. : à peine mettez-vous les deux genoux par terre pendant l'Élé-vation ou la Communion. Y priez-vous, M.F.... ? Hélas ! non ; c'est que la foi vous manque. Dites-moi, quand vous allez chez quelques personnes qui sont au-dessus de vous, pour leur demander quelque grâce, vous en êtes occupés tout le long du chemin ; vous entrez avec modestie, vous leur faites un profond salut, vous vous tenez découverts devant elles, vous ne pensez pas même à vous asseoir ; vous avez les yeux baissés, vous ne pensez qu'à la manière de bien vous exprimer et dans les termes les plus hauts. Si vous leur manquez, vous vous excusez vite sur votre peu d'éducation... Si ces personnes vous reçoivent avec bonté, vous sentez la joie naître dans votre cœur. Eh bien ! dites-moi, M.F., cela ne doit-il pas vous confondre, voyant que vous prenez tant de précaution pour quelque bien tem-porel ? tandis que vous venez à l'église avec une espèce de dédain, de mépris, devant un Dieu qui est mort pour nous sauver, et qui répand chaque jour son sang pour vous obtenir grâce auprès de son Père. Quel affront, M.F., n'est-ce pas pour Jésus-Christ, de se voir insulté par de viles créatures ? Hélas ! combien qui, pen-dant la sainte messe, commettent plus de péchés que pendant toute la semaine. Les uns ne pensent pas seu-lement au bon Dieu, d'autres parlent, tandis que leur cœur et leur esprit se noient les uns, dans l'orgueil ou le désir de plaire, les autres, dans l'impureté. O grand Dieu ! se peut-il qu'ils osent nommer Jésus-Christ, qui, auprès d'eux, est si saint et si pur !... Combien d'autres laissent entrer et sortir toutes les pensées et les désirs que le démon veut bien leur donner. Combien ne font point de difficulté de regarder, de tourner la tête, de rire et de causer, de dormir comme dans leur lit, et peut-être, encore bien mieux. Hélas ! que de chrétiens qui sortent de l'église avec peut-être plus de trente et cinquante péchés mortels de plus que quand ils y sont entrés !
Mais, me direz-vous, il vaut bien mieux ne pas y assister. – Savez-vous ce qu'il faut faire ?... Y assister et y assister bien comme il faut, en faisant trois sacri-fices à Dieu, je veux dire : celui de votre corps, de votre esprit et de votre cœur. Je dis : notre corps, qui doit honorer Jésus-Christ par une modestie religieuse. Notre esprit ; en entendant la sainte Messe, doit se pénétrer de notre néant et de notre indignité ; évitant toutes sortes de dissipations, repoussant loin de lui les distractions. Nous lui devons consacrer notre cœur, qui est l'offrande qui lui est la plus agréable, puisque c'est notre cœur qu'il nous demande avec tant d'instance : « Mon fils, nous dit-il, donne-moi ton cœur . »
Concluons, M.F., en disant combien nous sommes malheureux lorsque nous entendons mal la sainte Messe, puisque nous trouvons notre réprobation là où les autres trouvent leur salut. Fasse le ciel, que toutes les fois que nous pourrons, nous assistions à la sainte Messe, puisque les grâces y sont si abondantes ; et que nous y apportions toujours d'aussi bonnes dispositions que nous pourrons ! et que, par là, nous attirions sur nous toutes sortes de bénédictions en ce monde et en l'autre !... C'est ce que je vous souhaite.
 3ème dimanche après la Pentecôte
(PREMIER SERMON)
Sur la miséricorde de Dieu

Erant autem appropinquantes ei publicani et pecca-tores, ut audirent illum.
Les publicains et les pécheurs se tenaient auprès de Jésus-Christ pour l'écouter.
(S. Luc., XV, 1.)

La conduite que Jésus-Christ tenait pendant sa vie mortelle, nous montre la grandeur de sa miséricorde pour les pécheurs. Nous voyons qu'ils viennent tous lui tenir compagnie ; et lui, bien loin de les rebuter ou du moins de s'éloigner d'eux, au contraire, il prend tous les moyens possibles pour se trouver parmi eux, afin de les attirer à son Père. Il les va chercher par les remords de conscience, il les ramène par sa grâce et les gagne par ses manières amoureuses. Il les traite avec tant de bonté, qu'il prend même leur défense contre les scribes et les pharisiens qui veulent les blâmer, et qui semblent ne pas vouloir les souffrir auprès de Jésus-Christ. Il va encore plus loin, il veut se justifier de la conduite qu'il tient à leur égard, par une parabole qui leur dépeint, comme l'on ne peut pas mieux, la grandeur de son amour pour les pécheurs, en leur disant : « Un bon pas-teur qui avait cent brebis, en ayant perdu une, laisse toutes les autres pour courir après celle qui s'est égarée, et, l'ayant retrouvée, il la met sur ses épaules pour lui éviter la peine du chemin ; puis, l'ayant rapportée à son bercail, il invite tous ses amis à se réjouir avec lui, d'avoir retrouvé la brebis qu'il croyait perdue. » Il ajoute encore cette parabole d'une femme qui, ayant dix drachmes et en ayant perdu une, allume sa lampe pour la chercher dans tous les coins de sa maison, et l'ayant retrouvée, elle invite toutes ses amies pour s'en réjouir. « C'est ainsi, leur dit-il, que tout le ciel se réjouit du retour d'un pécheur qui se convertit et qui fait pénitence. Je ne suis pas venu pour les jus-tes, mais pour les pécheurs ; ceux qui sont en santé n'ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. » Nous voyons que Jésus-Christ s'applique à lui-même ces vives images de la grandeur de sa misé-ricorde envers les pécheurs. Ah ! M.F., quel bonheur pour nous de savoir que la miséricorde de Dieu est infinie ! Quel violent désir ne devons-nous pas sentir naître en nous, d'aller nous jeter aux pieds d'un Dieu qui nous recevra avec tant de joie ! Non, M.F., si nous nous damnons, nous n'aurons point d'excuses, quand Jésus-Christ nous montrera lui-même que sa miséri-corde a toujours été assez grande pour nous pardonner comme que nous soyons coupables. Et pour vous en don-ner une idée, je vais aujourd'hui vous montrer : 1° la grandeur de la miséricorde de Dieu envers le pécheur ; 2° ce que nous devons faire, de notre côté, pour mériter le bonheur de l'obtenir.

I. – Oui, M.F., tout est consolant, tout est engageant dans la conduite que Dieu tient à notre égard. Quoique bien coupables, sa patience nous attend, son amour nous invite à sortir du péché pour revenir à lui, sa miséricorde nous reçoit entre ses bras. Par la patience, le prophète Isaïe nous dit que le Seigneur nous attend pour nous faire miséricorde. Nous n'avons pas plus tôt péché que nous méritons d'être punis : « Rien, nous dit-il, n'est plus dû au péché que la punition ; dès que l'homme s'est révolté contre Dieu, toutes les créatures deman-dent vengeance, en disant : Seigneur, voulez-vous que nous allions faire périr ce pécheur qui vous a outragé ? Voulez-vous, lui dit la mer, que je l'engloutisse dans mes abîmes ? La terre lui dit : Seigneur, que j'ouvre mes entrailles pour le faire descendre tout vivant dans les enfers. L'air lui dit : Seigneur, souffrirez-vous que je le suffoque ? Le feu lui dit : Ah ! de grâce, laissez-moi le brûler. Et ainsi, toutes les autres créatures deman-dent vengeance à grands cris. Le tonnerre et les éclairs vont jusqu'au trône de Jésus-Christ pour lui demander le pouvoir de l'écraser et de le dévorer. – Mais non, reprend ce bon Jésus, laissez-le sur la terre jusqu'au moment que mon Père a résolu ; peut-être que j'aurai le bonheur de le voir converti. « Si ce pécheur s'égare davantage, ce tendre Père en verse des larmes, et ne cesse de le poursuivre par sa grâce, en faisant naître en lui de violents remords de conscience. « O Dieu des miséricordes, s'écrie saint Augustin, encore pécheur je m'éloignais de vous toujours de plus en plus, mes pas et toutes mes démarches étaient comme autant de nou-velles chutes dans le mal, mes passions s'allumaient toujours davantage, et cependant, vous preniez patience et vous m'attendiez. O patience de mon Dieu ! il y a tant d'années que je vous offense, et vous ne m'avez pas encore puni : d'où peut venir ce long retard ? Hélas ! Seigneur, c'est que vous vouliez que je me convertisse, et que je retournasse à vous par la pénitence. »
Est-il bien possible, M.F., que, malgré le désir que le bon Dieu a de nous sauver, nous nous perdions si volontairement ? Oui, M.F., si nous voulons parcourir les différents âges du monde, nous voyons partout la terre couverte des miséricordes du Seigneur, et les hommes enveloppés de ses bienfaits. Non, M.F., ce -n'est pas le pécheur qui revient à Dieu pour lui demander pardon ; mais c'est Dieu lui-même qui court après le pécheur et qui le fait revenir à lui. En voulez-vous un bel exemple ? Voyez comment il s'est comporté avec Adam. Après son péché, au lieu de le punir, comme il le méritait, pour cette révolte contre son Créateur, qui lui avait accordé tant de privilèges, qui l'avait orné de tant de grâces, destiné à une fin si heureuse, qui était d'être son ami et de ne jamais mourir... Adam, après son péché, s'enfuit de la présence de Dieu ; mais le Sei-gneur, comme un père désolé qui a perdu son enfant, court le chercher et l'appelle comme en pleurant : « Adam, Adam, où es-tu  ? Pourquoi fuis-tu la présence de ton Créateur ? » Il a tant le désir de le pardonner, qu'à peine il lui donne le temps de demander pardon ; déjà il lui annonce qu'il le pardonne, et qu'il lui enverra son Fils, qui naîtra d'une Vierge, et réparera la perte que le péché lui a faite à lui et à tous ses des-cendants, et que cette réparation se ferait d'une manière admirable. En effet, M.F., sans le péché d'Adam, nous n'aurions jamais eu le bonheur d'avoir Jésus-Christ pour Sauveur, ni de le recevoir dans la sainte communion, ni même de le posséder dans nos églises. Pendant tant de siècles que le Père éternel demeura sans envoyer son Fils sur la terre, il ne cessa de renouveler ces conso-lantes promesses, par la bouche de ses patriarches et de ses prophètes. O charité, que vous êtes grande pour les pécheurs ! Voyez-vous, M.F., la bonté de Dieu pour le pécheur ? Pourrons-nous encore désespérer de notre pardon ?
Puisque le Seigneur témoigne tant le désir de nous pardonner ; si nous restons dans le péché, c'est donc bien notre faute. Voyez la manière dont il se conduisit envers Caïn, après qu'il eut tué son frère ? Il va le trouver pour le faire rentrer en lui-même, afin de pouvoir le pardonner ; parce qu'il faut nécessairement lui demander pardon si nous voulons qu'il nous le donne... Ah ! mon Dieu, est-ce trop ? « Caïn, Caïn, qu'as-tu fait  ? Demande-moi pardon pour que je puisse te pardonner. » Caïn ne veut pas, il désespère de son salut, il s'endurcit dans son péché. Cependant nous voyons que le bon Dieu le laissa longtemps sur la terre, afin de lui donner le temps de se convertir, s'il l'avait voulu. Voyez encore sa miséricorde envers le monde, lorsque les crimes des hommes eurent couvert la terre et l'eurent imbibée du jus des infâmes passions : le Seigneur se voyait forcé de les punir ; mais, avant que d'en venir à l'exécution, que de précautions, que d'avertissements, que de retards ! Il les menace bien longtemps avant que de les punir, afin de les toucher, et de les faire rentrer en eux-mêmes. Voyant que leurs crimes allaient toujours en augmentant, il leur envoya Noé, à qui il commanda de bâtir une arche, et d'y mettre cent ans, et de dire à tous ceux qui demanderaient pourquoi il faisait ce bâtiment, que c'était le Seigneur qui allait faire périr le monde entier par un déluge universel ; mais que, s'ils voulaient se convertir et faire pénitence, il changerait son arrêt. Mais enfin, voyant que tous ces avertissements ne ser-vaient de rien, qu'on se moquait de ses menaces, il fut forcé de les punir. Cependant, nous voyons que le Seigneur dit qu'il se repentait de les avoir créés : ce qui nous montre la grandeur de sa miséricorde. C'est comme s'il avait dit : J'aimerais mieux ne pas vous avoir créés que de me voir forcé de vous punir  ? Dites-moi, M.F., tout Dieu qu'il est, pouvait-il porter plus loin sa miséricorde ?
M.F., c'est ainsi qu'il attend les pécheurs à la péni-tence, et qu'il les y invite par les mouvements intérieurs de sa grâce et par la voix de ses ministres. Voyez encore comment il se comporte envers Ninive, cette grande ville pécheresse. Avant d'en punir les habitants, il com-mande à son prophète Jonas d'aller, de sa part, leur annoncer que, dans quarante jours, il allait les punir. Jonas, au lieu d'aller à Ninive, s'enfuit d'un autre côté.
Il veut traverser la mer ; mais, bien loin de laisser les Ninivites sans avertissement avant de les punir, Dieu fait un miracle pour conserver son prophète, pendant trois jours et trois nuits dans le sein d'une baleine, qui, au bout de trois jours, le vomit sur la terre. Alors le Sei-gneur dit à Jonas : « Va annoncer à la grande ville de Ninive, que dans quarante jours elle périra. » Il ne leur donne point de conditions. Le prophète étant parti, annonça à Ninive que, dans quarante jours elle allait périr. A cette nouvelle, tous se livrent à la pénitence et aux larmes, depuis le paysan jusqu'au roi. « Qui sait, leur dit le roi, si le Seigneur n'aura pas encore pitié de nous ? » Le Seigneur, les voyant recourir à la pénitence, semblait se réjouir d'avoir le plaisir de les pardonner. Jonas voyant le temps échu pour les punir, se retira hors de la ville, afin d'attendre que le feu du ciel tombât sur elle. Voyant qu'il ne tombait pas : « Ah ! Seigneur, s'écrie Jonas, est-ce que vous m'allez faire passer pour un faux prophète ? Faites-moi plutôt mourir. Ah ! je sais bien que vous êtes trop bon, vous ne demandez qu'à par-donner ! – Eh quoi ! Jonas, lui dit le Seigneur, tu voudrais que je fisse périr tant de personnes qui se sont humiliées devant moi ? Oh ! non, non, Jonas, je n'en n'aurais pas le courage ; au contraire, je les aimerai et les conserverai . »
Voilà précisément, M.F., la conduite que Jésus-Christ tient à notre égard ; il semble quelquefois vou-loir nous punir sans miséricorde ; au moindre repentir, il nous pardonne et nous rend son amitié. Voyez ce qu'il fit, lorsqu'il voulut faire descendre le feu du ciel sur Sodome, Gomorrhe et les villes voisines. Il sem-blait ne pas pouvoir s'y résoudre sans consulter son serviteur Abraham, comme pour savoir ce qu'il devait faire. « Abraham, lui dit le Seigneur, les crimes de Sodome et de Gomorrhe sont montés jusqu'à mon trône, je ne puis plus les souffrir ; je vais les faire périr par le feu du ciel. – Mais, Seigneur, lui dit Abraham, allez-vous punir les justes avec les pé-cheurs ? – Oh ! non, non, lui dit le Seigneur. – Eh bien ! lui dit Abraham, s'il y avait trente justes dans Sodome, la puniriez-vous, Seigneur ? – Non, dit-il, si j'en trouve trente, je pardonne à toute la ville en faveur des justes . » Il alla jusqu'à dix. Hélas ! chose étrange ! dans une si grande ville, il n'y eut pas dix justes. Vous voyez que le Seigneur semblait prendre plaisir à consulter son serviteur sur ce qu'il fallait faire. Se voyant forcé de les punir, il envoya vite un ange dire à Loth de sortir, lui et toute sa famille, afin de ne pas les punir avec les coupables . Ah ! mon Dieu, quelle patience ! que de retards avant d'en venir à l'exécution !
Voulez-vous savoir quel est le péché qui a forcé le Seigneur à faire tomber sur la terre tant de châtiments ? Hélas ! c'est ce maudit péché d'impureté dont la terre était toute couverte. Voulez-vous voir comment Dieu est long à punir ? Voyez ce qu'il fit pour punir Jéri-cho . Il ordonna à Josué de faire porter l'arche d'al-liance, qui était un instrument qui montrait la gran-deur de la miséricorde du Seigneur. Il voulut qu'elle fût portée par les prêtres, qui sont les dépositaires de ses miséricordes. Il ordonna de faire, pendant sept jours, le tour des murs de la ville, faisant sonner les mêmes trompettes dont on se servait pour annoncer l'année du jubilé, qui était une année de réconciliation et de par-don. Cependant, nous voyons que ces mêmes trom-pettes qui leur annonçaient leur pardon, firent tomber les murs de la ville, pour nous montrer que si nous ne voulons pas profiter des grâces que le bon Dieu veut bien nous accorder, nous n'en devenons que plus cou-pables ; mais que si nous avons le bonheur de nous convertir, il en éprouve une si grande joie qu'il nous dit qu'il vient plus promptement nous accorder notre pardon qu'une mère ne tire son enfant du feu.
Nous venons de voir, M.F., que, depuis le commen-cement du monde, jusqu'à la venue du Messie, ce n'est que miséricorde, que grâce et que bienfaits. Cependant nous pouvons dire que, sous la loi de grâce, les bienfaits dont il a comblé le monde sont encore bien plus abon-dants et bien plus précieux. Quelle miséricorde dans la personne du Père éternel, de n'avoir qu'un Fils et de consentir à lui faire perdre la vie pour nous sauver tous ! Hélas ! M.F., si nous parcourions toute la pas-sion de Jésus-Christ avec un cœur reconnaissant, que de larmes ne verserions-nous pas ! En voyant le tendre Jésus dans sa crèche, et le reste...
Nous voyons que la miséricorde du Père ne peut pas aller plus loin, puisque, n'ayant qu'un fils, il le sacrifie pour nous sauver, ce Fils, qui est tout ce qu'il a de plus cher. Mais si nous considérons l'amour du Fils, qu'en dirons-nous ? Il consent si volontairement à souffrir tant de tourments, et la mort même, pour nous procurer le bonheur du ciel ! Hélas ! M.F., que n'a-t-il pas fait pour nous pendant les jours de sa vie mortelle ? Non content de nous appeler à lui par sa grâce, et de nous fournir tous les moyens pour nous sanctifier, voyez comment il court après ses brebis égarées ; voyez comment il parcourt les villes et les campagnes pour les chercher, et les ramener dans le lieu de sa misé-ricorde ; voyez comment il quitte ses Apôtres pour aller attendre la Samaritaine auprès du puits de Jacob, où il savait qu'elle viendrait ; il la prévient lui-même, il commence à lui parler, afin que son langage plein de douceur, uni à sa grâce, la touche et la console ; il lui demande de l'eau à boire, afin qu'elle-même lui demande quelque chose de bien plus précieux, qui est sa grâce. Il fut si content d'avoir gagné cette âme que lorsque ses Apôtres le prièrent de prendre de la nourriture : « Oh ! non, leur dit-il. » Il semblait leur dire : « Ah ! non, non, je ne pense pas à la nourriture du corps, tant j'ai de joie d'avoir gagné une âme à mon Père  ! »
Voyez-le dans la maison de Simon le lépreux ; ce n'est pas pour y manger qu'il y va ; mais il savait qu'il y viendrait une Madeleine pécheresse : voilà, M.F., ce qui le conduit dans ce festin. Considérez la joie qu'il montre sur son visage en voyant Madeleine à ses pieds, qui les arrose de ses larmes et qui les essuie de ses cheveux, pendant tout le temps du repas. Mais le Sau-veur, de son côté, la paie bien de retour ; il vide à pleines mains sa grâce dans son cœur. Voyez comme il prend sa défense contre ceux qui s'en scandalisent . Il va si loin, que non content de lui pardonner tous ses péchés, en chassant les sept démons qu'elle avait dans son cœur, il veut encore la choisir pour une de ses épouses ; il veut qu'elle l'accompagne dans tout le cours de sa passion et que, « dans le monde où cet Évangile sera prêché, l'on raconte ce qu'elle vient de faire à son égard  » ; il ne veut pas parler de ses péchés, parce qu'ils sont déjà tous pardonnés par l'application de son sang adorable, qu'il doit répandre.
Voyez-le prendre la route de Capharnaüm pour aller trouver un autre pécheur dans son bureau : c'était saint Matthieu : c'est pour en faire un zélé apôtre . Deman-dez-lui pourquoi il prend la route de Jéricho, il vous dira : qu'il y a un homme nommé Zachée, qui passe pour un pécheur public, et, qu'il veut aller voir s'il pourra le sauver. Afin d'en faire un parfait pénitent, il fait comme un bon père qui a perdu son enfant, il l'appelle : « Zachée, lui crie-t-il, descendez ; car c'est chez vous que je veux aller loger aujourd'hui, je viens vous accorder votre grâce. » C'est comme s'il lui disait Zachée, quittez cet orgueil et cet attachement aux biens de ce monde ; descendez, c'est-à-dire, choisissez l'humi-lité et la pauvreté. Pour bien le faire comprendre, il dit à tout ceux qui étaient avec lui : « Cette maison reçoit aujourd'hui le salut  ». – O mon Dieu ! que votre miséricorde est grande pour les pécheurs !
Demandez-lui encore pourquoi il a passé dans cette place publique. « Ah ! vous dira-t-il, c'est que j'attends cette femme adultère que l'on doit amener pour la faire lapider ; et moi, je vais prendre sa défense contre ses ennemis, la toucher et la convertir. » Voyez-vous ce tendre Sauveur auprès de cette femme, comment il se comporte, comment il prend sa défense ? La voyant tout environnée de cette populace qui n'attendait que le signal pour l'assommer, le Sauveur semble leur dire : « Un moment, laissez-moi agir, ensuite vous agirez à votre tour. » Il s'abaisse sur la terre, il écrit, non sa sentence de condamnation, mais d'absolution. S'étant relevé, il les regarde. Ne semble-t-il pas leur dire : « Maintenant que cette femme est pardonnée, elle n'est plus une pécheresse, mais une sainte pénitente : quel est celui d'entre vous qui est égal à elle ? Si vous êtes sans péché, jetez-lui la première pierre. » Tous ces fameux hypocrites, voyant que Jésus-Christ lisait dans leur conscience, les plus vieux, qui sans doute étaient les plus coupables, se retirèrent les premiers, et ainsi des autres. Jésus-Christ, la voyant seule, lui dit avec bonté : « Femme, qui sont ceux qui vous ont con-damnée ? » comme s'il lui avait dit : Après que je vous ai pardonnée, qui serait celui qui aurait osé vous con-damner ? « Ah ! Seigneur, lui répondit cette pécheresse, personne. – Eh bien ! allez, et ne péchez plus . »
Voyez encore ce qu'il éprouve en voyant cette femme qui, depuis douze ans, avait une perte de sang. Elle se jette humblement à ses pieds ; « car, disait-elle, si je peux seulement toucher le bord de son manteau, je suis sûre d'être guérie ». Jésus-Christ se tournant, d'un air de bonté dit : « Qui est-ce qui me touche ? Allez, mon enfant, lui dit-il, ayez confiance, vous êtes guérie dans l'âme et dans le corps  ». Voyez-le, comme il prend compassion du chagrin de ce père qui lui présente son fils, possédé du démon dès son enfance ...
Voyez-le pleurer en approchant de la ville de Jérusa-lem, qui était la figure des pécheurs qui ne veulent plus se laisser toucher le cœur. Voyez comment il verse des larmes sur sa perte éternelle. « Oh ! combien de fois, ingrate Jérusalem, n'ai-je pas voulu te ramener dans le sein de ma miséricorde, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes ; mais tu n'as pas voulu. O ingrate Jérusalem ! qui as tué les prophètes et fait mourir les ser-viteurs de Dieu ! oh ! si, du moins, tu voulais encore aujourd'hui recevoir ta grâce que je viens t'appor-ter  ! » Voyez-vous, M.F., comment le bon Dieu pleure la perte de nos âmes quand il voit que nous ne voulons pas nous convertir ?
D'après tout ce que nous voyons que Jésus-Christ a fait pour nous sauver, comment pourrions-nous déses-pérer de sa miséricorde, puisque son plus grand plaisir est de nous pardonner ; de sorte que, quelque multipliés que soient nos péchés, si nous voulons les quitter et nous en repentir, nous sommes sûrs de notre pardon. Quand nos fautes égaleraient les feuilles des forêts, nous serons pardonnés, si notre cœur est vraiment contrit. Pour vous en convaincre, en voici un bel exemple. Nous lisons dans l'histoire qu'un jeune homme, nommé Théophile, qui était prêtre, fut accusé auprès de son évêque, et déposé d'une dignité dont il était pourvu. Cet affront le porta à une telle fureur, qu'il appela le démon à son secours. Cet esprit malin lui apparut sous une forme ordinaire, lui promettant de lui faire recouvrir sa dignité s'il voulait renoncer de suite à Jésus et à Marie. Il le fit, étant aveuglé par la fureur, et donna au démon une renonciation par un écrit fait de sa main. Le jour suivant, l'évêque ayant reconnu sa faute, le fit appeler dans l'église, lui demanda pardon d'avoir cru trop facilement ce que l'on avait dit de lui, et le rétablit dans sa dignité. Sur cela le prêtre se trouva dans un grand embarras ; il demeura longtemps déchiré par les remords de sa cons-cience. Il lui vint en pensée d'avoir recours à la sainte Vierge, voyant qu'il était si indigne de demander lui--même pardon au bon Dieu. Il alla donc devant une image de la sainte Vierge, la priant de lui obtenir son pardon auprès de son divin Fils ; et, pour cela, il jeûna quarante jours et pria continuellement. Au bout de qua-rante jours, la sainte Vierge lui apparut, lui disant qu'elle avait obtenu son pardon. II fut bien consolé de cette grâce ; mais il lui restait encore une épine bien profonde à tirer : c'était ce billet qu'il avait donné au démon. Il pensa que le bon Dieu ne refuserait pas cette grâce à sa Mère ; il continua trois jours à la prier, et, à son réveil, il trouva son billet sur sa poitrine. Plein de reconnaissance, il va à l'église, et, devant tout le monde, il publie la grâce que le bon Dieu lui avait accordée par l'entremise de sa sainte Mère. Faisons de même : si nous nous trouvons trop coupables pour demander pardon au bon Dieu, adressons-nous à la sainte Vierge et nous sommes sûrs de notre pardon.
Mais, pour vous engager à avoir une grande confiance en la miséricorde de Dieu qui est infinie, en voici un exemple que nous donne l'Évangile et qui nous montre que la miséricorde de Dieu est infinie : c'est celui de l'enfant prodigue, qui, après avoir demandé à son père tout le bien qui pouvait lui revenir, alla dans un pays étranger. Il y dissipa tout son bien en vivant comme un libertin et un débauché. Sa mauvaise conduite le rédui-sit à une telle misère qu'il se trouvait trop heureux d'avoir les restes des pourceaux, encore ne lui en don-nait-on pas autant qu'il en voulait. Réfléchissant un jour sur la grandeur de sa misère, il disait à son maître chez qui il était pour garder les pourceaux : « Donnez-moi au moins de ce que mangent les plus sales animaux. » Quelle misère, M.F., est comparable à celle-là ? Cepen-dant personne ne lui en donnait. Se voyant contraint de mourir de faim, et vivement touché de son malheureux état, il ouvre les yeux et se rappelle qu'il avait un si bon père qui l'aimait tant. Il prend la résolution de re-tourner dans la maison paternelle, où les plus simples valets avaient du pain plus qu'il ne leur en fallait. II se disait à lui-même : « J'ai bien mal fait d'avoir abandonné mon père qui m'aimait tant ; j'ai dissipé tout mon bien en menant une mauvaise vie ; je suis tout déchiré et tout sale, comment est-ce que mon père pourra me reconnaître pour son fils ? Mais je me jetterai à ses pieds, je les arroserai de mes larmes ; je lui demanderai de me mettre seulement au nombre de ses serviteurs. » Le voilà qui se lève et qui part, tout occupé de l'état malheureux où son libertinage l'avait réduit. Son père, qui pleurait depuis bien longtemps sa perte, le voyant venir de loin, oublia son grand âge et la mauvaise vie de ce fils, il se jeta à son cou pour l'embrasser. Ce pauvre enfant, tout étonné de l'amour de son père pour lui : « Ah ! mon père, s'écrie-t-il, j'ai péché contre vous et contre le ciel ! je ne mérite plus d'être appelé votre fils, mettez-moi seulement au nombre de vos servi-teurs. – Non, non, mon fils, s'écrie le père tout plein de joie d'avoir le bonheur de retrouver son fils qu'il croyait perdu ; non, mon fils, tout est oublié, ne pensons plus qu'à nous réjouir. Qu'on lui apporte sa première robe pour l'en revêtir, qu'on lui mette un anneau au doigt et des souliers aux pieds ; qu'on tue le veau gras et qu'on se réjouisse ; car mon fils était mort et il est ressuscité, il était perdu et il est retrouvé . »
Belle figure, M.F., de la grandeur de la miséricorde de Dieu pour les pécheurs les plus misérables ! En effet, dès que nous avons le malheur de pécher, nous nous éloignons de Dieu, et nous nous réduisons, en suivant nos passions, à un état plus misérable que celui des pourceaux qui sont les plus sales animaux. O mon Dieu ! que le péché est quelque chose d'affreux ! comment peut-on le commettre ? Mais tout misérables que nous sommes, dès que nous prenons la résolution de nous convertir, à la première preuve de conversion, les entrailles de sa miséricorde sont touchées de compas-sion. Ce tendre Sauveur court, par sa grâce, au-devant des pécheurs, il les embrasse en les favorisant des con-solations les plus délicieuses. En effet, jamais un pécheur n'éprouve plus de plaisir que dans le moment où il quitte le péché pour se donner au bon Dieu ; il lui sem-ble que rien ne pourra l'arrêter ; ni prière, ni péni-tence : rien ne lui parait trop dur. O moment délicieux ! que nous serions heureux si nous avions le bonheur de le comprendre ! Mais, hélas ! nous ne correspondons pas à la grâce, et alors, ces heureux moments dispa-raissent. Jésus-Christ dit au pécheur par la bouche de ses ministres : « Que l'on revête ce chrétien qui est converti, de sa première robe qui est la grâce du bap-tême qu'il a perdue ; qu'on le revête de Jésus-Christ, de sa justice, de ses vertus et de tous ses mérites. » Voilà, M.F., la manière dont Jésus-Christ nous traite quand nous avons le bonheur de quitter le péché pour nous donner à lui. Ah ! M.F., quel sujet de confiance pour un pécheur, quoique bien coupable, de savoir que la miséricorde de Dieu est infinie !

II. – Non, M.F., ce n'est pas la grandeur de nos péchés, ni leur nombre, qui doivent nous effrayer ; mais seulement les dispositions que nous devons avoir. Tenez, M.F., voici un autre exemple qui va vous mon-trer que, comme que nous soyons coupables, nous som-mes sûrs de notre pardon, si nous voulons le demander au bon Dieu. Nous lisons dans l'histoire qu'un grand prince, dans sa dernière maladie, fut attaqué d'une ten-tation terrible de méfiance en la bonté et la miséricorde de Dieu. Le prêtre qui l'assistait dans ce moment, voyant qu'il perdait confiance, faisait tout ce qu'il pouvait pour lui en inspirer, en lui disant que jamais le bon Dieu n'a refusé le pardon à celui qui le lui a demandé. « Non, non, dit le malade, il n'y a plus de pardon pour moi, j'ai trop fait de mal. » Le prêtre voyant qu'il n'y avait plus de ressources, se mit en prière. Dans ce moment, le bon Dieu lui mit à la bouche ces paroles que le saint Roi-Prophète prononça avant de mourir : « Prince, lui dit-il, écoutez le prophète pénitent ; vous êtes pécheur comme lui, dites sincèrement avec lui : Seigneur, vous aurez pitié de moi, parce que mes péchés sont bien grands, et c'est précisément la gran-deur de mes péchés qui sera le motif qui vous engagera à me pardonner. » A ces paroles, le prince revenant comme d'un profond sommeil, s'arrête un moment tout transporté de joie, et poussant un profond soupir : « Ah ! Seigneur, c'est bien pour moi que ces paroles ont été prononcées ! Oui, mon Dieu, c'est précisément parce que j'ai fait bien du mal que vous aurez pitié de moi ! » Il se confesse et reçoit tous ses sacrements en versant des torrents de larmes ; il fait avec joie le sacrifice de sa vie, et meurt ayant entre les mains son crucifix qu'il arrose de ses larmes. En effet, M.F., qu'est-ce que nos péchés, si nous les comparons à la miséricorde de Dieu ? C'est une graine de navette devant une montagne. O mon Dieu ! comment peut-on consentir à être damné, puisqu'il en coûte si peu pour se sauver et que Jésus-Christ désire tant notre salut ?...
Cependant, M.F., si le bon Dieu est si bon de nous attendre et de nous recevoir, il ne faut pas lasser sa patience : s'il nous appelle, s'il nous invite à venir à lui, il faut aller à sa rencontre ; s'il nous reçoit, il faut lui rester fidèle. Hélas ! M.F., il y a peut-être plus de cinq à six ans que le bon Dieu nous appelle ; pourquoi res-tons-nous dans nos péchés ? Il est toujours présent pour nous offrir notre grâce, pourquoi ne pas quitter le péché ? En effet, M.F., saint Ambroise nous dit : « Le bon Dieu, tout bon et tout miséricordieux qu'il est, jamais il ne nous pardonne, si nous ne lui deman-dons pardon, si nous n'unissons pas notre volonté à celle de Jésus-Christ. »
Mais quelle volonté, M.F., est-ce que Dieu demande de nous ? La voici. C'est une volonté qui corresponde aux saints empressements de sa miséricorde, qui nous fasse dire comme à saint Paul : « Vous avez entendu dire quelles ont été ma conduite et mes actions avant que Dieu ne m'eût fait la grâce de me convertir. Je per-sécutais l'Église de Jésus-Christ avec tant de cruauté, que j'en ai horreur moi-même toutes les fois que j'y pense. Qui aurait pu croire que ce fût ce moment que Jésus-Christ avait choisi pour m'appeler à lui  ? Ce fut dans ce moment que je fus tout environné d'une lumière ; j'entendis une voix qui me dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu  ? » Hélas ! M.F., com-bien de fois le bon Dieu ne nous a-t-il pas fait la même grâce ? Combien de fois dans le péché, ou prêts à pécher, n'avons-nous pas entendu une voix intérieure qui nous criait : « Ah ! mon fils, pourquoi veux-tu me faire souffrir et perdre ton âme ? » En voici un bel exemple.
Nous lisons dans l'histoire qu'un enfant dans sa colère tua son père. Il en conçut un si grand regret qu'il lui semblait continuellement entendre une voix qui lui criait : « Ah ! mon fils, pourquoi m'as-tu tué ? » Ce qui lui fut si sensible, qu'il alla lui-même se dénoncer à la justice. Non seulement, M.F., nous devons quitter le péché parce que le bon Dieu est si bon que de nous pardonner ; mais nous devons encore pleurer de recon-naissance. Nous en avons un bel exemple dans la per-sonne du jeune Tobie conduit et ramené par l'ange , ce qui nous montre combien on plaît à Dieu quand on le remercie. Nous lisons dans l'Évangile que cette femme qui, depuis douze ans, était atteinte d'une perte de sang, ayant été guérie par Jésus-Christ, en reconnais-sance, afin de montrer à tout le monde la bonté de Dieu à son égard, fit placer près de sa maison une belle statue représentant une femme auprès de Jésus-Christ, qui l'avait guérie. Plusieurs auteurs nous disent qu'il y venait une herbe inconnue à tout le monde, et que dès qu'elle montait jusqu'à la frange de la robe de la statue, elle guérissait toutes sortes de maladies. Voyez saint Mathieu : afin de remercier Jésus-Christ de la grâce qu'il lui avait faite, il l'invita chez lui et lui fit tous les honneurs qu'il pouvait lui faire . Voyez le lépreux samaritain : se voyant guéri, il retourne sur ses pas, se jette aux pieds de Jésus-Christ pour le remercier de la grâce qu'il venait de lui faire .
Saint Augustin nous dit que la principale action de grâces, c'est que votre âme soit sincèrement reconnais-sante envers la bonté de Dieu, en se donnant tout à lui avec toutes ses affections. Voyez le Sauveur, quand il eut guéri les dix lépreux, voyant qu'il n'y en avait qu'un qui revenait le remercier : « Et les neuf autres, lui dit Jésus-Christ, n'ont-ils pas aussi été guéris  ? » comme s'il leur avait dit : Pourquoi est-ce que les autres ne viennent pas me remercier ? Saint Bernard nous dit qu'il faut être très reconnaissants envers le bon Dieu, parce que cela l'engage à nous accorder beaucoup d'autres grâces. Hélas ! M.F., que de grâces n'avons-nous pas à rendre à Dieu de nous avoir créés, de nous avoir rachetés par sa mort et passion, de nous avoir fait naître dans le sein de son Église, tandis que tant d'autres vivent et meurent hors de son sein. Oui, M.F., puisque la bonté et la miséricorde de Dieu sont infinies, tâchons donc d'en bien profiter, et, par là, nous aurons le bonheur de lui plaire, et de conserver nos âmes dans sa grâce : ce qui nous procurera le bonheur d'aller jouir de sa sainte présence avec tous les bienheureux dans le ciel. C'est ce que je vous souhaite.

 3ème dimanche après la Pentecôte

(DEUXIEME SERMON)

Sur la miséricorde de Dieu envers le Pécheur.
 

Erant autem appropinquantes ei publicani et peccatores ; ut audirent illum.
Les publicains et les pécheurs se tenaient auprès de Jésus-Christ pour l'écouter.
(S.Luc., XV, 1.)

Qui pourrait comprendre la grandeur de la miséricorde du Seigneur envers ces pécheurs ? Sa grâce va les cher-cher au milieu de leurs désordres, les amène à ses pieds. Il se rend leur protecteur contre les Scribes et les Pha-risiens qui ne peuvent les souffrir, et il justifie sa con-duite à leur égard par la parabole d'un bon pasteur qui, de cent brebis, en ayant perdu une, abandonne tout son troupeau pour aller chercher celle qui s'égare, et, l'ayant trouvée, la charge sur ses épaules, la ramène au bercail, où il n'est pas plus tôt arrivé, qu'il invite ses amis à ve-nir partager avec lui sa joie d'avoir retrouvé la brebis qu'il croyait perdue. Il joint à cette parabole celle d'une femme qui, de dix drachmes en ayant égaré une, allume sa lampe pour la chercher dans le lieu le plus obscur de sa maison, et qui, l'ayant enfin recouvrée, té-moigne la même joie que le bon pasteur d'avoir retrouvé sa brebis égarée. Le Sauveur du monde, se faisant à lui--même l'application de ces vives images de sa miséri-corde pour les pécheurs, dit que tout le ciel se réjouira de la sorte pour un pécheur qui se convertira et fera pénitence. Si notre conversion cause tant de joie à toute la cour céleste, hâtons-nous de nous convertir. Quelque coupable que nous soyons, quelque déréglée que soit notre vie, allons sincèrement à Dieu, et nous sommes sûrs de notre pardon. Pour vous y engager, je vous montrerai combien est grande la miséricorde de Dieu envers les pécheurs, et ensuite ce que le pécheur doit faire pour y correspondre.

I. – Tout est engageant et consolant dans la conduite que la miséricorde de Dieu tient à l'égard des pécheurs : elle les attend, elle les invite et les reçoit à la péni-tence. « Dieu, nous dit le prophète Isaïe, attend le pécheur, et cela, par un pur effet de sa bonté, car le pécheur, aussitôt qu'il est tombé en faute, mérite d'être puni. » Rien n'est plus dû au péché que le châtiment. Dès que ce misérable pécheur s'est révolté contre son Dieu, toutes les créatures demandent vengeance de sa révolte. Seigneur, lui disent-elles, comme les serviteurs du père de famille, permettez que nous allions arracher du champ de votre Église cette ivraie qui gâte et désho-nore le bon grain. Voulez-vous, lui dit la mer, que je l'engloutisse dans mes abîmes ? La terre : que je m'en-tr'ouvre pour le faire descendre tout vivant dans les enfers ? L'air : que je le suffoque ? Le feu : que je le brûle ? L'eau : que je le noie ? Mais que répond le Père des miséricordes ? Non, non, dit-il, cette ivraie peut devenir un bon grain ; ce pécheur peut se convertir. Que ce pécheur s'égare, il ne dit mot. Qu'il s'éloigne de lui, qu'il coure à sa perte, il le soutire. « O Seigneur ! ô Dieu des miséricordes ! encore pécheur je m'éloignais tous les jours de plus en plus, dit saint Augustin ; tous mes pas et toutes mes démarches étaient autant de chutes dans de nouveaux précipices, mes passions s'allumaient tou-jours davantage ; cependant vous y aviez patience. O patience infinie de mon Dieu ! il y a tant d'années que je vous offense, et vous ne m'avez pas encore puni ! D'où vient donc cela ? Ah ! je le connais maintenant ; c'est que vous vouliez que je me convertisse et que je retour-nasse à vous par la pénitence. »
Veut-il, ce Dieu de miséricorde, punir les hommes au temps du déluge à cause des crimes horribles dont ils s'étaient rendus coupables ? il ne le fait qu'à regret, dit l'Écriture. Ce repentir que Dieu témoigne, dit saint Am-broise, nous montre l'énormité des crimes dont les hommes avaient souillé la terre. Cependant, il se con-tente de dire : « Je les détruirai . » Pourquoi parler comme d'une chose à venir ? Est-ce que sa sagesse man-quait de moyens ? Non, sans doute ; mais il parle de cette punition comme chose à venir, afin de donner aux coupables le temps de désarmer sa colère. Il les avertit du malheur dont il les menace cent vingt ans avant qu'il arrive, afin de leur donner le temps de le détourner par la pénitence. II leur envoie Noé pour leur prêcher cette pénitence ; pour les assurer que s'ils changent de vie, lui-même changera de résolution. Le saint patriar-che demeure cent ans à bâtir cette arche ; afin que les hommes, voyant ce nouveau bâtiment, lui en deman-dent la raison et rentrent en eux-mêmes. Combien de délais ! combien de remises ! Dieu attend leur péni-tence. Enfin ils lassent sa patience. C'est ainsi que Dieu attend encore aujourd'hui à la pénitence ce misérable pécheur, qui sans cesse en voit mourir devant ses yeux un nombre infini des morts les plus effrayantes. Les uns sont précipités dans les eaux, les autres écrasés par la foudre du ciel ; d'autres, enlevés à la fleur de leur âge ; d'autres, arrachés du sein des plaisirs et d'une fortune florissante. Ce Dieu de bonté et de tendresse, qui désire, la conversion du pécheur avec empressement, permet, que ces bruits se répandent dans différentes parties du monde, comme une trompette qui annonce à tous les pécheurs de se tenir prêts, que leur tour sera bientôt venu, et que s'ils ne profitent pas de ces exemples pour rentrer en eux-mêmes, hélas ! peut-être, hélas ! vont-ils dans peu servir d'exemple aux autres. Mais ces miséra-bles pécheurs sont semblables à ces hommes dont parle l'Écriture, qui n'étaient nullement émus des menaces que Dieu leur faisait par la bouche du saint patriarche Noé .
« Ah ! pécheur, s'écrie un saint Père, pourquoi ne te rends-tu pas à la voix de ton Dieu qui t'appelle ? Il te tend la main pour t'arracher de cet abîme où tes péchés t'ont précipité ; reviens, il te promet ton pardon. » O qu'il est triste, M.F., de ne pas connaître son état déplorable ! Rendons-nous donc à la voix de celui qui ne nous appelle que pour nous guérir de ces maux dont notre pauvre âme est défigurée.
Nous disons que Dieu invite lui-même le pécheur à la pénitence. « O Jérusalem, tu as été une infidèle, tu t'es prostituée à l'amour impur des créatures ; néan-moins, reviens à moi et je te recevrai . » Ainsi par-lait le Seigneur, par la bouche du prophète Jérémie, à une pécheresse de l'Ancien Testament. Écoutons ce que nous dit encore ce divin Sauveur : « Pécheurs, vous vous êtes lassés dans la voix de l'iniquité, cependant, venez à moi et je vous soulagerai. Venez goûter et éprouver combien le Seigneur est doux, combien son joug est léger, combien ses commandements sont aima-bles . » O le bon Pasteur de nos âmes ! non content de rappeler ses brebis égarées, il va les chercher. Voyez-le, accablé de lassitude auprès du puits de Jacob, poursuivant une de ses brebis, dans la personne de la Sa-maritaine . Voyez-le dans la maison de Simon le lépreux, la poursuivant dans la personne de Madeleine car si elle vint trouver le Sauveur dans la maison de ce pharisien, ce ne fut que par un attrait de la grâce qui toucha son cœur et conduisit ses pas . Voyez-le dans Jéricho, faisant d'un Zachée, d'un pécheur public, un parfait pénitent . Voyez encore ses entrailles émues sur tous les pécheurs en général. « Je veux la miséri-corde et non le sacrifice, dit-il ; je suis venu appeler le pécheur et non le juste . » « O combien de fois, s'écrie-t-il, ô ingrate Jérusalem, n'ai-je pas voulu rassembler tes petits sous les ailes de ma miséricorde, comme une poule rassemble ses petits poussins sous les siennes, et tu n'as pas voulu . » N'est-ce pas encore cette même grâce, qui, tous les jours, presse et sollicite le pécheur de se convertir ?
3° Je dis que si le pécheur est assez heureux pour retourner à Dieu, il le recevra à la pénitence et lui par-donnera sans délai. Oui, M.F., si ce pécheur quitte ses crimes d'iniquités et revient sincèrement à Dieu, Dieu est tout prêt à lui pardonner. Voyons-le dans le plus consolant de tous les exemples que l'Évangile nous pro-pose, qui est celui de l'enfant prodigue. Il avait dissipé tout son bien en vivant comme un libertin et un débau-ché. Sa mauvaise vie le réduisit à une si grande misère qu'il était content de se nourrir des restes des pour-ceaux ; cependant personne ne lui en donnait. Enfin, vivement touché de sa misère, il tourne les yeux sur son malheureux état : il prend la résolution de retourner dans la maison de son père, où le dernier des esclaves était infiniment mieux que lui. Le voilà qui part. Il est encore fort éloigné lorsque son père l'aperçoit. Le voyant, il en est touché de compassion, il oublie son grand âge, court au-devant de lui, se jette à son cou et l’embrasse. « Ah ! mon père, que faites-vous ? J'ai péché contre le ciel et devant vous, je ne mérite plus d'être appelé votre fils, mettez-moi seulement au nombre de vos esclaves. – Non, non, mon fils, lui dit ce bon père, j'ou-blie tout le passé. Qu'on apporte sa première robe pour l'en revêtir, qu'on lui mette un anneau au doigt et des souliers à ses pieds ; qu'on tue le veau, qu'on se réjouisse ; mon fils était mort, il est ressuscité ; il était perdu, il est retrouvé . » Voilà la figure et voici la réalité. Dès que le pécheur prend la résolution de retourner à Dieu et de se convertir, à sa première démarche, la miséricorde est touchée de compassion ; elle court au-devant de lui, en le prévenant par sa grâce, elle le baise, en le favori-sant de ses consolations spirituelles, elle le rétablit dans son premier état, en lui pardonnant tous ses dérègle-ments passés.
« Mais, dira ce pécheur converti, Seigneur, j'ai dissipé tout le bien que vous m'aviez donné, je ne m'en suis servi que pour vous offenser. – N'importe, dira ce bon Père, je veux oublier tout le passé. Qu'on rende à ce pécheur converti sa première robe en le revêtant de Jésus-Christ, de sa grâce, de ses vertus, de ses mérites. » Voilà, M.F., la manière dont la justice de Dieu traite le pécheur. Avec quelle confiance et avec quel empresse-ment ne devons-nous pas retourner à Dieu, lorsque nous avons eu le malheur de l'abandonner en suivant les désirs corrompus de notre cœur. Pouvons-nous craindre d'en être rebuté, après tant de marques de tendresse et d'a-mour pour les plus grands pécheurs ?
Non, M.F., ne différons plus de retourner à Dieu ; les temps présent et à venir doivent nous faire trembler.
D'abord, le temps présent : si malheureusement nous sommes en état de péché mortel, nous sommes dans un danger imminent d'y mourir. L'Esprit-Saint nous dit : « Celui qui s'expose au danger y périra . » Ainsi, en vivant dans la haine de Dieu, nous avions bien lieu de craindre que la mort ne nous y surprenne. Puisque Dieu vous offre aujourd'hui sa grâce, pourquoi n'en pro-fitez-vous pas ? Dire que rien ne presse, que vous avez le temps, n'est-ce pas, M.F., raisonner comme des insen-sés ? Voyez, de quoi êtes-vous capables quand vous êtes malades ? Hélas ! de rien du tout ; vous ne pouvez pas seulement faire comme il faut un acte de contrition, parce que vous êtes tellement absorbés par vos souffrances, que vous ne pensez nullement à votre salut.
Eh bien, M.F., ne sommes-nous pas trop malheureux d'attendre à la mort pour nous convertir ? Faites du moins pour votre pauvre âme ce que vous faites pour votre corps qui n'est cependant qu'un monceau de pour-riture et qui, dans quelques moments, sera la pâture des plus vils animaux. Lorsque vous êtes dangereusement blessés, attendez-vous six mois ou un an pour y appli-quer les remèdes que vous croyez être nécessaires pour vous guérir ? Lorsque vous êtes attaqués par une bête féroce, attendez-vous d'être à moitié dévorés pour crier au secours ? N'implorez-vous pas, de suite, le secours de vos voisins ? Pourquoi, M.F., n'agissez-vous pas de même lorsque vous voyez votre pauvre âme souillée et défigurée par le péché, réduite sous la tyrannie des démons ? Pourquoi n'employez-vous pas aussitôt l'assis-tance du ciel et n'avez-vous pas recours à la pénitence ?
Oui, M.F., quelque grands pécheurs que vous soyez, vous ne voudriez pas mourir dans le péché. Eh bien ! puisque vous désirez quitter un jour le péché, pourquoi ne le quitteriez-vous pas aujourd'hui, puisque Dieu vous donne le temps et les grâces pour cela ? Croyez-vous que, dans la suite, Dieu sera plus disposé à vous pardonner, et que vos mauvaises habitudes seront moins difficiles à rompre ? Non, non, M.F., plus vous différerez votre retour à Dieu, plus votre conversion sera malaisée. Le temps, qui affaiblit tout, ne fait que fortifier nos mau-vais penchants.
Peut-être que vous vous rassurez sur le temps à venir. Hélas ! M.F., ne vous y trompez pas : les juge-ments de Dieu sont si redoutables que vous ne pouvez pas différer votre conversion d'une seule minute, sans vous exposer à être perdus pour jamais. L'Esprit-Saint nous dit, par la bouche du Sage, « que le Seigneur sur-prendra le pécheur dans sa colère . » Jésus-Christ nous dit lui-même « qu'il viendra comme un voleur de nuit, qui arrive dans le moment où l'on n'y pense pas . » I1 nous répète aussi ces paroles : « Veillez et priez continuellement, de crainte que quand je viendrai, je ne vous trouve endormis . » Jésus-Christ veut nous montrer par ces paroles que nous devons constamment veiller à ce que notre âme ne soit point trouvée en état de péché, quand la mort nous frappera. Faisons, M.F., comme les vierges sages, qui firent leurs provisions d'huile pour attendre l'arrivée de l'époux, afin d'être prêtes à partir lorsqu'il les appellerait. De même, faisons provision de bonnes œuvres, avant que Dieu nous appelle devant son tribunal. N'imitons pas ces vierges folles, qui attendirent l'arrivée de l'époux pour aller chercher de l'huile ; lorsqu'elles furent arrivées, la porte était fermée ; elles eurent beau prier l'époux de leur ouvrir ; il leur répondit qu'il ne les connaissait pas . Figure triste, mais bien sensible, M.F., du pécheur qui renvoie son retour à Dieu de jour en jour. Arrivé à la mort, il voudrait encore profiter de ce moment, mais il est trop tard, il n'y a plus de remède.
Oui, M.F., la seule incertitude du moment où Dieu nous citera à paraître devant lui, nous devrait faire trem-bler et nous engager à ne pas perdre un seul instant pour assurer notre salut. D'ailleurs, M.F., savons-nous le nombre de péchés que Dieu veut souffrir de nous, la mesure des grâces qu'il veut nous accorder, et enfin, jusqu'où doit aller sa patience ? Ne devons-nous pas craindre que le premier péché que nous commettrons ne mette le sceau à notre réprobation ! Puisque nous vou-lons nous sauver, pourquoi différer plus longtemps ? Combien d'anges et de millions d'hommes, qui n'ont commis qu'un seul péché mortel ! Cependant, ce seul péché sera cause qu'ils souffriront pendant toute l'éter-nité. Non, M.F., les voleurs ne sont pas punis égale-ment ; les uns vieillissent dans le brigandage ; d'autres, au premier crime, sont surpris et punis. Ne devons-nous pas craindre que la même chose ne nous arrive ? Il est vrai que vous vous rassurez sur ce que Dieu ne vous punit pas, quoique vous l'offensiez continuellement. Mais aussi, peut-être que c'est au premier péché que vous commettrez, qu'il vous attend pour vous frapper et vous précipiter dans les abîmes. Voyez un aveugle qui marche vers un précipice, le dernier pas qu'il fait n'est pas plus grand que le premier ; cependant, c'est ce pas qui le jette dans le précipice. Non, M.F., pour tomber en enfer, il n'est pas nécessaire de commettre de grands crimes, il suffit de continuer à vivre dans l'éloignement des sacrements pour être perdu à jamais. Allons, M.F., ne lassons plus la patience de Dieu, hâtons-nous de correspondre à sa bonté, qui ne veut que notre bonheur. Mais voyons, d'une manière encore plus particulière, ce que nous devons faire pour correspondre aux desseins que la miséricorde de Dieu a sur nous.

II. – Nous disons que si la miséricorde de Dieu attend le pécheur à la pénitence, il ne faut pas lasser sa patience ; elle nous appelle, elle nous invite, nous de-vons aller au-devant d'elle ; elle nous reçoit et nous pardonne, nous devons lui demeurer fidèles. Ce sont là des devoirs de reconnaissance qu'elle demande de nous. Oui, Dieu attend et souffre le pécheur. Mais, hélas ! combien de pécheurs qui, au lieu de profiter de sa patience, pour rentrer en eux-mêmes, ajoutent péché sur péché ? Il y a dix, vingt ans, que Dieu attend ce misérable pécheur à la pénitence ; mais qu'il tremble, il n'y a plus qu'un petit filet par lequel la miséricorde suspend l'exécution de ses vengeances. Ah ! misérable pécheur, mépriserez-vous toujours les richesses de sa patience, de sa bonté et de sa longue tolérance ? Est-ce parce que Dieu vous attend à la pénitence, que vous ne la ferez jamais ? N'est-ce pas, au contraire, dit le saint Apôtre, cette bonté divine qui doit vous engager à ne plus différer ? « Cependant, dit-il, par la dureté et l'impé-nitence de votre cœur, vous vous amassez des trésors de colère pour le jour de la manifestation du Sei-gneur . » En effet, quelle dureté pareille à celle d'un homme qui n'est point amolli par la douceur et la ten-dresse d'un Dieu qui, depuis tant d'années, l'attend à la pénitence ? C'est donc le pécheur seul qui est cause de sa perte. Oui, Dieu a fait tout ce qu'il devait faire pour son salut, il lui a fait la grâce de le connaître, il lui a appris à discerner le bien d'avec le mal, il lui a mani-festé les richesses de son cœur pour l'attirer à lui, il l'a même menacé des rigueurs de son jugement pour l'en-gager à se convertir ; si donc le pécheur meurt dans l'impénitence, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Profitons, M.F., de la miséricorde que Dieu met à nous attendre à la pénitence. Ah ! ne lassons plus sa patience par des délais continuels de conversion.
2° Nous disons que quand la miséricorde de Dieu nous appelle, il faut que nous allions au-devant d'elle. « Dieu, dit saint Ambroise, s'engage à nous pardonner ; mais il faut que notre volonté s'unisse à celle de Dieu ; il veut nous sauver, il faut que nous le voulions aussi, parce que l'une de ces volontés n'a son effet que conjointe-ment unie à l'autre : celle de Dieu commence l'ouvrage, le conduit et le consomme ; et celle de l'homme doit concourir à l'accomplissement de ses desseins. Nous devons être dans la même disposition que saint Paul au commencement de sa conversion, ainsi qu'il nous l'apprend dans son épître aux Galates. « Vous avez ouï parler de ma conduite et de mes actions toutes crimi-nelles. Avant que Dieu m'eût fait la grâce de me convertir, je persécutais l'Église de Dieu d'une manière si cruelle que j'en ai horreur toutes les fois que j'y pense ; qui eût cru que la miséricorde divine eût choisi ce moment pour m'appeler à elle  ? Ce fut pour lors que je me vis tout environné d'une lumière éclatante, et que j'entendis une voix qui me dit : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis ton Sauveur et ton Dieu, contre qui tu tournes ta rage et tes persécutions . » Oui, M.F., nous pouvons dire que ce qui arriva une fois, d'une manière si éclatante à saint Paul, arrive encore tous les jours en faveur du pécheur. Sa grâce le cherche et le poursuit, même lorsque ce misérable l'offense. S'il veut avouer la vérité, il sera forcé de convenir que toutes les fois qu'il est prêt à faire le mal, la voix de Dieu se fait entendre au fond de son cœur, pour s'op-poser à ses desseins criminels. Que doit faire ce pécheur ? Il doit obéir à la voix du ciel, et dire comme le saint homme Job : « Seigneur, vous avez comptez mes pas dans mes égarements ; mais voici que je reviens à vous, daignez me faire miséricorde . »
3° Nous disons que si Dieu reçoit le pécheur et lui pardonne, ce pécheur doit lui demeurer fidèle. Plus de rechutes dans ses désordres : il doit renoncer entièrement aux péchés qui lui ont été pardonnés ; n'être plus à charge à la miséricorde divine, qui condamne autant les conversions inconstantes qu'elle se réjouit de celles qui sont solides et persévérantes ; il doit gémir le reste de ses jours, pour avoir tant attendu de se donner à Dieu ; il doit continuellement bénir le nom du Seigneur, d'avoir fait éclater en lui son infinie miséricorde, en l'arrachant de cet abîme où ses péchés l'avaient précipité. Tels doivent être les sentiments d'un pécheur véritablement converti.
Nous venons de voir combien est grande la miséri-corde de Dieu ; ainsi, quelque pécheurs que nous soyons, ne désespérons jamais de notre salut, parce que la bonté de Dieu surpasse infiniment notre malice. Mais aussi n'en abusons pas ; « car, dit le Prophète, la miséricorde divine est pour ceux qui la craignent et non pour ceux qui la méprisent . » Le juste doit espérer en la misé-ricorde de Dieu ; mais il lui faut persévérer, afin qu'elle recouvre en lui ses droits en récompensant ses mérites. Le pécheur doit pareillement espérer à la miséricorde de Dieu ; mais, qu'il fasse pénitence. Afin que notre conversion soit sincère, nous devons joindre l'espérance à la pénitence : car faire pénitence sans espérer, c'est le partage des démons, et espérer sans faire pénitence, la présomption du libertin. Heureux, M.F., si nous corres-pondons aux soins, à l'empressement et aux grâces que Dieu ne cesse de nous prodiguer pour nous faire opérer notre salut ! Ce que je vous souhaite.

 4ème dimanche après la Pentecôte
Sur l'Espérance
 

Diliges Dominant Deum tuum.
Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.
(S.Matthieu, XXII, 37.)

Il est vrai, M.F., que saint Augustin nous dit que, quand il n'y aurait point de ciel à espérer, point d'enfer à craindre, il ne laisserait pas que d'aimer le bon Dieu, parce qu'il est infiniment aimable et qu'il mérite d'être aimé ; cependant le bon Dieu, pour nous encourager à nous attacher à lui et à l'aimer par-dessus toutes choses, nous promet une récompense éternelle. Si nous nous acquittons dignement d'une si belle fonction, qui fait tout le bonheur de l'homme sur la terre, nous préparons notre félicité et notre gloire dans le ciel. Si la foi nous apprend que Dieu voit tout, et qu'il est témoin de tout ce que nous faisons et souffrons, la vertu d'espérance nous fait endurer nos peines avec une entière soumission à sa sainte volonté, par la pensée que nous en serons récompensés pendant toute l'éternité. Nous voyons aussi que ce fut cette belle vertu qui soutint les martyrs au milieu de leurs tourments, les solitaires dans les rigueurs de leurs pénitences, et les saints infirmes et malades dans leurs maladies. Oui, M.F., si la foi nous découvre partout Dieu présent, l'espérance nous fait faire tout ce que nous faisons dans la seule vue de plaire au bon Dieu, par la pensée heureuse d'une récompense éternelle. Puisque, M.F., cette vertu adoucit tant nos maux, voyons tous ensemble en quoi consiste cette belle et précieuse vertu d'espérance.
Si, M.F., nous avons le bonheur de connaître par la foi, qu'il y a un Dieu qui est notre Créateur, notre Sau-veur et notre souverain Bien, qui ne nous a créés que pour le connaître, l'aimer, le servir et le posséder ; l'es-pérance nous apprend que, quoique indignes de ce bonheur, nous pouvons l'espérer par les mérites de Jésus-Christ. Pour rendre, M.F., nos actions dignes d'être récompensées, il faut trois choses, que voici : la foi, qui nous y fait voir Dieu présent ; l'espérance, qui nous les fait faire dans la seule vue de lui plaire, et l'amour, qui nous attache à lui comme à notre souverain Bien. Oui, M.F., nous ne connaîtrons jamais le degré de gloire que chaque action nous procurera dans le ciel, si nous la faisons bien purement pour le bon Dieu ; les saints mêmes qui sont dans le ciel ne le comprennent pas. En voici un exemple bien frappant. Nous lisons dans la vie de saint Augustin, qu'écrivant à saint Jérôme pour lui demander de quelle expression il fallait se servir pour mieux faire sentir la grandeur du bonheur dont les saints jouissent dans le ciel ; dans le moment qu'il mettait, selon sa coutume, au commencement de toutes ses lettres : « Salut en Jésus-Christ Notre-Seigneur », sa chambre fut éclairée d'une lumière tout extraordinaire qui était plus belle que le soleil dans son midi et très odoriférante ; il en fut si charmé, qu'il manqua mourir de plaisir. Dans le même instant, il entendit sortir de cette lumière une voix qui lui dit : « Ah ! mon cher ami Augustin, tu me crois encore sur la terre ; grâce à Dieu, je suis dans le ciel. Tu veux me demander de quel terme l'on pourrait se servir pour mieux faire sentir le bonheur dont jouissent les saints ; sache, mon cher ami, que ce bonheur est si grand, et si au-dessus de tout ce qu'une créature peut penser, qu'il te serait plus facile de compter toutes les étoiles qui sont au firmament, de mettre l'eau de toutes les mers dans une fiole, et de tenir toute la terre dans ta main, que de pouvoir comprendre la félicité du moindre des bienheureux dans le ciel. Il m'est arrivé ce qui arriva à la reine de Saba ; elle avait conçu une grande idée du roi Salomon d'après le bruit de sa réputation ; mais, après avoir vu par elle-même le bel ordre qui régnait dans son palais, la magnificence sans égale, la science et les connaissances de ce roi, elle en fut si étonnée et si ravie, qu'elle s'en retourna chez elle en disant que tout ce qu'on lui avait dit n'était rien en com-paraison de ce qu'elle avait vu elle-même. J'en ai fait de même pour la beauté du ciel et le bonheur dont jouissent les saints ; je croyais avoir compris quelque chose de ces beautés qui sont renfermées dans le ciel et du bonheur dont les saints y jouissent ; malgré toutes les pensées les plus sublimes que j'ai pu produire, tout cela n'est rien en comparaison de ce bonheur qui est le partage des bienheureux. »
Nous lisons dans la vie de sainte Catherine de Sienne, que le bon Dieu lui fit voir quelque chose de la beauté du ciel et de sa félicité. Elle en fut si ravie qu'elle tomba en extase. Étant revenue à elle-même, son confes-seur lui demanda ce que le bon Dieu lui avait fait voir. Elle lui dit que le bon Dieu lui avait fait voir quelque chose de la beauté du ciel et du bonheur dont les saints y jouissent ; mais qu'il était impossible d'en dire la moindre chose, tant cela surpassait tout ce que nous pouvons penser. Eh bien ! M.F., voilà où nous conduisent nos bonnes actions si nous les faisons dans la vue de plaire à Dieu ; voilà les biens que la vertu d'espérance nous fait désirer et attendre.
2° Nous avons dit que la vertu d'espérance nous con-sole et nous soutient dans les épreuves que le bon Dieu nous envoie. Nous en avons un bel exemple dans la per-sonne du saint homme Job, sur son fumier, couvert d'ul-cères depuis les pieds jusqu'à la tête. Il avait perdu tous ses enfants, qui avaient été écrasés sous les ruines de sa maison. Lui-même se vit traîné de son lit sur un fu-mier dans le coin des rues, abandonné de tout le monde ; son pauvre corps était tout couvert de pourriture ; les vers le mangeaient tout vivant ; il était obligé de les ôter avec des morceaux de pots cassés ; insulté même de sa femme qui, au lieu de le consoler, l'accablait d'injures, en lui disant : « Le vois-tu, ton Dieu que tu sers avec tant de fidélité ? Vois-tu comment il te récom-pense ? Demande-lui donc la mort ; au moins tu seras délivré de tes maux. » Ses meilleurs amis ne semblaient venir le voir que pour augmenter ses douleurs. Cepen-dant, malgré cet état si pitoyable où il est réduit, il ne laisse pas de toujours espérer en Dieu. « Non, mon Dieu, disait-il, je ne cesserai jamais d'espérer en vous ; quand vous m'ôteriez même la vie, je ne laisserais pas d'espérer en vous, et d'avoir une grande confiance en votre charité. Pourquoi, mon Dieu, voudrais-je me décourager et m'abandonner au désespoir ? J'ac-cuserai devant vous mes péchés qui sont la cause de mes maux ; mais j'espère que vous serez vous-même mon Sauveur. Mon espérance est que vous me récom-penserez un jour des maux que j'endure pour votre amour. » Voilà, M.F., ce que nous pouvons appe-ler une véritable espérance : puisque, malgré qu'il lui semblât que toute la colère de Dieu fût tombée sur lui, il ne laissait pas que d'espérer en Dieu. Sans examiner pourquoi il souffrait tant de maux, il se contente seule-ment de dire que ce sont ses péchés qui en sont la cause. Voyez-vous, M.F., les grands biens que là vertu d'espérance nous procure ? Tout le monde le trouve malheureux, et lui seul, sur son fumier, abandonné des siens et méprisé des autres, se trouve heureux, parce qu'il met toute sa confiance en Dieu. Ah ! si, dans nos peines, nos chagrins et nos maladies, nous avions cette grande confiance en Dieu, que de biens nous ramasse-rions pour le ciel ! Hélas ! que nous sommes aveugles, M.F. ! Si, au lieu de nous désespérer dans nos misères, nous avions cette ferme espérance que le bon Dieu nous en-voie tout cela comme autant de moyens pour nous faire mé-riter le ciel, avec quelle joie ne les souffririons-nous pas !
Mais, me direz-vous, que veut dire ce mot : espérer ? – Le voici, M.F. C'est soupirer après quelque chose qui doit nous rendre heureux dans l'autre vie ; c'est désirer ardemment la délivrance des maux de cette vie, et désirer la possession de toutes sortes de biens capables de nous contenter pleinement. Lorsque Adam eut péché et qu'il se vit accablé de tant de misères, toute sa con-solation était que, non seulement ses souffrances lui mériteraient le pardon de ses péchés, mais encore lui procureraient des biens pour le ciel. Quelle bonté de Dieu, M.F., de récompenser de tant de biens la moindre de nos actions, et cela, pendant toute l'éternité ! Mais, pour nous faire mériter ce bonheur, le bon Dieu veut que nous ayons une grande confiance en lui, comme des enfants envers un bon père. C'est pour cela que nous le voyons, dans plusieurs endroits de l'Ecriture sainte, prendre le nom de Père, afin de nous inspirer une plus grande confiance. Il veut que nous ayons recours à lui dans toutes nos peines, soit de l'âme, soit du corps. Il nous promet de nous secourir toutes les fois que nous aurons recours à lui. S'il prend le nom de père, c'est pour nous inspirer une plus grande confiance en lui. Voyez combien il nous aime : il nous dit par son prophète Isaïe, qu'il nous porte tous dans son sein. « Une mère, nous dit-il, qui porte son enfant dans son sein, ne peut pas l'oublier et, quand même elle serait assez barbare que de le faire, pour moi, je n'oublierai jamais celui qui met sa confiance en moi . » Il se plaint même que nous n'avons pas assez confiance en lui ; il nous avertit de « ne plus mettre notre confiance dans les rois et les princes, parce que notre espérance sera trompée . » Il va plus loin, puisqu'il nous menace de sa malédiction, si nous n'avons pas grande confiance en lui ; il nous dit par son prophète Jérémie : « Maudit soit celui qui ne met pas sa confiance en son Dieu ! » et plus loin, il nous dit : « Béni soit celui qui a confiance au Seigneur  ! » Voyez la parabole de l'Enfant prodigue, qu'il nous cite avec tant de plaisir, afin de nous inspirer une grande confiance en lui. « Un père, nous dit-il, avait un enfant qui lui demanda ce qui pouvait lui reve-nir de son héritage. Ce bon père lui donna son bien. Ce fils abandonne ce bon père, part dans un pays étranger, et là, se livre à toutes sortes de désordres. Mais, quel-que temps après, ses débauches l'avaient réduit à la plus grande misère ; sans argent et sans aucune res-source, il aurait voulu se nourrir des restes des pour-ceaux ; mais personne ne lui en donnait. Se voyant accablé de tant de maux, il se rappela qu'il avait aban-donné un bon père, qui n'avait cessé de le combler de toutes sortes de bienfaits tout le temps qu'il avait été auprès de lui ; il se dit en lui-même : « Je me lèverai et j'irai, les larmes aux yeux, me jeter aux pieds de mon père ; il est si bon, j'espère qu'il aura encore pitié de moi. Je lui dirai : « Mon tendre père, j'ai péché contre vous et contre le ciel, je n'ose plus vous regarder ni le ciel ; je ne mérite plus d'être placé au nombre de vos enfants ; mais je serai trop heureux si vous vou-lez bien me mettre parmi vos esclaves. » Mais que fait ce bon père ? nous dit Jésus-Christ, qui est lui-même ce tendre père ; bien loin d'attendre qu'il vienne se jeter à ses pieds, d'aussi loin qu'il le voit, il court pour l'em-brasser. L'enfant veut avouer ses péchés ; mais le père ne veut plus qu'il lui en parle. « Non, non, mon fils, il n'est plus question de péchés, ne pensons qu'à nous réjouir. » Ce bon père invite toute la cour céleste à remercier le bon Dieu de ce que son fils qui était mort, est ressuscité, de ce qu'il l'avait perdu et l'a retrouvé. Pour lui témoigner combien il l'aime, il lui rend tous ses biens et son amitié .
Eh bien ! M.F., voilà la manière dont Jésus-Christ reçoit le pécheur toutes les fois qu'il revient à lui : il le pardonne et lui rend tous les biens que le péché lui avait ravis. D'après cela, M.F., qui de nous n'aura pas une grande confiance en la charité du bon Dieu ? Il va plus loin, puisqu'il nous dit que quand nous avons le bonheur de quitter le péché pour l'aimer, tout le ciel se réjouit. Si vous lisez plus loin, voyez avec quel empressement il court chercher sa brebis égarée ? Une fois qu'il l'a trou-vée, il en a tant de joie qu'il veut même la prendre sur ses épaules pour lui éviter la peine de voyager . Voyez avec quelle bonté il reçoit Madeleine à ses pieds , voyez avec quelle tendresse il la console ; non seulement il la console, mais encore, il la défend contre les insultes des pharisiens. Voyez avec quelle charité et quel plaisir il pardonne à la femme adultère ; elle l'offense, et c'est lui-même qui veut être son protecteur et son sauveur . Voyez son empressement à courir après la Samaritaine ; pour sauver son âme, il va lui-même l'attendre auprès du puits de Jacob ; il veut lui adresser le premier la parole, afin de lui faire voir d'avance combien il est bon ; il fait semblant de lui demander de l'eau, pour lui donner sa grâce et le ciel .
Dites-moi, M.F., quelles excuses aurons-nous pour nous excuser, lorsqu'il nous fera voir combien il était bon à notre égard, et comment il nous aurait reçus, si nous avions voulu revenir ? avec quel plaisir il nous au-rait pardonné et rendu sa grâce ? Ne pourra-t-il pas nous dire : Ah ! malheureux, si tu as vécu et si tu es mort dans le péché, c'est bien parce que tu n'as pas voulu en sortir ; moi qui désirais tant te pardonner ! Voyez, M.F., combien le bon Dieu veut que nous venions à lui avec confiance dans nos maux spirituels. Il nous dit, par son prophète Michée, que quand nos péchés seraient aussi nombreux que les étoiles du firmament et que les gouttes d'eau de la mer, que les feuilles des forêts et que les grains de sable qui bordent l'Océan, si nous nous convertissons sincèrement, il nous promet de les oublier tous ; et il nous dit que, quand ils auraient rendu notre âme aussi noire que le charbon, « aussi rouge que l'écar-late, il nous la rendra aussi blanche que la neige . » Il nous dit qu'il jette nos péchés dans les chaos de la mer, afin qu'ils ne paraissent jamais plus. Quelle charité, M.F., de la part de Dieu ! Avec quelle confiance ne devons-nous pas nous adresser à lui ! Mais quel désespoir pour un chrétien damné, de savoir combien le bon Dieu aurait désiré le pardonner, s'il avait voulu lui demander pardon ! Dites-moi, M.F., si nous sommes damnés, ce sera bien parce que nous l'aurons voulu, puisque le bon Dieu nous a tant de fois dit qu'il voulait nous pardonner. Hélas ! M.F., combien de remords de conscience, com-bien de bonnes pensées, combien de désirs cette voix n'a--t-elle pas fait naître en nous ! O mon Dieu ! que l'homme est malheureux de se damner, tandis qu'il peut si bien se sauver ! Hélas ! M.F., pour nous confirmer dans tout cela, nous n'avons qu'à examiner ce qu'il a fait pour nous, pendant les trente-trois ans qu'il a vécus sur la terre.
En deuxième lieu, je dis que nous devons avoir une grande confiance en Dieu, même pour nos besoins tem-porels. Pour nous exciter à nous adresser à lui avec une grande confiance pour ce qui regarde le corps, il nous assure qu'il aura soin de nous ; et nous voyons nous--mêmes combien il a fait de miracles, plutôt que de nous laisser manquer du nécessaire. Nous voyons dans l'Écri-ture sainte qu'il a nourri son peuple pendant quarante ans, dans le désert, avec de la manne qui tombait tous les jours avant le soleil levé. Pendant les quarante ans qu'ils restèrent dans le désert, leurs habits ne s'usèrent rien du tout. Il nous dit dans l'Évangile de ne pas nous mettre en peine pour ce qui regarde la nourriture et le vêtement : « Considérez, nous dit-il, les oiseaux du ciel ; ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils ne mettent rien dans les greniers ; voyez avec quel soin votre Père céleste les nourrit ; n'êtes-vous pas plus qu'eux ? vous êtes les enfants de Dieu. Gens de peu de foi, ne vous mettez donc pas en peine de ce que vous mangerez et de quoi vous vous vêtirez. Considérez les lys des champs, comment ils croissent ; et cependant ils ne labourent point ni ne filent : voyez comme ils sont vêtus ; je vous déclare que Salomon, dans toute sa gloire, n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux. Si donc, conclut ce divin Sauveur, le Seigneur prend tant de soin de vêtir une herbe qui est aujourd'hui et que demain on jette dans le four, à combien plus forte raison prendra-t-il soin de vous, qui êtes ses enfants ? Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné avec abondance  » Voyez encore combien il veut que nous ayons confiance : « Quand vous me prierez, nous dit-il, ne dites pas : Mon Dieu, mais Notre Père ; parce que nous voyons qu'un enfant a une confiance sans borne à son père. » Lorsqu'il fut ressuscité, il apparut à sainte Madeleine, et lui dit : « Allez trouver mes frères, et dites-leur que je vais monter à mon Père, qui est aussi votre Père . » Dites-moi, M.F., ne con-viendrez-vous pas avec moi que si nous sommes si mal-heureux sur la terre, cela ne peut venir que de ce que nous n'avons pas assez de confiance en Dieu ?
En troisième lieu, nous disons que nous devons avoir une grande confiance en Dieu dans nos peines, nos cha-grins et nos maladies. Il faut, M.F., que cette grande espérance du ciel nous soutienne et nous console ; voilà ce qu'ont fait tous les saints. Nous lisons dans la vie de saint Symphorien, qu'étant conduit au martyre, sa mère, qui l'aimait véritablement pour le bon Dieu, monta sur un mur pour le voir passer, et élevant la voix autant qu'elle put : « Mon fils, mon fils, lui cria-t-elle, regarde le ciel ; mon fils, courage ! que l'espérance du ciel te soutienne ! mon fils, courage ! Si le chemin du ciel est difficile, il est bien court. » Cet enfant, animé par le langage de sa mère, endura les tourments et la mort avec une grande intrépidité. Saint François de Sales avait une si grande confiance en Dieu, qu'il semblait être insensible aux persécutions qu'on lui faisait ; il se disait à lui-même : « Puisque rien n'arrive que par la permission de Dieu, les persécutions ne sont donc que pour notre bien. » Nous lisons dans sa vie, qu'une fois il fut horriblement calomnié ; malgré cela, il ne perdit rien de sa tranquillité ordinaire. Il écrivit à un de ses amis que quelqu'un venait de l'avertir qu'on le déchirait d'une belle façon ; mais qu'il espérait que le bon Dieu arrangerait tout cela pour sa gloire et pour le salut de son âme. Il se contenta de prier pour ceux qui le calom-niaient. Voilà, M.F., la confiance que nous devons avoir en Dieu. Lorsque nous sommes persécutés ou qu'on nous méprise, ce sont là les marques que nous som-mes véritablement chrétiens, c'est-à-dire, enfants d'un Dieu méprisé et persécuté.
En quatrième lieu, M.F., je vous disais que, si nous devons avoir une confiance aveugle envers Jésus-Christ, parce que nous sommes sûrs que jamais il ne manquera de venir à notre secours dans toutes nos peines, si nous allons à lui comme des enfants à leur père ; je dis aussi que nous devons avoir une grande confiance envers sa sainte Mère, qui est si bonne, qui désire tant nous aider dans tous nos besoins spirituels et temporels, mais surtout, lorsque nous voulons revenir au bon Dieu. Si nous avons quelque péché qui nous donne de la honte à l'accuser, allons nous jeter à ses pieds, nous sommes sûrs qu'elle nous obtiendra la grâce de bien le con-fesser, et, en même temps, elle ne manquera pas de demander notre pardon. Pour vous le prouver, en voici un exemple admirable. Il est rapporté dans l'histoire qu'un homme, pendant longtemps, avait mené une vie assez chrétienne, de manière à espérer le ciel. Mais le démon, qui ne travaille qu'à notre perte, le tenta si souvent et si longtemps, qu'il le fit tomber dans un péché grave. Étant ensuite rentré en lui-même, il com-prit toute l'énormité de son péché, et sa première pensée fut de recourir au remède salutaire de la péni-tence. Mais il conçut tant de honte de son péché, qu'il ne put jamais se déterminer à le confesser. Bourrelé par les remords de sa conscience, qui ne lui laissaient pas un moment de repos, il prit la résolution insensée d'aller se noyer, espérant par là mettre fin à ses peines. Mais, quand il fut arrivé au bord de la rivière, il frémit à la vue du malheur éternel où il allait se précipiter, et s'en retourna en pleurant à chaudes larmes, et priant le Seigneur de lui pardonner sans qu'il fût obligé de se confesser. Il crut recouvrer la paix de l'âme en visitant plusieurs églises, en faisant des prières et des péni-tences ; mais, malgré toutes ses prières et ses péni-tences, ses remords le poursuivaient toujours. Le bon Dieu ne voulait lui accorder son pardon que par la pro-tection de sa sainte Mère. Une nuit qu'il était plongé dans une grande tristesse, il se sentit fortement inspiré d'aller se confesser, et, pour cela, il se leva de grand matin et se rendit à l'église ; mais quand il fut près de se confesser, il se sentit tourmenté plus que jamais par la honte de son péché, et n'eut jamais la force de faire ce que la grâce du bon Dieu lui avait inspiré. Quelque temps après, la même chose lui arriva ; il se rendit à la même église ; mais il fut encore arrêté par la honte, et, dans ce moment de désespoir, il prit la résolution de mourir plutôt que de jamais déclarer son péché à un confesseur. Cependant, il lui vint en pensée de se recommander à la sainte Vierge. Avant de rentrer chez lui, il alla se prosterner au pied de l'autel de la Mère de Dieu ; il lui représenta le grand besoin qu'il avait de son secours, et la conjura avec larmes de ne le pas abandonner. Quelle bonté de la part de la Mère de Dieu, quel empressement à le secourir ! A peine se fut-il mis à genoux, que toutes ses peines disparurent, son cœur fut tout changé, il se leva plein de courage et de con-fiance, alla trouver son confesseur, lui déclara tous ses péchés en versant des torrents de larmes. A mesure qu'il déclarait ses péchés, il lui semblait ôter un poids énorme de dessus sa conscience. Il avoua ensuite que, quand il reçut l'absolution, il éprouva plus de contente-ment que si on lui eût fait présent de tout l'or de l'uni-vers. Hélas ! M.F., quel malheur pour cet homme, s'il n'avait pas eu recours à la sainte Vierge ! Il brûlerait maintenant en enfer.
Oui, M.F., après le bon Dieu, dans toutes nos peines, soit de l'âme, soit du corps, il nous faut une grande confiance envers la sainte Vierge. En voici un autre exemple, qui va nous inspirer une tendre confiance envers la sainte Vierge, surtout quand nous voulons avoir une grande horreur du péché. Le bienheureux Liguori rapporte qu'une grande pécheresse appelée Hélène, étant entrée dans une église, le hasard, ou plutôt la Providence, qui dispose de tout pour le bien de ses élus, voulut qu'elle entendît un sermon sur la dévotion au saint Rosaire. Elle fut si frappée de tout ce que le prédicateur dit de l'excellence et des admirables effets de cette sainte pratique, qu'elle prit envie d'avoir un chapelet. Elle fut l'acheter après le sermon ; mais, pendant quelque temps, elle avait soin de bien le cacher, de peur qu'on ne le vît et qu'on ne la tournât en ridicule. Elle commença ensuite à le réciter, mais sans guère  de dévotion ni de plaisir. Quelque temps après, la sainte Vierge lui fit trouver tant de dévotion et de plaisir, qu'elle ne pouvait plus se lasser de le dire ; et, par cette pratique de piété, qui est si agréable à la sainte Vierge, elle en mérita un regard de compassion qui lui fit concevoir une telle horreur de sa vie passée, que sa conscience devint pour elle un enfer, ne lui donnant de repos ni jour ni nuit. Déchirée continuelle-ment par ses remords cuisants, elle ne pouvait plus résister à la voix intérieure qui lui disait que le sacre-ment de Pénitence était le seul remède pour avoir la paix qu'elle désirait tant, qu'elle cherchait partout et qu'elle ne trouvait pas ; que le sacrement de Pénitence était le seul remède pour les maux de son âme. Invitée par cette voix, conduite et pressée par la grâce, elle va se jeter aux pieds du ministre du Seigneur, et lui fait l'aveu de toutes les misères de son âme, c'est-à-dire, de tous ses péchés ; ce qu'elle fit avec tant de contrition et avec une si grande abondance de larmes, que le confes-seur était dans un étonnement admirable, ne sachant à quoi attribuer ce miracle de la grâce. La confession étant finie, Hélène alla se prosterner au pied d'un autel de la sainte Vierge, et là, pénétrée des sentiments de la plus vive reconnaissance : « Ah ! très-sainte Vierge, il est vrai que j'ai été un monstre jusqu'ici ; mais vous, dont le pouvoir est si grand auprès de Dieu, aidez-moi, s'il vous plaît, à me corriger ; je veux employer le reste de mes jours à faire pénitence. » Dès ce moment, elle rentra chez elle, et brisa pour jamais les liens des funestes compagnies qui l'avaient retenue dans ses désordres ; elle donna tous ses biens aux pauvres, et se livra à toutes les rigueurs de la pénitence que son amour pour Dieu et le regret de ses péchés purent lui inspirer. Le bon Dieu, pour marquer sa reconnaissance de la grande confiance que cette fille avait eue envers sa très sainte Mère... dans sa dernière maladie, ils lui apparurent tous les deux (c'est-à-dire, le bon Dieu avec la sainte Vierge) ; elle rendit entre leurs mains sa belle âme, qu'elle avait si bien purifiée par la pénitence et par les larmes, de sorte que, après le bon Dieu, c'est à la protection de la très sainte Vierge que cette grande pénitente dut son salut.
Voici un autre exemple de confiance envers la sainte Vierge, qui n'est pas moins admirable, et qui montre combien la dévotion à la sainte Vierge est favorable pour nous aider à sortir du péché. Il est rapporté dans l'histoire qu'un jeune homme, qui avait été bien ins-truit par ses parents, eut le malheur de contracter une habitude criminelle, qui devint pour lui la source d'une infinité de péchés. Comme il avait encore la crainte de Dieu et désirait renoncer à ses désordres, il faisait de temps en temps quelques efforts pour en sortir ; mais le poids de ses mauvaises habitudes l'entraînait tou-jours. Il détestait son péché, et, malgré cela, il y retom-bait à chaque instant. Voyant qu'il ne pouvait pas se corriger, il s'abandonna au découragement et prit la résolution de ne plus se confesser. Son confesseur, qui ne le voyait plus venir au temps marqué, voulut faire un nouvel effort pour ramener cette pauvre âme au bon Dieu. Il va le trouver dans un moment où il était seul à travailler. Ce pauvre jeune homme, voyant venir le prê-tre, se mit à pousser des soupirs et des cris lamenta-bles. « Qu'avez-vous, mon ami, lui dit le prêtre ? – Oh ! jamais je ne me corrigerai, et j'ai résolu de tout abandonner. – Que dites-vous, mon cher ami ? je sais, au contraire, que si vous voulez faire ce que je vais vous dire, vous vous corrigerez et vous obtiendrez votre pardon. Allez, dès ce moment, vous jeter aux pieds de la sainte Vierge pour lui demander votre con-version et venez ensuite me trouver. Le jeune homme va dans ce moment se jeter, c'est-à-dire se prosterner aux pieds d'un autel de la sainte Vierge, et arrosant le pavé de ses larmes, il la supplia d'avoir pitié d'une âme qui a coûté tout le sang de Jésus-Christ, son divin Fils, et que le démon veut entraîner en enfer. Dans ce moment, il sentit naître en lui une si grande confiance, qu'il se leva et alla se confesser. Il se convertit sincèrement ; toutes ses mauvaises habitudes furent entièrement détruites, et il servit le bon Dieu toute sa vie. Conve-nons tous ensemble que, si nous restons dans le péché, c'est bien parce que nous ne voulons pas prendre les moyens que la religion nous présente, ni avoir recours avec confiance à cette bonne Mère, qui aurait aussi bien pitié de nous que tous ceux qui l'ont priée avant nous.
En cinquième lieu, nous avons dit que la vertu d'es-pérance nous fait faire toutes nos actions dans la seule vue de plaire à Dieu, et non au monde. Nous devons, M.F., commencer à pratiquer cette belle vertu, en nous éveillant, en donnant notre cœur au bon Dieu avec amour, avec ferveur, pensant combien sera grande la récompense de notre journée si nous faisons bien tout ce que nous faisons dans la seule vue de plaire au bon Dieu. Dites-moi, M.F., si, dans tout ce que nous fai-sons, nous avions le bonheur de penser à la grande récompense que le bon Dieu attache à chacune de nos actions, de quels sentiments de respect et d'amour pour le bon Dieu ne serions-nous pas pénétrés ! Voyez combien nous aurions des intentions pures en faisant toutes nos aumônes. – Mais, me direz-vous, quand je fais quelque aumône, c'est bien pour le bon Dieu et non pour le monde. – Cependant, M.F., nous som-mes bien contents quand on nous voit, quand on nous en loue, nous aimons même à le dire aux autres. Dans notre cœur nous aimons à y penser, nous nous applaudissons au dedans de nous-mêmes ; mais si nous avions cette belle vertu dans l'âme, nous ne chercherions que Dieu seul, le monde n'y serait pour rien, ni nous--mêmes. Ne soyons pas étonnés, M.F., de ce que nous faisons si mal nos actions. C'est que nous ne pensons pas véritablement à la récompense que le bon Dieu y attache si nous les faisons bien pour lui plaire. Lorsque nous rendons service à quelqu'un qui, bien loin d'être reconnaissant, nous paie d'ingratitude, si nous avions cette belle vertu d'espérance, nous en serions bien con-tents en pensant que notre récompense sera bien plus grande auprès du bon Dieu. Saint François de Sales nous dit que, si deux personnes se présentaient à lui pour recevoir quelque bienfait, et qu'il ne pût rendre service qu'à une, il choisirait celle qu'il penserait lui être la moins reconnaissante, parce que le mérite serait plus grand auprès du bon Dieu. Le saint roi David disait que quand il faisait quelque chose, il le faisait toujours en la présence de Dieu, comme s'il devait être jugé de suite après pour en recevoir la récompense ; ce qui le portait à bien faire, tout ce qu'il faisait pour plaire à Dieu seul. En effet, ceux qui n'ont pas cette vertu d'es-pérance font tout ce qu'ils font pour le monde, ou pour se faire aimer et estimer, et, par là, en perdent toute la récompense.
Nous disons que nous devons avoir une grande confiance en Dieu dans nos maladies et nos chagrins ; c'est précisément là où le bon Dieu nous attend pour voir si nous lui montrerons une grande confiance. Nous lisons dans la vie de saint Elzéar, que les gens du monde faisaient publiquement une raillerie de sa dévo-tion, et les libertins en faisaient un jeu. Sainte Delphine lui dit un jour que le mépris qu'on faisait de sa per-sonne rejaillissait sur sa vertu. « Hélas ! lui dit-il en pleurant, quand je pense à tout ce que Jésus-Christ a souffert pour moi, je suis si touché, que, quand on me crèverait les yeux, je n'aurais point de paroles pour me plaindre, en pensant à la grande récompense de ceux qui souffrent pour l'amour de Dieu : c'est là toute mon espérance et ce qui me soutient dans toutes mes pei-nes. » Ce qui est bien facile à comprendre. Qu'est-ce qui peut consoler dans ses maux une personne malade, sinon la grandeur de la récompense que le bon Dieu lui promet dans l'autre vie ?
Nous lisons dans l'histoire, qu'un prédicateur étant allé prêcher dans un hôpital, son sermon fut sur les souffrances. Il montra combien les souffrances nous ac-quièrent de grands mérites pour le ciel, et combien une personne qui souffre avec patience est agréable au bon Dieu. Dans ce même hôpital, il y avait un pauvre ma-lade qui, depuis bien des années, souffrait beaucoup, mais, malheureusement, toujours en se plaignant ; il comprit par ce sermon combien il avait perdu de biens pour le ciel, et, après le sermon, il se mit à pleurer et à sangloter d'une manière extraordinaire. Un prêtre qui le vit, lui demanda pourquoi il se livrait à un tel chagrin, si quelqu'un lui avait fait quelque peine, ajoutant que, en sa qualité d'administrateur, il pouvait lui faire rendre justice. Ce pauvre homme lui dit : « Oh ! non, monsieur, personne ne m'a fait tort, mais c'est moi-même qui me suis fait grandement tort. – Comment ? lui dit le prêtre. – Ah ! monsieur, que de biens j'ai perdus depuis tant d'années que je souffre, où j'aurais tant mérité pour le ciel, si j'avais eu le bonheur de souffrir les maladies avec patience. Hélas ! que je suis malheu-reux ! moi qui me croyais si à plaindre ; si j'avais bien compris mon état, j'étais le plus heureux du monde. » Hélas, M.F., que de personnes vont tenir le même langage à l'heure de la mort, et que leurs peines, si elles avaient eu le bonheur de les souffrir bien pour le bon Dieu, auraient conduites au ciel ; au lieu qu'elles n'ont servi qu'à les perdre par le mauvais usage qu'elles en ont fait. L'on demandait un jour à une pauvre femme qui, depuis bien longtemps, était dans un lit où elle souffrait des maux affreux, et qui cependant paraissait toujours contente, on lui demandait ce qui pouvait la soutenir dans un état si pitoyable, elle répondit : « Quand je pense que le bon Dieu est témoin de mes souffrances et qu'il m'en récompensera pour l'éternité, j'en ai tant de joie, je souffre avec tant de plaisir, que je ne chan-gerais pas mon état avec tous les empires du monde ! » Convenez avec moi, M.F., que ceux qui ont le grand bonheur d'avoir cette belle vertu dans le cœur, ont bien-tôt changé leur douleur en douceur.
Hélas ! M.F., si nous voyons tant de personnes mal-heureuses dans le monde, maudire leur existence, et passer leur pauvre vie dans une espèce d'enfer, par les chagrins et le désespoir qui les poursuivent partout ; hélas ! tous ces malheurs ne viennent que de ce qu'elles ne mettent pas leur confiance en Dieu et ne pensent pas à la grande récompense qui les attend dans le ciel. Nous lisons dans la vie de sainte Félicité que, craignant que le plus jeune de ses enfants n'eût pas le courage de souf-frir le martyre, elle lui cria : « Mon fils, regarde le ciel qui sera ta récompense ; encore un moment, et tes souf-frances seront finies. » Ces paroles, sorties de la bouche d'une mère, fortifièrent tellement ce pauvre enfant qu'il livra, avec une joie incroyable, son pauvre petit corps à tous les tourments que les bourreaux voulurent lui faire souffrir. Saint François Xavier nous dit qu'étant chez les Barbares, il eut à souffrir, sans recevoir aucune consolation de personne, tout ce que ces idolâtres pouvaient inventer mais qu'il avait tellement mis sa confiance en Dieu, qu'il avait reconnu que le bon Dieu l'avait tou-jours secouru d'une manière visible.
Jésus-Christ, pour nous montrer combien nous devons avoir confiance en lui, et ne jamais craindre de lui de-mander tout ce qui nous est nécessaire pour l'âme et pour le corps, nous dit dans l'Évangile, qu'un homme étant allé pendant la nuit, demander à un de ses amis trois pains pour donner à un homme qui était venu le voir ; l'autre lui répondit qu'il était couché avec ses enfants, qu'il ne fallait pas le déranger. Mais le premier continua de le prier, en disant qu'il n'avait point de pain pour son ami. L'autre lui donna ce qu'il lui deman-dait, non parce que c'était son ami, mais pour se déli-vrer de son importunité. De là, conclut Jésus-Christ « Demandez, et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira ; et vous êtes sûrs que toutes les fois que vous demanderez à mon Père en mon nom, vous obtiendrez. »
En sixième lieu, je dis qu'il faut que notre espérance soit universelle, c'est-à-dire, qu'il faut avoir recours au bon Dieu dans tout ce qui peut nous arriver. Si nous som-mes malades, M.F., ayons une grande confiance en lui, puisque c'est lui-même qui a guéri tant de malades pen-dant qu'il était sur la terre, et si notre santé peut contri-buer à sa gloire et au salut de notre âme, nous sommes sûrs de l'obtenir ; si, au contraire, la maladie nous est plus avantageuse, il nous donnera la force de la souffrir avec patience, pour nous en donner la récompense pen-dant l'éternité. Si nous nous trouvons dans quelque danger, imitons les trois enfants que le roi avait fait jeter dans la fournaise de Babylone ; ils mirent tellement leur confiance en Dieu, que le feu ne fit que brûler les cordes qui les liaient, de sorte qu'ils se promenaient tranquillement dans la fournaise comme dans un jardin de délices. Sommes-nous tentés, M.F. ? Mettons notre confiance en Jésus-Christ, et nous sommes sûrs de ne pas succomber. Il nous a, ce tendre Sauveur, mérité la victoire dans nos tentations en se laissant tenter lui-même. Sommes--nous, M.F., plongés dans quelque mauvaise habitude, craignons-nous de ne pas pouvoir en sortir ? ayons seu-lement confiance en Dieu, puisqu'il nous a mérité toutes sortes de grâces pour vaincre le démon. Voilà bien, M.F., de quoi nous consoler dans les misères qui sont inséparables de la vie. Mais voici ce que nous dit saint Jean Chrysostome : « Pour mériter ce bonheur, il ne faut pas avoir de présomption, en nous exposant volontaire-ment au danger de pécher. Le bon Dieu ne nous a pro-mis sa grâce qu'autant que, de notre côté, nous ferons tout ce que nous pourrons pour éviter les dangers du péché. II faut encore prendre garde de ne pas abuser de la patience du bon Dieu en restant dans le péché, sous prétexte que le bon Dieu nous pardonnera, quoique nous retardions de nous confesser. Prenons bien garde, M.F., tant que nous sommes dans le péché, nous sommes en grand danger de tomber en enfer, et tout le repentir que nous avons à la mort, quand nous sommes restés volontairement dans le péché, ne nous assure guère notre salut ; parce que, pouvant en sortir, nous ne l'avons pas fait. Ah ! malheureux que nous sommes ; comment osons-nous rester dans le péché, puisque nous n'avons pas une minute de sûreté pour notre vie ? Notre-Seigneur nous dit qu'il viendra dans le moment que nous y pen-serons le moins.
Je dis que si nous ne devons pas trop espérer, il ne faut pas désespérer de la miséricorde de Dieu, puisqu'elle est infinie. Le désespoir est un plus grand péché que tous les péchés que nous avons commis, puisque nous sommes sûrs que jamais le bon Dieu ne nous refusera notre pardon, si nous revenons à lui avec sincérité. Ce n'est pas la grandeur de nos péchés qui doit nous faire craindre de ne pas pouvoir obtenir notre pardon, puis-que tous nos péchés sont moins envers la miséricorde de Dieu, qu'un grain de sable envers une montagne. Si Caïn, après avoir tué son frère, avait voulu demander pardon au bon Dieu, il était sûr de son pardon. Si Judas s'était jeté aux pieds de Jésus-Christ, pour le prier de lui par-donner, Jésus-Christ lui aurait remis son péché aussi bien qu'à saint Pierre.
Mais, en finissant, voulez-vous que je vous dise pour-quoi l'on reste si longtemps dans le péché, et que l'on se tourmente tant pour le moment qu'il faut s'en accu-ser ? C'est, M.F., que nous sommes des orgueilleux, et rien autre. Si nous avions l'humilité pour partage, nous ne resterions jamais dans le péché, nous ne craindrions nullement de les accuser. Demandons au bon Dieu, M.F., le mépris de nous-mêmes, nous craindrons le péché et nous le confesserons aussitôt que nous l'aurons commis. Je conclus en vous disant qu'il nous faut souvent de-mander au bon Dieu cette belle vertu d'espérance, qui nous fera faire toutes nos actions dans l'intention de plaire à Dieu seul. Prenons bien garde dans nos mala-dies, dans nos chagrins, de jamais nous désespérer. Pen-sons que toutes ces choses sont des biens que le bon Dieu nous envoie pour être la matière de notre récom-pense éternelle. Je vous la souhaite...

 5ème dimanche après la Pentecôte.
Sur le deuxième Commandement de Dieu

« Dieu en vain tu ne jureras, Ni autre chose pareillement. »
 

Il est bien étonnant, M.F., que le bon Dieu soit obligé de nous faire un commandement pour nous défendre de profaner son saint nom. Peut-on bien concevoir, M.F., que des chrétiens puissent se livrer au démon, au point de lui être un instrument dont il se serve pour maudire un Dieu si bon et si bienfaisant ? Peut-on bien concevoir qu'une langue, qui a été consacrée au bon Dieu par le saint Baptême, et tant de fois arrosée par son sang ado-rable, soit employée à maudire son Créateur ? Le pourrait-il faire, celui qui croirait véritablement que le bon Dieu ne la lui a donnée que pour le bénir et chanter ses louanges ? Vous conviendrez avec moi que c'est là un crime épouvantable, qui semble forcer le bon Dieu à nous accabler de toutes sortes de malheurs, et à nous abandonner au démon, à qui nous obéissons avec tant de zèle. Ce crime fait dresser les cheveux de la tête à toute personne qui n'a pas encore entièrement perdu la foi. Cependant, malgré la grandeur de ce péché, son horribilité et sa noirceur, y a-t-il un péché plus commun que le jurement, les blasphèmes, les imprécations et les malédictions ? N'a-t-on pas la douleur de voir sortir même de la bouche des enfants, qui à peine savent leur Notre Père, ces sortes de jurements, capables d'attirer toutes sortes de malheurs sur une paroisse ? Je vais donc, M.F., vous montrer ce que l'on entend par jure-ments, blasphèmes, reniements, imprécations et malé-dictions. Tâchez, pendant ce temps-là, de bien dormir : afin qu'au jour du jugement, vous ayez fait le mal sans savoir ce que vous faisiez, et que vous soyez damnés parce que votre ignorance sera toute votre faute.

I. – Pour vous faire comprendre la grandeur de ce péché, M.F., il faudrait pouvoir vous faire comprendre la grandeur de l'outrage qu'il fait au bon Dieu ; ce qui ne sera jamais donné à un mortel. Non, M.F., il n'y a que l'enfer, il n'y a que la colère, la puissance et la fureur d'un Dieu, toutes réunies sur ces monstres infer-naux qui puissent faire sentir la grandeur de son atro-cité ; non, non, M.F., n'allons pas plus loin, il faut pour cela un enfer éternel. D'ailleurs, ce n'est pas mon dessein : je vais seulement vous faire connaître la diffé-rence qu'il y a entre les jurements, les blasphèmes, les reniements, les imprécations, les malédictions et les paroles grossières. Une bonne partie les confondent et prennent une chose pour l'autre ; ce qui est cause que, presque jamais vous ne vous accusez de vos péchés comme il faut, ce qui vous expose à faire de mauvaises confessions, et par conséquent, à vous damner. Le deuxième commandement, qui nous défend de faire des serments faux, inutiles et de se parjurer, s'exprime en ces termes : « Vous ne prendrez point le nom du Seigneur, votre Dieu, en vain. » C'est comme si le Seigneur nous disait : « Je vous ordonne et vous commande de révérer ce nom, parce qu'il est saint et adorable ; je vous défends de le profaner en l'employant pour autoriser le mensonge, l'injustice et même la vérité, sans une raison suffisante ; » et Jésus-Christ nous dit de ne le jurer en aucune manière.
Je dis 1° que les personnes peu instruites confondent souvent les blasphèmes avec les jurements. Un malheu-reux, dans un moment de colère, ou plutôt de fureur, dira : « Le bon Dieu n'est pas juste de me faire souffrir ou perdre cela. » Par ces mots, il a renié le bon Dieu ; il s'accusera en disant : « Mon père, je m'accuse d'avoir juré, » or, ce n'est pas un jurement, mais un blasphème qu'il a proféré. Une personne sera accusée faussement d'une faute qu'elle n'a pas faite ; elle dira pour se justi-fier : « Si j'ai fait cela, je ne veux jamais voir la face de Dieu ! » Ce n'est pas un jurement, mais une horrible imprécation. Voilà deux péchés qui sont bien aussi mau-vais que les jurements. Un autre, qui aura dit à son voisin qu'il est un voleur, un coquin, s'accusera « d'avoir juré après son voisin. Ce n'est pas jurer, mais c'est lui dire des injures. Un autre dira des paroles sales et déshonnêtes, et s'accusera d'avoir dit de mauvaises raisons. » Vous vous trompez, il faut dire que vous avez dit des obscénités. Voici, M.F., ce que c'est que jurer : c'est prendre le bon Dieu à témoin de ce que l'on dit ou promet ; et le parjure est un serment qui est faux : c'est-à-dire, c'est quand on jure pour un mensonge.
Le nom du bon Dieu est si saint, si grand et si ado-rable que les anges et les saints, nous dit saint Jean, disent sans cesse dans le ciel : « Saint, saint, saint, est le grand Dieu des armées ; que son saint nom soit béni dans tous les siècles des siècle ! Lorsque la sainte Vierge alla visiter sa cousine Elisabeth, et que cette sainte lui dit : « Que vous êtes heureuse d'avoir été choisie pour être la mère de Dieu ! » la sainte Vierge lui répondit : « Celui qui est tout-puissant, et dont le nom est saint, a fait en moi de grandes choses. » Nous devrons donc, M.F., avoir un grand respect pour le nom du bon Dieu, et nous ne le prononcerons qu'avec une grande vénération et jamais en vain. Saint Thomas nous dit que de prononcer le nom du bon Dieu en vain, c'est un grand péché ; qu'il n'en est pas de ce péché comme des autres : dans les autres péchés, la légèreté de la matière en diminue la noirceur et la malice, et, bien souvent, ce qui serait de sa nature péché mortel, n'est plus que véniel : comme le larcin, qui est un péché mor-tel ; mais, si c'est de peu de chose, comme un ou trois sous, ce ne sera qu'un péché véniel. La colère et la gour-mandise sont des péchés mortels ; mais une petite colère, une petite gourmandise ne sont plus que des péchés véniels. Mais pour le jurement, il n'en est plus de même : plus la matière  est légère, plus la profana-tion est grande. La raison en est que, plus la matière est légère, plus le mépris est grand ; comme si une per-sonne priait le roi de lui servir de témoin pour une bagatelle, ce serait se moquer de lui et le mépriser. Le bon Dieu nous dit que celui qui jurera son nom sera puni rigoureusement. Nous lisons dans l'Écriture sainte que du temps de Moïse, il y avait deux hommes, dont l'un jura le saint nom de Dieu ; on le prit et on le mena à Moïse, qui demanda au bon Dieu ce qu'il en fallait faire. Le Seigneur lui dit de le conduire dans un champ, et d'ordonner à tous ceux qui avaient été témoins de ce blasphème, de lui mettre la main sur la tête et de l'as-sommer, afin d'ôter le blasphémateur du milieu de son peuple .
Le Saint-Esprit nous dit encore que celui qui est accoutumé de jurer, sa maison sera remplie d'iniquités, et que la malédiction ne sortira point de sa maison, jusqu'à ce qu'elle soit détruite . Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit, dans l'Évangile, de ne point jurer ni par le ciel, ni par la terre, parce que ni l'un ni l'autre ne nous appartiennent. Quand vous voudrez assurer une chose, dites : « Cela est, ou n'est pas ; oui ou non ; je l'ai fait, ou je ne l'ai pas fait ; et tout ce que vous direz de plus, ne vient que du démon . » D'ailleurs, une per-sonne qui a l'habitude de jurer, c'est une personne emportée, attachée à ses propres sentiments, et toujours elle jure, aussi bien pour le mensonge que pour la vérité. – Mais, dira-t-on, si je ne jure pas, on ne me croira pas. – Vous vous trompez ; jamais l'on ne croit une personne qui jure, parce que cela suppose une personne qui n'a point de religion, et une personne sans religion n'est pas digne d'être crue. Il y en a souvent qui ne savent pas vendre la moindre chose sans jurer, comme si leur jurement bonifiait leur marchandise. Si l'on voit un marchand qui jure en vendant, tout de suite l'on pense que cette personne n'a point de foi, qu'il faut prendre garde qu'elle ne nous trompe. Ses jurements font hor-reur, et on ne la croit pas. Au contraire, une personne qui ne jurera pas, nous ajouterons foi à ce qu'elle nous dit.
Nous lisons dans l'histoire un exemple rapporté par le cardinal Bellarmin, qui va vous montrer que les jure-ments n'avancent de rien. Il y avait, nous dit-il, dans Cologne, deux marchands qui semblaient ne pouvoir rien vendre sans jurer. Leur pasteur les engagea fort à quitter cette mauvaise habitude, parce que, bien loin d'y perdre, ils y gagneraient beaucoup ; ils suivirent son conseil. Cependant, pendant quelque temps, ils ne ven-dirent pas beaucoup. Ils allèrent trouver leur pasteur, en lui disant qu'ils ne vendaient pas autant qu'il leur avait fait espérer. Le pasteur leur dit : « Prenez patience, mes enfants, vous êtes sûrs que le bon Dieu vous bénira. » En effet, au bout de quelque temps, le concours fut si grand, qu'il semblait que l'on donnait la marchandise pour rien. Ils voyaient eux-mêmes que le bon Dieu les bénissait d'une manière particulière. Le même cardinal nous dit qu'il y avait une bonne mère de famille, qui avait une grande habitude de jurer ; à force qu'on lui représenta combien ces jurements étaient indignes d'une mère, et qu'elle ne pouvait qu'attirer la malédiction sur sa maison ; s'étant bien corrigée, elle avoua elle-même que depuis qu'elle avait perdu sa mauvaise habitude, elle voyait que tout réussissait chez elle, et que le bon Dieu la bénissait d'une manière particulière.
Voulez-vous, M.F., être heureux pendant votre vie, et que le bon Dieu bénisse vos maisons ? Prenez garde de ne jamais jurer, et vous verrez que tout ira bien chez vous. Le bon Dieu nous dit que dans la maison où le jurement règnera, la malédiction du Seigneur y tombera, et elle sera détruite. Et pourquoi, M.F., vous laissez--vous aller au jurement, puisque le bon Dieu le défend sous peine de nous rendre malheureux en ce monde et réprouvés dans l'autre ? Hélas ! que nous connaissons peu ce que nous faisons ! Nous le connaîtrons, mais trop tard.
En deuxième lieu, nous disons qu'il y a encore un autre jurement bien plus mauvais : c'est lorsqu'on ajoute au jurement des serments d'exécration, ce qui fait trem-bler. Comme les malheureux qui disent : « Si ce que je  dis n'est pas vrai, je veux bien ne jamais voir la face de Dieu. » Ah ! malheureux, vous ne risquez que trop de ne jamais la voir !... D'autres disent : « Si ce n'est pas vrai, je veux perdre ma place dans le paradis ! que le bon Dieu me damne ! ou, que le démon m'emporte !... » Ah ! vieil endurci ! le démon ne t'emportera que trop, sans que tu te donnes si longtemps d'avance à lui. Combien d'autres qui ont toujours le démon à la bouche, à la moindre chose qui ne va pas comme ils veulent !. « Ah ! le diable d'enfant, la diable de bête ou d'ou-vrage !... Que tu crèves donc une fois, tant tu m'en-nuies !... » Hélas ! une personne qui a si souvent le nom du démon dans la bouche, il est bien à craindre qu'elle l'ait dans le cœur ! Combien d'autres qui sont toujours après dire : « Oh ! ma foi, oui... oh ! ma foi, non... ; ah ! mâtin d'enfant ! » ou bien encore : « Pardi !... mardi !... sur ma conscience !... sur la foi des chrétiens !... »
Il y a une autre sorte de jurements, de malédictions qu'on ne pense pas de confesser, ce sont les jurements que l'on fait dans son cœur : il y en a qui croient que, parce qu'ils ne le disent pas de bouche, il n'y a point de mal : vous vous trompez grandement, mes amis. Il vous est arrivé que quelqu'un vous a fait quelque dégât dans vos terres, ou ailleurs ; vous leur jurez après dans votre cœur, et vous les maudissez en disant : « Au moins si le démon les avait emportés !... que le tonnerre les eût écrasés !... ou que ces raves ou ces truffes  les eussent empoisonnés en les mangeant !... » Et vous con-serverez ces pensées combien de temps dans votre cœur ! Et vous croyez que, parce que vous ne les dites pas de bouche, ce n'est rien : mon ami, c'est un gros péché ; il faut bien vous en accuser, sans quoi vous serez perdu. Hélas ! qu'il y a peu de personnes qui con-naissent l'état de leur pauvre âme, telle qu'elle est aux yeux du bon Dieu !
En troisième lieu, nous disons qu'il y en a d'autres, encore plus coupables, qui jurent non seulement pour des choses véritables, mais encore pour des chose fausses. Si vous pouviez comprendre combien votre impiété méprise le bon Dieu, vous n'auriez jamais le courage de la commettre. Vous vous comportez en-vers le bon Dieu comme un vil esclave qui dirait au roi : « Sire, il faut que vous me serviez de faux témoin ; » cela ne vous fait-il pas horreur, M.F. ? Le bon Dieu nous dit dans l'Écriture sainte : « Soyez saints, parce que je suis saint. Ne mentez point, et ne trompez point votre prochain, et ne vous parjurez point en prenant le Seigneur votre Dieu à témoin pour un men-songe, et ne profanez point le nom du Seigneur. » Saint Jean Chrysostome nous dit : « Si c'est déjà un grand crime que de jurer pour une chose véritable, quelle est la grandeur du crime de celui qui jure faussement, pour assurer un mensonge ! » Le Saint-Esprit nous dit que celui qui dit des mensonges périra. Le prophète Zacharie nous assure que la malédiction viendra dans la maison de celui qui jurera pour assurer un mensonge, et qu'elle y restera jusqu'à ce que cette maison soit renversée et détruite. Saint Augustin nous dit que le parjure est un grand crime et une bête féroce, qui fait un ravage effroyable. Voici ce qui augmente encore ce péché, c'est qu'il y en a qui ajoutent au jurement faux un serment d'exécration, en disant : « Si cela n'est pas vrai, je ne veux jamais voir la face de Dieu !... que Dieu me damne !... ou : que le démon m'emporte !... » Ah ! malheureux ! si le bon Dieu vous prenait au mot, où en seriez-vous ? Depuis déjà combien d'années vous brûleriez dans les enfers ! Dites-moi, M.F., peut-on bien concevoir qu'un chrétien puisse se rendre coupable d'un tel crime et d'une telle horribilité ? O mon Dieu ! un ver de terre pousse la barbarie à un tel excès ! Non, M.F., non, cela n'est pas concevable dans un chrétien.
Il faut encore examiner si vous aviez résolu de jurer ou bien de faire des serments faux, et combien de jours vous aviez eu cette pensée : c'est-à-dire, combien de temps vous avez été disposé à le faire. Une bonne partie des chrétiens n'y fait pas seulement attention, quoique ce soit un gros péché. – Mais, me direz-vous, j'y ai bien pensé, mais je ne l'ai pas fait. – Vous ne l'avez pas fait, mais votre cœur l'a fait ; et, puisque vous êtes dans la disposition de le faire, vous êtes coupable aux yeux du bon Dieu. Hélas ! pauvre religion, que l'on te connaît peu !
Nous voyons dans l'histoire un exemple frappant de la punition de ceux qui font de faux serments. Du temps de saint Narcisse, évêque de Jérusalem, trois jeunes libertins qui s'abandonnaient à l'impureté, ca-lomniaient horriblement leur saint évêque, en l'accu-sant des crimes dont ils étaient coupables eux-mêmes, dans l'espérance qu'il n'oserait pas les reprendre. Ils allèrent devant les juges en disant que l'évêque avait commis tel péché ; et ils assurèrent leurs jurements par des serments affreux. Le premier dit : « Si ce que je dis n'est pas vrai, je veux être étouffé. » Le deuxième : « Si cela n'est pas, je veux être brûlé tout vif. » Le troi-sième : « Si cela n'est pas, je veux perdre les yeux. » Hélas ! la justice du bon Dieu ne tarda pas de les punir : le premier fut étouffé et mourut misérablement ; le deuxième, le feu se mit dans sa maison par une fusée d'un feu de joie que l'on faisait dans la ville : il brûla tout vivant ; le troisième, quoique puni, fut plus heureux que les autres : il reconnut sa faute, en fit péni-tence, et pleura tant qu'il en perdit la vue. En voici un autre exemple, qui n'est pas moins frappant. Nous lisons dans l'histoire que saint Édouard étant roi d'An-gleterre, le comte Gondevin, qui était beau-père du roi, était si jaloux et si orgueilleux, qu'il ne voulait souffrir personne auprès du roi. Le roi lui dit un jour qu'il avait participé à la mort de son frère. « Si cela est, lui dit le comte, je veux que ce morceau m'étrangle. » Le roi prit ce morceau de pain, fit le signe de la croix dessus sans se douter de rien. L'autre le mangea ; mais il lui resta au gosier, l'étrangla, et il mourut sur-le-champ. Vous conviendrez avec moi, M.F., d'après ces effroyables exemples, combien il faut que ce péché soit affreux aux yeux du bon Dieu, pour qu'il veuille le punir d'une manière si terrible.
Il y a encore des pères et mères et des maîtres et maîtresses qui ont à tout moment à la bouche ces paroles : « Ah ! charogne d'enfant !... ah ! bête d'en-fant !... ah ! imbécile d'enfant !... que tu crèves donc une fois, tant vous me tourmentez !... Je voudrais être aussi loin que je suis près !... Le bon Dieu ne vous punira donc pas une fois !.,.. » et en prononçant le b... et le f..., ceci a rapport aux malédictions : je vous le dis tandis que j'y pense. Oui, M.F., il y a des parents qui ont si peu de religion, qu'ils ont toujours ces mots à la bouche. Hélas ! combien de pauvres enfants sont infirmes et faibles d'esprit, revêches, vicieux, à cause des malédictions que leurs père et mère leur ont don-nées ! Nous lisons dans l'histoire, qu'il y avait une mère qui dit à son enfant : « Tu ne crèveras donc pas, tant tu me tourmentes ? » Ce pauvre enfant tomba mort à ses pieds. Un autre qui dit à son fils : « Le démon ne t'emportera donc pas ? » L'enfant disparut sans qu'on pût savoir où il passa. Mon Dieu ! quel malheur ! malheur pour l'enfant et la mère ! Il y avait dans la province de Vallerie, un homme très respectable par sa bonne conduite. Étant un jour revenu de voyage, il appelle son domestique d'une manière assez négligée, il lui dit : « Viens donc, diable de valet, viens donc me déchausser ! » De suite sa chaussure commence à se défaire sans que personne ne la tirât. Tout épouvanté, il se mit à crier : « Retire-toi, Satan, ce n'est pas toi que j'appelle, mais c'est mon valet », de sorte que le démon s'enfuit sur-le-champ, et sa chaussure resta à moitié retirée. Cet exemple nous prouve, M.F., combien le démon roule autour de nous, pour nous tromper et nous perdre, dès que l'occasion s'en présente. C'est pour cela que nous voyons que les premiers chrétiens avaient tant d'horreur du démon, qu'ils n'osaient pas même en prononcer le nom. Vous devez donc bien prendre garde de ne jamais le prononcer, ni le laisser prononcer à vos enfants et à vos domestiques : lorsque vous les entendrez, il faut les reprendre, jusqu'à ce que vous voyez qu'ils sont corrigés.
Non seulement, M.F., il est mal fait de jurer mais encore de faire jurer les autres. Saint Augustin nous dit que celui qui est cause qu'une autre personne a juré faussement en justice est plus coupable que celui qui commet un homicide, « parce que, nous dit-il, qui tue un homme ne tue que le corps, au lieu que celui qui fait jurer faussement un autre en justice, tue son âme. » Pour vous donner une idée de la grandeur de ce péché, je vais vous montrer combien l'on est coupable, lorsque l'on prévoit que les personnes que l'on appelle en justice jureront faussement. Nous lisons dans l'histoire, qu'il y avait dans la ville d'Hippone, un bourgeois qui était un homme de bien, mais un peu trop attaché à la terre. Il voulut contraindre un homme qui lui devait quelque chose d'aller en justice. Ce misérable jura faus-sement, c'est-à-dire, assura qu'il ne devait rien. La nuit suivante, celui qui avait fait conduire l'autre en justice pour être payé, fut présenté lui-même devant un tribu-nal, où il vit un juge qui lui parla d'une voix terrible et menaçante, en lui demandant pourquoi il avait fait par-jurer cet homme ; s'il ne fallait pas plutôt perdre sa dette que de damner cette âme ; qu'il lui faisait grâce pour cette fois à cause de ses œuvres ; mais il le con-damna à être fouetté avec des verges. En effet, le lende-main, il vit son corps tout en sang. – Mais, me direz--vous, si je ne fais pas jurer, je perdrai ce qu'il me doit. – Mais vous aimez donc mieux perdre son âme et la vôtre que de perdre votre argent ? D'ailleurs, M.F., soyez bien sûrs que si vous faites un sacrifice pour ne pas faire offenser le bon Dieu, vous verrez que le bon Dieu ne manquera pas de vous récompenser d'un autre côté. Cependant ceci n'arrive pas bien souvent ; mais il faut bien prendre garde de ne jamais donner des cadeaux, ni solliciter ceux qui doivent déposer contre vous en jus-tice de ne pas dire la vérité : vous les damneriez et vous aussi. Si vous aviez fait cela, et que l'on eût condamné quelqu'un qui ne le méritât pas, parce que vous avez dit un mensonge, vous seriez obligés de réparer tout le mal que cela a fait et de dédommager la personne, soit dans son bien, soit dans sa réputation, et autant que vous le pourrez, sans quoi vous serez damnés. Il faut encore voir si vous n'avez pas eu la pensée de jurer à faux, et combien de temps cette pensée vous est restée dans l'esprit. Il y en a qui croient que parce qu'ils ne l'ont pas dit, il n'y a point de mal. Mon ami, quoique vous ne l'ayez pas dit, votre péché est commis, puisque vous êtes dans la disposition de le faire. Voyez encore si vous n'avez pas donné des demi-conseils. Une personne vous dira : « Je crois que je vais être appelée en justice pour un tel ; qu'en penses-tu ? J'ai envie de ne pas dire ce que j'ai vu, pour ne pas le faire condamner : l'autre a bien plus de quoi payer ; cependant je vois que je vais faire mal. » Vous lui direz : « Ah ! le mal n'est pas bien grand... Tu vas trop lui porter perte... »  Si d'après cela il jure à faux, vous êtes obligé, si celui à qui vous avez conseillé n'a pas de quoi dédommager l'autre, de le faire vous-même. Voulez-vous, M.F., savoir ce qu'il vous faut faire en justice et ailleurs ? Écoutez Jésus-Christ lui-même, qui nous dit : « Plutôt que de plaider, si l'on vous demande votre robe de dessus, donnez celle de dessous , parce que cela vous est beaucoup plus avan-tageux que de plaider. » Hélas ! qu'un procès fait commet-tre de péchés ! que d'âmes les procès damnent par ces ser-ments faux, ces haines, ces tromperies et ces vengeances !
Mais, voici, M.F., les serments qui se font le plus souvent, ou plutôt, à tout bout de champ. Quand nous disons quelque chose à quelqu'un, s'il ne veut pas nous croire, nous jurons même avec serment. Les pères et mères, les maîtres et maîtresses doivent bien prendre garde à cela : souvent leurs enfants ou leurs domesti-ques ont fait quelque faute, ils les pressent de leur dire, si c'est eux ; et les enfants ou les domestiques, crainte d'être battus ou grondés, jureront combien de fois que ce n'est pas vrai, qu'ils veulent bien ne pas bouger de la place, si cela est. Il vaut bien mieux ne rien dire et en souffrir la perte, que de les faire damner. D'ailleurs, qu'avancez-vous ? Vous offensez tous le bon Dieu, et puis, c'est tout ce que vous avez. Quel regret, M.F., si, au jour du jugement, vous voyez ces pauvres enfants damnés pour une bagatelle et une chose de rien.
Il y en a encore d'autres qui jurent ou promettent de faire ou de donner quelque chose à un autre, sans avoir l'intention de le faire. Il faut bien examiner avant de promettre une chose, si on pourra la faire. Avant de la promettre, il ne faut jamais dire : « Si je ne fais pas cela, je veux bien ne jamais voir le bon Dieu, ne pas bouger de la place. » Prenez garde, M.F., ce sont des péchés plus horribles que vous ne pouvez le compren-dre. Si, par exemple, vous avez, dans un accès de colère, promis de vous venger, il est bien certain qu'il ne faudrait pas le faire ; mais, au contraire, bien en demander pardon au bon Dieu. Le Saint-Esprit nous dit que celui qui jurera sera puni...

II – 1° Si vous me demandez ce que l'on entend par ce mot de blasphème... Ce péché, M.F., est si horrible, qu'il semble que des chrétiens ne devraient pas avoir la force de le proférer. Le blasphème est un mot qui veut dire maudire et détester une beauté infinie, ce qui indi-que que ce péché s'attaque directement au bon Dieu. Saint Augustin nous dit : « Nous blasphémons lorsque nous attribuons au bon Dieu quelque chose qu'il n'a pas ou qui ne lui convient pas, ou bien qu'on lui ôte ce qui lui convient, ou enfin, quand on s'attribue, à soi-même ce qui convient à Dieu, et qui n'est dû qu'à lui seul. » Je dis donc que nous blasphémons : 1° lorsque nous disons que le bon Dieu n'est pas juste d'en faire de si riches et qui ont tout en abondance, tandis que tant d'autres sont si misérables, qu'ils ont à peine du pain à manger ; 2° qu'il n'est pas si bon que l'on dit, puisqu'il laisse tant de personnes dans le mépris et les infirmités, tandis que d'autres sont aimées et respectées de tout le monde. ; 3° ou bien en disant que le bon Dieu ne voit pas tout, qu'il en fait pas attention à ce qui se passe sur la terre : 4° ou encore en disant : « Si le bon Dieu fait miséricorde à un tel, il n'est pas juste ; il en a trop fait ; » 5° ou bien, quand nous faisons quelque perte, et que nous nous emportons contre le bon Dieu en disant : « Ah ! que je suis malheureux ! le bon Dieu ne m'en peut pas faire davantage ! je crois qu'il ne me sait pas au monde, ou s'il me sait, ce n'est que pour me faire souffrir ! » C'est aussi un blasphème que de se moquer de la sainte Vierge et des saints, en disant : « En voilà un qui n'a pas grand pouvoir : j'ai fait tant de prières, je n'ai jamais rien obtenu. »
Saint Thomas nous dit encore que le blasphème est une parole injurieuse, outrageuse contre le bon Dieu ou contre les saints ; ce qui se fait en quatre manières : 1° Par affirmation, en disant : « Le bon Dieu est un cruel et un injuste de permettre que je souffre tant de maux, que l'on me calomnie de la sorte, que l'on me laisse perdre cet argent ou ce procès. Ah ! que je suis malheu-reux ! tout périt chez moi, je ne puis rien avoir ; tandis que tout réussit chez les autres. » 2° On blasphème en disant que le bon Dieu n'est pas tout-puissant, et que l'on peut faire quelque chose sans lui. Ce fut ce blasphème que Sennachérib, roi des Assyriens, pro-féra, lorsqu'il assiégea la ville de Jérusalem, en disant que, malgré le bon Dieu, il prendrait la ville. Il se mo-quait de Dieu, en disant qu'il n'était pas assez puissant pour lui empêcher d'entrer et de mettre tout à feu et à sang. Mais le bon Dieu, pour punir ce misérable de son blasphème et lui montrer qu'il était tout-puissant, lui envoya un ange qui, dans une seule nuit, lui tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes. Le roi, le lende-main, voyant toute son armée égorgée, sans savoir par qui, s'enfuit, tout épouvanté à Ninive, où il fut tué lui--même par ses deux enfants. 3° On blasphème, lorsqu'on attribue à une créature ce qui n'est dû qu'à Dieu, comme ces misérables qui diront à une créature infâme qui sera l'objet de leur passion : « Je vous aime de toute la tendresse de mon cœur... Je vous suis si attaché, que je vous adore ! » Crime qui fait horreur, et cependant bien commun, du moins dans l'action. 4° On blasphème, en disant : « Ah ! S... N... de D... » Cela fait horreur !
Ce péché est si grand et si affreux aux yeux de Dieu, qu'il attire toutes sortes de malheurs sur la terre. Les Juifs avaient tant d'horreur des blasphèmes, que, quand ils entendaient quelqu'un qui blasphémait, ils déchiraient leurs habits. Ils n'osaient pas même prononcer ce mot, ils l'appelaient : Bénédiction. Le saint homme Job avait si peur que ses enfants eussent blasphémé, qu'il offrait des sacrifices au Seigneur dans le cas qu'ils eussent blas-phémé ... Saint Augustin dit que ceux qui blasphèment Jésus-Christ étant dans le ciel, sont plus cruels que ceux qui l'ont crucifié étant sur la terre. Le mauvais larron blasphémait Jésus-Christ étant sur la croix, en disant : « S'il est Tout-Puissant, qu'il se délivre et nous aussi. » Le prophète Nathan dit au roi David : « Parce que vous avez été cause que l'on a blasphémé le nom du bon Dieu, votre enfant mourra, et le châtiment ne sor-tira point de votre maison de toute votre vie. » Le bon Dieu nous dit : « Celui qui blasphèmera le nom du Sei-gneur, je veux qu'il soit mis à mort. » Nous lisons dans l'Écriture sainte qu'on amena à Moïse un homme qu avait blasphémé. Moïse consulta le Seigneur, qui lui dit qu'il fallait le mener dans un champ, et le faire mourir c'est-à-dire, l'assommer à coup de pierres .
Nous pouvons dire que le blasphème est vraiment le langage de l'enfer. Saint Louis, roi de France, avait tellement en horreur ce crime, qu'il avait ordonné que tous les blasphémateurs seraient marqués d'un fer rouge au front. Lui ayant amené un bourgeois de Paris qui avait blasphémé, plusieurs voulurent solliciter sa grâce ; mais le roi leur dit qu'il voudrait mourir lui-même pour détruire ce maudit péché, et ordonna qu'il fût puni. L'empereur Justin faisait arracher la langue à ceux qui avaient eu le malheur de commettre un si grand crime. Pendant le règne du roi Robert, le royaume de France était accablé de toutes sortes de malheurs, et le bon Dieu révéla à une sainte que tant que les blasphèmes dureraient, les châtiments dureraient. L'on porta une loi, qui condamnait tous ceux qui blasphémaient à avoir la langue percée d'un fer rouge pour la première fois, et ordonnait que, la deuxième fois, on les ferait mourir.
Prenez bien garde, M.F., que si le blasphème règne dans vos maisons, tout ira en périssant. Saint Augustin nous dit que le blasphème est un plus grand péché que le parjure ; parce que, nous dit-il, par le parjure, nous prenons le nom du bon Dieu à témoin d'une chose fausse, au lieu que par le blasphème, nous disons une chose fausse du bon Dieu. Quel crime ! qui de nous a pu jamais le comprendre ? Saint Thomas nous dit encore qu'il y a une autre sorte de blasphème contre le Saint-Esprit, qui se commet en trois façons : 1° en attri-buant au démon les œuvres du bon Dieu, comme fai-saient les Juifs, qui disaient que Jésus-Christ chassait les démons au nom du prince des démons ; comme fai-saient les tyrans et les bourreaux, qui attribuaient à la magie et au démon les miracles que les saints faisaient ; 2° L'on blasphème contre le Saint-Esprit, nous dit saint Augustin, « quand on meurt dans l'impénitence finale. » L'impénitence est un esprit de blasphème ; puisque la rémission de nos péchés se fait par la charité, qui est le Saint-Esprit ; 3° Quand nous faisons des actions qui sont directement opposées à la bonté de Dieu, comme lorsque nous désespérons de notre salut, et que nous ne voulons pas prendre tous les moyens de l'obtenir ; comme lors-que nous sommes fâchés de ce que d'autres reçoivent plus de grâces que nous. Prenez bien garde de ne jamais vous laisser aller à ces sortes de péchés, parce qu'ils sont si affreux ! Nous traitons le bon Dieu d'in-juste, en disant qu'il donne plus aux autres qu'à nous.
N'avez-vous pas blasphémé, M.F., en disant qu'il n'y a de Providence que pour les riches et les méchants ? N'avez-vous pas blasphémé, quand il vous arrive quelque perte, en disant : « Mais qu'ai-je donc fait au bon Dieu de plus qu'un autre, pour que j'aie tant de malheurs ? » – Ce que vous avez fait, mon ami ! levez les yeux et vous verrez que vous l'avez crucifié. N'avez-vous pas encore blasphémé en disant que vous êtes trop tenté, que vous ne pouvez pas faire autrement, que c'est votre sort ?... Eh quoi ! M.F., vous n'y pensez pas ?... C'est que le bon Dieu vous aurait fait vicieux, colères, empor-tés, fornicateurs, adultères, blasphémateurs ! Vous n'avez pas la foi du péché originel qui a dégradé l'homme de l'état de droiture et de justice, dans lequel nous avons d'abord été créés ! C'est plus fort que vous... Mais, mon ami, la religion ne vient donc pas à votre aide pour vous faire connaître toute la corruption originelle ? Et vous osez, misérable, blasphémer encore contre celui qui vous l'a donnée comme le plus grand don qu'il pou-vait vous faire !
N'avez-vous pas encore blasphémé contre la sainte Vierge et les saints ? Ne vous êtes-vous pas moqué de leurs vertus, de leurs pénitences et de leurs miracles ? Hélas ! dans ce malheureux siècle, combien ne trouvons--nous pas d'impies qui portent leur impiété jusqu'à mépriser les saints qui sont dans le ciel et les, justes qui sont sur la terre ; combien de personnes qui se raillent des austérités qu'ont faites les saints, et qui ne veulent ni servir le bon Dieu, ni souffrir que les autres le ser-vent. Voyez encore, M.F., si vous n'avez pas fait répéter vos jurements et vos blasphèmes aux enfants. Ah ! malheureux, quels sont les châtiments qui vous atten-dent dans l'autre vie !
2° Mais, me direz-vous, quelle différence y a-t-il entre le blasphème et le reniement de Dieu ? – Il y a, M.F., une grande différence entre les blasphèmes et les reniements de Dieu. En parlant de reniement, je ne veux pas parler de ceux qui renient le bon Dieu en quittant la véritable religion : nous appelons ces personnes-là des renégats, ou des apostats. Mais je veux parler de ceux qui, en parlant, ont cette maudite habitude, par colère et par emportement, de renier le saint nom de Dieu : comme une personne qui perdra dans un marché qu'elle fera, ou au jeu, elle s'emporte contre Dieu, comme voulant faire croire qu'il en est la cause. Lorsque cela vous ar-rive, il faut que le bon Dieu essuie toutes les fureurs de votre colère, comme s'il était la cause de votre perte, ou de l'accident qui vous est arrivé. Ah ! malheureux, celui qui vous a tiré du néant, qui vous conserve et qui vous comble continuellement de biens, vous osez encore le mépriser, profaner son saint nom et le renier ; tandis que, s'il avait écouté sa justice, depuis longtemps vous seriez abîmés dans les enfers ! Nous voyons ordinaire-ment qu'une personne qui a le malheur de commettre ces gros crimes fait une fin malheureuse. Il est rapporté dans l'histoire, qu'il y avait un homme malade et réduit à la misère. Un missionnaire étant entré chez lui pour le voir et le confesser, le malade lui dit : « Ah ! mon père, le bon Dieu me punit de mes colères, de mes emportements, de mes blasphèmes et de mes reniements de Dieu. Je suis malade depuis bien longtemps, je suis extrêmement pauvre, tout mon bien a fait une mauvaise fin ; mes enfants me méprisent et m'abandonnent, ils ne valent rien, à cause des mauvais exemples que je leur ai donnés ; il y a déjà bien longtemps que je souffre sur ce pauvre grabat ; ma langue est toute pourrie, je ne peux rien avaler sans ressentir des douleurs incroyables. Hé-las ! mon père, je crains bien, qu'après avoir bien souf-fert en ce monde, il me faille encore souffrir dans l'autre vie. » Nous voyons même de nos jours, que ces jureurs et ces renieurs du saint nom de Dieu font presque tou-jours des fins malheureuses. Prenez bien garde, M.F., si vous avez cette mauvaise habitude, il faut vite vous corriger, crainte que si vous ne faites pas pénitence en ce monde, vous n'alliez la faire dans les enfers. Ne per-dez jamais de vue que votre langue ne doit être employée que pour prier le bon Dieu et chanter ses louanges. Si vous avez la mauvaise coutume de jurer, il faut souvent prononcer le saint nom de Jésus avec bien du respect, pour purifier vos lèvres.
3° Si, maintenant, vous me demandez ce que l'on en-tend par malédiction et par imprécation ; c'est, M.F., dans un moment de colère ou de désespoir, maudire une personne, une chose ou une bête ; c'est vouloir l'anéantir ou la rendre malheureuse. Le Saint-Esprit nous dit que celui qui a souvent la malédiction à la bou-che doit bien craindre que le bon Dieu ne lui accorde ce qu'il souhaite. Il y en a qui ont toujours le démon à la bouche, qui lui donnent tout ce qui les fâche. Si une bête, en travaillant, ne va pas comme ils veulent, ils la maudissent, ou la donnent au démon. Il y en a qui, quand le temps est mauvais, disent : « Maudit temps ! maudite pluie ! ah ! maudit froid ! ah ! maudits enfants ! ... » N'ou-bliez jamais que le Saint-Esprit nous dit qu'une malédiction prononcée en vain et légèrement, tombera sur quel-qu'un. Saint Thomas nous dit que si nous prononçons une malédiction contre quelqu'un, c'est un péché mor-tel, si l'on souhaite ce que l'on dit. Saint Augustin nous dit qu'une mère avait maudit ses enfants, qui étaient au nombre de sept ; ils furent tous possédés du démon. L'on voit que plusieurs enfants, pour avoir été maudits de leurs parents, avaient été infirmes et misé-rables toute leur vie. Nous lisons qu'il y avait une fois une mère que sa fille avait fait mettre en colère, elle lui dit : « Je voudrais que le bras te séchât ! » En effet, à cette enfant, le bras lui sécha presque tout de suite .
Les gens mariés doivent bien prendre garde de ne jamais se maudire. II y en a qui, s'ils sont malheureux dans leur ménage, maudissent la femme, les enfants, les parents et ceux qui se sont mêlés du mariage. Hélas ! mon ami, tout votre malheur vient de ce que vous y êtes entré avec une conscience toute couverte de péchés. Pensez à cela devant le bon Dieu, et vous verrez que c'est la vérité. Les ouvriers ne doivent jamais maudire leur travail, ni ceux qui les font travailler ; d'ailleurs, vos malédictions ne font pas mieux aller vos affaires : au contraire, si vous preniez patience, si vous saviez bien offrir toutes vos peines au bon Dieu, vous gagneriez beaucoup pour le ciel. N'avez-vous pas encore maudit les instruments dont vous vous servez pour travailler, en disant : « Maudite bêche, maudite serpe, maudite charrue ! » et le reste. Voilà, M.F., ce qui attire toute sorte de malédictions sur vos bêtes, vos travaux et vos terres, qui souvent sont ravagées par les grêles, ou les pluies et les gelées. Ne vous êtes-vous pas maudit vous même : « Ah ! si, au moins, je n'avais jamais vu le jour !... si j'étais mort en venant au monde !... Ah ! si j'étais encore dans le néant !... » hélas ! que de péchés, dont une bonne partie ne s'accusent nullement, et n'y pensent pas même ! Je vous dirai encore que vous ne devez jamais maudire ni vos enfants, ni vos bêtes ! ni votre travail, ni le temps, parce qu'en tout cela, vous maudissez de ce que le bon Dieu fait sa sainte volonté. Les enfants doivent bien prendre garde de ne jamais donner à leurs parents occasion de les maudire, ce qui est le plus grand de tous les malheurs ; souvent un enfant maudit de ses parents est maudit du bon Dieu. Lorsque quelqu'un vous aura fait quelque chose qui vous fâchera, eh bien ! au lieu de le donner au démon, ne feriez-vous pas mieux de lui dire : « Que le bon Dieu vous bénisse ! » Alors vous seriez véritablement les bons serviteurs du bon Dieu, qui rendent le bien pour le mal.
Il y aurait encore à vous parler, sur ce commande ment, des vœux que l'on fait. Il faut bien prendre garde de ne jamais faire des vœux sans consulter. Il y a des personnes qui, quand elles sont malades, se vouent à tous les saints, et ensuite, ne se mettent pas en peine d'accomplir leurs vœux. I1 faut encore voir si vous les avez bien faits comme il faut, c'est-à-dire, étant en état de grâce, si vous les avez….  les dimanches, les fêtes d'obligation. Hélas ! que de péchés se commettent dans ces vœux ! ce qui, loin de plaire au bon Dieu, ne peut que l'offenser !
Si vous me demandiez pourquoi est-ce qu'il y en a tant maintenant qui jurent, qui font des serments faux, qui prononcent des malédictions et des imprécations affreuses et des reniements de Dieu ; je vous dirais que ceux qui se livrent à ces sortes d'horreurs sont ceux qui n'ont ni foi, ni religion, ni conscience, ni vertu, ce sont des gens en partie abandonnés du bon Dieu. Que nous serions plus heureux si nous avions le bonheur de n'em-ployer notre langue, qui a été consacrée au bon Dieu par le saint Baptême, qu'à prier un Dieu si bon, si bien-faisant, et à chanter ses louanges ! Puisque c'est pour cela que le bon Dieu nous a donné une langue, tâchons, M F., de la lui consacrer ; afin qu'après cette vie, nous ayons le bonheur d'aller le bénir pendant toute l'éternité dans le ciel. C'est ce que je vous souhaite.
 

 6ème dimanche après la Pentecôte
Sur la Communion
 

Panis quem ego dabo, caro mea est pro mundi vita.
Le pain que je vous donnerai, c'est ma propre chair pour la vie du monde.
(S.Jean, VI, 52.)

Qui de nous, M.F., aurait jamais pu comprendre que Jésus-Christ eût porté son amour envers ses créatures jusqu'à leur donner son Corps adorable et son Sang précieux pour servir de nourriture à nos âmes, si ce n'était lui-même qui nous le dise ? Eh quoi ! M.F., une âme se nourrir de son Sauveur !... et cela autant de fois qu'elle le désire !... O abîme de bonté et d'amour d'un Dieu pour ses créatures ! ... Saint Paul nous dit, M.F., que le Sauveur, en se revêtant de notre chair, a caché sa divinité et a porté l'humiliation jusqu'à l'anéantisse-ment. Mais, en instituant le sacrement adorable de l'Eucharistie, il a voilé jusqu'à son humanité, il n'a laissé paraître que les entrailles de sa miséricorde. Oh ! M.F., voyez de quoi est capable l'amour d'un Dieu pour ses créatures !... Non, M.F., de tous les sacrements, il n'y en a point qui puisse être comparé à celui de l'Eucha-ristie. Dans celui du Baptême nous recevons, il est vrai, la qualité d'enfants de Dieu et, par conséquent, nous avons part à son royaume éternel ; dans celui de la Pénitence, les plaies de notre âme sont guéries et l’amitié de notre Dieu nous est rendue ; mais dans le sacrement adorable de l'Eucharistie, non seulement nous recevons l'application de son Sang précieux, mais encore l'auteur de toute grâce. Saint Jean nous dit que Jésus-Christ « ayant aimé les hommes jusqu'à la fin  , » trouva le moyen de monter au ciel sans quitter la terre il prit du pain entre ses mains saintes et vénérables, le bénit et le changea en son Corps ; il prit du vin et le changea en son Sang précieux, et donna à tous les prêtres, dans la personne de ses apôtres, le pouvoir de faire le même miracle, toutes les fois qu'ils prononce-raient les mêmes paroles ; afin que, par ce miracle d'amour, il pût rester avec nous, nous servir de nourri-ture, nous consoler et nous tenir compagnie. « Celui, nous dit-il, qui mange ma chair et qui boit mon sang vivra éternellement ; mais celui qui ne mange pas ma chair et qui ne boit pas mon sang n'aura pas la vie en lui . » Oh ! M.F., quel bonheur pour un chrétien d'aspirer à un si grand honneur que de se nourrir du pain des anges !... Mais, hélas ! qu'il y en a peu qui le com-prennent !... Ah ! M.F., si nous comprenions la grandeur du bonheur que nous avons de recevoir Jésus-Christ, ne travaillerions-nous pas continuellement à le mériter ? Pour vous faire concevoir une idée de la grandeur de ce bonheur, je vais vous montrer : 1° combien est grand le bonheur de celui qui reçoit Jésus-Christ dans la sainte communion et 2° les fruits que nous en devons tirer.

I. – Vous savez tous, M.F., que la première dispo-sition pour recevoir dignement ce grand sacrement, c'est d'avoir bien examiné sa conscience, après avoir imploré les lumières du Saint-Esprit ; et d'avoir bien avoué ses péchés, avec toutes les circonstances qui peuvent les rendre plus graves ou en changer l'espèce, les faisant connaître tels que Dieu nous les fera connaître quand il nous jugera. C'est d'avoir une grande douleur de les avoir commis, et même d'être prêts à sacrifier tout ce que nous avons de plus cher plutôt que de les recom-mettre. C'est enfin d'avoir un grand désir de nous unir à Jésus-Christ. Voyez l'empressement des mages à cher-cher Jésus-Christ dans sa crèche ; voyez la sainte Vierge ; voyez sainte Magdeleine, comme elle s'empresse à cher-cher le Sauveur ressuscité.
Je ne veux pas, M.F., entreprendre de vous montrer toute la grandeur de ce sacrement, ceci n'est pas donné à un homme ; il faudrait être Dieu lui-même pour vous raconter les grandeurs de ces merveilles ; car ce qui nous jettera dans l'étonnement pendant toute l'éternité, c'est que nous, étant si misérables, ayons reçu un Dieu si grand. Cependant, M.F., pour vous en donner une idée, je vais vous montrer que Jésus-Christ n'a jamais passé dans un lieu, pendant sa vie mortelle, sans y ré-pandre ses bénédictions les plus abondantes, et, par conséquent, combien doivent être grands et précieux les biens que reçoivent ceux qui sont si heureux que de le recevoir dans la sainte communion ; ou que, si nous disions mieux, tout notre bonheur en ce monde consiste à recevoir Jésus-Christ dans la sainte communion ; ce qui est très facile à comprendre : car la sainte commu-nion est profitable, non seulement à notre âme en la nourrissant, mais encore à notre corps, comme nous allons le voir.
Nous lisons dans l'Évangile que Jésus-Christ, entrant dans la maison de sainte Élisabeth, quoiqu'il fût ren-fermé dans le sein de sa mère, la mère et l'enfant furent remplis du Saint-Esprit, et saint Jean fut même purifié du péché originel, et la mère s'écria : « Ah ! d'où me vient un bonheur si grand que la mère de mon Dieu daigne venir à moi  ? » Je vous laisse à penser, M.F., combien est plus grand encore le bonheur de celui qui reçoit Jésus-Christ dans la sainte communion, non dans sa maison, comme Élisabeth, mais dans le fond de son cœur ; maître de le garder, non six mois, comme Élisabeth, mais toute notre vie. Lorsque le saint vieillard Siméon qui, depuis tant d'années, soupirait après le bonheur de voir Jésus-Christ, le reçut seulement entre ses mains ; il en fut si transporté de joie et si ravi que, ne se possé-dant plus, il s'écria dans ses transports d'amour : « O Seigneur, que puis-je désirer maintenant sur la terre, puisque mes yeux ont vu le Sauveur du monde ?... Je puis maintenant mourir en paix  ! » Mais encore une fois, M.F., quelle différence entre le recevoir entre ses bras, le contempler quelques instants, et le recevoir dans son cœur ?... O mon Dieu ! que nous connaissons peu notre bonheur !... Lorsque Zachée, entendant parler de Jésus-Christ, désira grandement le voir, en étant empêché par la foule du monde qui accourait de toute part, il monta sur un arbre. Mais le Seigneur, le voyant, lui dit : « Zachée, descendez, parce que je veux aller aujourd'hui loger chez vous. » II se hâte de descendre et court préparer tout ce qu'il peut pour recevoir le. Sau-veur. En entrant dans sa maison, celui-ci dit : « C'est au-jourd'hui que cette maison a reçu le salut. » Zachée, voyant la grande charité de Jésus-Christ d'être venu loger chez lui, dit : « Seigneur, je donnerai la moitié de mon bien aux pauvres, et je rendrai au double à tous ceux à qui j'ai fait quelques torts . » De sorte que, M.F., la seule visite de Jésus-Christ, d'un grand pécheur en fit un grand saint, puisqu'il eut le bonheur de persévérer, jusqu'à la mort. Nous lisons dans l'Évangile que, lorsque Jésus-Christ entra dans la maison de saint Pierre, celui-ci le pria de gué-rir sa belle-mère, qui était travaillée d'une violente fièvre. Jésus-Christ commanda à la fièvre de la quitter, à l'instant même elle fut guérie, au point qu'elle les servit à table . Voyez encore cette femme, qui était atteinte d'une perte de sang, elle se disait à elle-même : « Si je puis, si j'a-vais seulement le bonheur de toucher le bas de sa robe, je serais guérie ; » et, en effet, lorsque le Sauveur passa, elle se jeta à ses pieds et fut parfaitement guérie . Qui fut encore la cause que le Sauveur alla ressusciter Lazare, mort depuis quatre jours ?... N'est-ce pas parce que celui-ci l'avait souvent reçu chez lui, qu'il lui mon-tra un si grand attachement qu'il en versa des larmes. Les uns lui demandaient la vie, les autres, la guérison de tout leur corps ; et personne ne se retirait sans avoir obtenu ce qu'il désirait. Je vous laisse à penser s'il veut bien accorder tout ce qu'on lui demande. Quels torrents de grâces ne doit-il pas accorder, lorsque c'est lui-même qui vient dans nos cœurs, pour y fixer sa demeure pour le reste de nos jours ? Oh ! M.F., quel bonheur pour celui qui reçoit Jésus-Christ dans la sainte communion, étant bien disposé ! ... Ah ! qui pourra jamais comprendre le bonheur du chrétien qui reçoit Jésus-Christ dans son cœur, qui, par là, devient un petit ciel ; lui seul est aussi riche que tout le ciel ensemble.
Mais, me direz-vous, pourquoi donc la plupart des chrétiens sont-ils si insensibles à ce bonheur, que plu-sieurs même le méprisent, et raillent ceux qui sont si heureux de le recevoir ? – Hélas ! mon Dieu, quel mal-heur est comparable à celui-là ! C'est que ces pauvres malheureux n'ont jamais connu ni goûté la grandeur de ce bonheur. En effet, M.F., un homme mortel, une créa-ture, se nourrir, se rassasier de son Dieu, en faire son pain quotidien ! ô miracle des miracles ! ô amour des amours !... ô bonheur des bonheurs, qui n'est pas même connu des anges !... O mon Dieu ! quelle joie pour un chrétien qui a la foi, qui, en se levant de la Table sainte, s'en va avec tout le ciel dans son cœur !... Ah ! heureuse maison où ces chrétiens habitent ! ... quel respect ne doit-on pas avoir pour eux, pendant toute la journée. Avoir, dans sa maison, un second tabernacle où le bon Dieu a résidé véritablement en corps et en âme !...
Mais, peut-être me direz-vous encore, si ce bonheur est si grand, pourquoi donc l'Église nous fait-elle un com-mandement de communier tous les ans une fois ? – Ce commandement, M.F., n'est pas pour les bons chrétiens, il n'est que pour les chrétiens lâches et indifférents pour le salut de leur pauvre âme. Du commencement de l'Église, la plus grande punition que l'on pouvait impo-ser aux chrétiens était de les priver de ce bonheur ; toutes les fois qu'ils avaient le bonheur d'assister à la sainte Messe, ils avaient le bonheur de communier. Mon Dieu ! comment se peut-il faire, que des chré-tiens restent trois, quatre ou cinq et six mois, sans donner cette nourriture céleste à leur pauvre âme ? Ils la laissent mourir de misère !... Mon Dieu ! quel malheur et quel aveuglement !... ayant tant de remèdes pour la guérir et une nourriture si capable de lui con-server la santé !... Hélas ! M.F., disons-le en gémissant, l'on n'épargne rien pour un corps qui tôt ou tard sera détruit et mangé des vers ; et une âme créée à l'image de Dieu, une âme qui est immortelle, est méprisée et traitée avec la dernière cruauté !... L'Église, voyant déjà combien les chrétiens perdaient de vue le salut de leurs pauvres âmes, espérant que la crainte du péché leur ferait ouvrir les yeux, leur fit un commandement qui les obligerait de communier trois fois chaque année, à Noël, à Pâques et à Pentecôte. Mais, par la suite, voyant que les chrétiens devenaient toujours plus insensibles à leur malheur, l'Église a fini par ne plus les obliger de s'ap-procher de leur Dieu qu'une fois tous les ans. O mon Dieu ! quel malheur et quel aveuglement qu'un chrétien soit forcé par des lois à chercher son bonheur ! De sorte que, M.F., quand vous n'auriez point d'autres péchés sur votre conscience que celui de ne pas faire vos pâques, vous seriez damnés. Mais, dites-moi, M.F., quel profit pou-vez-vous trouver en laissant votre âme dans un état si malheureux ?... Vous êtes tranquilles et contents, dites--vous, si toutefois il faut vous croire ; mais, dites-moi où vous pouvez trouver votre tranquillité et votre contente-ment ? Est-ce parce que votre âme n'attend que le mo-ment où la mort la frappera pour être traînée en enfer ? Est-ce parce que le démon est maître de nous ? Mon Dieu ! quel aveuglement et quel malheur pour celui qui a perdu la foi !
Pourquoi encore, M.F., l'Église a-t-elle établi l'usage du pain béni, que l'on distribue pendant la sainte Messe, et qui, par la bénédiction que l'Église lui donne, est distingué des choses ordinaires ? Si vous ne le savez pas, M.F., je vais vous le dire. C'est pour consoler les pécheurs, et en même temps pour les couvrir de con-fusion. Je dis, c'est pour consoler les pécheurs, parce que, au moins, en prenant ce pain qui est béni, il leur fait avoir quelque part au bonheur de ceux qui reçoi-vent Jésus-Christ, en s'unissant à eux par un grand désir de le recevoir et une foi bien vive. Mais aussi, c'est pour les couvrir de confusion : en effet, quelle con-fusion, si leur foi n'était pas encore éteinte, de voir aller un père ou une mère, un frère ou une sœur, un voisin ou une voisine, à la table sainte, se nourrir du corps adorable de Jésus-Christ, et de s'en voir priver soi-même ! O mon Dieu ! quel malheur, et d'autant plus grand qu'on ne le comprend pas !... Oui, M.F., tous les saints Pères nous disent qu'en recevant Jésus-Christ dans la sainte communion, nous recevons toutes sortes de bénédictions pour le temps et pour l'éternité ; en effet, si je demandais à un enfant : « Doit-on désirer de communier ? – Oui, me répondrait-il. – Et pourquoi ? – A cause des excellents effets que la sainte commu-nion produit en nous. – Mais quels sont ces effets ? – Il me dirait : la sainte communion nous unit intime-ment à Jésus-Christ, elle affaiblit notre penchant au mal, elle augmente en nous la vie de la grâce, elle est pour nous le principe et « le gage de la vie éter-nelle. »
Je dis 1° que la sainte communion nous unit intime-ment à Jésus-Christ ; union si intime, M.F., que Jésus-Christ nous dit lui-même : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui ; ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang un véri-table breuvage  ; » de sorte que, M.F., par la sainte communion, le sang adorable de Jésus-Christ coule vé-ritablement dans nos veines, sa chair est vraiment mêlée avec la nôtre ; ce qui fait dire à saint Paul : « Ce n'est pas moi qui agis, qui pense ; mais c'est Jésus-Christ qui agit et qui pense en moi. Ce n'est pas moi, nous dit-il, qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi . » Saint Léon nous dit que, quand nous avons le grand bonheur de communier, nous renfermons véri-tablement le corps adorable et le sang précieux de Jésus-Christ et sa divinité dans nous-mêmes. Dites-moi, comprenez-vous bien toute la grandeur de ce bonheur ? Ah ! non, non, M.F., ce ne sera que dans le ciel que nous le comprendrons. O mon Dieu ! une créature enrichie d'un tel don ! ...
2° Je dis qu'en recevant Jésus-Christ dans la sainte communion, nous y recevons une augmentation de grâces, ce qui est facile à comprendre ; puisqu'en rece-vant Jésus-Christ, nous recevons la source de toutes sortes de bénédictions spirituelles, qui prennent nais-sance dans nos âmes. En effet, M.F., celui qui reçoit Jésus-Christ sent en lui la foi se ranimer ; nous sommes plus pénétrés des vérités de notre sainte religion ; nous sentons mieux la grandeur du péché et ses dangers ; la pensée du jugement nous effraie davantage, la perte de Dieu nous devient plus sensible. En recevant Jésus-Christ, notre esprit se fortifie ; nous sommes fermes dans les combats, nos intentions sont plus pures dans tout ce que nous faisons et notre amour s'enflamme de plus en plus. La pensée que nous possédons Jésus-Christ dans nos cœurs, le plaisir que nous éprouvons dans ce moment heureux semble nous unir et nous lier tellement à Dieu, que notre cœur ne peut penser et ne peut désirer que Dieu seul. La pensée de la possession parfaite de Dieu nous remplit tellement que notre vie nous parait longue ; nous portons envie, non à ceux qui vivent longtemps, mais à ceux qui partent de bonne heure pour aller se réunir à Dieu pour jamais. Tout ce qui nous annonce la destruction de notre corps nous réjouit. Voilà, M.F., le premier effet que la sainte com-munion produit en nous, quand nous sommes si heu-reux que de recevoir Jésus-Christ dignement.
3° Nous disons que la sainte communion affaiblit notre penchant au mal, ce qui est très facile à comprendre. Le sang précieux de Jésus-Christ, qui coule dans nos veines, et son corps adorable qui se mêle avec le nôtre, ne peut pas moins faire que de détruire ou, du moins, d'affaiblir grandement le penchant au mal que le péché d'Adam y avait fait naître. Cela est si vrai, M.F., que quand l'on vient de recevoir Jésus-Christ, on sent un nouveau goût pour les choses du ciel et un nouveau mépris pour les choses créées. Dites-moi, M.F., com-ment voulez-vous que l'orgueil puisse trouver entrée dans un cœur qui vient de recevoir un Dieu, qui, en descendant dans son âme, s'est humilié jusqu'à l'anéan-tissement ? Pourrait-il consentir à croire que, de soi--même, il est quelque chose ? Au contraire, pourra-t-il trouver assez de quoi s'humilier et se mépriser ? Un cœur qui vient de recevoir un Dieu qui est si pur, qui est la sainteté même, ne sent-il pas naître en lui l'horreur la plus exécrable pour tout péché d'impureté ? Ne serait--il pas plutôt prêt à se laisser couper en morceaux, que de consentir, je ne dis pas à une mauvaise action, mais même à une mauvaise pensée ? Un cœur qui vient de recevoir, dans la sainte communion, Celui à qui tout appartient, et qui a passé sa vie dans la plus grande pauvreté ; qui « n'avait pas même où reposer sa tête » sainte et sacrée, sinon sur une poignée de paille ; qui est mort tout nu sur une croix ; dites-moi, ce cœur pourrait-il bien s'attacher aux biens du monde en voyant la manière dont Jésus-Christ s'est conduit ? Une langue qui, depuis un instant, a été si heureuse que de porter son Créateur et son Sauveur, pourrait-elle bien oser s'employer à des paroles sales, à des baisers impurs ? Non, sans doute, elle n'oserait jamais le faire. Des yeux qui, depuis peu, désiraient si vivement de contempler leur Créateur qui est plus pur que les rayons du soleil, pourraient-ils bien, M.F., après un tel bonheur, se fixer sur des objets impurs ? Cela semble n'être pas possible. Un cœur, qui vient de servir de trône à Jésus-Christ, pourrait-il bien le chasser, pour y placer le péché ou plutôt le démon lui-même ? Voyez même : un cœur, qui serait une fois saisi des chastes embrassements de son Sauveur, ne pourrait point trouver d'autre bonheur qu'en lui. Un chrétien qui vient de recevoir Jésus-Christ mort pour ses ennemis, pourrait-il en vouloir à ceux qui lui ont fait quelque peine ? Non, sans doute ; son plaisir, sera de leur faire du bien autant qu'il pourra. Aussi saint Bernard disait à ses religieux : « Mes enfants, si vous vous sentez moins portés au mal, et plus au bien, remerciez- en Jésus-Christ, qui vous accorde cette grâce dans la sainte communion. »
4° Nous disons que la sainte communion est pour nous « le gage de la vie éternelle , » de sorte que la sainte communion nous assure le ciel ; ce sont des arrhes que le ciel nous envoie pour nous dire qu'il sera un jour notre demeure ; et, bien plus, Jésus-Christ ressuscitera nos corps d'autant plus glorieux, à proportion que nous l'aurons souvent et dignement reçu. Oh ! M.F., si nous pouvions bien comprendre combien Jésus-Christ aime à venir dans notre cœur !... Une fois qu'il y est, il ne vou-drait plus en sortir, il ne peut plus se séparer de nous pendant notre vie ni après notre mort !... Nous lisons dans la vie de sainte Thérèse, qu'étant apparue après sa mort à une religieuse, en compagnie de Notre-Sei-gneur ; cette religieuse, étonnée de voir Jésus-Christ apparaître avec elle, demanda à Jésus-Christ pourquoi il lui apparaissait ainsi. Le Sauveur lui-même répondit que Thérèse, pendant sa vie, lui avait été si unie par la sainte communion, qu'il ne pouvait s'en séparer. Non, M.F., nous n'avons point d'actions qui embellissent plus nos corps pour le ciel que la sainte communion.
Oh ! M.F., quelle gloire vont avoir ceux qui auront communié souvent et dignement pendant leur vie !... Le corps adorable de Jésus-Christ et son sang précieux, qui seront répandus partout dans notre corps seront, semblables à un beau diamant dans une gaze, qui, quoique caché, n'en ressort que mieux. Si vous en doutez, écoutez saint Cyrille d'Alexandrie qui nous dit que celui qui reçoit Jésus-Christ dans la sainte communion est telle-ment uni à lui, qu'ils sont semblables à deux morceaux de cire que l'on fait fondre et qui finissent par ne faire qu'un, et qui sont tellement mêlés et confondus ensem-ble qu'on ne peut plus les démêler. Oh ! M.F., quel bonheur pour un chrétien qui comprend cela !... Sainte Catherine de Sienne s'écriait dans ses transports d'amour : « O mon Dieu ! ô mon Sauveur ! ah ! quel excès de charité et de bonté pour les créatures de vous donner avec tant d'empressement ! Et, en vous donnant, vous donnez tout ce que vous avez et tout ce que vous êtes ! Mon tendre Sauveur, lui disait-elle, je vous en conjure, arrosez ma pauvre âme de votre sang précieux, nourrissez mon corps de votre corps adorable, afin que mon corps et mon âme ne soient que pour vous, et n'aspirent uniquement qu'à vous plaire et à vous possé-der. » Sainte Magdeleine de Pazzi nous dit qu'il ne fau-drait qu'une seule communion, faite avec un amour tendre et un cœur bien pur, pour nous élever à la plus haute perfection. La bienheureuse Victoire disait à ceux qu'elle voyait languir dans le chemin du ciel : « O mes enfants, pourquoi est-ce que vous vous traînez dans les voies du salut ? Pourquoi est-ce que vous avez si peu de courage pour travailler, pour mériter le grand bon-heur d'aller vous asseoir à la Table sainte et d'y manger le pain des anges qui donne tant de force aux faibles ? Oh ! si vous saviez combien ce pain céleste adoucit les misères de la vie ! Oh ! si une fois vous aviez goûté combien Jésus-Christ est bon et bienfaisant pour celui qui le reçoit dans la sainte communion !... Allez, mes enfants, mangez ce pain des forts, et vous reviendrez remplis de joie et de courage ; vous ne désirerez plus que la souffrance, les tourments et les combats, pour plaire à Jésus-Christ. » Sainte Catherine de Gênes était si affamée de ce pain céleste, qu'elle ne pouvait le voir entre les mains du prêtre sans se sentir mourir d'amour, tant était grand le désir qu'elle avait de le posséder elle s'écriait : « Ah ! Seigneur, venez en moi ! mon Dieu, venez à moi, je ne peux plus y tenir ! Ah ! mon Dieu, venez, s'il vous plait, dans le fond de mon cœur ; non, mon Dieu, je ne peux plus y tenir. Vous êtes toute ma joie, tout mon bonheur et toute la nourriture de mon âme ! »
Oui, M.F., si nous pouvions concevoir un petit peu la grandeur de ce bonheur, nous ne pourrions désirer la vie qu'autant que nous aurions le bonheur de faire de Jésus-Christ notre pain de chaque jour. Non, M.F., toutes les choses créées ne nous seraient plus rien, nous les mépriserions pour nous attacher à Dieu seul, et toutes nos démarches et nos actions ne tendraient qu'à nous rendre tous les jours plus dignes de le recevoir.

II. – Cependant, M.F., si nous avons le bonheur de recevoir tant de biens par la sainte communion, il faut, pour mériter tous ces dons, travailler aussi, de notre côté, à nous en rendre dignes ; ce que nous allons voir d'une manière bien sensible. Si je demandais à un enfant quelles sont les dispositions nécessaires pour bien com-munier, c'est-à-dire pour recevoir dignement le Corps  adorable de Jésus-Christ et son Sang précieux, afin de recevoir les grâces accordées à tous ceux qui sont bien disposés, il me répondrait : « Il y a deux sortes de dispositions, les unes qui regardent l'âme, les autres qui regardent le corps. » Comme Jésus-Christ vient aussi bien dans notre corps que dans notre âme, nous devons donc les rendre l'un et l'autre dignes d'un tel bonheur.
1° Je dis que la première disposition est celle qui regarde le corps ; c'est-à-dire, être à jeûn, ne rien avoir mangé ni bu, ne rien avoir mis dans sa bouche, pas même..., depuis minuit. Si vous doutiez que ce fût plus de minuit, il faut renvoyer votre communion à un autre jour. II y en a qui communient quoiqu'ils doutent que ce fût plus de minuit ; vous vous exposez à commettre un gros péché, ou du moins, vous vous exposez à ne retirer aucun fruit de votre communion, ce qui est un grand malheur, quand même ce serait le dernier jour des pâques ou d'un jubilé, ou une grande fête ; c'est-à--dire qu'il ne faut jamais le faire, sous quelque prétexte que ce soit. Il y a des femmes qui goûtent le manger de leurs enfants, qui se le mettent à la bouche et qui croient ne rien avaler. Ne vous y fiez pas ; parce qu'il est bien difficile de faire ces choses-là sans qu'il en des-cende rien dans le gosier.
2° Je dis qu'il faut avoir des habillements propres, je ne veux pas dire riches, mais seulement qui ne soient point crasseux ni déchirés : c'est-à-dire, lavés et raccom-modés, à moins que l'on n'en ait point d'autres. Il y en a qui n'ont pas de quoi se changer, ou qui, par paresse, ne le font pas, ne changent pas de linge, c'est-à-dire de chemise. Pour ceux qui n'en ont point, il n'y a pas de mal ; mais ceux qui en ont font mal, puisque c'est manquer de respect à Jésus-Christ, qui veut bien venir dans leur cœur. Il faut s'être peigné, avoir le visage et les mains propres ; ne jamais venir à la sainte Table sans avoir des bas, bons ou mauvais. Ce n'est pas que l'on doive approuver ces jeunes personnes qui, en allant à la sainte Table, ne mettent point de différence d'avec l'instant où elles vont dans un bal ou une danse ; je ne sais pas comment elles peuvent aller avec tout leur éta-lage de vanité recevoir un Dieu humilié et méprisé. Mon Dieu, mon Dieu, quelle contradiction !...
La troisième disposition c'est la pureté du corps. Ce sacrement est appelé « le pain des anges », pour nous montrer que, pour le recevoir dignement, il faut appro-cher de la pureté des anges autant que nous le pouvons. Saint Jean Chrysostome nous dit que ceux qui ont le malheur de laisser traîner leur cœur sur quelque objet impur, doivent bien prendre garde de ne pas aller man-ger le pain des anges, parce que le Seigneur les puni-rait. Dans les commencements de l'Église, une personne qui avait péché contre la sainte vertu de pureté était condamnée à rester trois ans sans communier ; et, si elle y retombait, elle en était privée durant sept ans ce qui est facile à comprendre, puisque ce péché souille l'âme et le corps. Saint Jean Chrysostome nous dit que la bouche qui reçoit Jésus-Christ et le corps qui le ren-ferme, doivent être plus purs que les rayons du soleil. Il faut que tout notre extérieur annonce à tous ceux qui nous voient que nous nous préparons à quelque chose de grand.
Vous conviendrez avec moi que si, pour communier, les dispositions du corps sont déjà si nécessaires, je vous laisse à penser combien celles de l'âme le sont encore davantage pour mériter les grâces que Jésus--Christ vient nous apporter en venant en nous par la sainte communion. Oui, M.F., lorsque nous allons à la sainte Table, si nous voulons recevoir Jésus-Christ avec de bonnes dispositions, il faut que notre conscience ne nous reproche rien ; il faut que nous soyons con-vaincus que nous avons mis tout le temps qu'il fallait pour nous examiner, afin de bien connaître nos péchés ; il faut que notre conscience ne nous reproche rien sur l'accusation que nous avons faite de nos péchés et que nous soyons dans une véritable résolution de faire, avec la grâce de Dieu, tout ce qui dépend de nous pour ne pas retomber ; il faut que nous ayons un grand désir d'accomplir, autant bien que nous pouvons, la péni-tence que l'on nous a donnée. Pour bien nous pénétrer de la grandeur de l'action que nous allons faire, il faut, en commençant, regarder la sainte Table comme le tri-bunal de Jésus-Christ, où nous serons jugés. Si nous avons eu le malheur de ne pas bien accuser nos péchés, d'en avoir détourné ou déguisé quelques-uns ; soyons bien persuadés que ce n'est pas Jésus-Christ que nous allons loger, mais le démon. Oh ! M.F., quelle horreur de placer Jésus-Christ même aux pieds du démon !...
Nous lisons dans l'Évangile, que lorsque Jésus-Christ institua le sacrement adorable de l'Eucharistie, ce fut dans un appartement bien propre et bien meublé , pour nous montrer combien nous devons prendre soin d'embellir notre âme de toutes sortes de vertus pour recevoir Jésus-Christ dans la sainte communion. Et, bien plus, avant de donner son corps adorable et son Sang précieux, Jésus-Christ se leva de table et alla laver les pieds de ses apôtres , afin de nous faire concevoir com-bien il faut que nous soyons exempts des péchés, même les plus légers, c'est-à-dire n'avoir aucune affection aux péchés véniels. Le parfait renoncement de nous-mêmes dans tout ce qui n'est pas contraire à notre conscience ; ne faire aucune difficulté de parler à ceux qui nous ont fait quelque peine, ni de les voir, les porter dans le fond de nos cœurs... Disons encore mieux, M.F., lorsque nous allons recevoir le corps de Jésus-Christ dans la sainte communion, il faut que nous nous sentions en état de mourir et d'aller paraître avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ. Saint Augustin nous dit : « Si vous voulez communier de manière à bien plaire à Jésus-Christ, il faut que vous soyez détachés de tout ce qui peut tant soit peu déplaire au bon Dieu. » Saint Jean Chrysostome nous dit : « Lorsque vous serez tombés dans quelque péché mortel, il faut vous en con-fesser aussitôt ; mais, il faut rester quelque temps sans vous approcher de la sainte Table pour avoir le temps de faire pénitence. Déplorez, nous dit-il, le malheur de ces personnes qui, après avoir confessé de gros péchés mortels, demandent de suite la sainte communion, croyant que la confession seule suffit. I1 faut encore pleurer nos péchés et en faire pénitence, avant d'avoir le bonheur de recevoir Jésus-Christ dans nos cœurs. » Saint Paul nous dit à tous : « de bien purifier notre âme de ses péchés avant de manger le pain des anges, qui est le Corps adorable de Jésus-Christ et son Sang pré-cieux  ; parce que, si notre âme n'était pas bien pure, nous nous attirerions toutes sortes de malheurs pour ce monde et pour l'autre. » Saint Bernard nous dit : « Pour communier dignement, il faut faire comme le serpent, quand il veut boire à son aise. Afin que l'eau lui profite, il quitte son venin. Pour nous, il faut faire de même : quand nous voulons recevoir Jésus-Christ, il faut quitter notre venin qui est le péché, qui est le poison de notre âme et de Jésus-Christ ; mais, nous dit ce grand saint, il faut le quitter pour tout de bon. Oh ! mes enfants, nous dit-il, n'empoisonnez pas Jésus-Christ dans votre cœur ! »
Oui, M.F., ceux qui vont à la sainte Table sans avoir bien purifié leur cœur, doivent grandement craindre d'éprouver le même châtiment que ce serviteur qui osa se mettre à table sans avoir la robe nuptiale. Le maître commanda à ses officiers de le prendre, de lui lier pieds et mains, de le jeter dans les ténèbres . De même, M.F., Jésus-Christ dira à l'heure de la mort, à ceux qui auront eu le malheur de le recevoir dans leur cœur sans être convertis : « Pourquoi avez-vous eu l'audace de me recevoir dans votre cœur, étant souillés de tant de péchés ? » Non, M.F., n'oublions jamais que pour communier il faut être converti et dans une véritable résolution de persévérer. Nous avons vu que quand Jésus-Christ voulut donner son Corps adorable et son Sang précieux à ses apôtres, pour leur montrer com-bien il fallait être pur pour le recevoir, il alla jusqu'à leur laver les pieds. C'est qu'il veut nous montrer par là, que nous ne saurions jamais être assez purifiés de nos péchés même véniels. Il est vrai que le péché véniel ne rend pas nos communions indignes ; mais il est cause que nous ne profitons presque rien de tant de bonheur. La preuve en est bien claire, voyez combien pendant notre vie nous avons fait de communions ; eh bien ! en sommes-nous devenus meilleurs ? – Non, sans doute, et la véritable cause de cela, c'est que nous conservons presque toujours nos mauvaises habitudes, et que nous ne nous corrigeons pas plus une fois que l'autre. Nous avons en horreur ces gros péchés qui donnent la mort à notre âme ; mais pour toutes ces petites impatiences, ces murmures lorsqu'il nous arrive quelques misères ou quelques chagrins, quelque contradiction, ces petits détours dans ce que nous disons : cela ne nous coûte guère. Vous convenez avec moi que, malgré tant de confessions et de communions, vous êtes toujours les mêmes, que vos confessions ne sont pas autre chose, depuis bien des années, qu'une répétition des mêmes péchés qui, quoique véniels, ne vous font pas moins perdre presque tout le mérite de vos communions. L'on vous entend dire, avec raison, que vous ne valez pas plus une fois que l'autre ; mais qui vous empêche de vous corriger de vos fautes ?... Si vous êtes toujours de même, c'est bien parce que vous ne voulez pas faire quelques petits efforts pour vous corriger ; vous ne voulez rien souffrir et n'être contredit en rien ; vous voudriez que tout le monde vous aimât et ait bonne opinion de vous, ce qui est bien difficile. Tâchons de travailler, M.F., à détruire tout ce qui peut tant soit peu déplaire à Jésus-Christ, et nous verrons combien nos communions nous feront marcher à grands pas vers le ciel ; et plus nous en ferons, plus nous nous senti-rons détachés du péché et portés à Dieu.
Saint Thomas nous dit que la pureté de Jésus-Christ est si grande, que le moindre péché véniel l'empêche de s'unir à nous aussi intimement qu'il le voudrait. Pour bien recevoir Jésus-Christ, il faut avoir dans l'es-prit et dans le cœur une grande pureté d'intention. Il y en a qui pensent au monde, ou qu'on les estimera ou qu'on les méprisera : cela ne vaut rien. D'autres, c'est par habitude d'y aller ces jours-là. Voilà, M.F., de pauvres communions, puisqu'elles manquent de pureté d'intention.
M.F., ce qui doit nous porter à nous approcher de la sainte Table : c'est 1° parce que Jésus-Christ nous le commande sous peine de ne pas avoir la vie éternelle ; 2° que nous en avons grandement besoin pour nous fortifier contre le démon ; 3° pour nous détacher de la vie et nous attacher à Dieu. Nous disons que pour avoir le grand bonheur de recevoir Jésus-Christ, bonheur si grand que tous les anges nous portent envie  (ils peuvent l'aimer et l'adorer comme nous, mais ils n'ont pas le bonheur de le recevoir comme nous, ce qui semble nous élever au-dessus des anges)  D'après cela, M.F., je vous laisse à penser avec quelle pureté, avec quel amour nous devons nous présenter à Jésus-Christ pour le recevoir. Nous devons communier pour recevoir les grâces dont nous avons besoin. Si nous avons besoin de l'humilité, de la patience et de la pureté ; eh bien ! M.F., nous trouverons tout cela dans la sainte communion, et toutes les vertus nécessaires à un chrétien. 4° Nous devons aller à la sainte Table, pour nous unir à Jésus-Christ, afin qu'il nous change en d'autres lui-même, ce qui arrive dans tous ceux qui le reçoivent saintement. Si nous communions souvent et dignement, nos pensées, nos désirs et aussi toutes nos actions et nos démarches ont la même fin que celles de Jésus-Christ lorsqu'il était sur la terre. Nous aimons Dieu, nous sommes touchés des misères spiri-tuelles et même temporelles du prochain, nous ne pen-sons nullement à nous attacher à la terre ; notre cœur et notre esprit ne pensent et ne respirent plus que le ciel.
Oui, M.F., pour faire une bonne communion, il faut avoir une foi vive touchant ce grand mystère ; ce sacre-ment étant un « mystère de foi, » il faut croire vérita-blement que Jésus-Christ est réellement présent dans la sainte Eucharistie, qu'il y est vivant et glorieux comme dans le ciel. Autrefois, M.F., avant de donner la sainte communion, le prêtre, tenant la sainte Eucharistie entre ses doigts, disait à haute voix : « Croyez, M.F., que le Corps adorable et le Sang précieux de Jésus-Christ est véritablement dans ce sacrement. » Alors tous les fidèles répondaient : « Oui, nous le croyons . » O quel bonheur pour un chrétien de venir s'asseoir à la table des vierges et de manger le pain des forts !... Non, M.F., il n'y a rien qui nous rende si redoutables au démon que la sainte communion, et, bien plus, elle nous conserve non seulement la pureté de l'âme, mais encore celle du corps. Voyez sainte Thérèse, qui était devenue si agréable à Dieu par la sainte communion qu'elle faisait si souvent et si dignement, qu'un jour Jésus-Christ lui apparut, et lui dit qu'elle lui plaisait tant que, quand il n'y aurait point de ciel, il en créerait un pour elle seule. Nous voyons dans sa vie qu'un dimanche de Pâques, après la sainte communion, elle fut si ravie en Dieu, qu'étant revenue à elle-même, elle se sentit la bouche toute pleine du sang adorable de Jésus-Christ qui semblait sortir de ses veines ; ce qui lui communiqua tant de douceur, qu'elle crut mourir d'amour. « Je vis, nous dit-elle, mon divin Sauveur qui me dit : Ma fille, je veux que ce sang adorable qui te cause tant d'amour soit employé à te sauver ; ne crains jamais que ma miséricorde te manque. Lorsque j'ai répandu ce sang précieux, je n'ai éprouvé que douleur et amertume ; mais, pour toi, en le recevant, il ne te communiquera que douceur et amour. » Plusieurs fois, lorsqu'elle avait le grand bonheur de communier, les anges descendaient en foule du ciel et semblaient faire leurs délices de s'unir à elle pour louer le Sauveur qu'elle avait le bonheur de porter dans son cœur. Bien des fois l'on a vu sainte Thérèse prise par les anges à la Table sainte, ils la portaient sur une haute tribune.
Oh ! M.F., si nous avions une fois bien compris combien ce bonheur est grand, nous n'aurions pas besoin d'être sollicités à venir partager ce bonheur. Sainte Gertrude demandait un jour à Jésus-Christ ce qu'il fallait faire pour le recevoir le plus dignement possible. Jésus-Christ lui répondit qu'il fallait avoir autant d'amour que tous les saints ensemble, et que son seul désir serait récompensé. Voulez-vous savoir, M.F., comment vous devez vous comporter quand vous voulez avoir le bonheur de recevoir le bon Dieu ? Faites comme ce bon chrétien qui communiait tous les huit jours ; il en employait trois en actions de grâces et trois à se préparer. Eh bien ! qui vous empêche de faire de même toutes vos actions pour cela. Pendant ce temps-là, entretenez-vous avec Jésus-Christ, qui règne dans votre cœur ; pensez qu'il va venir sur l'autel, et que, de là, il va venir dans votre cœur pour visiter votre âme et l'enrichir de toutes sortes de biens et de bonheur. Il faut implorer la sainte Vierge, les anges et les saints, afin qu'ils prient le bon Dieu pour nous, que nous le recevions autant dignement qu'il nous sera possible. Ce jour-là il faut venir plus de bonne heure à la sainte Messe, et l'entendre encore mieux que les autres fois. II faut que notre esprit et notre cœur soient sans cesse au pied du tabernacle, qu'ils soupirent con-tinuellement après cet heureux moment, il faut que nos pensées ne soient plus de ce monde, mais toutes pour le ciel, et que nous soyons tellement abîmés dans la pensée de Dieu que nous semblions être morts au monde. Il faut avoir vos Heures ou votre Chapelet et dire vos actes avec autant de ferveur que vous pourrez, pour ranimer en vous la foi, l'espérance et un grand amour pour Jésus-Christ qui va, dans un instant, de votre cœur faire son tabernacle, ou, si vous voulez, un petit ciel. Mon Dieu, quel bonheur et quel honneur pour des misérables comme nous ! Nous devons lui témoigner un grand respect. Être si misérable !... Mais nous espérons qu'il aura tout de même pitié de nous. Après avoir dit vos actes, il faut offrir votre communion pour vous ou pour d'autres ; vous vous levez pour aller à la sainte Table avec beaucoup de modestie, ce qui annonce que vous allez faire quelque chose de grand ; vous vous mettez à genoux et vous vous efforcez de ranimer en vous la foi qui vous fasse sentir la grandeur de votre bonheur. Il faut que votre esprit et votre cœur soient tout à Dieu. Vous prenez bien garde de ne pas tourner la tête, vous tenez vos yeux à moitié fermés, les mains jointes, et vous dites votre : « Je confesse à Dieu. » Si vous attendez pour communier, il faut vous exciter à un grand amour pour Jésus-Christ, en le priant bien humblement qu'il daigne venir dans votre pauvre et misérable cœur.
Après que vous avez eu le grand bonheur de commu-nier, il faut vous lever avec modestie, retourner à votre place, vous mettre à genoux et ne pas prendre de suite un livre ou votre chapelet ; il faut vous entretenir un moment avec Jésus-Christ, que vous avez le bonheur d'avoir dans votre cœur, où, pendant un quart d'heure, il est en corps et en âme, comme pendant sa vie mor-telle. O bonheur infini ! qui est celui qui pourra jamais le comprendre !... Hélas ! presque personne ne le com-prend !... Après que vous avez demandé au bon Dieu toutes les grâces que vous désirez pour vous et pour les autres, il faut reprendre vos Heures et continuer. Ayant dit vos actes après la communion, il faut inviter la sainte Vierge, tous les anges et tous les saints à remer-cier le bon Dieu pour vous. Il faut bien prendre garde de ne pas cracher, au moins d'une bonne demi-heure après la sainte communion. I1 ne faut pas sortir de suite après la sainte Messe, mais rester un instant pour demander au bon Dieu de bien vous affermir dans vos bonnes résolutions. Lorsque vous sortez de l'église, il ne faut pas vous arrêter à causer ; mais, pensant au bonheur que vous avez de renfermer Jésus-Christ, il faut vous en aller chez vous. Si vous avez un petit moment entre les offices, il faut l'employer à faire une bonne lecture ou à faire une visite au Saint-Sacrement, pour remercier le bon Dieu de la grâce qu'il vous a faite le matin, et vous entretenir des affaires du monde tant moins que vous pouvez. Il faut tellement veiller sur toutes vos pensées, vos paroles et vos actions, que vous conserviez la grâce du bon Dieu toute votre vie.
Que faut-il conclure de cela, M.F. ?... Rien autre, sinon que tout notre bonheur consiste à mener une vie digne de recevoir souvent Jésus-Christ, puisque c'est par là que nous pouvons espérer le ciel, que je vous souhaite...
 

 7ème dimanche après la Pentecôte
Sur la fausse et vraie Vertu
 

A fructibus eorum cognoscetis eos.
Vous les connaîtrez à leurs fruits.
(S.Matth., VII,16.)

Jésus-Christ pouvait-il, M.F., nous donner des preuves plus claires et plus certaines pour nous faire connaître et distinguer les bons chrétiens d'avec les mauvais qu'en nous disant que nous les connaîtrons, non à leurs paroles, mais à leurs œuvres. « Un bon arbre, nous dit-il, ne peut porter de mauvais fruits, comme un mauvais arbre n'en peut porter de bons. » Oui, M.F., un chrétien qui n'a qu'une fausse dévotion, une vertu affectée et qui n'est qu'extérieure, malgré toutes les précautions que prendra pour se contrefaire, ne tardera pas de laisser paraître de temps en temps les dérèglements de cœur, soit dans ses paroles, soit dans ses actions. Non, M.F., rien de si commun que ces vertus en apparences c'est-à-dire cette hypocrisie. Ce qui est d'autant plus déplorable, c'est que presque personne ne veut le reconnaître. Faudra-t-il, M.F., les laisser dans un état malheureux qui les conduit sûrement en enfer ? Non, M.F., non, essayons du moins de leur en faire apercevoir quelque chose. Mais, mon Dieu ! qui sont ceux qui vont se reconnaître coupables ? Hélas ! presque per-sonne ! Cette instruction va donc être encore pour les aveugler davantage ? Cependant, malgré cela, M.F., je vais vous parler comme si vous deviez tous en profiter.
Pour bien vous faire connaître l'état malheureux de ces pauvres chrétiens, qui peut-être se damnent en fai-sant le bien, ne connaissant pas bien la manière de le faire, je vais vous montrer 1° quelles sont les conditions pour avoir une véritable vertu ; 2° quels sont les défauts de celle qui n'a que l'apparence. Écoutez bien cette ins-truction, qui peut grandement vous servir dans tout ce que vous ferez par rapport à Dieu.
Si vous me demandez, M.F., pourquoi est-ce qu'il y a si peu de chrétiens qui agissent uniquement dans la vue de plaire à Dieu ? En voici la raison toute pure. C'est que la plus grande partie des chrétiens sont ensevelis dans l'ignorance la plus épouvantable, qu'ils font humainement tout ce qu'ils font. De sorte que si vous compariez leurs intentions avec celles des païens, vous ne trouveriez aucune différence. Eh ! mon Dieu ! que de bonnes œuvres perdues pour le ciel ! D'autres, qui ont quelques lumières de plus, ne cherchent que l'estime des hommes, et tâchent de se contrefaire autant qu'ils peuvent : leur extérieur semble être bon, tandis que « leur intérieur est rempli d'ordures et de dupli-cité  » Oui, M.F., nous verrons au jugement que la plus grande partie des chrétiens n'ont eu qu'une religion de caprice ou d'humeur, c'est-à-dire, de penchants, et que très peu n'ont cherché que Dieu seul dans ce qu'ils ont fait.
Nous disons d'abord qu'un chrétien qui veut travailler
sincèrement à son salut, ne doit pas se contenter de faire de bonnes œuvres ; mais il lui faut encore savoir pour qui il les fait et comment il doit les faire.
En second lieu, nous disons qu'il n'est pas assez de paraître vertueux aux yeux du monde, mais qu'il faut encore l'être dans le cœur. Si, maintenant, M.F., vous me demandez comment nous pourrons connaître qu'une vertu est véritable et qu'elle nous conduira au ciel, M.F., le voici : écoutez-le bien, gravez-le bien dans votre cœur ; afin que chaque action que vous ferez, vous puissiez connaître si elle sera récompensée pour le ciel. Je dis que pour qu'une action plaise à Dieu, il faut qu'elle ait trois conditions : la première, qu'elle soit intérieure et parfaite ; la deuxième, qu'elle soit humble et sans retour sur soi-même ; la troisième, qu'elle soit constante et persévérante : si dans tout ce que vous faites, vous trouvez ces conditions, vous êtes sûrs de travailler pour le ciel.

I. – Nous avons dit qu'il faut qu'elle soit intérieure : il ne suffit donc pas qu'elle paraisse au dehors. Non, sans doute, M.F., il faut qu'elle prenne naissance dans le cœur, et que la charité seule en soit l'âme et le principe, puisque saint Grégoire nous dit que tout ce que Dieu demande de nous doit être fondé sur l'amour que nous lui devons ; notre extérieur ne doit donc être que comme un instrument pour manifester ce qui se passe au--dedans de nous. Aussi, M.F., toutes les fois que nos paroles et nos actions ne sont pas produites par le mouvement de notre cœur, nous ne sommes que des hypocrites aux yeux de Dieu.
Ensuite, nous disons que notre vertu doit encore être parfaite : c'est-à-dire, que ce n'est pas assez de nous attacher à la pratique de quelques vertus, parce que notre penchant nous y porte ; mais nous devons les embrasser toutes, c'est-à-dire, toutes celles qui sont compatibles avec notre état. Saint Paul nous dit, que nous devons faire d'abondantes provisions de toutes sortes de bonnes œuvres pour notre sanctification. Allons plus loin, M.F., et nous verrons combien de personnes se trompent en faisant le bien et marchent du côté de l'enfer. Il y en a qui se rassurent dans quelques vertus qu'ils pratiquent, parce que leur penchant les y porte, comme par exemple : une mère se refiera sur ce qu'elle fait quelques aumônes, qu'elle est assidue à faire ses prières, fréquenter les sacrements, à faire même des lectures de piété ; mais elle voit, sans chagrin, ses en-fants s'éloigner des sacrements. Ses enfants ne font point de pâques ; mais cette mère leur donne de temps en temps la permission pour aller dans les plaisirs, les danses, les mariages et quelquefois les veillées ; elle aime à faire paraître ses filles, elle croit que si elles ne fréquentent pas ces lieux de débauches, elles seront inconnues, qu'elles ne trouveront pas à s'établir. Oui, sans doute, qu'elles seront inconnues, mais aux libertins ; oui, M.F., elles ne pourront pas trouver à s'établir avec des personnes qui les maltraiteront comme de viles esclaves. Mais cette mère aime à les voir bien parées ; mais cette mère aime à les voir en la compagnie de quel-ques jeunes gens qui sont plus riches qu'elles. Après quelques prières et quelques bonnes œuvres qu'elle fera, elle se croit dans le chemin du ciel. Allez, ma mère, vous n'êtes qu'une aveugle et une hypocrite, vous n'avez qu'une apparence de vertu. Vous vous rassurez de ce que vous faites quelques visites au Saint-Sacrement sans doute, cela est bon ; mais votre fille est à la danse ; mais elle est au cabaret avec des libertins, et il n'y a sorte de saletés qu'ils ne vomissent ; mais votre fille, la nuit, est dans des lieux où elle ne devrait pas être. Allez, mère aveugle et réprouvée, sortez et quittez votre prière ; ne voyez-vous pas que vous faites comme les Juifs, qui ployaient les genoux devant Jésus-Christ pour faire semblant de l'adorer ? Eh ! quoi, vous venez adorer le bon Dieu, tandis que vos enfants sont après le cruci-fier ! Pauvre aveugle, vous ne savez pas ce que vous dites ni ce que vous faites ; votre prière n'est qu'une injure que vous faites à Dieu. Commencez à aller cher-cher votre fille qui perd son âme ; ensuite, vous revien-drez demander à Dieu votre conversion.
Un père croit que c'est assez que de maintenir le bon ordre dans sa maison, il ne veut pas que l'on jure ni que l'on prononce des paroles sales : cela est très bien ; mais il ne se fait pas scrupule de laisser ses garçons dans les jeux, les foires et les plaisirs. Mais ce même père laisse travailler ses ouvriers le dimanche, sous le moindre prétexte, ou même pour ne pas contrarier ses moissonneurs ou ses batteurs. Cependant, vous le voyez à l'église adorer le bon Dieu, même bien prosterné ; il tâche de renvoyer les moindres distractions. Dites-moi, mon ami, de quel œil pensez-vous que le bon Dieu puisse regarder ces personnes ? Allez, mon ami, vous êtes un aveugle ; allez vous instruire de vos devoirs, et ensuite vous viendrez présenter vos prières à Dieu. Ne voyez-vous pas que vous faites les fonctions de Pilate, qui reconnaît Jésus-Christ et qui le condamne. Vous verrez ce voisin qui est charitable, qui fait des aumônes, qui est touché de la misère de son prochain : cela est assez bien ; mais il laisse vivre ses enfants dans la plus grande ignorance ; peut-être ne savent-ils pas même ce qu'il faut faire pour être sauvé. Allez, mon ami, vous êtes un aveugle ; vos aumônes et votre sensibilité vous conduisent à grands pas en enfer. Celui-ci a assez de bonnes qualités, il aime même à rendre service à tout le monde ; mais il ne peut plus souffrir sa pauvre femme ni ses pauvres enfants, qu'il accable d'injures et peut--être même de mauvais traitements. Allez, mon ami, votre religion ne vaut rien. Celui-là se croit assez sage parce qu'il n'est pas un blasphémateur, un voleur, ni même un impudique ; mais il ne se met pas en peine de se corriger de ces pensées de haine, de vengeance, d'envie et de jalousie qui le travaillent presque chaque jour. Mon ami, votre religion ne peut que vous perdre. Nous en verrons d'autres, qui sont de toutes les pratiques de piété, qui se font un grand scrupule de laisser quel-ques prières qu'ils ont coutume de dire ; ils se croiront perdus de ne pas communier en certains jours où ils ont l'habitude de le faire ; mais un rien les impatiente, les fait murmurer ; une parole qui n'aura pas été dite comme ils voudraient leur fait naître une froideur ; ils ont peine à voir de bonne grâce leur prochain, ils aiment à n'avoir rien à faire avec vous, sous différents prétextes ils évitent votre compagnie, ils trouveront qu'on agit mal à leur égard. Allez, pauvres hypocrites, allez vous convertir ; ensuite vous aurez recours aux sacrements, que, dans cet état, sans le savoir, vous ne faites que pro-faner avec votre dévotion mal entendue.
Un père est sans doute louable de corriger ses enfants lorsqu'ils offensent le bon Dieu ; mais peut-on le louer de ce qu'il ne se corrige pas lui-même des vices qu'il reprend dans ses enfants ? Non, sans doute : ce père n'a qu'une religion fausse qui le jette dans l'aveuglement ! L'on ne peut que louer un maître qui reprend ses domes-tiques de leurs vices ; mais peut-on le louer lorsqu'on l'entend jurer et blasphémer lui-même dans quelque chose fâcheuse qui lui arrive ? Non, M.F., non, c'est un homme qui n'a jamais connu sa religion ni ses devoirs.
Celui-ci fera l'homme sage, instruit, il reprendra les défauts qu'il apercevra dans son voisin : cela est bon ; mais que penserez-vous de lui en lui voyant beaucoup plus de défauts qu'à celui qu'il reprend ? « D'où vient cette conduite, nous dit saint Augustin, si ce n'est de ce qu'il n'est qu'un hypocrite, qui ne connaît nullement sa religion. » Allez, mon ami, vous n'êtes qu'un pharisien, toutes vos vertus ne sont que de fausses vertus ; tout ce que vous faites, que vous croyez être bien, ne sert qu'à vous tromper. Nous verrons bien encore ce jeune homme fréquenter les offices et même, peut-être, les sacrements ; mais nous le voyons aussi fréquenter les cabarets et les jeux. Cette jeune fille paraîtra bien aussi, de temps en temps, à la sainte Table ; mais elle paraîtra aussi dans les danses, les assemblées où les bons chrétiens ne se trouvent jamais. Allez, pauvre hypocrite, allez, fantôme de chrétienne, un jour viendra où vous verrez que vous n'aurez travaillé qu'à vous perdre. Un chrétien, M.F., qui veut se sauver ne se contente pas d'observer un commandement, de remplir une ou deux de ses obliga-tions ; mais il observe tous les commandements de Dieu, et ensuite il remplit toutes les obligations de son état.

II. – En deuxième lieu, nous avons dit qu'il fallait que notre vertu fût humble, sans retour sur soi-même. Jésus-Christ nous dit de « ne jamais faire nos actions avec l'intention d'être loué des hommes  : » si nous vou-lons en recevoir la récompense, il faut cacher autant que nous pouvons le bien qu'il a mis en nous, crainte que le démon d'orgueil ne nous ravisse le mérite du bien que nous faisons. – Mais, peut-être, pensez-vous, le bien que nous faisons, nous le faisons bien pour le bon Dieu et non pour le monde. – Mon ami, je ne le sais pas : il y en a beaucoup qui se trompent là-dessus ; je crois qu'il serait facile de vous montrer que vous n'avez qu'une religion extérieure, et non dans l'âme. Dites--moi, n'est-ce pas que vous éprouveriez moins de peine si l'on savait que vous jeûnez aux jours prescrits par l'Église que si l'on savait que vous ne jeûnez pas ? N'est--ce pas que vous éprouveriez moins de chagrin si l'on vous voyait faire l'aumône que si l'on vous voyait pren-dre quelque chose à votre voisin ? Laissons le scandale de côté. N'est-ce pas que vous aimeriez mieux que l'on vous vit prier que de vous entendre jurer (supposons que vous ayez fait l'un et l'autre) ? N'est-ce pas que vous préféreriez que l'on vous vît faire la prière ou donner de bons conseils à vos enfants, que si l'on vous entendait leur conseiller de se venger de leurs ennemis ? – Oui, sans doute, me direz-vous, cela ne ferait pas autant de peine. – Et pourquoi cela ? sinon parce que nous n'a-vons qu'une fausse religion, et que nous ne sommes que des hypocrites et rien autre.
Cependant nous voyons que les saints faisaient tout le contraire ; pourquoi encore ? sinon parce qu'ils con-naissaient leur religion, et qu'ils ne cherchaient qu'à s'humilier ; afin d'attirer sur eux les miséricordes du Seigneur. Hélas ! que de pauvres chrétiens qui n'ont qu'une religion de penchants, de caprices et d'habitude, et rien autre ! – Mais, me direz-vous, cela est bien un peu fort. – Oui, sans doute, c'est un peu fort ; mais ce n'en est pas moins la vérité. Pour vous donner une hor-reur infinie de ce maudit péché d'hypocrisie, je vais vous montrer où ce malheureux péché nous conduit, par un exemple qui est bien digne d'être gravé dans vos cœurs.
Nous lisons dans l'histoire que saint Palémon et saint Pacôme vivaient dans une grande sainteté. Une nuit qu'ils veillaient et qu'ils avaient fait le feu, il survint un solitaire qui voulait demeurer avec eux. L'ayant reçu près d'eux pour s'unir ensemble afin de prier le bon Dieu, au milieu de leur discours, il leur dit : « Si vous avez la foi, avancez-vous hardiment et tenez-vous de-bout sur ces charbons ardents, et prononcez lentement l'Oraison dominicale. » Ces bons saints, voyant que ce solitaire leur faisait une telle proposition, et pen-sant qu'il n'y avait qu'un orgueilleux ou un hypocrite qui pût dire cela : « Mon frère, lui dit saint Palémon, priez Dieu ; vous êtes tenté, gardez-vous bien de faire cette folie ni de nous jamais rien proposer de sem-blable. Notre Sauveur ne nous a-t-il pas dit qu'il ne faut jamais tenter Dieu, et c'est vraiment le tenter que de lui demander un miracle de cette manière. » Ce pauvre aveugle et ce pauvre hypocrite, au lieu de pro-fiter de ce bon conseil, son esprit s'élève encore davan-tage par la vanité de ses prétendues bonnes œuvres ; il s'avance hardiment et se tient sur le feu sans que personne le lui commande, le démon coopérant avec lui, comme étant l'ennemi des hommes... Le bon Dieu, que son orgueil avait fait retirer de lui, permit au dé-mon, par un jugement secret et effroyable, qu'il fût garanti du feu, ce qui l'aveugla encore davantage, se croyant être déjà parfait et un grand saint. Le lende-main matin, il quitta les deux solitaires en leur repro-chant leur peu de foi : « Vous avez vu, leur disait-il, ce que peut faire celui qui a la foi. » Mais, hélas ! peu de temps après, le démon, voyant, que cet homme était à lui et craignant de le perdre, voulut s'assurer sa vic-time et lui faire mettre le sceau à sa réprobation. Il prit la figure d'une femme richement parée, frappa à la porte de sa cellule, lui disait qu'il était poursuivi par ses créanciers, qu'il craignait de tomber dans quelque mal-heur, n'ayant pas de quoi les payer, et qu'il avait re-cours à lui comme bien charitable. « Je vous supplie, lui dit-elle, de me recevoir dans votre cellule, afin que je sois garantie de ce péril. » Ce pauvre homme, ayant abandonné le bon Dieu, le démon lui ayant tiré les yeux de l'âme, ne voyait plus le danger auquel il s'ex-posait ; il la reçut dans sa cellule. Un moment après, il se sentit horriblement tenté contre la sainte vertu de pureté, et il s'arrêta à ces pensées. Il s'approcha même de cette prétendue femme, qui n'était autre chose que le démon, pour lui parler plus familièrement, et même il la toucha. Le démon lui tombe dessus, le prend, le traîne dans le chemin, où il le bat avec tant de force que son corps fut tout fracassé. Il le laissa sur le pavé où il resta fort longtemps comme mort. Quelques jours après, il reprit un peu de force, et se repentant de sa faute, il retourna trouver les deux saints pour leur faire part du malheur qui lui était arrivé. Après leur avoir conté tout cela avec beaucoup de larmes, il leur dit « Ah ! mes Pères, je confesse bien que tout ne m'est arrivé que par ma faute ; c'est bien moi qui suis cause de ma perte, parce que je n'étais qu'un orgueilleux et un hypocrite, qui voulais passer pour plus sage que je n'étais. Je vous prie bien, en grâce, de m'assister du secours de vos prières, car je crains que si le démon me reprend, il ne me mette en pièces. » Pendant qu'ils pleuraient tous les trois ensemble, tout à coup, voilà le démon qui se saisit de lui, l'emporte avec une rapi-dité épouvantable à travers les forêts jusqu'à la ville de Panople, où il y avait un fourneau. Il le précipita de-dans, où il fut brûlé à l'heure même . Eh bien ! M.F., d'où lui vint ce châtiment si affreux ? Hélas ! c'est que son cœur manquait d'humilité, il est vrai ; mais il était un hypocrite et ne connaissait pas sa religion.
Hélas ! que de personnes qui font beaucoup de bonnes œuvres, et, qui ne laissent pas d'être perdues, parce qu'elles ne connaissent pas leur religion. Un certain nombre feront bien des prières, fréquentent même sou-vent les sacrements ; mais conservent toujours les mê-mes habitudes et finissent par se familiariser avec le bon Dieu et avec le péché. Hélas ! que le nombre en est grand ! Voyez cet homme qui semble être un bon chré-tien, faites-lui apercevoir qu'il a fait tort à quelqu'un, faites-lui apercevoir ses défauts ou quelque injustice dont il s'est rendu coupable dans son cœur, de suite il se monte et ne peut plus vous voir. La haine et la rancune s'ensuivent... Voyez un autre : vous ne jugerez pas bon de le faire approcher de la sainte Table, il vous répondra grossièrement et conservera de la haine contre vous, comme si l'on était cause qu'il ait fait mal. D'autres, s'il leur arrive quelque chagrin, de suite ils abandonnent les sacrements, les offices. Si un habitant a quelque diffi-culté avec son pasteur, qui lui aura dit quelque chose pour le bien de son âme ; de suite, voilà la haine ; il en parlera mal, il aimera à en entendre dire du mal, il tour-nera tout en mal ce qu'on lui dira. D'où peut venir tout cela, M.F. ? Hélas ! c'est que cette personne n'a qu'une fausse dévotion et rien autre. Une autre fois ce sera une personne à qui vous aurez refusé l'absolution ou la sainte communion ; elle se révolte contre son confesseur, vous serez à ses yeux pire qu'un démon. Cependant, dans un temps de paix, vous la voyez servir Dieu avec ferveur ; elle vous parlera de Dieu comme un ange revêtu d'un corps humain. Et pourquoi donc, M.F., cette incons-tance ? Hélas ! c'est qu'elle n'est qu'une hypocrite, qui ne se connaît pas, qui peut-être ne se connaîtra jamais et qui ne veut pas même qu'on la regarde comme telle. L'on en voit d'autres qui, sous prétexte qu'elles ont quelque apparence de vertu, si on se recommande à leurs prières pour obtenir quelques grâces ; dès qu'elles auront fait quelques prières, elles leur demanderont s'ils ont obtenu ce qu'ils demandaient. Si elles ont été exaucées, vous les voyez qui redoublent leurs prières elles pensent que peut-être elles peuvent bien faire des miracles. Mais, si elles n'ont pas obtenu ce qu'elles demandaient, vous les voyez se décourager, perdre le goût de la prière. Allez, pauvre aveugle, vous ne vous êtes jamais connue, vous n'êtes qu'une hypocrite. Une autre parlera du bon Dieu avec empressement ; si vous applaudissez, les larmes même tomberont de ses yeux ; mais si vous lui dites un mot qui la pique un peu, vous la voyez se monter la tête ; elle a peur de se montrer telle qu'elle est, et elle vous conservera une haine dans son cœur, combien de temps. Pourquoi cela ? sinon parce que sa religion n'est qu'une religion de caprice et de penchant. Vous trompez le monde, et vous vous trompez vous-même ; mais vous ne tromperez pas le bon Dieu, qui, un jour, vous fera bien voir que vous n'avez été qu'une hypocrite.
Voulez-vous savoir ce que c'est qu'une fausse vertu ? en voici un bel exemple. Nous lisons dans l'histoire, qu'un solitaire étant venu trouver saint Sérapion pour se recommander à ses prières, saint Sérapion lui dit de prier pour lui ; mais l'autre lui dit avec des paroles qui annonçaient l'humilité la plus profonde, qu'il ne méritait pas ce bonheur, qu'il était trop pécheur. Le saint lui dit de s'asseoir à côté de lui, mais l'autre lui répondit qu'il en était indigne. Le saint, pour connaître si vraiment ce solitaire était tel qu'il voulait bien le faire croire, lui dit : « Mon ami, je crois que vous feriez beaucoup mieux de rester dans votre solitude que de courir le désert. » Ceci le mit dans une colère épou-vantable. « Mon ami, lui dit le saint, vous me disiez tout à l'heure que vous êtes un si grand pécheur que vous ne voulez pas même vous asseoir à côté de moi, et maintenant, parce que je vous dis une parole pleine de charité, vous vous mettez en colère. Allez, mon ami, vous n'avez qu'une fausse vertu ou, plutôt, vous n'en avez point . » Hélas, M.F., qu'il y en a qui sont de ce nombre ! qui semblent, à leurs paroles, être des saints, et qui, à la moindre parole qui ne leur convient pas, s'emportent et se font connaître tels qu'ils sont dans l'âme.
Si nous voyons que ce péché est si mauvais, voyons aussi que le bon Dieu le punit bien rigoureusement, comme vous allez le voir dans un exemple. Nous lisons dans l'Écriture sainte  que le roi Jéroboam envoya sa femme vers le prophète Ahias, pour le consulter sur la maladie de son fils, l'ayant fait déguiser, avec toute l'apparence d'une personne de piété. Il usait de cet artifice, crainte que le peuple ne s'aperçût qu'il consul-tait le prophète du vrai Dieu et qu'on ne remarquât le peu de confiance qu'il avait en ses idoles. Il est vrai que nous pouvons bien quelquefois tromper les hom-mes, mais jamais le bon Dieu. Lorsque cette femme entra dans le logis du prophète, sans même qu'il la vit, il lui cria : « Femme de Jéroboam, pourquoi feignez--vous d'être une autre que vous n'êtes ? Venez, hypo-crite, je vais vous annoncer une méchante nouvelle de la part du Seigneur. Oui, une méchante nouvelle, écou-tez-là : le Seigneur m'a commandé de vous dire qu'il va faire tomber sur la maison de Jéroboam toutes sortes de maux ; il en fera périr jusqu'aux animaux même ; ceux de sa maison qui mourront dans les campagnes seront mangés des oiseaux, ceux qui mourront dans la ville seront mangés des chiens. Allez, femme de Jéroboam, allez annoncer cela à votre mari. Et dans le moment même que vous mettrez le pied dans la ville, votre enfant mourra. » Tout cela arriva comme le prophète l'avait dit : pas un n'échappa à la vengeance du Seigneur.
Vous voyez, M.F., combien le Seigneur punit ce maudit péché d'hypocrisie. Hélas ! combien de pauvres personnes que le démon trompe là-dessus, qui, non seulement perdent tout le mérite du bien qu'elles font, mais encore leurs actions deviennent pour elles un sujet de condamnation. Cependant je vous dirai, M.F., que ce n'est pas la grandeur des actions qui leur donne le mérite, mais la pureté d'intention avec laquelle nous les faisons. L'Évangile nous en donne un bel exemple. Saint Marc rapporte  que Jésus-Christ étant entré dans le temple, s'assit vis-à-vis du tronc où l'on jetait les aumônes pour les pauvres . Il observa de quelle manière le peuple y jetait cet argent ; il vit que plusieurs riches y jetaient beaucoup ; il vit en même temps une pauvre femme veuve qui s'approcha humblement du tronc et y mit seulement deux pièces de monnaie. Alors Jésus-Christ appela ses apôtres, et leur dit : « Voilà beaucoup de monde qui ont mis des aumônes considérables dans ce tronc, et voilà qu'une pauvre veuve n'y a mis que deux oboles ; que pensez-vous de cette différence ? A en juger selon les apparences, vous croirez peut-être que ces riches ont plus mérité ; et moi je vous dis que cette veuve a plus donné qu'eux, parce que ces riches n'ont donné que de leur abondance et de leur superflu, au lieu que cette veuve a donné même de son néces-saire ; la plupart des riches n'ont cherché que l'estime des hommes pour se faire croire meilleurs qu'ils ne sont, au lieu que cette veuve n'a donné qu'en vue de plaire à Dieu seul. » Bel exemple, M.F., qui nous apprend avec quelle pureté d'intention et avec quelle humilité nous devons faire toutes nos actions, si nous voulons en recevoir la récompense. Il est vrai que le bon Dieu ne nous défend pas de faire nos actions devant les hommes ; mais il veut que le monde n'y soit pour rien et que Dieu seul en soit le motif.
D'ailleurs, M.F., pourquoi voudrions-nous paraître meilleurs que nous ne sommes, en voulant faire voir du bien qui n'est pas en nous ? Hélas ! M.F., c'est que nous aimons à être applaudis dans ce que nous faisons ; nous sommes jaloux de cette forme d'orgueil et nous sacrifions tout pour nous la procurer : c'est-à-dire, nous sacrifions notre Dieu, notre âme et notre bonheur éter-nel. O mon Dieu, quel aveuglement ! Ah ! maudit péché d'hypocrisie, que tu traînes d'âmes en enfer, avec des actions qui, si elles étaient bien faites, les conduiraient droit au ciel ! Hélas ! une bonne partie des chrétiens ne se connaissent pas et ne cherchent pas même à se connaître ; l'on suit ses routines, ses habitudes, et l'on ne veut pas entendre raison ; on est aveugle et l'on marche en aveugle. Si un prêtre veut leur faire con-naître leur état, ils ne vous écoutent pas, ou s'ils font semblant de vous écouter, ils n'en font rien pour cela. Voilà, M.F., l'état le plus malheureux que l'on puisse imaginer et, peut-être, le plus dangereux.

III. – Nous avons dit que la troisième condition néces-saire à la véritable vertu est la persévérance dans le bien. Il ne faut donc pas se contenter de faire le bien pendant quelque temps : c'est-à-dire ; de prier, de se mortifier, de renoncer à sa volonté, de souffrir les défauts de ceux qui nous environnent, de combattre les tenta-tions du démon, de souffrir le mépris, les calomnies, de veiller sur tous les mouvements de notre cœur ; non, M.F., non, il faut continuer jusqu'à la mort, si nous vou-lons être sauvés. Saint Paul dit que nous devons être fermes et inébranlables dans le service de Dieu, et que nous devons travailler tous les jours de notre vie à la sanctification de nos âmes, sachant très bien que notre travail ne sera pas récompensé si nous ne persévérons pas jusqu'à la fin. « Il faut, nous dit-il, que ni les riches-ses, ni la pauvreté, ni la santé, ni la maladie, ne soient capables de nous faire quitter le salut de notre âme et de nous séparer de Dieu ; puisque nous sommes sûrs que le bon Dieu ne couronnera que les vertus qui auront été persévérantes jusqu'à la mort . »
C'est ce que nous voyons d'une manière admirable dans l'Apocalypse et dans la personne d'un évêque qui paraissait si saint, que Dieu lui-même en fait l'éloge. « Je sais, lui dit-il, toutes les bonnes œuvres que vous avez faites, toutes les peines que vous avez essuyées, la patience que vous avez eue ; oui, je sais que vous ne pou-vez souffrir les méchants et que vous avez enduré toutes ces choses pour la gloire de mon nom ; oui, je sais tout cela, cependant, j'ai un reproche à vous faire : c'est qu'au lieu de persévérer dans toutes vos bonnes œuvres, dans toutes vos vertus, vous vous êtes relâché, vous avez quitté votre première ferveur, vous n'êtes plus ce que vous étiez autrefois. Souvenez-vous d'où vous êtes déchu, reprenez votre première ferveur par une prompte pénitence, sinon je vais vous rejeter et vous punir . » Dites-moi, M.F., de quelle crainte ne devons-nous pas être saisis en voyant les menaces que Dieu fait lui-même à cet évêque, parce qu'il s'était un petit peu relâché ? Hélas ! M.F., que sommes-nous devenus, même depuis notre conversion ? Au lieu d'aller toujours en augmen-tant, hélas ! quelle lâcheté et quelle indifférence ! Non, le bon Dieu ne peut pas souffrir cette perpétuelle incons-tance où l'on passe de la vertu au vice et du vice à la vertu. Dites-moi, M.F., n'est-ce pas là votre conduite ou votre manière de vivre ? Votre pauvre vie est-elle autre chose qu'une suite de péchés et de vertus ? N'est-ce pas que vous vous confessez, et que, le lendemain, vous retombez et, peut-être, le même jour ? N'est-ce pas que vous avez promis de ne plus retourner avec ces per-sonnes qui vous ont porté au mal, et qu'à la première occasion, vous les avez reçues ? N'est-ce pas que vous vous êtes confessé d'avoir travaillé le dimanche, et que vous l'avez refait ? N'est-ce pas que vous avez promis au bon Dieu de ne plus retourner dans les danses, les jeux, les cabarets, et que vous avez retombé dans toutes ces fautes ! Pourquoi cela, M.F., sinon parce que vous n'avez qu'une fausse religion, une religion d'habitude et de penchant, et non une religion dans le cœur. Allez, mon ami, vous n'êtes qu'un inconstant. Allez, mon frère, vous n'avez qu'une fausse dévotion ; vous n'êtes, dans tout ce que vous faites, qu'un hypocrite et rien de plus le bon Dieu n'a pas la première place dans votre cœur ; mais bien le monde et le démon. Hélas ! M.F., combien de personnes qui, pendant un certain temps, semblent aimer le bon Dieu tout de bon, et ensuite l'abandonnent. Que trouvez-vous donc de dur et de pénible dans le ser-vice de Dieu, qui vous a si fort rebuté et vous a fait tourner du côté du monde ? Cependant, dans le moment où Dieu vous a fait connaître votre état, vous en avez gémi, vous avez reconnu combien vous vous étiez trompé. Hélas ! si vous avez peu persévéré, la raison de ce malheur est que le démon était bien fâché de vous avoir perdu ; il a tant fait qu'il vous a regagné, il espère maintenant vous garder tout à fait. Hélas ! que d'apos-tats, qui ont renoncé à leur religion, et qui ne sont plus chrétiens que de nom !
Mais, me direz-vous, comment peut-on connaître que nous avons la religion dans le cœur, cette religion qui ne se dément jamais ? – M.F., le voici : écoutez-le bien, et vous comprendrez si vous l'avez telle que Dieu la veut pour vous conduire au ciel. Une personne qui a une véritable vertu, rien n'est capable de la faire chan-ger, elle est comme un rocher au milieu de la mer et battu par la tempête. Qu'on vous méprise, que l'on vous calomnie, que l'on se moque de vous, que l'on vous traite d'hypocrite, de faux dévot : tout cela ne vous ôte nullement la paix de l'âme ; vous les aimez autant que vous les aimiez quand ils disaient du bien de vous ; vous ne laissez pas de leur faire du bien et de les soutenir quand même ils en disent du mal ; vous faites vos priè-res, vos confessions, vos communions, vous allez à la sainte Messe, tout comme à votre ordinaire. Pour mieux vous le faire comprendre, en voici un exemple. Il est rapporté que dans une paroisse, il y avait un jeune homme qui était un modèle de vertu. Il allait presque tous les jours à la sainte Messe, il communiait souvent. Il arriva qu'un autre, jaloux de l'estime que l'on avait de ce jeune homme, un jour qu'ils étaient tous les deux dans une compagnie avec un voisin qui avait une belle tabatière en or, le jaloux la prit de la poche de son voi-sin et la mit dans celle du jeune homme sans qu'il s'en aperçût. Après avoir fait ce coup, sans faire semblant, il lui demande à voir sa tabatière, l'autre croit la trou-ver dans sa poche et est bien étonné de ne pas la trouver. L'on ne laisse sortir personne de la chambre sans fouiller tout le monde ; on la trouve dans la poche du jeune homme qui était un modèle de sagesse. Voilà que tout le monde se met à crier au voleur et à tomber sur sa religion ; à le traiter d'hypocrite, de faux dévot. Ce jeune homme ne pouvait pas se défendre, vu qu'on l'avait trouvée dans sa poche ; il ne dit rien, il souffrit tout cela, comme venant de la main de Dieu. Quand il passait dans la rue, qu'il venait de l'église, de la messe ou de communier, tous ceux qui le voyaient passer le raillaient en l'appelant hypocrite, faux, dévot et voleur. Cela dura bien longtemps. Malgré tout cela, il continua toujours ses exercices de religion, ses confessions, ses communions et toutes ses prières, comme si tout le monde lui avait porté le plus grand respect. Au bout de quelques années, celui qui avait été cause de tout cela, étant tombé malade, confessa devant tous ceux qui étaient présents, que c'était lui-même qui avait été cause de tout le mal qu'on avait dit de ce jeune homme qui était un saint, et que, par jalousie, afin de le faire mé-priser, il lui avait mis cette tabatière dans sa poche.
Eh bien ! M.F., voilà une religion qui est une véri-table religion, qui a pris racine dans l'âme. Dites-moi, si tous ces pauvres chrétiens qui font profession de reli-gion étaient mis à de pareilles épreuves, imiteraient-ils ce jeune homme ? Hélas ! M.F., que de murmures, que de rancunes, que de pensées de vengeance ; et la médi-sance et la calomnie, et peut-être même aller en justice... On se déchaîne contre la religion, on la raille, on la méprise, on en dit du mal, l'on ne peut plus prier le bon Dieu, l'on ne peut plus entendre la sainte Messe, on ne sait plus ce que l'on fait, l'on en parle, on tâche de dire tout ce qui est capable de nous justifier, on ramasse tout le mal que cette personne a fait, on le dit à d'autres, on le répète à tous ceux que l'on connaît pour les faire passer pour des menteurs et calomnia-teurs. Pourquoi cette conduite, M.F. ? sinon que nous n'avons qu'une religion de caprice, de penchant et de routine, et, si nous disions mieux, parce que nous ne sommes que des hypocrites, qui ne servons le bon Dieu que lorsque tout va selon nos caprices. Hélas ! M.F., toutes ces vertus que nous voyons paraître dans le plus grand nombre des chrétiens ne sont que comme ces fleurs du printemps, qu'un seul coup de vent chaud brûle.
Nous disons encore que notre vertu, pour être véri-table, doit être constante : c'est-à-dire, qu'il faut que nous soyons aussi attachés à Dieu et aussi fervents dans les croix et le mépris que dans le temps où rien ne nous chagrine. C'est ce qu'ont fait tous les saints ; voyez toutes ces foules de martyrs qui ont enduré tout ce que la rage des tyrans a pu inventer, et qui, bien loin de se relâcher, au contraire, s'unissaient tou-jours de plus en plus à Dieu. Ni les tourments, ni le mépris qu'on faisait d'eux ne pouvaient les faire changer.
Mais, je crois que le plus beau modèle que je puisse vous donner, est le saint homme Job dans les épreuves que le bon Dieu lui envoya. Le Seigneur dit un jour à Satan : « D'où viens-tu ? » – « Je viens, lui répond le démon, de faire le tour du monde. » – « N'as-tu pas vu mon bon homme Job, qui est sans égal sur la terre par sa simplicité et la droiture de son cœur ? » Le démon lui répondit : « Ce n'est pas difficile qu'il vous serve et vous aime bien : vous le comblez de toutes sortes de bénédictions ; mais éprouvez-le un peu, et vous verrez s'il vous sera toujours fidèle. » Le Seigneur lui dit : « Je te donne tout pouvoir sur lui, sinon de lui ôter la vie. » Le démon plein de joie, dans l'espé-rance de le porter à murmurer contre Dieu, commence à lui faire périr tous ses biens qui étaient immenses. Vous allez voir la manière dont le démon s'y prit pour l'éprouver. Dans l'espérance de lui arracher quel-ques blasphèmes ou du moins quelques plaintes, il lui suscita, coup sur coup, toutes sortes d'ennuis, de dis-grâces et de malheurs, afin qu'il n'eût pas le temps de respirer. Un jour, qu'il était dans sa maison bien tranquille, tout à coup arrive un de ses domestiques tout effrayé. « Seigneur, lui dit-il, je viens vous annoncer un grand malheur : toutes vos bêtes de charge et vos animaux employés au labourage viennent d'être enlevés par des brigands, qui l’ont tué tous vos jeunes gens ; j'ai pu seul m'échapper pour venir vous l'annoncer. » Comme il parlait encore, voici un nouveau messager plus effrayé que le premier : « Hélas ! seigneur, un orage épouvantable est venu fondre sur nous, le feu du ciel a dévoré tous vos troupeaux et a brûlé tous vos pasteurs, j'ai été seul conservé pour venir vous l'annoncer. » Il n'a pas achevé, qu'un troisième arrive, parce que le démon ne voulait pas lui donner le temps de respirer et de se reconnaître. Ce troisième lui dit d'un air tout consterné : « Nous avons été attaqués par des voleurs, qui nous ont enlevé tous vos chameaux et tous vos serviteurs, et la fuite m'a dérobé seul au carnage pour venir vous en instruire. » A ces mots, un quatrième entre tout en pleurs : « Ah ! seigneur, lui dit-il, vous n'avez plus d'enfants !... comme ils mangeaient tous ensemble, tout à coup une furieuse tempête a renversé la maison, et les a tous écrasés sous ses ruines, ainsi que tous vos domestiques ; je suis seul sauvé par miracle. » Pendant le récit de tant de maux selon le monde, il n'est pas douteux que son âme fut émue de compassion de la mort de ses pauvres enfants. A l'instant même, tout le monde lui tourne le dos et l'abandonne : chacun s'enfuit de son côté, il reste tout seul avec le démon qui était dans l'espérance que tant de maux le porteraient au désespoir, ou, du moins, à quelques plaintes, à quelque impatience ; car il faut bien croire que la vertu, quelque solide qu'elle soit, ne rend pas insensible aux maux que nous éprou-vons, les saints n'ont pas plus que nous un cœur de marbre. Ce saint reçoit, dans un seul instant, tous les traits les plus sensibles à un grand du monde, à un riche et à un bon père. Dans un seul jour, de prince et par conséquent du plus heureux des hommes, il devient le plus malheureux, accablé d'infortunes, privé de tout ce qu'il avait de plus cher au monde. Fondant en larmes, il se prosterne la face contre terre ; mais que fait-il ? se plaint-il ? murmure-t-il ? Non, M.F., non. L'Écri-ture sainte nous dit qu'il adore et respecte la main qui le frappe ; il fait au Seigneur le sacrifice de ses richesses, de sa famille ; il le fait avec la résignation la plus généreuse, la plus parfaite et la plus entière en disant : « Le Seigneur est le maître de tous mes biens comme il en est l'auteur ; tout cela n'est arrivé que de la manière qu'il a voulu ; que son saint nom soit béni en toutes choses  ! »
Que pensez-vous, M.F., de cet exemple ? Est-ce là une vertu solide, constante et persévérante ? Croyons-nous, M.F., avoir quelque vertu, lorsqu'à la première épreuve nous murmurons et souvent nous abandon-nons le service de Dieu ? Mais ce n'est pas tout, le démon voyant qu'il n'avait rien gagné, l'attaqua lui--même ; son corps ne fut plus qu'une plaie, sa chair se détachait par lambeaux. Voyez encore, si vous voulez, saint Eustache, combien il fut constant dans tout ce que le bon Dieu lui envoya pour l'éprouver !
Hélas ! M.F., qu'il y aurait peu de chrétiens qui ne se laisseraient pas aller à la tristesse, au murmure et peut-être au désespoir, maudiraient leur sort, conser-veraient, de la haine contre Dieu en pensant : « Qu'a-vons-nous fait pour être traités de cette manière ! » Hélas ! M.F., que de vertus qui n'ont que l'apparence, qui sont tout extérieures, et qui, à la moindre épreuve, se démentent !
Concluons, M.F., en disant qu'il faut que notre vertu, pour être solide et agréable à Dieu, soit dans le cœur, rapporte tout à Dieu, cache ses bonnes œuvres autant que nous pouvons. Il faut bien prendre garde de ne pas nous relâcher dans le service de Dieu ; au contraire, nous devons toujours aller en augmentant, et c'est par là que tous les saints se sont assuré leur bonheur éternel. C'est ce que je vous souhaite...
 7ème dimanche après la Pentecôte
Sur le Mensonge
 

Attendite a falsis prophetis.
Gardez-vous des faux prophètes.
(S.Matth., VII, 15.)

Gardez-vous bien, nous dit Jésus-Christ, de fré-quenter toute personne qui use de fourberie dans ses paroles et dans ses actions. En effet, M.F., nous voyons que rien n'est plus indigne d'un chrétien, lequel doit être un fidèle imitateur de son Dieu qui est la droiture et la vérité même, que de penser une chose et de dire l'autre. Aussi Jésus-Christ, dans l'É-vangile, nous recommande de ne jamais mentir : « Dites oui ou non, cela est ou cela n'est pas . » Saint Pierre nous dit que « nous devons être semblables aux petits enfants, qui sont simples et sincères, ennemis de tout mensonge et de toute dissimulation . Oui, M.F., si nous voulons examiner les suites funestes de la dupli-cité et du mensonge, nous voyons qu'ils sont la source d'une infinité de maux qui désolent le monde. Arrêtons -nous un instant, M.F., à une morale si peu connue, et qui est cependant si nécessaire. Non, M.F., il n'y a point de vice plus répandu dans le monde que la dupli-cité et le mensonge : c'est dans ce sens que l'on dit que presque tous les hommes sont menteurs. Si nous vou-lons, M.F., plaire à Dieu nous devons grandement craindre de contracter une si mauvaise habitude, qui est d'autant plus dangereuse que tout la favorise et la fomente. Pour vous en donner autant d'horreur que vous en devez avoir, je vais vous montrer 1° ce que c'est que le mensonge et la duplicité ; 2° combien le bon Dieu lui-même l'a en horreur, et 3° combien il le punit, même en ce monde.

I. – Si je demandais à un enfant ce que c'est que men-tir, il me répondrait : « Monsieur le curé, mentir, c'est parler contre sa pensée, c'est dire une chose et en pen-ser une autre. »
Mais, direz-vous, en combien de manières est-ce que l'on ment ? – Le voici, M.F., écoutez-le bien. L'on ment 1° par orgueil, quand l'on raconte ce que l'on a fait ou dit et qu'on l'augmente , que l'on dit plus qu'il n'y en a ; 2° l'on ment pour porter perte à son prochain, en disant du mal de sa personne et de ses marchandises, ou quand l'on dit des choses qui sont fausses, et cela, par vengeance ; 3° l'on ment pour faire plaisir au pro-chain : ce qui arrive quand nous cachons certains défauts que nous devrions faire connaître, comme font les domestiques ou les enfants qui voient des gens de la maison voler leurs maîtres ; et étant interrogés, soutiennent que cela n'est pas, qu'ils ne les ont jamais vus ; ou bien, c'est quand nous sommes appelés en justice et que nous ne disons pas la vérité pour ne pas faire condamner les personnes que nous aimons ; 4° nous mentons pour vendre plus cher ou pour acheter à meilleur marché : ce que nous faisons par avarice ; 5° nous mentons pour attraper quelqu'un, ou pour faire rire et amuser la compagnie ; 6° nous mentons en nous confessant.
Voilà, M.F., les mensonges les plus ordinaires et que nous devons bien expliquer dans nos confessions, puis-que vous voyez que nous avons des sentiments diffé-rents dans chaque mensonge que nous disons. Oui, M.F., de quelque côté que nous considérions le men-songe et la duplicité, ils nous doivent paraître infiniment odieux. D'abord, du côté de Dieu, qui est la vérité même, ennemi de tout mensonge. Hélas ! M.F., que nous connaissons peu ce que c'est que ce péché ! Com-bien de péchés qui sont des mensonges mortels, et qui, par conséquent, donnent la mort à notre âme et nous ravissent le ciel pour jamais ! En effet, M.F., mentir par orgueil c'est un péché mortel, en disant plus que nous n'avons fait ou dit pour nous faire estimer. Mentir en justice est aussi un péché mortel si l'on cache la vérité ; mentir par vengeance, en est un aussi ; mentir en confession est un sacrilège. Hélas ! mon Dieu, que le mensonge conduit d'âmes en enfer ! Mais supposons, M.F., que vos mensonges, ou du moins le plus grand nombre, ne soient que des péchés véniels ; avons-nous bien compris ce que c'est que le péché véniel ? Parcou-rez toutes les différentes circonstances de la mort et de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ jusque sur le Calvaire, examinez tout ce qu'il a souffert, et alors vous pourrez vous faire une idée de la grandeur du mensonge et de l'outrage qu'il fait à Dieu. Vous dites que le mensonge ne donne pas la mort à notre âme, ni à Jésus-Christ ! Ah ! malheureux ! vous comptez donc pour rien son agonie au jardin des Olives, lorsqu'il fut pris, lié et garrotté par ses ennemis ? Vous comptez donc pour peu de chose, M.F., lorsqu'il fut couronné d'épines et fla-gellé, où son pauvre corps fut réduit tout en sang ? Vous comptez donc pour peu de chose les tourments qu'il en-dura pendant cette nuit affreuse, où on lui fit subir tout ce que jamais les hommes ni les anges ne pourront com-prendre ? Vous comptez donc pour rien les horreurs qu'on lui fit essuyer en portant sa croix sur le Calvaire ? Eh bien ! M.F., voilà les tourments que le mensonge procure à Jésus-Christ. C'est-à-dire que chaque men-songe que nous disons, selon qu'il est plus ou moins mauvais, conduit Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu'au Calvaire. Dites-moi, M.F., croiriez-vous que vous avez traité Jésus-Christ, notre tendre Sauveur, d'une manière si indigne, toutes les fois que vous dites des men-songes ? Hélas ! que celui qui pèche connaît peu ce qu'il fait !

II. – Si nous considérons le mensonge par rapport à nous-mêmes, nous verrons combien il nous éloigne de Dieu, combien il affaiblit en nous la source de ses grâces, combien il porte le bon Dieu à nous diminuer ses bien-faits. Hélas ! que de chrétiens qui ont commencé leur damnation par ces péchés et qui maintenant sont en enfer ! Mais, d'un autre côté, considérons-le par rapport à notre dignité de chrétiens : nous, M.F., qui, par le Baptême, sommes devenus les temples du Saint-Esprit qui est ennemi de tout mensonge, hélas ! M.F., dès que nous avons le malheur de mentir, le Saint-Esprit s'en va et nous abandonne, et le démon prend sa place et devient notre maître. Voilà, M.F., les tristes effets et les ravages effroyables que le mensonge produit en celui qui est si aveugle que de le commettre. Cependant, M.F., que ces péchés sont communs dans le monde ! Voyez ces pères et mères qui ne cessent de vomir ces péchés pendant toute la journée à leurs enfants, sous prétexte de les amuser et d'en avoir la paix. Hélas ! ces pauvres misérables ne voient pas qu'ils attirent la malé-diction sur leurs pauvres enfants, et qu'ils chassent le Saint-Esprit de leur cœur en leur donnant aussi l'habi-tude de mentir. – Mais, me diront ces pères et mères qui n'ont jamais connu leur devoir, c'est pour les faire rester tranquilles. Ils nous sont toujours après, cela ne porte de perte à personne. – Cela ne porte perte à per-sonne ? Mon ami, ne comptez-vous pour rien d'éloigner de vous le Saint-Esprit, de diminuer en vous la source des grâces pour votre salut ? Ne comptez-vous pour rien d'attirer la malédiction du ciel sur vos pauvres enfants ? Ne comptez-vous pour rien de prendre Jésus-Christ lui--même et de le conduire jusqu'au Calvaire ? Mon Dieu ! que nous connaissons peu le ravage que le péché fait dans celui qui a le malheur de le commettre !
Mais, cependant, il faut convenir que vos mensonges les plus ordinaires et les plus pernicieux sont ceux que vous dites dans les ventes et dans les achats que vous faites les uns avec les autres : sur quoi je trouve une belle expression de l'Écriture sainte. « Le mensonge, nous dit le Saint-Esprit, est entre le vendeur et l'ache-teur comme un morceau de bois serré entre deux pier-res ; » c'est-à-dire, c'est à celui qui aura le plus de ruses et de fourberie et moins de bonne foi, et dira le plus de mensonges. Voyez l’acheteur : il n'y a sorte de men-songe qu'il ne dise pour rabaisser autant qu'il peut la marchandise qu'il achète ; il y trouve mille défauts, grands ou petits. Voyez le vendeur : de son côté, il invente toutes sortes de faussetés pour relever le prix de sa marchandise. Chose étrange ! M.F., celui qui vient de l'acheter il n'y a qu'un instant, qui en disait tant de mal, qui y trouvait mille défauts, maintenant qu'il en est maître, il n'y a mensonge qu'il ne dise pour en relever le prix et la faire valoir plus qu'elle ne vaut  ; et, pour justifier que cela est vrai, que de serments faux ! que de fourberies ! que de paroles inutiles ! Mais, d'où vient tout cela, M.F. ? du désir d'avoir du bien ou de l'argent, qui nous fait préférer un bien périssable au salut de notre âme et à la jouissance de Dieu. Hélas ! qui pourra jamais comprendre combien nous sommes misérables, de vendre notre âme, le ciel et notre Dieu, pour si peu de chose ?
Mais, me direz-vous, il est bien permis de louer ses marchandises. – Oui, sans doute, mon ami, quand nous ne disons que la vérité ; mais est-il permis de mentir pour tromper votre voisin ? Vous savez très bien que non. Si quelqu'un vous a trompé dans quelque marché, vous dites vite qu'il est un fripon, un adroit, que vous n'auriez jamais dit cela de lui ; et vous, à la première occasion, vous en trompez un autre si vous le pouvez, et vous seriez un brave homme ? Comprenez-vous bien, M.F., jusqu'à quel point l'avarice vous aveugle ? – Mais, me direz-vous, quand on vend quelque chose, est-on obligé de faire connaître les défauts ? – Oui, sans doute, quand vous vendez quelque chose qui a des défauts cachés, que le marchand ne peut ni voir ni con-naître, vous êtes obligés de les faire connaître, si-non vous êtes aussi coupables, et même plus, que si vous lui preniez son argent dans sa poche ; parce qu'il se méfierait de vous, au lieu qu'il se confie à vous, et vous le trompez. Si cela vous est arrivé, vous devez rendre et réparer la perte que vous lui avez causée. Si c'est dans une foire, et que vous ne connaissiez nulle-ment la personne ni ses parents, vous devez le donner aux pauvres, afin que le bon Dieu bénisse cette personne dans ses biens pour la compenser du tort que vous lui avez fait. Ne croyez pas, M.F., que le bon Dieu laisse passer tout cela ; vous verrez qu'au jour du jugement, vous allez retrouver toutes les injustices que vous avez commises dans vos ventes et vos achats ; et cela, jusqu'à un sou.
Mais, me direz-vous, l'on m'a bien trompé, et quand on me trompe l'on ne me rend pas ; je fais aux autres comme l'on a fait à moi-même ; tant pis pour celui qui se laisse attraper. – Oui, sans doute, M.F., voilà le langage du monde : c'est-à-dire, des gens sans reli-gion. Mais, dites-moi, M.F., êtes-vous bien persuadés que lorsque vous irez paraître devant le tribunal de Jésus-Christ, il va recevoir toutes ces frivoles excuses ? Que vous dira-t-on ? « Misérables, est-ce parce que les autres faisaient mal, se damnaient et me faisaient souf-frir, qu'il fallait les imiter ? » Cependant, à vous entendre parler, vos mensonges ne portent perte à personne. Dites-vous cela avec bien de la réflexion ! Prenez tous vos marchés et toutes vos ventes les uns après les autres ; repassez dans votre mémoire tous les men-songes que vous avez dits. N'est-il pas vrai que vous n'avez jamais menti à votre désavantage ? et qu'au con-traire, toutes les fois que vous avez menti, c'était au désavantage de votre prochain en le trompant ? Com-bien de fois, M.F., en vendant vos marchandises, ou vos bêtes, ou autre chose, vous avez dit que vous en aviez trouvé tant..., tandis que, le plus souvent, cela n'était pas vrai. Si cela vous a fait vendre davantage, ne manquez pas, M.F., de vous examiner ; et si cela vous est arrivé, de rendre à la personne, si vous la connaissez, ou bien aux pauvres, si vous ne la con-naissez pas. Je sais bien que vous ne le ferez pas ; mais je vous dirai toujours ce que vous devez faire, car je ne serai pas damné parce que vous n'aurez pas bien fait ; mais seulement si je ne vous faisais pas connaître vos devoirs. – Mais, me direz-vous, je ne fais pas plus de mal que les autres, qui me trompent quand ils peuvent. – Mais si les autres se damnent, il ne faut pas vous damner pour si peu de chose. Laissez-les se perdre, puisque vous ne pouvez pas les en empêcher ; mais, pour vous, tâchez de sauver votre pauvre âme ; puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit que si nous vou-lons nous sauver, il nous faut faire tout le contraire du monde. – Je fais comme les autres, dites-vous. – Mais si vous voyiez une personne courir dans un précipice, parce qu'elle va s'y jeter, iriez-vous vous-même ? Non, sans doute. Dites donc plutôt que vous n'avez point de foi ; que peu vous importe de tromper vos voisins, pourvu que vous y trouviez votre compte et de quoi rassasier votre avarice.
Mais, me direz-vous, comment faut-il donc nous com-porter quand nous vendons ou quand nous achetons ? – Comment ? M.F. Voilà ce que vous devez faire ; mais ce que vous ne faites presque jamais. C'est de vous mettre à la place de celui qui vend lorsque vous achetez, et à la place de celui qui achète lorsque vous vendez ; et ne jamais profiter de la bonne foi des personnes ou de leur ignorance pour leur vendre plus cher ou acheter meilleur marché. – Mais, me direz-vous, malgré toutes les précautions que l'on prend, souvent l'on est attrapé. – Cependant, M.F., je vous dirai que si vous désirez le ciel, quoique l'on vous trompe, vous ne devez pas vous servir de ce prétexte pour tromper les autres. – Mais, me direz-vous, d'après la manière dont la plupart des gens se conduisent, je crois qu'il y en aura bien peu de sauvés. – Cela est très véritable ; mais, bien qu'il soit vrai qu'il y en aura très peu de sauvés, il faut tâcher de l'être. Nous devons préférer plutôt n'être pas si riches, faire quelque perte et n'attraper personne tant moins que nous pouvons, et aller au ciel.

III. – Maintenant, pour vous donner, M.F., une grande horreur du mensonge, nous n'avons qu'à par-courir l'Écriture sainte de l'Ancien et du Nouveau Tes-tament, et nous y verrons combien sont grands les châtiments que le bon Dieu exerce, même dès cette vie, sur ceux qui se rendent coupables de ce péché ; et, en même temps, nous verrons combien les saints ont mieux aimé et préféré toutes sortes de tourments, même les plus rigoureux et la mort, plutôt que de dire un simple mensonge. Le Saint-Esprit nous dit : « Ne mentez jamais et ne trompez jamais personne . » Le Prophète nous dit « que le Seigneur fera périr tous ceux qui osent mentir . » Oui, M.F., les saints nous disent qu'il vaudrait mieux que tout le monde tombât en ruine que de dire un simple mensonge. Ils nous disent encore que, quand un seul mensonge devrait délivrer tous les damnés de leurs tourments et les conduire au ciel, nous ne devrions pas le dire. Nous lisons dans la vie de saint An-thime, qu'étant cherché par les archers de l'empereur, avec ordre de lui ôter la vie, ceux-ci s'étant adressés à lui-même sans le connaître, il leur fit faire bonne chère. Quand ils connurent, à ce qu'il leur dit, que c'était lui-même, ils n'eurent jamais le courage de le faire mourir après tant de bonté. « Non, lui dirent-ils, nous n'avons pas le courage de vous faire mourir, vous nous avez trop bien reçus ; restez-là, nous dirons à l'empereur que nous ne vous avons pas trouvé. » – « Non, mes frères, leur dit le saint, il n'est jamais permis de mentir ; j'aime mille fois mieux mourir que si je suis cause que vous dites un mensonge. » Il part avec eux pour souffrir la mort la plus cruelle.
Nous lisons dans l'histoire  que l'empereur envoya des gens armés pour se saisir d'un homme nommé Phocas, qui était jardinier, avec ordre de le faire mou-rir ; mais comme personne ne le connaissait, l'ayant rencontré lui-même, ils lui demandèrent s'il connaissait un nommé Phocas qui était jardinier, ajoutant qu'ils venaient de la part de l'empereur pour le faire mourir. Il leur répondit, d'un ton de voix assuré et tranquille, que oui, qu'il le connaissait bien. Il les invita à venir chez lui en disant de se tenir en paix, qu'il se chargeait de cela. Pendant que ces gens faisaient bonne chère et qu'ils prenaient leur repas, il se fit une fosse dans son jardin. Le lendemain, il se présenta devant eux et leur dit : « C'est moi qui suis ce Phocas que vous cher-chez. » Mais ces soldats, tout étonnés de cela, lui dirent : « Eh ! comment pourrions-nous vous faire mourir, après que vous venez de nous traiter avec tant de bonté et de libéralité ? Non, nous ne le pouvons pas ; nous dirons à l'empereur que, malgré toutes nos recherches, nous n'avons pu vous trouver. » – « Non, mes amis, leur dit le saint, ne mentez pas, j'aime mieux mourir que si vous dites un mensonge. » Ils lui cou-pèrent la tête et l'enterrèrent dans son jardin où il avait fait lui-même sa fosse. Dites-moi, M.F., ces saints comprenaient-ils, oui ou non, la grandeur du mal que fait celui qui ment ? Mon Dieu, que celui qui a perdu la foi est misérable, puisqu'il ne connaît pas combien le péché est un grand malheur !
Le Saint-Esprit nous dit « que toute bouche qui ment tue son âme . » Notre-Seigneur disait aux Juifs « qu'ils étaient des enfants du démon, parce que la vérité n'était pas en eux . » Pourquoi cela, M.F. ? C'est que le démon est le père du mensonge. Nous lisons dans la vie du saint homme Job, que le Seigneur demanda à Satan d'où il venait. « Je viens, lui répondit le démon, de faire le tour du monde. » – « N'as-tu pas trouvé, lui dit le Seigneur, mon bon homme Job, qui est un homme simple et agissant avec une grande droiture de cœur, craignant Dieu, évitant le mal avec soin, et qui est ennemi du mensonge et de toute sorte de duplicité  ? » Voyez-vous comment le bon Dieu prend plaisir à faire l'éloge d'une personne simple et droite dans toutes ses actions ? Voyez ce qui arriva à Aman, favori du roi Assuérus, pour avoir menti, en faisant passer les Juifs pour des perturbateurs. Ayant fait dresser une potence pour y attacher Mardochée, il y fut pendu lui-même . Voyez ce page de la reine Élisa-beth, qui ayant menti contre l'autre page, fut brûlé à sa place. Nous lisons dans l'Apocalypse que saint Jean vit, dans une vision, Notre-Seigneur assis sur un trône éclatant de gloire, qui lui dit : « Je renouvellerai toutes choses . » Il lui fit voir la céleste Jérusalem qui était d'une beauté inexplicable, et lui dit que celui qui se surmontera et vaincra le monde et la chair possédera cette belle Jérusalem ; mais pour ceux qui sont des homicides, des fornicateurs, des adultères et des menteurs, ils seront jetés dans un étang de soufre et de feu, qui est une seconde mort. Notre-Seigneur nous dit que les menteurs auront la même punition en enfer que les fornicateurs . Dites-moi, M.F., pourrons-nous traiter comme peu de chose ou comme une faute légère ce que le bon Dieu punit si rigoureusement, et même dès ce monde ?
Voyez ce qui arriva à Ananie et à Saphire sa femme, qui furent frappés de mort subite pour avoir menti à saint Pierre. Nous lisons dans l'Écriture sainte qu'ayant vendu une terre, ils voulurent garder une partie de l'argent et porter le reste aux Apôtres pour le distribuer aux pauvres, voulant faire penser qu'ils donnaient tout. Ils voulaient paraître pauvres et rester riches ; mais le bon Dieu fit connaître à saint Pierre qu'ils le trompaient. Saint Pierre leur dit : « Comment l'esprit de Satan vous a-t-il rempli le cœur jusqu'à vous faire mentir au Saint--Esprit ? Ce n'est pas aux hommes que vous mentez, mais à Dieu même. » A peine Ananie eut-il entendu ces paroles, qu'il tomba mort. Trois heures après, Saphire, sa femme, vint sans savoir ce qui était arrivé à son mari, elle se présenta devant les Apôtres. Saint Pierre lui dit : « Est-ce bien vrai que vous n'avez vendu le fonds de votre terre que cela ? » Elle lui répondit : « Oui, nous ne l'avons vendu que cela. » Alors saint Pierre lui dit : « Comme votre mari, vous vous êtes accordés à tromper l'Esprit du Seigneur ; pensez-vous que vous pouvez en imposer à l'Esprit du Seigneur ? Vous serez punie de votre mensonge comme votre mari. Voilà des gens qui viennent de porter votre mari en terre, et, maintenant, ils vont vous y porter aussi. » A peine eut-il dit cela, qu'elle tomba morte et fut em-portée par les mêmes personnes
 Mais cependant, M.F., nous pouvons dire que les mensonges les plus mauvais sont ceux que nous disons lorsque nous nous confessons : c'est-à-dire, dans le tri-bunal de la pénitence. Par là, non seulement nous méprisons le commandement qui nous ordonne d'être sincères, mais encore nous profanons le sang adorable de Jésus-Christ. Nous changeons en poison mortel ce qui nous devait rendre la santé de notre pauvre âme, et nous outrageons même le bon Dieu dans la personne de ses ministres, qui sont placés sur le trône de sa mi-séricorde ; nous réjouissons l'enfer en attristant tout le ciel ; nous mentons à Jésus-Christ lui-même, qui voit et qui a compté tous les mouvements de notre cœur. Vous ne doutez pas, M.F., que, si vous aviez menti en vous confessant, et que vous vous contentiez de vous accuser que vous avez menti, cela ne vaudrait rien.
Je dis encore, M.F., que nous mentons par notre silence ou par quelque signe qui fait croire le contraire de ce que nous pensons. Nous lisons dans l'histoire un exemple qui nous fait voir combien le bon Dieu punit rigoureusement les menteurs. Il est rapporté dans la vie de saint Jacques, évêque de Nisibe en Mésopo-tamie, qui vivait dans le quatrième siècle, que, passant par une ville, il y eut deux pauvres qui vinrent lui demander de l'argent, en lui disant que leur camarade venait de mourir et qu'ils n'avaient rien pour le faire enterrer. Ces gens, sachant qu'il était bien charitable, avaient dit à l'un d'eux de faire semblant d'être mort, et qu'ils iraient demander à cet évêque de quoi se divertir. En effet, l'autre se couche par terre comme si, vérita-blement, il avait été mort. Le saint, plein de charité, leur donna ce qu'il put. Pleins de joie, revenant vers leur compagnon pour lui faire part de ce que l'évêque leur avait donné, ils le trouvèrent véritablement mort. Le saint évêque s'étant mis en prières pour demander le pardon des péchés de ce pauvre homme, dans le temps qu'il était en prières, il vit revenir ces deux jeunes gens qui étaient tout en larmes d'avoir été punis de leur mensonge. Ils se jetèrent aux pieds du saint en le priant de les pardonner ; que, s'ils l'avaient trompé, c'était la misère qui les avait portés à cela ; ils le con-jurèrent, en grâce, de prier le bon Dieu de ressusci-ter leur compagnon. Le saint, au lieu de les gronder, imita la charité de son divin Maître ; il y consentit vo-lontiers, pria pour lui, et le bon Dieu rendit la vie à celui auquel le mensonge avait donné la mort. « Mes enfants, leur dit le saint, pourquoi avez-vous menti ? Il fallait me demander ; je vous aurais donné, et le bon Dieu n'aurait pas été offensé. » (RIBADENEIRA, 15 juillet.)
Non, M.F., il n'est pas permis de mentir, comme le croient certaines personnes ignorantes et sans religion, pour éviter le bruit dans un ménage, soit les enfants envers père et mère, soit envers les domestiques. Vous ferez toujours moins de mal en laissant crier le mari ou la femme ou le voisin, que si vous mentez. Ne vaut-il pas mieux que vous supportiez les humiliations que si vous les faites supporter à Dieu même ? Nous ne devons pas même mentir pour cacher nos bonnes œuvres. Si quelqu'un vous demande si vous avez fait quelque bonne œuvre, si vous êtes obligé de parler, dites que oui, parce que votre mensonge outragerait plus le bon Dieu que votre bonne œuvre ne le glorifierait. En voici un bel exemple. Il est rapporté qu'un saint nommé Jean, était allé visiter un monastère ; lorsque les religieux furent réunis ensemble (il y avait là un diacre qui, par humilité, crainte qu'on eût quelque égard pour lui, n'a-vait jamais dit ce qu'il était), ce saint leur demanda s'il n'y avait point d'ecclésiastique parmi eux. Tous répondirent que non ; mais le saint, se tournant du côté de ce jeune homme, dit en le prenant par la main : « Mais, en voilà un qui est diacre. » Le supérieur lui répondit : « Mon père, il ne l'a dit à personne, sinon à un seul. » Lui baisant la main, le saint lui dit : « Mon ami, gardez--vous bien de désavouer la grâce que le bon Dieu vous a faite, de peur que vous ne tombiez dans un malheur, et que votre humilité ne vous fasse tomber dans le men-songe ; car il ne faut jamais mentir, non seulement en mauvais dessein, mais encore sous le prétexte d'un bien. » Le diacre le remercia et ne cacha plus ce qu'il était .
Saint Augustin nous dit qu'il n'est jamais permis de mentir, pas même quand il s'agirait de faire éviter la mort à quelqu'un. Il nous dit qu'il y avait dans la ville de Togaste en Afrique, un évêque nommé Firmin ; un jour il lui vint des gens de la part de l'empereur, lui deman-der un homme qu'il tenait caché chez lui. Il répondit à ceux qui l'interrogeaient, qu'il ne pouvait ni mentir ni leur dire où il était. Alors, voyant son refus de leur dire l'endroit où était celui qu'ils cherchaient, ils le prirent et lui firent souffrir tout ce que leur cruauté put leur inspirer. Ensuite, l'ayant présenté à l'empe-reur, celui-ci en fut si touché que, non seulement il ne le fit pas mourir, mais encore accorda la grâce à celui qui était chez lui. Hélas ! M.F., si le bon Dieu nous mettait à de pareilles épreuves, qui de nous ne succom-berait pas ? Que le nombre serait petit de ceux qui fe-raient comme ce saint évêque, qui préférait la mort plutôt que de dire un mensonge pour sauver sa vie et celle de son ami ! Hélas ! M.F., c'est que ce saint com-prenait combien le mensonge outrage le bon Dieu, et qu'il vaut bien mieux tout souffrir, et même perdre la vie, que de le commettre ; tandis que nous, dans notre aveuglement, nous regardons comme rien ce qui est bien grand aux yeux de Dieu, et qu'il punit bien rigoureuse-ment dans l'autre vie. Oui, M, F., il vaudrait bien mieux perdre, si vous voulez, votre santé, votre bien ou votre réputation et votre vie même, que d'offenser le bon Dieu et de perdre le ciel. Tous les biens ne sont que pour le temps présent, au lieu que le bon Dieu et notre âme sont pour l'éternité.
Si nous venons de voir combien le mensonge et la duplicité sont communs dans les ventes et les achats, ils ne se trouvent pas moins dans la conversation et dans les sociétés. Si le bon Dieu nous faisait voir et décou-vrir les cœurs de ceux qui composent une société ou une compagnie, nous verrions que presque toutes les pensées sont différentes des paroles qui sortent de leur bouche. L'on sait mettre le langage et tous les dehors de l'estime, de la bienveillance et de l'amitié, avec des sen-timents de haine et de mépris que l'on a dans le cœur, contre ceux avec qui l'on cause. Si vous entrez dans une maison, si vous paraissez dans une compagnie où l'on est occupé à diffamer votre réputation, aussitôt tous les visages changent de face ; l'on vous reçoit, l'on vous accueille avec un air gracieux et l'on vous accable, pour ainsi dire de politesses. Êtes-vous sorti ? aussitôt les railleries et les médisances sur votre compte recommen-cent. Dites-moi, M.F., peut-on trouver quelque chose de plus faux et de plus indigne d'un chrétien ? Hélas ! M.F., cependant rien de si commun dans le monde. Hélas ! M.F., ce monde si ingrat a beau nous trom-per, nous avons beau lui servir de risée, nous l'aimons, et nous nous trouvons infiniment heureux d'en être aimé. O aveuglement du cœur humain, jusques à quand te laisseras-tu séduire ? Jusques à quand tarderas-tu de te tourner du côté de ton Dieu qui ne t'a jamais trompé, pour quitter ce monde faux et hypocrite, qui ne peut te rendre que bien malheureux, même dès cette vie et en-core bien plus dans l'autre ? hélas ! M.F., que celui-là est insensé qui se réjouit d'en être applaudi et d'en être aimé, puisque ce monde est si faux et si trompeur ! Qui pourra jamais compter sur toutes les ruses et toutes les tromperies qui se forment dans le monde ?
Voyez encore, M.F., votre langage par rapport à Dieu. « Mon Dieu, dit cet avare lorsqu'il fait sa prière, je vous aime par-dessus toutes choses, je méprise les richesses, elles ne sont que de la boue en comparaison des biens que vous nous promettez dans l'autre vie. » Mais, hélas ! M.F., ce même homme, au sortir de sa prière ou d'une église, n'est plus le même ; ces biens qui dans sa prière étaient si vils, il les préfère à son Dieu et à son âme ; il ne pense ni aux pauvres ni aux infirmes, et, peut-être, il se détourne d'eux, par crainte qu'ils lui demandent quelque chose. Diriez-vous, M.F., que c'est le même homme, qui, tout à l'heure, disait au bon Dieu qu'il était tout à lui ? Appliquez, M.F., la même réflexion au vindicatif. « Je vous aime, mon Dieu, et tout le monde, » dit-il dans son acte de charité ; et à deux pas, il n'y a sorte de mal qu'il ne dise de son voisin. Voyez cet ambitieux, qui, dans sa prière, dit à Dieu : « Si j'ai le bonheur de vous aimer, je suis assez riche, je ne demande rien de plus ; » et un moment après, s'il aperçoit quelqu'un qui fasse quelque profit qu'il aurait pu faire, il est comme un désespéré. Écoutez cet impudique qui vous fait tant d'éloges de la sainte vertu de pureté ; d'ici à quelques moments, il vomira toutes sortes de saletés, ou s'y plongera. Voyez cet ivrogne, qui blâme tous ceux qui se mettent dans le vin, qui perdent la raison et dépensent mal à propos leur argent ; dans une heure, peut-être, à la première compagnie, il se laissera traîner dans les cabarets et se remplira de vin. Disons de même, M.F., de tous ceux qui joignent la pratique extérieure de la religion avec leurs inclinations vicieuses. Dans l'église, auprès du bon Dieu, tous sont bons chrétiens, du moins en apparence ; mais, répandus dans le monde, ils ne sont plus les mêmes, on ne les reconnaît plus.
Ouvrons les yeux, M.F., et reconnaissons combien tous ces mensonges et toutes ces fourberies sont indignes d'un enfant de Dieu, qui est la charité et la vérité même. Oui, M.F., soyons sincères dans tout ce que nous faisons pour le bon Dieu et pour le prochain, fai-sons pour les autres ce que nous voudrions que l'on fit pour nous, si nous ne voulons pas marcher dans le che-min de la perdition.
En troisième lieu, nous avons dit que souvent l’on ajoute au mensonge des serments et des malédictions, ce qui arrive presque tous les jours. Si quelqu'un ne veut pas vous croire, vous dites : « Si ce n'est pas vrai, que jamais je ne bouge ! C'est aussi vrai que le bon Dieu vous voit, que cette marchandise est bonne ou que cette bête n'a pas de défauts. » Prenez bien garde ; M.F., de ne jamais ajouter au mensonge des serments, même pour assurer une chose vraie. Jésus-Christ nous le défend : « Quand vous voudrez assurer une chose, dites : Cela est ou cela n'est pas ; oui ou non ; je l'ai fait ou je ne l'ai pas fait. Tout ce que vous dites de plus vient du démon . » Soyez bien persuadés, M.F., que ce ne sont ni vos mensonges, ni vos jurements, qui vous font vendre davantage, ni qui font croire ce que vous dites, c'est tout le contraire. Voyez par vous-mêmes si vous vous prenez à tous ces serments et ces mensonges que vous font et vous disent ceux de qui vous achetez. Vous dites : « Je sais que les mensonges et les jurements ne leur coûtent rien, ils n'ont que cela à la bouche. » Mais voilà le langage du monde : « Si je ne mens pas en ven-dant, je ne vendrai pas autant que les autres. » Vous vous trompez ; plus l'on voit une personne conter ses mensonges en louant sa marchandise, plus on lui entend faire ses serments, moins on la croit et plus on se méfie d'elle. Mais si, en vendant ou achetant, vous avez la crainte de Dieu, vous vendrez autant et vous achèterez aussi bon marché que les autres, et vous aurez le bon-heur de sauver votre âme. D'ailleurs. M.F., ne devons--nous pas préférer perdre quelque chose plutôt que de perdre notre âme, notre Dieu et notre paradis. Quand nous mourrons, de quoi vont nous servir toutes ces fourberies et ces duplicités dont nous nous sommes servis pendant notre vie ? Que de regrets d'avoir perdu le ciel pour si peu de chose !
Voyez ce que vous dit le cardinal Bellarmin. Il y avait, nous dit-il, dans Cologne, deux marchands, qui, pour vendre leurs marchandises, mentaient et juraient pres-que à tous les mots qu'ils disaient. Leur pasteur leur conseilla de quitter cette mauvaise habitude, parce que tous ces mensonges et ces jurements leur porteraient perte, qu'il croyait que s'ils disaient simplement la vé-rité, le bon Dieu les bénirait. Ils ne voulaient pas s'y résoudre ; cependant, pour obéir à leur pasteur, ils le firent enfin, et dirent à tous ceux qui venaient pour acheter leur marchandise qu'ils en voulaient tant, sans mentir ni jurer. Après quelque temps, leur pas-teur leur demanda s'ils avaient fait ce qu'il leur avait dit ; ils lui dirent que oui. Il leur demanda s'ils ne ven-daient pas autant qu'autrefois ; ils lui dirent : « Mon-sieur, depuis que nous avons quitté cette habitude de mentir et de jurer, nous vendons plus qu'auparavant. Nous voyons bien, maintenant, que tous ces mensonges et tous ces jurements ne sont que des ruses du démon pour tromper et perdre les marchands. A présent que les gens savent que nous ne mentons point et ne jurons plus, nous vendons le double d'autrefois, nous voyons que le bon Dieu bénit notre maison d'une manière vi-sible et que tout réussit bien chez nous. » Ah ! M.F., si nous avions le bonheur d'imiter ces marchands dans nos ventes et nos achats, que de péchés de moins, que de crainte de moins pour quand la mort viendra, alors, qu'il en faudra rendre compte, comme personne n'en doute ; puisque Jésus-Christ nous dit lui-même que nous rendons compte d'une parole inutile . Mais non, l'on ne pense pas à tout cela ; n'auriez-vous à vendre que pour un sol, vous mentez dès que l'occasion s'en pré-sente ; vous ne craignez ni de faire souffrir le bon Dieu, ni de perdre votre âme ; pourvu que vous gagniez deux sols, vous êtes contents, tout le reste n'est rien.
Mais, M.F., surtout gardez-vous de jamais ajouter le serment au mensonge. Voyez ce qui arriva devant saint Edouard, roi d'Angleterre : Étant à table avec le comte Gondovin, son beau-père, qui était très orgueilleux et très jaloux, au point qu'il ne pouvait souffrir personne auprès du roi, celui-ci lui dit qu'il savait bien qu'il avait contribué à la mort de son père, le comte lui répondit : « Si cela est véritable, je veux que ce morceau de pain que je vais manger m'étrangle. » Hélas ! à peine eut-il mis son morceau de pain dans sa bouche, qu'il lui resta au gosier et l'étrangla. Il tomba mort à côté du roi . Il est vrai que le bon Dieu ne nous châtie pas toujours d'une manière si terrible, mais nous ne sommes pas moins coupables à ses yeux.
Que devons-nous conclure de tout cela ? Le voici, M.F. C'est de ne jamais nous accoutumer à mentir ; car, une fois qu'on en a pris l'habitude, on ne peut plus s'en corriger ; il faut être sincère et véritable dans tout ce que nous disons et faisons. Si l'on ne veut pas nous croire, eh bien ! qu'on le laisse ! Ne jamais forcer d'au-tres personnes à mentir ; il y en a qui vous questionnent tant, qu'ils vous font dire des mensonges, ou bien vous font mettre en colère. Ils sont encore plus coupables que celui qui ment, puisque, sans eux, l'on n'aurait pas menti. Quand nous voulons nous confesser, il faut bien déclarer quels sont les mensonges que nous avons dits puisque vous avez vu qu'il y en a qui peuvent être des péchés mortels, selon notre intention en les disant. D'ailleurs, M.F., comment pouvons-nous employer à mentir notre langue qui a été arrosée du sang précieux de Jésus-Christ, notre bouche, qui, tant de fois, a servi de tabernacle au corps adorable de Jésus-Christ. O mon Dieu ! si nous pensions à tout cela, aurions-nous bien ce courage ? Heureux, M.F., celui qui agira avec simpli-cité et qui parlera toujours dans la vérité ! C'est le bon-heur que je vous souhaite.
 7ème dimanche après la Pentecôte

(TROISIEME SERMON)

Nécessité de faire de bonnes œuvres
 

Omnis arbor, quœ non facit fructum bonum, excidetur, et in ignem mittetur.
Tout arbre qui ne rapporte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu.
(S.Matth., VII, 19.)

Cette parabole, M.F., n'est pas difficile à comprendre. C'est précisément nous qui sommes cet arbre que Jésus-Christ a planté dans le sein de son Église, qu'il a cultivé par ses soins, ses travaux et ses souffrances : c'est-à--dire, qu'il nous a rendus dignes, par sa mort et passion, de porter des œuvres dignes d'être récompensées pen-dant l'éternité. Mais il nous menace de nous punir dans sa colère et de nous jeter en enfer, si nous ne faisons pas le bien, le pouvant si facilement par les mérites de sa mort et passion, et par l'institution de cette religion sainte, dans laquelle nous avons le grand bonheur d'être nés et nourris. De sorte, M.F., que le bon Dieu a droit d'attendre de nous que nous fassions des œuvres capa-bles de le glorifier et de lui donner lieu de nous récom-penser dans l'autre vie. Nous sommes dans ce monde comme cet arbre, dont nous parle le Psalmiste, en disant que nous devons être « comme un arbre qui est planté le long des eaux, qui produit des fruits en abondance et dans son temps, capables de réjouir son maître . » Oui, M.F., tout homme dont les actions ne sont pas bonnes, quand même elles ne seraient pas mauvaises, est au moins, aux yeux de Dieu, un arbre stérile, qui sera coupé et jeté au feu éternel. Hélas ! et combien de chrétiens qui se perdent pour ne pas bien réfléchir sur cette vérité ! Oui, M.F., voilà quelle est la vie des chré-tiens, ou du moins du plus grand nombre : les uns ne passent leur temps qu'à faire des œuvres mauvaises ; les autres se contentent de n'en point faire de mauvaises, mais n'en font point de bonnes ; d'autres enfin en font de bonnes, mais qu'ils ne devraient pas faire, ou qui ne leur convenaient pas dans l'état où ils sont ; et très peu font de bonnes œuvres qui plaisent à Dieu et qui seront récompensées pendant l'éternité. Mais, pour mieux vous le faire comprendre, M.F., je vais vous montrer 1° la nécessité où nous sommes de faire des bonnes œuvres si nous voulons nous sauver ; 2° quelles sont les bonnes œuvres que le bon Dieu veut de nous, en général et en particulier.

I. – Vouloir, M.F., vous convaincre de la nécessité où nous sommes de faire de bonnes œuvres, de pratiquer les vertus qui nous conviennent dans l'état où le bon Dieu nous a placés : c'est comme si nous voulions prou-ver à un domestique la nécessité de faire ce que son maître attend de lui pour recevoir son gage à la fin de l'année. De même, M.F., nous savons très bien que nous tous, chrétiens et nés dans le sein de l'Église catholique, nous ne sommes sur la terre que pour faire ce qui peut glo-rifier le bon Dieu et lui donner lieu de nous récompenser. Si l'on reproche à ces chrétiens lâches leur indifférence et leur tiédeur dans le service de Dieu, soit dans leurs prières, soit dans la fréquentation des sacrements, ils vous répondent qu'ils ne font point de mal. Vous dites que vous ne faites point de mal, ce qui est très difficile à croire, et quand même vous ne feriez point de mal, si vous ne faites point de bien, c'est-à-dire de bonnes œuvres ; si vous ne pratiquez pas les vertus qui con-viennent à votre état, vous ne laisserez pas d'être dam-nés. Écoutez saint Paul, qui a tant converti d'âmes à Jésus-Christ, après tout ce qu'il a fait pour contribuer à la gloire de Dieu, après une infinité de bonnes œuvres, puisque toute sa vie en a été une chaîne continuelle : « Hélas ! je crains bien qu'après avoir appris aux autres ce qu'il fallait faire pour aller au ciel, je ne sois moi-même réprouvé . » Écoutez encore saint François de Sales, cet homme dont les vertus feront l'admiration de tous les siècles : « Hélas ! s'écrie-t-il, quand je pense comment j'ai employé ce temps précieux que le bon Dieu ne m'avait donné que pour faire de bonnes œuvres, je tremble qu'il ne puisse pas me donner son éternité bienheureuse. » Disons plutôt, M.F., que c'est le lan-gage de tous les saints. Et nous, M.F., qui n'avons ni piété, ni religion, nous osons assurer témérairement que nous ne faisons point de mal ! Mon Dieu, quel aveu-glement sur notre salut ! Que de pauvres chrétiens maintenant brûlent, qui, sous prétexte qu'ils ne faisaient point de mal, ne se sont pas mis en peine de faire le bien et se sont perdus !
Oui, M.F., quand même cela serait vrai, que vous n'auriez pas ces vices grossiers, qui sont indignes d'un chrétien, et même d'une créature raisonnable ; quand même vous ne seriez pas du nombre de ces avares qui ne perdent point d'occasion pour ramasser du bien, qui ne se font point de scrupule de travailler le saint jour du dimanche et de tromper leur prochain ; quand vous ne seriez pas un ivrogne, qui, par le vin, devient moins raisonnable qu'une bête brute ; et que vous ne seriez pas non plus du nombre de ces vieux sales, infâmes impu-diques, qui se traînent et se roulent dans la fange et les joies de ces sales voluptés ; si cependant, M.F., malgré cela, vous ne faites pas de bonnes œuvres, vous n'en-trerez jamais dans le royaume des cieux, parce que vous savez aussi bien que moi que, pour aller au ciel, il faut nécessairement bien faire deux choses : éviter le mal, et faire le bien. Remplir une de ces obligations et manquer à l'autre, ce n'est rien faire. Comme, par exemple : si vous faites de grandes pénitences ; que vous donniez beaucoup aux pauvres, cela est très bien ; mais si, avec cela, vous n'évitez pas le mal que vous pouvez ; si vous entretenez dans votre cœur des sentiments de haine, de vengeance contre votre prochain ; si vous médisez contre lui ; si vous le jugez témérairement ; si vous laissez traîner les sentiments de votre cœur dans les sales pen-sées d'impureté et d'orgueil, toutes vos bonnes œuvres ne sont rien, parce qu'un seul péché détruit tout le mérite de ce bien que vous venez de faire. D'un autre côté, quand vous seriez bien réglé dans vos mœurs, ne faisant tort à personne, évitant le mal autant que vous le pouvez, si, avec tout cela, vous ne pratiquez pas le bien, vous ne faites que la moitié de ce que vous devez faire, et, d'après Jésus-Christ lui-même, vous ne laisse-rez pas d'être damnés .
Mais, M.F., si vous voulez vous convaincre, de ma-nière à ne pas pouvoir en douter, que, malgré que nous ne fassions pas de mal, si nous ne faisons pas le bien, nous serons tout de même perdus ; écoutez Jésus-Christ qui ne fait porter son jugement uniquement que sur l'omission des bonnes œuvres que nous aurions dû faire pendant notre vie. « Retirez-vous de moi, maudits ! allez au feu éternel, qui est préparé au démon et à ceux qui l'ont imité. J'ai eu faim et soif, vous ne m'avez pas donné à manger ni à boire ; j'ai été malade et prisonnier et vous ne m'êtes pas venu visiter ; j'ai été nu, et vous ne m'avez pas vêtu . » Saint Augustin nous dit que c'est comme si Jésus-Christ nous disait : « Non, non, malheureux pécheurs, ce n'est pas seulement pour le sujet que vous croyez que je vous condamne, non pas même pour avoir commis de grands crimes ; car, si vous aviez fait de bonnes œuvres, par là vous les auriez effacé et si vous aviez racheté vos péchés par l'aumône, comme vous l'auriez pu, je ne vous aurais jamais condamné. Mais, parce que vous avez négligé de faire de bonnes œuvres, et que vous n'avez pas fait le bien que je voulais de vous, je vous réprouve et vous condamne aux flammes éternelles. Allez, malheureux, vous viviez sans faire de bien, retirez-vous de moi ; jamais vous ne verrez ma face, qui aurait fait tout votre bonheur dans le ciel. » Voulez-vous encore une autre preuve qui nous montre, comme l'on ne peut pas mieux, la nécessité de faire de bonnes œuvres pour aller au ciel, écoutez Jésus-Christ : « Venez, les bénis de mon Père, prendre possession du royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ; car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donne à boire ; j'ai été en prison et malade, et vous m'avez visité ; j'ai été nu, et vous avez eu la charité de me couvrir . »
 Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? Rien autre, si ce n'est que, si nous ne faisons pas de bonnes œuvres, quand même nous ne ferions point de mal, nous ne laisserons pas que d'être perdus. Aussi, voyons--nous que notre divin Sauveur nous compare, tantôt à un laboureur qui sème pour recueillir, qui ne cueille que s'il sème,, et qui ne recueille rien, s'il ne sème rien  ; tantôt à un figuier que le père de famille a planté dans sa vigne ; il le taille, il le cultive avec soin dans l'espérance qu'il rapportera du fruit ; mais, voyant qu'il n'en porte point, quoiqu'il n'en porte pas de mau-vais, il l'arrache et le jette au feu . D'autres fois, Jésus-Christ compare le paradis au salaire qu'on donne à un ouvrier qui a rempli sa tâche . Dites-moi, n'est-ce pas bien nous montrer que Jésus-Christ ne donnera son paradis qu'à ceux qui l'ont mérité par leurs bonnes œuvres ? Voyez Jésus-Christ, qui est notre modèle : a-t-il été un instant de sa vie sans travailler à faire de bonnes œuvres, à convertir les âmes à son Père, et à souffrir ? Et nous, tout misérables que nous sommes, nous vou-drions qu'il ne nous en coûtât rien ? Non, non, M.F., cela ne sera pas ainsi. Ou nous ferons de bonnes œuvres, ou nous serons damnés, quand même nous ne ferions point de mal.
Voyez maintenant, M.F., les bonnes œuvres que vous avez faites. Les avez-vous faites uniquement pour Dieu, de sorte que le monde n'y ait été pour rien, et que jamais vous n'ayez été fâchés de les avoir faites à cause de ces quelques retours d'ingratitude que l'on vous a fait essuyer ? Vous êtes-vous jamais applaudis en vous-mêmes du bien que vous avez fait, rendu au prochain ? parce que, si tout cela vous est arrivé, ou vous n'avez rien fait, ou il faut tout compter comme pour rien, parce que vous en avez déjà perdu la récompense. Savez-vous, M.F., le parti que vous avez à prendre ? Si vous n'avez rien fait, ou si ce que vous avez fait est perdu pour quelque vue humaine, commencez de suite, afin qu'à la mort, vous puissiez vous trouver encore quelque chose à présenter à Jésus-Christ pour qu'il vous donne la vie éternelle. – Mais, me direz--vous, peut-être, je n'ai fait que du mal pendant toute ma vie ; je ne suis qu'un mauvais arbre qui ne peut plus porter de bon fruit. – M.F., cela se peut encore, et je vais vous l'apprendre. Changez cet arbre de terre, arro-sez-le avec d'autre eau, fumez-le avec d'autres engrais, et vous verrez que vous porterez du bon fruit, quoique vous en ayez porté de bien mauvais jusqu'à présent. Si cet arbre, qui est vous-mêmes, a été fertile en orgueil, en avarice et en impureté, vous pouvez faire, avec la grâce du bon Dieu, que ses fruits deviennent abondants en humilité, en charité et en pureté. Faites de vous-mêmes comme la terre, qui, avant le déluge, tirait de son sein l'eau pour s'arroser elle-même , sans avoir recours aux nuées du ciel, pour lui donner la fécondité. De même, M.F., tirez de votre propre cœur cette eau salutaire qui en changera les dispositions. Vous l'aviez arrosé avec l'eau bourbeuse de vos passions ; eh bien ! à présent, arrosez-le avec les larmes du repentir, de la douleur et de l'amour, et vous verrez que vous cesserez d'être un mauvais arbre, pour en devenir un qui portera du fruit pour la vie éternelle.
Pour vous montrer, M.F., que cela se peut très bien, en voici un exemple admirable dans la personne de sainte Madeleine. Voyez, d'après Jésus-Christ même, combien elle était un mauvais arbre, et ensuite, combien la grâce en a fait un bon arbre, qui a porté du bon fruit avec abondance. Saint Luc nous dit qu' « elle était une pécheresse, et connue pour telle dans toute la ville de Jérusalem . » Je vous laisse à penser ce que ces pa-roles, sorties de la bouche de Jésus-Christ même, veulent nous dire. C'était une jeune fille née avec les passions les plus vives, une beauté extraordinaire, de grands biens : ce qui est un feu qui allume encore davantage les pas-sions, qui les nourrit et les engraisse continuellement. Elle avait un grand attrait pour les plaisirs du monde, un goût extrême pour les modes et un grand désir de plaire ; de sorte que ses pensées et tous ses soins étaient employés à cela. Un air peu modeste annonçait déjà d'avance que son innocence ne tarderait pas de faire naufrage. Vaine idole du monde, elle cherche autant qu'elle peut à lui plaire, soit dans ses regards enflammés par un feu impur qui sort du fond de son cœur, soit dans toutes ses démarches et cet air efféminé qui parait sur son front. Tout cela annonce un arbre qui ne peut porter que de bien mauvais fruits. Elle reçoit avec une complaisance incroyable les profanes regards des mon-dains ; elle reçoit avec amour-propre les fades éloges des hommes ; elle aime à se produire, avec une joie au delà de ce que l'on peut comprendre, dans les assemblées du grand monde. Étant d'une grande beauté, possédant de grandes richesses, jeune et bien faite ; tout le monde, ce semble, n'avait du cœur, des yeux que pour elle. Les danses, les spectacles et le soin de plaire à tout le monde, font toute son occupation. Si elle se rend parmi les fidèles dans les lieux destinés à la prière, elle s'y rend avec empressement, non pour y pleurer ses péchés, comme elle l'aurait dû faire ; mais, bien mieux, pour s'y placer comme une idole, pour y voir et, encore plus, pour y être vue et admirée. Elle semble, par là, vou-loir disputer les cœurs à Dieu même et l'honneur qui n'est dû qu'à lui seul. Enfin, elle va si loin qu'elle finit par être un sujet de scandale à toute la ville de Jéru-salem. Les entretiens avec les jeunes gens, les embras-sements, les conversations peu modestes, les corrup-tions auxquelles elle se livre finissent par ne plus la faire regarder que comme une fille de mauvaise vie. Elle finit par être fuie et méprisée par tous les gens de bien. Tous les gens de la ville ne la nomment plus que la femme pécheresse et scandaleuse. Vous conviendrez avec moi que voilà un bien mauvais arbre ; si vous avez été aussi loin, il n'en est guère qui l'ait passée. Hélas ! M.F., quel fruit d'orgueil n'a pas porté cette tête embellie et ornée avec tant de soin ? hélas ! que de fruits de corruption n'a pas produit ce cœur pourri et brûlé par un feu impur ? Et ainsi de toutes les autres passions qui la dominaient. Je crois, M.F., qu'il est assez difficile de trouver un arbre plus mauvais. Eh bien ! M.F., vous allez voir que si nous voulons nous prêter à la grâce, qui jamais ne nous manquera plus qu'à Madeleine, quelque misérables que nous soyons, nous pouvons changer notre arbre, qui, jusqu'à présent n'a porté que de mauvais fruits ; nous pouvons lui en faire porter de bons, si seulement nous voulons nous prêter à la grâce qui vient à notre secours. De mauvais chrétien, nous pouvons devenir bon, et porter du fruit digne de la vie éternelle, ce que nous allons voir dans le retour de Madeleine.
Saint Jérôme nous dit que, pendant que Madeleine était ainsi abandonnée à tous ses désordres, le bruit de tant de miracles que le Sauveur faisait en guérissant les malades et ressuscitant les morts remplissait d’étonne-ment toute la Judée ; chacun s'empressait de voir un homme si extraordinaire. Madeleine, pour son bonheur, se trouva dans le nombre. Les premières paroles qu'elle entendit sortir de la bouche du Sauveur, ce fut la para-bole de l'enfant prodigue et celle du Bon Pasteur. Elle se reconnut véritablement dans cet enfant prodigue ; et reconnut le Sauveur pour le Bon Pasteur. Les traits de la grâce étaient trop vifs et trop perçants pour qu'elle n'en ressentit pas l'atteinte. Au récit de cette parole elle se sentit attendrie et touchée jusqu'aux larmes. Si tant de prodiges qu'elle a vus et entendus elle-même la remplissent d'étonnement, la grâce achève de la chan-ger, en faisant, d'un bien mauvais arbre, un très bon, qui doit porter des fruits excellents. Mais ce qui achève de la détacher d'elle-même et du péché, en rompant tout ce qui pouvait l'en retenir, ce fut cette grande bonté de Dieu pour les pécheurs. Ah ! M.F., que la grâce est puissante quand elle trouve un cœur bien disposé ! La voilà qui commence à ne plus penser ni agir de même, la grâce la poursuit, les remords de sa conscience la tourmentent, elle sent son cœur qui se brise de dou-leur de ses péchés ; ses yeux qui, autrefois, étaient si allumés du feu impur, et qui savaient si bien l'allumer dans le cœur des autres, commencent à verser des larmes amères. Comme son cœur avait goûté le premier les plaisirs du monde, elle veut aussi qu'il soit le pre-mier à ressentir tout le regret d'avoir fait mal. Dès lors, ce grand monde qui, autrefois, faisait tout son plaisir et son bonheur, ne fait plus que l'importuner et la dégoûter de plus en plus. Elle ne se trouve bien que séparée du monde et dans la retraite, où elle peut réflé-chir et verser des larmes en toute liberté. Son cœur se sent toujours percé plus vivement, à mesure qu'elle considère la vie qu'elle a menée jusqu'à présent, l'ou-trage qu'elle a fait à Dieu, le nombre d'âmes qu'elle a perdues par une vie mauvaise. Cet amour d'elle-même, cette orgueilleuse complaisance qu'elle avait dans sa beauté, tous ces profanes hommages qui la flattaient tout cela ne lui est plus qu'une vanité insensée et une espèce d'idolâtrie. Ce luxe immodeste, ces amusements mondains, qu'elle avait toujours regardés comme les privilèges de son âge et de son sexe, ne sont maintenant à ses yeux qu'une vie païenne et une véritable apostasie de sa religion. Ces sentiments passionnés, ces libertés indécentes, ces tendres attachements, autrefois si chers à son cœur, et tous ces mystères d'iniquités ne lui semblent à présent que crimes et abomination. Elle reconnaît, en versant des larmes en abondance, que si le bon Dieu l'avait ornée de tant de dons, cela n'était que pour qu'elle lui fût plus agréable. Elle n'en conçoit que plus vivement son ingratitude et sa révolte. Dans ces combats, elle apprend qu'un pharisien distingué a le bonheur de recevoir chez lui le Sauveur ; elle se rap-pelle tout ce qu'elle a entendu du Sauveur : « Oui, se dit-elle à elle-même, je ne peux plus douter qu'il soit ce Pasteur si bon et si charitable, et que moi, je ne sois cette brebis perdue. Ah ! s'écrie-t-elle, c'est à moi--même qu'il en voulait, lorsqu'il parlait de cet enfant prodigue ! oui, je me lèverai et j'irai le trouver ! » En effet, ne se possédant plus, elle se lève, foule aux pieds toutes ses plumes et toutes ses vanités ; elle court, ou plutôt la grâce, dont son cœur était déjà tout brûlant, l'entraîne ; foulant tout respect humain, elle entre dans la salle du festin avec un air abattu, ses cheveux, autrefois si bien tirés et frisés, tout épars, les yeux baissés et baignés de larmes, la confusion et la rou-geur sur le front ; elle se jette aux pieds du Sauveur qui était à table. « Ah ! Madeleine, Madeleine, s'écrie un Père de l'Église, que faites-vous, et qu'êtes-vous devenue ? où sont ces plaisirs, cette vanité et cet amour profane ? » Ah ! non, non, M.F., plus de Madeleine pécheresse, mais Madeleine pénitente, et une amante fidèle du Sauveur.
Oui, M.F., ce fut dans ce moment que tout changea en elle ; si elle avait tant perdu d'âmes par une vie si scandaleuse, elle va, par sa vie pénitente, en gagner encore plus qu'elle n'en a perdu. Elle n'a nul respect humain, elle accuse publiquement ses péchés devant une nombreuse assemblée, elle embrasse les pieds du Sauveur, elle les arrose de ses larmes, elle les essuie de ses cheveux. Non, non, M.F., Madeleine n'est plus Madeleine, mais une sainte amante du Sauveur. « Non, non, M.F., nous dit saint Augustin, dans Madeleine, plus de vanité, plus de plaisirs, plus d'amour profane, tout est saint et pur en elle. Oui, M.F., nous dit ce grand saint, ces parfums si recherchés qu'elle avait donnés tout au luxe, cette chevelure si bien parée et ornée, ces yeux animés d'un feu si dangereux, tout cela est maintenant purifié dans les larmes. Ah ! M.F., nous dit-il, qui pourrait nous faire connaître ce qui se passe dans son cœur ? Chacun de ceux qui furent témoins de ce coup de générosité la tourne en ridicule, la traite d'insensée, la blâme et la condamne, sinon Jésus-Christ lui-même, qui connaît bien que c'est sa grâce qui a tout fait en elle. » Il en est si touché qu'il ne lui parle nullement de ses péchés ; mais il prend un singulier plaisir à faire l'éloge de tout le bien qu'elle a fait, et cela devant tout le monde : « Allez, lui dit tendrement le Sauveur, vos péchés vous sont par-donnés, ne pleurez plus. »
Aussi voyons-nous que si le bon Dieu fut si miséricordieux envers elle, elle fut une des plus fidèles à lui tenir compagnie pendant sa Passion ; elle ne peut plus le quitter ; elle se jette au pied de la croix  ; elle mêle ses larmes avec le sang adorable de Jésus-Christ. Après la mort du Sauveur, étant revenue le chercher dans son tombeau, ne l'ayant pas trouvé, elle s'en prend au ciel et à la terre, aux anges et aux hommes ; il faut qu'elle le trouve, à quel prix que ce soit. Le Sauveur, vaincu par son amour, ne peut plus se cacher à cette grande sainte pénitente. Il se montra le premier à elle pour lui dire qu'il était ressuscité comme il leur avait dit . Après l'Ascension du Sauveur, les Juifs, par haine de ce que Jésus-Christ l'aimait, la prirent, avec son frère Lazare et sa sœur Marthe, les exposèrent dans un mau-vais vaisseau sans gouvernail, dans l'espérance de les faire périr ; mais ce fut Dieu lui-même qui le conduisit : ils vinrent débarquer à Marseille, d'où, après quelque temps, Madeleine alla se retirer dans une solitude, pour y finir ses jours dans les larmes et la pénitence.
Eh bien ! M.F., ne conviendrez-vous pas avec moi qu'un arbre qui a porté de bien mauvais fruits, avec la grâce de Dieu peut en porter de très bons, dignes de plaire à Dieu et d'être récompensés pendant l'éternité ? Vous, M.F., qui avez porté des fruits aussi mauvais que Madeleine ; qui vous êtes roulés et livrés à bien des péchés ; qui, peut-être, dans la vie de Madeleine péche-resse, reconnaissez avoir fait tout cela ; hélas ! M.F., donc pleurez ! Que de péchés d'orgueil, de vanité, d'ava-rice, de vengeance et d'impureté ! Hélas ! mon Dieu ! que nous en verrons au grand jour du jugement, qui n'ont jamais paru aux yeux du monde, mais bien aux yeux de Dieu à qui rien n'est caché. Eh ! M.F., si vous avez, comme Madeleine, porté du mauvais fruit, qui vous empêche maintenant d'en porter de bon ? Vous avez entendu, comme Madeleine, le récit de la parabole de l'Enfant prodigue , où vous vous reconnaissez parfai-tement bien être ce pécheur ; vous avez entendu, comme Madeleine, le récit de la parabole du Pasteur qui court après sa brebis qui est perdue , vous ne manquerez pas de vous dire en vous-même : C'est moi-même que Jésus-Christ cherche par sa grâce, qui me donne tant de fois la pensée de me convertir. Pourquoi ne feriez-vous pas comme Madeleine, puisque vous sentez votre cons-cience qui crie, et la grâce qui vient à votre secours pour vous faire changer dans votre manière de vivre ? Pourquoi encore, après vous être réconciliés avec le bon Dieu par la grâce du sacrement de Pénitence, ne feriez--vous pas comme Madeleine, qui, non contente d'avoir quitté le mal, s'attache au bon Dieu de tout son cœur et pour toute sa vie ? Croyez-vous que la grâce vous man-que ? Non, M.F., non, votre âme est aussi précieuse aux yeux de Dieu que celle de Madeleine, et, par conséquent, vous êtes sûrs que jamais la grâce ne vous manquera pour vous convertir et persévérer.

II. – En deuxième lieu, M.F., nous lisons dans l'Écriture sainte que le Seigneur disait à son peuple, en lui parlant de la nécessité de faire des bonnes œuvres pour lui plaire et pour être du nombre des saints : « Les choses que je vous demande ne sont pas au--dessus de vos forces ; pour les faire, il n'est pas néces-saire de vous élever jusqu'aux nues, ni de traverser les mers ; tout ce que je vous commande est, pour ainsi dire, sous vos mains, dans votre cœur et autour de vous . » Je peux bien, M.F., vous répéter la même chose : il est vrai que jamais nous n'aurons le bonheur d'aller au ciel si nous ne faisons pas de bonnes œuvres ; mais ne nous effrayons pas, M.F. : ce que Jésus-Christ demande de nous, ce ne sont pas des choses extraordi-naires, ni au-dessus de notre portée, il ne demande pas de nous que nous soyons tout le jour à l'église, ni même de faire de grandes pénitences : c'est-à-dire, jusqu'à ruiner notre santé, ni même encore de donner tout notre bien aux pauvres, (quoiqu'il soit très véri-table que nous sommes obligés de donner aux pau-vres, autant que nous le pouvons, ce que nous devons faire pour plaire à Dieu qui nous le commande et pour racheter nos péchés). Il est encore vrai que nous devons pratiquer la mortification en bien des choses, dompter nos penchants. Il n'est pas douteux qu'une personne qui vit sans se mortifier est une personne qui ne vien-dra jamais à bout de se sauver. Il n'est pas douteux que, quoique nous ne puissions être tout le jour à l'église, ce qui serait un grand bonheur pour nous ; cependant nous savons très bien que nous ne devons jamais man-quer à nos prières, du moins le matin et le soir. – Mais, me direz-vous, il y en a plus d'un qui ne peuvent pas jeûner, d'autres qui ne peuvent donner l'aumône, d'autres qui sont tellement occupés que souvent ils ont peine à faire leur prière le matin et le soir, comment pourront-ils donc se sauver, puisqu'il faut prier conti-nuellement et qu'il faut nécessairement faire de bonnes œuvres pour avoir le ciel ? – Puisque toutes nos bonnes œuvres se réduisent à la prière, au jeûne et à l'aumône, M.F., nous pourrons facilement faire tout cela, comme vous allez le voir.
Oui, M.F., quoique nous ayons mauvaise santé, et que nous soyons même infirmes, il y a un jeûne que nous pouvons faire facilement. Fussions-nous même bien pauvres, nous pouvons encore faire l'aumône, et, quelque grandes que soient nos occupations, nous pouvons prier le bon Dieu sans rien déranger de nos affaires, prier soir et matin, et même toute la journée, et voici comment.
1° Nous pratiquons un jeûne qui est très agréable à Dieu, toutes les fois que nous nous privons de quelque chose qu'il nous ferait plaisir de faire, parce que le jeûne ne consiste pas tout dans la privation du boire et du manger ; mais, de ce qui nous flatte le plus dans notre goût ; les uns peuvent se mortifier dans la manière de s'arranger, les autres dans les visites qu'ils veulent faire aux amis qu'ils aiment à voir ; les autres, dans les paroles et les discours qu'ils aiment à tenir ; celui-ci fait un grand jeûne, et qui est très agréable à Dieu, quand il combat son amour-propre, son orgueil, sa répugnance à faire ce qu'il n'aime pas faire, ou en étant avec des personnes qui contrarient son caractère, ses manières d'agir. Vous pouviez aller dans cette certaine compagnie sans même offenser le bon Dieu ; mais vous vous en privez pour le bon Dieu : voilà un jeûne qui est bien méritant. Vous trouvez-vous dans une occasion où vous pourriez contenter votre gourmandise ? au lieu de le faire, vous prenez, sans le faire apercevoir, ce qui vous convient le moins. Lorsque vous achetez des meubles ou des habillements, vous ne prenez pas ce qui vous con-viendrait le mieux : voilà encore un jeûne, dont la récompense vous attend à la porte du ciel pour vous aider à entrer. Oui, M.F., si nous voulions bien nous y prendre, non seulement nous trouverions chaque jour de quoi pratiquer le jeûne, mais encore, à chaque instant de la journée.
Mais, dites-moi, y a-t-il encore un jeûne qui soit plus agréable à Dieu que de faire et de souffrir avec patience certaines choses qui souvent vous déplaisent grande-ment ? Sans parler des maladies, des infirmités et tant d'autres afflictions qui sont inséparables de notre misé-rable vie, combien n'avons-nous pas l'occasion de nous mortifier en souffrant ce qui nous gêne et nous répugne ? Tantôt c'est un ouvrage qui nous ennuie ; tantôt, c'est une personne qui nous déplaît, d'autres fois, c'est une humiliation qu'il nous coûte de souffrir. Eh bien ! M.F., si nous souffrons tout cela pour le bon Dieu, et uni-quement pour lui plaire, ce sont là les jeûnes les plus agréables à Dieu et les plus méritants. Vous êtes obligés, pendant toute l'année, de travailler à des ouvrages bien pénibles, qui souvent semblent vous faire mourir, ne vous donnant pas même le temps de respirer. Oh ! M.F., que de trésors vous ramasseriez pour le ciel, si vous vouliez, en ne faisant que ce que vous faites ; si, au milieu de vos peines, vous aviez la précaution d'élever votre cœur vers le bon Dieu, en lui disant : « Mon bon Jésus, j'unis mes peines à vos peines, mes souffrances à vos souffrances ; faites-moi la grâce que je me trouve toujours content dans l'état où vous m'avez placé. Je bénirai votre saint nom en tout ce qui m'arrivera ! » Oui, M.F., si vous aviez le grand bonheur de vous comporter de cette manière, toute votre misère, tous vos travaux deviendraient comme autant de fruits très précieux, que vous présenteriez au bon Dieu, à l'heure de votre mort. Voilà, M.F., comment chacun, dans son état, peut pratiquer une espèce de jeûne très méri-toire et qui lui sera bien compté pour l'éternité.
2° Nous disons qu'il y a une sorte d'aumône que tout le monde peut faire. Vous voyez donc bien que l'au-mône ne consiste pas seulement à nourrir ceux qui ont faim et à donner des habits à ceux qui n'en ont pas ; mais ce sont tous les services que l'on rend au prochain, soit pour le corps, soit pour l'âme, quand nous le fai-sons en esprit de charité. Quand nous avons peu, eh bien ! nous donnons peu ; et quand nous n'avons pas, nous prêtons si nous le pouvons. Celui qui ne peut pas fournir au besoin des malades, eh bien ! il peut les visiter, leur dire quelques paroles de consolation, prier pour eux, afin qu'ils fassent un bon usage de leur ma-ladie. Oui, M.F., tout est grand et précieux aux yeux du bon Dieu, lorsque nous agissons par un motif de religion et de charité, parce que Jésus-Christ nous a dit qu'« un verre d'eau ne serait pas sans récompense  » Vous voyez donc, M.F., que quoique nous soyons bien pauvres, nous pouvons facilement faire l'aumône.
3° Je dis que, quelque grandes que soient nos occu-pations, il y a une espèce de prière que nous pouvons faire continuellement, sans même nous déranger de nos occupations, et voici comment cela se fait. C'est en tout ce que nous faisons, de ne chercher qu'à faire la volonté de Dieu. Dites-moi, M.F., est-il bien difficile de ne cher-cher qu'à faire la volonté de Dieu dans toutes nos actions, quelque petites qu'elles soient ? Oui, M.F., avec cette prière tout devient méritoire pour le ciel ; et, sans cette volonté, tout est perdu. Hélas ! que de biens sans récompense, qui nous aideraient tant pour gagner le ciel en ne faisant que ce que nous faisons !
Mais, me direz-vous, quels sont donc les fruits qu'un père et une mère de famille doivent porter ? – M.F., les voici. Il y a les bons fruits que nous devons tous porter en général, tels que l'humilité, la charité, la pureté et ainsi de toutes les autres vertus qui nous conviennent à tous. Il y en a qui voudraient pouvoir rester tout le jour et la nuit cachés dans un coin de leur maison et y pleurer leurs péchés, ce qui cependant serait très bon ; mais les fruits les plus précieux pour eux, c'est de bien ins-truire leurs enfants, de leur faire connaître, avec la grâce du bon Dieu, la fin pour laquelle ils sont sur la terre ; c'est de leur apprendre à prier le bon Dieu avec attention, avec respect ; c'est de ne jamais leur donner de mauvais exemples, de leur parler souvent des souf-frances que Jésus-Christ a endurées pour nous mériter le ciel, du regret que nous aurons à l'heure de la mort d'avoir méprisé tout cela ; c'est de ne jamais parler mal de la religion ni du prochain devant eux ; de leur faire concevoir un grand mépris pour les plaisirs du monde et pour toutes les choses du monde, qui ne sont que bien peu, puisque nous restons si peu sur la terre ; c'est de leur faire considérer le service du bon Dieu comme la seule chose qui puisse nous consoler en ce monde et, adoucir nos peines ; c'est de leur faire bien connaître que, n'étant sur la terre que pour Dieu seul, jamais nous ne serons heureux si nous ne servons pas le bon Dieu avec zèle et avec amour. C'est encore de faire sou-vent des jeûnes et aumônes, ou d'autres bonnes œuvres pour ses enfants, surtout quand on voit qu'ils sont dans l'éloignement de Dieu et qu'ils vivent comme s'ils n'avaient point d'âmes à sauver. Voilà, M.F., les fruits qu'un père et une mère doivent porter et qui sont les seuls que le bon Dieu demande d'eux. Comme les maîtres et maîtresses ont les mêmes obligations à rem-plir envers leurs domestiques, ils doivent porter les mêmes fruits : c'est-à-dire, faire tout ce que les pères et mères sont obligés de faire envers leurs enfants. De sorte qu'en faisant cela, vous faites une prière conti-nuelle, tout en ne cherchant qu'à faire la volonté de Dieu dans chaque action que vous avez le bonheur de faire. Un enfant, qui, dans tous les devoirs qu'il rend à ses parents, n'a en vue que de plaire à Dieu, qui lui ordonne de respecter, d'aimer ses parents, d'en avoir soin, de les soulager dans leurs misères, ou de les con-soler dans leurs chagrins ou maladies, et de prier le bon Dieu pour eux ; voilà, M.F., les fruits précieux que le bon Dieu demande de lui, et dont il sera récompensé pendant l'éternité.
Un laboureur ou un ouvrier qui supportent la mau-vaise humeur de ceux qui les occupent, qui offrent leurs peines et les mauvais temps qu'ils endurent, dans la seule vue de plaire à Dieu et de sauver leurs âmes : voilà du bon fruit, et une prière continuelle que Dieu ne laissera pas sans récompense. Ah ! M.F., que d'occasions de mérite nous laissons échapper, et qui nous condui-raient à grands pas au ciel, si nous avions le bonheur d'offrir à Dieu toutes nos actions ; si nous le priions de bénir nos travaux, de bien régler nos démarches et de présider à tout ce que nous faisons ; si nous avions soin de conserver et de renouveler de temps en temps nos intentions dans notre travail. M.F., disons souvent à Dieu : « Ayez pitié de moi ! venez à mon secours ; mon Dieu, je ne veux rien faire que ce qui peut vous plaire. » Vous conviendrez avec moi que toutes ces prières ne vous dérangeront en rien dans vos travaux ; tous ces jeûnes n'incommoderont nullement votre santé ; vous avez vu que nous pouvons bien faire des aumônes sans avoir de l'or ni de l'argent, et une infinité de bonnes œuvres qui ne nous coûteront qu'un peu de vigilance et de contrainte.
Cependant, M.F., je vous dirai 1° que pour que ces œuvres soient méritoires pour le ciel, il faut qu'elles soient faites en état de grâce, parce que vous savez aussi bien. que moi que toutes les bonnes œuvres que nous faisons étant en état de péché sont mortes pour le ciel. Il est vrai qu'elles peuvent mériter notre conversion, ce qui est déjà un grand bonheur ; mais elles ne seront point récompensées pour le ciel ; c'est une vérité expres-sément marquée dans l'Évangile , ce qui nous doit grandement faire prendre garde de ne jamais rester dans le péché, puisque tout le bien que nous faisons, ne nous accompagnera pas devant le tribunal de Jésus-Christ. Ah ! malheureux qui, depuis tant de temps, croupissez dans le péché, que de bonnes œuvres perdues, qui vous auraient conduits sûrement au ciel ! Hélas ! de quoi vous servent tous vos maux et toutes les misères de la vie, sinon à vous perdre ? O mon Dieu ! que de chrétiens perdus qui, en ne faisant que ce qu'ils font, se sauve-raient si bien !
2° Nous disons qu'il faut agir par un motif surna-turel : c'est-à-dire, par amour pour Dieu, en vue de notre salut ; parce que, si vous agissez par un motif purement naturel, comme par exemple : si vous ne tra-vaillez que pour bien faire vos affaires, gagner votre vie, nourrir et entretenir vos enfants ; cela n'a rien de plus parfait que ce que font les païens ; dans cela, il n'y a point de récompense pour le ciel. Si vous ne rendez service au prochain que parce qu'il est votre parent ou votre ami, parce que vous êtes touché de compassion des maux qu'il éprouve ; mais que vous n'ayez pas en vue de plaire à Dieu et le salut de votre âme, votre tra-vail et toutes vos aumônes seront bien récompensés dans ce monde ; mais jamais pour le ciel. Hélas ! M.F., que de bonnes œuvres perdues ! Combien parmi nous, M.F., qui ont fait bien des bonnes œuvres, rendu bien des services au prochain, qui ont fait même de grands sacrifices ; mais qui, n'ayant pas la pensée de le faire pour plaire à Dieu, n'en auront point de récompense ! Oui, M.F., si nous voulons que tout ce que nous faisons soit récompensé pour le ciel, il faut avoir, le matin, en nous éveillant, la pensée de faire tout ce que nous ferons pendant la journée dans la seule vue de plaire au bon Dieu et pour le salut de notre âme, et renouveler cette offrande, de temps en temps, dans le courant du jour. Il faut que, toujours, la pensée de plaire à Dieu nous accompagne partout, car tout ce que nous faisons, séparé de cette pensée, est perdu pour le ciel.
N'ai-je pas bien raison, en vous disant que l'igno-rance sera la cause de la perte du plus grand nombre des chrétiens ? Hélas ! que de chrétiens qui ont peut--être plus de cinquante ans et qui n'ont jamais eu cette pensée de plaire à Dieu en faisant leur travail, leur prière, leurs aumônes, et en rendant quelques services à leur prochain ! Ah ! M.F., si nous voulions !... Que de fruits nous pourrions porter pour le ciel, si nous vou-lions ne plaire qu'à Dieu seul dans tout ce que nous faisons ; et bien plus, que nous en ferions porter à d'autres ! Nous en avons un bel exemple dans la personne de saint Denis. Étant arrivé à Paris qui était encore plongé dans l'idolâtrie, il fit tant par ses prières, ses instructions et ses miracles, que tous ces peuples qui n'étaient que de bien mauvais arbres et ne por-taient que de bien mauvais fruits, devinrent presque tous des arbres capables de porter du fruit pour la vie éternelle. Les prêtres des idoles, voyant le nombre de personnes qu'il convertissait, allèrent trouver le gouverneur, en lui disant qu'un nouveau prédicateur faisait un grand mépris de ses dieux, et que presque tous les habitants se faisaient chrétiens. Le gouverneur entra dans une grande colère contre saint Denis, le fit prendre, et jeter dans un cachot, où on lui fit subir tout ce que la rage des tyrans put inventer. On lui brisa tout le corps, en faisant rouler sur lui de gros quartiers de pierre. Le tyran, l'ayant fait reparaître devant son tribunal, lui dit finement que ses pensées avaient bien changé. Le saint lui répondit que les tour-ments les plus horribles, et la mort même, ne lui feraient jamais changer de sentiments. A ces paroles, le juge ne lui répondit que par une grêle de coups de fouets, armés de pointes de fer, qui lui déchirèrent le corps jusqu'aux entrailles. C'était un spectacle digne des anges, de voir un bon vieillard, qui avait plus de cent et six ans, chanter les louanges de Dieu pendant cette horrible boucherie. Le juge, voyant son courage, le fit étendre sur un chevalet ; on lui ouvrit toutes ses plaies avec des ongles de fer ; ensuite, l'ayant étendu sur un gril, on le rôtit à petit feu, ce qu'il endura sans lasser sortir de sa bouche une seule plainte. Ensuite, on le jeta dans une fournaise ardente, où le bon Dieu le garantit d'être brûlé. Après cela, il fut attaché à une croix, d'où il prêchait au peuple, comme d'une chaire. Le tyran, voyant que rien ne pouvait le vaincre, le condamna à avoir la tête tranchée ; et c'est une tradi-tion aussi ancienne que sa mort, que son corps, s'étant levé, prit sa tête entre ses mains, fit près d'une lieue jusqu'à ce qu'il trouva une personne qu'il avait convertie, et il tomba à ses pieds. Après tant de mira-cles, de prières et d'instructions, presque tous se con-vertirent .
Dites-moi : n'est-ce pas là un arbre qui a porté du bon fruit et qui en fait porter aux autres ? Ah ! M.F., si nous étions bons chrétiens nous-mêmes, que de fruits nous porterions pour la vie éternelle ! Que de fruits nos bons exemples feraient porter aux autres ! Prenons donc bien garde de ne pas nous trouver du nombre de ceux à qui Jésus-Christ dira : « Otez cet arbre, qui n'a point porté de bons fruits ; coupez -le et jetez-le dans le feu . » Mais au contraire, M.F., tâchons que tout ce que nous faisons ou disons soit du fruit pour le ciel, par une grande pureté d'intention, et, par là, nous aurons le bonheur d'entendre de la bouche de Jésus-Christ même ces paroles : « Venez, les bénis de mon Père, prendre possession du royaume des cieux , parce que tout ce que vous avez fait, vous ne l'avez fait qu'en vue de me plaire. » C'est ce que je vous souhaite...
 

 8ème dimanche après la Pentecôte
Sur le jugement particulier
 

Redde rationem villicationis tuæ
Rendez-moi compte de votre administration.
(S.Luc, XVI, 2.)

Pouvons-nous bien, M.F., réfléchir sur la sévérité du jugement de Dieu, sans nous sentir pénétrés de la crainte la plus vive ? Quoi ! M.F., les jours de notre vie sont tous comptés ; plus encore, nous ignorons l'heure et le moment où notre souverain Juge doit nous citer devant son tribunal, et ce moment sera peut-être celui auquel nous pensons le moins, où nous serons le moins disposés à rendre ce compte redoutable !... Je vous assure, M.F., que, quand on y pense bien, il y aurait de quoi jeter dans le désespoir, si la religion ne nous enseignait pas que nous pouvons adoucir ce moment par une vie qui soit toujours dans le cas de nous assurer l'espérance que le bon Dieu aura pitié de nous. Prenons bien garde, M.F., de ne pas nous trouver embarrassés quand ce moment viendra, comme cet éco-nome dont Jésus-Christ nous parle dans l'Évangile. Je vais donc, M.F., vous montrer 1° qu'il y a un jugement particulier, où nous rendrons un compte très exact de tout le bien et de tout le mal que nous aurons fait ; 2° quels sont les moyens que nous devons prendre pour prévenir la rigueur de ce compte.

I. – Nous savons tous, M.F., que nous serons jugés deux fois : une fois, au grand jour des vengeances, c'est--à-dire, à la fin du monde, en présence de tout l'univers, où toutes nos actions, bonnes ou mauvaises, seront manifestées aux yeux de tout le monde. Mais, avant ce jour terrible et malheureux pour les pécheurs, nous en aurons subi un, au moment, où nous mourrons, et dès que nous aurons rendu le dernier soupir. Oui, M.F., toute la condition de l'homme est renfermée dans ces trois mots : vivre, mourir et être jugé. C'est une loi fixe et invariable pour tous les hommes. Nous naissons pour mourir, nous mourrons pour être jugés, et ce juge-ment décidera de notre bonheur ou de notre malheur éternel. Le jugement universel auquel nous devons tous paraître, ne sera que la publication de la sentence parti-culière qui aura été prononcée à l'heure de notre mort. Vous savez tous, M.F., que Dieu a compté nos années  ; et, dans ce nombre d'années qu'il a résolu de nous accorder, il en a marqué une qui sera la der-nière pour nous ; dans cette dernière année, un dernier mois ; dans ce dernier mois, un dernier jour ; et enfin, dans ce dernier jour, une dernière heure, après laquelle, il n'y aura plus de temps pour nous. Hélas ! que devien-dront ce pécheur et cet impie qui se promettent toujours une plus longue vie ? Qu'ils comptent, ces pauvres mal-heureux, tant qu'il leur plaira ; après cette dernière heure, il n'y aura plus de retour, plus d'espérance et plus de ressource !
Au même instant, M.F., écoutez-le bien, vous qui ne craignez pas de passer vos jours dans le péché, voyez au même instant que votre âme sortira de votre corps, elle sera jugée. – Mais, me direz-vous, nous le savons bien. – Oui, mais vous ne le croyez pas. Dites-moi, si vous le croyiez sérieusement, comment pourriez-vous rester dans un état qui vous met dans le cas de tomber en enfer continuellement ? Non, non, mon ami, vous ne le croyez pas ; parce que si vous le croyiez bien, vous ne vous exposeriez pas à un si grand malheur. Cepen-dant, le moment viendra où le bon Dieu appliquera le sceau de son immortalité et le cachet de son éternité sur votre dette, au point où elle se trouvera dans ce moment ; et ce sceau et ce cachet ne seront jamais rompus. O moment terrible ! mais si peu médité, si court et si long, qui coule avec tant de rapidité et qui entraîne avec soi une suite si effroyable de siècles ! Que va-t-il donc nous arriver, dans ce moment si capable de nous effrayer ? Hélas ! M.F., c'est que nous paraîtrons tous, chacun en particulier, devant le tribunal de Jésus-Christ, pour y être jugés et y rendre compte de tout le bien et de tout le mal que nous aurons fait. Le jugement particulier, M.F., est si certain, que le bon Dieu, pour nous en convaincre, en a fait paraître les signes à plusieurs, dès leur vivant ; afin que nous nous y préparions .
Nous voyons dans l'histoire, qu'un jeune libertin était adonné à toutes sortes de vices ; mais qu'ayant été ins-truit par une mère sage, une nuit qui suivit un jour où il avait donné dans les plus grands excès, il eut un songe pendant son sommeil. Il se vit transporté au tribunal de Dieu. L'on ne peut dire quelle fut sa honte, sa confusion et l'amertume de son âme. A son réveil, il avait une fièvre ardente, il était en sueur et hors de lui-même, ses cheveux étaient devenus tout blancs. « Laissez-moi seul, disait-il, fondant en larmes, à ceux qui le virent les pre-miers dans cet état, laissez-moi seul, j'ai vu mon Juge : ah ! qu'il est terrible ! Pardon, mon Dieu ! ô pardon ! » Ses compagnons de débauches, apprenant que leur ami était malade, et qu'il se désolait, vinrent le voir pour le consoler. « Retirez-vous de moi, leur disait-il, vous n'êtes plus mes amis, je ne vous veux plus désormais. Ah ! j'ai vu mon Juge. Ah ! qu'il est terrible ! Quelle majesté ! quelle gloire que celle dont il est revêtu ! Ah ! que d'accusations et que d'interrogations auxquelles je n'ai rien pu répondre ! Tous mes crimes sont écrits, je les ai tous lus. Ah ! que le nombre en est grand ! C'est bien maintenant que j'en connais toute l'énormité ! Hélas ! j'ai vu une troupe de démons, qui n'attendaient que le signal pour me traîner dans les enfers. Retirez--vous, faux amis, non jamais je ne vous verrai ! Que je serais heureux, si je pouvais, par les rigueurs de la péni-tence, apaiser ce Juge si terrible !... Je m'y dévoue pour toute ma vie. Hélas ! bientôt, il me faudra paraître pour tout de bon ! hélas ! peut-être que ce sera aujourd'hui !... Mon Dieu, pardonnez-moi !... Mon Dieu, faites-moi misé-ricorde !... Ah ! de grâce, ne me perdez pas, ayez pitié de moi ! ... Je ferai pénitence toute ma vie. Oh ! que de péchés j'ai commis !... Oh ! que de grâces méprisées !... Oh ! que de bien j'aurais pu faire, et que je n'ai pas fait !... Mon Dieu, ne me jetez pas en enfer ! » Mais, M.F., il ne s'en tint pas là. Il passa le reste de sa vie à pleurer, à faire pénitence. Que ce moment, M.F., sera terrible pour celui qui n'aura point fait de bien et qui aura fait beaucoup de mal.
Oui, M.F., nous rendrons compte de toutes nos actions bonnes et mauvaises : tout paraîtra devant notre Juge au moment où notre âme se séparera de notre corps. Oui, M.F., le bon Dieu nous fera rendre compte de tous les biens que nous avons reçus. Je dis 1° qu'il y a les biens de la nature, de la fortune et de la grâce. Tous ces biens entreront en ligne de compte. Les biens de la nature regardent le corps et l'âme ; il faudra rendre compte de l'usage que nous avons fait de notre corps. Il demandera si nous avons employé nos forces à rendre service au prochain, à travailler pour avoir de quoi faire des aumônes, à faire pénitence, à faire des voyages pour aller visiter les endroits que le bon Dieu a privilégiés (comme Notre-Dame de Fourvière, saint François Régis, et ailleurs...). Mais, si, au contraire, nous n'avons em-ployé notre santé et notre corps qu'à courir dans les jeux, dans les cabarets, à aller voler le prochain, à travailler le saint jour du dimanche, à faire des voyages ces saints jours, au lieu de les employer à prier, à aimer le bon Dieu, à instruire les ignorants, à leur don-ner de bons conseils, à les porter au bon Dieu et à les détourner du mal. Ensuite il examinera si nous ne nous sommes pas servi de notre esprit pour le mal : c'est-à--dire, à nous instruire pour les mauvaises choses. Si nous avons lu de mauvais livres, fréquenté les impies, appris aux autres à faire le mal. Si nous l'avons fait servir à tromper dans les ventes et les achats, à témoi-gner à faux en justice, à susciter des procès, à porter les autres à se venger et à parler mal contre la religion, à leur apprendre des impiétés sur la religion : comme en leur voulant faire croire que la religion n'est pas bonne, que tout ce que l'on dit n'est pas vrai, que les prêtres disent bien ce qu'ils veulent ! Il examinera encore si nous n’avons pas employé notre esprit à com-poser de mauvaises chansons contre la pureté, contre la réputation du prochain ; si nous n'avons pas communiqué nos mauvaises connaissances aux autres. Il nous demandera si nous avons employé notre esprit à nous instruire, si nous avons tiré vanité de la beauté de notre corps, au lieu d'admirer en nous la sagesse et la puis-sance de Dieu. Si nous nous en sommes servi pour porter les autres au mal, comme une personne qui se pare de manière à attirer les yeux du monde sur elle. Le bon Dieu examinera si nous avons bien employé notre bien, nous rappelant que nous ne sommes que des économes, et que tout ce que nous dépensons mal à propos, nous sera imputé à péché. Alors le bon Dieu fera voir à ces pères et mères toutes ces vanités qu'ils ont achetées à leurs enfants, ce qui n'a servi qu'à perdre leur âme ; il leur montrera tout cet argent dépensé dans les jeux, les cabarets, les danses, et toutes les autres dépenses inutiles. Et ensuite, tout ce que nous avons laissé perdre, et que nous aurions pu donner aux pau-vres. Hélas ! que de péchés auxquels on n'aura jamais pensé, et que nous ne voulons pas maintenant recon-naître ; et que nous reconnaîtrons bien dans ce moment, mais trop tard !
Venons à présent, M.F., à un autre rendement de compte qui sera bien plus terrible, c'est celui de la grâce. Le bon Dieu commencera à nous faire voir les bienfaits qu'il nous a accordés : 1° en nous faisant naître dans le sein de l'Église catholique, tandis que tant d'au-tres sont nés et morts hors de son sein. Il nous fera voir que, même parmi les chrétiens, un nombre infini sont morts sans avoir reçu la grâce du saint Baptême. Il nous fera voir combien d'années, de mois, de semaines, de jours, il nous a conservé la vie, étant dans le péché ; et que si, dans ces moments, il nous avait fait mourir, nous aurions été précipités dans les enfers. Il nous remettra devant les yeux toutes les bonnes pensées, toutes les bonnes inspirations, les bons désirs qu'il nous a donnés pendant toute notre vie. Hélas ! que de grâces mépri-sées ! Il nous rappellera toutes les instructions que nous avons reçues et entendues pendant notre vie ; tous les catéchismes, toutes les lectures qui étaient mises à notre disposition, afin d'en profiter. Toutes nos confes-sions, toutes nos communions, et tant d'autres grâces du ciel que nous avons reçues. Et combien de chrétiens n'en ont pas reçu la centième partie, et se sont sanc-tifiés ! Mais, M.F., que sont devenus tous ces bienfaits et toutes ces grâces, et quel profit en avons-nous fait ? Triste moment pour un chrétien qui a tout méprisé et qui n'a profité de rien ! Savez-vous, M.F., ce que vous... ? Voyez ce que nous dit saint Grégoire. « Ah ! mon ami, regarde cette croix, et tu verras ce qu'il en a coûté à un Dieu pour nous mériter la vie. » C'est pour cela que, quand saint Augustin méditait sur le rende-ment de compte qu'il faudrait faire des grâces qu'on aurait reçues et méprisées ; il s'écriait : « Hélas ! mal-heureux, que vais-je devenir après tant de grâces reçues ! Hélas ! je crains encore plus pour les grâces que j'ai reçues que pour les péchés que j'ai commis, quoiqu'ils soient bien nombreux ! Mon Dieu, quel sera mon sort ? » Nous lisons dans la vie de sainte Thérèse que, dans sa dernière maladie, elle fut transportée au jugement de Dieu ; étant revenue à elle-même, on lui demanda ce qu'elle craignait, après avoir fait tant de pénitence. « Hélas ! dit-elle, je crains beaucoup. » On lui demanda si elle avait peur de la mort ? « Non ». dit-elle. Si c'était de l'enfer ? « Non », répondit-elle. Qu'est-ce donc qui la faisait trembler ? « Hélas ! il faut que ma vie soit confrontée avec celle de Jésus-Christ : ah ! malheur à moi, si j'ai même l'ombre du péché ! » Mais qu'allons-nous penser, M.F., lorsque Jésus-Christ nous reprochera le mépris et l'abus que nous avons fait de son Sang précieux et de tous ses mérites ? « Ah ! pécheur ingrat, nous dira-t-il, vigne infructueuse, arbre stérile, qu'ai-je dû faire pour ton salut que je n'aie pas fait ? N'avais-je pas lieu d'attendre que tu porterais de bons fruits pour la vie éternelle ? Où sont les bonnes œuvres que tu as faites ? Où sont tes bonnes prières qui m'ont fait plaisir, qui m'ont touché le cœur ? Où sont tes bonnes confessions ? Les bonnes communions qui m'ont fait naître dans ton âme, qui m'ont dédommagé, en quelque sorte, des tourments que j'ai endurés pour ton salut ? Où sont les pénitences et les larmes que tu as répandues pour effacer les péchés que tu as commis ? Où sont les bonnes œuvres que tu as faites, pour tant de bonnes pensées, de bons désirs et tant d'occasions que je t'ai données et fournies ? Où sont ces messes bien entendues, où tu aurais pu me satisfaire pour tes péchés ? Va, malheureux, tu n'as produit que des œuvres d'iniquité, tu n'as travaillé qu'à renouveler les souf-frances de ma passion et de ma mort. Va, retire-toi de moi, je te maudis pour l'éternité ! Va, au jour du juge-ment général, je manifesterai tout ce bien que tu aurais pu faire et que tu n'as pas fait, et toutes les grâces que je t'ai accordées et que tu as méprisées. » Hélas ! que de reproches et que de péchés, auxquels nous n'avons jamais pensé ! Hélas ! que ce compte sera terrible ! En voici un exemple qui va vous le prouver. Il est rapporté par saint Jean Climaque , qu'un anachorète, nommé Étienne, après avoir mené une vie des plus austères et des plus saintes, étant déjà fort vieux, tomba malade de la maladie dont il mourut. La veille de sa mort, se trouvant tout un coup hors de lui-même, et néanmoins ayant les yeux ouverts, il regardait à droite et à gauche de son lit, comme s'il avait vu quelque personne qui lui faisait rendre compte de ses actions. L'on entendait une personne qui l'interrogeait, et le malade répondait si haut que tous ceux qui étaient dans l'appartement pouvaient l'entendre. On l'entendait qui disait : « Oui, il est vrai, j'ai commis ce péché, mais j'ai jeûné pour ce péché, tant d'années. » Ensuite l'autre voix disait qu'il avait fait tel péché, le mourant lui disait : « Non : c'est faux, je ne l'ai pas fait. » Un autre moment, on l'entendait qui disait : « Oui, je l'avoue, je l'ai commis ; mais le bon Dieu est tant miséricordieux, qu'il me l'a pardonné. » C'était, nous dit saint Jean Climaque, un spectacle effrayant que d'entendre le compte invisible et si exact que l'on demandait à ce solitaire de toutes ses actions. Mais, nous dit-il, ce qu'il y avait encore de plus épouvantable, c'est qu'il était accusé même des péchés qu'il n'avait jamais commis. Quoi ! M.F., un saint solitaire, qui avait passé quarante ans dans le désert, qui avait tant versé de larmes, avoue lui-même qu'il ne peut se justifier de quelques accusations qu'on lui fait !... Il nous laissa, dit saint Jean Climaque, dans une grande incertitude de son salut. Mais, que devien-dra un pécheur qui, dans ce moment, ne verra que du mal et point de bien ? Moment terrible ! moment déses-pérant ! Et ne rien avoir sur quoi se reposer !
Vous savez que ce jugement se passera entre trois témoins : le bon Dieu qui jugera, notre bon ange gar-dien qui montrera les bonnes œuvres que nous aurons faites, et le démon qui manifestera tout ce que nous aurons pu commettre de mauvais pendant tous les ins-tants de notre vie. D'après leurs dépositions, le bon Dieu nous jugera et fixera notre sort pour l'éternité. Hélas ! M.F., quelle doit être la frayeur d'un pauvre chrétien qui attend son jugement, et qui, dans quelques minutes, sera en enfer ou dans le ciel !
Nous lisons dans l'histoire  qu'un saint abbé, nommé Agathon, étant à l'extrémité, demeura toujours les yeux fixés vers le ciel sans les remuer. Les religieux lui dirent : « Où croyez-vous être maintenant, mon père ? » – « Je suis en la présence de Dieu, dont j'attends le jugement. » – « Ne l'appréhendez-vous pas ? » – « Hélas ! je ne sais si toutes mes actions seront bien reçues de Dieu ; je crois bien avoir accompli les commandements ; mais les jugements de Dieu sont différents de ceux des hommes. » Dans ce moment, il s'écria : « Hélas ! je suis en jugement. » Hélas ! M.F., que de regrets d'avoir perdu tant de moyens de nous sauver, et méprisé tant de grâces que le bon Dieu nous a faites pour nous aider à gagner le ciel, et de voir que tout cela a été perdu pour nous, ou plutôt, que tout cela tourne à notre condamnation !
Mais, s'il est déjà si terrible de rendre compte des grâces que le bon Dieu nous avait faites pour nous garantir de l'enfer, que sera-ce donc lorsque nous serons examinés et jugés sur tous les péchés que nous aurons commis ? Peut-être, pour vous consoler, dites--vous que vous n'avez pas commis ces péchés mons-trueux, aux yeux du monde. Mais ces péchés intérieurs, M.F. !... Hélas ! que de pensées d'impureté, que de désirs impurs, que de pensées de haine, de vengeance et d'envie ont roulé dans votre imagination pendant une vie de trente ou quarante ans, et peut-être quatre-vingts ans ! Hélas ! que de pensées d'orgueil, de jalousie, que de désirs de se venger, que de désirs de nuire à son prochain, que de désirs de tromper ! Et quand il en viendra à ces péchés d'actions ?... Hélas ! quand le bon Dieu va prendre le livre des mains des démons, pour examiner toutes ces actions d'impuretés,  toutes ces corruptions, toutes ces turpidités, tous ces regards hon-teux, toutes ces confessions et ces communions sacri-lèges, tous ces détours et toutes ces ruses que l'on aura employés pour séduire cette personne .... Hélas ! que vont devenir ces victimes de l'impureté ! Oh ! qu'elles seraient plus heureuses si le bon Dieu les précipitait en enfer avant leur mort, pour éviter de paraître devant un Juge si pur !
Selon toute apparence, ce jugement se fera dans le lit du mourant ou dans la chambre. Hélas ! ces pauvres malheureux qui n'ont pas plus de retenue et de réserve que les animaux, peut-être moins, ne verront-ils pas, comme l'impie Balthazar , leur sentence de réproba-tion écrite contre les murs de leurs maisons, ou plutôt dans tous les coins de leurs maisons. Pourront-ils nier, quand Jésus-Christ, le livre à la main, leur montrera le lieu et l'heure où ils ont commis le péché ! « Va, mal-heureux, leur dira-t-il, je te réprouve et je te maudis pour jamais ! » Hélas ! M.F., quand le bon Dieu leur offrirait leur pardon, il est comme sûr qu'ils n'en voudraient point, tant le péché endurcit le cœur. Ah ! Jésus-Christ pour-rait leur faire les mêmes menaces qu'il fit à cet impie, dont il est parlé dans l'histoire. Étant sur le point de sortir de ce monde, Jésus-Christ lui dit : « Veux-tu me demander pardon, et je te pardonnerai ? » Mais non ! quand on s'est roulé dans le péché pendant sa vie, il n'y a plus de retour. – « Non, » lui dit le mourant. – « Eh bien ! lui dit Jésus-Christ, en lui jetant une goutte de son sang précieux au front, va : au grand jour du jugement ce sang adorable, méprisé et profané toute ta vie, sera ta marque de réprobation. » Après ces paroles, il meurt, et il est jeté en enfer. O terrible moment pour un pé-cheur qui ne verra rien de bon pour lui faire espérer le ciel ! Ce pauvre pécheur, tout tremblant, voudrait déjà être en enfer, n'ayant rien à répondre. Il se meurt, il ne peut que dire : « Oui, j'ai mérité l'enfer, il est juste que j'y sois précipité ; puisque j'ai tant profané ce sang adorable que vous aviez versé sur l'arbre de la croix pour mon salut. » Jésus-Christ, toujours avec le livre où sont écrits ses péchés, verra toutes ses prières man-quées ou mal faites, peut-être même faites avec la haine et la vengeance ; que dis-je ? peut-être, avec un cœur brûlé par le feu de l'impureté. Non, non, mon Dieu, n'examinez pas davantage, jetez-le vite dans les enfers, c'est la plus grande grâce que vous puissiez lui faire, si vous devez lui en faire encore une avant de le jeter dans le feu éternel. Oui, Jésus-Christ tournera le feuillet où il verra écrits tous ces jurements, toutes ces imprécations, toutes ces malédictions qu'il n'a cessé de vomir pendant sa vie, avec une langue et une bouche qui ont été tant de fois arrosées de ce sang adorable. Oui, M.F., Jésus-Christ tournera le feuillet, il y trouvera écrites toutes ces pro-fanations des saints jours du dimanche. Ah ! non, non, il n'y aura plus de prétextes, tout sera mis en évidence. Oui, il verra toutes ces ivrogneries qui se sont commises dans ces saints jours ; toutes ces débauches, ces jeux, ces danses, qui ont profané ces jours consacrés à Dieu. Hélas ! que de messes manquées ou mal entendues ! Que de saintes messes, où nous ne nous sommes presque rien occupés du bon Dieu ! Hélas ! peut-être que nous y aurons commis plus de péchés que pendant toute la semaine ! Oui, M.F., Jésus-Christ tournera le feuillet, il verra écrits tous ces crimes des enfants ingrats qui ont méprisé leur père et leur mère, qui les ont maudits, leur ont souhaité la mort pour être maîtres de leurs biens, qui les ont fait souffrir dans leur vieillesse, qui, par leurs mauvais traitements... Oui, M.F., Jésus-Christ tournera le feuillet et verra écrites toutes ces injustices et toutes ces usures dans les ventes et dans les prêts. Oui, toutes ces rapines seront mises au jour.
Hélas ! ce pauvre malheureux entendra lire le détail de toute sa vie, et sans pouvoir trouver une seule excuse. Hélas ! où en sera réduit ce pauvre orgueilleux qui voulait toujours avoir droit, qui méprisait tout le monde, qui se raillait de tout ? Mon Dieu, dans quel état de désespoir cet examen l'a-t-il réduit ? Oui, M.F., dans ce monde, nous avons toujours quelques prétextes pour diminuer nos péchés, si nous ne pouvons pas tout à fait les cacher. Mais, avec Jésus-Christ, M.F., tout ceci ne sera plus. Il nous fera convenir lui-même de tout ce que nous avons fait, et nous serons forcés d'approuver que telle a été notre vie, et que c'est avec justice que nous serons condamnés à aller brûler dans les enfers et bannis pour jamais de la présence de notre Dieu. O malheur épouvantable ! Mais malheur sans avoir l'espérance de le réparer ! O que celui qui y penserait bien serait bien plus sage que nous ne sommes !
Mais, ce n'est pas encore assez : le démon qui a tra-vaillé toute notre vie à notre perte, présentera à Jésus-Christ un livre où seront écrits tous les péchés que nous aurons fait commettre aux autres. Hélas ! que le nombre en sera grand, et ce ne sera que dans ce moment-là où nous pourrons le savoir . Hélas ! que vont devenir ces pères et mères, ces maîtres et maîtresses, qui ont tant de fois fait manquer la prière à leurs enfants et à leurs domestiques, crainte de perdre un moment pour leur travail ? Que de messes n'ont-ils pas fait manquer à leur berger ? Que de vêpres, que d'instructions, que de caté-chismes et que de sacrements que leurs gens n'ont pas fréquentés, faute de leur donner du temps. Combien de fois ne les ont-ils pas fait travailler les dimanches, et ne se sont-ils pas moqués d'eux lorsqu'ils faisaient quel-ques pratiques de religion ? et quelquefois ne les ont-ils pas empêchés de les faire ? Combien de libertins ont fait commettre de péchés à de jeunes personnes par leurs sollicitations et leurs promesses ? Et parmi les filles, n'ont-elles pas porté les autres à de mauvaises pensées, à des regards impurs, par leurs manières affectées et recherchées ? Combien d'ivrognes qui ont été cause que d'autres se sont mis dans le vin et ont passé leur diman-che dans le cabaret, en manquant les offices ? Hélas ! que de péchés n'ont pas laissé commettre les cabaretiers, en donnant à boire aux ivrognes ! Combien de paroles sales et combien d'autres actions impures, parce que dans les cabarets tout est permis ! C'est là où l'on fait couler de son cœur le venin de l'impureté, qui enivre de ses sales plaisirs presque tous ceux qui se trouvent dans la maison. Hélas ! qu'il y aura de quoi rendre compte ! Combien de jeunes gens qui volent leurs pa-rents pour avoir de quoi aller au cabaret ! et qui en porte le péché ? Personne autre, sinon les cabaretiers. Hélas ! combien ces impies n'ont-ils pas donné de doutes sur la religion par leurs impiétés, en débitant tout ce qu'ils ont inventé pour affaiblir la foi dans le cœur de ceux qui étaient avec eux ! Combien de calom-nies contre les prêtres ! comme si le défaut de l'un rendait les autres mauvais. Hélas ! combien de personnes qui n'ont quitté de fréquenter les sacrements, que parce qu'elles se sont trouvées avec des impies qui leur ont tant débité de faussetés contre la religion qu'ils ont tout abandonné. Qui pourrait compter le nombre des âmes qu'ils ont perdues ? Cependant tout cela leur sera imputé à péché, tout cela sera cause de leur condamnation. Toutes les âmes qu'ils ont perdues viendront demander vengeance à ce moment  Hélas ! si le saint roi David disait qu'il craignait plus pour les péchés d'autrui que pour les siens, que vont donc devenir ces pauvres malheureux qui n'ont passé leur vie qu'à perdre de pauvres âmes par leurs mauvais exemples et leurs dis-cours méchants ? Hélas ! quel étonnement, lorsqu'ils verront qu'ils ont jeté tant d'âmes dans les enfers !
Qui de nous, M.F., ne tremblera pas en pensant que le bon Dieu ne laissera rien sans examen, pas même les bonnes œuvres, pour savoir si elles ont été bien faites, et pour lui seul. Hélas ! que d'actions qui n'ont eu pour principe que le monde, que le désir d'être re-marqué et de passer pour un brave homme ! Que de bonnes actions qui vont se trouver ne rien valoir aux yeux de Dieu ! Hélas ! que d'hypocrisies, que de res-pect humain en ont fait perdre tout le mérite ! Si les saints, M.F., qui n'étaient coupables que de quelques petites fautes, ont tant craint ce moment, ont fait des pénitences si dures et si longues ; comment voulons-nous pouvoir espérer que le bon Dieu aura pitié de nous ! Hélas ! qu'il y en tombe chaque jour de moins cou-pables que nous. Mon Dieu, ne nous jetez pas en enfer ! faites-nous plutôt souffrir tout ce que vous voudrez pen-dant notre vie.
Pour bien vous faire sentir combien le bon Dieu nous jugera rigoureusement ; ce qui n'est pas difficile à croire... Quoi ! un chrétien comblé de tant de bienfaits, qui a eu tant de grâces pour se sauver et auquel rien n'a manqué, que sa volonté seule, n'est-il pas juste que le bon Dieu l'examine avec une rigueur effroyable ? Nous lisons dans l'histoire un exemple rapporté par saint Jean Climaque, qui semble nous montrer en partie la rigueur de la justice de Dieu envers le pécheur. Il nous dit qu'un de ses amis, qui se nommait Jean Sabaïte, lui avait dit que, dans un monastère de l'Asie, il y avait un jeune homme qui, voyant que son supérieur le traitait avec trop de bonté et de douceur, pensait que ceci lui nuirait ; il lui demanda permission d'aller dans un autre monas-tère. Etant parti, la première nuit qu'il y fut, il vit en songe une personne qui lui demandait compte de ses actions. Après un examen qui fut très sévère, il se trouva redevable à la justice divine de sommes consi-dérables, et le bon Dieu lui fit voir qu'il n'avait encore rien fait pour expier ses péchés. Tout effrayé de cette vision, il demeura encore trois ans dans ce lieu où le bon Dieu, voulant lui faire expier ses péchés, permit qu'il fût méprisé et maltraité de tout le monde. Il sem-blait que chacun prît à tâche de le faire souffrir ; dans tout cela, jamais il ne se plaignait. Le bon Dieu lui fit voir dans une vision, qu'il n'avait encore acquitté qu'un tiers de ce qu'il devait à sa justice. Tout épouvanté, il se mit à contrefaire le fou, et continua ce genre de vie pendant treize ans ; ensuite le bon Dieu lui dit qu'il n'en avait encore payé que la moitié. Ne sachant plus com-ment s'y prendre, tout le reste de sa vie il ne fit que crier miséricorde vers Dieu. Il ne tenait plus ni borne, ni mesure pour ses pénitences. « Ah ! Seigneur, n'aurez--vous pas pitié de moi, faites-moi souffrir tout ce que vous voudrez et pardonnez-moi. » Cependant, avant de mourir, le bon Dieu lui dit que ses péchés lui étaient pardonnés. Eh bien ! M.F., qui osera espérer que nos péchés sont effacés, quand seulement nous les avons confessés et dit au bon Dieu que nous lui en deman-dons pardon. Hélas ! que de chrétiens sont dans l'aveu-glement, qui croient avoir beaucoup fait, tandis qu'ils verront qu'ils n'ont rien fait. Le bon Dieu leur fera voir ce que leurs péchés méritaient, et les pénitences qu'ils ont faites. Hélas ! que de chrétiens perdus !
Mais le jugement particulier, M.F., sera encore suivi d'un autre examen. Quoique ce que je viens de vous dire semble déjà être rigoureux, celui-ci ne sera pas moins terrible ; je veux dire que Jésus-Christ nous jugera sur tout le bien que nous aurions pu faire et que nous n'au-rons pas fait. Jésus-Christ remettra devant les yeux du pécheur toutes les prières qu'il n'a pas faites, et qu'il aurait pu faire, tous les sacrements qu'il aurait pu rece-voir pendant sa vie. Combien de fois de plus, il aurait pu recevoir son Corps et son Sang, s'il avait voulu mener une vie plus sainte. Jésus-Christ lui demandera même compte de toutes les fois qu'il a eu la pensée de faire quelques bonnes actions et qu'il ne les a pas faites. Que de prières, que de saintes messes ! que de con-fessions ! que de pénitences ! que de devoirs de charité il aurait pu rendre au prochain ! que de privations dans ses repas, dans ses visites ! Que de visites de plus il aurait pu faire au Saint-Sacrement les saints jours de dimanche. Hélas ! que de bonnes œuvres manquées, sur lesquelles nous subirons un jugement ! Jésus-Christ demandera même compte de tout le bien que les bons exemples auraient fait faire aux autres. Ah ! grand Dieu, où en serons-nous ?

II. – Mais, me direz-vous, que devons-nous donc faire pour nous rassurer dans un moment si malheureux pour celui qui aura vécu dans le péché, et sans penser à fléchir la justice de Dieu que ses péchés ont si grandement irrité ? Le voici. C'est 1° de rentrer en nous--mêmes, de penser sérieusement que nous n'avons encore rien fait qui puisse nous donner espérance pour ce moment ; que tous nos péchés sont dans un livre que le démon présentera à Dieu pour nous juger, afin de lui faire connaître nos péchés, même les plus cachés. 2° C'est de rendre, à l'exemple de Zachée, tout ce qui n'est pas à nous ; sans quoi, jamais nous n'éviterons l'enfer. C'est d'avoir une grande douleur de nos péchés, de les pleurer comme fit le saint roi David, qui pleura son péché jus-qu'à la mort et qui n'en commit point d'autres. C'est de nous humilier profondément devant le bon Dieu, rece-vant tout ce que le bon Dieu voudra nous envoyer, non seulement avec soumission, mais avec une grande joie ; puisqu'il n'y a point de milieu, et qu'il faut ou pleurer dans ce monde ou pleurer dans l'autre, là où les larmes ne servent de rien, et la pénitence est sans mérite. C'est de ne jamais perdre la pensée que nous ne savons pas le jour que nous serons jugés, et que si malheureu-sement nous sommes trouvés en état de péché, nous serons perdus pour l'éternité.
Que conclure de cela, M.F. ? C'est qu'il faut que nous soyons fameusement  aveugles ; puisque tout bien exa-miné, pas un ne pourrait dire qu'il est prêt à paraître devant Jésus-Christ, et que, malgré cette sûreté que nous ne sommes pas prêts, pas un d'entre nous ne fera un pas de plus vers le bon Dieu pour s'assurer une sen-tence favorable. O mon Dieu ! que le pécheur est aveugle ! Hélas ! que son sort est déplorable ! Non, non, M.F., ne vivons plus comme des insensés, puisque dans le moment où nous y penserons le moins, Jésus-Christ frappera à notre porte. Heureux celui qui n'aura pas attendu ce moment pour s'y préparer. Ce que je vous souhaite...

 9ème dimanche après la Pentecôte
Sur les larmes de Jésus-Christ
 

Videns Jesus civitatem, fevit super illam.
Jésus, voyant la ville, pleura sur elle.
(Saint Luc, XIX, 41.)

Jésus-Christ, en entrant dans la ville de Jérusalem, pleura sur elle, en disant : « Si, du moins, tu connaissais les grâces que je viens t'apporter et que tu voulusses bien en profiter, tu pourrais encore recevoir ton pardon ; mais, non, ton aveuglement est monté à un tel excès, que toutes ces grâces ne vont servir qu'à ton endurcis-sement et à ton malheur ; tu as tué les prophètes et fait mourir les enfants de Dieu ; maintenant, tu vas mettre le comble à tous ces crimes en faisant mourir le Fils de Dieu même. » Voilà, M.F., ce qui faisait couler les larmes de Jésus-Christ avec tant d'abondance en appro-chant de cette ville. Hélas ! il découvrait dans tous ces malheurs, la perte de tant d'âmes bien plus coupables que les Juifs, puisqu'elles allaient être plus favorisées de grâces qu'eux tous ne l'avaient été. Hélas, M.F., ce qui le toucha si vivement, c'est que, malgré les mérites de sa mort et passion, qui aurait de quoi racheter mille mondes plus grands que celui que nous habitons, le plus grand nombre serait perdu. Oui, M.F., il voyait d'avance ceux qui d'entre nous mépriseraient ces grâces et ne s'en serviraient que pour leur malheur. Hélas ! M.F., qui de nous ne tremblera pas en pensant vérita-blement à conserver son âme pour le ciel ? Hélas ! ne sommes-nous pas de ce nombre ? N'est-ce pas pour nous que Jésus-Christ a dit en pleurant : « Ah ! si, au moins, ma mort et mon sang ne servent pas à votre salut, ils allumeront la colère de mon Père sur vous, pendant l'éternité. » Un Dieu vendu !... une âme réprouvée !... un ciel rejeté !... Est-il bien possible que nous soyons insensibles à tant de malheurs ?... Est-il bien possible, M.F., que, malgré tout ce que Jésus-Christ a fait pour sauver nos âmes, nous soyons si insensibles à leur perte ?... Mais, pour nous tirer, M.F., de cette insensi-bilité, je vais vous montrer 1° ce que c'est qu'une âme ; 2° ce qu'elle a coûté à Jésus-Christ ; et 3° ce que le démon fait pour la perdre.

I. – Ah ! M.F., si nous avions le bonheur de connaître la valeur de notre âme, avec quel soin ne la conserve-rions-nous pas ? Hélas ! nous ne le comprendrons jamais assez ! Vouloir, M.F., vous montrer la grandeur de la valeur d'une âme : ceci est impossible à un mortel ; il n'y a que Dieu seul qui connaisse toutes les beautés, les perfections dont il orne une âme. Je vous dirai seu-lement que tout ce que Dieu a créé : le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, toutes ces merveilles sont créées en sa faveur. Notre catéchisme nous donne la plus belle preuve possible de la grandeur de notre âme. Quand l'on demande à un enfant : Qu'entendez-vous, quand vous dites que l'âme de l'homme est un esprit créé à l'image de Dieu ? C'est, vous dit l'enfant, que cette âme a, comme Dieu, le pouvoir de connaître, d'aimer et de se déterminer librement dans toutes ses actions. Voilà, M.F., le plus bel éloge que nous puissions faire des qualités dont Dieu a embelli notre âme, créée par les trois Personnes de la Sainte-Trinité et à leur ressem-blance. Un esprit, comme Dieu, éternel pour l'avenir, capable de connaître les beautés et toutes les perfections de Dieu autant qu'il est possible à une créature ; une âme, qui est l'objet des complaisances des trois Per-sonnes divines ; une âme, qui peut glorifier Dieu dans toutes ses actions ; une âme, dont toute l'occupation sera de chanter les louanges de Dieu pendant des jours sans fin ; une âme, qui sera lumineuse du bonheur de Dieu même ; une âme qui a une telle liberté dans toutes ses actions, qu'elle peut donner son amitié, son amour à qui bon lui semble : elle peut ne pas aimer Dieu ou l'aimer ; mais, si elle est si heureuse de tourner son amour du côté de Dieu, ce n'est plus elle qui obéit à Dieu ; mais Dieu lui-même qui fait les volontés de cette âme  et qui semble se faire un plaisir de le faire. Nous pourrions même dire que, depuis le commen-cement du monde, vous ne trouveriez pas une âme qui, s'étant donnée à Dieu sans partage, le bon Dieu lui ait refusé quelque chose qu'elle ait désiré. Nous voyons que Dieu nous a créés avec de tels désirs, que rien de créé n'est capable de nous contenter. Présentez à une âme toutes les richesses et tous les trésors du monde, rien de cela ne pourra la contenter ; Dieu l'ayant créée pour lui, il n'y a aussi que lui seul qui soit capable de remplir tous ses vastes désirs. Oui, M.F., notre âme peut aimer Dieu, ce qui est le plus grand de tous les bonheurs ! En l'ai-mant, nous avons tous les biens et les plaisirs que nous pouvons désirer sur la terre et dans le ciel . Nous pou-vons encore le servir : c'est-à-dire, le glorifier en chaque action de notre vie. Il n'y a pas jusqu'à la moindre chose que nous fassions, que Dieu n'en soit glorifié, si nous le faisons en vue de lui plaire. Notre occupation, pendant que nous sommes sur la terre, n'a rien de différent de celle des anges qui sont dans le ciel : la seule chose qui diffère, c'est que nous ne voyons tous ces biens que des yeux de la foi.
Notre âme est si noble, ornée de tant de belles qua-lités, que le bon Dieu n'a voulu la confier qu'à un prince de sa cour céleste. Notre âme est si précieuse aux yeux de Dieu même, que, dans toute sa sagesse, il n'a point trouvé de nourriture qui fût digne d'elle que son Corps adorable, dont il veut qu'elle fasse son pain de chaque jour ; et pour sa boisson, il n'y avait que son Sang précieux qui fût digne de lui en servir. « Oui, M.F., si nous avons une âme que Dieu estime tant, nous dit saint Ambroise, que, quand elle aurait été seule dans le monde, il n'aurait pas cru en trop faire que de mourir pour elle ; et que, quand le bon Dieu, en la créant, n'aurait point créé de ciel, quoique seule dans le monde, le bon Dieu en aurait créé un pour elle seule, » comme il le dit un jour à sainte Thérèse : « Vous m'êtes si agréable, lui dit Jésus-Christ, que, quand il n'y aurait point de ciel, j'en créerais un pour vous seule. » – « O mon corps, s'écrie saint Bernard, que vous êtes heureux de loger une âme ornée de tant de belles qualités ! Un Dieu, tout infini qu'il est, en fait l'objet de ses complai-sances ! » Oui, M.F., notre âme est destinée à aller passer son éternité dans le sein de Dieu même. Disons tout en un mot, M.F. : notre âme est quelque chose de si grand, de si précieux, qu'il n'y a que Dieu seul qui la surpasse. Un jour, le bon Dieu fit voir une âme à sainte Catherine. Elle la trouva si belle, qu'elle s'écria : « O mon Dieu, si la foi ne m'apprenait pas qu'il n'y a qu'un Dieu, je croirais que c'est une divinité ; non, mon Dieu, je ne m'étonne plus que vous soyez mort pour une si belle âme ! »
Oui, M.F., notre âme, pour l'avenir, sera éternelle, ainsi que Dieu lui-même. Non, non, M.F., n'allons pas plus loin ; l'on se perd dans cet abîme de grandeur. D'après cela seul, M.F., je vous laisse à penser si nous devons nous étonner que Dieu, qui en connaît si bien le mérite, pleure si amèrement la perte d'une âme. Je vous laisse à penser quel est le soin que nous en devons prendre pour lui conserver toutes ses beautés. Hélas ! M.F., le bon Dieu est si sensible à la perte d'une âme, qu'il l'a pleurée avant que d'avoir des yeux pour pleurer ; il a emprunté les yeux de ses prophètes pour pleurer la perte de nos âmes. C'est ce que nous voyons, d'une manière bien sensible, dans la personne du prophète Amos. M'étant, nous dit ce prophète, retiré dans l'obs-curité, considérant l'effroyable multitude de crimes que le peuple de Dieu commettait chaque jour, voyant que la colère de Dieu était prête à lui tomber dessus, et que l'enfer ouvrait ses gouffres pour les engloutir, les ayant tous fait assembler, et étant moi-même tout tremblant, je leur dis en pleurant amèrement : O mes enfants, savez-vous bien quelle est mon occupation, nuit et jour ? Hélas ! je me représente vivement tous vos péchés, dans toute l'amertume de mon cœur. Si à force... accablé de fatigue, je m'assoupis, aussitôt je m'éveille en sursaut en m'écriant, les yeux baignés de larmes et le cœur brisé de douleur : Mon Dieu, mon Dieu, n'y aurait-il point d'âmes en Israël qui ne vous offensent ? Alors que je me remplis l'imagination de cette triste et déplorable idée, j'en parle au Seigneur, j'en gémis amèrement en sa sainte présence en lui disant : Mon Dieu, quel moyen vais-je employer pour obtenir leur grâce ? Voici ce que le Seigneur m'a répondu : Prophète, si vous voulez obtenir le pardon de ce peuple ingrat, allez, courez dans les rues et les places publiques ; faites-les retentir des gémissements les plus amers ; entrez dans la boutique des marchands et des artisans ; allez jusque dans les lieux où l'on rend la justice ; montez dans la chambre des grands et le cabinet des juges ; dites à tous ceux que vous trouverez au dedans et au dehors de la ville : « Malheur à vous ! ah ! malheur à vous, qui avez péché contre le Seigneur ! » Ce n'est pas même assez, vous appellerez à votre secours tous ceux qui sont capables de pleurer, afin qu'ils joignent leurs larmes aux vôtres et que vos gémissements et vos cris soient si effrayants qu'ils jettent la consternation dans tous les cœurs qui vous entendront ; afin qu'ils quittent leurs péchés, et les pleurent jusqu'au tombeau ; afin qu'ils comprennent par là combien la perte de leurs âmes m'est sensible. »
Le prophète Jérémie, M.F., va encore plus loin. Pour nous montrer combien la perte d'une âme est sensible au bon Dieu, écoutez-le lui-même, dans un moment où il se trouva saisi de l'esprit du Seigneur : « Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu, que vais-je devenir, vous m'avez donné le soin d'un peuple rebelle, d'une nation ingrate, qui ne veut pas vous écouter, ni se soumettre à votre conduite ; hélas ! que ferai-je ? quel parti prendrai-je ? Voici ce que le Seigneur m'a répondu : « Pour leur mon-trer combien je suis sensiblement touché de la perte de leur âme, prends tes cheveux, arrache-les de ta tête, jette-les loin de toi parce que le péché de ce peuple m'a forcé à l'abandonner, et que ma fureur a pris naissance dans l'intérieur de leurs âmes. » Quand la colère du Sei-gneur est allumée par le péché, dans le cœur, c'est la plus terrible maladie. « Mais, Seigneur, lui dit le pro-phète, que vais-je faire pour vous engager à détourner vos regards de colère de dessus votre peuple. « Prends un sac pour vêtement, m'a dit le Seigneur, mets des cen-dres sur ta tête et pleure sans cesse, et avec tant d'abondance que tes larmes couvrent ton visage, et pleure si amèrement, que vos péchés soient noyés dans vos lar-mes . » Comprenez-vous, M.F., combien la perte de nos âmes est sensible au bon Dieu ? Vous voyez combien nous sommes malheureux en perdant une âme que Dieu aime tant, que, n'ayant pas encore des yeux pour pleu-rer, il emprunte ceux de ses prophètes pour verser des larmes amères sur leur perte. Le Seigneur nous dit par son prophète Joël : « Pleurez la perte des âmes comme un jeune époux qui vient de perdre son épouse qui devait faire toute sa consolation, et qui est réduit à toutes sortes de malheurs  ! »
Saint Bernard nous dit que trois choses sont capables de nous faire pleurer ; mais il n'y en a qu'une seule qui soit capable de rendre nos larmes méritoires, qui est lorsque nous pleurons nos péchés ou ceux de nos frères ; partout ailleurs ce ne sont que des larmes pro-fanes ou criminelles, ou enfin, infructueuses. Pleurer la perte d'un procès injuste, la mort d'un enfant : larmes inutiles. Pleurer la privation d'un plaisir charnel : lar-mes criminelles. Pleurer une longue maladie : larmes infructueuses et inutiles. Mais, pleurer la mort spiri-tuelle de son âme, l'éloignement de Dieu, la perte du ciel : « O larmes précieuses, nous dit ce grand saint, mais que vous êtes rares ! » Et pourquoi, M.F., sinon parce que vous ne sentez pas la grandeur de votre malheur, pour le temps et pour l'éternité ?
Hélas ! M.F., c'est la crainte de cette perte qui a dépeuplé le monde, pour remplir les déserts et les monastères de tant de chrétiens ; c'est qu'ils compre-naient bien mieux que nous que, si nous perdons notre âme, tout est perdu, et qu'il fallait donc qu'elle fût d'un grand prix, puisque Dieu lui-même en faisait tant de cas. Oui, M.F., les saints ont tant souffert pour con-server leur âme pour le ciel ! L'histoire nous en fournit des exemples sans nombre ; en voici un, M.F. ; si nous n'avons pas le courage de l'imiter, au moins nous pour-rons l'admirer pour en bénir le bon Dieu.
Nous voyons dans la vie de saint Jean Calybite , qui était né à Constantinople, qu'il commença dès son enfance à comprendre le néant des choses humaines et à sentir un grand goût pour la solitude. Un religieux d'un monastère voisin passant à Constantinople pour aller en pèlerinage à Jérusalem, logea chez ses parents, qui recevaient avec un grand plaisir les pèlerins. L'enfant leur demanda quelle était la vie que l'on menait dans leur monastère. Quand on lui raconta, la vie sainte et pénitente des religieux, le plaisir qu'on y goûtait, séparé du monde pour n'avoir plus de commerce qu'avec Dieu seul, il en fut si touché et conçut un si grand désir de quitter le monde, pour aller partager ce bonheur, qu'il ne pouvait plus se trouver dans le monde. Il dit à ses parents qu'il ne fallait penser à aucun établis-sement dans le monde pour lui, que le bon Dieu l’appe-lait à aller finir ses jours dans la retraite. Ses parents voulurent essayer s'ils pourraient le faire changer de résolution ; mais tout fut inutile ; il leur demanda pour tout héritage, le livre des saints Évangiles dont il fit tout son trésor. Mais, pour se délivrer des pressantes sollicitations de ses parents, et pour se donner tout à Dieu, il abandonna leur maison, et alla se présenter à la porte d'un monastère pour y être reçu. Ses parents l'envoyèrent chercher de tous côtés. Ne pouvant le trouver, ils s'abandonnèrent aux larmes les plus amè-res. Ce jeune saint passa six ans dans cette retraite à pra-tiquer toutes les vertus et les pénitences que son amour pour le bon Dieu put lui inspirer. Au bout de ce temps, il lui vint la pensée d'aller trouver ses parents, espérant que le bon Dieu lui accorderait la même grâce qu'à saint Alexis, qui passa vingt ans chez lui sans qu'on le connût. A peine fut-il sorti du monastère, que, trouvant un pauvre, il changea d'habit avec lui pour se rendre encore plus méconnaissable ; d'ailleurs, ses austérités qui avaient été si grandes et une grave maladie, l'avaient extrêmement défiguré. D'aussi loin qu'il vit la maison de ses parents, il se mit à genoux pour demander à Dieu de le conduire dans son entreprise. La porte étant déjà fermée à cause de la nuit, il passa la nuit à la porte. Le lendemain, les domestiques l'ayant trouvé, en eurent compassion et lui permirent d'entrer dans une petite loge pour s'y retirer. Il n'y a que Dieu seul qui ait connu combien il eut à souffrir, voyant ses parents, qui, à chaque mo-ment, passaient devant lui en pleurant amèrement la perte de leur enfant qui faisait toute leur consolation. Son père, qui était très charitable, lui envoyait de temps en temps de quoi le nourrir ; mais sa mère ne pouvait approcher de lui sans sentir son cœur se soulever, tant elle trouvait ce pauvre dégoûtant. Si sa charité ne l'avait pas portée à vaincre cette répugnance, elle l'aurait chassé de chez elle. Toujours plongée dans la tristesse, toujours versant des larmes, et cela devant celui qui ne pouvait pas être insensible à ce qui faisait le plus grand de tous les tourments de sa mère...
Ce bon saint passa trois ans dans cette triste position, n'étant occupé qu'à la prière et au jeûne qu'il portait jusqu'à l'excès ; ses larmes coulaient sans cesse. Lorsque le bon Dieu lui eut fait connaître sa fin, il pria l'inten-dant de la maison d'inspirer à sa maîtresse la charité de venir le voir, parce qu'il désirait ardemment de lui parler. Quand on lui fit cette commission, elle en parut tout ennuyée, quoique accoutumée à visiter souvent les malades ; mais elle avait une si grande répugnance à visiter celui-ci, qu'elle dut se faire une grande violence pour aller jusqu'à l'entrée de la loge où était ce pauvre. Le mourant la remercia bien de tous les soins qu'elle avait voulu prendre d'un misérable inconnu comme lui, et lui assura qu'il prierait instamment le Seigneur pour elle, afin qu'il la récompensât de tout ce qu'elle avait fait pour lui. Il lui demanda encore la grâce de prendre soin de sa sépulture. Après qu'elle le lui eût promis, il lui fit présent du livre des saints Évangiles fort bien relié. Elle fut bien surprise de voir qu'un pauvre avait un livre si bien relié ; alors elle se ressouvint de celui qu'elle avait autrefois donné à son fils qu'elle avait perdu. Sa douleur se renouvelant, elle se mit à verser des larmes par tor-rents. Le père vint à ce bruit, et ayant examiné ce livre, reconnut que c'était celui de son fils. I1 lui demanda ce qu'était devenu leur fils. Ce saint, qui n'avait plus qu'un souffle de vie, leur dit en soupirant et ver-sant des larmes : « Ce livre est celui que vous m'avez donné il y a dix ans ; je suis ce fils que vous avez tant cherché et pour qui vous avez versé tant de larmes. » A ces paroles, ils restèrent comme morts de voir leur cher fils qu'ils avaient tant cherché et si loin, l'ayant chez eux ; ils semblaient ne plus pouvoir vivre. Mais dans le moment qu'ils le serraient entre leurs bras, il leva ses mains et ses yeux vers le ciel et rendit à Dieu sa belle âme, qui, pour se conserver dans l'inno-cence, avait fait tant de sacrifices, de pénitences et répandu tant de larmes... Voilà, M.F., ce que nous pouvons dire : ce chrétien avait le bonheur de connaître la grandeur de son âme et les soins qu'il devait en prendre. Voilà, M.F., un chrétien qui a glorifié Dieu dans toutes les actions de sa vie ; voilà une âme, qui maintenant rayonne de gloire dans le ciel, qui bénit le bon Dieu de lui avoir fait la grâce de vaincre le monde, la chair et le sang. Oh ! que ces morts sont heureuses, M.F., même aux yeux du monde !

II. – En deuxième lieu, nous avons dit que, pour connaître le prix de notre âme, nous n'avons qu'à con-sidérer ce que Jésus-Christ a fait pour elle. Qui de nous, M.F., pourra jamais comprendre combien le bon Dieu estime notre âme, puisqu'il a fait tout ce qu'il était possible à un Dieu de faire, pour rendre heureuse une créature . Pour se sentir plus porté à l'aimer, il a voulu la créer à son image et ressemblance ; afin qu'en la contemplant, il se contemplât lui-même. Aussi, voyons-nous qu'il donne à notre âme les noms les plus tendres et les plus capables de montrer un amour jusqu'à l'excès. Il l'appelle son enfant, sa sœur, sa bien-aimée, son épouse, son unique, sa colombe . Mais ce n'est pas assez : l'amour se montre encore bien mieux par les actions que par les paroles. Voyez son empressement à venir du ciel, pour prendre un corps semblable au nôtre ; et épousant notre nature, il a épousé toutes nos infirmités, sinon le péché ; ou plutôt il a voulu se charger de la justice que son Père demandait de nous. Voyez son anéantissement dans le mystère de l'Incarnation ; voyez cette pauvreté : pour nous il naît dans une crèche ; voyez les larmes qu'il répandait sur cette paille, où il pleure d'avance nos péchés ; voyez ce sang qui coule sous le couteau de la circoncision ; voyez-le fuir en Égypte comme un criminel ; voyez cette humilité et cette sou-mission à ses parents ; voyez-le dans le jardin des Oli-viers, qui gémit, qui prie et répand des larmes de sang ; voyez-le pris, lié, garrotté, jeté par terre et battu à coups de pieds et de bâtons par ses propres enfants ; consi-dérez-le attaché à cette colonne, tout en sang ; son pauvre corps a reçu tant de coups, le sang coule telle-ment, que les bourreaux en sont eux-mêmes tout cou-verts ; voyez cette couronne d'épines qui perce cette tête sainte et sacrée ; voyez-le portant sa croix au Cal-vaire : autant de pas, autant de chutes ; voyez-le cloué sur la croix et s'y étendant lui-même, sans laisser sortir de sa bouche une seule parole de murmure. Voyez ces larmes d'amour qu'il répandait en mourant, qui se mêlent à son sang adorable ! Est-ce bien là, M.F., un amour digne d'un Dieu qui est l'amour ! Est-ce là, M.F., nous montrer l'estime qu'il fait d'une âme ! En est-ce assez pour nous faire comprendre ce qu'elle vaut et les soins que nous en devons prendre ?
Ah ! M.F., si nous avions le bonheur, une fois dans notre vie, de bien comprendre la beauté et la valeur de notre âme, ne serions-nous pas prêts, comme Jésus-Christ, à faire tous les sacrifices pour la conserver ? Oh ! qu'une âme est belle, qu'elle est précieuse aux yeux de Dieu même ! Comment se peut-il faire que nous en fassions si peu de cas, et que nous la traitions plus durement que le plus vil des animaux ? Quelle doit être la pensée de cette âme qui connaît sa beauté et toutes ses belles qualités, de se voir traînée dans les ordures du péché ? Ah ! sentons, M.F., lorsque nous la roulons dans les eaux de ces sales voluptés, quelle horreur ne doit pas avoir d'elle-même une âme qui n'a que Dieu seul qui la surpasse !... Mon Dieu, est-il bien possible que nous fassions si peu de cas d'une telle beauté ?
Voyez, M.F., ce que devient une âme qui a le malheur de tomber dans le péché. Dans la grâce de Dieu, on la prendrait pour une divinité ; mais, dans le péché !... Le Seigneur fit un jour voir à un prophète une âme en état de péché, il nous dit qu'elle était semblable à une cha-rogne, traînée pendant huit jours dans une rue à la rigueur du soleil. Ah ! c'est bien là, M.F., que nous pouvons dire avec le prophète Jérémie : « Elle est tombée, la grande Babylone, elle est devenue le repaire des démons . » Oh ! qu'une âme est belle, quand elle a le bonheur de posséder la grâce de son Dieu ! Non, non, il n'y a que Dieu qui peut en connaître tout le prix et toute la valeur !
Aussi, voyez comment Dieu a établi une religion pour la rendre heureuse ici-bas, en attendant de la faire jouir d'un plus grand bonheur dans l'autre vie. Pourquoi, M.F., a-t-il institué tous ces sacrements ? N'est-ce pas pour la guérir, quand elle a eu le malheur de recevoir des plaies par le péché, et pour la fortifier dans ses combats ? Voyez à combien d'outrages Jésus-Christ s'est exposé pour elle ! Combien ses commandements sont violés ! Combien de fois ses sacrements sont profanés, combien de sacrilèges dans la réception des sacre-ments ! Mais non, M.F., quoique Jésus-Christ sache bien toutes les insultes qu'il y recevrait, l'amour qu'il a pour nos âmes n'a pas pu l'arrêter... disons mieux M.F., Jésus-Christ a tant aimé ou plutôt aime tant notre âme que, s'il fallait mourir une seconde fois, il le ferait. Voyez son empressement à venir à notre secours dans nos peines et dans nos chagrins ; voyez les soins qu'il prend de tous ceux qui veulent l'aimer ; voyez-vous toutes ces foules de saints qu'il nourrit d'une manière miraculeuse. Ah ! M.F., si une fois nous avions le bonheur de bien comprendre ce que c'est qu'une âme et combien Dieu..., combien il l'aime, et combien il doit la récompenser pendant toute l'éternité, nous ferions bien comme les saints : ni les biens, ni les plaisirs, ni la mort ne seraient capables de nous la faire vendre au démon. Voyez toutes ces foules de martyrs, les tourments qu'ils ont endurés pour ne pas la perdre, voyez-les monter sur les échafauds, et se livrer entre les mains des bourreaux avec une joie incroyable.
Nous en avons un bel exemple dans la personne de sainte Christine, vierge et martyre . Cette illustre martyre était de la Toscane. Son père, qui en était gou-verneur, devint lui-même son propre bourreau. Le sujet de sa colère fut que sa fille avait enlevé toutes les idoles qu'il adorait dans sa maison ; elle les mit toutes en pièces pour en faire des aumônes aux pauvres chré-tiens. Cette action porta son père à un tel accès de fureur, qu'il la mit sur-le-champ entre les mains des bourreaux, qui, par son ordre, la fouettèrent cruelle-ment et la tourmentèrent avec une cruauté inouïe. Sors pauvre petit corps était déjà tout en sang. Le père ordonna de prendre des crochets de fer pour lui déchi-rer le corps. Ils allèrent si loin qu'on lui voyait une grande partie des os dans presque tous les membres de son corps ; mais, bien loin qu'une douleur si cui-sante abattît son courage et troublât la paix de son âme, elle ramassa, sans étonnement, sa propre chair et la présenta à son père en lui disant s'il voulait en man-ger. Une action si surprenante, au lieu de toucher le cœur de ce père barbare, ne servit qu'à l'irriter encore davantage : il la fit jeter dans une affreuse prison, chargée de chaînes et de fers ; il la chargeait de malédic-tions, lui disant que bien d'autres tourments lui étaient préparés ; mais la sainte fille, qui n'avait encore que dix ans, n'en fut point troublée. En effet, quelques jours après, son père la fit sortir de prison et la fit attacher à une roue un peu élevée de terre, qu'il fit arroser d'huile de tous côtés, et sous laquelle il fit allumer un grand feu, afin que la roue venant à tourner, le corps de cette petite innocente souffrît à la fois double sup-plice. Mais un grand miracle en arrêta les effets : le feu respecta la pureté de la vierge et ne donna aucune atteinte à son corps ; au contraire, le feu se tourna contre les idolâtres, et en brûla un nombre presque infini. Le père, voyant tous ces prodiges, manqua mou-rir de dépit. Ne pouvant supporter cet affront, sans en tirer toute la vengeance que sa haine lui inspirait, il ramena sa fille en prison ; mais elle n'y demeura pas sans secours : un ange descendit dans son cachot pour la consoler, et en même temps, la guérit de toutes ses plaies. Il lui donna de nouvelles forces. Le père déna-turé ayant appris ce miracle, résolut d'ordonner un der-nier effort. II commanda au bourreau d'attacher à sa fille une pierre au cou, et de la précipiter dans le lac. Mais le bon Dieu, qui avait su la préserver des flammes, sut bien aussi la retirer des eaux : le même ange, qui l'avait accompagnée dans la prison, l'accompagna sur l'eau. Il la fit tranquillement revenir sur le bord du rivage, où on la trouva aussi saine qu'auparavant. Ce père, voyant que tout ce qu'il faisait pour la faire souf-frir ne lui servait de rien, en eut un si grand désespoir, qu'il en mourut de rage. Dion, qui fut son successeur dans le gouvernement de la ville, le fut aussi de sa cruauté : il crut qu'il était de son devoir de venger la mort du père, dont il croyait que la fille était cause. Il inventa mille sortes de tourments contre cette inno-cente vierge ; mais le plus rigoureux fut lorsqu'il la fit coucher dans un berceau rempli d'huile bouillante mêlée de poix. Mais la sainte fille, que le bon Dieu pre-nait plaisir de protéger à la face et à la confusion de ses tyrans, fit que, par un seul signe de croix, toute cette matière perdît sa force. Par une sainte insulte, elle leur dit qu'ils l'avaient mise dans ce berceau comme un enfant que l'on vient de baptiser. Ces détestables minis-tres de Satan furent indignés de voir qu'une enfant de dix ans triomphait de tous leurs efforts ; aussi ces infâ-mes barbares, oubliant tout le respect qu'ils devaient à la pudeur et à la modestie de cette vierge, lui coupèrent les cheveux et la dépouillèrent de ses habits, et, dans cet état déplorable, la traînèrent dans un temple d'ido-les pour la forcer à présenter de l'encens au démon ; mais entrant dans le temple, l'idole tomba en pièces et le tyran tomba raide mort. Les foules d'idolâtres, qui en furent témoins, se convertirent presque toutes : le nombre fut de trois mille. Cette sainte fille passa entre les mains d'un troisième bourreau, nommé Justin. Ce tyran, croyant qu'il y allait de son honneur de venger la honte et même la mort de celui qui l'avait précédé dans sa charge, éprouva encore sur elle tout ce que la fureur put lui inspirer ; il commença à la faire jeter dans une fournaise ardente, pour y être consumée ; mais le bon Dieu, par un nouveau miracle, permit que les flammes ne lui fissent aucun mal, et la vierge y demeura cinq jours sans en rien souffrir. Alors, les hommes se trouvant courts en leur malice, ils eurent recours au démon, et pour cela, ils s'adressèrent à un magicien qui jeta quantité de serpents horribles dans sa prison, dans la pensée qu'elle serait étouffée par le venin ; mais cette exécution diabolique ne servit qu'à relever davantage la gloire de la vierge, à la faire triom-pher des animaux, après avoir été triomphante de la rage des hommes. On lui fit couper la langue, mais elle se faisait encore mieux entendre et chantait encore avec plus de force les louanges du Dieu qu'elle adorait. Enfin, ne sachant plus que faire, le bourreau la fit atta-cher au poteau où son corps fut percé de flèches, jus-qu'à ce que son âme sortit de son corps pour aller jouir de la présence de Dieu qu'elle avait si bien méritée. Dites-moi, M.F., cette jeune fille comprenait-elle la grandeur et le prix de son âme ? Était-elle pénétrée de ce qu'elle devait faire pour la conserver aux dépens de ses biens, de ses plaisirs et de sa vie même ? Ah ! M.F., si nous avions une fois compris ce que notre âme vaut, l'estime que Dieu lui-même en fait, pourrions-nous la laisser périr comme nous le faisons ? Non, non, M.F., ne soyons plus étonnés de ce que Jésus-Christ a tant versé de larmes sur la perte de notre âme.
Mais, pensez-vous, sur quoi est-ce donc que Jésus-Christ a tant pleuré ? – Hélas ! il a pleuré sur notre orgueil, en voyant que nous ne cherchons que les honneurs et l'estime du monde au lieu de ne penser qu'à nous anéantir, à la vue des humiliations qu'un Dieu a pratiquées pour nous élever ; il a pleuré sur nos haines et nos vengeances, tandis qu'il meure lui-même pour ses ennemis ; il a pleuré sur nos vices infâmes d'impureté, en voyant combien ce péché déshonore notre âme et nous plonge dans une boue sale et infecte. Hélas ! M.F., il a pleuré sur tous nos péchés. Il voulait tous nous sauver et nous rendre heureux ; il ne voulait pas que de si belles âmes, qui sont ses créatures, soient perdues, déshonorées et réduites à l'esclavage du démon, tandis qu'elles sont douées de tant de belles qualités, et destinées à un si grand bonheur.

 III. – Saint Augustin nous dit  : « Voulez-vous savoir ce que vaut votre âme ? Allez, allez le demander au démon, il vous le dira bien. Le démon estime tant une âme, que quand nous vivrions quatre mille ans, si après ces quatre mille ans de tentations il nous gagnait, il compterait tout cela pour rien. » Ce saint homme qui avait éprouvé les tentations du démon d'une manière toute particulière, nous dit que notre vie n'est qu'une tentation continuelle. Le démon lui-même dit un jour par la bouche d'un possédé, que tant qu'il y aurait un homme sur la terre, il le tenterait. Parce que, dit-il, je ne puis souffrir que des chrétiens, après tant de péchés, puissent encore espérer le ciel que j'ai perdu d'une seule fois, sans avoir pu le regagner.
Mais, hélas ! si nous ne sentons pas nous-mêmes que dans presque toutes nos actions nous sommes tentés, tantôt par l'orgueil, la vanité, la bonne opinion que nous pensons que l'on aura de nous, tantôt par la jalousie, la haine, la vengeance. D'autres fois, le démon ne vient-il pas nous représenter les images les plus sales et les plus impures. Voyez dans nos prières, il emporte notre esprit de part et d'autre ; ne nous semble-t-il pas même que nous sommes dans un état…, lorsque nous sommes en la sainte présence de Dieu ? Et, bien plus, vous ne trouverez pas un saint qui n'ait pas été tenté depuis Adam, les uns d'une manière, les autres d'une autre, et les plus grands saints ce sont ceux qui l'ont été le plus. Si Notre-Seigneur a été tenté, c'est pour nous montrer que nous devions l'être aussi il faut donc absolument nous y attendre. Si vous me demandez ce qui est la cause de nos tentations, je vous dirai que c'est la beauté et la valeur de notre âme que le démon estime et aime tant, qu'il consentirait à souffrir deux enfers s'il le fallait, et si par là il pouvait entraîner notre âme en enfer.
Nous ne devons jamais cesser de veiller sur nous-mêmes, crainte que le démon ne nous trompe dans le moment que nous ne nous y attendrons pas. Saint François nous dit que le bon Dieu lui fit voir, un jour, la manière dont le démon tentait ses religieux, surtout contre la pureté. Il lui fit voir une troupe innombrable de démons qui ne faisaient autre chose que de tirer des flèches contre ces religieux, les unes retournaient avec violence contre les démons mêmes, qui les avaient tirées : alors ils s'enfuyaient en poussant des hurlements effroyables ; les autres retombaient contre qui elles étaient tirées, tombaient à leurs pieds sans leur faire aucun mal ; les autres entraient jusqu'au bout du fer, et enfin les perçaient de part en part. Il faut, pour les chasser, nous servir, comme nous dit saint Antoine, des mêmes armes : quand il nous tente d'orgueil, il faut vite nous humilier et nous abaisser devant Dieu ; s'il veut nous tenter contre la sainte vertu de pureté, il faut tâcher de mortifier nos corps et tous nos sens et être encore plus vigilants sur nous-mêmes. S'il veut nous tenter par le dégoût dans nos prières, il faut encore en faire davantage, avec plus d'attention, et, plus le démon nous dira de les laisser, plus nous devons en augmenter le nombre.
Les tentations les plus à craindre sont celles que nous ne connaissons pas. Saint Grégoire nous dit qu'il y avait un religieux qui, pendant quelque temps, avait été un bon religieux ; il conçut un grand désir de sortir du monastère et de retourner dans le monde, disant que le bon Dieu ne le voulait pas dans ce monastère. Son supé-rieur lui dit : « Mon ami, c'est le démon qui est fâché que vous puissiez sauver votre âme, combattez-le. » Mais non, l'autre crut toujours que cela était. Le saint lui donna la permission de s'en aller ; mais en sortant du monastère, le saint se mit à genoux pour demander au bon Dieu qu'il fît connaître à ce pauvre religieux que ce n'était que le démon qui voulait le perdre. A peine eut-il mis le pied sur le seuil de la porte pour sortir, qu'il vit un gros dragon qui lui tomba dessus. « Oh ! M.F., s'écria-t-il, à mon secours ! voilà un dragon qui va me dévorer. » En effet, les religieux, qui étaient accourus à ce bruit, trouvèrent ce pauvre religieux étendu par terre, à demi-mort ; ils l'emportèrent dans le monastère, et celui-ci reconnut véritablement que ce n'était que le démon qui voulait le tenter et qui mou-rait de rage de ce que son supérieur avait prié pour lui et qu'il l'avait empêché de l'avoir. Hélas ! M.F., que nous devons craindre de ne pas connaître nos tenta-tions ! Et nous ne les connaîtrons jamais, si nous ne le demandons au bon Dieu.
Que faut-il conclure de cela ? M.F., sinon qu'il faut que notre âme soit quelque chose de bien grand aux yeux des démons, puisqu'ils sont si attentifs à ne pas manquer une seule occasion de nous tenter, afin de nous perdre, pour nous entraîner dans leur malheur. Mais si nous avons vu, M.F., combien notre âme est quelque chose de grand, combien Dieu l'aime, combien il a souffert pour la sauver, les biens qu'il lui prépare dans l'autre vie ; si nous avons vu en même temps toutes les ruses et tous les pièges que le démon nous tend pour la perdre ; à présent, M.F., qu'en pensons-nous ? et quelle estime en faisons-nous ? et quels soins en prenons--nous ? Avons-nous jamais, M.F., conçu une pensée de la grandeur de notre âme, et du soin que nous en devons prendre ?
Que faisons-nous, M.F., de cette âme qui a tant coûté à Jésus-Christ ? Hélas ! M.F., si nous disions que nous ne l'avons que pour la rendre malheureuse et la faire souffrir !... Nous la tenons pour moins estimable que nos plus vils animaux ; quand ils sont dans l'écurie, nous leur donnons à manger ; nous avons soin d'ouvrir et de fermer les portes, crainte que les voleurs ne nous les prennent ; s'ils sont malades, nous allons chercher le médecin pour les soulager ; nous sommes touchés, souvent jusqu'au cœur, en les voyant souffrir. Le fai-sons-nous pour notre âme, M.F. ? Avons-nous soin de la nourrir par la grâce, par la fréquentation des sacrements ? Avons-nous soin de bien fermer les portes, crainte que les voleurs ne l'emportent ? Hélas ! M.F., disons-le à notre honte, nous la laissons périr de misère ; nous la laissons déchirer par nos ennemis, qui sont nos passions ; nous laissons toutes les portes ouvertes ; le démon de l'orgueil vient, nous le laissons entrer, meurtrir et déchirer notre pauvre âme ; celui de l'impureté vient, il entre, salit et pourrit cette pauvre âme. « Ah ! pauvre âme, nous dit saint Augustin, que l'on t'estime peu de chose : Un orgueilleux te vend pour une pensée d'orgueil ; un avare, pour une pièce de terre, un ivrogne, pour un verre de vin, et un vindicatif, pour une pensée de ven-geance ! »
En effet, M.F., où sont nos bonnes prières, nos bonnes communions, nos prières bien faites, nos messes bien entendues, notre résignation à la volonté de Dieu dans nos peines, notre charité pour nos ennemis ? Est-il bien possible, M.F., que nous fassions si peu de cas d'une âme qui est si belle, que Dieu a aimée plus que lui-même, puisqu'il est mort pour la sauver ? Hélas, nous aimons le monde et les plaisirs du monde ; et tout ce qui a rapport à la gloire de Dieu ou au salut de notre âme nous ennuie, nous rebute ; nous murmurons même, quand il faut le faire. Hélas ! qu'un jour nous aurons de regret !... Le monde semble nous donner quelques plaisirs, mais nous nous trompons. Écoutez ce que nous en dit saint Jean Chrysostome, vous allez voir combien le bonheur est plus grand pour celui qui cherche à conserver son âme que pour celui qui ne cherche que ses plaisirs, et laisse son âme de côté. « Dans mon sommeil, nous dit ce grand saint, j'eus un songe extraordinaire, qui, à mon réveil, me présenta bien des sujets de réflexion devant Dieu. Dans ce sommeil, je vis un endroit délicieux, une vallée char-mante, où la nature avait réuni toutes les beautés, toutes les richesses et les plaisirs capables de réjouir un mortel. Ce qui m'étonna, c'est qu'au milieu de cette vallée de délices, je vis un homme à l'air triste, le visage altéré, l'esprit occupé ; son maintien annonçait le trouble et l'émotion de son âme : tantôt immobile et regardant fixement la terre, tantôt marchant à grands pas d'un air égaré ; puis, s'arrêtant tout à coup, pous-sant de profonds soupirs et se plongeant dans une mé-lancolie profonde qui semblait approcher du désespoir. En considérant attentivement, j'aperçus que cette vallée de délices aboutissait à un précipice affreux, à un gouf-fre immense où une force étrangère semblait le traîner. Cet homme était agité malgré tant de délices, car à cette vue, il ne pouvait goûter un moment de joie ni de paix. Mais portant mes regards plus loin, je vis un autre endroit tout contraire, un vallon sombre et obscur, des montagnes escarpées, des déserts stériles ; la sé-cheresse seule paraissait habiter ce séjour ; nul feuil-lage, nulle verdure, des ronces et des épines : tout inspirait la tristesse, la solitude, une espèce d'horreur. Mais ma surprise fut à son comble quand j'aperçus dans cette vallée, un homme pâle, défait, exténué et cependant avec un visage serein, un maintien tranquille et un air content ; malgré ces dehors affligeants, tout annonçait un homme qui jouit de la paix de l’âme ; mais portant mes regards encore plus loin, j'aperçus au bout de cette vallée de misères et cet affreux désert, je vis un endroit délicieux, un agréable lointain où l'on découvrait toutes sortes de beautés. Cet homme considérait sans cesse ce terme, ne le perdait jamais de vue, marchait avec courage, passant à travers les ronce où souvent il se blessait ; mais ses plaies semblaient ranimer ses forces. Étonné de tout cela, je demandai pourquoi l'un était si triste dans ce lieu de plaisirs et l'autre si content dans ce lieu de misères. Alors j'entendis une voix qui me dit : Ces deux hommes, que vous voyez, sont l'image de ceux qui sont ou entièrement attachés au monde, ou sincèrement dévoués a service de Dieu. Le monde, me dit cette voix, présente d'abord à ses spectateurs, les biens, les plaisirs, au moins en apparence : l'on s'y jette comme des insensés ; mais l'on reconnaît bientôt que l'on n'a pas trouvé ce que l'on croyait. Ce qu'il y a de plus triste et de plus accablant c'est qu'au bout de ce terme, l'on ne trouve qu'un gouffre, où vont se précipiter tous ceux qui marchent dans cette route qui semble être agréable. L'autre, au contraire, me dit cette voix, éprouve en soi tout le contraire : dans le service de Dieu, d'abord il y a des épreuves et des peines, c'est une vallée de larmes qu'on habite ; il faut se mortifier, se faire quelques violences, se priver des douceurs de la vie, passer ses jours dans la contrainte. Mais l'on s'anime par la vue et l'espérance d'un avenir à jamais heureux ; c'est le partage de cet homme qui est dans cette vallée triste ; mais la pensée du bonheur qu'il espère le console et le soutient dans ses combats. Tout devient consolant, pour lui, son âme goûte déjà les biens qui lui sont promis et qui l'attendent, et dont bientôt il jouira. »
Peut-on, M.F., trouver une image plus naturelle que celle-là, pour nous faire comprendre la différence de celui qui, pendant sa vie, ne cherche qu'à plaire à Dieu, à sauver son âme, avec celui qui laisse son Dieu et son âme de côté pour courir après quelques plaisirs qui nous conduisent, sans avoir rien goûté de consolant ni de parfait, dans un précipice qui n'est autre chose que le gouffre de l'enfer . Heureux celui, M.F., qui mar-chera dans ce chemin, où il y a quelques peines, mais de peu de durée, et qui, au bout, nous conduit dans un lieu si heureux à la possession de Dieu même ! C'est le bonheur...
 

 10ème dimanche après la Pentecôte
Sur l’orgueil
 

Non sum sicut cæteri hominum.
Je ne suis pas comme les autres.
(S. Luc, XVIII, 11.)

Tel est, M.F., le langage ordinaire de la fausse vertu et celui de l'orgueilleux, qui, toujours content de lui--même, est toujours prêt à censurer et à critiquer la conduite des autres. Tel est encore le langage des riches, qui regardent les pauvres comme s'ils étaient d'une nature différente de la leur, et les traitent en consé-quence. Disons mieux, M.F., c'est le langage de presque tout le monde. II y en a très peu, même dans les conditions les plus basses, qui ne soient atteints de ce maudit péché, qui n'aient pas bonne opinion d'eux--mêmes, en se mettant entièrement au-dessus de leurs égaux, et qui ne portent leur détestable orgueil jusqu'à croire qu'ils valent mieux que beaucoup d'autres. D'où je conclus que l'orgueil est la source de tous les vices, et la cause de tous les maux qui sont arrivés et qui arriveront dans la suite des siècles. Nous portons même notre aveuglement si loin, que, souvent, nous nous glorifions de ce qui devrait nous couvrir de confusion. Les uns tirent leur orgueil de ce qu'ils croient avoir plus d'esprit ; les autres, à cause de quelques pouces de terre ou de quelque argent ; tandis qu'ils devraient trembler sur le compte redoutable que Dieu leur en demandera un jour. Oh ! M.F., qu'il en est qui ont besoin de faire cette prière que saint Augustin faisait à Dieu : « Mon Dieu, faites-moi connaître ce que je suis, et je n'ai pas besoin d'autre chose pour me couvrir de confusion et de mépris de moi-même . » Je vais donc vous mon-trer 1° combien l'orgueil aveugle l'homme et le rend odieux aux yeux de Dieu et des hommes ; 2° en combien de manières nous le commettons, et 3° enfin, ce que nous devons faire pour nous en corriger.

I. – Oui, M.F., pour vous donner une idée de la gran-deur de ce maudit péché, il faudrait que Dieu me permit d'aller arracher Lucifer du fond des abîmes, et de le traî-ner ici à ma place, et qu'il vous dépeignît lui-même les horreurs de ce crime, en vous montrant les biens que ce péché lui a ravis, c'est-à-dire le ciel, et les maux qu'il lui a attirés, qui sont les peines de l'enfer. Hélas ! M.F., pour un péché qui peut être d'un moment, une punition qui durera une éternité ! Ce qu'il y a de plus malheu-reux dans ce péché, c'est que plus l'on en est atteint, moins l'on s'en croit coupable. En effet, jamais un orgueilleux ne voudra croire qu'il est orgueilleux, ni connaître qu'il a tort : ce qu'il fait et dit, est bien fait et bien dit. Voulez-vous concevoir, M.F., la grandeur de ce péché ? Voyez ce que Dieu a fait pour l'expier. Pourquoi est-ce qu'il a voulu naître de parents pauvres, vivre dans l'oubli, passer dans le monde, non comme ceux d'une condition médiocre, mais comme une per-sonne de rien ? C'est qu'il voyait que ce péché avait telle-ment outragé son Père, qu'il ne pouvait être expié par lui qu'en se livrant à l'état le plus humiliant et le plus méprisable, qui est celui de la pauvreté ; car il suffit de ne rien avoir pour être méprisé des uns et rebuté des autres.
Voyez, M.F., combien sont grands les maux que ce péché a faits. Sans ce péché, il n'y aurait point d'enfer. Sans ce péché, Adam serait encore dans le paradis terres-tre, et nous tous heureux, sans maladie, sans toutes ces autres misères qui nous accablent chaque jour ; point de mort, point de jugement à subir, ce qui a fait trem-bler les grands saints ; point d'éternité malheureuse à craindre ; le ciel nous était assuré. Heureux dans ce monde et plus heureux encore dans l'autre : notre vie se serait passée à bénir les grandeurs, les bontés de notre Dieu, et nous serions allés, en corps et en âme, continuer cet heureux travail. Ah ! que dis-je, M.F. : sans ce maudit péché, Jésus-Christ ne serait pas mort ! O que de tourments épargnés à ce divin Sau-veur !...
Mais, me direz-vous, pourquoi est-ce que ce péché a causé plus de maux que les autres ? – Pourquoi ? en voici la raison. Si Lucifer et les autres mauvais anges n'avaient pas eu d'orgueil, il n'y eût point eu de dé-mons, et, par conséquent, personne n'aurait tenté nos premiers parents et ils auraient eu le bonheur de persé-vérer. Je sais bien que tous les péchés outragent Dieu, que tous les péchés mortels méritent une punition éter-nelle : un avare qui ne cherche qu'à ramasser et qui sacrifiera sa santé, sa réputation, et même sa vie pour accumuler quelque argent, dans l'espérance de prévoir pour l'avenir, fait sans doute bien injure à la provi-dence de Dieu, qui nous a promis que, si nous avions soin de le servir et de l'aimer, il aura soin de nous. Un ivrogne qui se livre aux excès du boire en perdant la raison, se mettant au-dessous de la bête brute, de même, fait un grand outrage à Dieu, qui ne lui donne du bien que pour en faire un bon usage en consacrant ses forces, sa vie à le servir. Un vindicatif qui se venge des injures qu'on lui a faites, fait un mépris sanglant à Jésus-Christ, qui, depuis tant de mois et peut-être même d'années, le souffre sur la terre, et bien mieux, lui four-nit tout ce qui lui est nécessaire, tandis qu'il ne mérite-rait que d'être abîmé dans les flammes. Un impudique, en se plongeant dans la fange de ses passions, se met plus bas que les pourceaux, perd son âme et donne la mort à son Dieu ; d'un temple du Saint-Esprit, fait un temple des démons, « des membres de Jésus-Christ en fait les membres d'une infâme prostituée , » de frère du Fils de Dieu, devient, non seulement le frère des démons, mais l'esclave de Satan. Ce sont là des crimes, dont nul terme ne pourrait exprimer les horreurs ni la grandeur des tourments qu'ils méritent. Eh bien ! M.F., nous disons que ces péchés sont aussi éloignés de l'orgueil par les outrages qu'ils font à Dieu, que le ciel l'est de la terre : tenez, rien de si facile à concevoir, vous allez le voir. Lorsque nous commettons les autres péchés, tantôt nous violons les commandements de Dieu, tantôt nous y méprisons ses bienfaits ; ou bien, si vous voulez, nous rendons inutiles tous les travaux, les souffrances et la mort de Jésus-Christ. Mais celui-ci, c'est-à-dire, l'or-gueilleux, fait comme un sujet, qui, non content d'avoir méprisé et foulé aux pieds les lois et les ordonnances de son souverain, porte sa fureur jusqu'à essayer de lui planter un poignard dans le sein, l'arrache de son trône, le foule sous ses pieds et prend sa place. Peut-on con-cevoir une atrocité plus grande, M.F. ? Eh bien ! M.F., voilà ce que fait une personne qui tire vanité quand elle réussit dans ce qu'elle fait ou dit. O mon Dieu ! que le nombre en est grand !
Écoutez, M.F., ce que nous dit l'Esprit-Saint, en parlant de l'orgueilleux : « Il sera en abomination à Dieu et aux hommes. Car le Seigneur déteste l'orgueilleux et le superbe. » Jésus-Christ nous dit lui-même « qu'il remerciait son Père d'avoir caché ses secrets aux or-gueilleux . » En effet, si nous parcourons l'Écriture sainte, les maux dont Dieu accable l'orgueilleux sont si affreux et si multipliés qu'il semble qu'il épuise sa fureur et sa puissance pour le punir, et nous voyons que Dieu prend plaisir à humilier les superbes à proportion qu'ils veulent s'élever. Nous voyons que souvent un orgueil-leux tombe dans quelque vice honteux qui le déshonore aux yeux du monde .
Le grand Nabuchodonosor nous en fournit un bel exemple. Ce prince était si orgueilleux, il avait tant bonne opinion de lui-même, qu'il voulait qu'on le regardât comme un dieu . Dans le moment qu'il était rempli de la grandeur de la puissance, tout à coup il entend une voix du ciel disant que le Seigneur ne pouvait plus souffrir son orgueil, et que, pour lui faire connaître qu'il y avait un Dieu, maître des royaumes, son royaume lui serait ôté et donné à un autre ; qu'on le chasserait de la compagnie des hommes, qu'il irait demeurer parmi les bêtes farouches, qu'il mangerait l'herbe et le bois comme une bête de somme. A l'heure même, Dieu lui renversa tellement la cervelle, qu'il crut être une bête, s'enfuit dans les forêts jusqu'à ce qu'il reconnût qu'il n'était rien . Voyez les châtiments que le Seigneur fit subir à Coré, Dathan et Abiron, avec deux cents des plus considéra-bles des Juifs. Remplis d'orgueil, ils disent à Moïse et à Aaron : « Et pourquoi est-ce que nous n'aurions pas aussi l'honneur d'offrir de l'encens au Seigneur aussi bien que vous ? » Le Seigneur dit à Moïse et à Aaron de les séparer, avec tout ce qui leur appartenait ; qu'il coulait les punir... A peine furent-ils séparés que la terre s'ouvrit sous leurs pieds, et les engloutit tout vivants en enfer . Voyez Hérode, qui fit mourir saint Jacques et emprisonner saint Pierre. Il était si orgueil-leux, qu'étant un jour vêtu de sa robe royale et assis sur son trône, il parla avec tant d'éloquence au peuple, qu'on alla jusqu'à dire : « Non, non, ce n'est pas un homme qui parle, mais c'est un dieu. » Dans le même moment un ange le frappa d'une maladie si affreuse, que les vers le rongeaient tout vivant, et il périt malheureu-sement. II voulut se faire passer pour Dieu, et il fut mangé par le plus vil des insectes . Voyez encore Aman, ce fameux orgueilleux, qui avait commandé que tout sujet pliât le genou devant lui. Irrité jusqu'à la rage de ce que Mardochée le méprisait, il fit dresser une potence pour le pendre ; mais Dieu, qui a en horreur les orgueil-leux, permit que ce fût lui-même qui y fût attaché .
Nous lisons dans l'histoire, qu'un solitaire rempli d'orgueil voulut montrer la grandeur de sa foi. Étant allé trouver saint Palémon, celui-ci le voyant faire tout son étalage d'orgueil, lui dit charitablement qu'il était bien difficile d'avoir, avec tant d'orgueil, la foi qu'il disait ; que n'ayant rien de bon de nous-mêmes, nous ne pouvions que nous humilier, gémir devant Dieu et lui demander la grâce de ne pas nous abandonner. Mais ce pauvre aveugle, bien loin de profiter de ce charitable avis, court se jeter dans un brasier de feu , et Dieu permit même, pour mettre le comble à son orgueil, qu'il ne ressentît seulement pas l'ardeur du feu. Mais peu de temps après, il tomba dans un gros péché, un péché honteux contre la sainte vertu de pureté. Le démon se présenta à lui sous la figure d'une femme, qui le pressa tant, s'étant assise à côté de lui et voulut l'embrasser ; alors le démon se jeta sur lui, le meurtrit de tant de coups, qu'il le laissa étendu sur le pavé. Enfin, reconnaissant sa faute, c'est-à-dire, son orgueil, il revint trouver saint Palémon et lui avoua sa faute en pleurant. Chose étrange, M.F., comme il lui parlait encore, le démon se saisit de lui, devant saint Palémon, le traîna avec tant de fureur et le précipita dans une fournaise enflammée, où il y perdit la vie .
Oui, M.F., nous voyons partout que Dieu se plaît à confondre les orgueilleux. Non seulement un orgueil-leux est en abomination aux yeux de Dieu, mais il est encore insupportable aux yeux des hommes. – Pour-quoi cela ? me direz-vous. – C'est qu'il ne peut s'accor-der avec personne : tantôt il veut s'élever au-dessus de ses égaux, tantôt égaler ceux qui sont au-dessus de lui, de sorte qu'il ne peut s'accorder avec personne. Ainsi les orgueilleux sont toujours en dispute avec quel-qu'un, et de là il s'ensuit que tout le monde les hait, les fuit, les méprise. Non, M.F., il n'y a pas de péché qui fasse un si grand changement dans celui qui le commet, puisqu'un ange, la plus belle créature, est devenu par ce péché le démon le plus horrible ; et dans l'homme, d'un enfant de Dieu, il en fait un esclave du démon.

II. – Ce péché, me direz-vous, est vraiment affreux ; il faut que celui qui le commet ne connaisse ni le bien qu'il perd, ni les maux qu'il s'attire, ni enfin les ou-trages qu'il fait à Dieu et à son âme ? Mais comment peut-on donc savoir quand on s'en est rendu coupable ? – Comment, mon ami ? Le voici. Nous pouvons même dire que ce péché se trouve partout, accompagne l'homme dans ce qu'il fait et dit ; c'est une espèce d'as-saisonnement qui trouve partout sa place. Ecoutez-moi un instant et vous allez le voir. Jésus-Christ nous en donne un exemple dans l'Évangile, en disant qu'un pharisien, étant allé dans le temple pour y faire sa prière, se tenait debout en présence de tout le monde, disant à haute voix : « Je vous rends grâce, Seigneur, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, cou-vert de péchés ; je passe ma vie à faire le bien et à vous plaire. » Voilà le véritable caractère d'un orgueilleux : au lieu de remercier Dieu de ce qu'il a été si bon que de se servir de lui pour le bien, de lui rendre grâce, il regarde tout cela comme venant de lui-même et non de Dieu. Entrons dans quelques détails, et vous verrez que presque personne n'en est excepté. Les vieillards comme les jeunes gens, les pauvres comme les riches ; chacun se loue et se flatte de ce qu'il n'est pas et de ce qu'il n'a pas fait. Chacun s'applaudit et aime à être applaudi ; chacun court mendier les louanges des hommes, et chacun travaille à se les attirer. Ainsi se passe la vie de la plus grande partie des gens.
La porte par laquelle l'orgueil entre avec le plus d'abondance, c'est la porte des richesses. Dès qu'une personne augmente ses biens, vous la voyez changer de manière de vivre ; elle fait, comme nous dit Jésus-Christ des pharisiens : « Ces gens aiment qu'on les appelle maîtres, qu'on les salue, ils veulent les pre-mières places ; ils commencent à paraître vêtus plus richement  » ils quittent cet air de simplicité ; si on les salue, à peine vous branleront-ils la tête, sans lever leur chapeau ; marchant la tête levée, ils s'étudieront à chercher tous les plus beaux mots, dont souvent ils ne connaissent pas même la signification ; ils aiment à les répéter. Cet homme vous cassera la tête des héritages qu'il aura reçus, pour montrer que sa fortune s'est augmentée. Tous ses soins sont de travailler à se faire estimer et louer. Aura-t-il réussi dans quelque ouvrage ? il s'empresse de le publier pour étaler son prétendu savoir. A-t-il dit quelque chose dont il aura été applaudi, il ne cesse d'en casser les oreilles à ceux qui sont autour de lui, jusqu'à les ennuyer et à se faire moquer de lui. A-t-on fait quelque voyage ? vous entendez ces orgueil-leux en dire cent fois plus qu'ils n'en ont dit ou fait ce qui fait compassion à ceux qui les entendent. Ils croient se faire passer pour avoir de l'esprit, tandis qu'on les méprise intérieurement. L'on ne peut s'em-pêcher de se dire en soi-même : Voilà un fameux orgueilleux, il se persuade qu'on croit tout ce qu'il dit !...
Voyez une personne d'état examinant l'ouvrage d'un autre ; elle y trouvera mille défauts, en disant : « Ah ! que voulez-vous ? il n'en sait pas davantage ! » Mais comme l'orgueilleux n'abaisse jamais les autres sans s'élever lui-même ; alors elle s'empressera de parler de quelque ouvrage qu'elle a fait, qu'un tel a trouvé si bien fait qu'il en a parlé à plusieurs. Un orgueilleux, voyant plusieurs personnes qui parlent ensemble, croit qu'on dit de lui du mal ou du bien.
Une jeune fille aura-t-elle une bonne tournure ? du moins, croit-elle l'avoir ? Vous la voyez marcher à pas comptés, avec affectation, avec un orgueil qui semble monter jusqu'aux nues. A-t-elle des chemises, des robes ? Elle laissera son armoire ouverte pour les faire voir. On lire orgueil de ses bêtes et de son ménage. On tire orgueil de bien savoir se confesser, de bien prier le bon Dieu, d'être plus modeste à l'église. Une mère tire orgueil de ses enfants ; un habitant, de ce que ses terres sont en meilleur état que celles des autres, qu'il condamne ; et il s'applaudit de son savoir. Un jeune homme a-t-il une montre dans son gousset, et peut-être même, souvent, n'a-t-il que la chaîne, avec cinq sols dans sa poche ? vous l'entendez dire : « Je ne sais pas si c'est bien tard ; » afin qu'on lui dise de regarder à sa montre, pour qu'on sache qu'il en a une. Si l'on joue, pour essayer de gagner, n'aurait-il que deux sous à donner, il prendra dans sa main tout ce qu'il a, et même ce qui souvent n'est pas à lui ; ou bien il dira plus qu'il n'a en réalité. Combien en est-il qui emprun-tent, pour aller dans ces parties de plaisir, des habille-ments ou de l'argent !
Une personne entre-t-elle dans une compagnie dont elle croit être inconnue ? de suite vous la voyez faire le récit de sa famille, de ses biens, de ses talents et de tout ce qui peut la relever, et faire connaître ce qu'elle est ou plutôt, ce qu'elle n'est pas. Non, M.F., il n'y a rien de si ridicule et de si sot que d'être toujours après parler de ce que l'on a, et de ce que l'on a fait. Écoutez un père de famille, quand ses enfants sont en état de se marier. Dans toutes les compagnies où il se trouve, on l'entend dire : « J'ai tant de mille francs de prêtés, mon bien me rend tant, » et ensuite demandez-lui cinq sols pour les pauvres, il n'a rien. Une tailleuse ou un tailleur auront-ils bien réussi à faire une robe ou un habit, s'ils se trouvent de voir passer les personnes qui en sont revêtues : « voilà qui va bien, je ne sais pas qui l'a fait. » – « Eh bien ! c'est moi, diront-ils. » Et pourquoi ont-ils dit cela ? c'est afin de faire voir qu'ils sont bien habiles. Mais s'ils n'ont pas bien réussi, ils se gar-deront bien d'en parler, crainte d'être humiliés. Les femmes dans leur ménage…  Et moi je vous dirai que ce péché est encore plus à craindre dans les personnes qui semblent faire profession de piété. En voici un bel exemple .
Ce maudit péché d'orgueil se glisse même dans les fonctions les plus basses . Un laboureur, ou une personne qui coupera du bois, si c'est au passage, ils y mettront tous leurs soins ; « afin, disent-ils, que quand il passera quelqu'un, l'on ne trouve pas que je ne sais pas travailler. » Ce péché se glisse même dans le crime, et dans la vertu : l'on en voit qui se font gloire d'avoir fait le mal. Écoutez la conversation de plusieurs ivrognes. « Ah ! disent-ils, je me suis trouvé un jour avec un tel ; il a voulu se prendre avec moi à celui qui boirait le plus sans s'enivrer ; mais j'en ai bien, d'abord, eu vu le bout ! » C'est encore un orgueil que le désir d'être plus riche et de porter envie à ceux qui le sont, parce que l'on voit que les riches sont respectés et honorés.
L'on en trouvera d'autres qui, dans leur langage, seront extrêmement humbles et qui même se méprise-ront et semblent faire publiquement l'aveu de leur faiblesse. Mais, dites-leur quelque chose qui pénètre jusqu'au cœur. Dès la première parole, vous les voyez se monter, vous tenir tête, jusqu'au point de vous décrier et déchirer votre réputation, pour un prétendu affront qu'elles auront reçu. Elles auront une grande humilité en apparence, tant qu'on les flatte ou qu'on les loue. Quelquefois, si l'on dit du bien d'une autre per-sonne devant nous, cela nous fâche, il semble que cela nous humilie ; nous faisons paraître un air triste, ou bien nous disons : « Ah ! elle est bien comme les autres, elle a bien fait ça, elle a bien dit cela, elle n'a pas tant de bonnes qualités que vous dites bien, vous ne la connaissez pas !... »
Je dis que l'orgueil se glisse même dans nos bonnes œuvres. II en est plusieurs qui ne feront l'aumône et ne rendront service au prochain que pour se faire passer pour de bonnes gens, des personnes charitables. S'ils font l'aumône devant quelqu'un, ils donneront davantage que s'il n'y avait personne. Voudront-ils faire savoir qu'ils ont fait quelque bien, ou rendu quelque service à leur voisin, ils commenceront à dire : « Un tel a bien du malheur, il a bien peine de pouvoir vivre ; il est venu un jour, il m'a témoigné sa misère, je lui donnai telle chose. »
Un orgueilleux ne veut jamais être repris, il a toujours droit ; tout ce qu'il dit est bien dit, et tout ce qu'il fait est bien fait. Et vous le voyez sans cesse examiner la conduite des autres ; partout il trouve des défauts : il n'y a rien de bien fait ni de bien dit. Une personne fera--t-elle une action avec les meilleures intentions du monde, le voilà qui, avec sa langue venimeuse, la tourne en mal.
Combien n'y en a-t-il pas qui inventent par orgueil ? S'ils racontent ce qu'ils ont fait ou dit, ils en diront beaucoup plus qu'il n'y en a. Mais d'autres mentent, crainte d'être humiliés. Disons mieux ; les vieillards se font gloire de ce qu'ils n'ont pas fait ; à les entendre, ils semblent être les plus grands conquérants du monde, on dirait qu'ils ont parcouru l'univers entier ; et les jeunes gens se louent de ce qu'ils ne feront jamais : tous mendient et tous courent après une fumée d'hon-neur. Tel est le monde aujourd'hui, M.F. ; mettez la main sur votre conscience, sondez votre cœur, et vous reconnaîtrez la vérité de ce que je vous dis.
Mais ce qu'il y a de plus triste, c'est que ce péché jette dans les âmes des ténèbres si épaisses, que l'on ne se croit pas même coupable. L'on connaît bien quand les autres se louent à faux, qu'ils s'attribuent des louanges qu'ils n'ont pas méritées ; mais, pour nous, nous croyons toujours les mériter. Je dis, M.F., que toute personne qui cherche l'estime des hommes est un aveugle. – Pourquoi ? me direz-vous. – Mon ami, en voici la raison. D'abord, je ne dirai pas qu'il perd tout le mérite de ce qu'il fait, que toutes ses charités, toutes ses prières et ses pénitences ne lui seront qu'un sujet de condam-nation. I1 croira avoir fait quelque bien, tout se trou-vera gâté par l'orgueil. Mais je dis qu'il est aveugle. S'il mérite l'estime de Dieu et des hommes, il n'a qu'à les fuir au lieu de les rechercher ; il n'a qu'à bien se persuader qu'il n'est rien, qu'il ne mérite rien ; il est sûr de tout avoir. Nous voyons partout que plus une personne veut s'élever, plus Dieu permet qu'elle soit humiliée ; et plus elle veut se cacher, plus Dieu fait éclater sa réputation. Tenez : mettez la main et les yeux sur la vérité, et vous allez la reconnaître. Une personne, c'est-à-dire, un orgueilleux, court mendier les louanges des hommes ; et à peine est-il connu dans une paroisse ! Mais celui qui se cache autant qu'il peut, qui se méprise lui-même ; allez à vingt ou cinquante lieues, on publie ses bonnes qualités. Disons mieux : sa réputation vole aux quatre coins du monde ; plus il se cache, plus il est connu ; et plus l'autre veut se montrer, plus il s'enfonce dans les ténèbres, ce qui fait que presque personne ne le connaît et lui se connaît encore moins.
Si le pharisien, comme vous l'avez vu, est le véritable portrait de l'orgueilleux, le publicain est une image sen-sible d'un cœur sincèrement pénétré de son néant, de son peu de mérite et de sa grande confiance en Dieu. Jésus-Christ nous le présente comme un modèle accom-pli, sur lequel nous pouvons nous guider. Le publicain, nous dit saint Luc, oublie tout le bien qu'il aurait pu faire pendant sa vie, pour ne s'occuper que de sa misère spirituelle, de son indignité ; il n'ose paraître devant un Dieu si saint. Bien loin d'imiter le pharisien, qui se met dans un endroit où il peut être aperçu de tout le monde et en recevoir les louanges, ce pauvre publicain, à peine est-il entré dans le temple, qu'il court se cacher dans un coin, se regarde comme seul devant son juge, la face contre terre, le cœur brisé de douleur, ses yeux baignés de larmes ; il n'ose regarder l'autel, tant il est couvert de confusion à la vue de ses péchés, et de la sainteté de Dieu, devant lequel il se trouve indigne de paraître. Il s'écrie dans la plus grande amertume de son cœur : « Mon Dieu, ayez, s'il vous plaît, pitié de moi, car je suis un grand pécheur ! » Cette humilité toucha tellement le cœur de Dieu, que, non seulement il lui pardonna tous ses péchés ; mais, de plus, il le loua publiquement en disant à tout le monde que ce publi-cain, quoique pécheur, lui avait été plus agréable par son humilité, que le pharisien avec tout son vain étalage de prétendues bonnes œuvres : « car, je vous déclare, dit Jésus-Christ, que ce publicain retourna chez lui sans péchés, tandis que le pharisien est plus coupable qu'a-vant d'entrer dans le temple. De là je conclus que celui qui s'élève sera humilié, et que celui qui s'humilie sera élevé. » Nous avons vu, M.F., ce que c'est que l'or-gueil, combien ce vice est affreux, combien il outrage Dieu, et enfin combien le Seigneur se plaît à le punir. Voyons maintenant ce que c'est que l'humilité, qui est la vertu opposée.

III. – Si « l'orgueil est la source de toutes sortes de vices , » nous pouvons dire que l'humilité est la source et le fondement de toutes les vertus  ; elle est la porte, par laquelle Dieu nous fait passer toutes ses grâces ; c'est elle qui assaisonne toutes nos actions, qui leur commu-nique tant de valeur, qui les rend si agréables à Dieu ; enfin, c'est elle qui nous rend maîtres du cœur de Dieu, qui en fait notre serviteur, si j'ose le dire ; car jamais Dieu n'a pu résister à un cœur humble . – Mais, me direz-vous, en quoi consiste cette humilité, qui nous mérite tant de grâces ? – Mon ami, le voici. Écoutez-moi : vous avez dû connaître si vous êtes atteint de l'orgueil, vous verrez maintenant si vous avez le bonheur de pos-séder cette belle et rare vertu ; si vous l'avez dans son entier, le ciel vous est assuré. L'humilité, nous dit saint Bernard, consiste à nous faire connaître nous-mêmes, à n'avoir que du mépris de nous. L'humilité est un flam-beau qui nous montre au grand jour nos imperfections ; elle ne consiste donc pas dans les paroles, ni dans les actions ; mais dans la connaissance de soi-même, qui nous fait découvrir une infinité de fautes que notre orgueil nous avait cachées jusqu'à présent. Je dis que cette vertu nous est absolument nécessaire pour aller au ciel ; écoutez ce que nous dit Jésus-Christ dans l'Évangile : « Si vous n'êtes pas semblables à un petit enfant, vous n'en-trerez jamais dans le royaume des cieux. En vérité, je vous déclare que si vous ne vous convertissez, si vous ne quittez pas ces sentiments d'orgueil et d'ambition si naturels à l'homme, vous n'irez jamais au ciel . » « Oui, nous dit le Sage, l'humilité obtient tout . Voulez-vous recevoir le pardon de vos péchés ? Présentez-vous à Dieu dans la personne de ses ministres, couverts de con-fusion, indignes d'obtenir la grâce que vous demandez, vous êtes sûrs de votre grâce. Êtes-vous tentés ? Allez vous humilier de votre misère et reconnaître que vous ne pouvez rien de vous-mêmes, que vous perdre : vous êtes sûrs d'être délivrés. O belle vertu, que tu rends une âme agréable à Dieu ! Jésus-Christ lui-même ne pouvait nous donner une plus belle idée de la grandeur de son mérite, qu'en nous disant qu'il avait bien voulu prendre « la forme d'un esclave , » qui est la plus vile con-dition. Qu'est-ce qui rendit la sainte Vierge si agréable à Dieu ? sinon son humilité et le mépris qu'elle faisait d'elle-même.
Nous lisons dans l'histoire  que saint Antoine eut une vision, où Dieu lui fit voir le monde tout couvert d'un filet et les démons qui le tenaient par les quatre bouts. « Ah ! s'écrie le saint, qui pourra ne pas tomber dans ce filet ? » « Antoine, lui dit le Seigneur, l'humilité seule suffit : c'est-à-dire, si vous reconnaissez ne rien mériter de vous-même, n'être capable de rien, vous serez victorieux. » Un ami de saint Augustin lui demandait quelle était la vertu qu'il fallait pratiquer pour être plus agréable à Dieu ? Il lui répondit – « L'humilité seule suffit. J'ai eu beau travailler à chercher la vérité, pour connaître le chemin le plus sûr pour aller à Dieu, jamais je n'en ai pu trouver d'autres. » Écoutez ce que nous dit l'his-toire . Saint Macaire, revenant avec une brassée de bois, trouva le démon armé d'une fourche tout en feu, qui lui dit : « O Macaire, que tu me fais souffrir de ne pouvoir te maltraiter ; pourquoi me fais-tu tant souffrir ? puisque tout ce que tu fais, je le fais mieux que toi : si tu jeûnes, je ne mange jamais ; si tu veilles, je ne dors point ; il n'y a qu'une seule chose que tu as de plus que moi et par laquelle tu m'as vaincu. » Le savez-vous, M.F., la chose qui était dans saint Macaire que le démon n'avait pas ? Ah ! mes amis, c'est l'humilité. O belle vertu, que celui qui te possède est heureux et capable de grandes choses !
En effet, M.F., quand vous auriez toutes les autres vertus, si vous n'avez celle-ci, vous n'avez rien. Donnez votre bien aux pauvres, pleurez vos péchés toute votre vie, faites pénitence autant que votre corps pourra le sou-tenir, vivez dans la retraite toute votre vie ; vous ne lais-serez pas d'être damnés si vous n'avez pas l'humilité . Aussi voyons-nous que tous les saints ont travaillé toute leur vie ou à l'acquérir ou à la conserver. Plus Dieu les comblait de bienfaits, plus ils s'humiliaient. Voyez saint Paul, élevé jusqu'au troisième ciel, il ne se regarde que comme un grand pécheur, un persécuteur de l'Église de Jésus-Christ, un misérable, un avorton, indigne de la place qu'il occupe . Voyez saint Augustin, saint Martin : ils n'osaient pas entrer dans l'église sans trembler, tant leur misère spirituelle les effrayait. Telles doivent être nos dispositions, si nous voulons être agréables à Dieu. Nous voyons, M.F., que plus un arbre est chargé de fruit, plus ses branches baissent ; de même, plus nous faisons de bonnes œuvres, plus nous devons nous humilier en nous reconnaissant indignes que Dieu se serve d'un si vil instrument pour faire le bien. Non, M.F., nous ne pouvons reconnaître un bon chrétien qu'à l'humilité.
Mais, me direz-vous, comment est-ce qu'on peut connaître qu'un chrétien est humble ? – Rien de plus facile, vous allez le voir. Premièrement, je dis qu'une personne vraiment humble ne parle jamais d'elle, ni en bien ni en mal ; elle se contente de s'humilier devant Dieu qui la connaît telle qu'elle est. Elle n'a les yeux que sur sa conduite, et elle gémit de se voir si cou-pable ; elle travaille à se rendre plus digne de Dieu. Vous ne la voyez point porter son jugement sur la con-duite des autres, elle a bonne opinion de tout le monde. Sait-elle mépriser quelqu'un ? ce n'est qu'elle-même. Elle tourne en bien tout ce que ses frères font ; elle est très persuadée qu'il n'y a qu'elle qui soit capable de mal faire. De là vient que si elle parle de son prochain, ce n'est qu'en bien ; s'il n'y a rien de bien à dire, elle garde le silence, si on la méprise, elle pense qu'on ne fait que ce que l'on doit, et qu'après avoir méprisé Dieu elle-même, elle trouve qu'elle en mérite bien davan-tage ; si on lui donne des louanges, vous la voyez rougir, et prendre la fuite, en gémissant de voir com-bien elle va détromper, au jour du jugement, ceux qui la croient une personne de bien, tandis qu'elle est toute couverte de péchés. Elle a autant d'horreur des louan-ges que les orgueilleux en ont des humiliations. Ses amis seront toujours ceux qui lui font connaître ses défauts. Si elle a du bien à faire, elle choisira toujours de le faire à celui qui l'a calomniée ou qui lui a fait quelque tort. Les orgueilleux cherchent la compagnie de ceux qui les flattent, les estiment ; elle, au contraire, fuira ceux-là, pour aller avec ceux qui paraissent avoir mauvaise opinion d'elle. Ses plaisirs sont d'être seule avec Dieu, de lui représenter sa misère, en le priant d'avoir pitié d'elle. Seule ou en compagnie, vous ne verrez nul changement dans ses prières, ni dans sa manière d'agir. Ne faisant toutes ses actions que pour Dieu et qu'en vue de lui plaire, elle ne pense nullement à ce qu'en pensent ou disent les autres. Elle travaille à plaire à Dieu, et, pour le monde, elle peut dire qu'elle le met sous ses pieds. Ainsi pensent et agissent ceux qui ont l'humilité pour partage...
Jésus-Christ ne semble point mettre de distinction entre le sacrement de Baptême, celui de Pénitence et l'humilité. Il nous dit que, sans le Baptême, nous n'en-trerons jamais dans le royaume des cieux  ; sans celui de la Pénitence, après avoir péché, il n'y a point de pardon et, de suite, il nous dit que, sans l'humilité, nous n'entrerons jamais dans le ciel . Oui, M.F., si nous avons l'humilité, quand nous serions tout cou-verts de péchés, nous sommes sûrs d'être pardonnés ; et, sans l'humilité, aurions-nous fait toutes les bonnes œuvres possibles, nous ne serons jamais sauvés. Voici un exemple qui va vous le montrer, comme l'on ne peut pas mieux.
Nous lisons dans le livre des Rois , que le roi Achab était le plus abominable des rois qui eussent régné jusqu'à ce jour ; je ne crois pas qu'on en puisse dire davantage que ce que le Saint-Esprit nous en dit : Écoutez : « C'était un roi adonné à toutes sortes d'impu-retés, il portait la main impunément et sans discrétion sur tous les biens de ses sujets ; il fit révolter les Israé-lites contre Dieu, il paraissait comme un homme vendu et engagé à faire toute sorte de maux : en un mot, il surpassa par ses crimes tous ceux qui l'avaient précédé. C'est pourquoi, Dieu ne pouvant plus souffrir ses crimes et bien résolu de le punir, appelle son prophète Élie, lui commande d'aller trouver ce roi et de lui dire ses desseins : « Dis-lui que les chiens boiront son sang et qu'ils mangeront sa chair ; je ferai tomber sur sa tête tous les courroux de mes vengeances ; je n'épargnerai rien, je ferai sentir, jusque par ces chiens, l'excès de ma fureur. » Remarquez ici, M.F., quatre choses : 1° Vit-on jamais un plus méchant homme que lui ? 2° Vit--on jamais une plus claire détermination de faire mourir un homme qui mérite si bien d'être puni ? 3° Jamais ne donna-t-on un ordre plus précis ? « C'est dans ce lieu, dit le Seigneur, que cela se fera. » 4° A-t-on jamais vu, dans l'histoire, un homme condamné à un supplice plus infâme que celui dont Achab est condamné, que de faire manger son corps et de faire boire son sang aux chiens ? Ah ! M.F., qui pourra le retirer d'entre les mains d'un ennemi si puissant qui a déjà commencé ?
Achab, ayant entendu parler le prophète, se mit à déchirer ses vêtements. Écoutez ce que le Seigneur lui dit : « Va, ce n'est plus temps, tu as attendu trop tard, je me moque de toi. » Il se couvre d'un cilice : « Tu crois, lui dit le Seigneur, que cela me donnera des sen-timents de pitié, et me fera révoquer mon arrêt ; tu jeûnes maintenant : il fallait jeûner du sang de tant de personnes que tu as fait mourir. » Alors s'étant jeté par terre, il se couvrit de cendre, et quand il fallait paraître, il marchait la tête nue, les yeux attachés à la terre. « Prophète, dit le Seigneur, as-tu vu comment Achab s'est humilié et s'est prosterné la face contre terre ? Eh bien ! va lui dire que, puisqu'il s'est humilié, pour moi, je ne le punirai pas, et que je ne ferai pas tomber sur sa tête la foudre et la vengeance que je lui avais préparées. Va lui dire que son humilité m'a touché, m'a fait révoquer mes ordres et a désarmé ma colère . »
Eh bien ! M.F., n'avais-je pas raison de vous dire que l'humilité est la plus belle et la plus précieuse de toutes les vertus, qu'elle est toute-puissante auprès de Dieu, et que Dieu ne sait rien lui refuser ? En la possédant, nous avons toutes les autres ; sans elle, toutes les autres ne sont rien. Concluons, M.F., en disant que nous con-naîtrons si un chrétien est un bon chrétien par le mé-pris qu'il a de lui-même et de tout ce qu'il fait, et parce qu'il interprète en bonne part tout ce que son prochain fait ou dit. De là, M.F., nous pouvons assurer que notre cœur goûtera le bonheur sur la terre et que le ciel sera pour nous .....
 11ème dimanche après la Pentecôte
Sur le jugement téméraire
 

Deus, gratias ago tibi, quia non sum sicut coeteri homi-num : raptores, injusti, adulteri, velut hic publicanus.
Je vous rends grâces ô mon Dieu, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni comme ce publicain que voici.
(S. Luc, XVIII, 11.)

Tel est, M.F., le langage de l'orgueilleux, qui, étant plein de bonne opinion de lui-même, méprise, de pensée, le prochain, censure sa conduite, et condamne les actions qui sont faites avec les intentions les plus pures et les plus innocentes. Il ne trouve rien de bien fait ni de bien dit, que ce qu'il fait et ce qu'il dit lui--même ; vous le voyez toujours attentif sur les paroles et les actions de son voisin, et, sur les moindres appa-rences du mal, sans rien examiner, il les blâme, il les juge, il les condamne. Ah ! maudit péché, que tu causes de divisions, de haines, de disputes, ou pour mieux dire, que tu traînes d'âmes dans les enfers ! Oui, M.F., nous voyons qu'une personne qui est sujette à ce péché, se scandalise et se choque de tout. Il fallait que Jésus-Christ jugeât ce péché bien mauvais, il faut que les ravages qu'il fait dans le monde soient bien affreux ; puisque, pour nous en donner autant d'horreur que possible, il nous le dépeint d'une manière si claire et si sensible dans la personne de ce pharisien. Ah ! M.F., que les maux que ce maudit péché entraîne avec lui sont grands et affreux ! Oh ! qu'il est difficile à celui qui en est atteint de s'en corriger !... Pour vous engager, M.F., à ne jamais vous laisser dominer par un aussi mauvais défaut, je vais 1° vous le montrer autant que je le pourrai ; 2° nous verrons les moyens que nous devons employer pour nous en garantir.

I. – Je dis, premièrement, que le jugement témé-raire est une pensée ou une parole désavantageuse sur le compte du prochain et sur de légères apparences. Il ne peut venir que d'un cœur mauvais, rempli d'orgueil ou d'envie ; parce qu'un bon chrétien, qui est pénétré de sa misère, ne pense et ne juge mal de personne ; jamais du moins, sans en avoir une connaissance cer-taine, et encore, quand il est obligé par son devoir de veiller sur ces personnes et jamais autrement. Nous disons, M.F., que les jugements téméraires prennent naissance dans un cœur orgueilleux ou envieux, ce qui est très facile à comprendre. Un orgueilleux ou envieux n'a bonne opinion que de lui-même, et tourne en mal tout ce que fait son prochain ; le bien qu'il aperçoit dans son prochain l'afflige et le ronge. L'Écriture sainte nous en donne un bel exemple dans la personne de Caïn, qui tournait en mal tout ce que son frère fai-sait . Voyant qu'il était agréable à Dieu, il conçut le noir dessein de le tuer. Ce fut le même péché qui porta Ésaü à vouloir tuer son frère Jacob . Il ne passait son temps qu'à examiner ce qu'il faisait, en pensait toujours mal dans son cœur, et dans tout ce qu'il faisait, il ne trouvait point de bonnes actions. Mais son bon frère Jacob, qui avait un cœur bon et un esprit humble, ne pensait pas seulement mal de son frère ; il l'aimait de tout son cœur, il pensait toujours bien de lui, il excusait toutes ses actions, quoique bien mauvaises, puisqu'il ne cherchait qu'à lui ôter la vie. Jacob faisait tout ce qu'il pouvait pour changer les dispositions du cœur de son frère. Il priait le bon Dieu pour lui, il lui faisait même des présents pour lui montrer qu'il l'ai-mait et qu'il n'avait pas les pensées qu'Ésaü croyait. Hélas ! M.F., que ce péché est mauvais dans un chré-tien qui ne peut souffrir le bien dans les autres, en tournant en mal tout ce que les autres font ! Oui, M.F., ce péché est un ver rongeur qui dévore nuit et jour ces pauvres personnes : vous les voyez toutes tristes, cha-grines, sans vouloir même dire ce qui les fatigue, parce que l'orgueil s'en trouverait blessé ; ce péché les fait mourir à petit feu. O mon Dieu ! quelle triste vie ! Mais quelle vie plus heureuse, M.F., que celle de celui qui n'est point sujet à juger mal son prochain, qui tourne tout en bien ! Son âme est en paix, il ne pense mal que de lui seul, et, par là, il s'humilie devant Dieu et espère en sa miséricorde. En voici un bel exemple.
Nous lisons dans l'histoire des Pères du désert, qu'un religieux qui avait mené une vie des plus pures et des plus chastes, fut attaqué d'une maladie, dont il mourut. Comme il était proche de la mort, et que tous les reli-gieux du monastère étaient autour de lui, le supérieur le pria de leur dire en quoi il croyait s'être rendu plus agréable à Dieu. « Mon père, répondit ce saint religieux, cela me fait bien de la peine ; mais, par obéissance, je vous le dirai. Dès mon enfance, j'ai été en butte aux plus rudes tentations du démon ; mais autant il me tourmentait, autant le bon Dieu me consolait, ainsi que la sainte Vierge, laquelle un jour que j'étais bien tour-menté par le démon, m'apparut toute pleine de gloire, chassa le démon et m'encouragea à la persévérance dans la vertu. Afin, me dit-elle, de vous en rendre les moyens plus aisés, je vous découvrirai quelque chose des tré-sors immenses de mon divin Fils ; je veux vous apprendre trois choses, qui, si vous les pratiquez bien, vous rendront très agréable aux yeux de Dieu, et vous feront vaincre facilement le démon votre ennemi, qui ne cherche que votre perte éternelle. C'est de vous humilier : dans le manger, ne jamais chercher ce que vous aimez le mieux ; dans vos vêtements, vous vêtir toujours simplement ; dans vos fonctions, ne jamais chercher ce qui peut vous relever aux yeux du monde, que ce qui est capable de vous abaisser ; et pour votre prochain, ne juger jamais mal de lui dans les paroles et les actions que vous lui voyez faire, parce que souvent les pensées du cœur ne sont pas conformes à l'action. Jugez et pensez bien de tout le monde ; c'est une action très agréable à mon Fils. La sainte Vierge disparut en me disant cela, et c'est ce que je me suis appliqué à faire depuis ce temps ; ce qui m'a fait grandement mériter pour le ciel. »
D'après cela, M.F., vous voyez donc qu'il n'y a qu'un mauvais cœur qui puisse juger mal de son prochain. D'ailleurs, on ne doit pas juger son prochain sans avoir égard à sa faiblesse et au repentir qu'il peut avoir de son péché. Ordinairement, et presque toujours, l'on se repent d'avoir pensé mal ou mal parlé des autres, parce que souvent, après avoir bien examiné, l'on reconnaît que ce que l'on a dit du prochain est faux. Il nous arrive ce qui arriva à ceux qui jugèrent la chaste Su-zanne, sur le rapport de deux faux témoins, sans vouloir même lui donner le temps de se justifier  ; d'autres imitent la présomption et la malice des Juifs, qui publièrent que Jésus-Christ était un blasphémateur , qu’il était du démon  enfin, d'autres se conduisent comme pharisien, qui, sans examiner si Madeleine avait renoncé à ses désordres, ou non, ne la considérait que comme une infâme pécheresse , quoiqu'il la vît affligée, accuser ses péchés et les pleurer aux pieds de Jésus-Christ son Sauveur et son Rédemp-teur.
Le pharisien, M.F., que Jésus-Christ nous présente comme un infâme modèle de ceux qui pensent et qui jugent mal du prochain, tomba, selon toute apparence, dans trois péchés. En condamnant ce pauvre publicain, il en pense mal, il en juge mal et il le condamne, sans seulement connaître les dispositions de son cœur. Il ne portait son jugement que par conjecture : voilà, M.F., le premier caractère du jugement téméraire. Il ne le méprise en lui-même que par un effet de son orgueil et de sa malice : voilà le second caractère de ce maudit péché. Enfin, ne sachant pas si ce qu'il lui imputait était vrai ou faux, il le jugea et le condamna ; pendant que ce pénitent, réduit, dans un coin du temple, frappait sa poitrine, et arrosait le pavé de ses larmes en demandant miséricorde au bon Dieu.
Je dis, 1° M.F., que ce qui donne occasion à tant de jugements téméraires, c'est que nous ne regardons cela que comme peu de chose ; tandis que, souvent, il peut y avoir un péché mortel, si la chose est une matière considérable. – Mais, me direz-vous, cela ne se passe que dans le cœur. – C'est précisément ce qui rend ce péché bien mauvais, en ce que notre cœur n'est créé que pour aimer le bon Dieu et le prochain ; et c'est être un traître…. Souvent, en effet, dans nos paroles nous faisons croire (aux autres) que nous les aimons, que nous avons bonne opinion d'eux ; tandis que, dans nous--mêmes, nous les haïssons. Mais il y en a qui croient que, quand ils ne disent pas ce qu'ils pensent, il n'y a point de mal. Il est vrai que le péché est moindre que quand on le manifeste à l'extérieur, parce que, alors, c'est un poison que nous tâchons de faire passer dans le cœur de notre voisin sur le compte du prochain.
Si ce péché est déjà si grand, quand même nous ne le commettons que dans le cœur, je vous laisse à penser ce qu'il est aux yeux de Dieu, quand nous avons le malheur de le manifester par des paroles. Cela doit nous porter à bien examiner les choses avant de porter notre jugement sur le compte de notre prochain, crainte de nous tromper : ce qui nous arrive souvent. Voyez un juge, lorsqu'il condamne quelque personne à mort : il fait venir les témoins, les uns après les autres ; il les interroge, il est extrêmement attentif (à examiner) s'ils ne se coupent point ; il les menace, il les regarde d'un air effrayant : ce qui jette l'effroi et la terreur dans leur cœur ; il fait même tous ses efforts pour tirer, s'il peut, la vérité de la bouche du coupable. Vous voyez que, sur le moindre doute, il suspend son jugement ; et, s'il se voit forcé de prononcer la sentence de mort, il ne le fait qu'en tremblant, dans la crainte où il est de condamner une personne innocente. Ah ! M.F., que de jugements téméraires de moins, si nous avions le bonheur de prendre toutes ces précautions, lorsque nous voulons juger la conduite et les actions de notre prochain. Ah ! M.F., que d'âmes de moins dans les enfers !
Le bon Dieu nous donne un bel exemple de la manière dont nous devons juger notre prochain, et cela dans la personne de notre premier père, Adam. Le Seigneur avait certainement tout vu et tout entendu ce qu'il avait dit et fait ; il pouvait bien condamner nos premiers parents sans autre examen ; mais non, pour nous apprendre à ne rien précipiter dans le jugement que nous voudrions porter sur les actions du prochain, il les interrogea l'un après l'autre, afin qu'ils avouassent le mal qu'ils avaient fait . D'où peut donc venir, M.F., cette foule de jugements si précipités sur le compte de nos frères ? Hélas ! d'un grand orgueil qui nous aveugle en nous cachant nos propres défauts, qui sont sans nombre, et, souvent, bien plus affreux que ceux des personnes de qui nous pensons ou parlons mal ; et nous pouvons dire que, presque toujours, nous nous trom-pons en jugeant mal les actions de nos voisins. J'en ai vu qui, très certainement, faisaient des jugements faux ; quoiqu'on leur fit bien apercevoir qu'ils se trompaient, ils n'en voulaient point pour cela démordre. Allez, allez, pauvres orgueilleux, le bon Dieu vous attend, et vers lui, vous serez bien forcés de reconnaître que ce n'était que votre orgueil qui vous a portés à penser mal de votre prochain. D'ailleurs, M.F., pour juger une per-sonne sur ce qu'elle fait ou sur ce qu'elle dit, et ne pas se tromper, il faudrait connaître les dispositions de son cœur et l'intention qu'elle avait en faisant ou disant cela. Hélas ! M.F., nous ne prenons pas toutes ces précau-tions : ce qui nous porte à tant faire de mal en exami-nant la conduite de nos voisins. Nous faisons comme si l'on condamnait à mort une personne d'après le simple rapport de quelques étourdis, sans vouloir lui donner le temps de se justifier.
Mais, me direz-vous peut-être, nous ne jugeons que ce que nous voyons, et d'après ce que nous avons en-tendu ; et ce dont nous sommes les témoins : « Je l'ai vu faire l'action, donc je l'assure ; je l'ai entendu de mes oreilles, ce qu'il a dit ; d'après cela, je ne puis pas me tromper. » – Eh bien ! moi, je vous dirai de commencer à rentrer dans votre cœur qui n'est qu'un tas d'orgueil, qui en est tout rôti : vous vous reconnaîtrez infiniment plus coupable que celui que vous jugez si témérairement, et vous avez grandement lieu de craindre qu'un jour vous ne le voyiez entrer dans le ciel, tandis que vous serez, vous, traînés avec les démons dans les enfers ! « Ah ! malheureux orgueilleux, nous dit saint Augustin, vous osez juger votre frère sur les moindres apparences du mal, et savez-vous s'il ne s'est pas déjà repenti de sa faute, et s'il n'est pas au nombre des amis de Dieu ? Prenez garde seulement qu'il ne prenne pas la place que votre orgueil vous met en grand danger de perdre. » Oui, M.F., tous ces jugements téméraires et toutes ces interprétations ne viennent que d'une personne qui a un orgueil secret, qui ne se connaît pas, et qui ose vouloir connaître l'intérieur de son prochain : ce qui n'est connu que de Dieu seul. Hélas ! M.F., si nous pouvions venir à bout de déraciner ce premier péché capital de notre cœur, jamais notre prochain ne ferait mal selon nous ; jamais nous ne nous amuserions à examiner sa conduite ; nous nous contenterions de pleurer nos péchés et de travailler, tant que nous pourrions, à nous corriger, et rien autre. Non, M.F., je ne crois pas qu'il y ait un péché plus à craindre et plus difficile à corriger, et cela, même parmi les personnes qui semblent remplir assez bien leurs devoirs de religion. Oui, M.F., une personne qui n'est pas atteinte de ce maudit péché peut se sauver sans de grandes pénitences ; en voici un bel exemple :
Il est rapporté dans l'histoire des Pères du désert qu'un religieux avait mené une vie très commune, qui, aux yeux des autres religieux, était fort imparfaite. Étant arrivé à la mort, le supérieur le voyait si tran-quille et si content qu'il lui semblait que le ciel lui fût assuré. Étonné de cette paix, craignant que ce ne fût cet aveuglement par lequel le démon en a tant trompé, il lui dit : « Mon frère, vous me paraissez bien tran-quille et comme une personne qui ne craint rien ; cepen-dant, votre vie n'a rien qui puisse vous rassurer ; au contraire, le peu de bien que vous avez fait doit vous effrayer, pour un moment où les plus grands saints ont tremblé. » – « Cela est vrai, mon père, lui répondit ce religieux, tout ce que j'ai pu faire est très peu de chose, et presque rien ; mais ce qui me console dans ce moment, c'est que, toute ma vie, je me suis occupé à accomplir le grand précepte du Seigneur, qui est donné à tout le monde, de ne penser, de ne parler, de ne juger mal de personne : je pensais que tous mes frères faisaient mieux que moi, j'ai toujours cru que j'étais le plus cri-minel du monde ; j'ai toujours caché et excusé leurs défauts, autant que le bon Dieu le voulait, et, puisque Jésus-Christ a dit : « Ne jugez point, et vous ne serez point jugé, » je m'attends à être jugé favorablement. Voilà, mon père, sur quoi je fonde mon espérance. » Le supérieur, tout étonné de cela, s'écrie : « Ah ! belle vertu, que vous êtes d'un grand prix aux yeux de Dieu ! Allez, mon frère, vous avez tout fait, le ciel vous est assuré ! » O belle vertu, que vous êtes rare ! Hélas ! vous êtes aussi rare que ceux qui sont pour le ciel sont rares !
En effet, M.F., qu'est-ce que c'est qu'un chrétien qui aura toutes les autres vertus s'il n'a pas celle-là ? Hélas ! ce n'est qu'un hypocrite, un faux, un méchant, qui, pour être vertueux extérieurement, n'en est que plus mauvais et plus méchant. Voulez-vous, M.F., con-naître si vous êtes au bon Dieu ? Voyez la manière dont vous vous conduisez avec votre prochain, voyez com-ment vous examinez et jugez ses actions. Allez, pauvres orgueilleux, pauvres envieux et pauvres jaloux, l'enfer vous attend, et rien autre. Mais touchons cela d'un peu plus près.
Dira-t-on du bien d'une fille en racontant ses bonnes qualités ? Ah ! vous dira l'un, si elle a de bonnes qua-lités, elle en a bien aussi de mauvaises ; elle fréquente la compagnie d'un tel qui n'a pas trop bonne réputation ; je suis bien sûr qu'ils ne se voient pas pour faire le bien. En voilà une telle, qui va bien parée, et qui pare bien ses enfants ; mais elle ferait bien mieux de payer ce qu'elle doit. A voir une telle, elle paraît bonne et affable à tout le monde, si vous la connaissiez comme moi, vous en jugeriez bien autrement ; elle ne fait toutes ces grimaces que pour mieux cacher ses désordres ; un tel va la demander en mariage, mais, s'il me demandait conseil, je lui dirais ce qu'il ne sait pas ; pour mieux dire, c'est un mauvais sujet. – Qui est cette personne qui passe ? dira un autre. Hélas ! mon ami, quand vous ne la connaîtriez pas, il n'y aurait pas grand mal ; je ne vous en dis rien de plus. Fuyez seulement sa compagnie, c'est un véritable scandaleux ; tout le monde le regarde comme tel. Tenez, c'est encore comme cette femme qui fait la sage et la dévote, il n'y a pas de plus mauvaise personne que la terre puisse porter ; d'ailleurs, c'est l'ordinaire que ces personnes qui veulent se faire passer pour être vertueuses, ou, si vous voulez, pour être sages, sont des méchantes, et les plus rancuneuses. – Peut-être que cette personne vous a fait quelque outrage ? – Oh ! non ; mais vous savez bien qu'elles sont toutes de même. Je me suis trouvé un jour avec une de mes anciennes connaissances, c'est un bon ivrogne et un fameux inso-lent – Peut-être, lui dira l'autre, qu'il vous a dit quelque chose qui vous a fâché ? – Ah ! non, il ne m'a jamais rien dit qui ne fut de dire, mais tout le monde le regarde comme cela. – Si ce n'était pas vous qui me le disiez, je ne voudrais pas le croire. – Quand il est avec ceux qui ne le connaissent pas, il sait assez faire l'hypocrite, pour faire croire qu'il est un homme honnête. C'est comme, un jour, je me suis trouvé avec un tel que vous connaissez bien, c'est aussi un homme ver-tueux : s'il ne fait tort à personne, il ne faut pas lui en savoir gré c'est bien quand il ne peut pas mieux faire ; Je vous assure que je ne voudrais pas me trouver seul avec lui. – Peut-être, lui dira l'autre, qu'il vous a fait tort quelquefois ? – Non, jamais, parce que je n'ai rien eu à faire avec lui. – Et comment savez-vous donc qu'il est si mauvais sujet ? – Oh ! ce n'est pas malaisé de le savoir, tout le monde le dit. C'est encore celui qui était un jour avec nous : à l'entendre parler, l'on dirait qu'il est l'homme le plus charitable du monde, et qu'il ne peut rien refuser à celui qui lui demande quelque chose ; tandis que c'est un avare fini, qui ferait dix lieues pour gagner deux sols ; je vous assure que maintenant l'on ne connaît plus le monde, l'on ne peut plus avoir confiance en personne. C’est encore celui qui vous par-lait tout à l'heure : il fait bien ses affaires, il se tient bien, tous ceux de chez lui vont bien rangés. Ce n'est pas bien malaisé, il ne dort pas toute la nuit. – Peut-être que vous l'avez vu prendre quelque chose ? – Oh ! non, je ne lui ai jamais rien vu prendre ; mais l'on a dit qu'une belle nuit, il est rentré chez lui bien chargé ; d'ailleurs, il n'a pas trop bonne réputation. I1 conclut, en disant : Je vous assure que je ne suis pas sans défaut mais je serais bien fâché de si peu valoir que ces gens-là.
Voyez-vous ce fameux pharisien, qui jeûne deux fois la semaine, qui paie la dîme de tout ce qu'il possède, et qui remercie le bon Dieu de n'être pas comme le reste des hommes, qui sont injustes, voleurs et adultères ! Voyez-vous cet orgueil, cette haine et cette jalousie !
Mais, dites-moi, M.F., sur quoi sont fondés tous ces jugements et ces sentences ? Hélas ! c'est sur de faibles apparences, et, le plus souvent, sur un on dit. Mais, peut-être me direz-vous que vous avez vu et entendu. Hélas ! vous pouvez la même chose vous tromper en voyant et en entendant, vous allez le voir. 1° Pour ne pas se tromper, il faut connaître les dispositions du cœur de la personne et son intention en faisant cette action. Voici un exemple qui va vous montrer, comme on ne peut pas mieux, que nous pouvons facilement nous tromper, et que nous nous trompons presque tou-jours. Dites-moi, M.F., qu'auriez-vous dit si vous aviez vécu du temps de saint Nicolas, et que vous l'eussiez vu venir, au milieu de la nuit, tourner autour de la maison de trois jeunes demoiselles, examinant bien et prenant bien garde que personne ne le vît. Voilà un évêque, auriez-vous tout de suite pensé, qui désho-nore son caractère, c'est un fameux hypocrite ; dans l'église il semble être un saint, et le voilà, au milieu de la nuit, à la porte de trois demoiselles qui n'ont pas trop bonne réputation. Cependant, M.F., cet évêque qui très certainement serait condamné, était un grand saint et très chéri de Dieu ; parce que ce qu'il faisait était la meilleure œuvre du monde. Afin d'éviter à ces jeunes personnes la honte de demander, il venait la nuit, et leur jetait de l'argent par leur fenêtre, craignant que la pauvreté les fît s'abandonner au péché. Si vous aviez vu la belle Judith quitter un habit de deuil, et prendre tout ce que la nature et l'art pouvaient lui fournir pour relever sa beauté qui était si extraordinaire ; vous auriez dit, la voyant entrer dans la chambre du général d'ar-mée, qui n'était qu'un vieux impudique ; la voyant, dis-je, sembler faire tout ce qu'elle pouvait pour lui plaire, vous auriez dit : « Voilà une femme de mauvaise vie . » Cependant, c'était une pieuse veuve, bien chaste et très agréable à Dieu, qui exposait sa vie pour sauver celle de son peuple. Dites-moi, M.F., avec votre préci-pitation de juger mal du prochain, qu'auriez-vous donc pensé si vous aviez vu le chaste Joseph sortir de la chambre de la femme de Putiphar, et en entendant crier cette femme, tenant entre ses mains un morceau du manteau de Joseph, le poursuivant comme un infâme qui avait voulu lui ravir son honneur  ? De suite, sans examiner, vous auriez pensé et dit que ce jeune homme était un mauvais sujet et un libertin, d'avoir cherché à porter au mal la femme même de son maître, de qui il avait reçu tant de bienfaits. En effet, Putiphar, son maître, le condamne, et tout le monde le croit coupable, le blâme et le méprise ; mais le bon Dieu, qui connaît le fond du cœur et l'innocence de Joseph, le félicite de sa victoire, de ce qu'il avait préféré perdre sa réputation et sa vie même, plutôt que de perdre son innocence en commettant le moindre péché.
Conviendrez-vous avec moi, M.F., combien nous sommes en danger de juger mal les actions de notre prochain, malgré toutes les connaissances et les mar-ques certaines que nous croyons en avoir ? Ce qui doit nous porter à ne jamais juger des actions de notre pro-chain sans avoir bien réfléchi auparavant, et encore, seulement lorsque nous sommes chargés de la conduite de ces personnes, comme les pères et mères, les maîtres et maîtresses ; mais, pour toute autre personne, nous faisons presque toujours mal. Oui, M.F., j'ai vu des personnes, jugeant mal les intentions de leur pro-chain, dont je savais très bien que les intentions étaient bonnes. J'avais beau le leur bien faire comprendre, cela ne faisait rien. Ah ! maudit orgueil, que tu fais de mal et que tu conduis d'âmes en enfer ! Dites-moi, M.F., sommes-nous mieux fondés sur les jugements que nous portons sur les actions de notre prochain, que ceux qui auraient vu saint Nicolas qui roulait autour de cette maison, et qui tâchait de trouver la porte de la chambre de ces trois demoiselles ; sommes-nous plus sûrs que ceux qui auraient vu la belle Judith se parer si avanta-geusement et paraître si libre avec Holopherne ? Non, M.F., nous ne sommes pas plus sûrs des jugements que nous portons envers notre prochain que ne l'étaient ceux qui virent la femme de Putiphar avec un morceau du manteau de Joseph entre ses mains, et criant à tous ceux qui voulaient l'entendre qu'il avait voulu lui ravir son honneur. Voilà, M.F., trois exemples que le Saint--Esprit nous a laissés, pour nous apprendre combien les apparences sont trompeuses, et combien l'on s'expose à pécher en jugeant mal des actions du prochain ; surtout quand nous ne sommes pas obligés de rendre compte de leur conduite devant le tribunal de Dieu.
Nous voyons que ce pharisien jugeait bien téméraire-ment ce publicain d'être un voleur, parce qu'il recevait les impôts ; en disant, sans le savoir, qu'il demandait plus qu'il ne fallait et qu'il ne se servait de son autorité que pour faire des injustices. Cependant, ce prétendu voleur se retire des pieds de Dieu, justifié, et ce pha-risien, qui se croyait parfait, s'en va chez lui plus coupable ; ce qui nous montre que, le plus souvent, celui qui juge est plus coupable que celui qui est jugé.
 Mais ces mauvais cœurs, ces cœurs orgueilleux, jaloux et envieux, puisque ce sont ces trois vices qui engen-drent tous ces jugements que l'on porte sur ses voisins.  A-t-on volé quelqu'un ? A-t-on perdu quelque chose ? De suite, nous pensons que c'est peut-être bien un tel qui a fait cela, et nous le pensons sans même en avoir la moindre connaissance. Ah ! M.F., si vous connaissiez bien ce péché, vous verriez que c'est un des péchés les plus à craindre, qui est le moins connu et le plus difficile à corriger. Écoutez ces cœurs qui sont imbus de ce vice. Si quelqu'un exerce quelque emploi, quelque charge dans lesquels d'autres ont fait quelque injustice ; de suite, ils concluent que tous ceux qui pren-nent la place font de même, qu'ils ne valent pas mieux que les autres, qu'ils sont tous des voleurs et des adroits. Si, dans une famille, un enfant donne dans le travers, tous les autres ne valent rien. Si, dans une paroisse, quelques personnes ont eu fait quelque bassesse, toute la paroisse est composée de mauvais sujets. Si, parmi les prêtres, il y en a qui, peut-être, ne sont pas aussi saints qu'ils devraient l'être, tous les autres prêtres sont de même, ils ne valent tous rien : ce qui n'est ordinairement qu'un faux prétexte pour excuser sa propre indifférence pour son salut. Parce que Judas ne valut rien, voudriez--vous faire croire que les autres apôtres ne valaient rien ? De ce que Caïn était un mauvais sujet, pensez--vous que Abel, son frère, lui ressemblait ? Non, sans doute. Parce que les frères de Joseph furent si misé-rables et si méchants, croyez vous que Joseph fût de même ? Non, vraiment, puisqu'il est un saint. Si nous voyons une personne qui refuse l'aumône à quelqu'un, de suite nous disons que c'est un avare, qu'il a le cœur plus dur qu'un rocher, que, d'ailleurs, il n'a jamais rien valu ; tandis qu'il aura fait, en secret, de grandes cha-rités que nous ne verrons qu'au jugement.
Hélas ! M.F., disons que « chacun parle de l'abondance du cœur, » comme nous le dit très bien Jésus-Christ lui--même ; « nous connaissons un arbre à son fruit . » Voulez-vous connaître le cœur d'une personne ? écoutez--la parler. Un avare ne sait parler que des avares, de ceux qui trompent, qui sont injustes ; un orgueilleux ne cesse de vous casser la tête de ceux qui veulent se faire valoir, qui croient avoir beaucoup d'esprit, qui se louent de ce qu'ils font ou de ce qu'ils disent. Un impudique n'a pas autre chose à la bouche que : un tel mène mau-vaise vie ; il a affaire avec une telle, qui perd sa réputation ; et le reste, car ce serait trop long d'entrer dans ces détails.
Ah ! M.F., si nous avions le bonheur d'être exempts de l'orgueil et de l'envie, nous ne jugerions jamais per-sonne, nous nous contenterions de pleurer sur nos mi-sères spirituelles et de prier pour les pauvres pécheurs, et pas autre chose ; étant bien convaincus que le bon Dieu ne nous demandera compte que de nos actions et non de celles des autres. D'ailleurs, M.F., comment oser juger et condamner quelqu'un, quand même nous lui aurions vu commettre un péché ? Saint Augustin ne dit-il pas que celui qui était hier un pécheur peut être aujourd'hui un saint pénitent. Quand nous voyons bien du mal dans notre prochain, disons au moins : Hélas, si le bon Dieu ne m'avait pas accordé plus de grâces qu'à lui, j'aurais peut-être été encore plus loin. Oui, M.F., le jugement téméraire entraîne nécessairement avec lui la ruine et la perte de la charité chrétienne. En effet, M.F., dès que nous soupçonnons une personne de mal se conduire, nous n'avons plus d'elle cette bonne opinion que nous devrions avoir. D'ailleurs, M.F., ce n'est pas à nous que les autres doivent rendre compte de leur vie, mais à Dieu seul ; c'est vouloir nous établir juge de ce qui ne nous regarde pas ; les péchés des autres seront pour les autres, c'est-à-dire, pour eux, et les nôtres, pour nous. Le bon Dieu ne nous demandera pas compte de ce que les autres ont fait ; mais bien de ce que nous aurons fait nous-mêmes ; prenons seulement garde à nous et ne nous tourmentons pas tant des autres, en pensant et en disant ce qu'ils ont fait ou dit. Tout cela, M.F., n'est que peine perdue, qui ne peut venir que d'un fond d'orgueil semblable à celui de ce pha-risien, qui n'était occupé qu'à penser et à juger mal de son prochain, au lieu de bien s'occuper de lui-même et de gémir sur sa pauvre vie. Non, M.F., laissons la con-duite du prochain de côté, contentons-nous de dire, comme le saint roi David : « Mon Dieu, faites-moi la grâce de me connaître, tel que je suis ; afin que je voie ce qui peut vous déplaire, pour que je puisse me corriger, me repentir et obtenir le pardon. » Non, M.F., tant qu'une personne s'amusera à examiner la conduite des autres, ni elle ne se connaîtra, ni elle ne sera au bon Dieu, c'est-à-dire qu'elle vivra en orgueilleuse et en entêtée.
Notre-Seigneur nous dit : « Ne jugez point et vous ne serez point jugés. Mon Père vous traitera de la même manière que vous aurez traité les autres ; vous serez mesurés de la même mesure dont vous vous serez servis pour mesurer les autres . » D'ailleurs, M.F., qui est celui d'entre nous qui serait content qu'on jugeât mal de ce qu'il fait ou dit ? Personne. Notre-Seigneur ne dit-il pas : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas que l'on vous fit . » Hélas ! M.F., que de péchés nous commettons de cette manière ! Hélas ! qu'il y en a qui ne les connaissent pas, et qui, par conséquent, ne s'en sont jamais accusés ! Mon Dieu, que de personnes damnées, faute de se faire instruire ou de bien réfléchir sur leur manière de vivre !

II. – Nous venons de voir combien ce péché est commun et affreux aux yeux de Dieu, et, en même temps, combien il est difficile de s'en corriger. Pour ne pas vous laisser sans vous donner le moyen de vous en corriger, voyons quels sont les remèdes que nous devons employer pour nous en préserver et pour nous en cor-riger, si nous avons le malheur de nous en être rendus coupables. Saint Bernard, ce grand saint, nous dit que, si nous voulons ne pas juger mal de notre prochain, il faut éviter cette curiosité, ce désir de trop savoir, et ne point nous informer de ce que fait l'un et dit l'autre, ni de ce qui se passe dans l'intérieur des maisons. Laissons aller le monde comme le bon Dieu permet qu'il aille, ne pensons et ne jugeons mal que de nous. L'on disait un jour à saint Thomas, qu'il avait trop bonne opinion des gens, et que plusieurs profitaient de sa bonté pour le tromper. Il leur fit cette belle réponse, bien digne d'être gravée à jamais dans nos cœurs : « Peut-être que cela est vrai ; mais je pense qu'il n'y a que moi qui sois capable de faire le mal, comme étant le plus misérable du monde ; j'aime beaucoup mieux que l'on me trompe, que si je me trompais en jugeant mal de mon pro-chain . Écoutez ce que Jésus-Christ nous dit lui--même, par la bouche de saint Jean : « Qui aime son pro-chain accomplit tous les commandements de Dieu . » Pour ne pas juger mal d'une personne, M.F., il faut toujours séparer ce qu'elle fait de l'intention qu'elle a pu avoir en le faisant. Peut-être, devez-vous penser en vous-même, ne croyait-il pas faire mal en le faisant ; peut-être, qu'il s'était proposé quelque bonne fin, ou bien, il aura été trompé lui-même ; qui sait ? c'est peut--être par légèreté et non par malice ; quelquefois on agit sans réfléchir, quand il verra ce qu'il a fait, il s'en repen-tira ; le bon Dieu pardonne facilement une action de légèreté, il se peut bien faire qu'un jour il soit un bon chrétien et un saint...
Saint Ambroise nous donne un bel exemple, dans l'éloge qu'il fait de l'empereur Valentinien, en nous disant que cet empereur ne jugeait jamais mal de per-sonne et qu'il ne punissait que le plus tard qu'il pouvait les crimes dans lesquels tombaient ses sujets. S'ils étaient jeunes, il attribuait leurs fautes à la légèreté de leur âge et à leur peu d'expérience. S'ils étaient âgés, il répondait que la faiblesse de l'âge et leur caducité pouvait bien leur servir d'excuse ; que peut-être, ils avaient longtemps résisté et combattu avant de faire le mal, et que le repentir avait certainement suivi de près le péché. S'ils étaient élevés à quelque dignité, il se disait à lui-même : hélas ! personne ne doute que les honneurs et les dignités ne soient un grand poids pour nous entraîner au mal ; à chaque instant l'on y ren-contre l'occasion de le faire. S'ils étaient simples par-ticuliers : mon Dieu, se disait-il, cette pauvre personne n'a peut-être fait mal que par crainte ; c'est sans doute pour ne pas vouloir déplaire à quelque personne qui lui avait fait du bien. S'ils étaient tout à fait pauvres : qui peut douter que la pauvreté ne soit quelque chose de bien dur ? c'est qu'ils avaient besoin de cela pour ne pas mourir de faim eux ou leurs enfants ; peut-être qu'ils ne l'ont fait qu'avec beaucoup de peine, avec la pensée de réparer le tort qu'ils faisaient. Mais, lorsque la chose était trop évidente, qu'il ne pouvait plus l'excuser : mon Dieu, s'écriait-il, que le démon est fin ! il y a peut-être combien de temps qu'il le tente ; il a fait cette faute, il est vrai, mais, peut-être que son repentir lui a déjà mérité son pardon auprès du bon Dieu ; que sait-on ? si le bon Dieu m'avait mis à de semblables épreuves, n'aurais-je pas fait plus mal encore ? Comment aurais-je le courage de le juger et de le punir ? il a bien le temps d'être jugé et puni par Dieu, qui ne peut pas se tromper dans son jugement ; tandis que, le plus souvent, nous nous trompons, faute de lumières ; mais je pense que le bon Dieu aura pitié de lui, et qu'un jour, il priera pour moi, qui peux tomber à tout moment et me perdre.
Voyez-vous, M.F., la manière dont se conduisait cet empereur ; voyez-vous comment il trouvait partout de quoi excuser les défauts de son prochain et tournait tout en bien et jamais en mal ? Ah ! M.F., c'est que son cœur était exempt de ce détestable orgueil et de cette noire jalousie ou envie, dont nous avons le malheur d'être couverts. Voyez, M.F., voyez la conduite des gens du monde, voyez s'ils ont cette charité chrétienne qui tourne tout en bien et jamais en mal. Hélas ! M.F., si nous avions le bonheur de jeter un coup d'œil sur notre vie passée, nous nous contenterions de pleurer nos malheurs d'avoir passé nos jours à faire le mal, et nous laisserions bien ce qui ne nous regarde pas.
Nous voyons, M.F., qu'il y a peu de vices que les saints aient eu plus en horreur que celui de la médi-sance. Nous lisons dans la vie de saint Pacôme que quand quelqu'un parlait mal du prochain, il en faisait paraître une aversion étonnante en disant que, de la bouche d'un chrétien, il ne devait jamais sortir des paroles désavantageuses contre le prochain. S'il ne pou-vait pas les empêcher de médire, il s'enfuyait avec préci-pitation ; afin de leur montrer par là, combien cela lui faisait de la peine . Saint Jean l'Aumônier, lorsqu'il voyait quelqu'un qui médisait en sa compagnie, il défen-dait à celui qui ouvrait la porte de le laisser rentrer une autre fois, s'il le voyait revenir, afin de lui apprendre à se corriger. Un saint solitaire disait un jour à saint Pacôme : « Mon père, comment peut-on s'empêcher de parler mal du prochain ? » Saint Pacôme lui répondit : « Il faut toujours avoir devant les yeux le portrait de notre prochain et le nôtre : si nous regardons attenti-vement le nôtre et ses défauts, alors nous sommes sûrs de bien estimer celui de notre prochain et de n'en parler jamais en mal ; nous l'aimerons au moins comme nous-même, le voyant beaucoup plus parfait que nous. Saint Augustin, étant évêque, avait une telle horreur de la médisance et du médisant que, pour arrêter une cou-tume si mauvaise et si indigne d'un chrétien, il avait fait écrire dans l'appartement où il mangeait, ces paro-les : « Quiconque aime à déchirer la réputation de son prochain, doit savoir que cette table lui est inter-dite  ». Si quelqu'un, même des autres évêques, s'échappait en des paroles de médisance, il les reprenait si vivement, qu'il leur disait : « Ou effacez ces paroles qui sont écrites dans cet appartement, ou levez-vous et allez-vous-en dans vos maisons, avant que le dîner soit fini ; ou, si vous ne voulez quitter ces discours, moi--même je me lèverai et vous laisserai là. » Possidius, qui a écrit sa vie, nous dit qu'il a été témoin lui-même de ce fait.
 Il est rapporté dans la vie de saint Antoine qu'il faisait un voyage avec plusieurs solitaires qui, durant toute la route, causaient de différentes bonnes choses ; mais comme il est très difficile, pour ne pas dire impos-sible, de parler longtemps sans tomber sur la conduite du prochain. au bout de leur voyage, saint Antoine dit à ces solitaires : « Vous avez eu bien du bonheur d'avoir eu pour compagnon ce bon vieillard, » et il se tourna de même vers un vieillard qui n'avait pas dit un mot dans tout le voyage, lui disant : « Eh bien ! mon père, n'est-ce pas que vous avez fait un bon voyage d'avoir rencontré la compagnie de ces solitaires ? » – « Il est vrai qu'ils sont bons, lui répondit le vieillard, mais ils n'ont point de porte à leur maison ; » voulant dire qu'ils n'avaient pas de retenue dans leurs paroles, et que, souvent, ils avaient blessé la réputation du pro-chain .
Ah ! M.F., concluons qu'il y en a bien peu qui met-tent des portes à leur maison, c'est-à-dire, à leur bou-che, pour ne pas l'ouvrir au désavantage du prochain. Heureux celui qui laissera la conduite du prochain, n'en étant pas chargé, pour ne penser qu'à soi-même en gémissant sur ses fautes et en faisant tous ses efforts pour s'en corriger ! Heureux celui qui n'occupera son esprit et son cœur que pour ce qui regarde le bon Dieu, et sa langue que pour demander pardon au bon Dieu, et qui n'aura des yeux que pour pleurer ses péchés !...
 11ème dimanche après la Pentecôte
Sur la Médisance
 

Solutum est vinculum linguae ejus, et loquebatur recte.
Sa langue se délia, et il parla très bien
(S. Marc, VII, 35.)

Qu'il serait à désirer, M.F., que l'on pût dire de cha-cun de nous ce que l'Évangile dit de ce muet que Jésus guérit, qu'il parlait très bien. Hélas ! M.F., ne pourrai--on pas, au contraire, nous reprocher que nous parlons presque toujours mal, surtout lorsque nous parlons de notre prochain. Quelle est, en effet, la conduite de la plupart des chrétiens de nos jours ? La voici. Critiquer, censurer, noircir et condamner ce que fait et dit le pro-chain : voilà de tous les vices le plus commun, le plus universellement répandu, et, peut-être, le plus mauvais de tous. Vice que l'on ne pourra jamais assez détester, vice qui a les suites les plus funestes, qui porte partout le trouble et la désolation. Ah ! plut à Dieu, de me donner un de ces charbons dont l'ange se servit pour purifier les lèvres du prophète Isaïe , afin d'en purifier la langue de tous les hommes ! Oh ! que de maux l'on bannirait de dessus la terre, si l'on pouvait en chasser la médisance ! Puissé-je, M.F., vous en donner tant d'horreur, que vous ayez le bonheur de vous en corriger pour toujours !
Quel est mon dessein, M.F. ? le voici. – C'est de vous faire connaître : 1° ce que c'est que la médisance ; 2° quelles en sont les causes et les suites ; 3° la nécessité et la difficulté de la réparer.

I. – Je ne veux pas entreprendre de vous montrer la grandeur, la noirceur de ce crime qui fait tant de mal ; c'est-à-dire, qui est la cause de tant de disputes, de haines, de meurtres et d'inimitiés qui durent souvent autant que la vie des personnes, vu qu'il n'épargne pas plus les bons que les mauvais ; il me suffit de vous dire que ce crime est un de ceux qui traînent le plus d'âmes en enfer. Je crois qu'il vous est plus nécessaire de vous faire connaître en combien de manières nous pouvons nous en rendre coupables ; afin que, connaissant le mal que vous faites, vous puissiez vous en cor-riger, et éviter les tourments qui lui sont préparés dans l'autre vie. Si vous me demandez : Qu'est-ce qu'une médisance ? je vous dirai : c'est faire connaître un défaut ou une faute du prochain d'une manière capable de nuire, plus ou moins, à sa réputation, et cela se fait en plusieurs manières.
1° On médit lorsqu'on impute au prochain un mal qu'il n'a pas fait ou un défaut qu'il n'a pas, c'est ce qui s'appelle calomnie ; crime infiniment affreux, qui, cependant, est très commun. Ne vous y trompez pas, M.F., de la médisance à la calomnie, il n'y a qu'un petit pas. Si nous examinons bien les choses, nous voyons que presque toujours, on ajoute ou augmente au mal qu'on dit du prochain. Une chose qui passe par plu-sieurs bouches n'est plus la même, celui qui l'a dite le premier ne la reconnaît plus, tant on change ou ajoute  ; de là, je conclus qu'un médisant est presque toujours un calomniateur, et tout calomniateur est un infâme. Il y a un saint Père qui nous dit que l'on devrait chasser les médisants de la société des hommes comme des bêtes féroces.
2° L'on médit quand on augmente le mal que le pro-chain a fait. Vous avez vu quelqu'un qui a fait quelque faute ; que faites-vous ? au lieu de la couvrir du man-teau de la charité, ou, du moins, de la diminuer, vous la grossissez. Vous verrez un domestique qui se repo-sera un instant, un ouvrier, de même ; si quelqu'un vous en parle, vous direz, sans autre examen, qu'il est un fainéant, qu'il vole l'argent de son maître. Vous verrez passer une personne dans une vigne ou un ver-ger, elle prendra quelques raisins et quelques fruits, ce qu'elle ne devrait pas faire, il est vrai ; vous allez racon-ter à tous ceux que vous verrez qu'un tel est un voleur, qu'il faut prendre garde, quand même il n'a jamais rien volé ; ainsi du reste... C'est ce qu'on appelle médire par exagération. Écoutez saint François de Sales : « Ne dites pas, nous dit cet admirable saint, qu'un tel est un ivro-gne et un voleur, pour l'avoir vu voler ou s'enivrer une fois. Noé et Loth s'enivrèrent une fois  ; cependant, ni l'un ni l'autre n'étaient ivrognes. Saint Pierre ne fut pas un blasphémateur pour avoir blasphémé dans une occasion . Une personne n'est pas vicieuse pour être tombée une fois dans le vice, et quand même elle tom-berait plusieurs fois, l'on court toujours risque de médire dans une accusation. C'est ce qui arriva à Simon le lépreux, lorsqu'il vit Madeleine aux pieds du Sauveur, qu'elle arrosait de ses larmes : « Si cet homme, disait-il, était un prophète comme on le dit, est-ce qu'il ne connaîtrait pas que c'est une pécheresse qui est à ses pieds  ? » Il se trompait grossièrement : Madeleine n'était plus une pécheresse, mais une sainte pénitente, parce que ses péchés lui étaient tous pardonnés. Voyez encore cet orgueilleux pharisien, qui, se tenant au haut du temple, faisait l'étalage de toutes ses prétendues bonnes œuvres en remerciant Dieu de n'être pas de ces hommes qui sont adultères, injustes et voleurs, tel qu'est ce publicain. Il disait que ce publicain était un pécheur ; tandis qu'il avait été justifié à l'heure même . Ah ! mes enfants, nous dit cet aimable saint François de Sales, parce que la miséricorde de Dieu est si grande, qu'un seul instant suffit pour qu'il pardonne le plus grand crime du monde, comment pouvons-nous oser dire que celui qui était hier un grand pécheur le soit aujourd'hui ? » Je conclus en disant que, presque tou-jours, nous nous trompons lorsque nous jugeons mal du prochain, quelque apparence de vérité qu'ait la chose sur laquelle nous portons notre jugement.
3° Je dis que l'on médit quand on fait connaître, sans raison légitime, un défaut caché du prochain, ou une faute qui n'est pas connue. Il y a des personnes qui s'imaginent que quand elles savent quelque mal du pro-chain, elles peuvent le dire à d'autres et s'en entretenir. Vous vous trompez, mon ami. Qu'avons-nous, dans notre sainte religion, de plus recommandé que la charité ? La raison même nous inspire de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fit à nous-mêmes. Voyez cela un peu de près : serions-nous bien contents si quelqu'un nous avait vus faire une faute, et qu'il allât la publier à tout le monde ? non, sans doute ; au contraire : s'il avait la charité de la tenir cachée, nous lui serions bien reconnaissants. Voyez combien cela vous fâche si l'on dit quelque chose sur votre compte ou sur celui de votre famille : où est donc la justice et la charité ? tant que la faute de votre pro-chain est cachée, il conservera sa réputation ; mais dès que vous la faites connaître, vous lui enlevez sa réputation, et, en cela, vous lui faites un plus grand tort que si vous lui enleviez une partie de ses biens, puisque l'Esprit-Saint nous dit qu'une bonne réputation vaut mieux que les richesses .
4° On médit lorsqu'on interprète en mauvaise part les bonnes actions du prochain. Il y a des personnes qui sont semblables à l'araignée, qui change en poison la meilleure chose. Une pauvre personne, une fois sur la langue des médisants, est semblable à un grain de blé sous la meule du moulin : il est déchiré, écrasé et en-tièrement détruit. Ces personnes-là vous prêteront des intentions que vous n'avez jamais eues, elles empoison-neront toutes vos actions et vos démarches : si vous avez de la piété, que vous vouliez remplir fidèlement vos devoirs de religion, vous n'êtes plus qu'un hypo-crite, un dieu d'église et un démon de maison. Si vous faites des bonnes œuvres, elles penseront que c'est par orgueil, pour vous faire voir. Si vous fuyez le monde, vous serez un être singulier, une personne qui est faible d'esprit ; si vous avez soin de votre bien, vous n'êtes plus qu'un avare ; disons mieux, M.F. : la langue du médisant est comme un ver qui pique les bons fruits, c'est-à-dire, les meilleures actions du monde et tâche de les tourner en mauvaise part. La langue du médisant est une chenille qui salit les plus belles fleurs en y lais-sant la trace dégoûtante de son écume.
5° Je dis que l'on médit même en ne disant rien, et voici comment : on louera en votre présence une per-sonne que 1'on sait que vous connaissez ; vous n'en dites rien ou vous ne la louez que faiblement : votre silence et votre affectation font penser que vous savez sur son compte quelque chose de mauvais qui vous porte à ne rien dire. D'autres médisent par une manière de com-passion. Vous ne savez pas, disent-ils, vous connaissez bien une telle ; avez-vous entendu dire ce qui lui est arrivé ? que c'est donc dommage qu'elle se soit laissé tromper !... n'est-ce pas, vous êtes bien comme moi, vous ne l'auriez pas cru ?... Saint François nous dit qu'une pareille médisance est semblable à un trait enve-nimé, qu'on trempe dans l'huile, afin qu'il pénètre plus avant. Enfin, un geste, un sourire, un mais, un coup de tête, un petit air de mépris : tout cela fait beaucoup penser de la personne dont on parle.
Mais la médisance la plus noire et la plus funeste dans ses suites, c'est de rapporter à quelqu'un ce qu'un autre a dit de lui ou fait contre lui. Ces rapports pro-duisent les maux les plus affreux, qui font naître des sentiments de haine, de vengeance qui durent souvent jusqu'à la mort. Pour vous montrer combien ces sortes de gens sont coupables, écoutez ce que nous dit l'Esprit--Saint : « Il y a six choses que Dieu hait, mais il déteste la septième, cette septième ce sont les rapports . Voilà à peu près, M.F., en combien de manières l'on peut pécher par la médisance. Sondez votre cœur, et voyez si vous n'êtes, en rien, coupables sur cette matière.
 D'abord, je vous dirai que l'on ne doit pas facilement croire le mal que l'on dit des autres, et, quoiqu'une personne accusée ne se défende pas, l'on ne doit pas croire que ce que l'on dit est bien sûr ; en voici un exemple qui vous montrera que nous pouvons tous nous tromper, et que nous ne devons croire que très difficilement le mal que l'on nous dit des autres. Il est rapporté dans l'histoire, qu'un homme veuf n'ayant qu'une fille unique fort jeune, la recommanda à un de ses parents et alla se faire religieux dans un monastère de solitaires. Sa vertu le fit aimer de tous les religieux. De son côté, il était très content de sa vocation ; mais, quelque temps après, pensant à sa fille, la tendresse qu'il sentit pour cette enfant le remplit de douleur et de tristesse de l'avoir ainsi abandonnée. Le père abbé s'en aperçut, et lui dit un jour : « Qu'avez-vous, mon frère, qui vous afflige tant ? » – « Hélas ! mon père, lui répondit le solitaire, j'ai laissé dans la ville une enfant fort jeune : voilà le sujet de ma peine. » L'abbé ne sachant pas que ce fût une fille, croyant que c'était un fils, lui dit : « Allez le chercher, amenez-le ici, et vous l'élèverez auprès de vous. » De suite, il part, regardant cela comme une voix du ciel, il va trouver sa petite fille qui s'appelait Marine. II lui dit de prendre le nom de Marin, lui défendit de jamais faire connaître qu'elle était une fille, et il l'amena dans son monastère. Son père prit tant de soin de lui montrer la nécessité de la per-fection dans une personne qui quittait le monde pour se donner à Dieu, que, dans peu de temps, elle devint un modèle de vertu, même pour les anciens religieux, toute jeune qu'elle était. Son père, avant de mourir, lui recommanda bien de nouveau de ne jamais dire qui elle était. Marine n'avait encore que dix-sept ans lorsque son saint père la laissa ; tous les religieux ne l'appelaient que le frère Marin. Son humilité qui était si profonde et sa vertu si peu commune la firent aimer et respecter de tous les religieux. Mais, le démon, jaloux de la voir marcher avec tant de rapidité dans la vertu, ou plutôt, Dieu, voulant l'éprouver, permit qu'elle fût calomniée de la manière la plus noire. Il lui eût été facile de faire reconnaître son innocence ; mais elle ne le fit pas. Vous allez voir qu'une personne qui aime véritablement Dieu, regarde tout ce que Dieu permet qu'il nous arrive, même la médisance et la calomnie, comme ne nous étant donné que pour notre bien. Les frères avaient coutume d'aller au marché certains jours de la semaine pour aller chercher leurs provisions, le frère les y accom-pagnait. Le maître de l'hôtellerie avait une fille, qui s'était abandonnée au péché avec un soldat. S'étant aperçu que sa fille était enceinte, il voulut savoir d'elle qui l'avait débauchée ; cette fille, pleine de malice, inventa la plus noire médisance et la plus affreuse calomnie, et dit à son père que c'était le frère Marin qui l'avait séduite, et qu'elle était tombée dans le péché avec lui. Le père, plein de fureur, vient faire ses plaintes à l'abbé, qui fut bien étonné d'un tel fait de la part du frère Marin, qui passait pour un grand saint. Le père abbé fit venir le frère Marin en sa présence, lui demanda ce qu'il avait fait, quelle vie il avait menée, quelle honte pour un religieux ! Le pauvre frère Marin, élevant son cœur à Dieu, pensa à ce qu'il devait répondre, et plutôt que de diffamer cette impudique fille, il se contenta de dire
« Je suis un pécheur qui mérite de faire pénitence. » L'abbé n'examina pas davantage, la croyant coupable du crime dont on l'accusait, la fit châtier sévèrement et la chassa du monastère. Mais, cette pauvre enfant, semblable à Jésus-Christ, reçoit les coups et les affronts sans ouvrir la bouche pour se plaindre, ni pour faire reconnaître son innocence, elle, à qui cela était si facile. Elle resta trois ans à la porte du monastère, étant regardée de tous les religieux comme une infâme ; quand les religieux passaient, elle se prosternait devant eux pour leur demander le secours de leurs prières, un pauvre morceau de pain pour ne pas mourir de faim. La fille de l'hôtellerie étant accouchée, garda pendant quelque temps cet enfant, ; mais dès qu'il fut sevré, elle l'envoya au frère Marin comme s'il en avait été le père. Sans rien faire paraître de son innocence, elle le reçut comme son enfant, le nourrit pendant deux ans, partageant avec cet enfant les petites aumônes qu'on lui faisait. Les reli-gieux, touchés de voir tant d'humilité, allèrent prier l'abbé d'avoir pitié du frère Marin, en lui représentant que, depuis cinq ans, il faisait pénitence à la porte du monastère, qu'il fallait le recevoir et lui pardonner pour l'amour de Jésus-Christ. Le père abbé l'ayant fait venir, lui fit de sanglants reproches : « Votre père était un saint, lui dit l'abbé, il vous fit entrer ici dès votre enfance, et vous avez eu l'effronterie de déshonorer cette maison par le crime le plus détestable ; cependant, je vous permets d'entrer dans cette maison avec cet enfant, dont vous êtes l'indigne père, et je vous condamne, pour l'expiation de votre péché, aux ouvrages les plus vils et les plus bas, et à servir tous les frères. Ce pauvre frère Marin, sans dire un mot de plainte, se soumet à tout, toujours content et toujours bien résolu de ne rien dire pour faire connaître qu'il n'était point coupable. Ce nou-veau travail, qu'à peine un homme robuste aurait pu soutenir, ne le découragea point. Cependant, au bout de quelque temps, accablé par la fatigue du travail et les austérités de ses jeûnes, il succomba, et, peu de temps après il mourut. L'abbé ordonna, par charité, qu'on lui rendît les derniers devoirs comme à un autre religieux ; mais, que pour donner plus d'horreur de ce vice, on l'enterrât loin du monastère, afin qu'on en perdît le souvenir. Mais, Dieu voulut faire connaître son innocence qu'elle avait tenue cachée si longtemps. Ayant reconnu que c'était une fille : « O mon Dieu, s'écrièrent-ils en se frappant la poitrine, comment cette sainte fille a-t-elle pu souffrir avec tant de patience, tant d'opprobres et d'afflictions, sans se plaindre, lui étant si facile de se justifier ? » Ils courent au père abbé, pous-sant de grands cris et répandant des larmes en abon-dance : « Venez, mon père, disent-ils, venez voir le frère Marin. » L'abbé, étonné de ces cris et de ces lar-mes, court vers cette pauvre fille innocente. Il fut saisi d'une si vive douleur, qu'il se mit à genoux, frappant la terre de son front et versant des torrents de larmes. Ils s'écrièrent tous ensemble, lui, et ses religieux éplorés : « O sainte et innocente fille, je vous conjure, par la miséricorde de Jésus-Christ, de me pardonner toutes les peines et les injustes reproches que je vous ai faits ! – Hélas ! s'écriait l'abbé, j'ai été dans l'ignorance, et vous avez eu assez de patience pour tout souffrir, et moi, trop peu de lumières pour reconnaître la sainteté de votre vie. » Ayant fait déposer le corps de cette sainte fille dans la chapelle du monastère, ils portèrent cette nouvelle au père de la fille qui avait accusé le frère Marin. Cette pauvre malheureuse, qui avait faussement accusé sainte Marine, était, depuis son péché, possédée du démon, et vint toute désespérée avouer son crime aux pieds de la sainte, lui en demandant pardon. Elle fut sur-le-champ délivrée par son intercession.
Voyez, M.F., combien la calomnie et la médisance font souffrir de pauvres innocents ! combien y a-t-il, même dans le monde, de pauvres personnes que l'on accuse faussement, et qu'au jugement nous reconnaîtrons innocentes. Cependant, ceux qui sont accusés de cette manière doivent reconnaître que c'est Dieu qui le permet, et que le meilleur moyen pour eux est de laisser entre les mains de Dieu leur innocence et ne point se tourmenter de ce que leur réputation peut en souffrir ; presque tous les saints ont fait cela. Voyez en-core saint François de Sales, qui fut accusé devant un rand nombre, d'avoir fait tuer un homme pour vivre avec sa femme. Le saint laissa tout entre les mains de Dieu, ne se finit point en peine de sa réputation. A ceux qui lui conseillaient de la défendre, il répondait qu'il laissait à celui qui avait permis que sa réputation fût flétrie, le soin de la rétablir dès qu'il le trouverait bon. Comme la calomnie est quelque chose de très sensible, Dieu permet que presque tous les saints aient été calom-niés. Je crois que le meilleur parti que nous ayons à prendre dans ces choses-là, c'est de ne rien dire, de bien demander au bon Dieu de souffrir tout cela pour l'amour de lui et de prier pour eux. D'ailleurs, Dieu ne permet cela que pour ceux sur lesquels il a de grandes vues de miséricorde. Si une personne est calomniée, c'est que Dieu a résolu de la faire parvenir à une haute perfection. Nous devons plaindre ceux qui noircissent notre répu-tation et nous réjouir par rapport à nous ; parce que ce sont des biens que nous ramassons pour le ciel. Reve-nons à notre matière, parce que notre principal but est de faire connaître le mal que le médisant se fait à lui--même.
Je vous dirai que la médisance est un péché mortel, lorsque c'est quelque chose de grave, puisque saint Paul met ce péché au nombre de ceux qui excluent du royaume des cieux . Le Saint-Esprit nous dit que le médisant est maudit de Dieu, qu'il est en abomination à Dieu et aux hommes . Il est vrai que la médisance est plus ou moins grande, selon la qualité, la proximité et la dignité des personnes de qui on parle. C'est, par conséquent, un plus grand péché de faire connaître les défauts et les vices de ses supérieurs, comme de son père et de sa mère, de sa femme, de son mari, de ses frères et sœurs et de ses parents, que ceux des étran-gers, parce que l'on doit avoir plus de charité pour eux que pour les autres. Parler mal des personnes consa-crées et des ministres de l'Église, c'est encore un plus grand péché, à cause des suites qui sont si funestes pour la religion et à cause de l'outrage que l'on fait à leur caractère. Écoutez, voici ce que le Saint-Esprit nous dit par la bouche de son prophète : « Médire de ses ministres, c'est toucher à la prunelle de son œil  ; » c'est-à-dire, que rien ne peut l'outrager d'une manière si sensible, et par conséquent, crime toujours si grand que jamais vous ne pourrez le comprendre... Jésus-Christ nous dit aussi : « Celui qui vous méprise, me méprise . » Aussi, M.F., quand vous êtes avec des personnes d'une autre paroisse, qui sont toujours après parler mal de leur pasteur, il ne faut jamais y prendre part ; vous retirer, si vous le pouvez, ou bien, si vous ne le pouvez pas, ne rien dire.
D'après cela, M.F., vous conviendrez avec moi que pour faire une bonne confession il ne suffit pas de dire que l'on a médit du prochain ; il faut encore dire si c'est par légèreté, par haine, par vengeance, si nous avons cherché à nuire à sa réputation ; dire de quelles per-sonnes nous avons parlé : si c'est d'un supérieur, d'un égal, d'un père et d'une mère, de nos parents, des personnes consacrées à Dieu ; devant combien de per-sonnes : tout cela est nécessaire pour faire une bonne confession. Beaucoup de personnes se trompent sur ce dernier acte ; l'on s'accusera bien d'avoir médit du pro-chain, mais on ne dit ni de qui, ni quelle était l'in-tention en disant du mal de ces personnes, ce qui est cause de bien des confessions sacrilèges. D'autres, si on leur demande si ces médisances ont porté perte au prochain, vous répondront que non. – Mon ami, vous vous trompez ; toutes les fois que vous avez dit une chose qui n'était pas connue de la personne à qui vous parlez, cela porte perte au prochain, parce que vous avez toujours diminué dans l'esprit de cette personne la bonne estime qu'elle pouvait avoir de lui. De là, nous pouvons facilement conclure que presque jamais l'on ne médit sans nuire ou affaiblir, en quelque manière, la réputation du prochain. – Mais, me direz-vous, quand c'est public, il n'y a point de mal. – Mon ami, quand c'est public, c'est comme si une personne avait tout le corps couvert de lèpre, sinon un petit endroit, et que vous disiez, parce que ce corps est presque tout couvert de lèpre, il faut achever de l'en couvrir. C'est la même chose. Si la chose est publique, vous devez au contraire avoir de la compassion de ce pauvre malheureux, cacher, et diminuer sa faute autant que vous pouvez. Voyez s'il est juste, envoyant une personne malade sur le bord d'un précipice, de profiter de sa faiblesse et de ce qu'elle est prête à tomber, pour l'y pousser ? Eh bien ! voilà ce que l'on fait quand on renouvelle ce qui est déjà public. – Mais, me direz-vous, lorsqu'on le dit à un ami, avec promesse de ne le dire à personne ? – Vous vous trom-pez encore ; comment voulez-vous que les autres ne le disent pas, puisque vous ne pouvez pas vous empêcher de le dire ? C'est comme si vous disiez à quelqu'un : « Tenez, mon ami, je vais vous dire quelque chose, je vous prie d'être plus sage et plus discret que moi ; ayez plus de charité que moi ; ne faites pas, ne dites pas ce que je vous dis. » Je crois que le meilleur moyen, c'est de ne rien dire ; quoi que l'on fasse, que l'on dise, ne vous mêlez de rien, sinon de travailler à gagner le ciel. Jamais l'on n'est fâché de ne rien avoir dit, et presque toujours l'on se repent d'avoir trop parlé. L'Esprit--Saint nous dit que « tel qui parle tant, ne parle pas tou-jours bien . »

II. – Voyons maintenant quelles sont les causes et les suites de la médisance. Il y a plusieurs motifs qui nous portent à médire du prochain. Les uns médisent par envie, c'est ce qui arrive, surtout parmi les gens du même état, pour s'attirer les pratiques ; ils diront du mal des autres : que leurs marchandises ne valent rien ; ou qu'ils trompent, qu'il n'y a rien chez eux et qu'il leur serait impossible de donner la marchandise à ce prix ; que plusieurs personnes s'en sont plaintes... qu'ils verront bien qu'elle ne leur fera pas bon usage... ou bien : que le poids n'y est pas ni la mesure. Un jour-nalier dira qu'un autre n'est pas bon ouvrier ; que voilà combien de maisons où il va, et qu'on n'en est pas trop content ; il ne travaille pas, il s'amuse ; ou bien : il ne sait pas travailler. « Ce que je vous dis, il n'en faut rien dire, ajoutent-ils, parce que cela lui porterait perte. » « Il faut », lui dites-vous ; il valait bien mieux vous -même ne rien dire, cela aurait été bien plus tôt, fait.
Un habitant verra que le bien de son voisin prospère mieux que le sien : cela le fâche, il en dira du mal. D'autres parlent mal de leurs voisins par vengeance si vous avez dit ou fait quelque chose à quelqu'un, même par devoir ou charité, ils chercheront à vous décrier, à inventer mille choses contre vous, afin de se venger. Si l'on dit du bien, cela les fâche, ils vous diront : « Il est bien comme les autres, il a bien ses défauts ; il a fait cela, il a dit cela ; vous ne le connaissez pas ? c'est que vous n'avez jamais eu à faire avec lui. » Plusieurs médisent par orgueil, ils croient se relever en rabaissant les autres, en disant du mal des autres ; ils feront valoir leurs prétendues bonnes qualités ; tout ce qu'ils diront et feront sera bien, et tout ce que les autres feront ou diront sera mal. Mais, la plupart médi-sent par légèreté, par une certaine démangeaison de parler, sans examiner si c'est vrai ou non ; il faut qu'ils parlent. Quoique ceux-là soient moins coupables que les autres, c'est-à-dire que ceux qui médisent par haine, par envie ou vengeance, ils ne sont pas sans péché ; quelque motif qui les fasse agir, ils ne flétrissent pas moins la réputation du prochain.
Je crois que le péché de médisance renferme presque tout ce qu'il y a de plus mauvais. Oui, M.F., ce péché renferme le poison de tous les vices, la petitesse de la vanité, le venin de la jalousie, l'aigreur de la colère, le fiel de la haine et la légèreté si indigne d'un chrétien ; c'est ce qui fait dire à saint Jacques, apôtre, « que la langue du médisant est pleine d'un venin mortel, qu'elle est un monde d'iniquité . » Si nous voulons nous donner la peine d'examiner, rien de si clair à concevoir. N'est-ce pas, en effet, la médisance qui sème presque partout la discorde, la division, qui brouille les amis, qui empêche les ennemis de se réconcilier, qui trouble la paix des ménages, qui aigrit le frère contre le frère, le mari contre la femme, la belle-fille contre sa belle--mère, le gendre contre son beau-père. Combien de ménages bien d'accord, qu'une seule mauvaise langue a mis sens dessus dessous, qui ne peuvent ni se voir, ni se parler. Qui en est la cause ? La seule mauvaise langue du voisin ou de la voisine...
Oui, M.F., la langue d'un médisant empoisonne toutes les bonnes actions et met à jour toutes les mau-vaises. C'est elle qui, tant de fois, répand sur toute une famille des taches, qui passent des pères aux en-fants, d'une génération à une autre, et qui, peut-être, ne s'effaceront jamais ? La langue médisante va même fouiller jusque dans le tombeau des morts, elle remue les cendres de ces pauvres malheureux, en faisant revi-vre, c'est-à-dire en renouvelant leurs défauts qui étaient ensevelis avec eux dans le tombeau. Quelle noirceur ! M.F., de quelle indignation ne seriez-vous pas pénétrés, si vous voyiez un malheureux acharné contre un ca-davre, le déchirer en mille pièces ? Cela vous ferait gé-mir de compassion. Eh bien ! le crime est encore bien plus grand d'aller renouveler les fautes d'un pauvre mort. Combien de personnes, qui ont cette habitude en parlant de quelqu'un qui sera mort : « Ah ! il en a bien fait en son temps, c'était un ivrogne accompli, un adroit fini, enfin, c'était un mauvais vivant. » Hélas ! mon ami, peut-être que vous vous trompez, et quand cela serait tel que vous le dites, peut-être qu'il est mainte-nant dans le ciel, le bon Dieu l'a pardonné. Mais où est votre charité ? Ne faites-vous pas attention que vous flétrissez la réputation de ses enfants, s'il en a, ou de ses parents ? seriez-vous content que l'on parlât de la sorte de vos parents ?
 Avec la charité, nous n'aurions rien à dire de per-sonne, c'est-à-dire nous ne nous mettrions en peine d'examiner que notre conduite et non celle des autres. Mais, si vous mettez la charité de côté, vous ne trouverez pas un homme sur la terre en qui vous n'aperceviez quelque défaut ; de sorte que la langue du médisant trouve toujours de quoi dire. Non, M.F., nous ne con-naîtrons qu'au grand jour des vengeances, le mal que la langue d'un médisant a fait. Voyez, la seule calomnie qu'Aman fit contre les Juifs, parce que Mardochée n'a-vait pas voulu plier le genou devant lui, avait déterminé le roi à faire mourir tous les Juifs . Si la calomnie n'avait pas été découverte, la nation juive allait être définie : c'était le dessein du général. O mon Dieu ! que de sang répandu pour une seule calomnie ! Mais Dieu, qui n'abandonne jamais l'innocent, permit que ce mal-heureux périt par le même supplice dont il voulait faire périr les Juifs .
Mais, sans aller si loin, combien de mal ne fait pas une personne qui dira à son enfant du mal de son père ou de sa mère ou de ses maîtres. Vous lui en avez donné mauvaise opinion, il les regardera avec mépris ; s'il ne craignait pas d'être puni, il les outragerait. Les pères et mères, maîtres ou maîtresses les maudiront, leur jureront après, les traiteront durement ; qui sera la cause de tout cela ? votre mauvaise langue. Vous avez parlé mal des ministres de l'Église, et peut-être même de votre pasteur ; vous avez affaibli la foi en ceux qui vous écou-taient, ils ont abandonné les sacrements, ils vivent sans religion ; et qui en est la cause ? votre mauvaise langue. Vous êtes cause que ce marchand et cet ouvrier n'ont plus les mêmes pratiques, parce que vous les avez décriés. Cette femme, qui faisait bien bon ménage avec son mari, vous l'avez calomniée auprès de lui ; main-tenant, il ne peut plus la souffrir, de sorte que, depuis vos rapports, ce n'est plus que haine et malédiction.

III. – Si les suites de la médisance, M.F., sont si terribles, la difficulté de la réparer n'en est pas moins grande. Lorsque la médisance est considérable, M.F., il ne suffit pas de s'en confesser ; je ne veux pas dire qu'il ne faut pas s'en confesser ; non, M.F., si vous ne confessez pas vos médisances, vous serez damnés, malgré toutes les pénitences que vous pourrez faire ; mais je veux dire qu'en les confessant, il faut absolu-ment, si l'on peut, réparer la perte que la calomnie a causée à votre prochain, et comme le voleur qui ne rend pas le bien qu'il a volé ne verra jamais le ciel, de même, celui qui aura ôté la réputation à son prochain ne verra jamais le ciel, s'il ne fait pas tout ce qui dépendra de lui pour réparer la réputation de son voisin.
Mais, me direz-vous, comment faut-il donc faire pour réparer la réputation de son prochain ? – Le voici. Si ce que l'on a dit contre lui est faux, il faut absolument aller trouver toutes les personnes à qui on a parlé mal de cette personne, en disant que tout ce que l'on a dit était faux, que c'était par haine, par vengeance ou par légè-reté ; quand même nous devrions nous faire passer pour un menteur, un fourbe, un imposteur, nous devons le faire. Si ce que nous avons dit est vrai, nous ne pouvons pas nous dédire, parce qu'il n'est jamais permis de mentir ; mais l'on doit dire tout le bien que l'on connaît de cette personne, afin d'effacer le mal que l'on en a dit. Si cette médisance, cette calomnie lui ont causé quelque tort, l'on est obligé de le réparer autant qu'on le peut. Jugez d'après cela, M.F., combien il est difficile de réparer les suites de la médisance. Voyez, M.F., combien il est sensible d'aller publier que l'on est un men-teur ; cependant, si ce que nous avons dit est faux, il faut le faire, ou jamais de ciel ! Hélas ! M.F., que ce défaut de réparation va damner du monde ! Le monde est rempli de médisants et de calomniateurs, et il n'y en a presque point qui réparent, et, par conséquent, presque point qui seront sauvés. II n'y a pas de milieu, M.F., ou la réparation, si nous le pouvons, ou la dam-nation. C'est comme le bien que nous aurions pris ; nous serons damnés, si nous pouvons le rendre et que nous ne le rendions pas. Eh bien ! M.F., sentez-vous à présent le mal que vous faites par votre langue et la difficulté qu'il y a de le réparer ?
Il faut cependant comprendre que tout n'est pas médi-sance, lorsqu'on fait connaître les défauts d'un enfant à ses parents, d'un domestique à son maître, pourvu que ce soit dans la pensée qu'ils s'en corrigeront, qu'on n'en parle qu'à ceux qui peuvent y remédier et toujours guidé par les liens de la charité.
Je finis en disant que, non seulement, il est mal fait de médire et de calomnier, mais encore d'écouter la médisance et la calomnie avec plaisir ; car si personne n'écoutait, il n'y aurait pas de médisants. Par là, on se rend complice de tout le mal que fait le médisant. Saint Bernard nous dit qu'il est très difficile de savoir qui est le plus coupable de celui qui médit ou de celui qui écoute ; l'un a le démon sur la langue et l'autre dans les oreilles. – Mais, me direz-vous, que faut-il faire lors-qu'on se trouve dans une compagnie qui médit ? – Le voici. Si c'est un inférieur, c'est-à-dire, une personne qui soit au-dessous de vous, vous devez lui imposer silence de suite, en lui faisant voir le mal qu'elle fait. Si c'est une personne de votre rang, vous devez adroitement détourner la conversation en parlant d'autre chose, ou ne faisant pas semblant d'entendre ce qu'elle dit. Si c'est un supérieur, c'est-à-dire une personne qui est au-dessus de vous, il ne faut pas la reprendre ; mais faire paraître un air sérieux et triste, qui lui montre qu'il vous fait de la peine, et, si vous pouvez vous en aller, il faut le faire.
Que devons-nous conclure de tout cela, M.F. ? Le voici. C'est de ne pas prendre l'habitude de parler de la conduite des autres, de penser qu'il y aurait bien à dire sur notre compte si l'on nous connaissait tel que nous sommes, et de fuir les compagnies du monde autant que nous pouvons, de dire souvent comme saint Augus-tin : « Mon Dieu, faites-moi la grâce de me connaître tel que je suis. » Heureux ! mille fois heureux, celui qui ne se servira de sa langue que pour demander à Dieu le pardon de ses péchés et chanter ses louanges ! C'est ce que je .....
 
 

11ème dimanche après la Pentecôte
Sur les péchés cachés en confession

Adducunt et surdum et mutum.
Voici que l'on présenta à Jésus-Christ un homme qui était sourd et muet.
(S. Marc, VII, 32.)

Ce sourd et muet, M.F., que l'on présenta à Jésus-Christ pour être guéri, est la triste peinture d'un grand nombre de chrétiens, lorsqu'ils se présentent au tribu-nal de la pénitence. Les uns sont sourds à la voix de leur conscience, qui les presse de déclarer leurs péchés ; les autres sont muets, quand il faut les accuser ils se taisent, et par là, profanent les sacrements. O mon Dieu ! quel malheur ! Oui, M.F., cacher un péché mortel par honte ou par crainte, ou l'accuser de manière à ne pas le faire connaître tel que la conscience le reproche, c'est mentir à Jésus-Christ lui-même, c'est changer en poison mortel le remède sacré que la misé-ricorde de Dieu nous offre pour guérir les plaies que le péché a faites à notre pauvre âme. Ah ! que dis-je ? c'est nous rendre coupables du plus grand de tous les crimes, qui est le sacrilège. Ah ! plût à Dieu que ce crime fût aussi rare parmi les chrétiens que les mons-tres ! Ah ! plaise à Dieu que tout ce que je vais dire n'attaque personne de ceux qui sont ici ! Mais, hélas ! M.F., disons-le en pleurant amèrement, il est plus commun qu'on ne le pense ! O mon Dieu ! que le grand jour du jugement va faire trouver de confessions sacri-lèges ! O mon Dieu ! que de péchés qui n'ont jamais été connus, et qui vont paraître en ce moment ! O mon Dieu, un chrétien peut-il bien se rendre coupable d'un tel outrage envers son Dieu et son Sauveur !... Pour vous en donner autant d'horreur qu'il me sera possible, M.F., je vais dépeindre à vos yeux combien, en le commettant, un chrétien est barbare et cruel envers Jésus-Christ son Rédempteur, et combien il faut que la miséricorde de Dieu soit grande pour souffrir sur la terre un tel monstre, après un attentat aussi affreux.

I. – Oui, M.F., vous parler de la confession, c'est vous parler de tout ce qu'il y a de plus précieux dans notre sainte religion, si nous en exceptons la mort de Jésus-Christ et le sacrement de Baptême. Allez, M.F., allez interroger tous les damnés qui brûlent dans les enfers ; tous vous répondront qu'ils ne sont réprouvés que parce qu'ils n'ont pas eu recours à ce sacrement, ou parce qu'ils l'ont profané. Montez dans le ciel, demandez à tous les bienheureux assis sur ces trônes de gloire, ce qui les a conduits dans ce lieu si heureux ; presque tous vous diront que la confession a été le seul remède dont ils se sont servis pour sortir du péché et se réconcilier avec le bon Dieu. O belle religion, si l'on te méprise, c'est bien parce que l'on ne te connaît pas ! O consolante religion, que vous nous fournissez des moyens efficaces et faciles, pour revenir à Dieu quand nous avons eu le malheur de nous en éloigner par le péché ! – Mais, me direz-vous, qu'est-ce donc qui peut rendre nos confessions mauvaises ? – Mon ami, bien des choses sont cause de ce malheur. C'est 1° lorsque nous ne donnons pas assez de temps à nous examiner ; 2° lorsque nous ne déclarons pas nos péchés tels que nous les connaissons ; 3° lorsque nous n'avons pas assez de contrition pour recevoir l'absolution ; 4° lorsque en recevant l'absolution, nous ne sommes pas dans la réso-lution d'accomplir la pénitence que le prêtre nous donne ; et 5° quand nous ne voulons pas faire les resti-tutions que nous pouvons et devons faire, que le prêtre nous commande. Je vous assure, M.F., que la seule pensée d'entrer dans ce détail, me fait trembler ; je suis comme sûr que si la foi n'est pas éteinte en vous, et que si vous désirez véritablement votre salut, il y en aura bien peu parmi vous qui ne soient inquiets sur leurs confessions passées.
Allons, M.F., demandons à ces pauvres consciences, qui, depuis tant d'années, sont déchirées par les remords ; prenons d'une main ce flambeau des grands jours de vengeance, et de l'autre cette balance qui pèsera toutes les actions des hommes, et nous verrons ce que nous n'avons jamais vu, ou, du moins, ce que nous n'avons jamais voulu voir ; et nous entendrons les cris de cette conscience que vous avez tâché d'étouffer jusqu'à présent. Lâchez, M.F., la bride à tous vos remords, trop heureux, si vous n'avez pas encore perdu le don précieux de la foi, si le désespoir ne vous gagne pas en considérant l'abîme où vous vous êtes précipités. Entendez-vous cette pauvre âme, qui vous crie d'avoir pitié d'elle, car si la mort vous frappait dans cet état, elle serait damnée : « Ah ! de grâce, ayez pitié de moi, arrachez-moi de cet abîme où vous m'avez jetée ! Faut-il que je sois séparée pour jamais de mon Dieu, qui devait faire tout mon bonheur ? O mon Dieu ! ne vous voir jamais, quel malheur épouvantable ! » Mais non, M.F., venons-en à la preuve, et nous connaîtrons encore mieux si nous sommes du nombre de ces malheureux dont nous allons vous parler aujourd'hui.
Je dis donc 1°, M.F., que si nous ne prenons pas assez de temps pour nous examiner, nos confessions ne valent rien, pour ne pas dire qu'elles sont sacrilèges. Il est vrai qu'il n'est guère possible de déterminer le temps que nous devons employer pour notre examen. Celui qui est resté longtemps sans se confesser doit rester plus longtemps que celui qui se confesse souvent. D'après cela, nous devons y donner du temps selon l'état dans lequel nous sommes engagés, et selon le temps que nous ne nous sommes pas confessés. Don-nons-y le temps et les soins que nous donnerions à une affaire dont nous aurions bien à cœur la réussite.
L'examen est donc la première chose que nous devons faire pour espérer une bonne confession. On doit le commencer par la prière, en implorant de tout son cœur les lumières du Saint-Esprit et la protection de la sainte Vierge. Il faut faire quelque bonne action, comme d'entendre la sainte Messe ; et, si nous pou-vons, faire pour cela quelques petites privations dans nos repas, dans notre sommeil ; offrir nos peines de la journée au bon Dieu pour commencer à fléchir sa jus-tice. Ensuite il faut se retirer dans un coin, si l'on peut, ou du moins, à son réveil, ou pendant que l'on est en chemin, à mesure que le bon Dieu vous fait connaître vos péchés, lui en témoigner votre douleur. Il ne faut pas vous contenter de voir vos péchés une fois, mais plusieurs, et au point que vous les graviez dans votre mémoire, de manière à ne pas les perdre de vue, pour le moment où vous aurez le bonheur de vous en con-fesser ; car vous savez aussi bien que moi que si vous laissez quelques péchés mortels, faute de vous être examinés, quand même vous les auriez dits, si vous les aviez connus, cela n'empêcherait pas que votre confes-sion ne soit un sacrilège.
Si, avant de communier, vous vous rappelez de quel-ques péchés mortels, il faut bien prendre garde : si vous les avez laissés par votre faute, ou parce que vous n'avez pas assez donné de temps à votre examen, il faut, si vous le pouvez, vous réconcilier, et, si vous ne le pouvez,  il faut encore examiner devant le bon Dieu si, en vous confessant de ce péché, le prêtre vous a donné la permission de communier  Si vous êtes dans le doute, il vaut mieux laisser votre communion pour une autre fois. Hélas ! M.F., si nous prenions autant de précautions pour le salut de notre âme que nous en pre-nons pour bien faire nos affaires temporelles, toutes nos confessions seraient très bonnes et nous assureraient notre pardon ! Hélas ! que de confessions faites presque sans examen, sans préparation ! D'après cela, peut-on bien vivre tranquille dans un état si malheureux ?
Nous avons dit, en second lieu, qu'après avoir bien examiné notre conscience, il faut accuser nos péchés autant bien que nous le pouvons, si nous voulons en obtenir le pardon. Si je parlais à des impies ou à des incrédules, je commencerais à leur prouver toute la cer-titude de cette nécessité d'accuser ses péchés, mais, non, M.F., à vous cela serait inutile. Personne ne doute d'une grâce si précieuse, qui fait tout le bonheur d'un chrétien ici-bas ; car, après le péché, c'est sa seule et unique espérance pour obtenir le ciel. Je dis donc, M.F., que cette seconde condition est absolument né-cessaire pour que notre confession soit bonne. C'est l'accusation qui coûte le plus aux pécheurs orgueilleux ; c'est elle aussi qui fait le plus de confessions sacrilèges. Vous allez voir combien ces mauvais chrétiens prennent de détours pour paraître moins coupables : nous sommes plus occupés de la manière dont nous accuserons nos péchés pour éprouver moins de confusion, que de la manière de les dire tels que le bon Dieu les connaît. Combien de fois avons-nous senti notre conscience qui nous faisait connaître que nous ne les disions pas comme il faut, et nous nous tranquillisions en pensant que c'était bien la même chose. Combien de fois avons -nous été fâchés de si bien connaître nos péchés, et même d'en tant connaître, parce que nous nous trou-vions trop coupables ; au lieu de remercier le bon Dieu de tout notre cœur, de cette grande grâce. Combien de fois n'avons-nous pas choisi le moment où le prêtre a moins de temps, pour qu'il n'ait pas celui de nous faire aucune interrogation ? Combien de fois n'avons-nous pas dit nos péchés avec précipitation, sans laisser au prêtre le temps de nous faire dire les circonstances notables, qu'il est absolument nécessaire de découvrir pour faire une bonne confession.
Je ne parlerai pas, M.F., de ceux qui prient le bon Dieu de trouver des confesseurs qui ne les forcent pas à quitter leurs mauvaises habitudes. II ne veulent pas cependant y mourir ; mais ils ne sont pas résolus de les quitter pour le moment. Hélas ! ce sont de pauvres aveugles, qui courent en enfer à pas de géant et peut--être sans y penser. Mais combien en est-il qui, par ignorance ou par crainte, ne veulent pas seulement prendre la peine de s'examiner ni de distinguer les circonstances qui rendent le péché plus grave, ou qui le changent d'espèce. Je n'entrerai pas dans un grand détail, parce que, l'année passée, je vous ai assez expli-qué tout cela. Vous vous accusez bien d'avoir travaillé le dimanche ; mais vous ne dites pas pendant combien d'heures, ni combien de personnes vous avez fait tra-vailler, ni si c'est pendant les saints offices ; combien de personnes vous ont vues, ce qui les a scandalisées. Vous vous accusez bien d'avoir mangé de la viande les jours défendus ; mais vous ne dites pas combien de personnes en ont mangé à cause de vous, et combien vous ont vu, ce qui les a scandalisées, et, peut-être, les a portées à faire de même ; vous ne dites pas si vous avez sollicité vos enfants ou vos domestiques. Vous vous accusez bien d'avoir mangé de la viande ; mais vous ne dites pas si c'est par impiété, en vous raillant des commandements de l'Église ; vous dites bien que vous avez fait gras sans y penser ; mais vous ne dites pas que c'est votre gourmandise qui en a été la cause. Vous vous accusez bien d'avoir manqué à vos prières : votre Benedicite, vos grâces, vos Angelus, le signe de la croix passant devant une croix ou une église ; mais vous ne dites pas que c'est par respect humain, ce qui augmente considérablement votre péché. Vous vous accusez bien d'avoir eu des distractions dans vos prières ; mais vous ne dites pas que c'est pendant la sainte Messe et pen-dant vos pénitences, ce qui est souvent un péché mortel, et ce qui ne l'est pas dans les autres prières du jour. Vous dites bien que vous avez chanté de mauvaises chansons ; mais vous ne dites pas combien elles avaient de mauvaises raisons, et combien il y avait de personnes qui les ont entendues ; vous ne dites pas si vous les avez apprises à d'autres, si vous avez prié d'autres personnes de vous en apprendre. Vous vous accusez bien d'avoir dit du mal de votre prochain ; mais vous ne dites pas si c'est de votre père, de votre mère, ou des personnes consacrées à Dieu, ce qui rend votre péché plus considé-rable ; vous ne dites pas même que vous avez mal parlé de votre prochain par haine, par vengeance ou par jalousie, et que vous avez cherché les personnes qui lui voulaient du mal, afin d'en parler mieux à votre aise.
Mon Dieu, que de choses auxquelles l'on ne pense pas ! mon Dieu, que de confessions sacrilèges !
Mais voilà, M.F., une ruse dont le démon se sert pour en tromper et en perdre un grand nombre. Une personne aura caché un péché, il y a deux, ou trois ou dix ans, si vous voulez : étant trop tourmentée, elle s'en accuse comme si elle l'avait commis depuis sa der-nière confession, et après, pour cela, elle se croit tran-quille, bien qu'elle n'ait pas dit combien de confessions et de communions elle a faites, ni accusé de nouveau tous les péchés qu'elle a commis et confessés depuis ce temps-là. Mon Dieu, quel aveuglement ! Bien loin d'ef-facer son péché, elle ne fait qu'ajouter un nouveau sacrilège aux anciens. Ah ! qui pourrait, M.F., vous raconter le nombre d'âmes que le démon traîne en enfer de cette manière ? D'autres, qui auront commis quelques gros péchés, n'osant pas les accuser, demanderont à faire une confession générale ; afin d'envelopper ce péché avec les autres, comme l'ayant commis depuis longtemps. Vous vous trompez, votre confession ne vaut rien. Il faut accuser en particulier tous les péchés que vous avez commis depuis que vous avez reçu l'absolu-tion, si vous voulez que votre confession soit bonne.
Voici un autre piège que le démon nous tend. Quand il voit que les péchés que nous avons cachés nous tour-mentent trop, il tâche de nous calmer en nous disant que nous les confesserons la première fois que nous y retournerons, toujours dans l'espérance que, d'ici-là, nous serons morts ou que le bon Dieu nous aura aban-donnés. Oui, M.F., le sacrilège est un crime qui nous éloigne tellement de Dieu, qui éteint si vite la foi en nous, que, souvent, malgré tous les moyens que nous avons de sortir de cet état, nous ne le faisons pas, et cela, par un juste châtiment de Dieu, que nos sacrilèges nous ont attiré ; en voici un exemple effrayant. Le Père Lejeune rapporte un trait, qu'il nous dit tenir de la bouche de celui qui en a été témoin. Il nous dit qu'il y avait près de la ville de Bruxelles, une pauvre qui, aux yeux du monde, remplissait parfaitement bien ses devoirs de religion. Les gens la considéraient comme une sainte ; mais la pauvre malheureuse cachait toujours un péché honteux qu'elle avait commis dans sa jeunesse. Etant tombée malade de la maladie dont elle mourut, s'était comme évanouie un moment, et ayant repris la connaissance, elle appelle sa sœur qui la servait, en lui disant : « Ma sœur, je suis damnée. » Cette pauvre fille s'approcha de son lit et lui dit : « Ma sœur, vous rêvez réveillez-vous et recommandez-vous au bon Dieu. » – « Je ne rêve point, lui dit-elle, je sais bien ce que je dis ; je viens de voir la place qui m'est préparée en enfer. » Sa sœur court promptement chercher monsieur le curé. Celui-ci n'y étant pas, son frère, qui était son vicaire, vint vite à sa place pour voir cette pauvre malade ; et c'est de lui, nous dit le Père Lejeune, que je l'ai appris sur les lieux, faisant une mission. En nous accompa-gnant, il nous fit voir la maison ou était cette pauvre femme ; il nous fit tous pleurer en nous racontant ce trait. Il nous dit qu'étant entré dans la maison, il s'ap-procha de cette malade : « Eh bien ! ma bonne, qu'avez--vous donc vu qui vous a paru si effrayant ? » – « Mon-sieur, lui répondit-elle, je suis damnée ; je viens de voir la place qui m'est préparée en enfer, parce que, autre-fois, j'avais commis un tel péché. » Elle l'avoua devant tout le monde qui était dans la chambre. « Eh ! ma bonne, dites-le-moi en confession, et je vous en absou-drai. » – « Monsieur, lui dit-elle, je suis damnée. » – « Mais, lui dit le prêtre, vous êtes encore en vie et dans la voie du salut ; si vous voulez, je vous donnerai un billet signé de mon sang par lequel je m'obligerai, âme pour âme, à être damné pour vous dans le cas où vous le seriez, si vous voulez demander pardon à Dieu et vous confesser. » – « Je sais bien, lui dit-elle, que si je veux demander pardon de tout mon cœur au bon Dieu, il me pardonnera ; je sais que je puis réparer tous mes sacri-lèges ; mais je ne veux pas lui demander pardon, parce qu'il y a trop longtemps que j'abuse de ses grâces et que je le crucifie par mes sacrilèges. » Le prêtre resta trois jours et trois nuits à pleurer auprès de cette malade, sans pouvoir seulement lui faire faire un acte de contrition ni l'amener à se confesser ; au contraire, un moment avant de mourir, elle renia le bon Dieu, elle renonça à son baptême et se donna au démon. O mon Dieu, quel malheur ! Comprenez-vous, M.F., ce que c'est que de profaner les sacrements ? Ne voyez-vous pas que malgré tous les moyens que nous avons de réparer le mal que nous avons fait, nous n'en faisons rien ? Hélas ! une fois que le bon Dieu nous abandonne en punition de nos horreurs, que devenons-nous ? Hélas ! qu'il y en a qui sont de ce nombre, sans être si visibles aux yeux du monde ; mais qui, aux yeux de Dieu, ne sont pas moins coupables. Combien en est-il qui sont dans cet état, non parce qu'ils cachent leurs péchés, mais parce qu'ils n'ont point de contrition, parce qu'ils ne se corrigent nullement de leurs mauvaises habitudes ; qui vivent tou-jours de même, chez qui l'on ne voit point de change-ment. Mon Dieu, que de chrétiens damnés, et qui, aux yeux du monde, semblent être de bons chrétiens !
Vous voyez donc, M.F., que si nous comprenions bien ce que c'est que recevoir les sacrements, nous y apporterions bien d'autres dispositions que nous ne le faisons. Il est vrai que le plus grand nombre, en ca-chant leurs péchés, conservent toujours la pensée de les accuser ; mais, sans un miracle, ils n'en seront pas moins perdus. Si vous en voulez la raison, il est bien facile de vous la donner ; puisque, plus nous restons dans cet état épouvantable qui fait frémir le ciel et la terre, plus le démon prend d'empire sur nous, plus la grâce de Dieu se diminue, plus notre crainte s'augmente, plus nos sacrilèges se multiplient et plus nous recu-lons ; et par là, nous nous mettons presque dans l'im-possibilité de rentrer en grâce avec Dieu. Je vous en citerai cent exemples pour un. Dites-moi, M.F., est-ce que vous pouvez même espérer qu'après avoir passé dans le sacrilège peut-être de cinq à six ans, pendant les-quels vous avez plus outragé le bon Dieu que tous les Juifs ensemble, vous oseriez croire que le bon Dieu va vous donner toutes les grâces qu'il vous faudrait pour sortir de cet état épouvantable ; vous croyez peut-être qu'en con-sidérations de tant d'atrocités, dont vous vous êtes rendus coupables envers Jésus-Christ, vous n'aurez qu'à dire : « Je vais quitter le péché » et tout sera fini ? Hélas ! mon ami, qui vous garantit que Jésus-Christ ne vous aura pas fait la menace qu'il fit aux Juifs et prononcé la même sentence qu'il prononça contre eux : « Vous ne voulez profiter des grâces que je voulais vous donner ; mais je vous laisserai, et vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas et vous mourrez dans votre péché . » Hélas ! M.F., notre pauvre âme, une fois entre les mains du démon, n'en sort pas si facilement que nous le croyons bien.
Voilà, M.F., ce que le démon fait pour nous tromper : quand nous commettons le péché, il nous le représente comme bien peu de chose. Il nous fait penser qu'il y en a bien d'autres qui en font plus que nous ; ou bien, que nous nous en confesserons, que nous en aurons aussitôt dit quatre que deux. Mais quand le péché est commis il fait tout le contraire : il nous le représente comme une montagne, il nous en donne tant d'horreur que nous n'avons plus la force de nous en confesser. Si nous sommes trop tourmentés d'avoir caché un péché, pour nous rassurer, il nous dit que nous le déclarerons à la première confession ; ensuite, il nous dit que nous n'en aurons pas le courage ; qu'il faut attendre une autre fois pour le dire. Prenez garde, M.F., il n'y a que le premier pas qui coûte ; une fois dans la prison du péché, il est extrêmement difficile d'en sortir.

[Les péchés sexuels sont ceux qui font commettre le plus de sacrilèges]
Mais, de tous les péchés, celui qui nous fait faire le plus de sacrilèges, c'est celui qui est contre la sainte vertu de pureté  ; ce maudit péché porte une telle infamie avec lui qu'il nous entraîne dans toutes sortes de malheurs ; et nous verrons, au jour du jugement, que le plus grand nombre de mauvaises confessions ont été rendues mauvaises par ce péché. Il est rapporté dans l'histoire qu'il y avait un jeune homme qui s'était consacré à Dieu dès sa jeunesse. Il s'était même retiré dans un bois pour vivre en solitaire. Il devint par ses grandes vertus, un sujet d'admiration pour tous les environs ; l'on en parlait comme d'un saint. Mais le démon, qui ne pouvait souffrir tant de vertus dans un si jeune homme, mit tous ses artifices pour le perdre. Il le poursuivait continuellement par de mauvaises pensées. Ce jeune homme avait aussitôt recours à la prière, en demandant au bon Dieu la force de ne pas succomber. Le démon ne le quittait ni jour ni nuit, toujours dans l'espérance qu'il le gagnerait. Hélas ! ce pauvre jeune homme, las de combattre, se rendit peu à peu ; et enfin, dans son cœur, il donna un consentement à un désir d'impureté. Hélas ! à peine eut-il consenti seulement à ce désir, qu'il se sentit tout troublé dans l'âme. Tant il est vrai, hélas ! que dès que le péché entre dans notre cœur, la paix de l'âme s'en va. Se voyant vaincu, il s'abandonna à une si profonde tristesse que rien ne pouvait le consoler ; il pleurait continuellement : « Ah ! Pélage, disait-il, en se parlant à lui-même, que tu as peu tardé à te laisser tromper ! toi qui, il y a si peu de temps, étais un enfant chéri de Dieu, et, maintenant, te voilà un enfant esclave du démon : il faudra bien t'en confesser, faire pénitence de ton péché. Mais, si je le confesse, que va-t-on penser de moi ! Je vais perdre l'estime que l'on a de moi dans le monde. » Au milieu de tant de sortes de pensées, étant allé vers la porte de son ermitage, il vit passer un personnage vêtu en pèlerin, qui lui dit : « Pélage, pour-quoi vous livrez-vous à une si profonde tristesse ; celui qui sert un Dieu si bon, ne doit pas être si triste ; si vous l'avez offensé, faites pénitence et confessez-vous, et sans doute, le bon Dieu étant si bon, vous pardon-nera. » – « Et où m'avez-vous connu ? lui demanda Pélage. » – « Je vous connais fort bien, répondit le pèlerin, pour Pélage qui passe pour un saint dans tout le pays. Si vous voulez sortir de cette tristesse, confessez-vous, et vous reprendrez l'ancienne paix de votre âme et votre première tranquillité. » Le pauvre Pélage demeura tout étonné de ce que lui disait le pèlerin, et, regardant de tous côtés, il n'aperçut plus son pèlerin, parce qu'il avait disparu : ce qui lui fit bien comprendre que c'était un avertissement du Ciel. Alors il résolut de faire une véri-table pénitence qui fût capable d'apaiser la justice de Dieu ; et pour mieux exécuter son dessein, il résolut d'aller dans un monastère voisin où l'on faisait de grandes pénitences. Il alla trouver le supérieur en lui disant qu'il avait un grand désir de prendre le saint habit. L'abbé et tous les religieux en eurent une grande joie, d'autant plus qu'il passait pour un grand saint. En effet, quand il fut dans le monastère, il était toujours le premier dans tous les exercices de piété ; il faisait de rigoureuses pénitences, il portait toujours un cilice et jeûnait fort exactement. Au bout de quelque temps, il tomba malade, il ne douta pas qu'il allait mourir Le bon Dieu dans sa miséricorde, en reconnaissance de tant de vertus qu'il avait pratiquées dans son monastère, lui donna de fortes pensées de se confesser de son péché caché ; mais jamais il n'eut la force de le confesser ; toujours retenu par la crainte et la honte, il confessa bien tous ses autres péchés avec un grand regret. Un moment après avoir reçu le saint Viatique, il mourut. Les religieux firent l'enterrement, non comme celui d'un mort ordinaire, mais d'un saint dont on commençait déjà à implorer la protection auprès du bon Dieu. Tous les habitants des pays voisins venaient en foule pour se recommander à ses prières. Hélas ! que le bon Dieu juge bien autrement que ces hommes. La nuit suivante, le sacristain s'étant levé pour aller sonner l'office, et passant par l'église, jeta les yeux sur l'endroit où était enterré Pélage ; il s'aperçut que le corps était sur la terre, et pensant qu'on ne l'avait pas bien couvert, il l'enterra sans rien dire. Mais le lendemain, il le trouva encore hors de sa tombe ; il remarqua que la terre l'avait rejeté dehors. Il alla trouver l'abbé et lui raconta ce qu'il avait vu. L'abbé fit rassembler tous ses religieux et ordonna d'aller à l'église. Étant auprès de la sépulture de Pelage, ils prièrent Notre-Seigneur Jésus-Christ de vouloir bien manifester sa volonté s'il fallait enterrer le défunt dans un lieu plus honorable ; ils s'adressèrent même au défunt, en lui disant à haute voix : « Vous, Pélage, qui avez été si obéissant pendant votre vie, dites-nous si c'est la volonté de Dieu que votre corps soit mis dans un endroit plus digne de vous ? » Alors le défunt jeta un cri épouvantable en leur disant : « Ah ! malheureux que je suis, pour avoir caché un péché en confession, je suis condamné au feu de l'enfer, pour autant de temps que Dieu sera Dieu ; si vous voulez vous en assurer, approchez-vous et regardez mon corps. » L'abbé s'approcha et vit son corps tout embrasé, semblable aux morceaux de fer qui sont dans une fournaise. Alors le défunt lui dit que la volonté de Dieu était qu'il fût jeté à la voirie comme une bête. Hélas ! quel malheur, M.F. ! combien il lui aurait été facile de se sauver puisqu'il était un saint sous le rapport de toutes les autres vertus ! O mon Dieu, quel malheur ! pour n'avoir pas eu la force de confesser un seul mauvais désir, qu'à peine avait-il laissé naître dans son cœur, il s'en était aussitôt repenti. Hélas ! que de regrets et que de larmes pendant toute l'éternité ! Hélas ! M.F., que ce péché fait faire de mauvaises confessions, ou plutôt que ce péché conduit d'âmes en enfer ! Hélas ! combien, parmi ceux qui maintenant m'écoutent, sont du nombre et auxquels il faut toutes leurs forces pour ne point le laisser paraître au dehors ! Ah ! mon ami, lâchez la bride à vos remords, laissez couler vos larmes, venez vous jeter aux pieds du Seigneur, et vous trouverez la paix et l'amitié de votre Dieu que vous avez perdues.
Mais, pensez-vous, je ne crois pas qu'il y en ait qui soient capables de cacher leurs péchés, parce qu'ils seraient bien trop tourmentés. – Ah ! M.F., s'il me fallait prêter serment, pour affirmer qu'il y en a ou qu'il n'y en a point, je ne balancerais pas à dire qu'il y en a au moins cinq ou six qui sont brûlés par leurs remords et par leurs péchés, et qui m'entendent, et qui pensent que cela est vrai ; mais, prenez patience, vous les verrez au jour du jugement, et vous vous rappellerez ce que je vous dis aujourd'hui, O mon Dieu ! la honte ou la crainte peuvent-elles bien retenir un chrétien dans un état si épouvantable ? Ah ! mon ami, qu'est-ce que vous vous préparez à vous-même ? Vous n'osez pas vous en ouvrir à votre pasteur ? mais est-il seul dans le monde ? Ne trouveriez-vous pas des prêtres qui auraient la charité de vous recevoir ? Pensez-vous que l'on vous donnera une trop longue pénitence ? Ah ! mon ami, que cela ne vous arrête pas ! l'on vous aidera, l'on en fera la plus grande partie ; on priera pour vous, on pleurera vos péchés, pour attirer avec plus d'abondance les miséricordes de Dieu sur vous ! Mon ami, ayez pitié de cette pauvre âme qui a coûté si cher à Jésus-Christ !... O mon Dieu ! qui pourra jamais comprendre l'aveuglement de ces pauvres pécheurs ! Vous avez caché votre péché, mon ami, mais il faudra qu'il soit connu un jour, et même aux yeux de tout l'univers ; tandis que, d'une parole, vous l'auriez caché pour jamais et vous changeriez votre enfer en une éternité de bonheur ! Hélas ! qu'un sacrilège conduit loin ces pauvres pécheurs ! ils ne veulent pas mourir dans cet état, mais ils n'ont pas la force d'en sortir. Mon Dieu, tourmentez-les si fort qu'ils ne puissent pas y rester !...

Nous avons dit, en troisième lieu, que le défaut de contrition rend nos confessions mauvaises. Quoique vous veniez de voir, par ce que nous avons dit, combien de personnes font de mauvaises confessions, je vous dirai cependant que, tout bien examiné, le défaut de contrition sera la cause du plus grand nombre de con-fessions sacrilèges. Je ne veux pas m'étendre sur cela, parce que je vous en parlerai peut-être dimanche ; je vous dirai seulement, en passant, que nous ne devons jamais nous confesser sans demander la contrition au bon Dieu de tout notre cœur, par de ferventes prières. C'est vrai, M.F., nous faisons très bien de nous tour-menter pour obtenir le bonheur de bien accuser nos péchés ; mais nous devons bien mieux encore nous tourmenter pour savoir si nous aurons bien la contrition de nos péchés. Quand nous avons le malheur de cacher un péché, c'est un tigre qui nous dévore ; mais le défaut de contrition ne nous fait rien. – Mais, me direz-vous, que faut-il faire pour l'avoir ? – Il faut premièrement la demander au bon Dieu quelque temps avant de vous confesser, et, si vous voulez savoir si vous l'avez, ce qui est assez facile, voyez si vous avez changé de vie. Pour que notre confession ne nous laisse point d'in-quiétudes, il faut, qu'après avoir confessé nos péchés, nous possédions les vertus qui leur sont contraires. Il faut que l'humilité, le mépris de nous-même, prenne la place de l'orgueil et de cette bonne opinion que nous avons de nous ; il faut que cet esprit de charité, de bonté et de miséricorde, prenne la place de cet esprit de haine, de vengeance, de jalousie et d'envie ; il faut que cet esprit de détachement des biens de ce monde succède à cet esprit d'avarice, de cupidité et au désir de tromper le prochain ; il faut que cet esprit de mortification et de larmes prenne la place de la gourmandise et de l'amour des plaisirs du monde ; il faut que cette belle vertu de pureté prenne la place sur le trône où le vice infâme était placé. Ah ! que dis-je, M.F. ? il faut que cette fer-veur, cet amour pour la prière et cette vigilance à rejeter les tentations du démon, remplacent cette tiédeur, cette négligence et cette indifférence pour tout ce qui a rapport à Dieu et au salut de notre âme, et que cette douceur, cette patience soient placées au même endroit où étaient placées ces colères, ces emportements et toutes ces malédictions ; en un mot, nous étions pécheurs, main-tenant que nous sommes confessés, il faut cesser de l'être. Hélas ! M.F., si nous ne voyons pas en nous ces changements, après tant de confessions et de commu-nions, tremblons, ou plutôt, revenons sur nos pas de crainte que nous n'en sentions, mais trop tard, la nécessité.
En quatrième lieu, M.F., nous disons que nos con-fessions ne valent rien quand nous ne disons pas le nombre de nos péchés mortels, du moins autant bien que nous le pouvons. Il y en a qui se contentent de dire : « Je m'accuse d'avoir juré, d'avoir dit de mauvaises chansons, et rien de plus. » Jamais vos confessions ne seront bonnes, si vous ne déterminez pas le nombre de vos péchés mortels. Il est vrai que l'on ne peut pas dire toujours au juste, mais il faut se rapprocher autant que l'on peut.
En cinquième lieu, nous avons dit qu'une confession, est mauvaise lorsqu'en recevant l'absolution, on n'a pas l'intention de faire la pénitence que le prêtre nous donne. Il ne faut pas se contenter de s'accuser d'avoir manqué sa pénitence ; mais, bien dire qu'en vous con-fessant, vous n'aviez pas l'intention de la faire ; ensuite, si vous l'avez manquée par négligence. Si vous l'avez manquée volontairement et que vous ayez confessé des péchés mortels, vous commettez un péché mortel. Nous devons toujours faire notre pénitence à genoux, à moins que le prêtre nous dise que nous pouvons la faire assis. Il y en a qui la font en marchant, en travaillant, ce n'est pas faire votre pénitence. Vous ne devez jamais la changer de vous-mêmes, ni même la faire changer à un autre prêtre, à moins que vous ne puissiez pas aller trouver celui qui vous l'a imposée ; et ce changement ne doit se faire que quand il vous est impossible de l'accomplir. Il y en a qui ne savent pas assez lire ; si on leur donne quelques prières sur des livres, par orgueil, ils ne veulent pas dirent qu'ils ne savent pas assez bien lire, et, ensuite, ils la disent tout de travers. Il faut dire tout simplement que vous ne savez pas assez lire, afin qu'on vous la change, et, si cela vous est arrivé, il faut le dire en confession, pour qu'on vous en donne une autre.
6° Nous avons dit que le défaut de restitution rend nos confessions sacrilèges. Je ne parle pas de ceux qui ont volé ou trompé le prochain et qui ne s'en confessent pas : ceux-là sont bien perdus ; mais je dis que ceux à qui le confesseur a ordonné quelques restitutions, si dans le moment qu'il recevaient l'absolution, ils n'ont pas eu l'intention de rendre, leur confession ne vaut rien ; et si vous avez manqué de rendre, le pouvant, comme vous l'aviez promis, il faut bien le dire en vous confessant. Convenez avec moi combien il est nécessaire de faire, de temps en temps, de petites revues de sa vie passée, afin de réparer les mauvaises confessions que nous aurions pu faire, même sans le connaître.

II. – Mais, hélas ! M.F., quelle vie malheureuse mènent ceux qui cachent leurs péchés en se confessant, et qui restent avec de tels bourreaux dans leur cœur ! Vous avez toujours la pensée que vous les accuserez dans une confession ou avant de mourir. Mon ami, vous êtes un aveugle, vous ne le ferez pas ; le démon vous en empêchera aussi bien dans vos autres confessions ou à l'heure de votre mort, qu'il vous en a empêché jusqu'à présent. Si vous en doutez, écoutez-moi et vous verrez que cela est vrai ; que celui qui vit dans le sacrilège est à peu prés sûr d'y mourir. Il est rapporté par le Père Jean Romain, de la Compagnie de Jésus, que le fameux Jean d'Avila, prêchant dans une ville d'Espagne, fut appelé pour entendre la confession d'une demoiselle qui, par les soins de sa mère, avait été élevée dans toutes sortes de vertus. Cette mère ne manquait pas de communier tous les samedis en l'honneur de la sainte Vierge. La mère étant morte, la fille continua dans la même dévotion, ajoutant, de plus, plusieurs aumônes, des jeûnes et autres bonnes œuvres. Comme elle enten-dait souvent prêcher le Père Jean d'Avila, elle en était vraiment touchée, elle se sentait vivement portée à la vertu. Étant tombée malade, elle le fit prier de venir la voir, parce qu'elle désirait bien se confesser à lui. Quoique son mal ne fût pas fort dangereux, elle voulait pourvoir de bonne heure au salut de son âme. Elle le priait d'avoir la charité de l'entendre, parce qu'il y avait longtemps qu'elle désirait se confesser et bien lui décou-vrir l'état de son âme. Le Père lui accorda avec joie ce qu'elle demandait. Elle commença à se confesser avec des marques d'une douleur si vive et avec une si grande abondance de larmes, que le Père était dans l'admiration de trouver une si belle âme, du moins en apparence. Sa confession étant finie, le Père s'en va tout consolé ; lui ayant donné l'absolution, il la laissait dans une grande sûreté pour son salut, toujours du moins en apparence. Il arriva cependant une chose fort extraordinaire. Le Frère, que ce Père avait mené pour l'accompagner, étant dans une autre chambre, voyait venir de temps en temps, du côté de la muraille, une main noire toute couverte de poils, qui serrait la gorge de la malade de manière qu'il semblait qu'elle voulût l'étouffer. Le Frère, voyant cela, fut fort étonné. Étant retourné au couvent, il va trouver le supérieur à qui il raconte ce qu'il avait vu. Le supérieur lui demanda s'il était bien sûr de cela. Il lui dit : « J'en suis aussi sûr que je suis sûr d'être devant vous. Pendant quelques instants j'en ai douté, mais, ayant encore redoublé d'attention, j'ai vu tout ce que je vous dis. » Alors le supérieur appelle le Père Jean, et, quoique ce fût la nuit, il lui commande de retourner chez la malade, en lui disant de faire tout ce qu'il pourrait pour l'engager à se réconcilier si elle se sentait quelque chose qui lui fit de la peine. Le Père part avec le même compagnon. Lorsqu'ils furent à la porte, ils entendirent des cris et des gémissements ; mais à peine eurent-ils frappés, qu'un valet vint leur dire que sa maîtresse était morte, que presque aussitôt après sa confession, elle avait perdu la parole et l'usage de ses sens, de sorte qu'elle n'avait pas pu communier. Après avoir vu la défunte, ils retournèrent au couvent où ils rendirent compte au supérieur de ce qui était arrivé, ce qui l'affligea beaucoup. Le Père qui avait con-fessé la malade fut saisi d'une si grande douleur qu'il se mit à pleurer amèrement, et s'en alla devant le Saint--Sacrement, où, étant prosterné, il commença à prier le Seigneur pour le repos de cette malheureuse fille, lui demandant de vouloir la retirer de la damnation éter-nelle. Après avoir prié quelques moments, il entendit un grand bruit comme de grosses chaînes qu'on traînait par terre. S'étant tourné du côté de ce bruit, il vit de-vant lui une personne environnée, depuis les pieds jus-qu'à la tête, de chaînes et de flammes obscures. Le Père, sans s'effrayer, lui demanda qui elle était. Elle lui répondit : « Je suis l'âme de cette malheureuse fille que vous êtes venu confesser ce matin, je suis celle pour qui vous priez, mais en vain. J'ai trompé le monde par mes hypocrisies et mes fausses vertus. Il faut que vous con-naissiez ces hypocrisies. Après la mort de ma mère, un jeune homme était épris d'amour pour moi ; je fis d'a-bord quelques résistances ; mais il vint à bout de ma faiblesse. Si ma faute fut grande, la répugnance que le démon fit naître en moi pour la confesser alla encore plus loin ; je sentais de vifs remords de conscience, la crainte des tourments où je me trouve maintenant m'était un supplice. Inconsolable et ne cherchant qu'à sortir de cette peine, j'avais résolu plusieurs fois de m'en confesser ; mais la honte et l'appréhension que mon confesseur perdit la bonne opinion qu'il avait de moi, m'en avait toujours empêchée.. Dans cette crainte, je voulus toujours continuer mes confessions et mes com-munions. Lorsque j'entendais vos sermons, c'était autant de dards qui me perçaient le cœur, et, je pris enfin la résolution de me confesser à vous : c'est pour cela que je vous fis appeler. Ah ! j'aurais bien dû commencer par mes sacrilèges, et non par les petites fautes ! car, en-suite, je n'eus jamais la force de vous accuser mon péché caché. Me voilà damnée pour jamais ! Ne perdez pas votre temps à prier pour moi. » – « Mais, quelle est la plus grande de vos peines ? » lui demanda le Père. « C'est de voir, lui répondit-elle, que j'aurais pu me sauver en avouant mon péché, aussi facilement que je viens de vous le dire, sans que j'en tire aucun fruit. » Après cela elle disparut, poussant des cris épouvantables et faisant un bruit effroyable avec ses chaînes.
Ah ! M.F., quel état est celui d'une âme qui va paraî-tre devant le tribunal de Jésus-Christ avec des sacri-lèges ! Cherchons dans les recoins les plus cachés de nos consciences, et, si nous sentons quelques remords, tâchons de les faire disparaître par une bonne confes-sion, qui est le seul remède, puisque ni les pénitences ni les aumônes ne pourront y remédier. Hélas ! M.F., un pauvre chrétien dans ce péché n'a aucun mérite dans toutes ses bonnes œuvres ; tout est perdu pour le ciel. Mon Dieu, peut-on bien vivre avec des sacrilèges sur sa conscience, surtout quand on les connaît ? N'est-on pas déjà en enfer par les remords que l'on éprouve conti-nuellement ? Peut-on trouver quelques plaisirs dans la vie ?
Saint Antoine nous rapporte ce que le bon Dieu révéla à un saint prélat, pendant qu'il entendait la confession d'une personne qui, par honte, cachait un péché d'im-pureté. Le saint voyant à côté d'elle un démon, lui de-manda ce qu'il faisait là. Le démon répondit qu'il obser-vait un précepte de Jésus-Christ. « Eh quoi ! lui dit le saint, depuis quel temps est-ce que tu observes les pré-ceptes de Jésus-Christ ? » – « Oui, lui dit le démon, moi qui avais ôté la honte à cette personne, pour qu'elle péchât plus hardiment, maintenant je la lui restitue ; afin qu'étant vaincue par la honte, elle ne confesse pas son péché. »
O mon Dieu ! qu'un orgueilleux est à plaindre et en danger de se damner ; puisque, en effet, si nous cachons nos péchés, si nous ne les disons pas tels qu'ils sont, ce n'est pas autre chose que l'effet de l'orgueil. O mon Dieu ! consentir à être damné ! ou, plutôt, échanger une humiliation de cinq minutes avec une éternité !... Hélas ! ces pauvres damnés accuseront leurs péchés cachés et leurs sacrilèges pendant toute l'éternité sans en pouvoir obtenir le pardon ; tandis que, dans ce monde, une simple accusation à un prêtre plein de charité, qui nous aide à demander au bon Dieu notre pardon, qui désire autant notre salut que nous-mêmes, nous eût sauvé. Ah ! non, non, M.F., ceci ne peut pas se comprendre ! porter son aveuglement jusqu'à un tel point !... Vous êtes tombé, mon ami, vous avez sans doute fait bien du mal ; mais, relevez-vous vite, puisque vous le pouvez encore ; peut-être que vous ne pourrez pas un autre jour, et en voici la preuve.
Il est rapporté dans l'histoire qu'un missionnaire était allé voir une malade pendant la nuit. Voyant que sa maladie allait la conduire à la mort, et s'étant approché de son lit, il lui dit : « Madame, vous voilà prête à rendre compte à Dieu de votre conduite, j'ai grand'peur que vous n'ayez caché quelques péchés dans vos confessions, et, si vous ne vous en accusez pas, vous serez damnée ; réfléchissez. » – « Est-il possible, s'écria la malade, il faut que je meure ? J'avoue, dit-elle au missionnaire, qu'il y a bien longtemps que je me confesse fort mal, en cachant par honte des péchés. » Mais, en disant cela, elle perdit la parole sans pouvoir dire un seul mot, mou-rut dans ce misérable état, et, sans doute, fut damnée. Hélas ! dans quel état d'horreur vont paraître ces per-sonnes au jour du jugement, étant toutes couvertes de sacrilèges ! Oh ! « montagnes, diront-elles, écroulez-vous sur nous, cachez-nous à Dieu  » comme nous avons caché nos sacrilèges aux yeux du monde ! Mais non, tout se verra et tout paraîtra à la face de l'univers. Ah ! que de regrets d'avoir vécu trois ou quatre ans, peut-être, dans cet état, et avoir été dévoré par les remords de conscience sans avoir voulu y remédier !
Mais, dites-moi, que doit penser une personne qui se sent coupable de ce péché, quand elle reçoit l'absolution ? Que doit-elle penser quand le prêtre lui dit : « Allez en paix, et tâchez de bien persévérer ? » Ah ! si elle enten-dait Jésus-Christ qui, du haut du ciel, crie à son mi-nistre : « Arrête, arrête, malheureux, ce sang précieux que tu fais couler sur cette âme crie vengeance, il va écrire sa sentence de réprobation ; arrête, ministre, je réprouve et maudis cette âme ! » Ah ! malheureux, vous venez de vendre votre Dieu ! Allez, allez, perfide, traître Judas, allez à la table sainte pour achever l'œuvre de votre fureur ! allez lui donner la mort ! Ah ! si vous entendiez Jésus-Christ qui vous crie du fond de son tabernacle « Arrête, arrête, mon fils ! Ah ! de grâce, épargne ton Père ! Pourquoi veux-tu me faire mourir ? Arrête, ar-rête, mon fils, épargne ton Dieu, pourquoi veux-tu lui donner le coup de la mort ? » Ah ! si un chrétien pouvait comprendre la grandeur de son crime, pourrait-il porter sa fureur jusqu'à un tel excès contre un Dieu si bon, un Dieu qui nous aime plus que lui-même, qui ne veut et ne désire que notre bonheur ? O mon Dieu ! un chrétien qui aurait une fois commis un crime tel que le sacrilège, pourrait-il encore vivre ? Ne lui semblerait-il pas entendre sans cesse intérieurement, au dedans de lui-même, une voix, comme ce jeune homme qui avait tué son père : « O mon Fils, pourquoi m'as-tu égorgé, pourquoi m'as-tu ôté la vie ? » Un chrétien qui aurait eu ce malheur, pourrait--il encore une fois porter ses yeux sur cette croix, vers ce tabernacle : oh ! que dis-je ? vers cette table sainte où il a fait mourir Jésus-Christ, son Dieu et son Sauveur, d'une manière si épouvantable et si affreuse ? Oui, M.F., ce péché est épouvantable, quoique si commun ; il y aurait de quoi mourir d'y penser !...
Que devons-nous conclure de tout ce que nous venons de dire ? le voici. C'est qu'il nous faut prendre tous les moyens possibles pour bien faire nos confessions ; c'est de ne jamais recevoir l'absolution quand nous avons quelque mauvaise habitude, si nous ne sommes pas dans l'intention de nous corriger ; de ne jamais faire nos confessions à la hâte ; de ne jamais chercher les termes qui peuvent adoucir l'accusation de nos péchés ou les diminuer à nos yeux ou à ceux de notre confes-seur, et ne jamais nous confesser sans bien demander à Dieu la contrition de nos péchés. Enfin, quand il y aurait vingt ans, trente ans, que nous aurions des péchés ca-chés, il ne faut rien écouter, vite les avouer ; et si nous sommes sincères, nous sommes sûrs que le bon Dieu nous pardonnera ; au lieu que, si nous attendons à la mort, ou nous ne pourrons pas, ou peut-être même, par un châtiment terrible de la justice de Dieu, nous ne le voudrons pas, comme nous venons de le voir. Quand nous avons la pensée de cacher quelque péché, pensons vite quels reproches nous fera notre confesseur lui--même au jour du jugement, quand il verra que nous l'avons trompé. Oui, faisons tout ce que nous ferons comme nous voudrions l'avoir fait à l'heure de la mort, et tout sera bien fait. C'est ce que...
 
 

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