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Hilaire de Poitiers

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HILAIRE (Saint), évêque de Poitiers vers le milieu du IVe siècle, Père et docteur de l’Eglise.  I. Vie. II. Ecrits. III. Doctrine.

I. VIE.  1° Avant l’épiscopat.  Hilaire naquit dans la seconde dizaine du IVe siècle en Aquitaine, à Poitiers même, d’après saint Jérôme. Comment. in Epist. ad Gal., l. II, præf., P. L., t. XXVI, col. 355. Cf. Venance Fortunat, Miscell., l. II, c. XIX ; l. VIII, c. I, P. L., t. LXXXVIII, col. 109, 261. Issu d’une famille distinguée, il reçut une éducation libérale, apparemment dans sa patrie ; car les lettres étaient alors florissantes en Gaule, S. Jérôme, Epist., CXXI, ad Rusticum monachum, 6, P. L., t. XXII, col. 1075 ; elles l’étaient particulièrement en Aquitaine, dont la capitale, Bordeaux, était un vrai centre de culture intellectuelle. Ad. Buse, Paulin, Bischof von Nola, und seine Zeit, Ratisbonne, 1856, t. I, p. 44. Des auteurs relativement récents parlent d’un séjour de dix ans à Trèves, à Rome et en Grèce ; mais cette assertion n’est pas appuyée sur des données primitives et reste conjecturale. Acta sanctorum, t. I januarii, De sancto Hilario, n. 23, p. 785. En tout cas, les écrits du saint docteur témoignent surabondamment de la maîtrise dans l’art de bien dire et des connaissances variées qu’il acquit, comme aussi de la formation philosophique à base néo-platonicienne qu’il reçut dans sa jeunesse. A. Feder, Kulturgeschichtliches in den Werken des hl. Hilarius von Poitiers, dans Stimmen aus Maria-Laach, 1911, t. LXXXI, p. 30-45.

Hilaire naquit-il de parents chrétiens ? Ceux qui partagent ce sentiment invoquent surtout l’autorité [col.2387 fin / col.2388 début] de Fortunat, Vita sancti Hilarii, I, 3, P. L., t. IX, col. 187, qui nous montre son héros suçant pour ainsi dire avec le lait une sagesse telle qu’on aurait pu présager en lui le futur champion de la foi, préparé dès lors par Dieu aux combats et aux triomphes de l’avenir. Mais, à cette phrase, dont le sens est d’ailleurs assez peu précis, on oppose diverses allusions qui semblent insinuer le contraire : allusions de saint Jérôme, In Is., c. XLVIII, 13, P. L., t. XXIV, col. 595, de saint Augustin, De doctrina christiana, II, 40, P. L., t. XXXIV, col. 63 d’Hilaire lui-même. In ps. LXI, 2 ; De Trinitate, VI, 19-21, P. L., t. IX, col. 396 ; t. X, col. 171 sq. On objecte surtout, et à bon droit, le témoignage du saint docteur au Ier livre du De Trinitate. Dans un récit où il est difficile de voir une simple fiction littéraire, il expose comment il fut amené à la foi chrétienne : préoccupé par le problème de notre destinée et ne rencontrant pas dans la philosophie païenne de réponse qui le satisfît, il trouva enfin la lumière, en lisant au début de l’Evangile de saint Jean la doctrine du Verbe descendu des cieux et donnant à ceux qui le reçoivent de pouvoir devenir eux-mêmes des fils de Dieu. Belles pages dont le cardinal Pie a donné un commentaire saisissant, avec application aux erreurs contemporaines, dans un discours prononcé à Rome en 1870 pour la fête du saint docteur. Œuvres, t. VI, p. 552 sq.

Un fait certain domine cette controverse : Hilaire était adulte quand il reçut le baptême : Inauditis ago his nominibus in te ita credidi, per te illa renatus sum. De Trinitate, VI, 21, t. X, col. 173. D’un mot qu’il dit ailleurs, De synodis, 91, t. X, col. 545, et qui se rapporte à l’année où il partit pour l’exil : regeneratus pridem, on peut conclure qu’entre l’époque de son baptême et celle de son élévation à l’épiscopat, il y eut un intervalle de temps notable. D’après Fortunat, Vita, I, 3, 6, il était marié et père d’une fille, nommée Abra ; mais la réception du baptême devint pour lui le point du départ d’une vie chrétienne très fervente, austère même et vouée aux intérêts de la foi. L’évêque de Poitiers l’attacha-t-il dès lors à son église en lui conférant quelque degré de cléricature ? Rien ne permet de répondre à cette question.

Hilaire évêque ; lutte contre l’arianisme ; bannissement.  A la mort de l’évêque de Poitiers, probablement Maxence, frère de saint Maximin de Trèves, Hilaire fut appelé à lui succéder. Acta sanctorum. Comment. histor., 2. L’évènement eut lieu avant l’année 355, mais il est impossible d’en fixer la date précise. Nous savons seulement, par l’endroit déjà cité du De synodis, qu’en 356, à la veille de partir pour l’exil, le nouvel évêque était depuis quelques temps en charge : in episcopatu aliquantisper manens. L’aliquantisper, étant en opposition avec pridem regeneratus, doit nécessairement s’entendre d’un laps de temps restreint. Il est donc possible que la date de 350, donnée couramment par les historiens, anticipe un peu sur l’évènement.

Devenu pasteur d’âmes, Hilaire s’efforça de pratiquer ce qu’il dira plus tard De Trinitate, VIII, 1, col. 236 : " La sainteté sans la science ne peut être utile qu’à elle-même. Quand on enseigne, il faut que la science fournisse un aliment à la parole et que la vertu serve d’ornement à la science. " Le Commentaire sur l’Evangile de saint Matthieu date de cette époque. D’un autre côté, le nouvel évêque possédait dès lors une telle réputation de vertu, qu’elle attira près de lui le futur thaumaturge des Gaules ; c’est, en effet, vers 354, que saint martin vint pour la première fois à Poitier et y fut ordonné exorciste. Sulpice Sévère, Vita B. Martini, 5, P. L., t. XX, col. 163 ; dom Chamard, Origines de l’Eglise de Poitiers, p. 183.

Hilaire fut bientôt amené par les circonstances à jouer le rôle important qui l’a fait appeler l’Athanase [col.2389 fin / col.2390 début] de l’Occident. Près de trente ans s’étaient écoulés depuis le concile de Nicée, et l’opposition faite à la doctrine de la consubstantialité du Verbe n’avait pas cessé. Voir ARIANISME, t. I, col. 1799 sq. Pendant longtemps la Gaule était restée à peu près dehors des agitations qui troublaient l’Orient. La situation changea en 353, quand la révolte de Magnence eut amené en Occident l’empereur Constance, protecteur des antinicéens. Ce prince se trouvant à Arles, un concile s’y tint en octobre ; on exigea des évêques présents qu’ils souscrivissent à la condamnation de saint Athanase, et saint Paulin de Trèves paya son refus d’un exil en Phrygie. Sur les réclamations du pape, l’empereur consentit à la réunion d’un nouveau concile. Il eut lieu à Milan au printemps de 355 ; mais les prélats mandataires de Constance y suivirent la même tactique qu’au synode d’Arles : forcer les évêques à souscrire à la condamnation d’Athanase et à communiquer avec les ariens. La noble résistance de quelques-uns, Denis de Milan, Eusèbe de Verceil et Lucifer de Cagliari, leur valut la peine du bannissement.

L’histoire ne nous dit pas si saint Hilaire prit part aux conciles d’Arles et de Milan ni s’il fut engagé dans la controverse dès le début de son épiscopat. Ses sentiments sur le fond de la question ne peuvent pas être douteux pour qui lit le commentaire sur saint Matthieu, XXVI, 2 sq. ; P. L., t. IX, col. 1066 sq. ; plus tard l’évêque de Poitiers rattachera lui-même à l’exil " des saints personnages Paulin, Eusèbe, Lucifer et Denis " l’attitude militante qu’il prît après le concile de Milan. Adversus Constantium, 2, P. L., t. X, col. 578. C’est vers la même époque nous apprend-il encore, De synodis, 91, col. 545qu’il connut pour la première fois le symbole de Nicée : fidem nicænam nunquam nisi exulaturus audivi ; mais il n’y trouva pas, ajoute-t-il, une doctrine différente de celle qu’il tenait déjà. Il n’est donc pas étonnant qu’en face des manœuvres du métropolitain d’Arles, Saturnin, rallié aux vues de l’empereur et soutenu par les puissants évêques de cour Ursace de Singidunum et Valens de Mursa, Hilaire ait compris que la résistance ouverte s’imposait, aux dépens même de sa tranquillité et de ses intérêts personnels. Fragm. histor., I, 3, P. L., t. X, col. 629.

L’évêque de Poitiers entre dès lors dans la pleine lumière de l’histoire. Sous son initiative, un synode se réunit vers la fin de 355, très probablement à Paris ; les prélats présents se séparèrent de la communion d’Ursace, de Valens et Saturnin, mais décidèrent de recevoir à la communion ecclésiastique ceux qui, ayant failli à Milan, viendrait à résipiscence. Adv. Const., loc. cit. La réplique du métropolitain d’Arles ne se fit pas attendre ; dès le printemps de 356, il convoqua à Béziers un synode où, sur l’ordre de la cour, Hilaire dut comparaître pour rendre compte de sa conduite. Ce dernier demanda qu’on examinât d’abord la cause de sa foi ; à cette fin, il présenta un mémoire composé contre l’hérésie arienne et ses chefs d’alors : cognitionem demonstrandæ hujus hæreseos obtuli, Adv. Const., 2, col. 579 ; in qua patronos hujus hæreseos ingerendæ quibusdam vobis testibus denuntiaveram. De synodis, 1, col. 481. La demande ne fut pas agréée ; Saturnin exigeait sans doute ce qui avait été exigé à Milan ; la communion avec les évêques de son parti et l’acquiescement à la condamnation d’Athanase. un rapport fut adressé à Constance ; rapport où, vraisemblablement, la foi politique de l’évêque de Poitiers était mise en suspicion et qu’en tout cas, il traite lui-même de fallacieux et d’insidieux : falsis nuntiis synodi. . . circumventum te Augustum. Ad. Const., II, 2, col. 563. Saturnin obtint le résultat qu’il voulait : vers le milieu de 356, l’empereur prononça contre l’accusé une sentence de déportation en Asie Mineure. [col.2390 fin / col.2391 début]

Récemment on a attaché à ces évènements un écrit de saint Hilaire publié jusqu’ici sous le titre : Ad Constantium liber primus, P. L., t. X, col. 557. Comme on le dira plus loin, ce titre devrait être considéré désormais comme périmé ; l’écrit aurait été composé au lendemain du synode de Poitiers, dans un but apologétique : soit qu’il faille y voir un fragment garé de l’Opus historicum, formant primitivement avec plusieurs autres la première partie du Liber adversus Valentem et Ursacium, comme le veut dom Wilmart, Les fragments historiques et le synode de Béziers ; soit que l’écrit ait fait partie d’une Lettre adressée aux évêques gaulois, comme le conjecture dom Chapman, The contested letters of pape Liberius, 3° art., p. 331.

Hilaire en Orient, 356-360.  La Phrygie fut le séjour habituel du saint docteur pendant les années de son exil. Comme il n’avait pas été déposé de son siège, il demeurait dans une situation relativement favorable ; il put communiquer avec ses prêtres et, par leur entremise, garder la haute administration de son diocèse. Ad Constantium, II, 2, col. 564. Il resta également en rapport avec l’épiscopat gaulois, le renseignant et l’encourageant par ses lettres. Quelle importance il attachait à ce commerce épistolaire, on peut en juger par l’inquiétude que lui causa, pendant quelques temps, le silence de ses correspondants. De synodis, I, col. 479. Personnellement, il employa les loisirs forcés à composer, entièrement ou presque entièrement, son principal ouvrage : De Trinitate ; c’était encore une manière de prêcher, comme il le dit lui-même, X, 4, col. 346 : Loquemur enim exsules per hos libros, et sermo Dei, qui vinciviri non potest, liber excurret. En même temps il profita de son séjour en Asie Mineure pour s’instruire à fond des affaires religieuses d’Orient. Les circonstances lui créèrent une situation privilégiée. Quand il arriva en exil, la coalition antinicéenne était triomphante ; en Orient, tous les grands sièges épiscopaux étaient en son pouvoir ; en Occident, le pape et les membres les plus notables de l’épiscopat étaient bannis. Mais à ce moment même les germes des divisions qui couvaient dans le parti, nullement homogène, des antinicéens, éclatèrent : il y eut fractionnement en trois groupes distincts et bientôt hostiles : le groupe extrême des ariens purs ou anoméens, ayant pour chefs Aétius et Eunomius, le groupe en apparence le moins avancé, plus politique que doctrinal, des homéens, représenté en Orient par Acace de Césarée, en Occident par Ursace et Valens ; enfin le groupe plus conservateur des homéousiens ou anciens eusébiens, qui se ralliaient autour de Basil d’Ancyre. Voir ARIANISME, t. I, col. 1821 sq.

Fixé en Phrygie, mais ayant une grande liberté de mouvements, l’évêque de Poitiers se trouvait en contact avec ces divers groupes. Dans un esprit de zèle apostolique, il fit preuve à l’égard de tous d’une large condescendance : " Je n’ai pas considéré comme un crime, dira-t-il plus tard, d’avoir des eu des entretiens avec eux, ou même, tout en leur refusant la communion, d’entrer dans leurs maisons de prière et d’espérer ce qu’on pouvait attendre d’eux pour le bien de la paix, alors que nous ouvrions une voie au rachat de leurs erreurs par la pénitence, un recours au Christ par l’abandon de l’Antéchrist. " Adv. Const., 2, col. 579. Mais ses sympathies allaient naturellement aux homéousiens, d’autant plus qu’en dehors de ce groupe, il ne voyait guère d’intégrité ni de vraie piété. De synodis, 63, col. 522. Les évènements augmentèrent encore ces sympathies et préparèrent les voies au rôle de conciliation que les antécédents du saint docteur, sa science et ses relations actuelles lui permettraient de jouer. Un grand synode tenu à Sirmium dans l’été de 357 s’était terminé par la rédaction et l’imposition d’une formuler de foi, dite seconde de Sirmium, formule posi- [col.2391 fin / col.2392 début] tivement antinicéenne, traitée par Hilaire d’impiété blasphématoire. De synodis, 10, col. 486. L’année suivante, au synode d’Ancyre, présidé par Basile, évêque de cette ville, les homéousiens réagirent vigoureusement, en formulant une série d’anathèmes contre la doctrine anoméenne, et même contre l’homéenne. Voir t. I, col. 1823 sq. Il est vrai qu’à ces anathèmes ils en avaient ajouté d’autres, dirigés contre la doctrine sabellienne et contre les termes nicéens d’xxx, consubstantiel ou étant de même substance. Si les homéousiens semblaient ainsi maintenir la vieille accusation de sabellianisme contre la foi de Nicée, il n’y avait pas moins de leur part répudiation formelle de l’arianisme pur et acheminement notable vers l’orthodoxie. Cette réaction acquérait, au jugement d’Hilaire, une valeur d’autant plus grande que Basile avait réussi à faire approuver les actes de son synode par Constance et que, possédant la faveur de ce prince maître de la situation. De synodis, 78, col. 530 sq.

C’est précisément vers cette époque, mars 358, que l’évêque de Poitiers reçut enfin un courrier des Gaules. Il apprit avec joie qu’en dépit des suggestions et des menaces de Saturnin, ses anciens collègues restaient fidèles à las sainte doctrine ; de cette fidélité ils venaient de donner une preuve notable en anathématisant la seconde formule de Sirmium. De synodis, 2, 3, col. 481 sq. En communiquant cette bonne nouvelle à l’exilé, les prélats gaulois lui demandaient de les renseigner sur les professions de foi, présentes et passées, des Orientaux. Ibid., 9, col. 483. Ce fut l’occasion du Liber de synodis, dont il sera plus amplement question dans la suite de cette étude. En composant cet écrit, Hilaire ne proposa pas seulement de satisfaire à la demande de ses amis ; il profita encore de la circonstance pour essayer de dissiper les malentendus qu’il voyait exister des deux côtés et poursuivre ainsi l’œuvre de conciliation et d’apaisement déjà entreprise : " Pendant tout le temps de mon exil, dira-t-il bientôt, si j’ai tenu à ma résolution de ne céder en rien au sujet de la confession du Christ je n’ai pourtant voulu repousser aucun moyen honnête et acceptable de produire l’unité. " Adv. Const., 2, col. 579.

Hilaire garda la même attitude au concile qui s’ouvrit à Séleucie le 27 septembre 359. Convoqué d’office à cette assemblée, il y fut accueilli favorablement. Invité à exposer sa foi d’évêque gaulois, il le fit en professant la doctrine nicéenne, soigneusement dégagée de toute attache sabellienne ; aussi fut-il reçu par les Orientaux à la communion ecclésiastique et admis au concile. Sulpice Sévère, Historia sacra, II, 42, P. L., t. XX, col. 153. Rien n’indique qu’il se soit mêlé activement aux discussions qui s’élevèrent entre la majorité homéousienne et la minorité homéenne, mais, dans l’Adversus Constantium, 12-14, col. 590 sq., il a laissé ce qu’il vit et entendit un récit précieux pour la connaissance des partis et des idées qui se manifestèrent alors. Voir t. I, col. 1828. La profession de foi souscrite par la majorité fut la seconde formule du synode d’Antioche, in encæniis, voir t. I, col. 1801 ; formule que le saint docteur juge avec indulgence, en y voyant une simple réaction contre le sabellianisme. De synodis, 32-35, col. 504 sq.

L’heure de l’apaisement n’était pas encore venue. Le groupe basilien manquait d’unité vraie ; à côté de membres sérieux et bien intentionnés, il en contenait d’autres qui n’étaient pas guidés par un amour sincère de la vérité ou qui professaient en réalité des doctrines absolument incompatibles avec la foi de Nicée. En outre, le succès de l’entreprise dépendait d’un mobile empereur qu’était Constance. Depuis plus d’un an, Ursace et Valens travaillaient à le ramener à leurs vues. Ils avaient obtenu la division de l’unique [col.2392 fin / col.2393 début] concile projeté d’abord puis à Rimini, où ils furent les maîtres, leurs intrigues et leurs violences avaient amené les évêques occidentaux réunis en cette ville à signer une formule insidieuse qu’on leur présentait comme une concession nécessaire au bien de la paix. A Séleucie, la minorité acacienne, qui se rattachait au même parti, n’avait pas triomphé, mais elle s’était empressée d’envoyer à Constantinople des députés chargés de prévenir Constance en leur faveur et de réclamer une union conçue sur une base plus large. Quand les basiliens se présentèrent, l’empereur était de nouveau gagné à la cause homéenne. Adversus Constantium, 15, col. 593.

L’évêque de Poitiers avait suivi les basiliens à Constantinople ; il ne put qu’être le témoin navré du revirement impérial. Sans perdre courage, il adresse à Constance, vers le début de 360, la requête désignée couramment sous le titre Ad Constantium Augustum liber secundus, P. L., t. XXI, col. 563. Suivant Sulpice Sévère, dont l’affirmation est d’ailleurs contestable et contestée, cette requête aurait été suivie de deux autres : tribus libellis publicæ datis audientiam regis poposcit, ut de fide coram adversariis disceptaret. Op. cit., II, 45, col. 154. Hilaire sollicitait deux faveurs : celle d’une discussion publique avec Saturnin, auteur de son exil, afin de pouvoir montrer la fausseté des accusations dont il l’avait chargé, et celle d’une comparution en présence du concile qui se tenait dans la ville impériale, afin de pouvoir y défendre, sur l’autorité des saintes Ecritures, la foi orthodoxe. Ad Cont., II, 3, 8, col. 565, 569. L’empereur n’accorda ni l’une ni l’autre de ces demandes : il se contenta de rendre Hilaire à sa patrie, sans toutefois rapporter la sentence d’exil, absque exilii indulgentia, dit Sulpice Sévère, II, 45, col. 155. D’après cet auteur, la mesure aurait été suggérée au prince par les ariens, qui, pour se débarrasser d’un adversaire gênant, le lui aurait présenté " comme semeur de discorde et perturbateur de l’Orient. " Autre serait peut-être la réalité d’après Loofs, art. Hilarius von Poitiers, dans Realencyclopädie, t. VIII, p. 63 : s’appuyant sur ces paroles du Contra Constantium, II, col. 588 : fugere mihi sub Nerone licuit, il demande si l’exilé n’aurait pas pris la fuite. La conjecture semble admise, ou à peu près, par dom. Wilmart, l’Ad Constantium liber primus, p. 150 : " à moitié renvoyé de Constantinople, à moitié fugitif volontaire. " Ne serait-ce pas prendre le mot fugere dans un sens trop rigoureux ?

Hilaire quitta Constantinople dans la première moitié de 360 probablement au début d’avril. Le Contra Constantium imperatorem, P. L., t. X, col. 557, date de cette époque, qu’il ait été composé par son auteur avant son départ de la ville impériale, ou peu après, pendant le voyage de retour. Cette invective vigoureuse reflète les sentiments d’indignation qui amenèrent l’âme du saint évêque, alors que, revenus au pouvoir, les homéens imposèrent leur credo, devenu le credo de Constance, et se vengèrent de leur défaite momentanée en exerçant de terribles représailles contre les homéousiens. Tout espoir de conciliation et d’union dans un avenir prochain disparaissait. L’évêque de Poitiers n’en contribua pas moins, pour sa part, à l’œuvre que d’autres devaient mener à bonne fin. Deux ans plus tard, au concile d’Alexandrie, saint Athanase reprendra l’entreprise dans de meilleures conditions ; puis les grands docteurs cappadociens viendront assurer le triomphe de l’orthodoxie. Leur glorieux chef, saint Basile de Césarée, se rattache par ses antécédents à Basile d’Ancyre, qu’il accompagna même, comme diacre, au concile de Constantinople de 360. Avant de mourir, Hilaire aura la joie de voir la plupart des évêques homéousiens qu’il [col.2393 fin / col.2394 début] avait connus à Séleucie se rallier, à l’exemple de saint Cyrille de Jérusalem, au credo nicéen. Voir t. I, col. 1835 sq., 1840. D’ailleurs, quittant l’Orient, il n’abandonna pas l’œuvre qu’il avait tant à cœur : il allait seulement la continuer sur un autre théâtre.

4° Retour en Gaule et dernières années. ? Le saint évêque revint par la voie de mer ; il passa par l’Italie et notamment par Rome. Sulpice Sévère, Vita B. Martini, 6-7, P. L., t. XX, col. 164. Il dut voir le pape Libère, rentré dans cette ville depuis deux années, mais tout détail manque ; on peut raisonnablement conjecturer qu’il y eut échange de vues au sujet de la campagne antiarienne à mener en Occident. Enfin le grand exilé reparut dans sa patrie après quatre années d’absence, probablement avant la fin de 360, au plus tard au début de 361. Quel accueil il reçut, on peut en juger par les termes hyperboliques dont saint Jérôme s’est servi : Tunc Hilarium de prælio revertentem Galliarum ecclesia complexa est. Adversus luciferianos, 19, P. L., t. XXIII, col. 173. Cf. Fortunat, Vita, II, P. L., t. IX, col. 191.

La situation politique était notablement modifiée, depuis que les troupes cantonnées à Paris s’étaient révoltées et avaient, en mai 360, proclamé Julien empereur. Hilaire n’avait plus à craindre l’intervention de Constance ; il se mit immédiatement à l’œuvre, avec autant de décision que de modération, afin de confirmer dans leurs sentiments les évêques restés fidèles et de ramener dans le droit chemin de l’orthodoxie ceux qui, par timidité ou par ignorance, avaient failli et souscrit à des formules erronées ou du moins compromettantes, comme celle de Rimini. Sous son impulsion, des synodes provinciaux se réunirent de divers côtés, et même un concile national à Paris. Ceux qui rapportent ce dernier fait à l’année 360, par exemple, dom Coustant, Vita, 67-68, P. L., t. IX, col. 156 sq., supposent qu’Hilaire n’y assista pas en personne, bien qu’il ait été, moralement parlant, l’âme de l’assemblée ; mais la plupart des historiens placent le concile de Paris en 361 (Baronius, en 362), et tiennent que l’évêque de Poitiers s’y trouva. Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 755, note XV. Un document nous est parvenu, où sa doctrine et parfois même son style se révèlent : c’est la lettre synodale du concile aux évêques orientaux, en réponse à une lettre qu’Hilaire avait reçue de ceux-ci, depuis son retour en Gaule. Fragm. hist., XI, P. L., t. X, col. 710. La déposition de Saturnin d’Arles et de Paterne de Périgueux consacra la défaite de l’arianisme ; ce qui explique cette phrase de Sulpice Sévère, II, 45, col. 155 : " Tout le monde reconnaît que notre Gaule est redevable au seul Hilaire du bonheur qu’elle eut d’être délivrée du crime de l’hérésie. " Bientôt, la mort de l’empereur Constance, survenue le 3 novembre 361, porta également un coup décisif à la suprématie homéenne en Orient. Les évêques exilés rentrèrent dans leurs diocèses, et, dès l’année suivante, saint Athanase réunit dans sa ville épiscopale le célèbre " concile des professeurs ", où fut adoptée la même politique religieuse de conciliation et d’apaisement que l’évêque de Poitiers venait d’inaugurer en Occident. Voir t. I, col. 1834. Chose vraiment providentielle et féconde en heureux résultats que cet accord à distance des deux grands champions de la foi nicéenne au IVe siècle.

A la lutte contre l’arianisme se joignit alors la lutte contre le paganisme sous l’Apostat. Les violences exercées en Gaule par Dioscore, vicaire du préfet Salluste, déterminèrent Hilaire à publier, en 361 ou 362 un mémoire signalé par saint Jérôme : Ad præfectum Sallustium sive contra Dioscorum. D’ailleurs, Julien étant mort le 26 juin 363, la controverse n’eut pas de suite. Beaucoup plus importante fut la campagne apostolique du docteur gaulois en Italie. Peut- [col.2394 fin / col.2395 début] être se rattache-t-il à la lettre adressée aux évêques de ce pays par le pape Libère en 363. Fragm. hist., XII, col. 714. Hilaire travailla d’abord seul, puis en compagnie d’Eusèbe de Verceil, lequel, ayant assisté au concile d’Alexandrie, avait reçu la mission d’en appliquer les décrets en Occident. Aux efforts combinés des deux saints répondirent des fruits si abondants que Rufin, H. E., I, 31, P. L., t. XXI, col. 502, a pu les comparer à deux astres splendides éclairant de leur lumière l’Illyrie, l’Italie et les Gaules. Il souligne particulièrement les succès de l’évêque gaulois, en les attribuant à la douceur et à la placidité de son caractère, ut esset natura lenis et placidus. La contradiction vint pourtant. Quelques années plus tôt, divers passages du traité De synodis avaient déplu à Lucifer de Cagliari ; Hilaire avait fait une réponse dont quelques lambeaux existent encore, sous le titre d’Apologetica ad reprehensores libri de synodis responsa, P. L., t. X, col. 546. Mécontents maintenant de l’indulgence dont on faisait preuve à l’égard des évêques qui avaient faibli, les lucifériens unirent désormais dans une commune réprobation les noms du pape Libère et de ses deux lieutenants, Hilaire et Eusèbe de Verceil. Dom Coustant, Vita, n. 95-99, col. 168 sq. ; dom Chamard, Origines, p. 523 sq.

L’évêque de Poitiers n’en continua pas moins en Italie son œuvre apostolique. Le siège de Milan était occupé par Auxence, l’un des chefs homéens que le concile de Paris avait anathématisés. En 364, le champion de l’orthodoxie jugea que le moment était venu de chasser le loup de la bergerie. Avec Eusèbe, il commença une campagne pour démasquer Auxence et soustraire à sa communion les catholiques milanais. L’évêque menacé fit appel à l’empereur Valentinien ; comme on le voit d’après un fragment conservé dans le Contra Auxentium, 15, P. L., t. X, col. 618, il se plaçait sur un terrain juridique en alléguant les décrets du concile de Rimini et accusait ses adversaires de troubler la paix religieuse. Ces considérations firent impression sur l’empereur ; venu en Milan, en novembre 364, il interdit toute espèce d’assemblée chrétienne en dehors des lieux soumis à la juridiction d’Auxence. Hilaire protesta dans une requête où il dénonçait dans l’évêque homéen un blasphémateur, un ennemi du Christ. Ce qu’il écrira bientôt, il le dit dès lors : " De paix, je n’en désirerai jamais sinon avec ceux qui, s’attachant à la doctrine sanctionnée par nos Pères à Nicée, anathématisent les ariens et proclament Jésus-Christ vrai Dieu. " Contra Auxentium,12, col. 617. Valentinien décida qu’une discussion aurait lieu entre les deux adversaires en présence de deux hauts fonctionnaires assistés par dix évêques. Auxence exposa sa foi dans une formule où il rejetait en apparence la doctrine homéenne, mais se servait, sur le point brûlant, de termes à double entente, natum ex Patre Deum verum filium ; ce qui pouvait signifier : vrai Dieu ou vrai fils (au sens arien). Les commissaires de l’empereur se contentèrent de la profession de foi d’Auxence, et comme Hilaire voulait dévoiler ses équivoques et ses réticences : lusit quidem ille verbis, quibus possit fallere et electos, ibid., 10, col. 615, il reçut l’ordre de retourner en Gaule. La publication du Contra Auxentium fut comme une protestation, destinée à renseigner les orthodoxes sur toute cette affaire et à sauvegarder l’intégrité de la foi. Si le saint docteur n’obtint, dans l’occurrence, qu’un succès incomplet, son intervention n’en eut pas moins pour effet de forcer Auxence à rejeter extérieurement le symbole d’Arius et à se maintenir désormais dans une prudente réserve. En outre, la réaction provoquée à Milan parmi les fidèles préparait de loin l’acclamation de saint Ambroise comme évêque, à la mort d’Auxence (374).

Rentré définitivement dans son diocèse, l’évêque de Poitiers consacra ses dernières années au bien spiri- [col.2395 fin / col.2396 début] de son peuple. De ses homélies d’alors nous avons l’écho dans le Tractatus super psalmos ; car il semble bien qu’à cette époque, comme au début de son épiscopat, il donna d’abord sous forme d’instructions ce qu’il disposa ensuite sous forme de livre. Coustant, Vita, 24, 109, P. L., t. IX, col. 135, 175. En même temps le dévoué pasteur s’efforçait de former ses Poitevins à une pratique qu’il avait rencontrée et goûtée en Orient : les chants d’Eglise, chants de prière et de psaumes, chants d’hymnes qu’il composa lui-même. Il voyait là un moyen d’attirer les faveurs du ciel, de rendre hommage à la Divinité, de mettre en fuite les démons et d’écarter les fidèles des réjouissances profanes. In ps., LXIV,12 ; LXV, 1, 4 ; CXVIII, litt. V, n. 14, P. L., t. IX, col. 420, 424 sq., 540. Dans les hymnes qu’il composa, il se proposait aussi de prémunir son troupeau contre le venin dangereux des hérésies. D’ailleurs son zèle ne se bornait pas au commun du peuple ; sous son impulsion et sa direction, des âmes éprises d’un idéal plus relevé s’engagèrent dans la voie des conseils évangéliques. Le plus grand de ses disciples, saint Martin, nous est déjà connu. Apprenant dans l’île de Gallinari où il s’était retiré, que son maître avait quitté l’Orient pour revenir dans sa patrie, il s’empressa de courir à Rome, où il espérait le rencontrer ; quand il y parvint, Hilaire en était déjà parti. Il le rejoignit à Poitiers, et presque aussitôt, en 360 ou 361, la fondation de Ligugé inaugurait la vie monastique en Gaule. Coustant, Vita, 86, col. 1664 ; Chamard, Origines, XII, p. 273 ; Saint Martin et son monastère de Ligugé, Paris, 1873, c. V, p. 35 sq. Parmi les vierges que le glorieux pontife consacra lui-même à Dieu la tradition mentionne spécialement, après Abra, sa propre fille, Florentia, noble païenne qu’il avait convertie en Asie Mineure et qui le suivit en Aquitaine. Fortunat, Vita, 7, col. 189 ; Chamard, Origines, c. XV.

Saint Hilaire mourut à Poitiers : " la sixième année après son retour d’exil ", dit Sulpice Sévère, II, 45, col. 155, mais sans déterminer à quelle époque précise ce retour avait eu lieu ; " la quatrième année du règne de Valentinien et de Valens " (printemps 367 à printemps 368) dit Grégoire de Tours, Historia Francorum, I, 36, P. L., t. LXXI, col. 180. Cette dernière donnée se trouve aussi dans la chronique de saint Jérôme, avec cette particularité que des manuscrits de cet ouvrage rattachent la mort d’Hilaire, non pas à la quatrième, mais à la troisième année du règne des deux empereurs. R. Helm, Die Chronik des Hieronymus, dans Eusebius Werke, Leipzig, 1913, t. VI, p. 245. A ces divergences s’en ajoute une autre, relative au jour même de la mort, placé par quelques-uns au Ier novembre au lieu du 13 janvier, suivant l’opinion commune. De là vient qu’une date ferme ne peut pas être fixée, les avis oscillant entre les années 366, 367 et 368. Acta sanctorum comment., 31 sq. ; Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 755, note XVIII ; Coustant, Vita, 113-115, col. 177 sq. Chamard, Origines, p. 401. L’Eglise romaine fête saint Hilaire le 14 janvier, comme confesseur pontife et docteur. Ce dernier titre, dont il était honoré de temps immémorial dans beaucoup d’églises, fut officiellement consacré par le décret Quod potissimum de la S. C. des Rites et le bref apostolique Si ab ipsis, 19 mars et 13 mai 1851. Correspondance de Rome, 4e année, t. I, p. 233 sq., 266 ; Mgr Pie, Œuvres, t. I, p. 458-481.

Sources anciennes : les œuvres mêmes de saint Hilaire, l’Historia sacra de Sulpice Sévère, la Vita S. Hilarii de Fortunat et autres écrits précédemment signalés ; le tout synthétisé par dom Coustant, Vita S. Hilarii ex ejus scriptis potissimum collecta, P. L., t. IX, col. 125-184.

Ouvrages généraux :Acta sanctorum, Anvers, 1643, t. Ie januarii, p. 782 sq. ; J. Bouchet, Les Annales d’Aquitaine, Poitiers, 1644, c. VI,-XV ; Tillemont, Mémoires (1700), t. VII, [col.2396 fin / col.2397 début] p. 432-469, 745-758 ; Histoire littéraire de la France (1733), t. I b, p. 139-194 ; A. de Broglie, L’Eglise et l’empire romain au IVe siècle, Paris, 1868, IIe part., t. I, p. 355, 408 sq., 429 sq. ; t. II, p. 475 sq. ; IIIe part., t. I, p. 14 sq. ; dom F. Chamard, Origines de l’Eglise de Poitiers, Poitiers, 1874, l. I : chan. Auber, Histoire générale, religieuse et littéraire du Poitou, Poitiers, 1885, l. III.

Biographies et monographies : Ad. Viehhauser, Hilarius Pictaviensis geschildert in seinem Kampfe gegen den Arianismus, Klagenfurt, 1860 ; J. H. Reinkens, Hilarius von Poitiers, Schaffhausen, 1864 ; E. Dormagen, Saint Hilaire de Poitiers et l’arianisme, Saint-Cloud, 1864 ; V. Hansen, Vie de saint Hilaire, évêque de Poitiers et docteur de l’Eglise, Luxembourg, 1875 ; J. G. Cazenove, St. Hilary of Poitiers and St. Martin of Tours, Londres, 1883 ; P. Barbier, Vie de saint Hilaire, évêque de Poitiers, docteur et père de l’Eglise, Paris, 1887 ; E. Watson, The life and writings of St. Hilary of Poitiers, dans A select library of Nicene and post-Nicene Fathers, 2e série, Oxford, 1899, t. IX, Introduction, c. I ; A. Largent, Saint Hilaire, Paris, 1902 ; G. Girard, Saint Hilaire, Angers 1905. ? Articles biographiques : J. G. Cazenove, dans Smith, Dictionary of christian biography, Londres, 1882, t. III, p. 54-66 ; B. Fechtrup, dans Kirchenlexicon, Fribourg-en-Brisgau, t. V, col. 2046-2052 ; F. Loofs, dans Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche, Leipzig, 1900, t. VIII, p. 57-67. Voir, en outre, U. Chevalier, Répertoire. . . Bio-bibliographie, Paris, 1905, t. I, col.2147 sq.

II. ECRITS.  Bien que l’activité littéraire de saint Hilaire ait été inférieure à celle des grands docteurs latins qui sont venus après lui, elle reste cependant notable et multiple en ses manifestations. L’ordre chronologique ressortant suffisamment de la notice biographique, nous grouperons ses écrits d’après leur importance relative, du point de vue théologique.

I. ECRITS DOGMATIQUES.

De Trinitate libri duodecim, P. L., t. X, col. 25-472. ? Ouvrage capital du saint docteur, contenant une exposition et une défense méthodiques de la doctrine catholique sur les trois personnes divines, et plus spécialement sur la consubstantialité du Père et du Fils. Le titre primitif semble avoir été : De fide. Coustant, Præfatio, 2-4, col. 9 sq. L’ensemble de l’ouvrage remonte sûrement eu temps de l’exil, l. X, 4, col. 346 : loquemur enim exsules per hos libros. Toutefois, comme au début du l. IV, col. 97, il est question de livres antérieurs, écrits il ya déjà un certain temps, jam pridem, il est possible que les trois premiers livres, au moins le IIe et le IIIe, aient été composés avant la venue d’Hilaire en Orient. L’hypothèse est d’autant plus plausible qu’il n’y est pas fait mention de l’??????????. Par l? s’expliqueraient diverses particularités relevées par Watson, op. cit., Introd., c. I, p. XXXV, par exemple, que le l. Ve soit appelé second, l. V, col. 131, et que le l. IIIe soit en partie reproduit dans le IXe. L’auteur a su d’ailleurs ramener le tout à l’unité de plan, l. I, 20-36, col. 39-48 ; cf. l. VIII, col. 237.

Le traité comprend douze livres, dont le Ier forme introduction. Après avoir raconté comment il a été amené à la foi catholique, le saint docteur énonce son dessein : défendre, à l’aide des divines Ecritures, cette même foi contre les hérésies courantes, surtout le sabellianisme et l’arianisme. Dans le IIe ou le IIIe livre, il établit d’une façon succincte la réalité et la vraie notion des trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, en partant de la formule baptismale, Matth., XXVIII, 19, puis la distinction personnelle et l’unité de nature du Père et du Fils, en s’appuyant particulièrement sur l’Ego in Patre, et Pater in me est. Jean, XIV, 10. Avec le IVe livre commence une démonstration plus complète de la doctrine catholique sur la seconde personne ; l’arianisme est pris directement à partie, bien qu’Hilaire ait toujours soin de mettre en relief la distinction réelle du père et du Fils. Après avoir rapporté le symbole d’Arius, et rétabli, à l’encontre des fausses interprétations, le vrai sens du [col.2397 fin / col.2398 début] terme ??????????, il prouve d’abord la divinit? de Jésus-Christ par l’Ancien Testament : théophanies et textes prophétiques, l. IV ; passages où le Fils nous apparaît associé au Père dans des œuvres et des prérogatives divines, l. V. Il établit ensuite par les écrits du Nouveau Testament la consubstantialité des deux personnes en traitant successivement de deux points étroitement liés entre eux, mais susceptibles d’arguments distincts : la filiation éternelle du Christ et de sa divinité ; la première appuyée par les témoignages multiples que le Fils s’est rendus à lui-même où que d’autres lui ont rendus, l. VI ; la seconde manifestée par divers indices : nom de Dieu donné au Christ, propriété dont jouit tout fils naturel d’avoir la même nature que son père, puissance divine que révèlent les œuvres du Seigneur, unité absolue et ressemblance parfaite avec le Père, l. VII. La démonstration est complétée, au livre suivant, l. VIII, par l’éclaircissement du texte : Ut omnes unum sint, sicut tu, Pater, in me, et ego in te. Jean, XVII, 21, dont les ariens abusaient pour éluder la force de l’Ego et Pater unum sumus, Jean, X, 30 ; complétée aussi par différents passages du Nouveau Testament d’où ressort l’unité de substance entre le Père et le Fils, par exemple, ceux qui attribuent à l’un et à l’autre les mêmes relations à l’égard du Saint-Esprit. Les quatre derniers livres sont une confirmation indirecte par l’explication des textes objectés : l. IX, textes évangéliques où Notre Seigneur déclinerait lui-même le titre de Dieu ou des attributs divins, tels que l’omniscience, Marc, IX, 18 ; XIII, 32, et professait sa totale dépendance et son infériorité de nature par rapport au Père, Jean, XI, 9, et XIV, 28 ; l. X, textes attribuant au Christ des sentiments inadmissibles dans une personne divine, crainte et tristesse, douleur, anxiété et faiblesse, Matth., XXVI, 38-39 ; XXVII, 46 ; Luc, XXIII, 46, l. XI, textes relatifs au Sauveur ressuscité et maintenant en lui la subordination et l’infériorité par rapport au père ; l. XII, texte des Proverbes, VIII, 22 : Dominus creavit me, auquel se rattachaient les formules captieuses d’Arius : Erat quando non erat ; Non antequam nasceretur, etc. Le saint docteur termine cet ouvrage remarquable en résumant une dernière fois la doctrine catholique sur les trois personnes de la Trinité.

De synodis, P. L., t. X, col. 475-546, parfois rattaché au précédent, comme XIIIe livre, dans les anciens manuscrits. Coustant, Præf., 1, col. 471. En réalité, c’est un écrit distinct, composé après le tremblement de terre du 24 août 358, qui détruisit presque entièrement la ville de Nicomédie, et avant le choix définitif des deux endroits qui devaient lui être substitués pour la grande réunion d’évêques occidentaux et orientaux que l’empereur Constance avait décrétée, De synodis, 8, col. 483 ; par conséquent, sur la fin de 358, au plus tard au début de 359. Envoyé sous la forme de lettre aux évêques des provinces de Germanie, de Gaule et de Bretagne, cet écrit visait aussi, dans la pensée de son auteur, les homéousiens ; car, si le prélat exilé se proposait de renseigner ses collègues d’Occident sur la foi des Orientaux, il désirait en même temps poursuivre son œuvre de conciliation en faisant connaître les préjugés et les malentendus qui pouvaient exister de part et d’autre. De là, indépendamment du préambule, 1-8, deux parties dans cette lettre : l’une historique, 9-65, l’autre dogmatique, 66-91. Dans la première, qui s’adresse directement aux évêques occidentaux, Hilaire rapporte la seconde formule ou " blasphème " de Sirmium, puis les douze anathèmes lancés contre cette formule par les homéousiens au synode d’Ancyre, enfin il passe en revue les divers symboles émis, depuis le concile de Nicée, par les eusébiens ou leurs continuateurs, aux conciles d’Antioche in encæniis, de Sardique ou Philippopolis, de [col.2398 fin / col.2399 début] Sirmium en 351. Interprétant ces professions de foi d’après les erreurs qu’elles visaient directement et la préoccupation dominante chez les auteurs d’éviter le sabellianisme, le saint docteur s’efforce de montrer comment elles sont susceptibles d’un sens orthodoxe. Dans la seconde partie, il expose sa croyance, puis il se tourne vers les Orientaux, qui, d’un côté, se séparaient des ariens proprement dit et, de l’autre, récusaient le terme d’??????????, pour essayer de d?truire leurs préventions ; il explique le véritable sens du mot, en écartant les fausses interprétations, et montre aux homéousiens que, s’ils veulent soutenir leur ??????????? d’une fa?on orthodoxe, ils doivent nécessairement y voir un équivalent de l’?????????? nic?en. L’entente n’est possible qu’à cette condition : ut probari possit homœusion, non improbemus homousion, 91, col. 543.

Cet appel à l’entente sur une large base de conciliation, ou du moins la critique faite par Hilaire du terme ???????????, ne plut pas ? tous les nicéens, à Lucifer de Cagliari en particulier. Coustant, Præf., 9, col. 473 ; Krüger, Lucifer, Bischof von Calaris, Leipzig, 1886, p. 38 sq. Le docteur gaulois s’expliqua dans une réponse dont il ne nous reste que de maigres fragments : Apologetica ad reprehensores libri de synodis responsa, P. L., t. X, col. 545-548. Ces fragments montrent du moins que l’auteur du livre incriminé savait parfaitement distinguer entre ce qu’il appelle la pieuse acceptation de l’??????????? et les interpr?tations différentes qu’on pouvait donner de ce mot-programme. Un peu plus tard, en 359, saint Athanase publiait à son tour un De synodis. Voir t. I, col. 2157. La différence dans le but que les deux docteurs se proposaient et dans les circonstances où ils écrivirent, l’un avant, l’autre après les conciles de Rimini et de Séleucie, explique suffisamment, en dehors de toute divergence doctrinale, la diversité de ton et d’appréciation. Ibid., col. 1831 sq. ; Coustant, Præf., 5, 13, 14col. 474, 477. Saint Jérôme estimait assez l’œuvre d’Hilaire pour la copier de sa propre main, alors qu’il était à Trèves. Epist., V, ad Florentium, P. L., t. XXII, col. 337.

Ecrits dogmatiques apocryphes ou douteux. ? Quelques autres écrits ont été attribués à saint Hilaire, mais sans qu’aucun offre des garanties sérieuses. Les deux pièces : De Patris et Filii unitate ; De essentia Patris et Filii, P. L., t. X, col. 883-887, 887-888, sont de purs centons, provenant du traité De Trinitate, ou même d’autres auteurs. Sont tenus communément pour apocryphe : une sorte d’apologie, publiée au XVIIIe siècle par Trombelli, Epistola seu Libellus, P. L., t. X, col. 733-750 ; cf. dom G. Morin, dans Revue bénédictine, 1898, t. XV, p. 97 sq. ; Bardenhewer, Geschichte, t. III, p. 387 ; un Sermo de dedicatione Ecclesiæ, avec préface du même Trombelli, P. L., t. X, col. 877-884 ; une homélie, In Commemoratione S. Pauli, imprimée dans le Spicilegium de Liverani, Florence, 1863, p. 113 sq. Un extrait de traité sous forme de questions et de réponses relatives aux principales erreurs ariennes a été publié, en 1903, par le Dr H. Sedlmayer dans les Sitzungberichte de l’Académie impériale de Vienne, t. CXLVI, sous ce titre : Der Tractatus contra arianos in der Wiener Hilarius-Handschrift. La présence de ce fragment dans un manuscrit du VIe siècle qui renferme le De Trinitate, l’a fait attribuer à saint hilaire mais il n’existe aucune preuve tant soit peu concluante en faveur de cette attribution. Dom Morin, Hilarius l’Ambrosiaster, appendice, dans Revue bénédictine, 1903, t. XX, p. 125-131 ; Bardenhewer, op. cit., t. III, p. 379. Les Spuria, de saint Hilaire ont été édités par le P. Feder, dans le Corpus de Vienne, Leipzig, 1916, t. LXV.
 

II. ECRITS EXEGETQUES. ? 1° In Evangelium Matthæi commentarius en 33 chapitres, P. L., t. IX [col.2399 fin / col.2400 début] col. 917-1078. C’est le premier écrit de saint Hilaire que nous possédons ; il remonte au début de son épiscopat. Manque la préface, dont quelques lignes se trouvent dans les Fragments recueillis par Coustant, P. L., t. X, col. 723, citées d’après Cassien, De incarnatione, VII, 24, P. L., t. I, col. 251 ; de même, semble-t-il, la fin ou conclusion. L’ouvrage se présente sous la forme de livre, IX, 11, col. 1027, quoi qu’il en soit de la conjecture probable qui en rattache la première origine à des homélies prêchées aux fidèles. Coustant, Vita, 24 ; Admonitio, 8, col. 135, 912. L’auteur ne commente pas tout le texte évangélique, mais seulement certains passages, probablement ceux qui avaient été lus à l’église. Il s’en tient, sans discussion critique, à la seule version latine, en se préoccupant moins de la lettre que de l’esprit, et, quoiqu’il sache distinguer, dans les faits et les discours, le sens littéral du sens spirituel ou moral, c’est à ce dernier qu’il s’attache pour en tirer des considérations propres à instruire et à édifier. Par cette méthode d’interprétation allégorique, Hilaire se rapproche d’Origène, dont l’exégèse est souvent la même. Non pas qu’il faille voir dans le commentaire du docteur une traduction ni même une adaptation d’une œuvre du docteur alexandrin, le contraire est suffisamment prouvé par Coustant, Admonitio, 2, 3, col. 900 sq. ; mais on peut se demander s’il y a eu dès lors influence directe du second sur le premier. Les uns le nient, par exemple, Reinkens, op. cit., p. 70 sq., et Loofs, art. cit., p. 50 ; d’autres, comme Watson, op. cit., Introd., c. I, p. VII-VIII, ne croient pas pouvoir expliquer autrement les ressemblances qu’il est facile de constater. Les " capitula " ou " canones ", titres et sommaires mis en tête des chapitres, ne sont pas de saint Hilaire, ils ont été ajoutés après coup.

Tractatus super psalmos, P. L., t. X, col. 231-908 ; édit. nouvelle par A. Zingerle dans Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, Vienne, 1891, t. XXII. ? Ouvrage beaucoup plus considérable que le précédent, composé par saint Hilaire après son retour d’exil. Divers indices, en particulier les allusions à une lecture préalable des psaumes, In ps. XIII, 2 ; XIV, 1, col. 295, 299, permettent d’affirmer que l’exposition sous forme d’homélies précéda la rédaction sous forme de livre. Coustant, Admon., 23, col. 232. L’exemplaire dont se servait saint Jérôme, De viris illustr., 100, comprenait les psaumes I, II, LI-LXII, CXVIII-CL. ; les éditions modernes ont, en outre, les psaumes XIII, XIV LXIII-LIX, non contestés, et IX, XCI contestés, cf. Zingerle, p. XIV ; ce qui fait en tout 56 ou 58 psaumes, sans compter le Prologus ou Instructio psalmorum, où l’auteur expose ses principes sur l’interprétation des saintes Lettres. Fortunat paraît insinuer, Vita, 14, col. 193, que son prédécesseur avait commencé le psautier intégralement : Davidici carminis sermone cothurnato per singula reseravit. En tout cas, l’œuvre ne nous est point parvenue dans son intégrité, puisqu’il y a, dans les psaumes que nous possédons, des allusions à d’autres qui font défaut. Coustant, Admon., 4-7, col. 223 sq.

La méthode d’interprétation est la même que dans le commentaire de l’Evangile de saint Matthieu. Cependant deux particularités, dues sans doute au séjour d’Hilaire en Orient, sont à noter. Le commentateur se préoccupe davantage de dégager le sens littéral ; aussi a-til- recours à diverses traductions, latines et grecques, surtout à la version des Septante, et parfois mention est faite d’opinions diverses : Prolog., 1 ; In ps. LIV, 9 ; CXXIV, 1 ; col. 232 sq., 352, 679. En outre, la filiation origéniste est non seulement manifeste, mais assez notable qu’on puisse parler de paraphrase, de vulgarisation, d’adaptation, en entendant toutefois une adaptation large, où le [col.2400 fin / col.2401 début] disciple, poursuivant son propre but, garde son originalité et, à l’occasion, son indépendance. Watson, op. cit., p. XLIII sq. Si, mentionnant le commentaire sur les psaumes dans le De viris illustribus, saint Jérôme semble attribuer au docteur gaulois le rôle de simple " imitateur, ajoutant un peu du sien, nonnulla etiam de suo addidit ", ces paroles ne doivent pas se prendre trop à la lettre ; parlant ailleurs de saint Hilaire et de Victorin, le même critique substitue à l’idée de vulgaire interprète celle d’auteur pouvant se réclamer d’une œuvre personnelle : non ut interpretes, sed ut auctores proprii operis transtulerunt, Epist., LXXXIV, ad Pammachium, 7, P. L., t. XXII, col. 749. Cf. Coustant, Admon., 13, col. 227 ; Bardenhewer, op. cit., t. III, p. 374.

Tractatus in Job. ? Ce commentaire, dont il ne reste que deux fragments sans importance, P. L., t. X, col. 723-724, est signalé plusieurs fois par saint Jérôme, en particulier De viris illust., 100 : Tractatus in Job, quos de græco Origenis ad sensum transtulit. A en juger par ce que ce même docteur dit ailleurs, Apologia adv. libros Rufini, I, 2, P. L., t. XXIII, col. 399, le commentaire sur Job devait être assez étendu, puisque, avec le commentaire sur les psaumes, il représentait environ 40 000 lignes traduites d’Origène ; ce qui, d’après certains calculs, donnerait, pour le Tractatus in Job, à peu près les deux septièmes de du Tractatus super psalmos dans son état présent. Watson, op. cit., p. XL. Rien de certain sur l’époque où l’écrit fut composé. Dom Coustant conjecture, Vita, 44, col.145, qu’Hilaire l’aurait fait en Asie Mineure pour se consoler des souffrances et des peines de l’exil ; mais d’autres comme dom Rivet, Histoire littéraire de la France, t. I b, p. 182, et dom Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés, t. IV, p. 64, s’appuyant sur le terme d’homélies dont saint Jérôme et saint Augustin se sont servis en parlant de cet ouvrage, l’estiment composé à Poitiers, comme les autres commentaires.

Liber ou Tractatus mysteriorum. ? Signal? par saint Jérôme, De viris illustribus, 100, mais supposé perdu, cet écrit fut pendant longtemps une énigme. La plupart conjecturaient qu’il s’agissait d’une sorte de sacramentaire, dont le contenu se serait fondu dans des recueils liturgiques. Voir Coustant, Præf. gen., 23, col. 21 ; Rivet, op. cit., p. 191 ; Reinkens, op. cit., p. 267. En 1887, une heureuse découverte, faite par J.-F. Gamurrini, dans la bibliothèque d’Arezzo, restitua un peu plus du tiers de l’ouvrage, c’est-à-dire deux fragments notables, contenus dans un manuscrit du XIe siècle. En outre, cinq ou six passages ont été reproduits ou résumés par Pierre Diacre, Scolia in quæstionibus Veteris Testamenti ; voir Bibliotheca Casinensis, 1894, t. V a, et dom Wilmart, Le De mysteriis de St. Hilaire au Mont-Cassin, dans la Revue bénédictine, 1910, t. XXVII, p. 12. Enfin Bernon de Relchenau († 1048) a cite, Ratio generalis de initio adventus Domini secunaum auctoritatem Hilarii episcopi, P. L., t. CXLII, col. 1086 sq., un texte d’une quinzaine de lignes en le référant à un Liber officiorum qui s’identifie, en réalité, avec le Liber mysteriorum. Dom Wilmart, Le prétendu Liber officiorum de saint Hilaire et l’Avent liturgique, dans la Revue bénédictine, 1910, t. XXVII, p. 500

L’authenticité des fragments publiés par Gamurrini est incontestable, surtout depuis l’examen critique qui en a été fait en 1905 par H. Lindemann. Mais le Liber mysteriorum n’a rien à voir avec la liturgie ; il traite seulement de prophéties et d’actions ou de types symboliques. Aussi rentre-t-il dans la série des écrits exégétiques de l’évêque de Poitiers. Un principe est énoncé au début, qui en explique l’idée : " Tout ce qui est contenu dans les saintes [col.2401 fin / col.2402 début] Lettres se rapporte à la venue en ce monde de Notre Seigneur Jésus-Christ, soit en l’annonçant prophétiquement, soit en la figurant par des faits, soit en la confirmant par des exemples : et dictis nuntiat, et factis exprimit, et confirmat exemplis. Tels, le sommeil d’Adam, le déluge au temps de Noé, la bénédiction de Melchisédech, la justification d’Abraham, la naissance d’Isaac, la servitude de Jacob. Le printemps est appliqué, dans un Ier livre, aux patriarches depuis Adam jusqu’à Moïse ; dans un IIe, aux prophètes, le fragment conservé ayant pour objet Osée et l’épouse de fornication, puis Rahab, à propos d’Osée, I, 2. Hilaire dut composer cet écrit dans les dernières années de sa vie, car on y trouve quelques réminiscences du commentaire sur les Psaumes, et dans ce commentaire lui-même, In ps. CXXXVIII, 4, col. 795, le sujet traité dans le Liber mysteriorum est énoncé comme à l’état de projet.

Le P. Feder a édité le Tractatus mysteriorum, en tête du t. LXV du Corpus de Vienne, Leipzig, 1916.

Ecrits douteux ou apocryphes. ? Saint J?rôme nous apprend, De viris illustr., 100, que de son temps quelques-uns attribuaient à l’évêque de Poitiers un écrit sur le Cantique des cantiques, mais il ajoute ne pas connaître lui-même cet ouvrage. Malgré la citation, faite par le IIe concile de Séville, tenu en 619, d’un témoignage apporté à une " Exposition de l’Epître à Timothée " par saint Hilaire, P. L., t. X, col. 724, et malgré quelques autorités de date postérieure, cf. Reinkens, op. cit., p. 272, il ne semble pas que l’évêque de Poitiers ait été réellement l’auteur d’un commentaire sur les Epîtres de saint Paul. En tout cas, les fragments considérables d’un commentaire de ce genre qui ont été publiés par le cardinal Pitre, Spicilegium Solesmense, t. I, p. 49-159, n’ont pu être mis sous le nom de saint Hilaire que par une erreur, reconnue plus tard par l’éditeur ; l’œuvre est, en effet, de Théodore de Mopsueste. Bardenhewer, op. cit., t. III, p. 377. Le commentaire sur les sept Epîtres canoniques, qui se trouve imprimé dans le Spicilegium Solesmense, t. III, est de saint Hilaire d’Arles. Enfin l’on considère généralement comme apocryphes trois fragments publiés par le cardinal Mai, Nova Patrum Bibliotheca, Rome, 1852, t. I a : le 1er, sur le début de l’Evangile de saint Matthieu ou la généalogie de Notre Seigneur, p. 477-484 ; le 2e, sur le début de l’Evangile de saint Jena, ou la génération du Verbe, p. 484-489 ; le 3e, sur Matth., IX, 2 sq., ou la guérison du paralytique. Même jugement semble être porté sur un fragment relatif à la chute de nos premiers parents, Gen., III, 6-12, publié dans le Spicilegium Solesmense, t. I, p. 159-165.

A. Zingerle, Studien zu Hilarius von Poitiers Psalmencommentar, dans Sitzungsberichte de l’Académie de Vienne, 1885, et Der Hilarius-Codex von Lyon, 1893, t. CVIII et CXXVIII ; Zum hilarianischen Psalmencommentar, et Die lateinischen Bibelcitate bei S. Hilarius von poitiers, dans Kleine philologische Abhandlungen, 4e fasc., Inspruck, 1887, p. 55-75, 75-89 ; Fr. Schellhauf, Rationem afferendi locos litterarum divinarum, quam in tractibus super psalmos sequi videtur S. Hilarius, episcopus Pictaviensis, illustravit, Gratz, 1898 ; F. J. Bonnassieux, Les Evangiles synoptiques de saint Hilaire de Poitiers. Etude et texte (thèse de doctorat en théologie), Lyon, 1906 ; H. Jeannotte, Les " capitula " du Commentarius in Matthæum de S. Hilaire de Poitiers, dans Biblische Zeitschrift, Fribourg-en-Brisgau, 1912, t. X, p. 36-45 ; A. Souter, Quotations from the Epistles of saint Paul in St. Hilary on the Psalms, dans The journal of theological studies, Oxford, 1916, t. XVIII, p. 73-77 ; H. Jeannotte, Le Psautier de saint Hilaire de Poitiers, Paris, 1917.

J.-F. Gamurrini, S. Hilarii tractatus De mysteriis et Hymni et S. Silviæ Aquitanæ Peregrinatio ad loca sancta, Rome, 1887, dans Bibliotheca dell Academia storicogiuridica, t. IV-VI ; dom Fernand Cabrol, Les écrits inédits [col.2402 fin / col.2403 début] de saint Hilaire de Poitiers, dans la Revue du monde catholique, 1888, t. XCIII, p. 213-222 ; H. Lindemann, Des hl. Hilarius von Poitiers " liber mysteriorum ", Munster en Wesphalie, 1905 ; G. Mercati, A supposed Liber officiorum of Hilary of Poitiers, dans Journal of theological studies, Oxford, 1907, t. VII, p. 429 sq. ; The " three weecks’ advent " of Liber officiorum S. Hilarii, ibid., 1909, t. X, p. 127 sq. ; dom A. Wilmart, Le De mysteriis de saint hilaire au Mont-Cassin, et Le prétendu Liber officiorum de saint Hilaire et l’Avent liturgique, dans la Revue bénédictine, 1910, t. XXVII, p. 12-21, 500-513.

III. ECRITS HISTORICO-POLEMIQUES. ? 1° Ad Constantium Augustum, P. L., t. X, col. 557-572. ? Sous ce titre sont compris, dans les éditions courantes, deux pièces distinctes et dénommées Liber primus, Liber secundus. La seconde partie est intimement liée avec le séjour de saint Hilaire à Constantinople, au début de l’année 360 : Rogo, ut præsente synodo quæ nunc de fide litigat, 8, col. 569. C’est une requête adressée à Constance, et dont le contenu est suffisamment connu par ce qui a été dit plus haut, col.2393. La première partie se présente dans des conditions très différentes. Elle comprend une lettre collective à l’empereur, 2-5, suivie de réflexions sur les menées des ariens, 6-7, et d’un récit sur ce qu’il s’était passé récemment au synode de Milan de 355. Jusqu’à ces derniers temps on voyait dans cet écrit une apologie adressée à Constance par Hilaire ou par un concile gaulois tenu en 355 sous sa présidence. Mais dans une étude sur Le Ad Constantium liber primus, parue en 1907, dom A. Wilmart a établi que cet écrit contient une lettre adressée aux empereurs par le concile de Sardique, tenu en 343, lettre utilisée par l’évêque de Poitiers à titre de document historique, et que cette lettre est à réintégrer avec tout le reste dans les Fragmenta historica, comme pièces faisant partie intégrante d’un même recueil. Dès lors, la question rentre dans le problème général des Fragments historiques dont il sera traité plus loin, et le titre inexact : Ad Constantium liber primus, lequel du reste, ne figure pas dans le catalogue de saint Jérôme, doit être considéré désormais comme périmé.

Contra Constantium imperatorem, P. L., t. X, col. 573-603, avec une pièce additionnelle sur le mystère de la génération divine, col. 603-606. ? Ecrit adress? sous orme de lettre aux évêques gaulois, car l’appellation de " frères " avec les allusions faites au passé, n. 2, et le récit concernant le synode de Séleucie ne comportent pas d’autre interprétation ; les apostrophes directes à l’empereur relèvent manifestement du style oratoire. Coustant, Prævia dissert., 13, col. 576 ; cf. Vita, 80, P. L., t. IX, col. 102. Hilaire fait un appel vibrant à la résistance ouverte, sur le terrain de la foi, contre l’Antéchrist qu’est Constance. Cette attitude, différente de celle qu’il avait eue jusqu’alors, il la justifie en stigmatisant à grands traits la politique religieuse de l’astucieux et mobile empereur, depuis le synode d’Arles jusqu’au lendemain du concile de Séleucie. Le ton virulent de cet écrit, qui lui a fait donner souvent le titre d’Invective, s’explique par les évènements qui le provoquèrent ; il fut, en effet, composé après le synode tenu à Constantinople en janvier-février 360, alors que Constance, consacrant officiellement la suprématie homéenne, prétendit imposer à tous les évêques un credo impérial, la formule de Niké. Voir t. I, col. 1827, 1829. Saint Jérôme suppose, il est vrai, De viris illustr., 100, que l’écrit fut composé après la mort de Constance : et alius in Constantium, quem post mortem ejus scripsit ; mais cette hypothèse ne tient pas devant l’affirmation positive de l’auteur lui-même, car il parle du synode de Milan (355), comme ayant au lieu cinq ans auparavant, quinto abhinc anno. 2, col. 579. Etant donnés [col.2403 fin / col.2404 début] la nature et la destination de l’écrit, la distinction faite par d’autres entre la rédaction, qui serait de 360, et la publication, qui aurait été différée, est purement arbitraire. Dom Wilmart estime, loc. cit., p. 149, que le Contra Constantium " a probablement perdu sa finale, comme l’indique M. Loofs, et quoi qu’en pense dom Coustant, probablement aussi son intitulé ", assertion discutable, d’après Bardenhewer, op. cit., t. III, p. 386. La pièce additionnelle sur le mystère de la génération divine ne semble pas primitive, mais tirée du De Trinitate. Dom Wilmart, loc.cit., note 2, conjecture, après Dom Rivet, non sans quelque vraisemblance, que le traité de saint Hilaire, auquel se réfère Arnobe le Jeune, lorsqu’il cite une allocution du pape Célestin dans un concile tenu à Rome au commencement du mois d’avril 430 est le Ad Constantium imperatorem. G. Morin, Arnobe le Jeune, dans Etudes, textes, découvertes, etc., Maredsous et Paris, 1913, t. I, p. 345.

Le P. Feder a édité le Liber ad Constantium imperatorem, au t. LXV du Corpus de Vienne, Leipzig, 1916.

Contra arianos, vel Auxentium Mediolanensem, P. L., t. X, col. 609-618. ? Saint Jérôme signale cet écrit, De viris ill., 100 ; elegans libellus contra Auxentium. C’est une lettre adressée aux évêques et aux fidèles orthodoxes sur la fin de 364 ou au début de 365, dans les circonstances indiquées plus haut, col.2395. Après avoir dénoncé dans les ariens du jour, les Valens, les Ursace et les Auxence, des suppôts d’Antéchrist qui méconnaissaient l’esprit évangélique et ruinent l’intégrité de la foi, le saint docteur raconte ce qui s’est passé à Milan entre lui et Auxence ; en terminant, il transcrit, après en avoir montré le côté faible, la profession de foi de ce dernier, exemplum blasphemiæ Auxentii, 13-15.Manquent deux pièces de mentionnées au cours de l’écrit : un mémoire présenté par Hilaire à Valentinien, 7, et un document relatif aux actes du concile de Rimini, quæ gesta sunt in concilio Ariminensi, que l’évêque de Milan avait joint à sa profession de foi.

Ad præfectum Sallustium, sive contra Dioscorum. ? Le titre seul de ce m?moire, datant de 361-362, nous a été conservé par saint Jérôme, De viris illust., 100. La perte est d’autant plus regrettable que saint Hilaire y donnait sa mesure comme littérateur, quid in litteris posset ostendit, au jugement du docteur dalmate. Epist., LXX, ad Magnum, 5, P. L., t. XXII, col. 668.

Fragmenta ex opere historico, P. L., t. X, col. 627-724. ? Dom Coustant a group? sous cette appellation quinze documents, comprenant chacun une ou plusieurs pièces d’une grande importance pour l’histoire de l’arianisme vers le milieu du IVe siècle : actes conciliaires, professions de foi, lettres de papes, d’évêques et d’empereurs, avec quelques débris de glose intermédiaire. Ces documents furent d’abord recueillis par Pierre Pithou, d’après un manuscrit du XVe siècle, où ils formaient deux séries, la première anonyme, la seconde mise sous le nom de saint Hilaire, P. L., t. X, col. 619, 625. Nicolas Le Fèvre les publia à Paris en 1598, deux ans après la mort de Pithou. Dom Coustant reprit le travail dans son édition ; il abandonna la division en deux séries comme défectueuse, disposa les matériaux d’après un ordre chronologique plus rigoureux, et les donna pour fragments d’un ouvrage historique, commencé par l’évêque de Poitiers à Constantinople et continué par la suite, mais resté inachevé, ou du moins ne nous étant pas parvenu dans son intégrité. Præfat. in fragmenta, col. 621 sq. Enfin, il identifia l’ouvrage d’où ces fragments provenaient, avec un écrit mentionné par saint Jérôme, De viris illust., 100 : Liber adversus Valentem et Ursa- [col.2404 fin / col.2405 début] cium, historiam Ariminensis et Seleuciensis synodi continens. D’où ce titre général, col. 627, emprunté au manuscrit utilisé : Fragmenta ex libro sancti Hilarii Pictaviensis provinciæ Aquitaniæ, in quo sunt omnia quæ ostendunt [qua ratione] vel quomodo, quibusnam causis, quibus instantibus sub imperatore Constantio factus est Ariminense concilium contra formellam Nicæni Tractatus, quo universæ hæreses comprehensæ erant. Sans affirmer l’authenticité absolue de toutes les pièces, par exemple, celle de la lettre libérienne Studens paci (frag. IV, col. 678 sq. note), il en maintient l’authenticité relative ou hilarienne, et, avec saint Jérôme, Apologia adv. libros Rufini, III, 19, P. L., t. XXIII, col. 443, il écarta, Præf., 1, 4-8, col. 619 sq., l’hypothèse d’interpolations suggérée par un récit de Rufin, De adulteratione librorum Origenis, P. G., t. XVII, col. 628.

Ces conclusions ne furent pas universellement acceptées. Dans les Acta sanctorum, t. VI, septembris, Anvers, 1757, p. 754-780, le bollandiste Stilitink déclara tous les fragments apocryphes, sauf le premier. Pendant longtemps, beaucoup s’en tinrent à ce verdict ; Bardenhewer écrivait encore, Les Pères de l’Eglise, trad. Godet, 2e édit., Paris, 1905, t. II, p. 289 : " Il est probable que, sauf le premier morceau, tout cela est apocryphe. " D’autres, moins absolus, admettaient l’authenticité d’un certain nombre de fragments ; Reinkens, par exemple, celle des dix premiers. Certains, comme Massari, allaient jusqu’à faire un triage entre les différentes pièces d’un seul et même fragment, admettant les unes et rejetant les autres. La controverse portait surtout sur les fragments relatifs aux événements survenus après les conciles de Rimini et de Séleucie, et plus spécialement encore sur les fragments IV et VI, contenant les quatre lettres libériennes Studens paci, Pro deifico, Quia scio vos, Non doceo.

Des études récentes ont profondément modifié l’état de la question. En 1905, Max Schiktanz attira l’attention sur un manuscrit du IXe siècle, conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, cod. lat. 483, dont dépendent deux manuscrits moins anciens que Pithou et dom Coustant avaient utilisés. Les fragmenta historica n’y sont pas groupés en séries ; mais en tête de ce qui, dans l’édition de Pithou-Le Fèvre, forme la première série, on lit : Incipit liber secundus hilari pictaviensis, etc., et à la fin : Explicit saci hilari ex opere historico ; cf. Coustant, Præf., 2, P. L., t. X, col. 619, donnant, d’après une autre lecture : Incipit liber S. Hilarii. . . Explicit liber S. Hilarii. Schiktanz admit l’authenticité des onze premiers fragments, où sont compris ceux qui renferment les lettres libériennes ; il les partagea en deux groupes : d’un côté, fragments I, II, IV, VI, X, formant un écrit que saint Hilaire aurait publié en 360 ; de l’autre, fragments II, III, VIII, IX, V, VII, rattachés à un autre écrit sur le concile de Rimini qui daterait de 361-362. Les quatre derniers fragments étaient rejetés, comme postérieurs à l’époque où saint Hilaire aurait composé son ouvrage. Un an plus tard, B. Marx, signalait une dépendance littéraire manifeste, d’une part, entre plusieurs passages du Liber contra arianos de Phébade d’Agen (357 ou 358), P. L., t. XX, col. 13, et du De fide orthodoxa contra arianos (auteur incertain entre 360 et 370), P. L., t. XX, col. 31, de l’autre, entre des passages correspondants des deux premiers fragments hilariens et du Ad Constantium liber primus. Soumettant ensuite le contenu de ces dernières pièces à un examen approfondi, il jugea qu’elles étaient antérieures au Liber contra arianos et au traité De fide orthodoxa, et qu’elles se rattachaient à des évènements survenus avant l’exil de l’évêque de Poitiers.

S’inspirant de toutes ces données, dom Wilmart poussa les recherches plus avant dans deux études pu- [col.2405 fin / col.2406 début] bliées en 1907 et 1908, et proposa plusieurs conclusions notables. L’écrit intitulé couramment Ad Constantium liber primus n’a rien à voir avec un synode parisien qui se serait tenu en 355 ; en réalité, il nous restitue un document qu’on croyait perdu, la requête adressée en 343 aux empereurs par les évêques occidentaux du concile de Sardique. Le fragment I, préface d’Hilaire, le fragment II, encyclique de Sardique et synodale de ce concile au pape Jules, plus la requête de ce concile aux empereurs, c’est-à-dire le prétendu Ad Constantium liber primus, peut-être aussi le fragment V, lettre Obsecro, de Libère à Constance, et les deux premières lettres du fragment VI, qui sont de Libère aux évêques récemment proscrits à Milan et à Cécilien de Spolète, forment la substance d’un libelle historique, publié par l’évêque de Poitiers en 356, à la veille de son exil, pour se justifier lui-même et compenser l’inutilité de ses efforts en faveur de l’orthodoxie au synode de Béziers. A ce libelle s’ajoutèrent, en 361 et en 367, deux autres écrits qui comprenaient le reste des Fragmenta historica. L’ensemble semble avoir été désigné par saint Jérôme, De viris illust., 100, sous le titre de Liber adversus Valentem et Ursacium. Rufin en parle, loc. cit., quand il affirme que, pour ramener ceux des évêques qui avaient signé la perfide formule de Rimini, Hilaire composa un livre donnant sur toute l’affaire des renseignements complets, librum instructionis plenissimæ.

Les mêmes vues se retrouvent, un peu modifiées, surtout développées et plus largement synthétisées, dans un travail du P. Alfred Feder, S. J. Chargé d’éditer les Fragmenta historica et quelques autres menus écrits de saint Hilaire dans le Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum de Vienne, t. LXV, publié en 1916, il a préalablement étudié, en prenant pour base le codes de la bibliothèque de l’Arsenal, la tradition manuscrite, le contenu objectif et l’origine des Fragments, puis publié le résultat de ses fécondes recherches dans les Sitzungsberichte de l’Académie des sciences viennoise. Particulièrement intéressant, du point de vue qui nous occupe, est l’essai de reconstruction partielle fait par l’auteur, Append., V, p. 185, et qui résume en quelque sorte ses principales conclusions. L’ouvrage primitif aurait porté le nom d’Opus historicum adversus Valentem et Ursacium, et compris trois livres, composés successivement et publiés, le premier, en 356, après le synode Béziers ; l’autre, dans l’hiver de 359-360, après les conciles de Rimini et de Séleucie ; le troisième, en 367, après le retour à l’orthodoxie de Germinius, évêque de Sirmium, par conséquent dans les derniers mois de la vie d’Hilaire ou immédiatement après sa mort. Ces dates de publication et les dates assignées à diverses pièces entraînent quelques changements dans la distribution des fragments. Livre Ier : fragments I et II ; pseudo Ad Constantium liber primus ; très probablement aussi fragment III, encyclique des Orientaux de Sardique. Livre II : fragments X, lettre des Orientaux de Séleucie aux députés de Rimini ; très probablement, fragments IV à IX, diverses lettres du pape Libère et pièces relatives aux conciles de Rimini et de Niké. Livre III : documents relatifs à la réaction nicéenne en Occident, après le concile de Rimini : synodale de l’assemblée de Paris aux Orientaux ; lettres d’Eusèbe de Verceil à Grégoire d’Elvire, du pape Libère aux évêques d’Italie et de ceux-ci aux Illyriens ; confession homéousienne de Germinius de Sirmium ; synodale de Singidunum ; lettre de Germinius à ses collègues de Pannonie pour leur annoncer son adhésion à la foi nicéenne. L’Opus historicum s’identifie, partiellement du moins, avec les écrits mentionnés par saint Jérôme et par Rufin. Les Fragments ne sont pas les matériaux d’une œuvre que son auteur n’aurait pas achevée : [col.2406 début / col.2407 fin] ce sont des extraits, faits en Italie, dès avant la fin du IVe siècle, semble-t-il, par un anonyme qui les aurait accompagnés de notes marginales et qui se proposait sans doute d’en tirer parti pour un nouvel exposé de la controverse arienne. Rien dans la tradition manuscrite n’autorise à distinguer entre fragments et fragments, quand il s’agit de la provenance ou de l’authenticité hilarienne.

Cette dernière assertion tire une grande importance de son application aux quatre lettres si discutées du pape Libère : Studens paci, où il accepte la communion des évêques orientaux et brise avec saint Athanase, Fragm. IV, col. 679 ; Pro deifico timore, où il accentue la même attitude et proclame, en outre, son adhésion à une profession de foi admise à Sirmium par plusieurs de ses frères dans l’épiscopat, Fragm. VI, col. 689 ; Quia scio vos et Non doceo, où les mêmes assertions se retrouvent avec l’expression d’un vif désir de rentrer à Rome. Ibid., 8, 10, col. 693-695. Le P. Feder estime que, du point de vue critique, l’authenticité hilarienne des fragments IV et VI n’est pas moins établie que celle des autres, et qu’il n’y a pas lieu d’admettre l’hypothèse d’interpolations lucifériennes, en ce qui concerne les quatre lettres du pape Libère ni celle d’Eusèbe de Verceil à Grégoire d’Elvire. Fragm. XI, 5, col. 713. Il importe seulement de remettre les documents à leur place et à leur date dans l’histoire. Ainsi, la lettre Studens paci, où l’abandon de saint Athanase par Libère est présenté comme un fait accompli, contient une donnée manifestement fausse, quand on la suppose écrite en 362 ; de là vient que tant d’auteurs ont conclu directement contre l’authenticité de cette lettre, et indirectement contre celle des trois autres, étant donné l’étroite parenté littéraire des quatre. La question est tout autre, si la lettre Studens paci n’est pas de 362, mais, comme les trois autres, de 367, d’après une rectification proposée par Schiktanz, admise ensuite et habilement défendue par Mgr Duchesne dans son étude sur Libère et Fortunatien. A quoi s’ajoute la phrase du Contra Constantium, 11, col. 589, où, par allusion à la manière dont s’était fait le retour de Libère à Rome, Hilaire dit à l’empereur : " Malheureux, dont je ne sais dire si tu as commis un plus grand crime en le renvoyant à Rome qu’en l’envoyant en exil ! " D’ailleurs l’authenticité hilarienne des fragmenta historica n’exclut pas l’hypothèse d’interpolations tendancieuses et de moindre importance, dues probablement à celui qui, à l’origine, fit les extraits ; tels, par exemple, à la fin des lettres Pro deifico timore et Quia scio, les anathèmes contre le pape. Fragm. VI, 6, 9, col. 691, 694.

Après avoir exposé toutes ces conclusions, Bardenhewer ajoute, Geschichte, t. III, p. 384 : " Naturellement le dernier mot n’est pas encore dit sur ces conjectures. " Rien de plus légitime que cette réserve, admise par le P. Feder lui-même, quand, résumant les résultats de son enquête, Append. I, p. 151, il distingue soigneusement le certain du probable. Plusieurs points semblent acquis : existence de deux écrits historico-polémiques, composés l’un à la suite du synode de Béziers, l’autre après les conciles de Rimini et de Séleucie ; l’identification de ces deux écrits, ou du moins du second, avec le Liber adversus Valentem et Ursacium ; insertion dans le premier écrit, comme partie intégrante, du Ad Constantium liber primus. Les autres points restent plus ou moins dans le domaine de la conjecture et de la discussion. Ainsi en est-il de l’attribution de certains fragments à tel groupe plutôt qu’à tel autre, comme le prouvent assez les combinaisons partiellement différentes du P. Feder, loc. cit., de dom Wilmart, L’Ad Constantium liber primus, p. 296 ; La question du pape Libère, p.36, et de dom Chapman, The contested letters of pape [col.2407 fin / col.2408 début] Liberius, p. 328 sq. Ainsi en est-il de la réduction des trois groupes ou documents à un seul ouvrage d’ensemble qu’on suppose totalement achevé ; car l’absence complète de glose narrative dans les fragments du dernier groupe permet de se demander avec M. Schanz, Geschichte der römischen Litteratur, IVe part., t. I, p. 266 sq., s’il ne faudrait pas y voir des pièces justificatives attendant une mise en œuvre plutôt que la troisième partie d’un ouvrage achevé. Ainsi en est-il surtout de la question d’authenticité en ce qui concerne les lettres du pape Libère ; car la controverse demeure, comme l’attestent les récentes critiques de dom Chapman et des Pères Savio et Sinthern, soit qu’il s’agisse de l’authenticité absolue, soit qu’il s’agisse de l’authenticité relative, c’est-à-dire de la provenance hilarienne des fragments où ces lettres sont contenues. Et certes, il faut bien reconnaître que les narrativus textus faisant suite suite aux lettres Studens paci et Pro deifico timore. Fragm. IV, 2, et VI, 7, col. 681, 692, présente de réelles difficultés, s’il est pris tel quel et comparé au contenu des lettres ou aux sentiments de saint Hilaire connus par ailleurs.

Il n’en reste pas moins vrai que, dans leur ensemble, et peut-être dans leur totalité, moralement parlant, les Fragmenta historica sont une œuvre du docteur gaulois et qu’ils fournissent sur l’histoire de l’arianisme à son époque des informations d’autant plus précieuses qu’un grand nombre des documents conservés dans cette collection ne se trouvent pas ailleurs.

Stiltincg, Acta sanctorum, t. VI, septembris, Anvers, p. 754-780 ; J. Masseri, Sopra i frammenti attribuiti a S. Hilario, dans Zaccaria, Racolta di dissertazioni de storia ecclesiastica, 2e édit., Rome, 1841, t. III, diss. V, p. 38-46 ; Reinkens, op. cit., l. II, c. X, p. 210 sq. ; M. Schiktanz, Die Hilarius-Fragmente (thèse de doctorat), Breslau, 1905, B. Marx, Zwei Zeugen für die Herkunft der Fragmente 4 (?) und 2 des sog. Opus historicum S. Hilarii, dans Theologie Quartalschrift, Tubingue, 1906, t. LXXXVIII, p. 390-406 ; dom A. Wilmart, L’Ad Constantium liber primus de S. Hilaire de Poitiers et les Fragments historiques, dans la Revue bénédictine, 1907, t. XXIV, p. 149-179, 293-317 ; Id., Les Fragments historiques et le synode de Béziers en 356, ibid., 1908, t. XXV, p. 225-229 : A. Le Feder, Studien zu Hilarius von Poitiers. I. Die sogenannte Fragmenta historica un der sog. Liber I ad Constantium Imperatorem. II. Bischofsnamen und Bischofsstize dei Hilarius, dans Sitzungsberichte der K. Academie der Wissenschaften in Wien, Phil. hist. Klasse, Vienne, 1910, 1911, t. CLXV, 4e fasc. ; t. CLXVI, 5e fasc. ? En particulier, sur la question du pape Libère en connexion avec les Fragments IV et VI ; L. Saltet, La formation de la légende des papes Libère et Félix, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, Toulouse, 1905, p. 229-236 ; Les lettres du pape Libère de 357, ibid., 1907, p.279-289 ; F. Savio, La questione di papa Liberio, c. V, Rome, 1907 ; Mgr Duchesne, Libère et Fortunatien, dans les Mélanges d’archéologie et d’histoire, publiés par l’Ecole française de Rome, 1908, t. XXVIII, p. 31-78 ; P. Sinthern, De causa papæ Liberii, dans Slavorum litteræ theologiæ, Prague, 1908, t. IV, p. 137-185 ; dom A. Wilmart, La question du pape Libère, dans la Revue bénédictine, 1908, t. XXV, p. 360-367 ; F. Savio, Novi studi sulla questione di papa Liberio, Rome, 1909, § 7 sq. ; dom J. Chapman, The contested letters of pape Liberius, dans la Revue bénédictine, 1910, t. XXVII, p. 32, 172, 325 ; F. Savio, Punti controversi nella questione des papa Liberio, Rome, 1911, § 6.

Lettres et hymnes. ? Parmi les écrits d’Hilaire, saint Jérôme mentionne quelques lettres : nonnullæ ad diversos epistolæ. Abstraction faite de l’opinion émise par dom Chapman, art. cité, p. 331, d’après qui les fragments I, II, III et l’Adversus Constantium liber primus auraient formé une lettre adressée en 356 aux évêques gaulois, il ne reste plus en ce genre que l’Epistola ad Abram filiam suam, suivie de l’hymne Lucis largitor optime, P. L., t. X, col. 549-554.L’authenticité de cette lettre, niée par Erasme et plusieurs autres, a été maintenue par dom Coustant, Admo- [col.2408 fin / col.2409 début] nitio, col. 547 ; le docte bénédictin admet, cependant, une certaine différence entre le contenu de la lettre telle que nous la possédons et le résumé que, dans sa Vita S. Hilarii, I, 6, P. L., t. IX, col. 188, Fortunat donne la lettre, portant la signature du saint docteur, laquelle, affirme-t-il, se conservait encore de son temps à Poitiers. Actuellement, la plupart des critiques sont défavorables à l’authenticité de la lettre imprimée par Coustant ; quelques-uns étendent ce jugement à la lettre mentionnée par Fortunat, par exemple, B. Krusch, Fortunati opera pedestria, p. VI, dans Monumenta Germaniæ historica. Auctorum antiquissimorum, Berlin, 1885, t. IV b. D’où l’expression de fille légendaire ou imaginaire dont se sont servis divers auteurs en parlant d’Abra. D’autres, comme Reinkens, op. cit., p. 232, et Bardenhewer, Geschichte, t. III, p. 387, estiment que les difficultés d’ordre intrinsèque, tirées du genre et du style peu hilariens de la lettre actuelle, ne valent pas contre la lettre primitive, à en juger par le résumé de Fortunat. De même l’hypothèse d’après laquelle aurait été fabriquée pour mettre sous le nom d’Hilaire, l’hymne Lucis largitor optime est sans valeur, quand il s’agit de la lettre primitive, puisque dans le résumé de Fortunat, il n’est question ni de cette hymne ni d’aucune autre. A plus forte raison a-t-on le droit de ne pas reléguer dans le domaine de la légende la fille d’Hilaire, honorée d’un culte public de 12 décembre, sous le nom d’Abra ou Apra. Auber, Vie des saints de l’Eglise de Poitiers, Poitiers, 1858, p. 542 ; Acta sanctorum. Tabulæ generales, dans l’Elenchus des prætermissi, p. 398 ; S. Apra filia S. Hilarii Pictavis. 13 déc.

La question des Hymnes est d’une portée plus générale. Saint Jérôme en attribue à l’évêque de Poitiers, dans son catalogue, De viris illust., 100 : et liber hymnorum. En 633, le IVe concile de Tolède sanctionna l’usage de chanter dans les offices ecclésiastiques des hymnes à la louange de Dieu et en l’honneur des apôtres et des martyrs, " comme celles que les bienheureux Hilaire et Ambroise ont composées " Mansi, Concil., t. X, col. 622. Vers la même époque, saint Isidore de Séville, De ecclesias. officiis, I, 6, P. L., t. LXXXIII, col. 743, revendique pour l’évêque de Poitiers la gloire de s’être distingué le premier dans ce genre de composition, hymnorum carmine floruit primus. La généralité de ces affirmations a favorisé les attributions conjecturales ou purement arbitraires, surtout avant que la découverte du manuscrit d’Arezzo, en 1887, eût fourni à la critique des bases d’appréciation plus solides. Jusqu’alors, diverses hymnes avaient été mises sous le nom de saint Hilaire : sept, par Daniel, Thesaurus hymnologicus, t. I, n. 1-7 ; huit, par Wrangham, dans Julian Dictionary of hymnology, p. 522 ; neuf, par d’autres. En premier lieu viennent trois hymnes, dont l’une : Lucis largitor splendide, en huit strophes, a été publiée par Coustant en appendice à l’Epistola ad Abram, P. L., t. X, col. 551, et identifiée par lui avec l’hymne du matin qu’Hilaire annoncerait à sa fille, en même temps qu’une hymne du soir, à la fin de sa lettre : Interim tibi hymnum matutinum et serotinum misi. L’hymne du soir serait, d’après quelques-uns l’Ad cæli clara non sum dignus sidera, formant un abécédaire de vingt-trois strophes avec une doxologie. Coustant, qui ne la considérait pas comme étant de saint Hilaire, en a rapporté seulement quatre strophes, P. L., t. X, col. 553 sq. ; on la trouve complète dans diverses collections : Mai, Nova Patrum bibliotheca, t. I, p. 491 ; A. Daniel, Thesaurus hymnologicus, t. IV, p. 127 ; E. Duemmler, Monumenta Germaniæ historica. Poetæ latini ævi Carolini, t. I, p. 147 ; Pitra, Analecta sacra et classica, t. V, p. 138 ; Dreves, Analecta hymnica medii ævi, t. I, p. 148. De ces deux hymnes on peut [col.2409 fin / col.2410 début] rapprocher un autre : Hymnum dicat turba fratrum, comme la précédente dans plusieurs collections : Tommasi, Opera, t. II, p. 405 ; Daniel, Thesaurus, t. I, p. 193 ; Cl. Blume, Die hymnen des Thesaurus hymnologicus H. A. Daniels und anderer Hymnus-Ausgaben, t. I, p. 264 etc. Viennent ensuite trois hymnes du bréviaire mozarabique : Deus Pater ingenite, In matutinis surgimus, Jam meta noctis transit, P. L., t. LXXXVI, col. 201, 205, 939 ; Cl. Blume, Die mozarabischen Hymnen, p. 71, 102 ; de même, trois hymnes du bréviaire romain, relatives à l’Epiphanie, au carême et à la Pentecôte : Jesus refulsit omnium, Jesu quadragenariæ, Beata nobis gaudia, reproduites par Cl. Blume, Die Hymnen des Thesaurus hymnologicus, t. I a, p. 51, 58, 97. Pour le dossier bibliographique de toutes ces hymnes voir U. Chevalier Repertorium hymnologicum, Louvain, 1892 sq., passim, d’après la première lettre des Incipit.

La découverte de Gamurrini apporta dans le débat un élément nouveau ; car, au traité De mysteriis s’ajoutaient des hymnes dans la reproduction qu’il donna du manuscrit d’Arezzo, p.28 : Incipiunt hymni eiusdem. . . Malheureusement cette seconde partie n’est pas mieux conservée que la première ; elle contient seulement trois hymnes, et toutes incomplètes, à tel point qu’on peut se demander si nous possédons représente le quart du recueil primitif. La provenance hilarienne, d’abord contestée, voir Watson, op.cit., p. XLVII semble aujourd’hui communément admise. Bardenhewer. Geschichte, t. III, p. 388. Le texte, donné par Gamurrini, a été plusieurs fois révisé et amendé : en 1904, par Mason, The first latin christian poet ; en 1907, par Dreves, Analecta hymnica, t. I ; en 1909, par W. Meyer, Die drei arezzaner Hymnen. Le P. Feder l’a reproduit dans le Corpus scriptorum, t. LXV, p. 209 sq. Les trois hymnes ont pour objet l’Homme-Dieu et son œuvre rédemptrice. Dans la première, le poète chante, d’une façon incisive, mais un peu sèche et parfois abstruse, la génération éternelle du Verbe et ses rapports avec Dieu le Père. La pièce comprend vingt strophes acrostiches alphabétiques, allant des lettres A à T. Les strophes sont de quatre vers et se composent, en général, de glyconiens et d’asclépiades qui s’entrecroisent ; par exemple, la seconde strophe :

Bis nobis genite Deus,

Christe, dum innato nasceris a Deo,

vel dum corporeum et Deum

mundo te genuit virgo puerpera.

Dans la seconde pièce, Hilaire met en scène, semble-t-il l’âme d’un néophyte régénéré le jour de Pâques, et lui fait célébrer la glorieuse résurrection du Sauveur, prélude et gage de notre future victoire sur la mort. Comme la précédente, cette hymne est acrostiche alphabétique, comptant dix-huit strophes allant des lettres F à Z. Les strophes sont de deux vers ïambiques trimètres ; exemple, la deuxième strophe, qui trompa Gamurrini en lui faisant attribuer la composition de cette pièce à une femme, peut-être Florentia :

Renata sum ? o vit? lætæ exordia ?

novisque vivo christiana legibus.

Dans la dernière pièce, le poète, se proposant de chanter les combats et les triomphes du second Adam, présente Satan d’abord victorieux du genre humain, puis troublé à la venu du Christ ; les strophes absentes devaient dépeindre la victoire de ce dernier. Sujet tout à fait conforme aux idées émises par le docteur gaulois, In ps. LXV, 1, P. L., t. IX, col. 425 sq., alors qu’il fait devant ses Poitevins l’éloge des chants ecclésiastiques. Il reste de cette hymne neuf strophes et [col.2410 fin / col.2411 début] demie, dont chacune compte trois vers trochaïques de sept pieds et demi ; c’est le rythme que Fortunat imitera plus tard, dans le Pange lingua gloriosi lauream ceriaminis. Exemple la première strophe, d’après la leçon de W. Meyer :

Adæ carnis gloriosa et caduci corporis,

in cælesti rursum Adam concinamus prælia,

per quæ primum Satanas est Adam victus in novo.

On a relevé dans ces pièces des irrégularités et des licences : ce qui a fait dire à Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, 2e édit., t. II, p. 292, que, pour nier la provenance hilarienne d’une hymne contestée, " on est mal venu d’arguer de l’incorrection prosodique ". Mais il semble aussi que, pour porter un jugement équitable, il faille tenir compte de la prédominance de l’accent tonique sur la quantité et des modifications survenues dans la prononciation et ayant amené, par voie de conséquence, des changements radicaux dans la prosodie. Mason, art. cit., p. 423 sq. ; dom J. Parisot, Hymnographie poitevine, p. 12. On comprend, du reste, que ces premiers essais de poésie sacrée n’aient pas joui d’un succès durable ; malgré l’élévation de la pensée et la vigueur de l’expression, les hymnes conservés dans le manuscrit d’Arezzo manquaient des qualités qui font les chants populaires.

Des autres hymnes attribués à l’évêque de Poitiers, il n’en est pas une seule dont l’authenticité soit communément admise. Six n’ont aucun titre réel à figurer parmi les œuvres de saint hilaire. Tel est le cas pour les trois hymnes du bréviaire mozarabique ; l’attribution de ces pièces au docteur gaulois vient d’une méprise de Daniel dans l’interprétation d’une référence donnée par Tommasi. Tel est également le cas pour les trois hymnes du bréviaire romain. Voir Cl. Blume, Die mozarabischen Hymnen, p. 49 sq. ; A. S. Walpole, Hymns attributed to Hilary of Poitiers. Restent les trois autres. Malgré la faveur dont a joui, pendant longtemps auprès de beaucoup, " l’hymne du matin ", qu’Hilaire aurait envoyé à sa fille Abra, Lucis largitor splendide, l’authenticité de cette pièce a été contestée de nos jours par divers critiques, Reinkens, Watson, Walpole, etc. Blume et Dreves l’ont définitivement rejetée, Hymnologische Beiträge, t. III, p. 84 sq., pour des raisons intrinsèques et extrinsèques. L’hymne Ad cæli clara non sum dignus sidera, donnée pour hilarienne par Pitra et plusieurs autres, offre bien dans la facture quelques traits de parenté avec la première du manuscrit d’Arezzo, mais ces faibles indices sont accompagnés de dissemblances et de particularités qui semblent témoigner d’une époque moins ancienne et font attribuer la pièce à Paulin II d’Aquilée († 802). Dreves, Analecta, t. I, p. 151. La dernière hymne, Hymnum dicat turba fratrum, se présente dans de meilleures conditions : au IXe siècle, Hincmar de Reims en cite deux vers sous le nom de saint Hilaire, De una et non trina deitate, p. L., t. CXXV, col. 486, et elle est attribuée au même docteur dans plusieurs manuscrits remontant jusqu’au VIe siècle. Aussi l’authenticité est-elle maintenue par Blume, Analecta, t. LI, p. 269 sq., et quelques autres critiques, comme dom Parisot, Walpole et Dreves, malgré une vive opposition, représentée surtout par W. Meyer, Das Turiner Brückstück der ältesten irischen Liturgie, p. 207 ; Die drei Arezzaner Hymnen, p. 423. La pièce figure dans le volume du Corpus édité par le P. Feder, p. 217, sous la rubrique : Hymnus dubius.

En dehors des hymnes précédentes, deux autres chants sacrés ont été rattachés au nom de saint Hilaire par quelques auteurs anciens : le Gloria in exelcis Deo, par le pseudo-Alcuin, De divinis officiis, 40, P. L., t. CI, col. 1248 ; le Te Deum laudamus, par saint Abbon de Fleury († 1004). Questiones grammaticales, 19, [col.2411 fin / col.2412 début] P. L., t. CXXXIX, col. 532 ; cf. Coustant, Præf. gen., 21, 22, P. L., t. IX, 21 ; Mgr Cousseau, Mémoire sur le Te Deum (1836) dans Œuvres historiques et archéologiques, Paris, 1891, t. I, p. 269-286. Mais ni l’une ni l’autre de ces attributions n’est recevable. L’hymne angélique est antérieur à saint Hilaire ; il est seulement probable qu’il l’ait traduite du grec en latin et introduite d’Orient en Occident. Cl. Blume, Der Engelhymnus Gloria in exelcis Deo, dans Stimmen aus Maria-Laach, 1907, t. LXXIII, p. 45, 62. Pour ce qui est du Te Deum, l’affinité d’expressions ou de pensées qu’on relève entre tel ou tel verset, et tel ou tel passage du De Trinitate, par exemple, III, 7, col. 79, est manifestement insuffisante pour établir une relation de dépendance en faveur du docteur gaulois. Dom G. Morin, L’auteur du Te Deum, et Nouvelles recherches sur l’auteur du Te Deum, dans la Revue bénédictine, 1891, t. VII, p. 154 sq. ; 1894, t. XI, p. 54 ; dom P. Cagin, Te Deum ou Illatio ? p. 113, 172, 179, 197, dans Scriptorium Solesmense, Appeldurcomb, 1906, t. I a.

Mentionnons enfin deux écrits poétiques mis parfois, mais à tort, sous le nom de saint Hilaire. Le premier intitulé : In Genesim, ad Leonem papam, est un poème de 198 hexamètres sur l’origine du monde, la chute de l’homme et le déluge, imprimé avec les œuvres de saint Hilaire d’Arles, P. L., t. I, col. 1287-1292. L’autre écrit, fragmentaire, De evangelio, est un poème où la naissance du Sauveur et l’adoration des Mages sont célébrés en 114 hexamètres ; il fut publié d’abord, en 1836, par H. C. M. Rittig, puis, en 1852, par Pitra, Spicilegium Solesmense, t. I, p. 166-170. R. Rieper, qui a réédité les deux poèmes dans le Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, Vienne, 1891, t. XXIII, p. 231-239, 270-274, les attribue l’un et l’autre à un Hilaire qui aurait été le contemporain et le compatriote de son homonyme, le saint évêque d’Arles. Bardenhewer, Geschichte, t. III, p. 389 sq.

B. Hoelscher, De SS. Damasi papæ et Hilarii episc. Pictaviensis qui feruntur hymnis sacris. (Programme), Munster, 1858 ; Reinkens, op. cit., p. 309-318, J. Kayser, Beiträge zur Geschichte und Erklärung der Kirchenhymnen, Paderborn, 1866 ; 2e édit., 1881, p. 52-88 ; S. W. Duffield, Hilary of Poitiers and the earliest latin hymns, dans The presbyterian review, New York, 1883, t. IV, p. 710-722 ; J. F. Gamurrini, S. Hilarii Tractatus de mysteriis et Hymni, Rome, 1887 ; dom F. Cabrol, Les écrits inédits de saint Hilaire de Poitiers, 1888, loc. cit., G. M. Dreves, Das Hymnenbuch des hl. Hilarius, dans Zeitschrift für katholische Theologie, Inspruck, 1888, t. XII, p. 358-369 ; dom J. Parisot, Hymnographie poitevine. I. Saint Hilaire, Ligugé, 1898 ; W. Meyer, Das Turiner Bruchstück der ältesten irischen Liturgie, dans Nachrichten von der Königl. Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Philosogisch-historische Klasse aus dem Jahre 1903, Gœttingue, 1904, p. 165-214 ; A. J. Mason, The first latin christian poet, dans Journal of theological studies, Oxford, 1904, t. V, p. 413-422 ; A. S. Walpole, Hymns attributed to Hilary of Poitiers, ibid., 1905, t. VI, p. 599-603 ; Cl. Blume et G. M. Dreves, Analecta hymnica medii ævi, t. XXVII, Die mozarabischen Hymnen des altspanischen Ritus, p. 49 sq., 71, 102 ; Lateinische Hymnendichter des Mittelalters, ibid., t. I, p. 3-9, 151 ; Die Hymnen des Thesaurus Hymnologicus H. A. Daniels und anderer Hymnen-Ausgaben. I. Die Hymne des 5-11 Jahr. und die Irish-Keltische Hymnodie, ibid., t. LI, p. 9 sq., 51, 58, 97, sq., 264 sq., 269 ; Id., Hymnologische Beiträge, Leipzig, 1908, t. III, p. 84-86 ; W. Meyer, Die drei Arezzaner Hymnen des Hilarius von Poitiers und Etwas über Rhythmus, dans Nachrichten von der K. Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen. Philol.-hist. Kl., 1909, p. 37, p.397-423.

Saint Hilaire comme écrivain. ? L’évêque de Poitiers a sa place dans l’histoire de littérature et de l’éloquence chrétienne au IVe siècle. Tous lui reconnaissent d’éminentes qualités : l’élévation et [col.2412 fin / col.2413 début] l’originalité dans la conception et dans la manière de traiter les questions, la vigueur dans le raisonnement, une conviction intime et persuasive, une certaine impétuosité qui l’a fait appeler par saint Jérôme, Comment. in Epist. ad Gal., l. II, præf., P. L., t. XXVI, col. 355, " le Rhône de l’éloquence latine ". Rhéteur, il usa résolument des ressources que son art lui fournissait, non par pédantisme, mais par conscience professionnelle et par esprit apostolique, pour mieux gagner ses lecteurs à la doctrine qu’il soutenait. Aussi, dans une invocation qu’il adresse à Dieu, De Trinitate, I, 38, col. 49, demande-t-il non seulement la lumière de l’intelligence et l’attachement inviolable à la vérité, mais encore la propriété des termes et la noblesse de l’expression, verborum significationem dictorum honorem. Saint Jérôme pense, Epist., LXX, ad Magnum, 5, P. L., t. XXII, col. 668, que, dans les De Trinitate, Hilaire s’est inspiré des Institutiones de Quintilien, pour le style comme pour la division de l’ouvrage en douze livres. Des études récentes ont montré la justesse de ce jugement ; voir en particulier H. Kling, De Hilario Pictaviensis artis rhetoricæ ipsiusque, ut fertur, institutionis oratioræ Quintilianæ studioso, avec tableau comparatif, p. 20 sq. Hilaire est réellement de l’école du grand maître par le caractère serré, vif et nerveux de son style, comme par les fleurs de rhétorique dont il l’orne ; mais il est loin de rester au niveau de son modèle, soit pour la pureté et la sobriété de la diction, soit pour la sûreté et la délicatesse du goût littéraire. Vivant en Gaule et à une époque de décadence, où un genre artificiel et maniéré était à la mode, l’évêque de Poitiers partagea moins pourtant que beaucoup de ses contemporains les défauts communs : déploiement excessif de la symétrie et de l’antithèse, abus de l’apostrophe, emploi d’expressions trop elliptiques ou, au contraire, de périodes surchargées et compliquées. Souvent, il est vrai, l’obscurité vient plutôt de la hardiesse et de la profondeur de la pensée, mais parfois elle tient au vague ou à l’élasticité de termes non définis, à des antilogies apparentes dont rien ne facilite la solution, à la facilité avec laquelle, dans l’usage des mots, l’auteur passe d’une acception propre à une acception figurée ou d’un sens absolu à un sens relatif. Le jugement porté par saint Jérôme, Epist., LVIII, ad Paulinum, 10, P. L., col. 585, a certainement sa part de vérité : " Saint Hilaire se dresse sur le cothurne gaulois, et, comme il se pare des fleurs de la Grèce, il s’engage parfois dans de longues périodes ; ses ouvrages ne sont pas faits pour des lecteurs d’une portée médiocre. " Appréciation qui ne va nullement, dans la pensée du docteur dalmate, à dénigrer un homme qu’ailleurs, Comment. in Is., l. VIII, præf., P. L., t. XXIV, col.281, il range parmi les maîtres de l’éloquence.

III. DOCTRINE. ? Dans les écrits de saint Hilaire, la doctrine antiarienne, trinitaire et christologique, vient naturellement en première ligne. Les commentaires exégétiques dépassent cependant cet objet et donnent lieu à une synthèse plus étendue, mais artificielle, car l’évêque de Poitiers n’a pas présenté lui-même sa doctrine sous une forme systématique. Une question s’ajoute, d’ordre apologétique : s’il est vrai que saint Jérôme a donné comme un certificat général d’orthodoxie aux ouvrages d’Hilaire, en écrivant à Læta, Epist., CVII, 12, P. L., t. XXII, col. 877 : Hilarii libros inoffenso decurrat pede, il n’est pas moins vrai que des attaques ont été formulées plus tard ; attaques réduites à neuf chefs par dom Coustant, Præfatio generalis, c. VI, et reprises dans le procès canonique institué par la S. C. des Rites, quand il fut question de conférer solennellement à l’évêque de Poitiers le titre de doctor Ecclesiæ. Plus récemment, des théolo- [col.2413 fin / col.2414 début] giens protestants ont incriminé, ou compromis par leurs interprétations, d’autres points de l’enseignement trinitaire ou christologique de l’Athanase gaulois. Ces attaques seront signalées et discutées en même temps que seront exposées les matières connexes.

I. ECRITURE SAINTE. ? La doctrine de saint Hilaire sur le premier fondement de notre foi peut se grouper autour de quatre points : l’autorit?, le canon, les versions et l’interprétation des Livres sacrés.

Autorité. ? Souveraine est l’autorité des Ecritures, ces oracles célestes où tout est vrai et utile ; où tout est élevé, divin, conforme à la raison et parfait. In ps. CXVIII, litt. XVIII, 5 ; CXXXV, 1, col. 622, 678.S’adaptant à notre faiblesse, qui a besoin de choses visibles pour comprendre les invisibles, les saintes Lettres enseignent les choses spirituelles par les corporelles, et, à l’aide des choses visibles, rendent témoignage aux invisibles. In ps. CXX, 7, 11, col. 656, 658. S’il faut entendre conformément à la prédication évangélique ce qui a été dit dans les écrits de l’Ancien Testament, si l’autorité prophétique et apostolique nous suffit, Instructio psalmorum, 5 ; In ps. CXL, 2, col. 235, 825, c’est qu’à la base de cette autorité et de cette prédication il y a l’autorité même de Dieu, qui a parlé par les prophètes d’abord, puis par les apôtres ; Omnia a divino Spiritu per David dicta, Instr. 7 : propheta semper Dei Spiritu plenus. In ps. LI, 15, col. 277, 317. De même saint Paul : per loquentem in se Christum loquens. De Trinitate, XII, 3, col. 435. Aussi, parlant en ce dernier endroit d’une prophétie relative à Jésus-Christ, Hilaire voit-il une contradiction en ce que l’apôtre puisse ignorer cette prophétie ou, la connaissant, puisse en fausser le sens.

2. Canon. ? Le prologue des Psaumes, 15, col. 241, contient un canon de l’Ancien Testament où sont énumérés vingt-deux livres, autant que de lettres dans l’alphabet hébreu. Comme le commentateur s’inspire manifestement d’Origène, In ps. I, P. G., t. XII, col. 1084, et que le docteur alexandrin parle formellement du canon juif, ???’ ????????, il n’y a nulle raison d’entendre le disciple autrement que le ma?tre. L’évêque de Poitiers dit encore, ce qui n’est pas Origène, que certains ajoutent les livres de Tobie et de Judith, obtenant ainsi un total de vingt-quatre livres, ce qui répond au nombre des lettres dans l’alphabet grec. Personnellement, Hilaire utilise les deutérocanoniques comme les autres ; pour l’Ancien Testament, il les cite en réalité tous ; pour le Nouveau, il cite l’Epître aux Hébreux sous le nom de saint Paul, celle de saint Jacques, la IIe de saint Pierre et l’Apocalypse sous le nom de saint Jean. Voir Coustant, notes a et d, P. L., t. IX, col. 241 sq. ; F. Vigouroux, Canon des Ecritures, dans Dictionnaire de la Bible, t. II, col. 165, 181 ; voir aussi plus haut, t. II, col. 1577, 1581. Voir A. Souter, Quotations from the Epistles of St. Paul in St. Hilary on the Psalms, dans Journal of theological studies, octobre, 1916, t. XVIII, p. 73-77. Par ailleurs, Hilaire sait rejeter les apocryphes, tels que le livre d’Hénoch, In ps. CXXXII, 6, col. 748, et tenir compte des doutes que la divergence de la tradition manuscrite peut provoquer, par exemple, à propos de la sueur de sang. Luc, XXII, 43-44. De Trinitate, X, 41, col. 375.

Versions. ? Il existe, on l’a d?jà vu, une différence de procédé entre les commentaires sur saint Matthieu et sur les Psaumes. Dans le premier, l’auteur s’en tient purement au texte latin dont on se servait à Poitiers ; dans l’autre, il s’aide, non du texte hébreu, car il ignorait cette langue, mais de diverses traductions, latines ou grecques, surtout de la version des Septante. IL professe pour cette dernière une estime et une vénération spéciales : translatio illa seniorum LXX et legitima et spiritualis, In ps. LIX , 1, col. 383 ; [col.2414 fin / col.2415 début] estime et vénération fondées non seulement sur l’ancienneté de cette version mais encore et surtout sur les prérogatives qu’il attribuait à ses auteurs. S’il ne parle pas des légendaires cellules, ni d’inspiration proprement dite, il tient du moins ces interprètes pour les successeurs des soixante-dix vieillards auxquels Moïse avait confié l’explication de la Loi et qui, en conséquence, possédaient une science spirituelle et céleste pour pénétrer le sens intime des psaumes. Instructio, 8 ; cf. In ps. II, 2, 3, col. 238, 262 sq. Rien de doctrinal, assurément, dans cette manière de voir. Plus importantes sont les citations bibliques qui se rencontrent dans les écrits du docteur gaulois ; comme il se servait d’un texte latin antérieur à la révision de saint Jérôme, ces citations fournissent un apport appréciable à l’histoire de l’ancien texte biblique. Des études spéciales indiquées ci-dessus, col.2402, il résulte que le texte utilisé par l’évêque de Poitiers diffère de celui qu’on lit dans le premier psautier romain et des autres textes courants ; d’après les conclusions de F.-J. Bonnassieux, op. cit., p. 124 sq., il faudrait regarder le texte " comme un témoin très ancien de la récession dite irlandaise ". En réalité, ce n’était ni le texte africain ni le texte italien, mais un texte " européen ", généralement usité en Gaule au IVe siècle. H. Jeannette, Le psautier de saint Hilaire de Poitiers, Paris, 1917.

Interprétation.? Du point de vue exégétique, les commentaires sur saint Matthieu et sur les psaumes présentent un intérêt particulier à un double titre : ils comptent parmi les plus anciens monuments du genre, et ils ont grandement contribué à introduire en Occident la méthode d’interprétation spirituelle et allégorique, destinée à un si brillant avenir. Le fondement de cette méthode, pour saint Hilaire, c’est la distinction entre le texte pris au sens obvie, simpliciter intellectus, et considéré plus à fond, inspectus interius, d’après les diverses notions ou relations dont les choses et les actions directement signifiées ou exprimées par la lettre sont susceptibles ; de là résulte un sens plus élevé, auquel le docteur gaulois s’arrête de préférence : relictis his quæ ad communem intellegentiam patent, causis interioribus immoremur. In Matth., XII, 12, col. 987. En d’autres termes, au-delà du sens historique ou grammatical, qui s’attache à la lettre et qui est le sens vulgaire, il y a un sens profond, qui s’attache non plus à la lettre elle-même, mais à la chose signifiée ou à l’action exprimée par la lettre ; sens qui reçoit les épithètes de spirituel, intérieur, typique, céleste ; epistulis intelligentia, I, ps. CXIX, 2, col. 643 ; interior, intelligentia, interioris s. significantiæ intellegentiam, ordotypicæ, significantiæ, cælestis intelligentia. In Matth., II, 2 ; VIII, 8, 9 ; XX, 2 ; col. 924, 957, 1028.

Nettement formulée et couramment appliquée dans le commentaire sur saint Matthieu, la méthode d’interprétation allégorique est encore plus accentuée dans le commentaire sur les psaumes. Coustant, Admonitio, 8-12, col. 224 sq. Là saint Hilaire considère l’Ancien Testament tout entier comme une prophétie et une figure du Nouveau, surtout du Fils de Dieu fait homme. Sunt enim universa allegoricis et typicis contexta virtutibus, per quæ omnia unigeniti Dei filit in corpore. . . sacramenta panduntur. Instructio, 5, col. 235. Comparer la phrase du Liber mysteriorum citée ci-dessus, col.2401 sq. Aussi, en niant le Christ, les hérétiques ont perdu la clef qui ouvre à l’esprit la pleine intelligence des saintes Ecritures. Ibid., 6, col. 236. Non pas que tout doive s’appliquer directement à Notre Seigneur et à son œuvre, car Hilaire rejette cette supposition comme excessive, mais en ce sens que tout se rapporte au moins indirectement à ces objets. D’ailleurs, nulle opposition entre le sens littéral et le sens spirituel : est seulement rejetée l’opinion de ceux qui voudraient [col.2415 fin / col.2416 début] s’en tenir à une méthode d’interprétation purement ou exclusivement littérale. In ps. LIV, 9 ; CXXIV, 1 ; CXXVI, 1, col. 352, 679, 693.

Si de la théorie nous passons à la pratique, une distinction s’impose. Le saint docteur prétend, en principe, ne pas substituer sa propre conception, mais seulement adapter son interprétation aux données contenues dans l’Ecriture. In Matth., VII, 8, col. 956 ; Coustant, Admonitio, 5-7, col. 911. En fait, quoi qu’il en soit des applications mystiques, souvent très belles et très instructives, que l’orateur rattache au texte sacré, dans beaucoup de cas l’interprétation reste subjective et purement accommodatrice, parfois même elle est forcée. Sur ce point et quelques autres, moins intéressants du point de vue doctrinal que pour l’histoire de l’exégèse ou de la prédication homilétique, voir R.-M. de la Broise, art. Hilaire, dans le Dictionnaire de la Bible, t. III, col. 703 sq., et R. Simon, Histoire critique du Vieux Testament, Rotterdam, 1685, p. 404 sq. ; Du Nouveau Testament, ibid., 1693, p. 127 sq. Une remarque faite dans ce dernier ouvrage, p. 132, a son importance : autre est la méthode employée de préférence par l’évêque de Poitiers dans ses deux commentaires, alors qu’il se propose d’édifier les fidèles ; autre est l’usage qu’il fait du texte sacré quand il expose ou défend la foi catholique. Dans ce dernier cas, il s’attache au sens littéral et il le traite, en général, avec une maîtrise à laquelle les plus grands docteurs ont rendu témoignage ; tels saint Jérôme, Epist., LV, ad Amandum, P. L., t. XXII, col. 564, et saint Augustin, De Trinitate, VI, 10, P. L., t. XLII, col. 931 : non mediocris auctoritatis in tractatione Scripturarum et assertione fidei vir exstitit. Cf. Watson, op. cit., Introd., p. LXI ; Cornely, Introd. gen., p. 653.

II. DIEU ; ETRE SUPREME ET CREATEUR ; MONDE, ANGES, DEMONS. ? La doctrine de saint Hilaire sur Dieu mériterait d’être exposée en détail, si la question n’avait pas été déjà touchée, t. IV, col. 1099 sq. Rappelons qu’à l’affirmation très accentuée de l’incompréhensibilité divine se joint l’affirmation non moins vigoureuse de la faculté native que possède l’homme de connaître l’existence de Dieu par la voie de ses créatures : Quis enim mundum contuens, Deum esse non sentiat ? In Ps. LII, 2, col. 236. Car le monde chante magnifiquement les louanges de son auteur et proclame hautement sa puissance et sa majesté. In ps. LXV, 6 ; LXVIII, 29 ; CXXXIV, 11 ; CXLVIII, 5 sq., col. 426, 488, 757 sq., 881 sq. Rappelons encore que le texte de l’Exode, III, 14, où Dieu se définit : Ego sum qui sum, ravit d’admiration le docteur gaulois et lui fait saisir dans la notion d’Etre une notion première à laquelle se rattachent, immédiatement ou médiatement, toutes les propriétés essentielles de la divinité. A. Beck, Die Trinitätslehre des hl. Hilarius von Poitiers, c. II. parmi ces propriétés, celles qui sembleraient, à première vue, s’opposer à toute distinction en Dieu, ne sont pas moins accentuées que les autres ; telles la simplicité et l’unité : divinum et æternum nihil nisi unum esse et indifferens ; totum in eo quod est, unum est ; ex simplicitate perfectus. De Trinitate, I, 4 ; VII, 27 ; IX, 61, col. 28, 223, 330.

Ainsi conçu, Dieu est l’Etre souverainement parfait et heureux lui-même, qui créé le monde par pure bonté, pour communiquer aux autres quelque chose de sa propre béatitude, ex optima ac benevola beatitudine. In ps. II, 14, col. 269. Ce n’est pas le Dieu des seules Evangiles, comme le voulaient les manichéens ; c’est le Dieu de la Loi et des Evangiles, les deux Testaments ayant un même auteur. In ps. LXII, 9 ; CXXXVII, 7, col. 448, 788. Dieu sage et bienveillant, dont la prescience, non moins que la providence, s’étend à tout. In ps. CXXI, 10 ; CXXXVIII, 41, col. 665, 813. C’est faire également preuve d’impiété, que de [col.2416 fin / col.2417 début] nier son existence, ou de ne pas le reconnaître pour l’auteur du monde, livré dès lors à l’évolution fortuite de forces nécessaires et aveugles. In ps. VIII, 2 ; LXV, 7, col. 251, 427. A ces erreurs, hilaire oppose la notion de Dieu créateur, c’est-à-dire de qui tous les autres êtres tiennent leur origine, ayant été tirés par lui du néant : ipsum a nemine, sed ex eo omnia ; manent ex nihilo substituta, et gratiam ex eo quod sunt, creatori suo debent. In ps. LXIII, 9 ; CXLVIII, 5, col. 411, 881. d’où le caractère de contingence absolue qui s’attache à tout ce qui n’est pas Dieu : quia illa ex conditione creationis suæ, id est profecta de nihilo, habeant id in se necessitatis ut non sint. In Matth., XXVI, 3, col. 1057. Aussi rien de ce qui a été créé ne peut-il subsister sans qu’une action divine continue lui conserve l’existence. In ps. XCI, 7, col. 498.

Contingent par nature, le monde ne peut être, de droit, éternel ; il ne l’est pas davantage en fait : et per tempus quidem non ambiguum est quin ea, quæ nunc cœperint, ante non fuerint. Les anges furent créés d’abord dans le premier ciel, avant les temps et les siècles. De Trinitate, XII, 6, 37, col. 442, 456 ; Contra Auxent., 6, col. 612. Vint ensuite le monde sensible, dont Dieu produisit toutes les parties instantanément, par un simple Fiat, sans qu’il qu’il y ait à mettre une distinction entre le commencement et la consommation de chaque œuvre, In ps. CXVIII, litt. X, 4, 7, col. 565 sq., mais non pas en ce sens que toutes les parties aient été produites simultanément ; car les paroles du De Trinitate, I, 40, col. 458 sq. : cæli, terræ cæterorumque elementorum creatio ne levi saltem momento operationis discernitur, où l’on a prétendu lire le contraire, s’appliquent, dans le contexte, à la création active, réellement instantanée, puisqu’il n’y a succession ni dans la pensée ni dans la volonté ni dans l’action divine. Enfin le roi du monde sensible parut, l’homme, dont la formation présente une particularité : elle nous est dépeinte dans la Genèse comme n’étant pas due à un simple Fiat, mais comme faisant d’abord l’objet d’une délibération préalable, puis accomplie en trois actes successifs : création de l’âme, production du corps formé de la terre et vivification de ce dernier par son union à l’âme. Rapportant, arbitrairement d’ailleurs, Gen., I, 27, à la création de l’âme, et Gen., II, 7, à la formation et à la vivification du corps, Hilaire regarde ces deux dernières actions comme ayant eu lieu longtemps après la première, longe postea. In ps. CXVIII, litt. X, 1, 4-6 ; CXXXIX, 5, col. 563 sq., 721.

Les anges sont des êtres spirituels, naturæ spiritales, virtutes spiritales, dont les propriétés sont symbolisées par les appellations scripturaires d’esprit et de feu. In ps. CXXXVI, 5, col. 786 sq. ; De Trinitate, II, 11, col. 136. Hilaire suppose constamment l’existence d’anges bons et d’anges mauvais, appelant les uns anges célestes ou simplement anges, les autres anges prévaricateurs ou démons, esprits malins et puissances de l’air. In Matth., V, 11 ; XI, 5 ; In ps. LXVII, 24, col. 948, 980, 460. Une fois il fait mention d’ "anges pris de passion pour les filles des hommes ", mais sans préciser et d’une façon incidente, à propos d’un détail contenu dans le livre apocryphe d’Hénoch et dont il ne veut pas tenir compte. In ps. CXXXII, 6, col. 748 sq. Aux appellations d’anges, archanges, trônes, etc., correspondent des ministères différents. In ps. CXVIII, litt. III, 10, col. 522. Dieu se sert de ces bienheureux esprits dans le gouvernement de l’Eglise militante et particulièrement pour assister les fidèles, non qu’il ait besoin d’un concours étranger, mais en faveur des hommes, trop faibles pour marcher seuls vers le but à atteindre et surtout pour lutter avantageusement contre les esprits mauvais. In ps. CXXIV, 5 ; CXXIX, 7 ; CXXXIV, 17 ; CXXXVII, 5, col. 682, 722, 761, 786. Présents à la fois au ciel, auprès de [col.2417 fin / col.2418 début] Dieu, et sur la terre, auprès de nous, les anges président à nos prières, et présentent nos désirs au Seigneur, mais ils témoignent aussi contre les pécheurs. In ps. CVIII, 8 ; In Matth., XVIII, 5, col. 507, 1020. Ils introduisent les justes dans l’éternel repos. In ps. LVII, 6, 7, col. 372.

Dans une lettre adressée au pape saint Grégoire, Epist., l. III, epist., LIV, P. L., t. LXXVII, col. 602, l’évêque Licinianus semble attribuer à l’évêque de Poitiers d’avoir, avec Origène, cru les astres animés et d’en avoir fait des esprits. Rien ne justifie cette imputation. Coustant, Præf. gen., II, 29, col. 24 sq. ; Ceillier, op. cit., t. IV, p. 86.

L’homme se compose d’une double substance : l’une extérieure et terrestre, qui est le corps ou la chair ; l’autre intérieure et céleste, qui est l’âme raisonnable, immortelle et incorporelle et suivant laquelle l’home a été fait à l’image de Dieu. In ps. LIII, 8 ; CXVIII, litt. X, 67 ; CXXIX, 4-6, col. 342, 566, 720 sq. En ce qui concerne la spiritualité, une controverse existe sur la pensée du saint docteur à cause de l’épithète de corporelle qu’il donne à l’âme, In ps. CXVIII, litt. XIX, 8, col.629, et surtout à cause de cette affirmation plus générale, In Matth., V, 8, col. 946 : Nihil est quod non in substantia sua et creatione corporeum sit ; et omnium, sive in cælo sive in terra, sive visibilium sive invisibilium, elementa formata sunt. Nam et animarum species, et sive obtinentium corpora, sive corporibus exsultantium, corpoream tamen naturæ suæ substantiam sortiuntur, quia omne quod creatum est, in aliquo sit necesse est. Claude Mamert, prêtre viennois († vers 474), a trouvé là l’une des deux erreurs qu’il attribue au docteur gaulois : unum quod nihil incorporeum creatum dixit. De statu animarum, l. II, c. IX, n. 3, P. L., t. LIII, col. 752. Opinion partagée par divers critiques, tels qu’Erasme, Schultes, récemment Förster, Zur Theologie des Hilarius, p. 670, et, pour le seul commentaire sur saint Matthieu, Watson, op. cit., p. VII. D’autres proposent avec raison les passages des deux commentaires où les âmes humaines sont appelées, non moins que les anges, des natures ou substances spirituelles : In Matth., IX, 20, col. 974, in substantiam spiritualis animæ ; In ps. CXXIX, 4, col. 720, quarum (naturarum) alia spiritualis. Il semble donc que, dans les textes objectés, saint Hilaire ait pris, comme d’autres Pères anciens, les termes corporalis et corporeum dans un sens large, pour indiquer soit le rapport de l’âme au corps auquel elle est unie, soit toutes les réalités qui concourent à l’existence concrète d’une nature créée n’ayant pas l’absolue simplicité de la nature divine. Coustant, Præf. gen., n. 255 sq., col. 120, et notes sur les textes objectés col. 629, 645 ; Petau, De Deo, l. II, c. I, n. 15 ; De angelis, l. I, c. II, n. 14 ; c. III, n. 12, édit. Thomas, t. I, p. 170 ; t. IV, p. 12, 19 ; Noël Alexandre, Historia ecclesiastica, Lucques, 1734, t. IV, c. VI, a. 13, n. 4, p. 138.

L’origine de l’âme humaine donne lieu à une autre controverse. Tous, remarque le saint docteur, nous sommes naturellement portés à croire que les âmes ont Dieu pour auteur. In ps. LXII, 3, col. 602. Mais s’agit-il d’une action créatrice ? Il importe de distinguer entre l’âme du premier homme et celles de ses descendants. On ne peut douter qu’au jugement d’Hilaire, l’âme d’Adam ait été l’objet d’une action créatrice, In ps. LXIII, 9, ex afflatu Dei ortam ; LXVII, 22 ; CXVIII, litt. X, n. 7, col. 411, 458, 566. Plusieurs textes semblent appliquer la même doctrine aux âmes, en particulier De Trinitate, X, 20, 22, col. 358 sq. : Cum anima omnis opus Dei sit. . . , quæ utique nunquam ab homine gignentium originibus præbetur. Cf. In Matth., X, 24, col. 976 : in naturam animæ, quæ ex afflatu Dei venit. Aussi le docteur gaulois est-il communément rangé parmi les partisans du créatianisme strictement entendu. Watson, op. cit., p. LXVIII, ; J. Schwane, Dogmengeschichte, 2e édit., t. II, p. 423 ; [col.2418 fin / col.2419 début]Förster, op. cit., p. 671. Cette manière de voir n’a pas paru certaine au Dr A. Beck, Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers und Tertullian’s über die Entstehung der Seelen, dans Philosophisches Jahrbuch, Fulda, 1900, t. XIII, p. 37-44. D’après l’évêque de Poitiers, pense-t-il, les âmes des descendants d’Adam ne seraient pas créées immédiatement par Dieu ; car, bien que les âmes ne soient point transmises par voie de génération, comme les corps, néanmoins celui qui engendre produit tout entier l’être, semblable à lui-même, dont il est le père. De Trinitate, VII, 28 ; X, 19-22 ; col. 224, 357. De là vient que le saint docteur a cité, parmi les mystères de l’ordre naturel, l’origine de l’âme avec d’autres productions non créatrices, telles que la formation du corps. In ps. XCI, 3, 4 ; CXXIX, 1, col. 495 sq., 719. Mais cette interprétation de la doctrine reste fort contestable. Dans le second passage invoqué, le seul qui ait une réelle importance, l’auteur du De Trinitate soutient que Notre-Seigneur, comme homme, nous est consubstantiel, quoiqu’il ne tienne activement d’Adam ni son corps ni son âme, l’un et l’autre ayant été produits par le Saint-Esprit. Il ajoute : Quasi vero si tantum ex Virgine [assumpsisset corpus, mots omis dans l’édition de Migne], assumpsisset quoque ex eadem et animam, cum anima omnis opus Dei sit, carnis vero generatio semper ex carne sit, etc. Phrase dont voici le sens : " Comme si, dans l’hypothèse où Jésus-Christ aurait tenu son corps de la Vierge seule (c’est-à-dire sans l’opération du Saint-Esprit), il aurait aussi reçu d’elle son âme ; car toute âme est l’œuvre de Dieu, alors que la chair est toujours engendrée de la chair. " Rétablie ainsi, l’argumentation d’Hilaire confirme, en réalité, la production immédiate de l’âme humaine par Dieu. Coustant, Præfat. gen., n. 250, col. 118.

Destiné à partager la béatitude même de Dieu, mais devant en mériter ici-bas la possession en faisant un bon usage de sa liberté et en se servant des créatures pour connaître et vénérer son créateur, l’homme avait été d’abord été constitué dans un état privilégié de justice, de félicité et de paix. In ps. II, 15 s. ; CXVIII, litt. X, 1, col. 270, 564. Hilaire fait allusion à ces heureux débuts quand il parle de notre vie actuelle, sujette à tant de misères, comme venant d’Adam, mais n’ayant pas commencé avec lui : ab Adam namque ista cœpit, non cum Adam inchoata est. In ps. CXLV, 2 ; cf. CXLIX, 3, col. 865, 886. Si le saint docteur n’établit pas de ligne de démarcation entre ce qui, dans l’ensemble des dons primitifs, se rattachait à la nature ou revenait à la grâce, il n’en suppose pas moins évidemment l’existence de cette dernière. Quand il considère l’œuvre de la réparation, il y voit le recouvrement de la perfection primitive, et notamment de la grâce : Sed rursum Dei gratia impertita gentibus, postquam in aquæ lavacro fons vivus effluxit. In Matth., XII, 23, col. 992. L’homme atteindra le terme suprême de sa destinée, quand, par la pleine connaissance de Dieu, il obtiendra la consommation de l’image divine en son âme. De Trinitate, IX, 49, col. 432 sq.

III. TRINITE. ? L’analyse des ?crits dogmatiques de saint Hilaire nous a donné une idée générale de son enseignement sur le mystère fondamental de la foi chrétienne. Plusieurs points de cet enseignement ont été attaques. Erasme et quelques autres s’en prirent d’abord à la doctrine relative au Saint-Esprit, dont l’évêque de Poitiers n’aurait pas nettement, ou du moins expressément, affirmé la divinité. De nos jours, l’attaque a porté plutôt sur la personnalité ou distinction réelle de la même personne. Comme, d’après Hilaire lui-même, le terme d’Esprit-Saint s’applique soit au Père, soit au Fils, ceux des théologiens protestants qui ont prétendu découvrir dans les premiers siècles de l’Eglise une croyance " binitaire ", par opposition à la croyance " trinitaire ", ont été naturellement [col.2419 fin / col.2420 début] portés à interpréter en ce sens la doctrine d’Hilaire, soit en général, soit dans son commentaire sur saint Matthieu, composé avant qu’il n’eût subi l’influence de la théologie orientale ; voir, par exemple, Loofs, art. Hilarius von Poitiers, dans Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche, 3e édit., t. VIII, p. 60 sq. Si ces critiques étaient fondées, ce ne serait pas seulement la personne du Saint-Esprit, ce serait la notion même de la Trinité chrétienne qui serait en cause.

L’enseignement relatif à la personne du Fils a donné lieu à une attaque non moins grave. Elle se rattache à une thèse singulièrement audacieuse : la doctrine de la consubstantialité, entendue dans le sens où elle a fini par prévaloir dans l’Eglise, aurait eu pour père Basile d’Ancyre, le chef du parti homéousien. Voir ARAINISME, t. I, col.1839 ; BASILE D’ANCYRE, t. II, col. 462 sq. Saint Hilaire qui, pendant son exil, entretint des relations d’amitié avec cet évêque, aurait l’un des premiers subi son influence, assimilé l’????????? nic?en à l’?????????? basilien, et de la sorte, “ trouv? dans l’interprétation homoïousienne de l’????????? le point de jonction de la théologie orientale et des formules occidentales ". J. Gummerus, Die Homöusianische Partie bis zum Tode des Constantius, Leipzig, 1900, p. 114 ; ouvrage analysé et discuté par G. Rasneur, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1903, t. IV, p. 189-260, 411-431 : L’homoïousianisme dans ses rapports avec l’orthodoxie, deux articles, dont le second porte directement sur la question hilarienne. Les preuves apportées sont : la parenté doctrinale d’Hilaire et des homéousiens ; son attitude à leur égard pendant son séjour en Asie Mineure : surtout le traité De synodis. Car l’évêque de Poitiers y justifie ou excuse les multiples professions de foi émises en Orient depuis le concile de Nicée ; il y accepte ou laisse passer des formules qui s’arrêtent à l’unité spécifique du Père et du Fils, ou qui subordonnent le premier au second, ou qui attribue la génération du Verbe à la volonté du Père ; enfin il y défend expressément l’??????????, c. LXXII sq. ? Telle est l’attaque. Ce qu’elle vaut, un expos? succinct du véritable enseignement de saint Hilaire le fera voir.

Croyance trinitaire. ? Dans le commentaire sur saint Matthieu, II, 6, col. 927, l’évêque de Poitiers signale la manifestation symbolique des trois personnes divines au baptême de Notre-Seigneur. Plus loin, XIII, 6, col. 994 sq., il applique mystiquement au " mystère de la foi, celui du Père, du Fils et du Saint-Esprit en leur unité ", la parabole du levain qu’une femme prend et mêle dans trois mesures de farine. Mais c’est à la formule baptismale, Matth., XXVIII, 19, qu’il rattache l’expression distincte et le fondement principal du " mystère de la Trinité régénératrice " : Baptizare, jussit in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, il est, in confessione et Auctoris, et Unigeniti, et Doni. De Trinitate, I, 36 ; II, 1, col. 48-50. Ou encore " mystère de la Triade ", sacramentum Triadis quæ a nostris Trinitas est nuncupata. Instructio psalm., 13, col. 240. Qu’aux yeux du saint docteur le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient des réalités distinctes ou des termes subsistants, la chose est manifeste par cela seul qu’aux sabelliens, réduisant ces termes à trois dénominations diverses d’une seule et même personne, il oppose la foi catholique, d’après laquelle aux trois noms correspondent des réalités distinctes. De Trinitate, I, 21 ; II, 5, col. 39, 54. Aussi, parlant des trois hypostases que les eusébiens affirmèrent en 341 au synode d’Antioche in encæniis, voir ARIANISME, t. I, col.1810, il justifie l’expression en l’interprétant dans le sens, plus accessible à des esprits latins, de trois personnes ayant chacune leur subsistance propre : tres substantias esse dixerunt [col.2420 fin / col.2421 début] subsistentium personas per substantias edocentes. De syn., 32, col. 504. Les trois n’en restent pas moins un par la nature, la substance ou l’essence, termes synonymes dans le style hilarien. De Syn., 12, col. 490 ; cf. Th. de Régnon, Etudes de théologie positive sur la sainte Trinité, Paris, 1892, 1re série, p. 219. Il y a donc en Dieu, sous le rapport de l’unité, opposition entre la notion de nature et celle de personne : non persona Deus unus est, sed natura. De syn., 69, col. 526 ; De Trinitate, V, 10, col. 135. Entre les personnes elles-mêmes il y a distinction, mais il n’y a pas union, il y a seulement unité de substance : unum sunt, non unione personæ, sed substantiæ unitate. De Trinitate, IV, 42, col. 128. Comme la nature ou la substance, et par conséquent la divinité n’est pas multipliée, il ne peut être question, pour un catholique, de plusieurs dieux. Ibid., I, 38 ; De syn., 56, col. 49, 519. ainsi conçue, la Trinité comprend essentiellement trois personnes proprement divines homogènes consubstantielles ; c’est la Trinité orthodoxe, diamétralement opposée à la Trinité arienne, composée de personnes hétérogènes dont l’excellence intrinsèque et la dignité décroissaient au fur et à mesure qu’on s’éloignait du premier terme. Voir ARIANISME, t. I, col. 1787.

Consubstantialité du Père et du Fils : Hilaire fut-il homéousianiste ? ? Que le Père et le Fils soient deux personnes réellement distinctes, dont la seconde tienne de ses rapports à la première ses propriétés et ses appellations : progenies ingeniti, unus ex uno, verus a vero, perfectus a perfecto, virtutis virtus, sapientiæ sapientia, gloria gloriæ, imago invisibilis Dei forma Patris ingeniti, De Trinitate, II, 8, col. 57 : que le Fils ne soit pas un être créé, c’est-à-dire tiré du néant, et, par le fait même passant à un moment donné de la non-existence à l’existence ; mais qu’il ait été engendré par le Père de sa propre substance et de toute éternité ; que semblable au Père en substance, il soit, comme lui, vraiment et proprement Dieu ; c’est la thèse même de saint Hilaire dans le De Trinitate. Mais cette doctrine est déjà réellement contenue dans le commentaire sur saint Matthieu. On y lit, par exemple, XVI, 4, col. 108, que le Fils est éternel comme le Père, cuisit ex æternitate parentis æternitas ; qu’il est Dieu de Dieu, sans que pour cela il y ait deux dieux, ex Deo Deus unus in utroque. Si, dans un autre endroit, XXXI, 3, col. 1607, on peut relever cette expression moins heureuse : penes quem erat antequam nasceretur, il suffit, pour écarter toute méprise, d’ajouter les mots qui souvent : eamdem scilicet æternitatem esse et gignentis et geniti. D’après le contexte, le saint docteur a directement en vue les ariens qui niaient l’éternité du Fils et le tenaient pour une créature tirée du néant, mais qu’il est né " de ce qui, antérieurement à sa naissance [logiquement parlant], était en celui qui lui a donné naissance " ; en d’autres termes il est né de l’éternelle substance du Père, dont il partage l’éternité. Qu’une telle génération soit pour nous incompréhensible, ce n’est pas Hilaire qui en disconviendra. Th de Régnon, op. cit., 3e série, t. I, p. 265.

A toute génération proprement dite s’attache l’idée de similitude ou égalité de nature entre le générateur et l’engendré. De Trinitate, V, 37 ; IX, 44 ; De syn., 17, 20, col. 155, 347, 493, 496. Prise en soi, cette considération mène directement à l’unité du Père et du Fils ; sous ce rapport, elle est déjà décisive contre l’arianisme strict ; d’où l’usage qu’en a fait l’évêque de Poitiers, comme les autres Pères, saint Athanase en particulier. Mais en Dieu, la conséquence va plus loin, jusqu’à la consubstantialité parfaite, jusqu’à l’unité numérique ou identité de substance, exprimée par l’????????? arien ; car l’Etre supr?me étant essen- [col.2421 fin / col.2422 début] tiellement un, éternel, simple, immuable, infini, la nature divine n’est pas susceptible d’être multipliée numériquement de l’être spécifiquement. Th. de Régnon, op. cit., 1re série, p. 372 sq. Pour les mêmes raisons, saint Hilaire exclut une génération du Verbe où interviendrait l’idée de fractionnement, de perte, de diminution, de scission, d’extension ou de dilatation, de transfusion, d’émission, de passibilité. De Trinitate, III, 3, 17 ; VI, 35, col. 77, 86, 185. Cette génération ne peut être que la communication, faite au Fils par le Père, d’une seule et même substance, possédée toute entière par celui qui la donne et toute entière par celui qui la reçoit : Quod in patre est, hoc et in Filio est, et uterque unum ; dum et Pater nihil ex suis amittit in Filio, et Filius totum sumit ex Patre quod filius est ; totum a toto, Deum et Filium. De Trinitate, III, 3 ; VII, 41 ; VIII, 52, col. 77, 234, 276 ; cf. In Matth., XVI, 4, col. 1008.

L’unité de substance que cette doctrine contient, est manifestement l’unité numérique : Absolute Pater Deus et Filius Deus unum sunt, non unione personæ, sed substantiæ unitate ; per generationem nativitatemque unitas ejusdem in utroque naturæ ; intellige unitatem, dum non dividua natura est. De Trinitate, IV, 42 ; VII, 41 ; IX, 66, col. 128, 234, 336. Hilaire se sert parfois, il est vrai, d’analogies empruntées à des unions qui ne supposent pas l’unité numérique de substance ; telle, par exemple, l’union qui existe entre Jésus-Christ et les communiants ou entre les fidèles eux-mêmes. Il s’en sert pour répondre aux ariens, qui prétendaient réduire l’Ego et Pater unum sumus, Jean, X, 30, à une simple union morale ou de volonté, en s’appuyant sur cet autre texte, XVII, 21 : Ut omnes unum sint, sicut tu, Pater, in me, et ego in te. Même l’union qu’on allègue, répond-il, n’est pas une simple union des volontés, car le lien qui unit les fidèles entre eux est, dans son principe, la foi et le baptême, réalités communes à tous et distinctes de leurs volontés particulières ; encore moins l’union entre Jésus-Christ et les communiants est-elle une union purement morale, puisqu’elle a pour principe et pour lien le corps du Seigneur, réellement et physiquement un dans tous les communiants. De Trinitate, VIII, 7, 8, 16, col. 241, 248 ; Coustant, Præf. gen., n. 77-79, col. 43 sq. Mais en se servant de ces analogies, le saint docteur ne prétend nullement assimiler à ces sortes d’unions l’unité qui existe entre la première et la seconde personne de la Trinité ; cette unité transcendante, il la distingue même expressément de l’unité spécifique qui, seule, se rencontrer dans les deux termes de la génération humaine : Non est corporalium naturarum ista conditio, ut insint sibi invicem, ut subsistentis naturæ habeant perfectam unitatem, ut manens Unigeniti nativitas a paternæ divinitatis sit inseparabilis veritate ; Unigento tantum istud Deo proprium est. De Trinitate, VII, 41, col. 234.

Rien de plus propre à confirmer la réelle pensée d’Hilaire, que sa doctrine de la circuminsession. Si ce terme, qui est de latinité scolastique, ne se lit pas dans ses écrits, il n’en faut pas moins compter parmi les vérités que le saint évêque a le plus et le mieux exploitées, la chose dont ce terme est l’expression, c’est-à-dire l’existence du Père et du Fils l’un dans l’autre, Jean, XIV, 10, avec ses conséquences : inséparabilité du Père et du Fils dans l’action, Jean, V, 19 ; connaissance adéquate qu’ils ont l’un de l’autre, Matth., XI, 27 ; Jean, X, 15 ; visibilité du Père dans le Fils, Jean, XIV, 7, 9. Mais d’où viennent toutes ces propriétés ? De l’unité de substance ou de nature. Ainsi en est-il pour l’existence des deux l’un dans l’autre : Alium in alio, quia non aliud in utroque ; una fides est Patrem in Filio, et Filium in Patre per inseparabilis naturæ unitatem confiteri, non confusam, sed indiscretam. De Trinitate, III, 4 ; VIII, 41, col. 78, 267. De même, pour la con- [col.2422 fin / col.2423 début] naissance naturelle : Cognitio alterius in altero est, quia non differt alter ab altero natura ; et pour l’inséparabilité dans l’action : Conscientia in se naturæ paternæ, quæ in se operatur operante. De Trinitate, VII, 5 ; IX, 45, col. 203, 318.

Des théologiens protestants, comme Dorner, Entwickelungsgeschichte der Lehre von der Person Christi, t. I, p. 900 sq., et Förster, op. cit., p.651, ont prétendu voir dans quelques textes narratifs à la connaissance mutuelle du Père et du Fils, notamment In Matth., XI, 12, col. 983 sq., et De Trinitate, II, 3, col. 52, " une sorte de construction spéculative de la Trinité, partant de l’idée de la conscience de soi-même en Dieu ", à savoir, d’une conscience consistant, pour le Père et le Fils, dans la connaissance qu’ils ont l’un de l’autre. C’est là une interprétation arbitraire, dépendante de conceptions philosophiques, modernes et systématiques, sur les rapports entre la conscience et la personnalité. Dans le premier texte, Hilaire commente ainsi le Nemo novit Filium, nisi Pater, etc. : Eamdem utriusque in mutua cognitione esse substantiam docet ; c’est tout simplement trouver, dans la connaissance parfaite que le Père et le Fils ont l’un de l’autre, la preuve de leur unité de substance. Dans l’autre texte on lit : Pater autem quomodo erit, si non quod in se substantiæ atque naturæ est, agnoscat in Filio ? Le raisonnement revient à ceci : Comment le Père, considéré comme tel, existera-t-il, s’il n’a pas un Fils, et un Fils dans lequel il reconnaisse sa propre substance et sa nature ? D’après ce texte et autres semblables, si l’on voulait songer à une construction spéculative de la Trinité, c’est aux notions de parenté et de filiation, caractéristiques de la première et de la seconde personne, qu’il faudrait recourir ; l’aboutissant logique serait la doctrine augustinienne des personnes, d’un côté, s’identifiant dans l’absolu, nature, essence, substance, divinité, etc., de l’autre, constituées en même temps que distinguées, dans leur personnalité, par les propriétés d’origine active ou passive, qui sont d’ordre relatif. Mais l’évêque de Poitiers n’a pas tiré lui-même ces conséquences, soit qu’il ne les ait pas distinctement perçues, soit que, luttant contre les ariens, il ait jugé préférable de ne pas entrer dans le domaine des constructions spéculatives, comme il a jugé préférable d’éviter, en général, les termes techniques ou spécifiquement philosophiques. Th. de Régnon, op. cit., 3e série, t. I, p. 5-42.

L’????????? du symbole de Nic?e signifiant que le Fils est consubstantiel au Père, Hilaire ne pouvait qu’en être le partisan, du jour où il le connut. Dans ses écrits dogmatiques, il le défend contre les attaques et les fausses interprétations des adversaires. De Trinitate, IV, 4, 6 ; De syn., 67-76, col. 98 sq., 525 sq. Mais le fait que d’abord, comme il nous l’a dit lui-même, il ait tenu l’idée exprimée par le mot sans connaître ce dernier ; le fait que plus tard encore, par exemple, dans le IIe et le IIIe livre du De Trinitate, il ait exposé la doctrine orthodoxe sans employer la formule nicéenne, prouve qu’il savait distinguer entre le dogme, qui est un, et l’expression du dogme, qui peut-être multiple, quand des équivalents réels existent. Cette considération explique comment, sans être lui-même homéousien, le saint évêque a pu admettre la formule ??????????, d’une substance semblable ; formule susceptible d’un sens faux et d’un sens exact. On peut vouloir, en l’employant, affirmer la similitude en niant l’unité ou l’identité de substance entre le Père et le Fils ; la formule est alors hétérodoxe, car la multiplication numérique de la substance entraîne, de soi, le dithéisme et le trithéisme. Mais on peut aussi vouloir simplement affirmer que le Fils est semblable au Père quant à la substance, pour accentuer la réalité substantielle de l’un et de l’autre ou le caractère d’image du Père, qui convient au Fils d’après les saintes Ecritures ; [col.2423 fin / col.2424 début] dans ce cas, l’unité ou identité de substance n’est pas niée, elle est même virtuellement affirmée par quiconque oppose l’?????????? ? l’???????? des ariens et rejette en m?me temps le dithéisme et le trithéisme. Le procédé d’Hilaire, dans le traité De synodis, consiste précisément à montrer aux homéousiens qu’il leur est impossible de soutenir logiquement l’?????????? de la seconde fa?on sans admettre l’????????? entendu sainement, dans le sens o? les Pères de Nicée l’avaient pris : Quid fidem meam in homoousion damnas, quam per homoiousii professionem non potes non probare ? De syn. 88, col. 540. Abstraction faite des détails, l’argumentation peut se résumer en ces quelques mots : dans le Père et le Fils, Dieu l’un et l’autre, pas de similitude quant à la substance sans égalité de nature ; par d’égalité de nature sans unité ou identité de nature. Th. de Régnon, op. cit., 1re série, p. 374 sq. ; G. Rasneur, loc. cit., p. 424. Raisonner ainsi, ce n’est pas chercher dans la doctrine homéousienne l’interprétation exacte de l’?????????, comme le pr?tend Gummerus ; c’est, au contraire, prendre pour mesure l’?????????, et relever l’?????????? au m?me niveau.

Qu’on puisse signaler des affinités entre la théologie hilarienne et la théologie homéousienne, il n’y a pas lieu de s’en étonner ; mais les points de doctrine habituellement allégués ne sont, ni en eux-mêmes, ni dans leur origine, exclusivement ou spécifiquement homéousiens. Par exemple, Hilaire attribue la génération du Fils non pas seulement à la nature, mais à la volonté du Père, ut voluit qui potuit, De Trinitate, III, 4, col. 77 ; mais cette manière de voir n’est pas propre aux homéousiens, elle se rencontre aussi chez des nicéens et, dans leur pensée, tend uniquement à rejeter une génération où le Père agirait comme soumis à une sorte de coaction. Voir ARIANISME, t. I, col.1814. De même, saint Hilaire applique le Pater major me est, Jean, XIV, 28, à Jésus-Christ considéré dans ses deux natures, De Trinitate, IX, 54, col. 237 sq. ; In ps. CXXXVIII, 17, col. 801 ; mais cette interprétation, qui est également celle d’autres auteurs postnicéens, pleinement orthodoxes, ne cache aucune arrière-pensée de subordinatiniasme, car il s’agit d’une prééminence ou préséance d’ordre purement relatif, fondée sur la propriété que possède le Père d’être en lui-même l’Innascible et, par rapport au Fils, le Principe ; comme, par ailleurs, le Père communique toute sa substance au Fils, il n’en résulte dans celui-ci ni différence de nature ni véritable infériorité : Minor jam non est, cui unum esse donatur ; licet paternæ nuncupationis proprietas differat, tamen natura non differt. De Trinitate, IX, 54, col. 325 ; In ps. CXXXVIII, 17, col. 801. Cf. Baltzer, Die Theologie des hl. Hilarius, p. 23 sq. ; Th. de Régnon, op. cit., 3e série, t. I, p. 170.

Toutefois, puisqu’il s’agit surtout du De synodis, il importe de distinguer le problème doctrinal et le problème critique, ou la croyance d’Hilaire et son interprétation des formules homéousiennes. Ecrivant pour rapprocher les évêques d’Orient et d’Occident, le saint docteur a pu être entraîné par son désir de conciliation et par ses sympathies personnelles à juger trop favorablement les symboles orientaux, à laisser dans l’ombre les côtés défectueux et à mettre en relief les côtés acceptables. La supposition est d’autant plus fondée que saint Athanase, composant un an plus tard un écrit de même titre, porta sur quelques-unes des formules homéousiennes un jugement plus sévère. Voir t. I, col.1831 sq. ; Valois, note 93 sur Socrate, H. E., II, 29, P. G., t. LXVII, col. 279. Mais il faut aussi reconnaître que la différence d’appréciation s’explique en grande partie par la diversité des buts et des circonstances. L’Athanase de l’Occident composa son écrit avant le concile de Rimini, alors que le parti homéousien, franchement opposé au parti anoméen et [col.2424 fin / col.2425 début] jouissant de la faveur impériale, semblait promettre un retour à la pleine orthodoxie : l’Athanase de l’Orient composa le sien après le même concile, dont le résultat avait été l’écrasement du parti homéousien et la suprématie du parti homéen avec l’intrusion d’un credo impérial : le temps n’était plus aux ménagements ni aux essais de conciliation. Coustant, Præf. in librum de synodis, 13-17, col. 476 sq. ; Th. de Régnon, op. cit., 3e série, t. I, p. 247. Et pourtant, aux jugements sévères sur le symbole se joint, chez l’évêque d’Alexandrie, une attitude conciliante à l’égard des homéousiens et de leur mot d’ordre. Voir t. I, col.1831. Du reste, Hilaire n’avertit pas lui-même ses lecteurs, De syn., 8, col. 484, de ne pas se prononcer avant d’avoir pris connaissance de tout son écrit ? Or à la fin, il exhorte de toutes ses forces les homéousiens à se rallier simplement à la foi de Nicée. N’était-ce pas laisser entendre que, s’il les croyait en bonne voie, il ne les croyait cependant pas arrivés au terme ? Il eut l’occasion de s’expliquer là-dessus. Il avait écrit, De syn., 78, col. 530 : Quantam spem revocandæ veræ fidei attulistis constanter audacis perfidiæ impetum retundendo ! La phrase ayant été critiquée, il répliqua dans ses Apologetica responsa, 4, P. L., t. X, col. 546 : " Je n’ai pas parlé de retour à la vraie foi, mais exprimé seulement l’espoir qu’ils donnaient de ce retour : non enim eos veram fidem, sed spem revocandæ fidei attulisse dixi. " Dès lors, on peut se demander si, dans les interprétations bénignes du saint évêque, il n’y avait pas parfois une manière délicate de favoriser le retour complet des homéousiens, en leur faisant comprendre quel sens ils devaient donner à leurs formules pour les rendre acceptables.

Esprit-Saint : personnalité et divinité. ? Hilaire a sp?cialement traité de la troisième personne de la Trinité dans trois endroits du De Trinitate, II, 29-35, col. 69-75 ; VIII, 19-31, col. 250-260 ; XII, 55-57, col. 469-472. La doctrine est beaucoup moins développée que pour les deux autres personnes, et cette circonstance a donné lieu aux attaques rapportées col.2419. En ce qui concerne la distinction réelle et la personnalité, la vraie pensée du docteur gaulois ressort pleinement de sa croyance trinitaire. Dans ses écrits, avant comme après l’exil, il présente le Saint-Esprit comme rentrant dans la Trinité chrétienne au même titre que le Père et le Fils ; c’est à propos du Saint-Esprit, joint aux deux autres dans la formule fondamentale de notre foi, qu’il adit : " Nous n’avons qu’un tout imparfait, s’il manque quelque chose au tout. " De Trinitate, II, 29, col. 69. Ce qu’il prétend soutenir, c’est une Trinité non moins opposée au modalisme de Sabellius qu’au subordinatianisme d’Arius ; Trinité où le Saint-Esprit ne doit se confondre ni avec le Père, qui seul est innascible, ni avec le Fils, qui envoie l’Esprit Paraclet. De Trinitate, II, 4-5 ; De syn., 32, 53-55, col. 52 sq., 504, 519. Quand il établit que le Saint-Esprit existe, les raisons apportées vont à prouver qu’il existe comme troisième terme d’une Trinité réelle et comme sujet de propriétés convenant à un être subsistant : il tient son origine du père et du Fils, Patre et Filio auctoribus confitendus est ; il est envoyé donné, reçu, obtenu. De Trinitate, II, 29, col. 69. Il procède du Père, et tient du Fils tout ce qu’il a ; il est du Père par le Fils, qui ex te per unigentum tuum est. Ibid., VIII, 20 ; XII, 57, col. 251, 472. La procession ab utroque est équivalemment contenue dans ces affirmations ; elle serait même formellement exprime dans le fragment qui se lit, P. L., t. X, col. 726 : ambo unum principium Spiritus Sancti sunt, si l’authenticité de ce fragment était acquise. La dénomination de Spiritus Sanctus s’applique parfois, il est vrai, au Père et au Fils, mais il n’y a en cela, remarque Hilaire, rien qui doive troubler, in quo nihil scrupuli est, puisque [col.2425 fin / col.2426 début] les deux noms composant, esprit et saint, conviennent réellement aux trois personnes. Coustant, Præf. gen., 68, col. 39 ; Th. de Régnon, op. cit., 3e série, t. II, p. 292 sq. Nulle difficulté contre la personnalité distincte de celui auquel cette dénomination est spécialement attribuée, du moment où cette personnalité distincte est établie par ailleurs ; et elle l’est, notamment par le titre de Don et d’Esprit Paraclet, qui nous est envoyé par le Père et le Fils. De Trinitate, II, 30-32 ; VIII, 25, col. 70 sq., 254.

La divinité du Saint-Esprit est contenue dans cette doctrine comme la conclusion dans les prémisses. La pensée d’Hilaire se confirme quand, revenant sur le sujet, comme si, parmi les homéousiens d’alors, l’erreur des pneumatomaques avait eu déjà des artisans, il refuse catégoriquement de mettre l’Esprit-Saint au nombre des créatures. L’Ecriture, qui nous montre l’Esprit procédant du Père, Jean, XV, 26, ne nous a pas révélé le mode de cette procession, comme elle l’a fait pour la seconde personne en la proclamant engendrée ; mais il suffit que l’Esprit Paraclet soit du Père par le Fils ; qu’il soit l’Esprit de Dieu et que, comme tel, il pénètre jusqu’aux profondeurs de Dieu, I Cor., II, 10, pour que nous devions refuser de voir en lui un être créé : Nulla te nisi res tua penetrat. . . Tuum est quidquid te init. De Trinitate, XII, 55, col. 469. Cela étant, pourquoi saint Hilaire n’a-t-il jamais expressément donné au Saint-Esprit l’appellation de Dieu ? Question secondaire, dont on peut dire ce qu’il dit lui-même : Neque sit mihi inutilis pugna verborum. Ibid., 56, col. 471. Peut-être l’exilé d’Asie Mineure a-t-il délibérément évité l’emploi d’un terme qui, n’étant pas encore appliqué à la troisième personne dans les symboles officiels, aurait pu créer de nouvelles difficultés, soit entre lui et les homéousiens, soit entre les homéousiens eux-mêmes. Coustant, Præf. in lib. de Trinitate, 12-16, col. 14 sq.

Il reste que, sur le Saint-Esprit comme sur le Fils Hilaire a proposé et défendu la doctrine catholique, telle qu’elle était énoncée de son temps, et que son enseignement ne mérite pas les critiques sévères qu’on lui a parfois adressées, suivant la juste remarque de A. Beck, op. cit., p. 236. Entre le commentaire sur saint Matthieu et les écrits composés pendant ou après l’exil, il y a progrès manifeste, progrès dû en partie à l’étude de la théologie orientale ; mais ce progrès n’accuse pas une différence de doctrine, il porte seulement sur une intelligence plus profonde, une exposition plus ample et une expression plus circonspecte d’un même fond doctrinal.

IV. JESUS-CHRIST. ? Saint Hilaire, défendant contre les ariens la consubstantialité du Fils de Dieu, se trouvait par le fait même en face de la personne de Jésus-Christ, celui-ci n’étant rien autre que le Fils de Dieu né d’une Vierge pour le rachat du genre humain. De Trinitate, II, 24, col. 66. " Mystère de notre salut ", dont le docteur gaulois parle avec la conviction la plus intime et la piété la plus profonde. Nul sujet où il ait marqué davantage l’empreinte de son esprit chercheur et original ; nul sujet aussi où il ait donné plus de prise à la critique. Soit, à titre d’exemple, cette affirmation massive de E. Cunitz, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses, art. Hilaire de Poitiers, Paris, 1879, t. VI, p. 245 : " On n’a pu s’accorder jusqu’à ce jour sur la question, si les idées qu’Hilaire professa sur la christologie, et en particulier sur la nature de Jésus-Christ, sont conformes ou non au dogme catholique. " Il importe de dégager les grandes lignes de son enseignement, avant d’examiner en détail les points incriminés.

Doctrine christologique. ? Toutes les affirmations capitales de la foi catholique relativement au Verbe incarné, en particulier celles qui, plus tard, ont [col.2426 fin / col.2427 début] été solennellement proclamées contre le nestorianisme et l’eutychianisme, se rencontrent, et souvent formulées avec beaucoup de netteté, dans les écrits de l’évêque de Poitiers. Le terme d’incarnation, devenu classique chez les latins, ne s’y trouve point ; le mystère est désigné par des expressions équivalentes, comme sacramentum corporationis, mysterium asssumptæ carnis, mysterium dispensationis evangelicæ ; mais, habituellement, le saint docteur parle d’une façon plus concrète en considérant l’union du Fils de Dieu à la chair, assumptio carnis, au corps, assumptio corporis, ou à notre nature signifiée par le terme d’homme, assumptus homo ab unigenito Dei. In ps. LXVIII, 25, col. 486. L’unité d’être ou de personne physique est fortement accentuée : Unus atque idem Dominus Jesus Christus, Verbum caro factum. De Trinitate, X, 62, col. 391. Jésus-Christ, c’est donc le Fils unique du Père éternel, subsistant d’abord comme Dieu, puis simultanément comme Dieu et comme homme, mais ne faisant, après comme avant l’incarnation, qu’un seul Fils de Dieu fils naturel et non pas adoptif : Hic et verus et proprius est Filius, origine, non adoptione ; natus es, non ut esse alius et alius, sed ut ante hominem Deus, suscipiens homo et Deus posset intelligi. De Trinitate, III, 11 ; X22, col. 82, 360. Si, dans un passage objecté au procès canonique pour le doctorat, De Trinitate, II, 27, col. 68, le mot d’adoption apparaît, il suffit de répondre que ce mot ne tombe pas sur un être concret, considéré comme sujet d’une filiation adoptive, mais uniquement sur la chair, en tant que prise gratuitement, et, dans ce sens, adoptée par le Fils de Dieu, carnis humilitas adoptatur. C’est en vertu de cette unité d’être ou de personne que toutes les actions et toutes les merveilles opérées par Jésus-Christ sont d’un Dieu : omnia opera Christi omnesque ejus virtutes ut Dei esse laudandas. In Matth., IX, 5, col. 284.

La divinité de Jésus-Christ découle de son identité personnelle avec le Verbe. Hilaire la prouve, en outre, De Trinitate, l. III-IV, par les nombreux témoignages de la sainte Ecriture qui la supposent ou l’expriment, preuve largement développée et déjà presque aussi complète que dans nos cours actuels d’apologétique. Les théophanies elles-mêmes servent au saint docteur pour établir la divinité, en même temps que la distinction du Père et du Fils, par exemple, l. IV, 42 ; l. V, 17, col. 128, 139. Mais la divinité n’absorbe pas l’humanité ; les deux natures coexistent, sans se confondre et sans cesser d’être parfaites, chacun en son espèce ; Jésus-Christ est aussi vraiment homme qu’il est vraiment Dieu, et réciproquement : habens in se totum verumque quod homo est, et totum verumque quod Deus est. De Trinitate, X, 19, col. 357. In ps. LIV, 2, col. 348. Comme homme, il possède une nature humaine réelle et semblable à la nôtre : non alienæ aut simulatæ naturæ hominem adsumpsit., In ps. CXXXVIII, 3, col. 793 ; par conséquent, il se compose d’un corps et d’une âme comme les nôtres : carnis atque animæ homo, nostri corporis atque animæ homo. De Trinitate, X, 119, col. 357 ; In ps. LIII, 8, col. 342. Les erreurs arienne et apollinariste, d’après lesquelles le Verbe lui-même aurait tenu lieu, en Jésus-Christ, d’âme, ou du moins d’âme raisonnable, sont formellement rejetées. De Trinitate, X, 22, 50 sq., col. 359, 383.

A cette dualité de natures complètes se rattache une double personnalité, au sens juridique et moral du mot : non confundenda persona divinitatis et corporis est. In ps. CXXXVIII, 5, col. 795. C’est, sous un autre aspect, le Christus spiritus et le Christus Jesus. De Trinitate, VIII, 46, col. 271. D’où la nécessité, quand il s’agit du Verbe incarné, de distinguer ce qui, dans les saintes Lettres, se rapporte au Dieu et ce qui se [col.2427 fin / col.2428 début] rapporte à l’homme ; en outre, quand il s’agit de l’homme, il faut distinguer encore ce qui convient au Christ Jésus, vivant ici-bas d’une vie mortelle et passible, de ce qui convient au même, vivant au ciel d’une vie glorieuse. En négligeant ces distinctions, les ariens se font, contre la divinité de Jésus-Christ, une arme de ce qui prouve uniquement la vérité de son incarnation ou de sa vie mortelle et passible. In ps. LIV, 2 ; CXXXVIII, 2, 3, 20, col348, 793 sq., 802 ; De Trinitate, X, 62, col. 391.

Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, est roi et prêtre éternel. In Matth., I, 1, col. 919. Son royaume est d’ordre spirituel et concerne la Jérusalem céleste ; son sacerdoce, figuré par celui d’Aaron et mieux encore par celui de Melchisédech, est supérieur au sacerdoce lévitique : Jésus-Christ est, par excellence, le prince des prêtres, le souverain prêtre. In ps. II, 24, 26 ; CXVIII, litt. III, 7 ; CXIX, prol. 5, col. 275 sq., 520, 644 sq. L’onction royale et sacerdotale, qu’il a reçue comme homme, a pour fondement la divinité même. In ps. CXXXII, 4, col. 747 ; De Trinitate, XI, 18 sq., col. 412 sq. Surtout Jésus-Christ est sauveur et rédempteur ; c’est pour remplir cet office qu’il s’est fait homme et qu’il est venu parmi nous. In Matth., XVI, 9, col. 1011 ; De Trinitate, VI, 43, X, 15, col. 194, 353 ; In ps. LI, 9, col. 314. En s’incarnant, il s’est en quelque sorte uni tout le genre humain, à titre de second Adam : naturam silicet in se totius humani generis assumens ; Adam e cælis secundus. In ps. LI, 17 ; LXVIII, 23 ; In Matth., IV, 12, col. 318, 484, 935. Comme Dieu homme, il est médiateur naturel entre Dieu et les hommes ; illo ipso inter Deum et homines MEDIATORIS sacramento utrumque unus existens. De Trinitate, IX, 3, col. 283.

Hilaire ne fait pas la théorie de l’œuvre rédemptrice ; il se contente de la décrire par ses effets multiples, qui s’étendent à l’âme et au corps : et animæ et corporis est redemptor. In Matth., IX, 18, 973. Dans cette description, il s’inspire manifestement des saintes Ecritures, par exemple, In ps. LXVIII, 14 ; CXXXV, 15 ; CXXXVIII, 26, col. 478, 776, 805 ; De Trinitate, I, 13, col. 35. Incidemment, il parle du démon qui, en faisant mourir l’innocent, commit un abus de pouvoir, où il trouva sa propre condamnation, In ps. LXVIII, 8, col. 475 ; simple manière de concevoir et d’exprimer un des effets de l’œuvre rédemptrice, le triomphe de Jésus-Christ brisant " par sa mort la puissance de celui qui a l’empire de la mort, c’est-à-dire du diable ". Héb., II, 14. Ailleurs, le saint évêque suppose que l’empire exercé sur les hommes par les démons ne reposait pas sur la justice et sur le droit, mais venait d’une usurpation coupable de ces esprits pervers, ex injusto atque peccatore et perverso jure dominantium. In ps. II, 31, col. 280. Plus importants sont les caractères attribués à l’action médiatrice du Sauveur. Caractère d’œuvre satisfactoire dans la Passion, officio quidem ipsa satisfactura pænali, et de sacrifice dans l’offrande sanglante que Jésus-Christ a faite de lui-même sur la crois, hostiam se ipse Deo Patri voluntarie offerendo. In ps. LIII, 12, 13 ; CXLIX, 3, col. 344 sq., 886. Caractère de restauration totale dan la rédemption prise en son ensemble, en tant qu’elle comprend non seulement et les souffrances et la mort, mais encore la résurrection et les autres mystères glorieux du nouvel Adam, puisqu’en lui chef de l’humanité rachetée et premier-né d’entre les morts, c’est l’homme, image de Dieu, qui est ramené à sa condition primitive et atteint sa perfection dernière. De Trinitate, XI, 49, col. 432 sq.

Au titre de médiateur entre Dieu et les hommes se rattache une autre fonction : Jésus-Christ a été pour nous un témoin des choses célestes, et il nous a fait connaître Dieu. IN Matth., XXIII, 6, col. 1047 ; De Trinitate, III, 9, 22, col. 80, 90. Hilaire accentue [col.2428 fin / col.2429 début] encore plus cette pensée, quand il dit que la connaissance de Dieu vient de Dieu seul et que, si le Fils de Dieu ne s’était pas fait homme, l’homme n’aurait pas pu connaître Dieu. De Trinitate, I, 18, col. 38 ; In ps. CXLIII, 8, col. 847. Assertions dont quelques partisans de l’incarnation en toute hypothèse se sont emparés, en la rapprochant d’un autre passage, où il est question d’une loi générale de progrès qui s’impose à notre nature et la porte à désirer toujours une perfection plus grande : naturæ ergo nostræ necessitas in augmentum semper mundi lege provecta, non imprudenter profectum naturæ potioris exspectat. De Trinitate, IX, 4, col. 283. Voir, par exemple, Watson, op. cit., p. LXIX, LXXII, et surtout F. M. Risi, Sul motivo primario della incarnazione del Verbo, Rome, 1898, t. III, n. 146-173, p. 124 sq. Mais y a-t-il vraiment un rapport objectif entre les textes du docteur gaulois et la théorie spéciale d’une incarnation indépendante, en son existence, de tout péché ? La connaissance de Dieu que le Fils de Dieu avait le privilège exclusif de nous communiquer ne doit pas s’entendre d’une connaissance quelconque, comme si, en dehors de l’incarnation, Dieu eût été complètement ignoré des hommes : cette supposition est contraire à la doctrine générale de saint Hilaire, car s’il proclame Dieu inénarrable, il nie en même temps qu’on puisse l’ignorer : ut, licet non ignorabilem, tamen inenarrabilem scias. De Trinitate, II, 7, col. 57. Il s’agit d’une connaissance surnaturelle en son objet et spéciale en son mode, celle que le Fils de Dieu, vivant au sein du Père et son image parfaite, peut nous donner de tout ce qui en Dieu surpasse absolument les forces propres de notre esprit ; telles, la nature et la vie intime de Dieu ; en particulier ses relations de paternité à l’égard, soit du Fils unique qu’est Jésus-Christ, soit des fils d’adoption que nous sommes. De Trinitate, III, 17, col. 85 sq. De tels textes, sous la plume de l’évêque de Poitiers, comme sous celles des autres Pères, sont un pur écho des mystérieuses paroles de Jésus : " Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils a daigné le révéler ", Matth., XI, 27, ou encore : " Philippe, qui m’a vu, a vu aussi le Père. " Jean, XIV, 9. L’argument tiré d’une tendance générale et constante au progrès n’est pas plus efficace. Hilaire n’invoque pas cette tendance comme exigeant ou prouvant par le fait de l’incarnation ; il l’invoque seulement, le contexte en témoigne, pour montrer l’idée qu’un Dieu naissant homme et ne même temps restant ce qu’il était auparavant, n’a rien qui puisse ébranler notre espérance, puisque, dans l’hypothèse, Dieu n’est nullement diminué et que, de son côté, notre nature ne sort pas des lois qui la régissent en attendant du fait même de son union avec une nature supérieur un accroissement de perfection. Mais déjà nous touchons aux problèmes où la spéculation se mêle à la doctrine proprement dite et qui méritent un examen spécial.

Le dépouillement du Christ (kénose). ? Cette notion appara?t fréquemment dans le De Trinitate et dans l’Expositio in Psalmos. Habituellement exprimé par les termes équivalents d’exinanire ou evaculare, littéralement vider d’après la force de la formule grecque, ???????? ??????, ce d?pouillement porte sur la " forme de Dieu ", à laquelle le Christ renonce, par opposition à la " forme de serviteur ", dont il se revêt : se ex forma Dei exinaniens et formam servi susipciens, De Trinitate, VIII, 45, col. 270 ; se de forma Dei evacuans, formam servi assumens. In ps. CXLIII, 7, col. 846. Parfois, par abréviation ou construction elliptique, Hilaire parle du Dieu qui s’est vidé de lui-même, ou du Christ qui s’est anéanti : ex mysterio evacuati a se Dei ; exinanientis se humilitas. De Trinitate, IX, 14 ; X, 48, col. 293, 432. Il consi- [col.2429 fin / col.2430 début] dère ce dépouillement comme nécessaire, la " forme de Dieu " n’étant pas compatible avec la " forme de serviteur " que le Christ devait prendre en s’incarnant, non conveniente sibi formæ utriusque concursu. De Trinitate, IX, 14, col. 292. Cf. In ps. LXVIII, 25, col. 485. La mission rédemptrice achevée, la " forme du serviteur " cesse, et la " forme de Dieu " reparaît dans le Christ glorifié. Amplification originale de la doctrine de saint Paul, Phil., II, 5 : Hoc sentite in vobis quod et in Christo Jesu, qui cum in forma Dei esset, non rapinam arbitratus est esse se æqualem Deo, sed semetipsum exinanivit, formam servi accipiens. Ce que le docteur gaulois entend par les mots : non rapinam arbitratus est, etc., il l’explique ailleurs par cette périphrase : Manens enim in forma Dei, non vi aliqua sibi ac rapina, id quod erat, præsumendum existimavit, scilicet ut Deo esset æqualis. In ps. CXVIII, litt. XIV, 10, col. 539 sq. Cf. De Trinitate, VIII, 45, col. 270 : non sibi rapiens esse se æqualem Deo. Ce qui donne cette interprétation du verset paulinien : " Etant dans la forme de Dieu, il n’a pas jugé devoir s’arroger de force, comme l’on ferait d’une proie, l’égalité avec Dieu ; mais il s’est vidé (de la forme de Dieu), prenant la forme de son serviteur. " Interprétation semblable en substance à celle de la plupart des Pères grecs. F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1909, t. I p. 445 sq.

Toute cette doctrine a trait à ce qu’Hilaire appelle la dispensatio, c’est-à-dire l’économie de la rédemption, ou l’ensemble des dispositions providentielles qui concernent ce mystère. Il s’en suit, pour le verbe incarné, un état d’obscurité, d’humilité, d’infirmité, qu’entraînait sa qualité de second Adam, appelé à réparer les ruines causées par le premier. Qu’entend le saint docteur par la " forme de Dieu ", dont le Verbe, en s’incarnant, s’est dépouillé ? Cette question est d’autant plus importante que, suivant la propre remarque de l’évêque de Poitiers, les ariens abusaient de ce qui, dans l’Ecriture, et du Fils comme homme, pour porter atteinte à sa divinité. De Trinitate, IX, 15, col. 293. Des théologiens protestants ont prétendu trouver dans Hilaire leur théorie de la kénose, théorie d’après laquelle le Verbe, en se faisant homme, se serait temporairement dépouillé des attributs divins, de quelques-uns du moins, ou même de sa personnalité divine ; d’où cette description humoristique d’Aug. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, 5e édit., Paris, 1898, p. 179 sq. : " Kénose, c’est-à-dire la théorie suivant laquelle le dieu, préexistant et éternel, se suicide en s’incarnant pour renaître progressivement et se retrouver dieu à la fin de sa vie terrestre. "Sur la théorie en général, voir F. Lichtenberger, dans Encyclopédie des sciences religieuses, t. III, p. 152 ; Ch. Hodge, Systematic theology, Londres, 1874, t. II, p. 431 sq. ; F. Prat, op. cit., t. II, p. 239 ; sur l’application à saint Hilaire : Loofs, art. Kenosis, dans Realencyklopädie für protestantiche Theologie und Kirche, t. X, p. 254 ; J. B. Wirthmüller, Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers über die Selbstentäusserung Christi, préface, Ratisbonne, 1865. Qu’il suffise de signaler deux des principaux fauteurs de cette singulière théorie : Dorner, Entwicklungsgeschichte der Lehre von der Person Christi, 2e édit., t. I, p. 1047, et G. Thomasius, Chrsit Person und Werke, 2e édit., Erlangen, 1857, IIe part., p. 175. Le premier s’attache à une phrase ou ce verset du psalmiste : infixus sum in limo profundi et non est substantia, est ainsi commenté par Hilaire : Non utique substantia quæ assumpta habebatur, sed quæ se ipsam inaniens hauserat. In ps. LXVIII, 4, col. 472. Prenant le mot substantia dans le sens de personnalité (constituée par la conscience de soi-même), Dorner conclut que, d’après le docteur gaulois, le Verbe s’incarnant s’est dépouillé de sa [col.2430 fin / col.2431 début] personnalité, et par le fait même de sa conscience divine. Thomasius appuie sur un autre passage, De Trinitate, XI, 48, col. 431, où il est question de la vertu illimitée du Fils de Dieu comme s’étant restreinte, autant que l’exigeait l’humble condition du corps humain qu’il s’était approprié ; donc le Verbe, en s’incarnant, s’est dépouillé de ses attributs divins d’ordre relatif : toute-puissance, omniscience, ubiquité.

Indépendamment des fausses suppositions qu’elles renferment, ces interprétations sont incompatibles avec la doctrine générale du saint évêque sur l’immutabilité divine et sur la consubstantialité parfaite du Père et du Fils. Qu’elles soient également contraires à la réelle pensée sur le dépouillement du Christ, c’est chose démontrée par beaucoup d’auteurs : soit catholiques, comme Coustant, P. L., t. IX, col. 292, 485 ; Wirthmüller, op. cit. ; Baltzer, Die Christologie des hl. Hilarius von Poitiers, p. 5 sq. ; soit protestants, comme Ch. Gore, Dissertations on subjects connected with the incarnation, Londres, 1895, p. 147 sq. ; Loofs, art. Kenosis, op. cit., p. 254. La " forme de Dieu ", dont le Verbe se dépouille en s’incarnant, ne peut être ni la personnalité divine, ni la nature divine considérée soit en elle-même, soit dans des propriétés absolues ou relatives, puisque Hilaire affirme expressément la permanence intégrale de l’une et de l’autre : evacuatio formæ non est abolitio naturæ, quia qui se evacuat, non caret esse, et qui accipit manet, De Trinitate, IX, 14, col. 293 ; ila ut naturæ posterioris adjectio nullam defectionem naturæ anterioris afferet. In ps. LIV, 2, col. 348. L’ubiquité du Verbe ne subit pas plus d’éclipse que sa nature ou sa puissance : in forma servi manens, ab omni intra extraque cæli mundique circulio cæli ac mundi Dominus non abfuit. De Trinitate, X, 16, col. 355. Le seul changement qu’il y ait, c’est dans l’état ou la manière d’être : non virtutis naturæque damno, sed habitus demutatione. De Trinitate, IX, 38, col. 309. Entendez la condition ou la manière d’être de Dieu considérée pour ainsi dire par le dehors, c’est-à-dire l’état de gloire propre à une personne divine. Le point de départ, où le dépouillement commence, a pour contrepartie le point d’arrivée, où le dépouillement cesse, en d’autres termes le retour du Christ à l’état de gloire dont jouit le Père : in naturæ paternæ gloriam, ab ea per dispensationem evacuatus, assumitur, De Trinitate, IX, 41, col. 315, ad resumendam gloriam Dei Patris. In ps. CXXXVIII, 5, col. 795.

Mais ce dépouillement de l’état de gloire propre à une personne divine doit-il s’entendre dans un sens absolu, comme si le Verbe ne l’eût plus possédé effectivement, du jour où il se fit homme et tant que dura sa mission ici-bas ? Tout autre est la pensée de l’évêque de Poitiers. L’incompatibilité qu’il dit exister entre la " forme de Dieu " et la " forme du serviteur ", non conveniente sibi formæ utriusque concursu, s’applique au Christ, considéré comme subsistant dans la nature humaine, Christus Jesus, Christus homo, et non pas au Christ considéré comme subsistant dans la nature divine, Christus spiritus ; car, sous ce dernier aspect, le Christ est essentiellement dans la même " forme " que le Père, dont il est, comme Fils, l’image parfaite : Quam enim signaverat Deus, aliud præierquam Dei forma esse non potuit ; nec separari potest a Dei forma, cum in ea sit, De Trinitate, VIII, 45, col. 270 sq. ; aboleri autem Dei forma, ut tantum servi esset forma, non potuit. In ps. LXVIII, 25 ; CXXXVIII, 2, col. 485, 793. Dans le texte allégué par Dorner : Non utique substantia. . . quæ se ipsam inaniens hauserat, il suffit d’achever la lecture de la phrase pour comprendre que l’assertion doit s’entendre dans le sens purement relatif de non-existence [col.2431 fin / col.2432 début] apparente : nullo autem modo se caruit, qui se ipsum exinanivit evacuans ; nec tamen idipsum videbatur exstare. Aussi le saint docteur affirme-t-il la coexistence des deux " formes " dans l’unique personne du Verbe incarné : Unum eumdemque non Dei defectione, sed hominis assumptio profitentis et in forma Dei per naturam divinam, et in forma servi ex conceptione Spiritus Sancti secundum habitum hominis repertum fuisse. De Trinitate, X, 22, col. 360.

L’unité de personne et la dualité de natures, soulignées dans ce dernier texte, donnent véritablement la clef du problème. Subsistant dans la nature divine, comme Fils et Verbe, le Christ est essentiellement dans la " forme de Dieu ", c’est-à-dire dans l’état de gloire propre à une personne divine, mais ne se manifestant pleinement qu’au ciel ; subsistant dans une nature humaine semblable à la nôtre, il fut et il apparut ici-bas dans la " forme du serviteur ", c’est-à-dire dans l’état d’obscurité, d’humilité et d’infirmité. Faute d’avoir tenu compte de cette distinction ou d’en avoir compris la portée, des auteurs n’ont vu que des incohérences dans les divers passages du docteur gaulois ; d’autres ont jugé sa doctrine beaucoup plus compliquée qu’elle ne l’est en réalité.

Un dernier passage, De Trinitate, IX, 38, col. 310, confirmera l’explication donnée en la complétant. Saint Hilaire y parle de l’unité ou égalité entre le Père et le Fils comme brisée par l’incarnation, puis rétablie dans la résurrection et l’ascension du Sauveur. IL veut dire qu’avant l’incarnation le Fils était purement et simplement, en toute sa personne, dans la " forme de Dieu ", sur un pied de parfaite égalité avec le Père, vivant comme lui dans l’état de gloire à une personne divine ; en s’unissant à la nature humaine telle qu’il l’a prise, il change de condition, il cesse d’être purement et simplement, en toute sa personne, dans la " forme de Dieu ", car, en tant que subsistant dans la nature humaine, il est dans la " forme de serviteur. " S’il demande au Père de posséder la gloire dont il jouissait auprès de lui avant la création du monde, c’est donc qu’en sa condition actuelle, il n’est pas tout entier en possession de cette prérogative : non erat idipsum totus, quod ut fieret precabatur. In ps. II, 27, col. 277. L’unité, l’égalité se rétablissent seulement le jour où, son humanité étant souverainement glorifiée, le Fils se retrouve, purement et simplement, en toute sa personne, dans la " forme de Dieu ", dans l’éclat qui convient à une personne divine et qui contraste merveilleusement avec l’obscurité, l’humilité et l’infirmité dont il fut enveloppé ici-bas. En ce sens Hilaire a pu dire du Christ glorifié qu’il est désormais Dieu tout entier, et non pas en partie seulement ; non ex parte Deus, sed Deus totus, De Trinitate, XI, 40, col. 425 ; qu’il reprend, en toute sa personne, la " forme de Dieu ", l’égalité avec le Père, dont il s’était dépouillé pendant sa vie mortelle, conformément à l’économie de la rédemption : nunc donatio nominis formæ reddidit æquilatatem, De Trinitate, IX, 54, col. 324, et rursum in gloria Dei Patris est, forma videlicet servi in gloriam ejus cujus forma ante manebat proficiente. In ps. CXXXVIII, 19, col. 802.

Cette doctrine suppose manifestement, dans le Fils de Dieu fait homme et vivant ici-bas, une certaine limitation, en particulier une limitation de puissance ; mais cette limitation ne porte point sur la puissance divine du Verbe prise en elle-même, elle porte uniquement sur l’exercice de cette puissance par rapport à la sainte humanité du Sauveur ; le Verbe, en la prenant, ne l’a pas dotée des prérogatives réservées au temps de la glorification suprême : se ipsum exinaniens, est intra suam ipse vacuefactus potestatem. De Trinitate, XI, 48, col.432. La limi- [col.2432 fin / col.2433 début] tion s’étend-elle aussi à la science humaine du Christ ? La question se pose à propos du texte : De die autem illo vel hora nemo scit ; neque angeli in cælo, neque Filius nisi Pater, Marc, XIII, 32, objecté par les ariens. Il faudrait répondre par l’affirmative s’il était prouvé que, d’après Hilaire, Notre-Seigneur s’attribue une ignorance réelle ; mais la preuve n’est pas faite. Dans le long passage où il discute l’objection arienne, le saint évêque nie catégoriquement une telle ignorance. De Trinitate, IX, 58-75, col. 328-342. Il ne nous dit pas, il est vrai, s’il entend parler de Jésus-Christ à la fois comme Dieu et comme homme ; la plupart des considérations qu’il propose s’appliquent même au Dieu ; mais quelques-unes valent aussi de l’homme, celle-ci, par exemple, n. 59, col. 329 : Hanc ille diem ignorat, cujus et in se tempus est, et per sacramentum ejus est ? Etenim adventus sui dies iste est, de quo apostolus (Col., III, 4) ait : Cum autem Christus apparuerit vita vestra, tunc et vos cum eo apparebilis in gloria. Les textes qu’on peut opposer son inefficaces. Les deux principaux, De Trinitate, IX, 73, Non ergo, et X, 8, col. 348, sont d’une authenticité plus que douteuse. Si, dans un autre endroit, le commentateur rattache au dépouillement du Christ l’ignorance dont il a fait profession : qui se forma Dei evacuans ac formam servi assumens, infirmum naturæ nostræ hominem usque ad ignoratæ diei atque horæ scientiam sit professus, In ps. CXLII, 2, col. 838, rien n’indique qu’il s’agisse d’une ignorance réelle ou intérieure, et non pas d’une ignorance apparente ou extérieure : non ignorationis infirmitatem, sed tacendi dispensationem. De Trinitate, X, 8, col. 348. Cf. A. Beck, op. cit., p. 200 sq., 210.

Durée de l’union hypostatique. ? Nul doute que saint Hilaire ne soutienne, en principe, la perp?tuité de l’union entre le Verbe et la nature humaine qu’il a prise : naturam carnis nostræ jam inseparabilem sibi homo natus assumpsit, mansuro in æternum in Deo homine.De Trinitate, VII, 13 ; IX, 7, col. 246, 286. Il y avait là, dans les principes du saint docteur, une condition essentielle à l’œuvre rédemptrice ici-bas, et la glorification suprême de Jésus-Christ, succédant à la période de dépouillement, n’exigeait pas moins impérieusement la présence au ciel de son humanité sainte, puisque cette glorification devait avoir pour sujet l’Homme-Dieu : cum glorificari se rogat, non utique naturæ Dei, sed assumptioni humanitatis hoc proficit. De Trinitate, X, 7, col. 348 ; In ps. CXLIII, 17, col. 846.

Quelques textes n’en ont pas moins donné lieu à deux difficultés d’inégale importance. La première est d’une portée restreinte, car elle concerne le seu corps du Sauveur, pour le court espace de temps qu’il resta privé de vie et mis au tombeau. Séparé alors de l’âme, le fut-il aussi du Verbe ? Hilaire semble l’affirmer dans son interprétation du premier cri jeté par Notre-Seigneur en croix, un peu avant sa mort : Clamor vero ad Deum, corporis vox est, recedentis a se verbi Dei contestata dissidium, In Matth., XXXI, 6, col. 1074 sq. ; cf. In ps. LIV, 12, 361 ; ipse huic emortuo et intra sepulchrum relicto corpori divinaæ naturæ sunt tribui consortium. Il y eut donc abandon du corps par le Verbe. Mais s’agit-il d’un abandon absolu, en vertu duquel le Verbe aurait suspendu momentanément son union personnelle avec le corps mourant, ou s’agit-il seulement d’un abandon relatif, consistant en ce que le Verbe, acceptant la séparation de son âme et de son corps, aurait par le fait même livré à la mort ce dernier, cui discessio immortalis animæ mors est ? In ps. CXXXI, 9, col. 734. Pris en lui-même, le texte peut s’interpréter et a été, de fait, interprété dans les deux sens ; mais la seconde interprétation, donnée par Coustant, P. L., t. IX, col. 1073, note g ; Wirthmüller, op. cit., [col.2433 fin / col.2434 début] p. 71, et autres, trouve un point d’appui positif dans cet autre passage, De Trinitate, IX, 62, col. 391 : Habes in conquerente ad mortem relictum esse, quia homo est. Du reste, quoi qu’il en soit de la glose contenue dans le commentaire sur saint Matthieu, c’est dans le traité De Trinitate, postérieur en date et purement théologique, qu’il faut chercher la pensée définitive de l’évêque de Poitiers. Elle n’est pas douteuse, car il affirme avec beaucoup de relief l’unité d’être ou l’identité personnelle entre le Christ et son corps inanimé : spoliata enim caro Christus est mortuus ; neque alius est commendans spiritum et exspirans, neque alius est sepultus et resurgens, De Trinitate, IX, 11 ; X, 63, col. 290, 392 ; cf. In ps. CXXXI, 9, col. 734 ; unigenito et in corpore manenti Deo (mors) requies fuit. Sur toute cette question, voir Coustant, Præf. gen., c. IV, § 4, n. 160-181, col. 78 sq.

L’autre difficulté, d’une portée plus générale et largement traitée par le même écrivain, § 5, n. 182-187, 191-194, col. 87-95, se rapporte à l’humanité glorifiée. Saint Hilaire distingue trois états du Christ : ante hominem, in hominem, post hominem. In ps. CXXXVIII, 19, col. 802 ; De Trinitate, IX, 6, col. 285. Dans le premier, Jésus-Christ est Dieu, ante hominem Deus ; dans le second, il est Homme-Dieu, homo et Deus ; dans le troisième, il se retrouve simplement Dieu, nunc Deux tantum. De Trinitate, X, 22 ; XI, 40, col. 360, 425. Serait-ce que l’humanité glorifiée disparaît, absorbée par la divinité ? Dans ce cas, l’union hypostatique disparaît aussi, pour faire place à une confusion de nature, comme dans la doctrine monophysite. Des textes comme celui-ci : susceptus homo in naturam divinitatis acceptus, In ps. LXV, 12, col. 429, sembleraient, au premier aspect, présenter ce sens. Après ce qui a été dit ci-dessus du dépouillement du Christ, la difficulté se réduit à une question de terminologie. L’état dénommé par Hilaire post hominem ne signifie rien autre chose que l’état du Sauveur glorifié, alors qu’ayant quitté la " forme de serviteur " revêtue ici-bas, il a repris au ciel, en toute sa personne, la " forme de Dieu ", l’état de gloire propre à quelqu’un qui est Dieu. Le nunc Deus tantum signifie qu’au ciel Jésus-Christ est purement et simplement en " forme de Dieu ", De Trinitate, IX, 38, col. 310 ; il ne signifie nullement que la nature humaine disparaît. Voici en effet l’explication qui suit immédiatement, XI, 40 : non abjecto corpore, sed ex subjectione translato : neque per defectionem abolitio, sed ex clarificatione mutato ; cf. IX, 6, col. 285 : totus homo, totus Deus. Ce qui disparaît, ce n’est pas la nature humaine prise en elle-même, ce sont toutes les imperfections qui s’attachent à cette nature non glorifiée et que la " forme de serviteur " suppose : ut in Die virtutem et spiritus incorruptionem transformata carnis corruptio absorberetur, De Trinitate, III, 16, col. 85 ; corruptionis scilicet natura per profectum incorruptionis absorpta. In ps. CXXXVIII, 23, col. 804. Rien de plus propre à confirmer cette conclusion, que la manière dont le docteur gaulois interprète le texte de saint Paul, I Cor., XV, 24-25 ; Deinde finis cum tradiderit regnum Deo et Patri, etc., dont Marcel d’Ancyre, au rapport d’Eusèbe, Contra Marcellum, II, 4, P. G., t. XXIV, col. 314 sq., abusait étrangement pour soutenir qu’après le jugement dernier, le Verbe se dépouillerait de la nature humaine. Les mots Deinde finis, etc., signifient la consommation ou l’état définitif des élus, et non pas la fin du Christ en tant qu’homme ; le Christ restera chef, dans son humanité glorifiée, de tous les élus glorifiés avec lui. De Trinitate, XI, 39, col. 424 ; In ps. IX, 4 ; LXI, 5, col. 393, 424. Voir Coustant, loc. cit., § 6, col. 95 sq.

Conception de Jésus-Christ ; virginité et maternité de Marie. ? Que Jésus-Christ, Fils de Dieu, ait été conçu et enfanté par Marie, et par Marie vierge, c’est [col.2434 fin / col.2435 début] là un thème qui revient trop fréquemment dans les écrits de l’évêque de Poitiers pour qu’il suit nécessaire de nous y arrêter. Ce n’est pas seulement la virginité de Marie concevant et enfantant qu’il affirme, c’est aussi la virginité après l’enfantement ou la virginité perpétuelle qu’il professe et défend contre ceux qui l’attaquaient ; dans les " frères de Jésus " il voit des enfants de Joseph, nés d’un premier mariage. In Matth., I, 3, 4, col. 921 sq. La maternité de Marie est une conséquence de sa conception et de son enfantement ; aussi est-elle appelée par Hilaire Mère de Jésus, mère du Christ, ibid., et ailleurs, De Trinitate, II, 26, col. 67 : mère du Fils de Dieu. Son rôle par rapport au Verbe, en tant qu’homme, fut exactement celui d’une mère dans la conception, la gestation et la mise à jour de son fruit : quæ officio usa materno, sexus sui naturam in conceptu et partu hominis exsecuta est. De Trinitate, X, 17, col. 356. Nulle difficulté pour les deux derniers actes ; mais il n’en va pas de même pour le premier. Comme le saint docteur attribue aussi au Saint-Esprit la conception du Sauveur, ex conceptu Spiritus Sancti Virgo progenuit, De Trinitate, X, 35, col. 371, deux questions interviennent : que faut-il entendre ici par l’Esprit-Saint, et quel rôle Hilaire attribue-t-il à celui que cette appellation désigne ? L’une et l’autre de ces questions ont donné lieu à des controverses sérieuses.

En plusieurs endroits, la conception de Jésus-Christ est attribuée au Saint-Esprit en des termes qui semblaient faire de celui-ci le sujet de l’incarnation, par exemple, De Trinitate, II, 26, col. 67 : Spiritus Sanctus desuper veniens Virginis interiora sanctificavit, et in his spirans naturæ se humanæ carnis inmiscuit, et id quod alienum a se erat, vi sua ac potestate præsumpsit. La conclusion serait rigoureuse si, dans ce texte, l’appellation de Spiritus Sanctus désignait la troisième personne de la Trinité. Mais cette interprétation est formellement contraire à l’enseignement du docteur gaulois ; pour lui, comme pour tout catholique, c’est la seconde personne de la Trinité, le Verbe, le Fils unique de Dieu qui s’est incarné : Verbum Deus caro factum : natus Unigenitus Deus ex virgine homo, De Trinitate, I, 33 ; VIII, 5, col. 33, 284 ; Dei Filio in filium hominis ex partu virginis nato. In ps. LIII, 5, col. 340. La phrase incriminée s’explique, en général, par l’élasticité, déjà signalée, de l’appellation Spiritus Sanctus, en particulier, par ce fait que saint Hilaire, comme beaucoup d’autres Pères anciens, rapporte à la seconde personne le verset évangélique, Luc, I, 35 : Spiritus Sanctus superveniet in te, et virtus Alsissimi obumbrabit tibi. Cf. Coustant, Præf ; gen., 58-61, col. 351 ; Baltzer, Die Theologie des hl. Hilarius, p. 46, not. 2. Dans cette hypothèse, c’est le Verbe ou le Fils qui s’est formé lui-même le corps et toute la nature humaine dont il allait se revêtir : per Verbum caro factus, In Matth., II, 5, col. 927 ; Dei Filius natus ex Virgine est et Spiritu Sancto, ipso sibi in hac operatione famulante, et sua, videlicet Dei, inumbrante virtute, corporis sibi initia consevit et exordia carnis instituit ; assumpta sibi per se ex Virgine carne ; sed ut per se ibi assumpsit ex Virgine corpus, ita ex se sibi animam assumpsit. De Trinitate, II, 24, X, 15, 22, col. 66, 357.

Deux choses, pourtant, sont à distinguer : l’action productrice de la nature humaine du Christ, et le rapport personnel d’union qui doit exister entre les deux termes de l’incarnation, à savoir le Verbe et la nature humaine. ce rapport personnel d’union est propre, exclusivement propre à la seconde personne de la Trinité, car c’est le Verbe qui s’incarne, c’est le Fils de Dieu qui devient fils de l’homme ; delà, dans les textes précédents, ces formules expressives : ipso sibi in hac operatione famulante ; sibi initia consevit ; [col.2435 fin / col.2436 début] sibi assumpsit. La production de la nature humaine du Christ se ramène à une autre notion, celle de causalité efficiente ; Hilaire lui-même y voit un terme de la puissance et de l’action divine : et sua, videlicet Dei, inumbrante virtute ; angelus efficientiam divinæ operationis ostendit ; si enim conceptum carnis nisi ex Deo Virgo non habuit, De Trinitate, II, 24, 26 ; X, 22, col. 66 sq., 359 ; ex Spiritus scilicet et Deo natus. In ps. CXXII, 3, col. 669. Comme la puissance et l’action divine sont communes aux trois personnes, la production de la sainte humanité leur est aussi commune. Elle peut néanmoins s’attribuer à la seconde personne à un titre spécial, à cause du rapport intime qui existe entre cet effet et le mystère de l’incarnation. De même, l’appellation Spiritus Sanctus, appropriée maintenant à la troisième personne, peut également s’appliquer à la seconde, puisque, considéré dans sa nature divine, le Fils est lui-même Esprit et Saint. De Trinitate, III, 30, col. 71. Cf. Coustant, Præf. gen., 62, 65, col. 37 sq.

L’autre question, relative au rôle joué par le Verbe dans la conception de sa propre humanité, trouve dans ce qui précède un commencement de solution. L’évêque de Poitiers attribue formellement au verbe un rôle de causalité efficiente. Mais dans quelle mesure ? Deux interprétations opposées sont en présence. On peut concevoir le Verbe comme cause efficiente de sa nature humaine par voie de création proprement dite, en sorte que le corps du Christ, non moins que son âme, soit produit indépendamment de toute matière préexistante. Dans cette hypothèse, Marie ne serait pas cause dans la conception de Jésus ; son rôle se bornerait à recevoir et à porter dans son sein l’embryon créé par le Verbe, puis à mettre au jour l’enfant divin. Au XIIe siècle, un prévôt du nom de Jean, Joannes præpositus, engagé dans une controverse avec le prémontré Philippe de Harvengt, abbé de Bonne-Espérance en Hainaut († 1183), entendit ainsi diverses assertions de saint Hilaire, celles-ci entre autres : Neque Maria corpori originem dedit ; ipse enim corporis sui origo est, De Trinitate, X, 16, 18, col. 355 sq. ; il les attaqua comme contraires à doctrine de l’Eglise catholique, qui voit dans la chair de Marie, vraie mère de Jésus, la matière dont le corps de celui-ci fut formé. Philippe de Harvengt, Epist., XXII, XXIV, P. L., t. CCIII, col. 170, 172. L’attaque fut renouvelée à plusieurs reprises, au XVIe siècle, par Erasme, au XIXe par Baur, Die christliche Lehre von der Dreieinigkeit, Tubingue, 1841, t. I, p. 686, et quelques autres, notamment Watson, op. cit., p. LXXI sq. Ce dernier auteur expose avec plus de développement ce qu’il croit être la pensée de l’évêque de Poitiers. D’après les textes déjà cités et quelques autres, De Trinitate, II, 25 ; III, 19, col. 66, 87 : in corpusculi humani formam sanctæ Virginis utero insertus accrescit et certo non suscepti (Virgo) quod edidit, aucune portion de la substance de Marie ne serait entrée dans la composition du corps humain de Jésus. Deux théories d’Hilaire sont invoquées à titre d’argument confirmatif. La première, d’ordre théologique vient du parallélisme que le saint docteur établit, selon l’Apôtre, I Cor., XV, 47, entre le premier et le second Adam : l’un et l’autre sont l’œuvre immédiate du Christ avec cette différence qu’au lieu d’être terrestre, le corps du second est céleste, comme devant son origine à l’action du Saint-Esprit, et non point à des éléments terrestres, non terrenis inchoatum corpus elementis. De Trinitate, X, 17, 44, col. 356, 378. L’autre théorie, d’ordre physiologique, se rattache à une explication de la génération, contraire à celle d’Aristote, et dont témoigne Eschyle, Euménides, vers 658 sq., quand il nous montre Apollon déchargeant d’un parricide Oreste, meurtrier de Clytemnestre, sur ce motif que la [col.2436 fin / col. 2437 début] mère n’est pas l’auteur, mais seulement la nourrice de l’embryon humain :

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Conformément à cette explication, Hilaire tient que, dans la génération, le corps de l’enfant doit au père toute sa substance ; à la femme revient la fonction purement subsidiaire, de recevoir l’embryon dans son sein, d’en aider le développement et de le mettre à jour. Marie, ayant repli cette fonction par rapport à Jésus, l’évêque de Poitiers a pu dire qu’elle a été sa mère au même titre que les autres femmes sont mères de leurs enfants. De Trinitate, X, 16, col. 355.

Si cette interprétation était exacte, une objection grave existerait contre la doctrine d’Hilaire sur la maternité de Marie ; car cette maternité dépend finalement de ce fait, que Marie ait conçu Jésus réellement, c’est-à-dire de sa propre substance ; ce qui faisait dire à saint Irénée, Cont. hær., II, 32, n. 1, P. G., t. VII, col. 955 sq. : Errant igitur, qui dicunt eum nihil ex Virgine accepisse : si enim non accepit ab homine substantiam carnis, neque homo factus est, neque filius hominis. Argumentation d’autant plus pressante que Jésus-Christ n’ayant pas eu de père en tant qu’homme, il n’a pu entrer dans la famille humaine, comme rejeton d’Adam et notre frère, qu’en tenant sa chair de Marie. Heureusement, l’interprétation qui fait dire le contraire à saint Hilaire, est de tout point inacceptable, comme l’ont montré, d’abord Philippe de Harvengt, dans ses lettres au prévôt Jean, Epist., V, VI, VIII, P. L., t. CCIII, col. 36, 47, 57 ; cf. XXV, lettre de Hunald, col. 174, puis, d’une façon complète, Coustant, Præf. gen., c. IV, § 1, col. 30 sq., et ceux qui, récemment ont étudié le problème de près ; tels, parmi les catholiques, Wirthmüller, op. cit., p. 55 sq. ; Baltzer, Die Christologie des hl. Hilarius, p. 184 ; parmi les protestants, Dorner, op. cit., t. I, p. 1042, Förster, op. cit., p. 660 sq.

Hilaire nous présente, en effet, la chair et le corps de Jésus-Christ, non pas seulement comme portés et mis au jour par la Vierge, mais comme conçus, engendrés, pris d’elle : assumpta per se sibi ex virgine carne ; ex virgine conceptum (corpus) ; quod generatur ex virgine, De Trinitate, X, 15, 35, col. 353 sq., 371 ; naturæ nostræ sibi ex virgine corpus assumens. In ps. CXVIII, litt. XIV, 8, col. 592. Corrélativement, Marie nous apparaît comme engendrant d’elle-même la chair et le corps du Sauveur : caro perfectam ex se carnem generans ; perfectum ipsa de suis non inminuta generavit ; genuit ex se corpus. De Trinitate, III, 19 ; X, 35, col. 87, 371. Par là, et par là seulement, s’explique la relation de consanguinité que le saint docteur établit entre Jésus-Christ d’une part, de l’autre ses ancêtres juifs et même tous les descendants d’Adam déchu : ex David semine procreandum, In Matth., XXIII, 8, col. 1047 ; De Judæ frutice ; a vitiis eorum, qui sibi secundum carnem consanguinei habebantur, alienus. In ps. LXVII, 28 ; LXVIII, 10, col. 463, 476.

C’est à tort qu’on fait appel au parallélisme entre le premier et le second Adam, sous le rapport de la fondation immédiate par Dieu, en supposant dans les deux cas une création proprement dite. Non seulement ce parallélisme n’est pas affirmé dans les textes allégués, mais il est positivement contraire à la doctrine de l’évêque de Poitiers ; d’après lui, comme d’après la Sainte Ecriture, le corps du premier Adam ne fut pas proprement créé, c’est-à-dire tiré du néant, mais il fut formé du limon terrestre : nam sumitur pulvis, et terrena materies formatur in hominem, aut præparatur. In ps. CXVIII, litt. X, 7, col. 566. De même, le corps du second Adam ne fut pas proprement créé, mais il fut formé de la [col.2437 fin / col.2438 début] Vierge. Aussi, dans un passage où il distingue expressément le corps et l’âme de Jésus-Christ, Hilaire s’exprime-t-il d’une façon différente, suivant qu’il s’agit de l’un et de l’autre ; il dit le corps pris de la Vierge, mis non pas l’âme : ut per se sibi assumpsit ex Virgine corpus, ita ex se sibi animam assumpsit. De Trinitate, X, 22, col. 359.

C’est à tort également qu’on invoque une théorie de la génération humaine rivale de la théorie aristotélicienne. La question n’est pas de savoir si ces deux théories ont existé chez les anciens, mais s’il y a des raisons positives d’attribuer à l’évêque de Poitiers la théorie qu’on prétend. Non seulement ces raisons n’existent pas, mais la doctrine du saint ne cadre nullement avec cette attribution.

La fausse supposition d’un corps proprement créé étant écarté, que signifient les textes où le saint docteur reporte au seul Verbe l’origine ou l’existence du corps humain qu’il s’est uni ? La réponse est dans ce texte : Genuit ex se corpus sed quod conceptum esset ex Spiritu. De Trinitate, X, 35, col. 371. Dans la génération normale il ne suffit pas que la femme ait en elle-même une parcelle de substance susceptible de devenir un embryon humain ; il faut que l’homme intervienne, exerçant un rôle actif et prépondérant, en sorte que, finalement, on doit lui attribuer l’origine ou l’existence de l’être. Dans la génération humaine, mais surnaturelle du Christ, l’homme n’intervient point ; le Verbe supplée, par un acte de sa vertu toute-puissante, à ce qui manque de ce côté-là ; c’est donc au Verbe, et au Verbe seul, qu’il faut attribuer l’origine ou l’existence de l’embryon humain, qu’il forme en vivifiant, par l’adjonction d’une âme qu’il crée, la parcelle d substance corporelle empruntée à Marie. On ne trouve rien de plus rien de moins dans les passages où sont exclus, dans la génération divine ou humaine du Christ, les elementa originis nostræ, De Trinitate, VI, 35, col. 185 ; cf. III, 19, col. 87 ; c’est-à-dire, l’apport fourni par l’homme dans la génération naturelle, mais non pas l’apport fourni par Marie comme par les autres mères. De même dans un autre texte, mal compris parfois : Et quamvis tantum ad nativitatem carnis ex se daret (Maria), quantum ex se feminæ edendorum corporum susceptis originibus independerent, non tamen Jesus Christus per humanæ conceptionis coaluit naturam. De Trinitate, X, 15, col. 354. Le sens n’est pas hypothétique : " Quand même elle donnerait. . . " ; il est positif, mais avec opposition entre le premier et le second membre de phrase : " Et quoiqu’elle donnât d’elle-même. . ., cependant Jésus-Christ n’a pas été soumis, dans sa conception, aux lois communes de la génération humaine. " C’est dans le même sens, eu égard à l’origine ou à la cause efficiente comme aussi à la personne du Verbe s’unissant un corps humain, et non pas eu égard à la constitution intime de ce corps, que saint Hilaire parle de corps céleste, comme il parle de conception céleste, De Trinitate, X, 18, 35, col. 356 sq., 371, ou encore du second Adam venu des cieux : Et cum ait secundum hominem de cælo, originem ejus ex supervenientis in Virginem Sancti Spiritus aditus testatus est. Ibid., 17, col. 356. Cf. Coustant, Præf. gen., n. 72, 73col. 41. Il est seulement vrai que, dans la pensée d’Hilaire, le corps de l’Homme-Dieu possède, en vertu de son origine transcendante, des propriétés ou perfections spéciales ; de là une nouvelle question, non moins délicate et plus difficile que la précédente.

Sensibilité et passibilité du Christ. ? Conçu d’une vierge par l’opération du Saint-Esprit, l’Homme-Dieu ne tombait nullement sous la loi du péché : Solus extra peccatum. In ps. CXXXVIII, 47, col. 815. Son corps n’a rien des vices qui s’attachent aux nôtres ; sa chair n’est pas une chair de péché, mais ressemble [col.2438 fin / col.2439 début] seulement à notre chair de péché. De Trinitate, X, 25, col. 364 sq. Les misères propres à nos corps, engendrés selon la loi du péché, sont étrangères au corps dont la conception fut surnaturelle : extra terreni est corporis mala, non terrenis inchoatum elementis. De Trinitate, X, 44, col. 378. Quelle est la portée de cette dernière affirmation ? Car il y a des affections qui sont prises en elles-mêmes, indépendantes de toute idée de péché ou de vice ; tels les maux physiques ou infirmités corporelles d’ordre commun : faim et soif, fatigue et sommeil, souffrance et mort ; telles encore les passions dans le sens large du mot : crainte, tristesse, douleur, avec les larmes qui peuvent en être la conséquence ou l’expression. Jésus-Christ fut-il soumis à ces affections, et de quelle manière ? La doctrine de saint Hilaire sur ces divers points, en particulier sur la douleur en Jésus-Christ, donne lieu à des objections spéciales ; il importe de procéder avec d’autant plus de discrétion que beaucoup d’auteurs appliquent trop facilement à ces diverses affections des textes du saint docteur dont la portée est plus restreinte.

1. En général, Jésus-Christ fut-il soumis aux infirmités et affections humaines ; et de quelle manière ? ? La r?ponse à la question de fait n’offre aucune difficulté. Hilaire attribue nettement au Sauveur nos infirmités physiques : naturæ nostræ infirmitates homo natus assumens. In ps. CXXXVIII, 3, col. 794. Ailleurs, il entre dans le détail : " Né d’une vierge, il s’était avancé du berceau et de l’enfance jusqu’à l’âge parfait ; il avait vécu en homme, passant par le sommeil, la faim et la soif, la fatigue et les larmes ; maintenant il va être tourné en dérision, flagellé, crucifié. " De Trinitate, III, 10, col. 81. La mort devrait s’ajouter comme dernier complément de cette vie humaine : ad explendam quidem hominis naturam, etiam morti se. . . subjecit. In ps. LIII, 14, col. 346. Ces affections, en particulier la flagellation, le crucifiement et la mort, disent manifestement souffrance physique : Passus quidem est Dominus Jesus Christus, dum cæditur, dum suspenditur, dum crucifigitur, dum moritur. De Trinitate, X, 23, col. 362. Ainsi, passion physique ou organique, suivant le sens que le saint évêque donne lui-même à ce mot : Passio est eorum quæ sunt illata perpessio. De syn., 49, col. 516. Ce qui vaut des infirmités physiques vaut aussi de l’âme. Hilaire ne pouvait méconnaître une doctrine expressément enseignée par les saintes Lettres, qui nous montrent Jésus-Christ soumis à la crainte et à la tristesse, ou versant des larmes. Matth., XXVI, 37 sq. ; Marc, XIV, 33 sq. ; Luc, XIX, 41 ; Jean, XI, 35. Il ne l’a pas méconnue : mœstus fuit et flevit ; flet interdum, et ingemiscit, et tristis est, In ps. LIII, 7 ; LXVIII, 12, col. 341, 377 ; tout cela réellement : vere Jesum Christum flevisse non dubium est. De Trinitate, X, 55, col. 387.

Mais de quelle manière Jésus-Christ fut-il soumis aux infirmités physiques et aux affections communes de notre nature ? Autrement que nous. Une première différence concerne l’objet des affections de l’âme ; Hilaire n’admet pas que, dans l’Homme-Dieu, la tristesse, la crainte, les larmes aient porté sur ses propres maux, comme sa mort ou les humiliations et les souffrances de la Passion : nec metuendi de se in eum infirmitatem incidisse aliquam ; non ergo sibi tristis est, neque sibi orat. De Trinitate, X, 10, 37, col. 350, 373. D’après le texte évangélique, Jésus fut triste jusqu’à la mort, mais non pas à cause de la mort ; sa tristesse venait des apôtres et de nous. Ibid., 36 sq., 41, col. 371 sq., 376. Il ne demanda pas que le calice s’éloignât de sa propre personne, mais qu’il passât à ses disciples et qu’ils le bussent avec lui : transitum calicis non sibi, sed suis deprecatur. In Matth., XXXI, 5, col. 1068. De même pour les larmes : ce n’est pas sur [col.2439 fin / col.2440 début] lui-même que Jésus a pleuré, mais sur nous : ut flens non sibi fleret. . ., sed nobis. De Trinitate, X, 24, 55 sq., 63, col. 364, 387 sq., 392.

Une autre différence tient à la modalité des infirmités physiques et des affections de l’âme : elles ne s’imposaient pas au Christ comme elles s’imposent à nous ; en lui, elles étaient volontaires à un double titre. D’abord, préalablement, car le Fils de Dieu n’est pas susceptible de ces infirmités et de ces affections dans sa nature propre, celle qu’il tient de son Père céleste, mais seulement dans la nature humaine qu’il a faite sienne librement, en prenant par condescendance pour sauver le genre humain. Tel est le sens, et l’unique sens, comme l’affirme justement Coustant, Præf. gen., n. 144-147, col. 70 sq., d’un certain nombre de textes, tels que ceux-ci : his omnibus non natura, sed ex assumptione subjectus, In ps. LIII, 7, col. 341 (édit. Zingerle, p. 140) ; non fuit ergo unigenito Dei naturalis infirmitates, quia homo nascitur. In ps. CXXXVIII, 3, col. 475, 794. C’est dans le même sens, semble-t-il qu’Hilaire a dit du Verbe qu’il a voulu pâtir, sans être passible : pati voluit et passibile esse non potuit. De syn., 49, col. 516. En second lieu, ces infirmités et ces affections furent volontaires même si l’on considère Jésus-Christ en tant qu’homme ; car il n’était pas nécessairement soumis aux causes, agents ou forces, qui les produisent, tenant de son origine surnaturelle et de son union personnelle avec le Verbe une vertu capable de faire échec à ces causes, s’il le voulait et quand il le voulait : dum pati vult, quod pati et non licet ; ut sitiens sitim non potaturus depelleret, et esuriens non se cibo escæ alicujus expleret. . ., vel cum potum et citum accepit, non se necessitati corporis, sed consuetidini tribuit, De Trinitate, IX, 7 ; X, 24, col. 286, 364 ; potens non mori, etiam timorem in se mortis ingruentem non renuit ; extra necessitatem et timoris positus et doloris ; permissum corpus passioni est, sed permissa sibi, dominata mors non fuit. In ps. LIV, 6 ; LXVIII, 1 ; CXXXIX, 14, col. 350, 471, 821.

Ces textes et autres du même genre ne sont pas sans difficulté ; dans la controverse déjà signalée entre Philippe de Harvengt et le prévôt Jean, ils donnèrent lieu à discussion. Le prévôt soutenait qu’en Jésus-Christ la passibilité est naturelle, bien qu’acceptée volontairement. Epist., XXIV, P. L., t. CCIII, col. 173. L’abbé de Bonne-Espérance, invoquant les textes de saint Hilaire, voyait dans l’impassibilité la condition naturelle de l’Homme-Dieu ; l’infirmité physique et la souffrance ne pouvaient donc exister dans son corps et dans son âme qu’en vertu d’une intervention spéciale et miraculeuse du Verbe, præter naturam et per miraculum. Epist., XXV, Hunaldi ad præpositum, P. L., t. CCIII, col. 175 sq. Voir t. VI, col. 1015-1016. Les vues de Philippe de Harvengt se retrouvent dans Baur, op. cit., t. I, p. 689 ; Watson, op. cit., p. LXXV, et quelques autres. Mais cette interprétation est loin de s’imposer. Les textes qu’on invoque prouvent uniquement que le Verbe pouvait toujours soustraire sa nature humaine à l’influence des lois qui régissent la nôtre. Ainsi en fut-il, par exemple, pendant les quarante jours de jeune au désert ; la faim se fit seulement sentir quand, ce temps étant écoulé, le Verbe ramena son corps aux conditions normales de notre vie : Virtus illa quadraginta dicrum non mota jejunio, naturæ suæ hominem dereliquit. In Matth., III, 2, col. 928. C’est donc que, laissée à elle-même, la nature humaine du Sauveur était vraiment susceptible d’éprouver, comme nous, le besoin d’aliments. La même idée se retrouve expressément ailleurs : Qui se somno et lassitudini sæpe commiserit, etiam usque ad sitis et esuritonis necessitatem. In ps. LXVIII, 6, col. 474 ; cf. Baltzer, Die Christologie [col.2440 fin / col.2441 début] des hl. Hilarius, p. 24 sq. ; Wirthmüller, op. cit., p. 61 sq.

Toutefois, une distinction est possible ; distinction qu’Hilaire n’a pas exprimée, mais que la synthèse de sa doctrine paraît suggérer. Le Verbe a pu douer sa nature humaine, corps et âme, d’une vertu ou force spéciale, l’immunisant en principe contre toute infirmité, mais n’étant ni nécessairement ni toujours en acte. Dans cette hypothèse, les infirmités peuvent se dire naturelles ou surnaturelles, suivant qu’on les considère par rapport à la nature humaine du Christ, prise en elle-même, dans ses éléments constitutifs, ou par rapport à cette même nature envisagée comme unie au Verbe et possédant, à ce titre, une vertu ou force d’ordre supérieur, mais d’ordre surnaturel. Telle fut, au fond, la distinction proposée, au XIIe siècle par Hunald, choisi pour arbitre par Philippe de Harvengt et le prévôt Jean : Ex natura namque humanitatis putat (Philippus) illum contraxisse, quod nos ex gratia credimus eum habuisse ; quomodo præter naturam et per miraculum doluit, qui dolendi potentia carnali non caruit ? Epist., XXV, P. L., t. CCIII, col. 176, 179. Voir t. VI, col. 1016-1017.

2. En particulier, Jésus-Christ fut-il, ici-bas, soumis à la douleur ? ? Question complexe et difficile, ne serait-ce qu’? cause de la multiplicité des opinions, provoquées d’ailleurs par les antilogies que présente, à première vue, l’ensemble des textes hilariens. Un exposé succinct du problème est nécessaire pour comprendre le point précis de la difficulté et sa réelle portée.

a) Le problème. ? Saint Hilaire traite plus directement la question de la douleur de J?sus-Christ au livre dixième De Trinitate ; toutefois il ne l’envisage que d’une façon spéciale, en vue des ariens. Ceux-ci niaient la divinité de celui qui, dans les Ecritures, est appelé Fils ; ils le regardaient comme un esprit créé qui tenait lieu d’âme en Jésus-Christ, et dès-lors toutes les affections attribuées à celui-ci dans les saintes Lettres retombaient directement sur le Verbe, considéré dans sa nature propre. Aussi, pour prouver que le Verbe ou le Fils était d’une nature inférieure à celle du Dieu suprême, ils partaient des textes évangéliques relatifs à Notre-Seigneur, où il s’agit de crainte et de douleur ; comment serait-il vrai Dieu, puisqu’il nous apparaît sans cette puissance sûre d’elle-même qui bannit la crainte et sans cette incorruptibilité de l’esprit où la douleur n’a point de place ? ut qui timuit et doluit, non fuerit in ea potestatis securitate quæ non timet, vel in ea spiritus incorruptione quæ non dolet. Il s’agit donc d’une crainte et d’une douleur qui atteignent l’esprit ; crainte mêlée de tristesse et de douleur anxieuse, qui va jusqu’à se trahir par de profonds gémissements, sous le coup de la peine corporelle endurée : et humanæ passionis trepidaverit metu, et ad corporalis pœnæ congemuerit atrocitatem. De Trinitate, X, 9, col. 349 ; cf. I, 31, col. 45 sq. Idée déjà exprimée avec non moins de relief dans le commentaire sur saint Matthieu, XXXI, 1-3, col. 1066 : et ideo in eo doloris anxietas, ideo spiritus passio cum corporis passione, ideo metus mortis.

Pour répondre à la difficulté, il ne suffit pas de faire appel à la distinction classique entre Jésus-Christ Dieu et Jésus-Christ homme ; c’eût été, dans l’occurrence, une pétition de principe, tant qu’on n’aurait pas fait d’abord admettre à l’adversaire la divinité du Verbe. Le docteur gaulois prend une autre voie ; répondant ad hominem, il s’efforce de montrer aux ariens qu’ils interprètent mal les textes évangéliques en supposant dans Jésus-Christ des sentiments de crainte, de tristesse, de douleur qui auraient porté sur ses propres maux, blessures, souffrances et mort. C’est ainsi qu’il est amené à étudier de plus près la [col.2441 fin / col.2442 début] douleur en Jésus-Christ : " Mais peut-être a-t-il craint des peines corporelles, et les liens des cordes qui devaient le serrer violemment, et les blessures faites par les clous qui devaient le tenir suspendu à la croix ? Voyons donc quel corps fut celui du Christ homme, pour que la douleur ait pu l’atteindre en sa chair blessée, attachée et suspendue à la croix. " De Trinitate, X, 13, col. 352. Suit immédiatement un passage curieux et d’une grande portée où l’évêque de Poitiers explique, non pas précisément ce qu’est la douleur corporelle, mais comment ou dans quelles conditions elle existe en nous. " Telle est la nature des corps, qu’étant unis à l’âme qui les vivifie et leur communique sa faculté de sentir, ils ne sont plus une matière inerte et insensible ; touchés, ils sentent ; blessés, ils éprouvent de la douleur. . . Sous l’influence de l’âme qui les possède et les pénètre, ils sont, en effet, susceptibles d’impressions diverses, agréables ou pénibles. Quand donc il y a douleur dans les corps percés ou blessés, l’âme sensible qui leur est unie reçoit le sentiment de la douleur : cum igitur compuncta aut effossa corpora, dolent, sensum doloris transfusæ in ea animæ sensus admittit. Enfin, la douleur infligée au corps s’étend jusqu’à l’os ; mais, quand on coupe l’extrémité des ongles, les doigts restent insensibles, et s’il arrive qu’un membre, tombant en corruption, cesse d’être chair vive, on pourra couper ou brûler, sans qu’elle éprouve de douleur, cette chair qui n’est plus unie à l’âme. Ou encore, s’il le faut, pour une raison grave, tailler dans le vif et qu’à l’aide d’un narcotique on assouplisse la vigueur de l’âme, en sorte qu’absorbée par l’action violente des sucs administrés, elle perde le souvenir et le sentiment, on peut couper les membres sans qu’ils ressentent la douleur et, quelque profonde que soit la plaie faite par la blessure, la chair demeure insensible, comme l’âme elle-même, dont le sens est comme engourdi. Ainsi c’est par le corps, uni à une âme sensible, que le sens de cette dernière, faible lui aussi, est atteint par la douleur. "

Hilaire distingue, on le voit, entre l’impression douloureuse qu’éprouve le corps soumis à un mal physique et le sentiment formel de la douleur qui, par contrecoup, résulte dans l’âme unie au corps ; mais ce contrecoup n’a lieu que si l’âme unie au corps est faible et, comme telle, douée d’un sens faible. De là cette conclusion que le saint docteur tire aussitôt, n. 15, col. 363 : Si la nature humaine de Jésus-Christ, considérée dans ses éléments constitutifs, le corps et l’âme, a été soumise dans sa formation aux mêmes conditions que les nôtres, c’est chose naturelle que Jésus-Christ ait senti la douleur propre à nos corps ; mais, s’il a été lui-même l’auteur immédiat de son corps et de son âme, les impressions qui furent en lui ont dû répondre à la condition et à la perfection spéciale de son corps et de son âme, secundum animæ corporisque naturam necesse est et passionum fuisse naturam. C’est la seconde hypothèse qui est la vraie ; en vertu de sa conception surnaturelle et de son union personnelle au Verbe divin, Jésus-Christ fut exempt, en son corps et son âme, de l’infirmité qui s’attache aux nôtres par suite de leur origine vicieuse : animi et corporis nostri perfectus est natus ; habuit enim corpus, sed originis suæ proprium neque ex vitiis humanæ conceptionis existens ; nec est in vitiosa hominis infirmitate, qui Christus est. De Trinitate, X, 15, 25, col. 354, 364, 366.

Ces principes une fois posés et développés, l’évêque de Poitiers en fait l’application aux souffrances endurées par le Sauveur ; il dissocie alors les deux idées de passion et de douleur : In quo (Jesu Christo), quamvis aut ictus incideret, aut vulnus descenderet, aut nodi concurrerent, aut suspensio elevaret, afferrent quidem hæc impetum passionis, non tamen dolorem passionis [col.2441 fin / col. 2442 début] inferrent. . . Passus quidem est Dominus Jesus, dum sæditur, dum suspenditur, dum crucifigitur, dum moritur ; sen in corpus Domini irruens passio, nec non fuit passio, nec tamen naturam passionis exseruit, dum et pænali ministerio desævit, et virtus corporis sine sensu pœnæ vim pœnæ in se desævientis excepit, n. 23, col. 361 sq.

Abstraction faite de ce que les mots : virtus corporis, peuvent signifier, ce qui ressort nettement de ce passage, c’est la distinction et l’opposition entre deux séries d’affection : d’un côté, la passion physique ou organique, la peine entendue dans le même sens, l’une et l’autre considérées sous leur aspect agressif, impetus passionis, vis pœnæ, pœnale ministerium ; de l’autre côté, la douleur comme contrecoup de la passion physique, de la peine sentie ou ressentie et, par suite, la passion et la peine agissant suivant leur nature ou leur propriété, dolor passionis, sensus pœnæ, naturam passionis exserens passio. De ces deux séries d’affections, la première est admise en Jésus-Christ, la seconde est rejetée : habens ad patiendum quidem corpus, et passus est ; sed naturam non habens ad dolendum, n. 23, cf. 35, col. 361 sq., 371. Et cela, en vertu de la perfection propre à la nature humaine de l’Homme-Dieu, et tout d’abord à son âme qui pénètre et régit son corps comme force immanente : Si domini corporis sola ista natura sit, ut sua virtute, sua anima feratur in humidis, et insistat in liquidis, et exstructa transcurrat quid per naturam humani corporis conceptam ex Spiritu carnem judicamus ? Ibid., col. 363.

Qu’il n’y ait pas là, pour saint Hilaire, une idée secondaire et lancée en passant, mais une idée délibérément admise et jugée importante, le soin et l’insistance qu’il met à développer sa pensée l’indiquer suffisamment ; car il la reprend sous diverses formes au cours du même livre, surtout quand il établit, n. 44, col. 378, un rapprochement entre Jésus-Christ pendant sa Passion et certains martyrs qui, dominant la faiblesse de leur nature par le saint enthousiasme de la foi et de l’espérance, cessaient de sentir leurs souffrances et, au milieu des tourments, se réjouissaient : sui quoque sensus ac spiritus corpus efficitur ut pati se desinat sentire quod patitur. Fait d’où le saint docteur tire un argument a fortiori : Et quid nobis de natura dominici corporis, et descendentis de cælo filii hominis adhuc sermo sit ?

Même doctrine dans les autres écrits d’avant ou après l’exil. Dans le commentaire sur saint Matthieu, XXXII, 7, col. 1069, Notre-Seigneur nous est présenté priant pour ses disciples, afin qu’ils boivent le calice d’amertume comme il le boit lui-même, sine spei diffidentia, sine sensu doloris, sine metu mortis. La distinction entre la passion et la douleur, entre la peine et le sentiment de la peine, se retrouve expressément dans le commentaire sur les Psaumes : Et quanquam passio illa non fuerit conditionis et generis, quia indemutabilem Dei naturam nulla vis injuriosæ perturbationis offenderet, tamen suscepta voluntarie est, officio quidem ipsa satisfactura pœnali, non tamen pœnæ sensu læsura patientem. . . Suscipiens naturales ingruentium in se passionem (quibus dolorem patientibus necesse est inferri) virtutes, ipse tamen a naturæ suæ virtute non excidit ut doloret. In ps. LIII, 12, col. 344. De même : Suscepit ergo infirmitates, quia homo nascitur ; et putatur dolere quia patitur, caret vero doloribus ipse, quia Deus est. Et cum habitat in nobis, cumque infirmitates nostra suscipit, et cum susceptis infirmitatibus non dolet. In ps. CXXXVIII, 3, col. 794.

Les textes qui précèdent ne contiennent pas tous les éléments du problème ; d’autres s’ajoutent qui rendent un son différent, et parfois même contraire, en sort qu’on peut ramener le tort à quatre séries : ?. Textes o? la douleur est niée, par exemple, en [col.2443 fin / col.2444 début] dehors des exemples déjà donnés : quo sensu rationis intelligit Dominum nostrum Jesum Christum. . . vulnera non permittentem dolori, vulneratum dolore ?De Trinitate, X, 33, col. 370 ; non vis, impie hæreice, et transeunte palmas clavo Christus non doluerit ? Ibid., 45, col.379 ; ?. Textes o? la douleur est affirmée : qui et flevit, et doluit, De Trinitate, X, 56, col. 388 ; et dolet ipse quidem. In ps. LXVIII, 1, col. 471 ; ?. Textes o? la douleur est en même temps niée et affirmée, ce qui suppose une diversité d’aspects : Et pro nobis dolet, non et doloris nostri dolet sensu. De Trinitate, X, 47, col. 381 ; ?. Textes, d?jà cités, où la distinction et l’opposition existent entre pati et dolore. Dès lors, il est facile de comprendre combien sérieusement se pose ce problème ; d’après saint Hilaire, Jésus-Christ fut-il ici-bas soumis à la douleur ?

b) Les opinions ou interprétations. ? On en compte trois générales. ? a. Les uns, prenant dans un sens absolu les textes exclusifs de la douleur, ont jugé que le docteur gaulois, trompé par une conception trop abstraite de la perfection due à la nature humaine du Verbe incarné, n’a réellement pas admis dans l’Homme-Dieu le sentiment de la douleur corporelle. Telle fut l’opinion de Claudien Mamert, De statu animæ, l. II, c. IX, n. 3, P. L., t. LIII, col. 754 ; il relève chez Hilaire cette assertion inexacte : nihil doloris Christum in passione sensisse. Voir t. VI, col. 1013. La même opinion fut soutenue, au moyen âge, par Bérenger et par le prévôt Jean dans sa controverse avec Philippe de Harvengt. Epist., XXII, XXIII, XXIV, P. L., t. CCIII, col. 170-174 ; cf. dom Berlière, Philippe de Harvengt, abbé de Bonne-Espérance, c. IV, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1892, t. IX, p. 200 sq. Au rapport de saint Bonaventure et de saint Thomas, In IV Sent., l. III, dist. XV, q. II, a. 3, expos. text., Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris, partagea le même avis seulement en ce qui concerne le traité De Trinitate, car il estimait qu’il y avait eu rétractation dans un ouvrage postérieur ; opinion reprise par Petau, De incarnatione, l. X, c. V, n. 5-6, où il identifie avec le commentaire sur les Psaumes l’ouvrage où l’auteur du De Trinitate se serait corrigé en attribuant au moins implicitement, la douleur à l’Homme-Dieu, notamment In ps. LXVIII, 4-5, col. 472 sq. D’autres s’en tiennent à l’interprétation rigoureuse de Claudien Mamert ; tels, pour citer quelques noms parmi beaucoup, Erasme dans la préface à son édition des œuvres de saint Hilaire ; Baronius-Pagi, Annales, an. 563, n. 4, t. X, p. 214 ; plus récemment, Watson, op. cit., p. LXXIII sq., Baltzer, Die Christologie des hl. Hilarius, p. 23-32, avec cette remarque toutefois qu’Hilaire admet le Christus dolet, en attachant à ce dernier mot l’idée de passion ou souffrance objective ; G. Rauschen, Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers über die Leidensfähigkeit Christi, dans Theologische Quartalschrift, Tubingue, 1905, t. LXXXVII, p. 424-438 ; dom Laurent Janssens, Summa theol., t. IV, p. 542 sq., concluant, p. 552 : Credimus proin mentem S. Hilarii ab aphthartodoketarum excessu non tantopere distare.

b. A l’encontre de cette première opinion s’en présente une autre qui nie l’erreur attribuée au saint docteur ; les textes incriminés doivent s’entendre de Jésus-Christ en tant que Dieu. Ce fut l’interprétation de Lanfranc contre Bérenger, Epist., I, ad Reginaldum, P. L., t. CL, col. 545 : Virtus corporis, id est, divinitas assumens ipsum corpus, sine sensu pœnæ, quantum ad ipsam attinet, vim pœnæ, id est, in carne assumpta, desævientis excepit. Coustant, Præf. gen., n. 123-137, col. 63 sq., a suivi la même interprétation, non pour tous les textes, mais pour quelques-uns, comme le De Trinitate, X, 23, 48, où virtus corporis est le sujet ; ces textes doivent s’expliquer par les passages correspondants des commentaires [col.2444 fin / col.2445 début] sur saint Matthieu et les Psaumes, où il s’agit manifestement que Jésus-Christ considéré dans sa nature divine : quod dolorem divinitatis natura non senti. In ps. LIII, 12, col. 344. Il faut également tenir compte des erreurs que l’Athanase de l’Occident avait en vue, erreurs des ariens, qui prétendaient attribuer au Verbe lui-même les affections de crainte, de tristesse, de douleur. Beaucoup d’auteurs se sont ralliés à cette seconde opinion ; tels que de nos jours Franzelin, De Verbo incarnato, th. XLII, schol. 1 ; Stentrup, Christologia, th. LVI, t. II, p. 896 sq. ; Hurter, Theologiæ dogmaticæ compendium, 11e édit., Inspruck, 1903, t. III, p. 399 ; Ch. Pesch, De Verbo incarnato, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1909, n. 228, où la solution est donnée pour commune.

c. Une troisième opinion s’ajoute, qui tient une sorte de milieu entre les précédentes : saint Hilaire écarte bien la douleur de Jésus-Christ, même en tant qu’homme, mais il l’écarte dans un sens relatif, et non pas absolu, c’est-à-dire entendue telle qu’elle existe en nous, avec les diverses imperfections qui l’accompagnent et qui sont une suite du péché originel, notamment avec le caractère de souffrance qui s’impose et qui trouble. Philippe de Harvengt proposait déjà cette interprétation, en disant de l’évêque de Poitiers : Hujus eum infirmitatis non credit exstitisse, ut scilicet invitus quidquam molestiæ vel in anima vel in corpore pateretur. Epist., V, P. L., t. CCIII, col. 40. Ce fut, en substance, la solution préférée des grands docteurs scolastiques, comme saint Thomas, loc. cit.: Solutio Magistri constitit in hoc quod simpliciter notuit removere a Christo dolorem, sed tria quæ sunt circa dolorem : primo dominium doloris. . . ; secundo meritum doloris. . . ; tertio necessitam doloris.

Coustant se met aussi à profit cette interprétation pour expliquer une partie des textes hilariens, loc. cit., n. 131-136, col. 166 sq. De même Hurter dans son édition du traité De Trinitate, Sanctorum Patrum opuscula selecta, 2e série, t. IV, notes sur les passages difficiles du livre Xe, p. 454, 463 sq., 466, 468, 473. Ajoutons le suffrage d’auteurs récents, soit protestants, comme Dorner et Förster, soit catholiques, comme Wirthmüller, Schwane et spécialement A. Beck, Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers über die Leidensfähigkeit Christi, et autres articles signalés dans la bibliographie. D’après ce dernier écrivain, la question traitée par Hilaire au livre Xe De Trinitate porterait sur la cause, et non pas sur l’existence de la douleur en Jésus-Christ : une seule force pouvait agir naturellement sur le corps de l’Homme-Dieu, la force même du Verbe ; toute autre force ne pouvait exercer d’influence que d’une façon éventuelle et dépendante ; d’où il suit que le sentiment de la douleur était possible en Jésus-Christ qu’en vertu d’une volonté positive de la part du Verbe. Le Dr Beck se contente cependant d’une volonté antécédente, venant de ce que le Verbe a pris librement un corps semblable au nôtre, tandis que Dorner, Förster, Wirthmüller et autres exigent, dans chaque circonstance, un acte de volonté formel et distinct.

Le principal fondement de cette troisième interprétation se tire de la combinaison ou de la conciliation de deux séries de textes : d’un côté, la douleur est positivement attribuée à l’Homme-Dieu ; de l’autre, dans les textes où elle est niée, on trouve des termes restrictifs qui réduisent implicitement la négation à un sens relatif : assumpta caro. . . passionum est permissa naturis, nec tamen ita ut passionum conficeretur injuriis, n. 24, col. 364 ; quam igitur infirmitatem dominatam hujus corpori credis, cujus tantam habuit natura virtutem, n. 27, col. 367 ; extra corporis nostri infirmitatem est (corpus illud), quod spiritalis conceptionis sumpsit exordium, n. 35, col. 371 ; [col.2445 fin / col.2446 début] et pro nobis dolet, non et doloris nostri dolet sensui nescit in Christo apostolus trepidationem doloris, n. 47, 48, col. 381 D’ailleurs, pour répondre à l’objection arienne, ne suffisait-il pas d’exclure de l’Homme-Dieu une douleur qui eût été ou nécessaire, ou méritée, ou dominatrice et troublante ?

c) Conclusions. ? Le lecteur ne s’?tonnera pas que, dans une question si complexe et si discutée, il soit nécessaire de procéder par degrés, en allant du plus certain en moins certain. Et d’abord, quoi qu’il en soit d’une exclusion absolue de la douleur, saint Hilaire l’écarte incontestablement de l’Homme-Dieu dans le sens relatif qui vient d’être expliqué. Les textes invoqués et les arguments apportés par les partisans des de la troisième opinion prouvent surabondamment cette première assertion. Mais, en réalité, le saint docteur n’exclut pas la douleur dune façon absolue, puisqu’il l’affirme en termes catégoriques dans la seconde série de textes signalés ci-dessus, col.2443 sq.

La douleur attribuée par Hilaire à l’Homme-Dieu est souvent une douleur purement spirituelle, indépendante de toute douleur corporelle ; ainsi en est-il de la douleur que le Sauveur ressentit pour les péchés ou pour les maux des hommes. Mais cette interprétation ne convient pas à tous les passages ; parfois il s’agit manifestement de la douleur corporelle : Percusssus ergo est Dominus, peccata nostra suscipiens, et pro nobis dolens, ut in eo usque ad infirmitatem crucis mortisque percusso, sanitas nobis per resurrectionem ex mortuis redderetur. . . Hunc igitur ita a Deo persecuti sunt, super dolorem vulnerum dolorem persecutionis hujus addentes. In ps. LVIII, 23, col. 484. Reste à concilier les deux séries de textes apparemment contradictoires, ceux qui affirment et ceux qui nient la douleur de Jésus-Christ.

Cette conciliation ne peut pas s’obtenir par une simple distinction entre Jésus-Christ en tant qu’homme et Jésus-Christ en tant que Dieu, comme si la douleur n’était exclue que de la nature divine. Même quand il s’agit de certains textes qui semblent décisifs aux tenants de la seconde opinion, par exemple, In ps. LIII, 12, col. 344 : quod dolorem divinitatis natura non sentit, on peut se demander s’il est bien vrai qu’ils écartent la douleur du Verbe considéré uniquement dans sa nature, ou s’ils ne l’écartent pas plutôt du Verbe considéré dans toute sa personne, du Verbe en tant que Dieu, premièrement, et dans un sens absolu, du Verbe en tant qu’Homme-Dieu, secondairement et dans un sens relatif. En tout cas, l’interprétation ne tient pas, si l’on considère l’ensemble des textes, et non pas tels ou tels en particulier. C’est au Verbe en tant qu’homme qu’Hilaire attribue ces affections : pati passus est, vim pœnæ in se desævientes excepit, et refuse les autres : non tamen dolorem passionis inferrent ; et virtus corporis sine sensu pœnæ vim pœnæ in se desævientis excepit. Dans ce dernier texte, l’expression virtus corporis ne doit pas s’entendre du Verbe, considéré dans sa nature divine, comme saint Thomas le faisait déjà remarquer, loc. cit. : Sed huic non consonant verba auctoritatis, quæ faciunt mentionem Christi carne. Vainement fait-on appel aux passages où l’évêque de Poitiers donne au Verbe divin l’appellation de Virtus ou de Virtus æterna ; ce sont là des appellations notablement différentes de cette autre : virtus corporis, prise dans le contexte et déterminée d’ailleurs par divers passages du même livre : At vero si dominici corporis sola ista natura sit, ut sua virtute, sua anima feratur in humidis ; cujus (corporis) tantam habuit natura virtutem ; quod si hæc in Christi corpore virtus fuit ; nempe et Altissimi virtus virtutem corporis, quod ex conceptione Spiritus virgo gignebat, admiscuit. De Trinitate, X, 23, 27, 28, 44, col. 363, 367, 368, 378. Il s’agit d’une vertu propre [col.2446 fin / col.2447 début] à la nature humaine du Christ et qu’elle doit à sa conception surnaturelle et à son union personnelle avec le Verbe, soit qu’on assimile cette vertu à une force dont le Verbe pouvait user ou ne pas user, à son gré, pour protéger sa sainte humanité contre la souffrance et la douleur, soit qu’on considère cette vertu comme affectant intrinsèquement cette humanité en la rendant naturellement incapable des mêmes affections. D’ailleurs dans les circonstances où le docteur gaulois écrivait, la distinction proposée, entre Jésus-Christ comme Dieu et Jésus-Christ comme homme, aurait été, on l’a déjà vu, inefficace, puisque les ariens ne niaient pas l’impassibilité de la nature divine, mais niaient l’existence d’une nature divine dans la personne du Christ.

L’explication de ces différents textes et la solution des antilogies ne peuvent pas s’obtenir non plus par le simple rejet d’une douleur qui ne serait pas volontaire de la part du Sauveur ; car Hilaire n’écarte pas moins toute souffrance, toute passion physique qui ne serait pas volontaire, et cependant quand il oppose pati et dolore, il admet l’un et écarte l’autre. Il semble qu’il faille recourir à une distinction implicitement contenue dans la doctrine du saint évêque et condensée pour ainsi dire dans cette assertion : Et pro nobis dolet, non et doloris nostri dolet sensu. Il y eut dans l’Homme-Dieu douleur endurée pour nous, mais sans le sentiment qui s’attache à notre douleur. Pour trouver dans Hilaire lui-même le fondement de cette solution, il faut revenir au passage capital, De Trinitate, X, 14, où il a essayé d’expliquer philosophiquement la genèse de la douleur en nous : Cum igitur compuncta aut effossa corpora dolent, sensum doloris transfusæ in ea (mot mal imprimé finissant par imæ) sensus admittit. Il y a donc d’abord douleur physique, organique, qui est douleur du corps vivifié par l’âme ; c’est ce que le saint docteur appelle ailleurs passio avec l’idée annexe de coup reçu, de violence exercée, de peine infligée, impetus passionis, vis pœnæ, pœnale ministerium. Ensuite, il y a, par répercussion naturelle, douleur dans l’âme, quand celle-ci est faible, douleur intérieure qui dit réaction contre le mal physique ou la lésion organique et accompagnée de malaise et de tristesse ou de crainte, suivant que le mal est actuellement subi ou appréhendé comme futur. Quand Hilaire parle de la douleur corporelle et qu’il l’affirme a pro nobis dolet, et dolet ipse quidem, il s’agit de la douleur physique ou de l’impression pénible qui affecte le corps vivifié par l’âme, quand il est blessé, percé, atteint de quelque façon dans son intégrité. Quand, parlant encore de la douleur corporelle, le saint docteur écarte de Jésus-Christ le sensus doloris ou le dolore en opposition au pati, il s’agit, non plus de l’impression pénible qui se produit dans l’organe ou le corps atteint, mais du sentiment de la douleur qui, par contrecoup, serait provoqué dans l’âme de l’Homme-Dieu en y produisant les mêmes effets qu’en nous. Cette seconde acception, spéciale et restreinte, des mots dolore, sensus doloris, s’explique par l’état de la controverse : dans leur attaque les ariens partaient de l’existence en Notre-Seigneur d’une douleur non purement physique, mais surtout morale, comme on l’a vu ci-dessus, col.2441.

Pourquoi, admettant en Jésus-Christ la douleur physique, saint Hilaire écarte-t-il de son âme le sentiment de la douleur, sentiment qu’il semble même, par sa manière de parler, identifier avec la douleur formelle et qu’en tout cas il considère comme une infirmité de notre nature, indigne de l’Homme-Dieu ? Peut-être faut-il attribuer cette manière de parler et de voir à une influence philosophique. Saint Augustin rapporte, De civitate Dei, XIV, 15, P. L., t. XLI, col. 424, cette définition de la douleur, empruntée sans doute [col.2447 fin / col.2448 début] aux stoïciens : Dolor carnis tantummodo offensio est animæ ex corpore, et quædam ab ejus passione dissensio ; sicut animæ dolor, quæ tristitia nuncupatur, dissensio ab his quæ nobis nolentibus accidunt. Cette notion supposée, si par hypothèse, il y avait passion physique impetus passionis, vis pœnæ, sans qu’il y eût, de la part de l’âme, dissentiment ni, par suite, réaction, le sentiment de la douleur ou la douleur formelle n’existerait plus, à proprement parler. Cette hypothèse n’est-elle pas celle d’Hilaire ? Comme il n’a jamais dit expressément ce qu’il entend par le sensus doloris, cette considération reste conjecturale ; mais elle trouve un sérieux point d’appui dans le fait qu’Hilaire s’arrête presque toujours à l’aspect moral, beaucoup plus qu’à l’aspect physique de la douleur corporelle. Aussi, dans le procès du doctorat, un défenseur du saint évêque jugea-t-il opportun de faire le rapprochement suivant : " Remarquez d’abord que, dans l’opinion des anciens philosophes, la constance du sage ne peut être atteinte par aucune peine, par aucune douleur ; leur opinion a été traduite en formules qui semblent exprimer que le sage ne sent ni fatigue, ni douleur. Est invulnérable, dit Sénèque, non ce qui n’est pas frappé, mais ce qui n’est pas blessé. Peu importe au sage que des traits lui soient lancés, puisqu’il est pénétrable à aucun d’eux. . . Or, saint Hilaire s’est servi des mêmes images pour exprimer la vertu du Christ : " Les coups dont il fut frappé, les blessures dont il fut déchiré, les meurtrissures du crucifiement eurent l’impétuosité de la souffrance, sans en avoir la douleur, de même que le trait qui traverse l’eau, le feu ou qui frappe l’air, ne peut y produire son effet naturel. " Je ne nie pas, ajoute Sénèque, que le sage souffre ; nous ne voulons pas dire qu’il ait la dureté de la pierre, car il n’y aurait pas de vertu à supporter ce qu’on ne sent pas ; mais les traits qu’il reçoit, il les émousse, il les guérit, il les comprime. Saint Hilaire dit également " que la chair assumée, l’homme tout entier est livré aux souffrances naturelles, non toutefois de sorte à être accablé par elles. " Ainsi, d’après saint Hilaire, le Christ a reçu l’impétuosité de la souffrance, sans le sentiment de cette souffrance, de la même manière que Sénèque a dit que le sage, inaccessible à la douleur, debout et sans trouble, maître de soi-même, demeure dans une haute placidité. " Correspondance de Rome, 4e année (1851), t. I, p. 236.

Entendue de la sorte, la doctrine de l’évêque de Poitiers ne sa rapproche pas, autant que l’ont prétendu les artisans de la première opinion, du docétisme ou de l’aphthartodocétisme, puisque Hilaire admettait et défendait, non seulement la réalité de la nature humaine dans l’Homme-Dieu, mais encore l’existence en lui de la souffrance et même, d’après l’explication proposée, de la douleur physique. Est-ce à dire que cette doctrine est de tout point recevable ? Nullement. L’auteur du De Trinitate s’est fait une idée trop abstraite de la perfection propre à l’humanité du Sauveur ; il a considéré trop exclusivement la dignité de l’union hypostatique et n’a pas tenu suffisamment compte de l’état d’infirmité physique auquel, par condescendance et pour nous racheter, le nouvel Adam a voulu se soumettre. Aussi s’est-il trompé quand il a écarté de Jésus-Christ toute crainte et toute tristesse qui aurait eu pour objet ses propres maux, ses souffrances et sa mort ; de même, quand il a repoussé, comme une infirmité indigne de l’Homme-Dieu, tout sentiment de douleur morale que la douleur physique ou matérielle aurait provoquée. De là des interprétations forcées et inadmissibles de certains textes scripturaires, tels que Matth., XXVI, 38 sq. L’erreur, d’ordre secondaire, et portant sur un point qui n’avait pas encore été suffisamment éclairci, [col.2448 fin / col.2449 début] trouve son excuse dans les circonstances de temps et de lieu où l’auteur écrivit.

V. GRACE ET PECHE. ? La doctrine de saint Hilaire sur la grâce est intimement liée à sa doctrine sur le péché. Comme les écrivains sacrés, il a coutume d’envisager l’homme tel qu’il est maintenant, dans l’état de nature déchue, exilé de de cette bienheureuse " Sion, où l’on vit sans convoitise, sans douleur, sans crainte, sans péché. " In ps. CXXXVI, 5, col. 779. L’origine de cette déchéance est dans le péché du premier père, qui s’étend à tous ses descendants : In unius Adæ errore omne hominum genus aberravit. In Matth., XVIII, 6, col. 1020. En s’avouant conçu dans l’iniquité, le prophète royal associe manifestement à sa propre naissance l’idée de péché : Scit sub peccati origine. . . se esse natum. In ps. CXVIII, litt. XXII, 6, col. 641. De là cette loi d’infirmité et de péché qui demeure en nous, même après le baptême : manente in nobis etiam secundum apostolum et origine et lege peccati. In ps. LVIII, 4 ; CXVIII, litt. XV, col. 375, 601 sq. Concupiscence pour le corps, ignorance pour l’âme, tels en sont les effets généraux qui, sans être eux-mêmes péché proprement dit, nous portent cependant au péché, In Matth., IX, 23, col. 976 ; In ps. CXVIII, litt. I, 8, col. 507 : ipsa illa vitiorum nostrorum incentiva ; litt. IV, 8, col. 530 : qua (tentatione) tanquam per viam ad peccatum itur. Aussi ni la bonté parfaite, qui fut l’apanage du premier homme en son état premier, ni la pleine observation des commandements ne se rencontrent maintenant en personne ici-bas. In ps. LII, 11 ; CXVIII, litt. III, 6, col. 329, 520.

A cette infirmité de notre nature déchue se rattache le rôle médicinal de la grâce. Sans employer le mot, Hilaire suppose la chose, quand il proclame la nécessité de la prière et du secours divin qu’elle implore pour surmonter les tentations qui viennent de la chair, du monde et du monde, ou d’une façon générale, pour accomplir, et même connaître nos devoirs. In ps. LXIII, 6 ; CXVIII, litt. I, 12 ; litt. X, 17, 18 ; litt. XV, 6 ; CXXXVIII, 15, col. 409, 509, 569, 601 sq., 790. Il n’affirme pas en termes moins illimités ni moins nets le rapport de dépendance intime et absolue que l’homme conserve en tout vis-à-vis de Dieu : si non in omnibus opus est Dei misericordia, etiam omnia nobis tanquam ex nostro sint vindicemus, In ps. CXXIII, 2, col. 675. Affirmation qui semble dépasser déjà l’idée d’un secours purement médicinal ; en tout cas, c’est une grâce d’une vertu supérieur, élevant les facultés ou sanctifiant l’âme, que l’évêque de Poitiers suppose en maint endroit, par exemple, quand il considère le secours divin comme nécessaire à l’intelligence et à la volonté en vue des des actes que les adultes doivent produire pour mériter la vie éternelle. In ps. CXVIII, litt. I, 15-15 ; litt. X, 15, col. 509 sq., 569 sq. ; ou, quand il montre Dieu en convertissant miséricordieusement le pécheur " et lui rendant le principe de nouveaux biens ", In ps. CXXV, 8, col. 689 ; ou, quand il associe à l’idée de la justification et du baptême celle de régénération ou de rénovation intérieure, de robe nuptiale, de temple divin orné de sainteté, In Matth., IX, 24, col. 976 : cum ergo innovamur baptismi lavacro ; XXII, 7, col. 1044 : vestitus autem nuptialis est gloria Spiritus Sancti ; In ps. LXIV, 6, col. 416 : ornandum hoc Dei templum est sanctitate atque justitia ; CXVIII, litt. III, 16, col. 525 : regenerationis gratiam.

Hilaire n’affirme pas seulement la nécessité de la grâce, il en affirme aussi la gratuité, par opposition aux œuvres de la loi, et de la nature : Si justitia fuisset ex lege, venia per gratiam necessaria non fuisset. In Matth., IX, 2, col. 963. Le salut nous vient de la miséricorde divine ; gratuit pour tous est le don de la foi, gratuit le don de la justification et de la rémission des péchés : Salus nostra ex misericordia Dei est ; [col.2449 fin / col.2450 début] gratuitam gratiam Deus omnibus ex fidei justificatione donavit ; dono gratiæ, vitæ anterioris crimina omittuntur. In ps. CXVIII, litt. VI, 2, col. 543 ; In Matth., XX, 7 ; XXI, 6 ; col. 543, 1030, 1043. La foi est essentiellement à la base de la justification : fides enim sola justificat. In Matth., VIII, 6, col. 961. Elle est également à la base de tout acte méritoire, en sorte que, sans elle, rien ne peut avoir de valeur pour le salut. In ps. XIV, 8 ; LXIV, 3 ; CXXXVI, 12, col. 304, 414, 783. Si grande même, au jugement du saint docteur, est l’excellence de la foi (considérée sans doute comme vertu) que jamais elle ne cessera, plus que l’espérance, à plus forte raison la charité. Fragm. hist., I, 1, col. 627. Néanmoins, la foi seule ne suffit point, ni la prière seule, In ps. CXVIII, prolog. 4 ; CXXXVIII, 5, col. 502, 751 sq. ; à l’une et à l’autre il faut joindre les bonnes œuvres, comme un aliment qui entretient la vie de l’âme : habemus hic cibum spiritualem, animam nostram in vitam, alentem, bona scilicet opera. In ps. CXXXVIII, 6, col. 706. Il y a même une certaine connexion entre la pratique des bonnes œuvres et la connaissance de la doctrine : nisi fidelium operum usus præcesserit, doctrinæ cognitio non apprehendetur. In ps. CXXVIII, litt. II, 10, col. 516. Appuyés sur la grâce et la foi du Christ, les bonnes œuvres deviennent méritoires et, sous les conditions requises, donnent droit à la récompense promise : nos vero salutem tanquam debitum postulamus ; pactum denarium tanquam debitum postulat. In ps. CXVIII, litt. XIX, 3 ; CXXX, 11, col. 626, 725. Hilaire semble même concevoir l’élection des hommes à la gloire comme dépendante des mérites prévus : Non res indiscreti judicii electio est, sed ex meriti delectu facta discretio est. In ps. LXIV, 5, col. 415.

Don de la bienveillance divine, la grâce n’en est pas moins destinée à celui à tous par celui qui est venu ici-bas pour tous et qui, ayant soin du genre humain, n’a pas cessé d’appeler, en tous temps, tous les hommes à l’observation de la loi. In Matth., IX, 2 ; XX, 5, col. 962, 1069. La voie du salut est ouverte à tous : omnibus enim patet aditus ad salutem. De mysteriis, 14, édit. Gamurrini, p. 15.De lui-même, Dieu ne repousse ni ne rejette personne ; seules notre résistance et notre négligence peuvent mettre obstacle à ses dons. Adam, repentant, a été pardonné et glorifié dans le Christ. In ps. CXVIII, litt. II, 3 ; CXIX, 4, col. 512, 468. L’existence du libre arbitre ressort manifestement de toute cette doctrine. Hilaire accentue fortement cette vérité, qu’il s’agisse d’Adam déchu et de ses descendants. In ps. II, 16 ; CXVIII, litt. XXII, 4, col. 270, 641. Aussi l’homme qui pèche est-il toujours responsable et inexcusable. In ps. CXL, 6, 10, col. 827, 830. Si Dieu connait d’avance l’usage que nous ferons de notre liberté, ceci témoigne de la perfection de sa science, et non pas d’une loi de nécessité qui s’imposerait au pécheur et le porterait irrésistiblement au mal : ipso potius hoc sciente, quam aliquo ad necessitatem genito naturamque peccati. In ps. LVII, 3, col. 269.

Cette vive préoccupation de sauvegarder le mérite et la liberté n’aurait-elle pas mené trop loin le docteur gaulois ? L’accusation a été formulée, même par des catholiques, comme dom Ceillier, op. cit., t. IV, p. 72 : " On trouve sur cette matière plusieurs propositions, en différents endroits de ses ouvrages, qui font de la peine et qui ne paraissent pas s’accorder avec la doctrine de saint Augustin, qui est celle de l’Eglise. " Abstraction faite des propositions qui, lues dans le contexte, sont irrépréhensibles, et d’autres qui ne peuvent être sérieusement incriminées que sous l’influence de préjugés d’école, celles-là méritent d’être signalées, où le commencement de l’acte salutaire et la volonté de croire paraissent réservés à l’homme la part de Dieu venant après : Est [col.2450 fin / col.2451 début] ergo a nobis cum oramus, exordium ut munus ab eo sit. . . Est quidem in fide manendi a Deo munus, sed incipiendi a nobis origo est. Et voluntas nostra hoc proprium ex se habere debet, ut velit ; Deus incipienti incrementum dabit. . . Divinæ misericordiæ est, ut volentes adjuvet, incipientes confirmet, adeuntes recipiat ; ex nobis autem initium est, ut ille perficiat, In ps. CXVIII, litt. V, 12 ; litt. XV, 10, col. 538 sq., 598, 610. Ces phrases ne rendent-elles pas un son semi-pélagien ? Elles le rendraient si, en affirmant que le commencement de l’acte salutaire ou la volonté de croire vient nous, le saint docteur entendait parler d’une volonté ou d’une action indépendante de toute grâce, même prévenante. Mais sa doctrine générale ne permet pas de faire cette supposition, et il suffit d’ailleurs de considérer attentivement le contexte de ces phrases, qui visent une objection fataliste, païenne ou manichéenne, pour se rendre compte qu’Hilaire songe uniquement à sauvegarder le caractère de liberté et, dans un certain sens, d’initiative personnelle qui revient à l’homme dans l’acte de foi, comme dans la prière ou toute action méritoire. C’est dans le même sens que, parlant ailleurs de la bienheureuse éternité, inaccessible pourtant, d’après sa propre doctrine, aux mérites de la loi et de la nature, il dit : De nostro igitur est beata illa æternitas promerenda, præstandumque est aliquid ex proprio ut bonum velimus, malum omne vitemus, toloque affectu præceptis cælestibus obtemperemus. In Matth., VI, 5, col. 953. C’est dans le même sens encore que, parlant de ceux qui devaient croire au Fils, le saint évêque n’admet pas qu’ils aient reçu de celui-ci la volonté, entendant manifestement par là une volonté de croire qui serait comme implantée de toute pièce en eux, ne laissant pas de place à ce que l’idée même de mérite suppose d’initiative personnelle : quæ (voluntas), si data esset, non haberet fides præmium, cum fidem nobis necessitas affixæ voluntatis inferret. De Trinitate, VIII, 12, col. 244. Voir Coustant, Præf. gen., § 9, n. 261-262, col. 123 sq. ; Noël-Alexandre, Hist. Eccl., t. V, diss. XXII, p. 372.

VI. SACREMENTS, EGLISE. ? L’œuvre de la sanctification des âmes s’opère par les sacrements de l’Eglise : sanctificatas sacramentis Ecclesiæ animas. In ps. CXXXI, 23, col. 741. Hilaire n’explique pas, il est vrai, ce qu’il entend ici par ce terme de sacrements ; mais nous rencontrons dans ses écrits plusieurs rites caractéristiques de la vie chrétienne, auxquels ce terme s’applique depuis longtemps dans un sens spécial et réservé.

Baptême. ? A la base de l’édifice, comme " premier degré dans la voie du salut ", vient le " sacrement du baptême, de la nouvelle naissance, de la régénération ", où, grâce à la vertu de la parole, Matth., XXVII, 19, et de l’eau que le Sauveur a consacré par son propre baptême, nous sommes lavés de nos péchés, héréditaires ou personnels, dépouillés du vieil homme, renouvelés en Jésus-Christ et faits enfants adoptifs de Dieu. Instructio psalm., II ; In ps. LXIII, 7 ; LXV, 1, col. 239, 410, 412, 428 ; In Matth., IX, 24, col. 976 ; De Trinitate, VI, 44 ; De syn., 85, col. 193, 538. Un est le baptême, comme est une la foi du Christ, sans laquelle il n’y a ni régénération, ni baptême. Ad Constant., II, 6, col. 567. Cependant le baptême d’eau ne nous élève pas à un tel degré de pureté, qu’il y ait plus lieu à des compléments ou perfectionnements ultérieurs, soit par la descente du Saint-Esprit, soit par l’épreuve du feu après la mort, soit par la mort elle-même ou par le martyre sanglant. In ps. CXVIII, litt. III, 5, col. 519.

Confirmation. ? Que peut signifier, dans ce dernier texte, cette descente du Saint-Esprit jointe à une sanctification qui perfectionne l’œuvre du bap- [col.2451 fin / col.2452 début] tême ? La réponse paraît donnée par Hilaire dans son commentaire sur saint Matthieu, alors que, traitant du baptême de Notre-Seigneur sur les bords du Jourdain, il montre dans la descente visible de l’Esprit sous forme de colombe le symbole visible de ce qui s’opère en ceux qui reçoivent le baptême chrétien : ut ex eis quæ consummabantur in Christo, cognosceremus, post aquæ lavacrum, et de cælestibus portis Sanctum in nos Spiritum involare, et cælestis nos unctione perfundi. In Matth., II, 6, col. 927. Or, dans le même commentaire, IV 27, col. 927, cette descente du Saint-Esprit, qui vient après le baptême, se trouve comprise avec le baptême lui-même sous le terme de sacrement, mais employé au pluriel : in baptismi et Spiritus sacramentis. Les deux choses équivalent pour le chrétien à ce que furent pour les apôtres le baptême d’eau et la descente du Saint-Esprit, au jour de la Pentecôte, sous formes de langues de feu : sacramento aquæ ignisque perfecti. In Matth., II, 10, col. 934 sq. Le " sacrement de l’Esprit " revient donc, en substance, à notre sacrement de confirmation. Peut-être y aurait-il encore une allusion au même rite dans ces lignes, écrites à propos de l’imposition des mains faite par Jésus sur la tête des enfants : Munus enim et donum Spiritus Sancti per impositionem manus et precationem, cessante legis opere, erat gentibus largiendum. In Matth., XIX, 3, col. 1024. Voir Coustant, notes sur ces divers passages.

Eucharistie. ? Nombreux sont les passages où l’évêque de Poitiers mentionne la sainte eucharistie : sacramentum sanctum sibi, sacramentum potus cælestis, In Matth., IX, 3, col. 963 ; sacramentum communicatæ carnis et sanguinis, De Trinitate, VIII, 15, col. 247 ; divinæ communionis sacramentum, In ps. LXVIII, 17, col. 480. Parlant de saintes hosties profanées par des hérétiques, il lance cette exclamation indignée : In ipsum Christum manus missæ ! Contra Constant., II, col. 585. Quand Notre-Seigneur consacra son corps et son sang, Judas avait quitté le cénacle, indigne qu’il était de participer au divin mystère. In Matth., XXX, 2, col. 1065. Déjà nettes en elles-mêmes, ces expressions tirent une portée plus grande encore du célèbre passage, De Trinitate, VIII, 13-17, col. 245 sq., où, voulant établir que l’union des fidèles entre eux n’est pas une simple union moral ou des volontés, mais qu’elle repose sur un fondement réel et physique, le docteur gaulois fait appel au corps et au sang de Jésus-Christ, envisagé comme lien ou principe d’unité entre les fidèles : Si enim vere Verbum caro factum est, et vere nos Verbum carnem cibo dominico sumimus, quomodo non naturaliter manere in nobis existimandus est, qui et naturam carnis nostræ jam inseparabilem sibi homo natus assumpsit, et naturam carnis suæ ad naturam æternitatis sub sacramento nobis communicandæ carnis admiscuit ? Ita enim omnes unum sumus, quia et in Christo Pater est, et Christus in nobis est. Rappelant ensuite les paroles du Sauveur, Jean, VI, 56 sq. : " Ma chair est vraiment une nourriture, et mon chair est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. ", il conclut : De veritate carnis et sanguinis non relictus est ambigendi locus. Nunc enim et ipsius Domini professione, et fide nostra vere caro est, et vere sanguis est. Et hæc accepta atque hausta id efficiunt, ut et nos in Christo, et Christus in nobis sit. Anne hoc veritas non est ? Affirmations vigoureuses, dont les champions de la vérité catholique ont su tirer parti contre les ennemis de la présence réelle ; par exemple, au XIIe siècle, contre Bérenger, Guitmond, archevêque d’Aversa, De corporis et sanguinis Christi veritate in eucharistia, l. III, P. L., t. CXLIX, col. 1474 sq. ; aux XVIe et au XVIIe siècle, contre les novateurs, les cardinaux Bellarmin, De sacramento eucharistiæ, l. II, c. XII, et Du Perron, [col.2452 fin / col.2453 début] Traité du saint Sacrement de l’eucharistie, l. II, c. XI, Paris, 1622, p. 263 sq.

A la nature de l’Eucharistie répond le merveilleux effet, qui est lui propre, de nous préparer à l’union parfaite avec Dieu au ciel, en nous faisant vivre dès ici-bas d’une vie divine, dont Jésus-Christ lui-même est directement le principe : cibus, in quo ad Dei consortium præparamur ver communionem sancti corporis ; cujus hæc virtus est, ut ipse vivens eos qui se accipiant vivificet. In ps. LXIV, 14 ; CXXVII, 10, col. 421, 709. Aussi rien ne s’oppose à ce qu’Hilaire soit réellement l’auteur d’une phrase relative à la communion quotidienne, qui lui est attribuée par les Pères du VIe concile de Tolède, c. X, P. L., t. X, col. 725 : Quid enim tam vult Deus, ut quotidie Christus habitet in nobis, qui est panis vitæ et panis e cælo ? et quia quotidiana oratio est, quotidie quoque ut detur, oratur.

Sacrement, l’eucharistie est aussi sacrifice. Les documents historiques conservés dans l’Opus historicum nous montrent rapprochées et associées les idées d’autel et de sacrifice, de prêtres consacrant et portant suspendu au cou le corps du Seigneur, et ce saint corps désigné lui-même, par métonymie, sous l’appellation de sacrifice : disturbati altaris in ipso sacrificiorum tempore ; consecratum Domini corpus ad sacerdotum colla suspensum ; sacrificium a sanctis et integris sacerdotibus conjectum. Fragm., II, 66 ; III, 9, col. 643, 665. Dans ses propres écrits, Hilaire associe également les idées de prêtre et d’autel : protraxerunt de altario sacerdotes, Contra Constant., II, col. 589 ; il parle de la table des sacrifices, d’après saint Paul, I Cor., X, 21, du sacrifice d’action de grâces et de louange qui a remplacé l’oblation sanglante des anciennes victimes, et de l’immolation, dans la nouvelle loi, de l’Agneau au sang rédempteur. IN ps. LXIII, 19, 26 ; CXVIII, litt. XVIII, 8, col. 482, 486, 624. Enfin, à propos des paroles prophétiques de Jacob Gen., XXVII, 27 : Ecce odor filii mei, sicut odor agri pleni quem benedixit Deus, il remarque que les biens spirituels dont nous jouissons maintenant, en particulier le grand sacrement de l’unité et de l’espérance chrétienne, ont été jadis manifestés à l’aide de noms empruntés à des choses corporelles et communes, puis il ajoute ces mots qui semblent une allusion à quelque reste de la discipline du secret : quod scientes intelligent, In ps. CXXI, 12, col. 666 ; à rapprocher d’une allusion au néophyte dont l’instruction spirituelle n’est pas encore achevée : nondum tamen formatæ fidei, nondum doctrinis spiritualibus eruditum. In ps. LXIII, 7, col. 410.

Autres sacrements. ? Ils ne sont pas mentionn?s dans les écrits de l’évêque de Poitiers sous la dénomination de sacrements ; mais, pour plusieurs, les éléments essentiels s’y trouvent implicitement.

1. Pénitence. ? Ainsi en est-il pour la pénitence ; car le pouvoir de lier et de délier, donné aux apôtres, Matth., XVIII, 18, est entendu du pouvoir de remettre et de retenir les péchés, de telle sorte qu’en cas de rémission, il y ait sentence de pardon ratifiée au ciel : ut quos in terris ligaverint, id est, peccatorum nodis innexos reliquerint, et quos solverint, confessione videlicet veniæ receperint in salutem, hi apostolicæ sententiæ in cælis quoque aut soluti sint aut ligati. In Matth., XVIII, 8, col. 1021. La confession des péchés apparaît fréquemment dans le commentaire sur les Psaumes, comme moyen d’obtenir le pardon : confitendum est crimen, ut obtineatur et venia ; ubi peccati confessio est, ibi et justificatio a Dei est, In ps. CXVIII, litt. III, 19 ; CXXV, 10, col. 526, 690 ; mais la généralité du mot et parfois le contexte même ne permettent pas de songer à la confession sacramentelle ; tout au plus pourrait-il y avoir une allusion voilée à la pratique chrétienne, dans des textes comme celui-ci : Nihil occuitum, nihil clausum, nihil obligatum sub Dei confessione in corde retinendum est. In ps. LXI, 6, col. 398.

2. Ordre. ? Saint Hilaire enseigne le pouvoir d’ordre conf?ré aux apôtres et aux prêtres du Nouveau Testament : pouvoir de consacrer et d’administrer le pain céleste, In Matth., XIV, 10, col. 1000 ; pouvoir de poser, comme seuls ministres légitimes, l’acte du sacrifice, sacrificii opus sine presbytero esse non potuit, Fragm., II, 16, col. 643 ; d’une façon plus générale, pouvoir d’exercer le ministère divin de la justice. In ps. CXXXVIII, 34, col. 810. Ce pouvoir se transmet par une ordination en règle, réservée à l’évêque et accompagnée d’une effusion de l’Esprit-Saint, De syn., 91, col. 544 : ordinati enim ab his sumus ; Contra Constant., 27, col. 602 : a quo sacerdotium sumpsit ; In ps. LXVII, 12, col. 451 ; Sanctoque Spiritu irrigati. Autant d’allusions au rite sacramentel, sans que ce rite soit jamais décrit ni même énoncé d’une façon déterminée.

3. Mariage. ? Il n’est question du mariage qu’incidemment. Avec saint Paul, Hilaire, y voit un ?tat bon et licite, quoique inférieur en mérite à l’état de virginité et de sainte viduité. In ps. CXVIII, litt. XIV, 4 ; CXXVII, 7, felix illa et beata virginitas ; CXXXI, 24, quantam viduarum dignitas. . ., col. 596, 707, 742. Dans le commentaire sur saint Matthieu, les paroles de Notre-Seigneur, rapportées par cet évangéliste, V, 32 : Qui dimiserit uxorem suam, excepta fornicationis causa, facit eam mœchari, sont interprétées en ces termes : nullam aliam causam desinendi a conjugio præscribens, quam quæ virum prostituæ uxoris societate pollueret. In Matth., V, 22, col. 940. Est-ce à dire que, dans ce cas, la dissolution du mariage est absolue, y compris le lien même ? Beaucoup ont entendu en ce sens l’assertion du saint docteur, mais en dépassant, semble-t-il, la portée certaine des termes employés, desinendi a conjugio ; il peut s’agir, non pas de l’union considérée en droit ou de lien, mais de l’union considérée en fait, et cessant sans préjudice du lien, par la séparation complète et perpétuelle des conjoints. Coustant, note sur ce passage ; Noël-Alexandre, Hist. eccl., t. IV, p. 138.

Eglise. ? Au-dessus des sacrements, dont elle est la d?positaire et la dispensatrice, apparaît l’Eglise, société des fidèles intimement unis, concordium fidelium cœtum, In ps. CXXXI, 23, col. 741, " fondée par Notre-Seigneur et affermie par les apôtres. " De Trinitate, VII, 4, col. 202. Héritière des noms qui convenaient à l’antique Sion, " mont du Seigneur, maison du Seigneur, sainte cité du grand roi ", etc., l’Eglise se caractérise mieux encore, pour l’évêque de Poitiers, par ses rapports au Christ, dont elle est l’épouse, la bouche et surtout le corps mystique, In ps. CXXVII, 8 ; CXXXVIII, 9, 29, col. 708, 715, 807. A ces rapports, elle doit cette infaillibilité dans la foi, que l’auteur du De Trinitate invoque si souvent contre les hérétiques, avec autant d’assurance que de fierté : evangelica atque apostolica Ecclesiæ fides nescit, pia Ecclesiæ fides damnat, De Trinitate, VI, 9, 10, col. 163 sq. ; de même cette assistance continuelle contre les tempêtes qui l’assaillent, comme jadis la barque montée par le Sauveur. In Matth., VII, 9 ; XIV, 13 sq., col. 957, 1001 sq. Singuliers spectacle, celui de cette Eglise dont le propre est de vaincre quand on la frappe, de briller davantage quand on l’attaque, de progresser quand on l’abandonne ! De Trinitate, VII, 4, col. 202.

L’Eglise est une, una omnium ; une comme corps du Christ et une dans sa foi. De Trinitate, VII, 4, col. 202 ; In ps. CXXI, 5, col. 662. Ceux qui se séparent d’elle ou qu’elle retranche de sa communion deviennent par le fait même étrangers au Christ et tombent sous l’empire du démon. In ps. CXVIII, litt. XVI, 5, col. 607. [col.2454 fin / col.2455 début] Nulle intelligence vraie de la parole divine en dehors d’elle ; nulle voie pour aller au ciel qui ne doive passer par ce mont de Dieu ; point de repos en dehors de cette arche. In Matth., XIII, 1, col. 993 ; In ps. CXLVI, 4 ; CXLVI, 12, col. 301, 874. D’ailleurs, si l’Eglise est une en elle-même, elle n’en est pas moins, par destination, universelle ; tous les hommes sont appelés à en faire partie, et ses progrès dans le monde sont admirables, bien que tous ne répondent pas à l’appel. In Matth., VII, 10, col. 958 ; In ps. LXVII, 20, col. 457. Elle contient, du reste, des membres d’inégale valeur, justes et pécheurs, purs et impurs. In ps. I, 4 ; LII, 13 ; In Matth., XXXIII, 8, col. 252, 331 sq., 1075.

Une et catholique, l’Eglise est encore essentiellement hiérarchique. Comme l’antique synagogue, elle comprend des prêtres et des ministres sacrés, plus le reste du peuple, cui non sacerdotii, neque ministerii, sed timoris officium est. In ps. CXXXIV, 27, col. 766 sq. Hilaire nomme expressément les évêques, les prêtres et les diacres, en ajoutant les clercs, sans préciser davantage : cum raperent episcopos, presbyteros et diaconos, et omnes clericos in exsilium mitterent. Fragm., II, 11, col. 640. Les évêques sont les princes du peuple chrétien. In Matth., XXVIII, 1, col. 1058. Ils sont les yeux de l’Eglise, comme les apôtres dont ils ont recueilli la succession. In ps. CXXXVIII, 34, col. 810. Pour comprendre quelle haute idée le saint docteur avait de sa charge et des devoirs qui s’y attachent, il suffit de lire la description de l’évêque, d’après saint Paul. De Trinitate, VII, 1, col. 236. Notable est le témoignage qu’il rend à la foi et à la primauté de saint Pierre : Primus credidit, et apostolatus est in princeps. In Matth., VI, 6, col. 956. Mais c’est surtout la profession de foi en la divinité de Jésus-Christ, émise par l’apôtre auprès de Césarée, et la magnifique réplique du Sauveur qui provoquent l’admiration d’Hilaire : O in nuncupatione novi nominis felix Ecclesiæ fundamentum, dignaque ædificationis illius petra, quæ infernas leges et omnia mortis claustra dissolverent ! O beatus cæli janitor, cujus terrestre judicium præjudicata auctoritas sit in cælo : ut quæ in ferris aut ligata sint aut soluta, statuti ejusdem conditionem obtineant et in cælo ! In Matth., XVI, 7, col. 1010. Cf. De Trinitate, VI, 20, 36, 38, col. 172, 1861 ; In ps. CXXXI, 4, col. 730. Mais Pierre n’aurait-il pas, en reniant son Maître, perdu ces prérogatives ? Dans son premier ouvrage, l’évêque de Poitiers semble presque excuser la faute : et vere propre jam piaculo hominem negabat, quem Dei filium primus cognoverat, In Matth., XXXII, 4, col. 1071 ; mais, dans le commentaire sur les psaumes, il y va plus franchement et se contente de dire que Notre-Seigneur pardonna simplement une faiblesse immédiatement pleurée : et neganti quidem claves tamen regni cælorum non ademit. IN ps. LII, 12, col. 330.

La croyance à la communion des saints se manifeste dans les écrits d’Hilaire : d’une façon générale, par la dénomination d’Eglise appliquée à la société des fidèles ici-bas et au ciel, Ecclesia vel quæ nunc est, vel quæ erit sanctorum, In ps. CXXXII, 6, col. 748 ; plus particulièrement, par la vénération rendue aux reliques des saints et au sang des martyrs, dont la vertu était souvent attestée par des faits miraculeux. Contra Const., II, col. 584. Quelques articles du symbole primitif se dégagent d’allusions aux points de foi que les adultes devaient professer avant de recevoir le baptême : prius confidentur credere se in Dei filio et in passione ac resurrectione ejus ; et renascens non confessus es ex Maria Filium Dei natum ? In Matth., XV, 8, col. 1006 ; De Trinitate, IX, 51, col. 322. Voir dom Cellier, op. cit., p. 78 sq., pour quelques autres usages des temps primitifs. [col.2455 fin / col.2456 début]

VII. ESCHATOLOGIE. ? La doctrine de saint hilaire sur les fins dernières est, dans son ensemble, scripturaire. Elle présente cependant sur plusieurs points ce que dom Coustant appelle, Præf. gen., § 5, col. 87, des manières de parler spéciales, singulares locutiones, qui ont donné lieu à des attaques et demandent quelques explications.

Mort. ? La mort, d?crétée par Dieu contre notre premier père en cas de désobéissance, vient par le fait même de la loi du péché, ex lege peccati consequitur, et revêt pour tous les descendants d’Adam un caractère pénal, nobis pœnalis demutatio est. In ps. LXI, 18 ; LXII, 6 ; CXXXI, 9, col. 318 sq., 404, 734. Quelques-uns, comme Hénoch, Elie, Moïse, Jean l’Evangéliste, ont-ils échappé, provisoirement du moins, à l’application de la loi commune ? Pure question de fait, que le saint docteur ne touche qu’en passant et d’une façon peu ferme, en rapportant les opinions courantes. In Matth., XX, 10, col. 1032 ; De Trinitate, VI, 39, col. 189. Personnellement, il ne semble pas douter de la mort de Moïse, comme le montre dom Coustant, In Matth., loc. cit., note d ; pour saint Jean, il se contente de rapporter ce qui est dit dans l’Evangile, Jean, XXI, 22, 23, sans se prononcer nettement pour l’une ou l’autre des deux interprétations concevables : sic usque ad adventum Domini manens, et sub sacramento divinæ voluntatis relictus et deputatus, dum non neque non mori dicitur et manere. De Trinitate, loc. cit. Quoi qu’il en soit de ce point secondaire, Hilaire enseigne catégoriquement que le temps de l’épreuve, et par conséquent du mérite et du démérite, cesse avec la mort : tunc enim ex merito præteritæ voluntatis lex jam constituta aut quietis aut pœnæ excedentium ex corpore suscipit voluntatem. In ps. LI, 23. Cf. LIV, 10 ; CXLII, 8, 9, col. 323, 343, 840. Cette loi établie, dont l’alternative est le repos ou la peine, trouve son application aussitôt après la mort, comme on le voit par la parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche, placés immédiatement l’un dans le séjour des bienheureux et le sein d’Abraham, l’autre dans le lieu des supplices : quorum unum angeli in sedibus beatorum et in Abrahæ sinu locaverunt, alium statim pœnæ regio suscepti. In ps. II, 48 ; cf. CXXII, 11, col. 290, 673. Pour les damnés, c’est la peine du feu subie dès lors : absorbet ignis etiam antequam resurgant. In ps. LVII, 5, col. 371.

Vision béatifique. ? La vision immédiate de Dieu est, d’après saint Hilaire, la grande récompense et la suprême perfection des élus. In Matth., IV, 7, col. 933 ; In ps. CXVIII, litt. VIII, 7 ; CXXI, 1, col. 554, 661. Mais les âmes des justes jouissent-elles de cette vision dès qu’elles entrent au ciel ? La réponse affirmative semble une conclusion légitime ; car le saint docteur promet au bon larron, avec l’entrée au paradis, la possession de la pleine béatitude, et consummatæ beatitudinis delicias promittens. De Trinitate, IX, 34, col. 370. Il affirme que les âmes, étant dans le Christ, se reposent par le fait même en Dieu, ergo hi qui in Christo erunt, erunt in Dei requie, et que " la face de Dieu, c’est-à-dire le Christ, image du Dieu invisible, leur est intimement présente, unicuique sancto aderit. " In ps. XCI, 9 ; CLXII, 9, col. 499, 840. Deux sortes de textes peuvent faire obstacle : d’abord, ceux où la vision de Dieu semble rattachée à l’avènement glorieux du Christ ou au jugement dernier : cum judicii die aderit, cum visibilis nobis in gloria paternæ majestatis assistet, tunc nos faciei suæ lumine illuminabit. In ps. CXVIII, litt. XVII, 12, col. 619 ; tradet autem Deo Patri regnum, et tunc quos regnum Deo tradiderit, Deum videbunt. De Trinitate, XI, 39, col. 424. A ces textes s’en ajoutent d’autres, où les fidèles sont présentés comme mis en réserve sous la garde du Seigneur et placés provisoi- [col.2456 fin / col.2457 début] rement dans le sein d’Abraham : tempus vero mortis habet interim unumquemque suis legibus, dum ad judicium unumquemque aut Abraham reservat, aut pœna ; per custodiam Domini fideles omnes reservabuntur, in sinu scilicet interim Abrahæ collocati. In ps. II, 48 ; CXX, 16, col. 290, 660. Mais ces textes s’opposent-ils réellement à la jouissance immédiate de la vision intuitive ? Parfois il est question des justes morts avant la venue de Notre-Seigneur, alors que l’entrée du ciel restait fermée aux enfants d’Adam ; ainsi en est-il probablement dans le texte objecté du Ps. CXX ; cf. CXVIII, litt. XI, 3 ; CXXXVIII, 22, col. 572 sq., 804. Le " sein d’Abraham " est une expression biblique dont le sens est large et varié nécessairement, suivant qu’on considère l’état des âmes avant ou après l’ascension du Sauveur. L’idée de réserve, appliquée aux âmes bienheureuses, s’explique aisément eu égard au jugement dernier, qui suppose la résurrection des corps et qui seul, par conséquent, amènera pour l’homme tout entier, corps et âme, l’état définitif de glorification, et peut, dans le même sens, s’appeler le jour où se fera l’éternelle rétribution de la béatitude ou du châtiment : judicii enim dies vel beatitudinis retributio est æterna, vel pœnæ. In ps. II, 48, col. 290. Aussi, dans la première série des textes objectés, ce n’est pas précisément de la vision de Dieu prise en elle-même qu’il s’agit, mais de la vision de Notre-Seigneur apparaissant dans son humanité glorieuse aux hommes ressuscités ou de la vision de Dieu consommée en tous ceux qui doivent en jouir pendant l’éternité. Coustant, Præf. gen., n. 210-218, col. 101 sq. ; Muratori, De paradiso, regnique cælestis gloria non exspectata corporum resurrectione, Vérone, 1738, c. XI, p. 98 sq. ; XII, p. 107 sq.

Résurrection. ? Toute cette doctrine contient évidemment celle de l’universelle résurrection des corps, fondée sur l’universelle rédemption : cum omnis caro redempta sit in Christo ut resurgat. In ps. LV, 7, col. 360. Résurrection très différente pour les justes et pour les pécheurs, comme l’enseigne saint Paul, I Cor., XV, 51 sq. : glorieuse pour les premiers, humiliante et douloureuse pour les autres, adeo ut confundantur ; resumpto ad pœnas corpore puniendos. In ps. LII, 16 sq. ; LV, 9, col. 334, 361. Il y aura restauration des mêmes corps qui auront préexisté : confracta reparabit, non ex alia aliqua, sed ex veteri atque ipsa originis suæ materia. In ps. II, 41 ; cf. LV, 12, col. 285 sq., 362. Quelle difficulté en cette restauration pour celui qui, au début, a pu former entièrement ces mêmes corps ? In Matth., X, 20, col. 974 ; In ps. LXIII, 9 ; CXXII, 5, col. 411, 670. Les corps ressuscités auront la stature de l’homme parfait ; mais demander quels en feront la forme et le sexe, ou grâce à quels aliments ils demeureront éternels, c’est poser des questions non seulement oiseuses, mais injurieuses envers Dieu, dont la providence et la puissance sont également sans bornes. In Matth., V, 8-10 ; XXIII, 3-4, col. 946 sq., 1045.

Dernier avènement et jugement. ? Apr?s la résurrection des corps, auront lei le second avènement du Chris et le jugement dernier, l’un et l’autre rappelés ou décrits par l’évêque de Poitiers d’après les données évangéliques. In Matth., XXVI, 1, col. 1056 ; De Trinitate, III, 16, col. 85 ; In ps. CXVIII, litt. XVII, 12, col. 619. Deux questions s’y rattachent, qui sont loin de présenter chez le docteur gaulois toute la netteté désirable. La première concerne ceux qui seront jugés. En plusieurs endroits, les hommes apparaissent partagés en deux groupes : d’un côté, les croyants et les incroyants, les fidèles et les infidèles, les pieux et les impies, en entendant par là ceux qui sont tels purement ou simplement ; de l’autre, ceux qui tiennent le milieu, où la foi et l’infidélité, la piété et l’impiété s’entremêlent : qui medii sint, ex utroque admixti, [col.2457 fin / col.2458 début] neutri tamen proprie. Hilaire semble affirmer que ces derniers seuls auront à subir un jugement : in eos ergo judicium est, quod jam et in incredulis actum est, et in credentes non necessarium est ; intelligitur in eos reliquum esse judicium, qui pro gestorum qualitate inter peccata fidemque sint judicandi. In ps. I, 16-17 ; LVII, 7, col. 259 sq., 373. Si, dans ces textes, il fallait entendre le jugement dans le sens ordinaire du mot, il s’ensuivrait que les justes et les impies seraient soustraits à tout jugement, soit particulier, soit universel, car les raisons alléguées ne valent pas moins contre l’un que contre l’autre ; nous serions en face d’une erreur grave, attribuée de fait à l’évêque de Poitiers, comme l’indique dom Coustant, n. 220, col. 106. Mais cette supposition introduit dans sa doctrine une réelle incohérence, puisqu’il enseigne formellement, à plusieurs reprises, que tous comparaîtront devant le tribunal du Christ et seront jugés par lui : cum omnis caro redempta in Christo sit, et omnem assistere ante tribunal ejus necesse sit ; judicaturus ipse de omnibus. In ps. LVI, 7, col. 630 ; De Trinitate, VI, 3, col. 159.

La conciliation est à chercher là où dom Coustant la place, n. 226, col. 108 sq., à savoir dans le sens spécial qu’Hilaire attache au mot et à l’idée de jugement, en partant du verset 5 du Ps. I, qu’il explique en ce passage : Propterea non resurgent impii in judicium, et en s’inspirant aussi de Jean, III, 18, qu’il cite, n. 15, col. 259 : Qui credit in me, non judicatur ; qui autem non credit, jam judicatus est. Par jugement, il n’entend pas ici une simple sentence, énonçant purement et simplement le salut ou la damnation par l’application d’une loi préexistante et contenant expressément le cas en question ; il entend une sentence précédée d’un examen qui porte sur un cas complexe, non contenu expressément dans la loi, où il y a du pour et du contre, et par conséquent sujet à discussion. Voici, en effet, la raison qu’il donne pour exclure le jugement dans le cas des croyants et des incroyants purement et simplement tels : Quid enim necesse est judicare credentem ? judicium enim ex ambiguis rebus existit, et ambuigitate adempta, judicii non desideratur examen : ex quo ne infideles quidem necesse est judicari, quia ambiguitos, quin infideles sint, non resedit, n. 17, col. 259. Le jugement est déjà porté dans l’Evangile, Jean, III, 18 ; il s’agit seulement de constater le fait et d’appliquer la sentence. C’est dans le même sens qu’Hilaire dit de Notre-Seigneur, par allusion à Luc, XII, 9 : Negantes se non jam judicabit utique, sed negabit. De Trinitate, VI, 3, col. 159. Négation qui sera précisément la sentence de réprobation, le Nescio vos, In Matth., XXV, 2. Et ceci fait dire au saint docteur que le juste est jugé dès ici-bas, puisque les anges le conduisent dans le sein d’Abraham : justo tamen jam in terris, quia per angelos in Abrahæ sinum deductus sit, judicato, secundum illud : Qui credit in me, non judicatur, sed transit de morte in vita ; qui autem non credit, jam judicatus est. Il s’agit évidemment, dans ce dernier cas, du jugement particulier. Coustant, n. 222, col. 107. Mais quel est le jugement universel, sinon la manifestation et comme une sorte de répétition publique du jugement particulier ? Il n’est donc pas nécessaire de supposer avec le même auteur, n. 228, col. 110, que le sort des hommes compris dans le même groupe intermédiaire ne sera fixé qu’au second avènement du Sauveur. Cette assertion n’est pas de saint Hilaire ; il résulte seulement de ce qui précède que, d’après lui, ces hommes ne seront pas jugés de la même façon que les autres, soit immédiatement après leur mort, soit à la fin du monde.

L’autre question se rapporte à ce que saint Hilaire appelle " le feu du jugement ". Une première fois, il y fait allusion, en s’appuyant sur I Cor., III, 15 ; Multi [col. 2458 fin / col.2459 début] secundum apostolum tanquam per ignem erunt salvi, cum defæcatis et perustis vitiis, ut argentum ignitum, probabiles judicentur. In ps. LIX, 11, col. 389. Il y revient à propos du baptême quand, déniant à ce sacrement la vertu de nous conférer une pureté absolument parfaite, il énumère plusieurs sortes de purifications ultérieures, en particulier celle que le feu du jugement opère, quæ judicii igne nos decoquet. In ps. CXVIII, litt. III, 5, col. 519. Plus loin, n. 12, col. 522 sq., il parle encore du jour et du feu du jugement pour en exciter la crainte : An cum ex omni otioso verbo rationem simus præstituri, diem judicii concupiscemus, in quo nobis est ille indefessus ignis subeundus (al. obeundus), in quo subeunda sunt gravia illa expiandæ a peccatis animæ supplicia ? Le saint évêque ajoute, à titre d’argument confirmatif : Beatæ Mariæ animam gladius pertransibit, ut revelentur multorum cordium cogitationes. Luc, II, 35. Si in judicii severitatem capax illa Dei Virgo ventura est, desiderare quis audebit a Deo Judicari ?

D’après ce dernier texte, il semble que la Mère de Dieu elle-même n’aurait échappée au feu du jugement. Mais de quel jugement et de quel feu s’agit-il ? Le défenseur de saint Hilaire au procès du docteur résume comme il suit l’explication donnée par dom Coustant, Præf. gen., § 8, col. 211 sq. : " Comme on dit dans le Genèse que Dieu plaça à la porte du paradis un chérubin armé d’un glaive de feu ; en outre, saint Paul ayant dit que les œuvres de tout homme seront éprouvées par le feu : les anciens Pères de l’Eglise crurent que personne n’entrerait au paradis qu’en passant par ce glaive. Ils enseignèrent en même temps que les saints ne seraient pas atteints par ce feu, dont la violence serait plus ou moins sensible à raison des souillures que chacun devrait expier. Puisque les Pères se croyaient obligés par l’autorité de l’Ecriture à reconnaître là une loi générale pour tous les hommes, quel tort a saint Hilaire de n’avoir pas établi une exception en faveur de la Mère de Dieu, et d’avoir cru qu’elle passerait par un feu qui devait tourner à la gloire des saints ? En se servant de cet exemple pour montrer l’immutabilité de la loi, il indique clairement qu’il considère la Mère de Dieu comme la plus sainte et la plus noble des créatures. " Correspondance de Rome, loc. cit., p. 236.

Ces considérations suffisent pour montrer que la doctrine exprimée par l’évêque de Poitiers ne présente rien d’incompatible avec l’honneur de Marie. Mais est-il certain qu’en parlant du glaive qui devait transpercer l’âme de la Vierge, il ait eu réellement en vue le glaive de feu porté par le chérubin gardien de l’entrée du paradis ? En rapportant es paroles du vieillard Siméon, il a pu songer à l’interprétation d’Origène, In Lucam, homil. XVII, P. G., t. XIII, col. 1845, interprétation d’ailleurs inadmissible, d’après laquelle des légers mouvements de doute auraient traversé l’âme de Marie au temps de la Passion ; on comprendrait mieux alors pourquoi et comment le saint docteur a pu considérer la Vierge comme soumise à la rigueur du jugement divine. Quant au feu du jugement, destiné à purifier les âmes, expiandæ a peccatis animæ supplicia, il semble s’identifier avec le feu du purgatoire, mais jouant un double rôle, suivant une conception d’Origène, In Exod., homil. VI, 4 ; In ps. XXXVI, 1, P. G., t. XII, col. 354, 1337, qu’Hilaire aurait adoptée en la rattachant à l’enseignement de saint Paul, I Cor. III, 13, 15 ; d’abord, éprouver les âmes, et uniuscujusque opus quale sit ignis probabit ; puis, les purifiant quand il y a lieu : si cujus opus arserit, detrimentum patietur ; ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem. Voir t. V, col. 2242-2243.

Eternité. ? Après le jugement dernier, c’est la double éternité, qui commence pour les hommes res- [col.2459 fin / col.2460 début] suscités. Eternité de malheur pour les damnés ; car ils ne seront pas annihilés ; non in nihilum dissoluti, In ps. I, 14, col. 258, mais ils retourneront en enfer pour y souffrir comme auparavant, non plus seulement dans leurs âmes, mais aussi dans leurs corps. In ps. LXIX, 3, col. 4911. Hilaire insiste sur la peine du feu qui n’aura pas de fin : corporalis et ipsis æternitas destinabitur, ut ignis æterni in ipsis sit æterna materies. In Matth., IV, 12, col. 949. Cf. In ps. LI, 19 ; LV, 4, col. 320, 439 : inextinguibilis ignis crematurus ; æternum ignem æternis pœnis præparatum. Eternité de bonheur pour les élus, glorifiés dans leurs corps comme dans leurs âmes. Prises en dehors de tout contexte et de la terminologie hilarienne, quelques expressions pourraient suggérer l’idée d’une sorte de transformation substantielle du corps humain, par exemple : nisi glorificato in naturam spiritus corpore, vitæ veræ in nobis non potest esse natura ; mais, dans ce texte comme dans une foule d’autres, le mot de nature n’a nullement son sens premier d’essence ou élément spécifique ; il s’applique aux qualités et à l’état d’un être. Hilaire veut simplement parler d’un changement de condition dans les corps ressuscités des élus, corps qui, de mortels, de corruptibles, d’infirmes, de pesants, deviennent immortels, incorruptibles, lumineux, agiles à la manière des esprits : post demutationem resurrectionis, terreni corporis nostri effecta gloriosiore natura. Ibid., 4, col. 519. Quelque chose disparaît assurément, puisque la résurrection nous est présentée comme " la fin de la vie humaine et de la mort ", De Trinitate, XI, 43, col. 428 ; mais ce qui disparaît, ce ne sont pas les corps pris en eux-mêmes ou dans leur substance, ce sont les corps tels qu’ils sont ici-bas, avec leurs vices et leurs imperfections : hoc nobis erit regnum Dei, cum omnibus vitiorum nostrorum aculcis contusis, labes erit corporæ infirmitatis absorpta ; peccati lege resoluta, cum demutationis gloriosæ perfectu, æternitas animæ corporisque jam sine peccati corpore rependetur. In ps. II, 42 ; LXII, 6, col. 287, 404. C’est en substance, la doctrine même de saint Paul, I Cor., XV, 42-44. Coustant, n. 189, 193 sq., col. 91, 94 sq. Pour la connexion qui existe entre cet état définitif des bienheureux, " où le péché est vaincu, où la mort est anéantie, où l’ennemi ne règne plus ", In ps. II, 42, col. 287, et ce que le saint docteur appelle le royaume de Dieu, en tant que distinct du royaume du Christ, voir ci-dessus, col.2456.

VIII. CONCLUSION : ORTHODOXIE, THEOLOGIE, ROLE PROVIDENTIEL. ? Saint Jérôme savait ce qu’il disait quand il écrivait à Læta, Epist., CVII, 12, P. L., t. XXII, col. 877 : Athanasii epistolas et Hilarii libros inoffenso decurrat pede ; illorum tractatibus, illorum delectetur ingeniis, in quorum libris pietas fidei non vacillet. Rien ne permet d’incriminer l’orthodoxie de l’évêque de Poitiers, en entendant par là la conformité de croyance et d’enseignement aux doctrines définies ou tenues expressément par l’Eglise catholique. La plupart des erreurs qui lui ont été attribuées ne sont pas réelles ; celles qui le sont, très peu nombreuses, portent sur des points secondaires, qui n’avaient encore été ni sanctionnés par le magistère ecclésiastique ni élucidés par les maitres. Il suffit, du reste, de jeter les yeux sur les éloges recueillis par dom Coustant, sous le titre de Selecta veterum testimonia de sancto Hilario, P. L., t. IX, col. 203-208, pour voir en quelle estime le docteur gaulois était tenu par des hommes tels que saint Jérôme et saint Augustin. De quel respect témoignent ces lignes de l’évêque d’Hippone : Ecclesiæ catholicæ adversus hæreticos accerimum defensorem venerandum qui ignoret Hilarium episcopum Gallum ? Contra Julianum, l. I, c. III, n. 9, P. L., t. XLIV, col. 645. Et cet autre passage, où le même docteur invoque contre son adver- [col.2460 fin / col.2461 début] saire pélagien l’autorité du saint évêque : Catholicus loquitur, insignis Ecclesiarum doctor loquitur, Hilarius loquitur. Ibid., l. III, c. VIII, n. 28, col. 693. En confirmant officiellement le titre de doctor Ecclesiæ à l’évêque de Poitiers, Pie IX n’a fait que ratifier le jugement d’Augustin.

Si de la croyance proprement dite nous passons à la théologie, considérée comme science qui explique et coordonne les vérités de la foi, le principal mérite et la note caractéristique d’Hilaire, c’est d’avoir entrepris le premier la fusion ou la conciliation de deux courants qui, jusqu’alors, étaient restés divergents. Il y avait, d’un côté, le courant latin, de caractère positif, et plutôt moral, un peu fruste dans ses conceptions et ses formules. Tertullien, Novatien et Cyprien en étaient les principaux représentants. De l’autre côté, apparaissait le courant grec, plus riche et d’allure plus spéculative, qui se rattachait surtout à Origène. En s’inspirant de l’un et de l’autre, Hilaire fut initiateur, comme il le fut aussi sur le chemin de l’exégèse et de l’hymnographie chrétienne. Il ne cite pas, il est vrai, les auteurs qu’il utilise, et les sources de sa théologie n’ont été qu’imparfaitement étudiées ; nul doute pourtant que le double fonds ne se manifeste dans l’ensemble de ses écrits, ceux d’avant et ceux d’après l’exil. Exceptionnellement, à propos de l’oraison dominicale, deux Pères sont cités, saint Cyprien, vir sanctæ memoriæ, et Tertullien, dont Hilaire dit que, par sa défection, il a enlevé beaucoup d’autorité à ses écrits, d’ailleurs recommandables, consequens error hominis detraxit scriptis probabilibus auctoritatem. In Matth., V, 1, col. 943. Sans être nommé, Origène est largement utilisé, au moins dans le commentaire sur les Psaumes, et des réminiscences d’autres Pères grecs, par exemple, de saint Athanase, se rencontrent incidemment. Mais dans les emprunts qu’il fait, l’évêque de Poitiers reste personnel soit par le développement ou le tour de la pensée, soit la liberté qu’il prend de choisir, et, au besoin, de corriger ce qu’il utilise. Watson, op. cit., Introd., c. I, p. V sq., XV sq., XLII sq. Par cette initiative opportune, Hilaire procura un double avantage à la théologie occidentale : il l’enrichit de nouveaux et féconds éléments, en même temps il contribua à préciser et à fixer la terminologie dogmatique de l’avenir. Mais il subir le sort commun des initiateurs : ceux qui vinrent après lui et profitèrent de ses travaux le dépassèrent, soit par le génie, comme les Augustin, soit par le style et la clarté, comme les Ambroise et les Léon ; leur gloire éclipsa la sienne. Pourrait-on sans injustice oublier ce qu’ils lui doivent, et méconnaître l’influence directe qu’il a, par leur entremise, exercée ?

Quant au rôle providentiel d’Hilaire, il est tout entier résumé dans le titre d’Athanase de l’Occident, dont la postérité l’a honoré. Qu’il ait mérité cet évêque comme, par l’attitude fière et vaillante qu’il prit dès le début dans la controverse arienne, par ses luttes viriles, par son exil fructueux, par son action à la fois réconfortante et pacifiante sur ses collègues gaulois, la première partie de cette étude l’a suffisamment démontré. Ce même titre, il ne le mérite pas moins comme docteur, puisque son œuvre maîtresse et sa gloire la plus pure, c’est d’avoir, comme le grand évêque d’Alexandrie, défendu héroïquement la divinité du Verbe avec la pleine conscience de l’importance souveraine qui s’attache, dans la religion chrétienne, à ce dogme vital et central : recolens hoc vel præcipue sibi salutare esse, non solum in Deum credidisse, sed etiam in Deum Patrem ; neque in Christo tantum sperasse, sed in Christo Dei Filio ; neque in creatura, sed in Deo creatore ex Deo nato. De Trinitate, I, 17, col. 37. A tous ces titres, l’Eglise de France peut [col.2461 fin / col.2462 début] être fière de celui que Dorner, op. cit., p. 1037, a rangé parmi les Pères " les plus difficiles à comprendre, mais aussi les plus originaux et les plus profonds " et que, d’un autre point de vue, Petau a parfaitement caractérisé, De incarnatione, l. X, c. V, n. 1 : Gallicanæ quondam Ecclesiæ decus et columna.

I. AUTEURS CATHOLIQUES. ? Dom Coustant, Præfatio generalis, n. 40 sq. P. L., t. IX, col. 29-126 ; dom Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, nouv. édit., Paris, 1865, t. IV, c. I, a. 12 ; Noël-Alexandre, Historia ecclesiastica Veteris Novique Testamenti, Lucques, 1734, t. IV, c. VI, a. 13, p. 135 sq. ; Correspondance de Rome, 4e année, 1851, t. I, p. 233-237 ; confirmation du titre de docteur, en honneur de saint Hilaire, évêque de Poitiers ; Hugo Laemmer, Cælestis urbs Jerusalem. Aphorismen, Fribourg-en-Brisgau, 1866, p. 113-148 : Beilage. Die Aufnahme der hl. Hilarius von Poitiers in das Album der Kirchenlehrer ; R. P. Largent, Saint Hilaire, Paris, 1902, IIe part., c. II ; J. Schwane, Dogmengeschichte, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1895, t. II, passim, voir Index, p. 887, au mot Hilarius ; J. B. Wirthmüller, Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers über die Selbstentäusserung Christi vertheidigt gegen die Entstellungen neuerer protestantischen Theologen, Ratisbonne, 1865 ; D. Baltzer, Die Theologie des St. Hilarius von Poitiers (programme de cours), Rottweil, 1879 ; Id., Die Christologie des hl. Hilarius von poitiers (Festschrift), Rottweil, 1889 ; A. Beck, Die Trinitätslehre des hl. Hilarius von Poitiers, Mayence, 1903, dans la collection Forschungen zur christlichen Literatur und Dogmengeschichte, de Ehrhard et Kirch, t. III, fasc. 2 et 3 ; Id., Die Lehre des hl. Hilarius von Poitiers (und Tertullian’s) über die Entstehung der Seelen, dans Philosophisches Jahrbuch, Fulda, 1900, t. XIII, p. 37-44 ; Id., Kirchliche Studien und Quellen, Amberg, 1903, p. 82-102 ; Die Lehre des St. Hilarius von Poitiers über die Leidensfähigkeit des Leibes Christi ; G. Rauschen, Die Lehre des hL. Hilarius von Poitiers über die Leidensfähigkeit Christi (contre le précédent), dans Theologische Quartalschrift, Tubingue, 1905, t. LXXXVII, p. 424-439 ; A. Beck, Die Lehre des St. Hilarius von Poitier über die Leidensfähigkeit Christi (réplique), dans Zeitschrift für katholische Theologie , Inspruck, 1906, t. XXX, p. 108-122 ; ibid., p. 295-305, nouvelle réponse de Rauschen, et p. 305-310, nouvelle réplique de Beck.

II. AUTEURS PROTESTANTS. ? E. W. Watson, op. cit., Introd., c. II, Oxford, 1899 ; J. A. Dorner, Entwicklungsgeschichte der Lehre von Person Christi von den ältesten Zeiten bis auf die neueste dargestellt, 2e édit. Stuttgart, 1845, part. I, p. 1037 sq. ; Th. Förster, Zur Theologie des Hilarius, dans Theologische Studien und Kritiken, Gotha, 1888, t. LXI, p. 645-686 ; en plus, quelques autres ouvrages cités au cours de cette étude.

X. LE BACHELET.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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