LETTRE CIRCULAIRE AUX HABITANTS DE MONTBERNAGE
Dieu seul
1. Chers habitants de Montbernage,
de St-Saturnin, St-
Simplicien, de la Résurrection
et autres qui avez profité de
la mission que Jésus-Christ,
mon Maître, vient de vous faire,
salut en Jésus et en Marie.
Ne pouvant vous parler de vive voix,
parce que la sainte
obéissance me le défend,
je prends la liberté de vous écrire,
sur mon départ, comme un
pauvre père à ses enfants, non pas
pour vous apprendre des choses nouvelles,
mais pour vous
confirmer dans les vérités
que je vous ai dites.
L'amitié chrétienne
et paternelle que je vous porte est
si forte que je vous porterai toujours
dans mon coeur, à la
vie, à la mort et dans l'éternité!
Que j'oublie plutôt ma main
droite que de vous oublier en quelque
lieu que je sois,
jusqu'au saint autel! que disje?
Jusqu'aux extrémités du
monde, jusquaux portes de la mort:
soyez-en persuadés, pourvu
que vous soyez fidèles à
pratiquer ce que Jésus-Christ vous a
enseigné par ses missionaires
et moi indigne, malgré le
diable, le monde et la chair.
2. Souvenez-vous donc, mes chers
enfants, ma joie, ma gloire
et ma couronne, d'aimer ardemment
Jésus-Christ, de l'aimer par
Marie, de faire éclater partout
et devant tous votre dévotion
véritable à la très
Sainte Vierge, notre bonne Mère, afin
d'être partout la bonne odeur
de Jésus-Christ, afin de porter
constamment votre croix à
la suite de ce bon Maître et de
gagner la couronne et le royaume
qui vous attend. Ainsi ne
manquez point à accomplir
et pratiquer fidèlement vos
promesses de baptême et les
pratiques, et à dire tous les
jours votre chapelet en public ou
en particulier, à fréquenter
les sacrements, au moins tous les
mois.
3. Je prie mes chers amis de Montbernage,
qui ont l'image de
ma bonne Mère et mon coeur,
de continuer et augmenter la
ferveur de leurs prières,
de ne point souffrir impunément dans
leur faubourg les blasphémateurs,
jureurs, chanteurs de
vilaines chansons et ivrognes. Je
dis impunément: c'est-à-dire
que, s'ils ne peuvent pas les empêcher
de pécher, en les
reprenant avec zèle et douceur,
du moins que quelque homme ou
femme de Dieu ne manque pas de faire
pénitence, même publique,
pour le péché public,
quand ce ne serait qu'un Ave Marie dans
les rues ou le lieu de leurs prières,
ou de porter à la main
un cierge allumé dans la
chambre ou l'église. Voilà ce qu'il
faut faire, et que vous continuerez,
Dieu aidant, pour
persévérer dans le
service de Dieu. J'en dis autant aux autres
lieux.
4. Il faut, mes chers enfants, il
faut que vous serviez
d'exemple à tout Poitiers
et aux environs. Qu'aucun ne
travaille les jours de fêtes
chômées. Qu'aucun n'étale et
n'entr'ouvre pas même sa boutique,
et cela contre la pratique
ordinaire des boulangers, bouchers,
revendeuses et autres de
Poitiers qui volent à Dieu
son jour, et qui se précipitent
malheureusement dans la damnation,
quelque beaux prétextes
qu'ils apportent, à moins
que vous n'ayez une véritable
nécessité reconnue
par votre digne curé. Ne travaillez point
les saints jours, en aucune manière,
et Dieu, je vous le
promets, vous bénira dans
le spirituel, et même le temporel,
en sorte que vous ne manquerez pas
du nécessaire.
5. Je prie mes chères poissonnières
de St-Simplicien,
bouchères, revendeuses et
autres de continuer le bon exemple
qu'elles donnent à toute
la ville, par la pratique de ce
qu'elles ont appris dans la mission.
6. Je vous prie tous, en général
et en particulier, de
m'accompagner de vos prières
dans le pélerinage que je vais
faire pour vous et pour plusieurs.
Je dis pour vous: car
j'entreprends ce voyage long et
pénible, à la Providence, pour
obtenir de Dieu, par l'intercession
de la Sainte Vierge, la
persévérance pour
vous. Je dis pour plusieurs: car je porte en
mon coeur tous les pauvres pécheurs
du Poitou et autres lieux,
qui se damnent malheureusement.
Leur âme est si chère à mon
Dieu qu'il a donné tout son
sang pour elle, et je ne donnerais
rien? Il a fait pour elle de si
longs et pénibles voyages, et
je n'en ferais point? Il a risqué
jusqu'à sa propre vie, et je
ne risquerais pas la mienne? Ah!
il n'y a qu'un païen ou un
mauvais chrétien qui n'est
point touché de la perte immense de
ces trésors infinis, les
âmes rachetées de Jésus-Christ. Priez
donc pour cela. Mes chers amis,
priez aussi pour moi, afin que
ma malice et mon indignité
ne mettent pas obstacle à ce que
Dieu et sa sainte Mère veulent
faire par mon ministère.
Je cherche la divine Sagesse, aidez-moi
à la trouver.
J'ai de grands ennemis en tête:
tous les mondains, qui
estiment et aiment les choses caduques
et périssables, me
méprisent, me raillent et
me persécutent, et tout l'enfer qui
a comploté ma perte et qui
fera partout s'élever contre moi
toutes les puissances. Au milieu
de tout cela, je suis très
faible et la faiblesse même,
ignorant et l'ignorance même, et
le reste que je n'ose dire. Il n'est
pas douteux qu'étant
unique et pauvre je périsse,
à moins que la très Sainte Vierge
et les prières des bonnes
âmes, et en particulier les vôtres,
ne me soutiennent et m'obtiennent
de Dieu le don de la parole
ou la divine sagesse, qui sera le
remède à tous mes maux et
l'arme puissante contre mes ennemis.
Avec Marie il est aisé: je
mets ma confiance en elle,
quoique le monde et l'enfer en gronde,
et je dis avec saint
Bernard: "Hoc, filii mei, maxima
fiducia mea ac tota ratio
spei meae". Faites-vous expliquer
ces paroles. Je ne les
aurais osé avancer de moi-même.
C'est par Marie que je cherche
et que je trouverai Jésus,
que j'écraserai la tête du serpent
et vaincrai tous mes ennemis et
moi-même pour la plus grande
gloire de Dieu.
Adieu, sans adieu, car si Dieu me
conserve en vie, je
repasserai par ici, soit pour y
demeurer quelque temps soumis
à l'obéissance de
votre illustre prélat, si zélé pour le salut
des âmes et si compatissant
à nos infirmités, soit pour passer
dans un autre pays, parce que, Dieu
étant mon Père, j'ai
autant de lieux à demeurer
qu'il y en a où il est si
injustement offensé par les
pécheurs.
"Qui justus est justificetur adhuc.
Qui in sordibus est sordescat adhuc.
Aliis quidem odor mortis in mortem,
aliis quidem odor vitae in vitam".
Tout vôtre.
Louis-Marie de Montfort, prêtre
et esclave indigne de
Jésus en Marie.