Prière à la Sagesse éternelle
1. O divine Sagesse, souveraine du
ciel et de la terre,
humblement prosterné devant
vous, je vous demande pardon de ce
que je suis assez hardi pour parler
de vos grandeurs, étant
aussi ignorant et aussi criminel
que je suis. Ne regardez
pas, je vous prie, les ténèbres
de mon esprit et les
souillures de ma bouche, ou, si
vous les regardez, que ce ne
soit que pour les détruire
d'une oeillade de vos yeux et d'un
souffle de votre bouche. Vous avez
tant de beautés et de
douceurs, vous m'avez préservé
de tant de maux et comblé de
tant de bienfaits, et vous êtes
d'ailleurs si inconnue et
méprisée. Comment
voulez-vous que je me taise? Non seulement
la justice et la reconnaissance,
mais mon intérêt même
m'obligent à parler de vous,
quoiqu'en bégayant. Comme un
enfant, je ne fais que bégayer,
il est vrai, mais c'est que je
suis encore enfant, et, en bégayant,
je désire apprendre à
bien parler, lorsque je serai arrivé
à la plénitude de votre
âge.
2. Il n'y a pas, ce semble, d'esprit
ni d'ordre dans ce que
j'écris, je l'avoue, mais
c'est que j'ai si grande envie de
vous posséder, qu'à
l'exemple de Salomon je vous cherche de
tous côtés en tournant
sans méthode. Si je tâche de vous
faire connaître en ce monde,
c'est parce que vous-même avez
promis que tous ceux qui vous éclaireraient
et découvriraient
en auraient la vie éternelle.
Agréez donc, mon aimable
princesse, mes petits bégayements
comme des discours relevés,
recevez les traits de ma plume comme
autant de pas que je fais
pour vous trouver; et donnez, du
haut de votre trône, tant de
bénédictions et de
lumières à ce que je veux faire et dire de
vous, que tous ceux qui l'entendront
soient enflammés d'un
nouveau désir de vous aimer
et de vous posséder dans le temps
et dans l'éternité.
AVIS QUE LA DIVINE SAGESSE DONNE
AUX PRINCES ET AUX GRANDS DU
MONDE DANS LE SIXIEME CHAPITRE DU
"LIVRE DE LA SAGESSE"
3. [1] La Sagesse est plus estimable
que la force, et
l'homme prudent vaut mieux que le
courageux.
[2] Vous donc, ô rois, écoutez
et comprenez; recevez
l'instruction, juges de toute la
terre.
[3] Prêtez l'oreille, vous
qui gouvernez les peuples et
qui vous glorifiez de voir sous
vous un grand nombre de
nations.
[4] Considérez que vous avez
reçucette puissance du
Seigneur et cette domination du
Très-Haut, qui interrogera vos
oeuvres et qui sondera le fond de
vos pensées.
[5] Parce qu'étant les ministres
de son Royaume, vous
n'avez pas jugé équitablement,
que vous n'avez point gardé la
loi de la justice et que vous n'avez
point marché selon la
volonté de Dieu.
[6] Il se fera voir à vous
d'une manière effroyable et
dans peu de temps, parce que ceux
qui commandent les autres
seront jugés avec une extrême
rigueur.
[7] Car on a plus de compassion
pour les petits et on
leur pardonne plus aisément;
mais les puissants seront
tourmentés puissamment.
[8] Dieu n'exceptera personne; il
ne réputera la grandeur
de qui que ce soit; parce qu'il
a fait les grands comme les
petits et qu'il a également
soin de tous.
9. Mais les plus [grands] sont menacés
des plus grands
supplices.
10. C'est donc à vous, ô
rois, que j'adresse ces
discours, afin que vous appreniez
la Sagesse et que vous ne
tombiez pas.
11. Car ceux qui auront fait justement
les actions de
justice ce seront traités
comme justes, et ceux qui auront
appris ce que j'enseigne trouveront
de quoi se défendre.
12. Ayez donc un désir ardent
pour mes paroles, aimez-
les, et vous y trouverez votre instruction.
4. 13. La Sagesse est pleine de lumière
et sa beauté ne se
flétrit point. Ceux qui l'aiment
la découvrent aisément et
ceux qui la cherchent la trouvent.
14. Elle prévient ceux qui
la désirent et elle se montre
à eux la première.
15. Celui qui veille dès
le matin pour la posséder n'aura
pas de peine, parce qu'il la trouvera
assise à sa porte.
16. Ainsi occuper sa pensée
de la Sagesse est la parfaite
prudence, et celui qui veillera
pour l'acquérir sera bientôt
en repos.
17. Car elle tourne elle-même
de tous côtés pour chercher
ceux qui sont dignes d'elle; elle
se montre à eux agréablement
dans ses voies, et elle va au-devant
d'eux avec tout le soin
de sa providence.
18. Le commencement donc de la Sagesse
est le désir
sincère de l'instruction;
le désir de l'instruction est
l'amour; l'amour est l'observation
des lois.
19. L'attention à observer
ses lois est l'affermissement
de la parfaite pureté de
l'âme.
20. Et cette parfaite pureté
fait que l'homme est proche
de Dieu.
21. C'est ainsi que le désir
de la Sagesse conduit au
royaume éternel.
22. Si donc vous avez de la complaisance
pour les trônes
et les sceptres, ô rois des
peuples, aimez la Sagesse, afin
que vous régniez éternellement.
23. Aimez la lumière de la
Sagesse, vous tous qui
commandez les peuples du monde.
24. Je représenterai maintenant
ce que c'est que la
Sagesse et quelle a été
son origine; je ne vous cacherai point
les secrets de Dieu, mais je remonterai
jusqu'au commencement
de sa naissance; je la produirai
au jour et la ferai
connaître, et je ne cacherai
point la vérité.
25. Je n'imiterai point celui qui
est desséché d'envie,
parce que l'envieux n'aura point
de part à la Sagesse.
26. Or la multitude de ses sages
est le salut du monde,
et un roi prudent est le soutien
de son peuple.
27. Recevez donc l'instruction par
mes paroles, et elle
vous sera avantageuse.
REMARQUES DE L'AUTEUR
5. Je n'ai pas voulu, mon cher lecteur,
mêler la faiblesse
de mon langage avec l'autorité
des paroles du Saint-Esprit
dans ce chapitre. Mais qu'il me
soit permis de remarquer avec
vous:
1. Combien la Sagesse éternelle
est de soi-même douce,
facile et engageante, quoiqu'elle
soit si brillante, si
excellente et si sublime! Elle appelle
les hommes pour leur
apprendre les moyens d'être
heureux; elle les cherche; elle
leur sourit; elle les comble de
mille bienfaits; elle les
prévient en mille manières
différentes, jusqu'à s'asseoir à la
porte de leur maison, pour les attendre
et leur donner des
marques de son amitié.
Peut-on avoir un coeur, et le refuser
à cette douce
conquérante?
6. 2. Quel est le malheur des grands
et des riches s'ils
n'aiment pas la Sagesse! Que les
paroles qu'elle leur adresse
sont effrayantes! Elles sont inexplicables
en notre langue:
Horrende et cito apparebit vobis...
Judicium durissimum his
qui praesunt fiet... Potentes...
potenter tormenta patientur.
Fortioribus... fortior instat cruciato.
[Sag 6,6,7,9]
Ajoutons à ces paroles quelques-unes
de celles qu'elle
leur a dites ou fait dire depuis
son Incarnation: Vae vobis,
divitibus. Facilius est camelum
pere foramen acus transire
quam divitem intrare in regnum caelorum.
Matt.19. Marc,Luc 18.
Ces dernières paroles ont
été tant defois répétées par
la divine Sagesse, lorsqu'elle vivait
sur la terre, que trois
évangelistes les ont rapportées
de la manière, sans y rien
changer; ce qui devrait faire fondre
en larmes, crier et
hurler les riches: Agite nunc, divites,
plorate, ululantes in
miseriis quae advenient vobis! Jac
5. [Jc 5,1]
Mais, hélas! ils ont ici-bas
leur consolation; ils sont
comme ensorcelés par leurs
plaisirs et par leurs richesses, et
ils ne voient pas les malheurs qui
leur pendent sur la tête.
7. 3. Salomon donne sa parole qu'il
fera une description
fidèle et exacte de la Sagesse,
et que ni l'envie ni
l'orgeuil, qui sont contraires à
la charité, ne l'empêcheront
pas de communiquer une science qui
lui a été donnée du ciel,
en sorte qu'il ne craint point que
les autres ou l'égalent ou
le surpassent en connaissance. [cf.
Sg 6,24-26]
C'est à l'exemple de ce grand
homme que je vais expliquer
simplement ce que c'est que la Sagesse
avant son incarnation,
dans son incarnation, et après
son incarnation, et les moyens
de l'obtenir et de la conserver.
Mais n'ayant pas l'abondance des
connaissances et des
lumières qu'il avait, je
n'ai pas tant à craindre l'envie et
l'orgueil que mon insuffisance et
mon ignorance, que je vous
prie de supporter et d'excuser par
votre charité.
CHAPITRE I
Pour aimer et rechercher la divine
Sagesse,
il est nécessaire de la connaître.
[1. Nécessité de la connaissance de la Divine Sagesse]
8. Peut-on aimer ce qu'on ne connaît
pas? Peut-on aimer
ardemment ce qu'on ne connaît
qu'imparfaitement?
Pourquoi est-ce qu'on aime si peu
la Sagesse éternelle et
incarnée, l'adorable Jésus,
sinon parce qu'on ne la connaît
pas, ou très peu?
Il n'y a presque personne qui étudie
comme il faut, avec
l'Apôtre, cette science suréminente
de Jésus, qui est
cependant la plus noble, la plus
douce, la plus utile et la
plus nécessaire de toutes
les sciences et connaissances du
ciel et de la terre.
9. [1] C'est premièrement
la plus noble de toutes les
sciences, parce qu'elle a pour objet
ce qu'il y a de plus
noble et de plus sublime, la Sagesse
incréée et incarnée, qui
renferme en soi toute la plénitude
de la divinité et de
l'humanité, tout ce qu'il
y a de grand au ciel et sur la
terre, toutes les créatures
visibles et invisibles,
spirituelles et corporelles.
Saint Jean Chrysostome dit que Notre-Seigneur
est un
sommaire des oeuvres de Dieu, un
tableau raccourci de toutes
ses perfections et de toutes celles
qui sont dans les
créatures.
Omnia quae velle potes aut debes
est
Dominus Jesus
Christus. Desidera hunc, requiere
hunc, quia haec est una et
pretiosa margarita pro qua emenda
etiam vendenda sunt omnia
quae tua sunt: Jésus-Christ,
la Sagesse éternelle, est tout
ce que vous pouvez et devez désirer.
Désirez-le, cherchez-le,
parce qu'il est cette unique et
précieuse perle pour l'achat
de laquelle vous ne devez pas faire
difficulté de vendre tout
ce que vous avez.
In hoc glorietur qui gloriatur,
scire et nosse me.
St. Hironi 9: Que le sage ne se
glorifie pas de sa
sagesse, ni le fort de sa force,
ni le riche de ses richesses;
mais que celui qui se glorifie tire
sa gloire de ce qu'il me
connaît, et non de ce qu'il
connaît autre chose.
10. 2. Il n'y a rien de si doux que
la connaissance de la
divine Sagesse: Bienheureux ceux
quil'écoutent; plus heureux
sont ceux qui la désirent
et la recherchent; mais les plus
heureux sont ceux qui gardent ses
voies, goûtent en leur coeur
cette douceur infinie qui est la
joie et la félicité du Père
éternel et la gloire des
anges. [Pr 2,1-9]
Si on savait quel est le plaisir
que goûte une âme qui
connaît la beauté de
la Sagesse, qui suce le lait de cette
mamelle du Père, mamilla
Patris, [on] s'écrierait avec
l'Epouse: "Meliora sunt ubera tua
vino: le lait de vos
mamelles est plus doux que le vin
délicieux et que toutes les
douceurs des créatures";
particulièrement lorsqu'elle fait
entendre aux âmes qui la contemplent
ces paroles: "Gustate et
videte: goûtez et voyez. Comedite...
et bibite: mangez et
buvez; et inebriamini, et enivrez-vous
de mes douceurs
éternelles; car mon entretien
n'a rien de désagréable, ni ma
compagnie d'ennuyeux, mais on n'y
trouve que de la
satisfaction et de la joie: non
enim habet amaritudinem
conversatio illius; nec taedium
convictus illius, sed
laetitiam et gaudium".
11. 3. Cette connaissance de la Sagesse
éternelle n'est pas
seulement la plus noble et la plus
douce, mais encore la plus
utile et la plus nécessaire,
parce que la vie éternelle
consiste à connaître
Dieu et son Fils Jésus-Christ.
"Vous connaître, s'écrie
le Sage, parlant à la Sagesse,
est la parfaite justice; et comprendre
votre équité et votre
puissance est la racine de l'immortalité."
Voulons-nous, en
vérité, avoir la vie
éternelle, ayons donc la connaissance de
la Sagesse éternelle.
Voulons-nous avoir la perfection
de la sainteté en ce
monde, connaissons la Sagesse.
Voulons-nous avoir en notre coeur
la racine de
l'immortalité, ayons en notre
esprit la connaissance de la
Sagesse: Savoir Jésus-Christ
la Sagesse incarnée, c'est assez
savoir; savoir tout et ne le pas
savoir, c'est ne rien savoir.
12. Que sert-il à un tireur
de flèches de savoir tirer dans
les côtés du blanc
où il vise, s'il ne sait pas tirer droit
dedans? De quoi nous serviront toutes
les autres sciences
nécessaires au salut si nous
ne savons pas celle de Jésus-
Christ, qui est l'unique nécessaire
et le centre où toutes
doivent aboutir? Quoique le grand
Apôtre sût tant de choses
et qu'il fût si versé
dans les lettres humaines, il disait
pourtant qu'il ne croyait savoir
que Jésus-Christ crucifié:
Non judicavi me scire aliquid inter
vos, nisi Jesum Christum,
et hunc crucifixum, 1 Corint 2.
[1 Co 2,2]
Disons donc avec lui: "Quae mihi
fuerunt lucra, haec
arbitratus sum propter Christum
detrimenta. Verumtamen
[existimo] omnia detrimentum esse,
propter eminentem
scientiam Jesu Christi, Domini mei:
Je méprise toutes ces
connaissances desquelles j'ai jusques
ici fait état, en
comparaison de celle de Jésus
-Christ, mon Seigneur." Je vois
maintenant et j'expérimente
que cette science est si
excellent, si délicieuse,
si profitable et si admirable, que
je ne tiens aucun compte de toutes
les autres, qui autrefois
m'avaient tant plu; et elles me
semblent à présent si vides et
si ridicules, que c'est perdre son
temps que de s'y amuser:
"Haec autem dico ut nemo vos decipiat
in sublimitate sermonum.
Videte ne quis vos decipiat per
philosophiam et inanem
fallaciam: Je vous dis que Jésus-Christ
est l'abîme de toute
la science, afin que vous ne vous
laissiez point tromper aux
belles et magnifiques paroles des
orateurs ni aux subtilités
si trompeuses des philosophes. Crescite
in gratiam et in
cognitione Domini nostri et Salvatoris
Jesu Christi." Or,
afin que nous croissions tous dans
lagrâce et la connaissance
de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ,
la Sagesse
incarnée, nous en parlerons
dans les chapitres suivants, après
que nous aurons distingué
plusieurs sortes de sagesse.
[2. Définition et division du sujet]
13. La sagesse, en général,
prise selon la signification de
son nom, est une science savoureuse,
sapida scientia, ou le
goût de Dieu et de sa vérité.
Il y a plusieurs sortes de sagesses.
Premièrement, elles se distinguent
en véritable et fausse
sagesse: la véritable est
le goût de la vérité sans mensonge
ni déguisement; la fausse
est le goût du mensonge, couvert de
l'apparence de la vérité.
Cette fausse sagesse est la sagesse
ou prudence mondaine
que le Saint-Esprit distingue en
trois:
Sapientia terrena, animalis, diabolica:
la sagesse
terrestre, animale et diabolique.
[Jc 3,15]
La vraie sagesse se distingue en
sagesse naturelle et
surnaturelle.
La sagesse naturelle est la connaissance
des choses
naturelles d'une manière
éminente dans leurs principes. La
sagesse surnaturelle est la connaissance
des choses
surnaturelles et divines dans leurorigine.
Cette sagesse surnaturelle se divise
en sagesse
substantielle et incréée,
et en sagesse accidentelle et créée.
La sagesse accidentelle et créée
est la communication que fait
d'elle-même aux hommes la
Sagesse incréée, autrement c'est le
don de la sagesse. La Sagesse substantielle
et incréée est le
Fils de Dieu, la seconde Personne
de la très Sainte-Trinité,
autrement la Sagesse éternelle
dans l'éternité, ou Jésus-
Christ dans le temps.
C'est proprement de cette Sagesse
éternelle dont nous
allons parler.
14. Dès son origine, nous
la contemplerons dans l'éternité,
résidente dans le sein de
son Père, comme l'objet de ses
complaisances.
Nous la verrons dans le temps, brillante
dans la création
de l'univers.
Nous la regarderons ensuite tout
humiliée dans son
incarnation et dans sa vie mortelle,
et puis nous la
trouverons glorieuse et triomphante
dans les cieux.
Enfin nous verrons quels sont les
moyens dont il faut se
servir pour l'acquérir et
la conserver.
Je laisse donc aux philosophes les
arguments de leur
philosophie comme inutiles; je laisse
aux chimistes les
secrets de leur sagesse mondaine.
Sapientiam loquimur inter perfectos:
Parlons donc de la
vraie Sagesse, de la Sagesse éternelle,
incréée et incarnée,
aux âmes parfaites et prédestinées.
CHAPITRE II
L'origine et l'excellence de la
Sagesse éternelle.
15. C'est ici qu'il faut s'écrier
avec saint Paul: "O
altitudo... Sapientiae... Dei! :
O profondeur, ô immensité, ô
incompréhensibilité
de la Sagesse de Dieu!" "Generationem
ejus quis enarrabit? : Qui sera
l'ange assez éclairé et
l'homme assez téméraire
pour entreprendre de nous expliquer
comme il faut son origine?"
C'est ici qu'il faut que tous les
yeux se ferment, de
peur d'être éblouis
d'une si vive, si brillante lumière.
C'est ici qu'il faut que toute langue
se taise, de peur
de ternir une beauté si parfaite
en voulant la découvrir.
C'est ici qu'il faut que tout esprit
s'anéantisse et
adore, de peur d'être opprimé
par le poids immense de la
gloire de la divine Sagesse, en
voulant la sonder.
[1. La Sagesse par rapport au Père]
16. Voici cependant l'idée
que le Saint-Esprit, pour se
conformer à notre faiblesse,
nous en donne dans le livre de la
Sagesse qu'il n'a composé
que pour nous:
"La Sagesse éternelle est
la vapeur de Dieu, la vertu de
Dieu et l'effusion toute pure de
la clarté du Tout-Puissant.
C'est pourquoi elle ne peut être
susceptible de la moindre
impureté. Elle est l'éclat
de la lumière éternelle, le miroir
sans tache de la majesté
de Dieu et l'image de sa bonté."
17. C'est l'idée substantielle
et éternelle de la divine
beauté qui fut montrée
à saint Jean l'évangéliste dans l'île
de Patmos, lorsqu'il s'écria:
"In principio erat Verbum, et
Verbum erat apud Deum, et Deus erat
Verbum: Au commencement
était le Verbe, - ou le Fils
de Dieu, ou la Sagesse éternelle,
- et le Verbe était en Dieu,
et le Verbe était Dieu."
18. C'est d'elle qu'il est dit, dans
plusieurs endroits des
livres de Salomon, que la Sagesse
a été créée, c'est-à-dire
produite, dès le commencement,
avant toutes choses et avant
tous les siècles.
Elle dit d'elle-même: "J'ai
été établie dès l'éternité,
et dès le commencement, avant
que la terre fût créée. Les
abîmes n'étaient pas
encore lorsque j'étais déjà conçue."
19. C'est en cette beauté
souveraine de la Sagesse que Dieu
le Père a pris ses complaisances
dans l'éternité et dans le
temps, comme ce grand Dieu assura
lui-même expressément, le
jour de son baptême et de
sa transfiguration: "Hic est Filius
meus dilectus, in quo mihi bene
complacui, Matt 17: Voilà mon
Fils bien-aimé dans lequel
je prends uniquement mes
complaisances."
C'est cette lumineuse et incompréhensible
clarté dont les
Apôtres virent quelque peu
des rayons de sa transfiguration,
qui les pénétrèrent
de douceur et les jetèrent dans l'extase:
Illustre quiddam [cernimus]
Sublime, celsum, interminum,
Antiquius caelo et chao:
Cette Sagesse éternelle est
quelque chose d'illustre,
d'élevé, d'immense,
d'infini et de plus ancien que l'univers.
Si je n'ai point de paroles pour
expliquer la seule
petite idée que je me suis
formée de cette beauté et de cette
douceur souveraine, quoique mon
idée soit infiniment au-
dessous de s on excellence, qui
est-ce qui pourra avoir une
juste idée et l'expliquer
comme il faut? Il n'y a que vous,
grand Dieu, qui connaissiez ce que
c'est, ni qui puissiez le
révéler à qui
vous voulez.
[2. Les opérations de la Sagesse dans lesâmes]
20. Voici comme la Sagesse même
déclare ce qu'elle est, par
rapport à ses effets et ses
opérations dans les âmes. Je ne
mêlerai point mes petites
paroles avec les siennes, de peur
d'en diminuer l'éclat et
la sublimité: c'est dans le chapitre
24 de l'Ecclésiastique.
1. "La Sagesse se louera elle-même;
elle s'honorera dans
le Seigneur et elle se glorifiera
au milieu de son peuple.
2. Elle ouvrira sa bouche dans les
assemblées du Très-
Haut et elle se glorifiera dans
les armées du Seigneur.
3. Elle sera élevée
au milieu de son peuple et elle sera
admirée dans l'assemblée
de tous les saints.
4. Elle recevra des louanges parmi
la multitude des élus
et elle sera bénie de ceux
qui seront bénis de Dieu. Elle
dira:
21. 5. Je suis sortie de la bouche
du Très-Haut; je suis née
avant toutes les créatures.
6. C'est moi qui ai fait naître
dans le ciel une lumière
qui ne s'éteindra jamais
et qui ai couvert toute la terre
comme d'un nuage.
7. J'ai habité dans les lieux
très hauts, et mon trône
est dans une colonne de nuée.
8. J'ai fait seule tout le tour
du ciel;j'ai pénétré la
profondeur des abîmes; j'ai
marché sur les flots de la mer.
9. Et j'ai parcouru toute la terre.
22. 10. J'ai eu l'empire sur tous
les peuples et sur toutes
les nations.
11. J'ai foulé par ma puissance
aux pieds les coeurs de
tous les hommes, grands et petits;
et, parmi toutes ces
choses, j'ai cherché un lieu
de repos et une demeure dans
l'héritage du Seigneur.
12. Alors le Créateur de
l'univers m'a donné des ordres
et m'a parlé: Celui qui m'a
créée a reposé dans mon
tabernacle.
13. Et il m'a dit: Habitez dans
Jacob, qu'Israël soit
votre héritage et prenez
racine dans mes élus.
24. 14. J'ai été créée
dès le commencement et avant tous les
siècles, je ne cesserai point
d'être dans la suite de tous
les âges, et j'ai exercé,
en sa présence, mon ministère dans
la maison sainte.
15. J'ai été affermie
en Sion, j'ai trouvé mon repos dans
la cité sainte, et ma puissance
s'est établie dans Jérusalem.
25. 16. J'ai pris racine dans le
peuple que le Seigneur a
honoré, dont l'héritage
est le partage de mon Dieu, et j'ai
établi ma demeure dans l'assemblée
de tous les saints.
17. Je me suis élevée
comme les cèdres du Liban et comme
le cyprès de la montagne
de Sion.
18. J'ai poussé mes branches
en haut comme les palmiers
de la montagne de Cadès et
comme les plants de rosiers de
Jéricho.
19. Je me suis élevée
comme un bel olivier dans la
campagne et comme le plane qui est
planté dans un grand
chemin, sur le bord des eaux.
20. J'ai répandu une senteur
de parfum comme la cannelle
et le baume le plus précieux,
et une odeur comme celle de la
myrrhe la plus excellente.
21. J'ai parfumé ma demeure
comme le storax, le galbanum,
la boîte de parfum, l'onyx,
la myrrhe, comme la goutte
d'encens tombée d'elle-même;
et mon odeur est comme celle d'un
baume très pur et sans mélange.
22. J'ai étendu mes branches
comme le térébinthe, et mes
branches sont des branches d'honneur
et de grâce.
23. J'ai poussé des fleurs
d'une agréable odeur comme la
vigne, et mes fleurs sont des fruits
de gloire et d'abondance.
26. 24. Je suis la mère du
pur amour, de la crainte, de la
science et de l'espérance
sainte.
25. En moi est toute la grâce
de lavoie et de la vérité;
en moi est toute l'espérance
de la vie et de la vertu.
27. 26. Venez à moi, vous
qui me désirez avec ardeur, et
remplissez-vous des fruits que je
porte.
27. Car mon esprit est plus doux
que le miel, et mon
héritage surpasse en douceur
le miel le plus excellent.
28. La mémoire de mon nom
passera dans la suite de tous
les siècles.
28. 29. Ceux qui me mangent auront
encore faim et ceux qui me
boivent auront encore soif.
30. Celui qui m'écoute ne
sera point confondu, et ceux
qui agissent en moi ne pécheront
point.
31. Ceux qui m'éclaircissent
auront la vie éternelle.
32. Tout ceci est le livre de vie,
l'alliance du Très-
Haut et la connaissance de la vérité."
29. Tous ces arbres et toutes ces
plantes auxquels la Sagesse
se compare, qui ont des fruits et
des qualités si différentes,
marquent cette grande variété
d'états, de fonctions et de
vertus des âmes qui paraissent
des cèdres, par l'élévation de
leur coeur vers le ciel; ou des
cyprès, par la méditation
continuelle de la mort; ou des palmiers,
par l'humble
souffrance de leurs travaux; ou
des rosiers, par le martyre et
l'effusion de leur sang; qui portent
leurs branches bien loin,
par l'étendue de leur charité
pour leurs frères; et toutes les
autres plantes odoriférantes,
comme le baume, la myrrhe et les
autres, qui sont moins exposées
en vue, marquent toutes les
âmes retirées qui souhaitent
d'être plus connues de Dieu que
des hommes.
30. Après que la Sagesse s'est
représentée comme la mère et
la source de tous les biens, elle
exhorte tous les hommes à
quitter tout pour la désirer
uniquement, parce qu'elle ne se
donne, dit saint Augustin, qu'à
ceux qui la désirent et la
recherchent avec autant d'ardeur
qu'une si grande chose mérite
d'être recherchée.
La divine Sagesse marque, dans les
paroles du 30 et 31
versets, trois degrés dans
la piété, dont le dernier en est la
perfection:
1 Ecouter Dieu avec une humble soumission;
2 Agir en lui et par lui avec une
fidélité persévérante;
3 Enfin, acquérir la lumière
et l'onction nécessaires
pour inspirer aux autres l'amour
de la Sagesse, pour les
conduire à la vie éternelle.
CHAPITRE III
Merveilles de la puissance de la
divine Sagesse
dans la création du monde
et de l'homme.
[1. Dans la création du monde]
31. La Sagesse éternelle a
commencé à éclater hors du sein de
Dieu, lorsqu'après une éternité
entière, elle fait la lumière,
le ciel et la terre. Saint Jean
dit que tout a été fait par le
Verbe, c'est-à-dire la Sagesse
éternelle: Omnia per ipsum
facta sunt. [Jn 1,3]
Salomon dit qu'elle est la mère
et l'ouvrière de toutes
choses: Horum omnium mater est.
Omnium artifex Sapientia.
Remarquez qu'il ne l'appelle pas
seulement l'ouvrière de
l'univers, mais la mère,
parce que l'ouvrier n'aime pas et
n'entretient pas son ouvrage comme
une mère fait son enfant.
32. La Sagesse éternelle,
ayant tout créé, demeure en toutes
choses pour les contenir, soutenir
et renouveler: omnia
continet, omnia innovat. C'est cette
beauté souverainement
droite qui, après avoir créé
le monde, y a mis le bel ordre
qui y est. Elle a séparé,
elle a composé, elle a pesé, elle a
ajouté, elle a compté
tout ce qui y est.
Elle a étendu les cieux;
elle a placé le soleil, la lune
et les étoiles et les planètes
avec ordre; elle a posé les
fondements de la terre; elle a donné
desbornes et des lois à
la mer et aux abîmes; elle
a formé les montagnes; elle a tout
pesé et balancé jusqu'aux
fontaines. Enfin, dit-elle, j'étais
avec Dieu, et je réglais
toutes choses avec une justesse si
parfaite tout à la fois et
une variété si agréable, que
c'était une espèce
de jeu que je jouais pour me divertir et
divertir mon Père: Cum eo
eram cuncta componens; et delectabar
per singulos dies, ludens coram
eo omni tempore, ludens in
orbe terrarum. [Sg 1,7]
33. Ce jeu ineffable de la divine
Sagesse se voit, en effet,
dans les différentes créatures
qu'elle a faites dans
l'univers. Car, sans parler des
différentes espèces d'anges,
qui sont, pour ainsi dire, infinis
en nombre; sans parler des
différentes grandeurs des
étoiles, ni des différents
tempéraments des hommes,
quel admirable changement ne voyons-
nous pas dans les saisons et dans
les temps, quelle variété
d'instincts dans les animaux, quelles
différentes espèces dans
les plantes, quelles différentes
beautés dans les fleurs,
quels différents goûts
dans les fruits! Quis sapiens, et
intelliget haec: Qui est celui à
qui la Sagesse s'est
communiquée? Et celui-là
seul aura l'intelligence de ces
mystères de la nature.
34. La Sagesse les a révélés
aux saints, comme nous voyons
dans leurs vies; et ils ont été
quelquefois si surpris de voir
la beauté, la douceur et
l'ordre de la divine Sagesse dans les
plus petites choses, comme une abeille,
une fourmi, un épi de
blé, une fleur, un petit
ver de terre, qu'ils en tombaient
dans l'extase et le ravissement.
[2. Dans la création de l'homme]
35. Si la puissance et la douceur
de la Sagesse éternelle a
tant éclaté dans la
création, la beauté et l'ordre de
l'univers, elle a brillé
bien davantage dans la création de
l'homme, puisque c'est son chef
d'oeuvre, l'image vivante de
sa beauté et de ses perfections,
le grand vaisseau de ses
grâces, le trésor admirable
de ses richesses, et son vicaire
unique sur la terre: Sapientia tua
fecisti hominem, ut
dominaretur omni creaturae quae
a te facta est. Sap. 9. [Sg
9,2]
36. Il faudrait ici, à la
gloire de cette belle et puissante
ouvrière, expliquer la beauté
et l'excellence originelle que
l'homme reçut d'elle lorsqu'elle
le créa; mais le péché qu'il a
commis, dont les ténèbres
et lessouillures ont rejailli
jusque sur moi, misérable
enfant d'Eve, m'ont tellement
obscurci l'entendement que je ne
puis que très imparfaitement
en parler.
37. Elle fit, pour ainsi dire, des
copies et des expressions
brillantes de son entendement, de
sa mémoire et de sa volonté
et les donna à l'âme
de l'homme pour être le portrait vivant
de la Divinité; elle alluma
dans son coeur un incendie de pur
amour pour Dieu, elle lui forma
un corps tout lumineux, et
elle renferma en lui, comme en raccourci,
toutes les
perfections différentes des
anges, des bêtes et autres
créatures.
38. Tout dans l'homme était
lumineux sans ténèbres, beau sans
laideur, pur sans souillure, réglé
sans désordre et sans
aucune tache ni imperfection. Il
avait pour apanage la lumière
de la Sagesse dans son esprit, par
laquelle il connaissait
parfaitement son Créateur
et ses créatures. Il avait la grâce
de Dieu dans son âme, par
laquelle il était innocent et
agréable aux yeux du Très-Haut.
Il avait dans son corps
l'immortalité. Il avait le
pur amour de Dieu dans son coeur,
sans crainte de la mort, par lequel
il l'aimait
continuellement, sans relâche,
et purement, pour l'amour de
lui-même. Enfin il était
si divin, qu'il était continuellement
hors de lui-même, transporté
en Dieu, sans qu'il eût aucune
passion à vaincre ni aucun
ennemi à combattre.
O libéralité de la
Sagesse éternelle envers l'homme! O
heureux état de l'homme dans
son innocence!
39. Mais, malheur des malheurs! Voilà
ce vaisseau tout divin
qui se brise en mille morceaux;
voilà cette belle étoile qui
tombe; voilà ce beau soleil
qui est couvert de boue; voilà
l'homme qui pèche, et qui,
en péchant, perd sa sagesse, son
innocence, sa beauté, son
immortalité. Et enfin il perd tous
les biens qu'il avait reçus,
et est asailli d'une infinité de
maux. Il a l'esprit tout hébété
et ténébreux: il ne voit plus
rien. Il a le coeur tout glacé
pour Dieu: il ne l'aime plus.
Il a l'âme toute noire de
péchés: elle ressemble au démon. Il
a des passions toutes déréglées:
il n'en est plus le maître.
Il n'a que la compagnie des démons,
il en est devenu la
demeure et l'esclave. Il est attaqué
des créatures: elles lui
font la guerre.
Voilà l'homme en un instant
devenu l'esclave des démons,
l'objet de la colère de Dieu
et lavictime des enfers!
Il se paraît à lui-même
si hideux que de honte il va se
cacher. Il est maudit et condamné
à la mort; il est chassé du
paradis terrestre et il n'en a plus
dans les cieux. Il doit
mener, sans aucune espérance
d'être heureux, une vie
malheureuse sur la terre maudite.
Il y doit mourir en
criminel, et, après sa mort,
être comme le diable, à jamais
damné dans son corps et dans
son âme, lui et tous ses enfants.
Tel est le malheur épouvantable
où l'homme, en péchant,
tomba; tel est l'arrêt équitable
que la justice de Dieu
prononça contre lui.
40. Adam, en cet état, est
comme désespéré; il ne peut
recevoir de remède ni des
anges ni des autres créatures. Rien
n'est capable de le réparer
parce qu'il était trop beau et
trop bien fait en sa création,
et qu'il est, par son péché,
trop hideux et trop souillé.
Il se voit chassé du paradis et
de la présence de Dieu, il
voit la justice de Dieu qui le
poursuit avec toute sa postérité;
il voit le ciel fermé et
l'enfer ouvert, et personne pour
lui ouvrir l'un et fermer
l'autre.
CHAPITRE IV
Merveilles de la bonté etmiséricorde
de la Sagesse éternelle avant
son incarnation.
41. La Sagesse éternelle est
vivement touchée du malheur du
pauvre Adam et de tous ses descendants.
Elle voit, avec un
grand déplaisir, son vaisseau
d'honneur brisé, son portrait
déchiré, son chef-d'oeuvre
détruit, son vicaire sur la terre
renversé.
Elle prête tendrement l'oreille
à sa voix gémissante et à
ses cris. Elle voit avec compassion
les sueurs de son front,
les larmes de ses yeux, les peines
de ses bras, la douleur de
son coeur et l'affliction de son
âme.
[1. Le décret de l'Inacarnation]
42. Il me semble voir cette aimable
Souveraine appeler et
assembler une seconde fois, pour
ainsi dire, la Sainte Trinité
pour réparer l'homme, comme
elle avait fait pour le former. Il
me semble que, dans ce grand conseil,
il se fait une espèce de
combat entre la Sagesse éternelle
et la Justice de Dieu.
43. Il me semble que j'entends cette
Sagesse qui, dans la
cause de l'homme, dit qu'à
la vérité l'homme mérite, par son
péché, avec sa postérité,
d'être à jamais damné avec les anges
rebelles; mais qu'il faut avoir
pitié de lui, parce qu'il a
plus péché par faiblesse
et par ignorance que par malice. Elle
représente, d'un côté,
que c'est un grand dommage qu'un chef-
d'oeuvre si accompli demeure pour
jamais l'esclave de son
ennemi, et que des millions de millions
d'hommes soient à
jamais perdus par le péché
d'un seul. Elle montre, de l'autre,
les places du ciel vacantes par
la chute des anges apostats,
qu'il est à propos de remplir,
et la grande gloire que Dieu
recevra dans le temps et l'éternité
si l'homme est sauvé.
44. Il me semble que j'entends la
Justice qui répond que
l'arrêt de mort et de damnation
éternelle est porté contre
l'homme et ses descendants, et qu'il
doit être exécuté sans
remise et sans miséricorde,
ainsi que contre Lucifer et ses
adhérents; que l'homme est
un ingrat pour les bienfaits qu'il
a reçus; qu'il a suivi le
démon en sa désobéissance et en son
orgueil, et qu'il le doit suivre
dans ses châtiments, parce
qu'il faut nécessairement
que le péché soit puni.
45. La Sagesse éternelle,
voyant qu'il n'y avait rien dans
l'univers qui fût capable
d'expier le péché de l'homme, de
payer la justice et d'apaiser la
colèrede Dieu, et voulant
cependant sauver le pauvre homme
qu'elle aimait d'inclination,
trouve un moyen admirable.
Chose étonnante, amour incompréhensible
qui va jusqu'à
l'excès, cette aimable et
souveraine Princesse s'offre elle-
mêne en sacrifice à
son Père pour payer sa justice, pour
calmer sa colère et pour
nous retirer de l'esclavage du démon
et des flammes de l'enfer et nous
mériter une éternité de
bonheur.
46. Son offre est acceptée;
le conseil en est pris et arrêté:
la Sagesse éternelle, ou
le Fils de Dieu, se fera homme dans
le temps convenable et dans les
circonstances marquées.
Pendant environ quatre mille ans
qui se sont écoulés depuis la
création du monde et le péché
d'Adam jusqu'à l'incarnation de
la divine Sagesse, Adam et ses descendants
sont morts selon la
loi de Dieu portée [contre
eux]; mais, en vue de l'incarnation
du Fils de Dieu, ils ont reçu
des grâces pour obéir à ses
commandements et pour faire une
digne pénitence après les
avoir transgressés; et, s'ils
sont morts dans la grâce et
l'amitié de Dieu, leurs âmes
sont descendues aux limbes en
attendant leur Sauveur et Libérateur
pour leur ouvrir la porte
du ciel.
47. La Sagesse éternelle,
pendant tout le temps qui s'est
passé avant son incarnation,
a témoigné aux hommes, en mille
manières, l'amitié
qu'elle leur portait, et le grand désir
qu'elle avait de leur communiquer
ses faveurs et de
s'entretenir avec eux: "Mes délices,
a-t-elle dit, sont d'être
avec les enfants des hommes. Deliciae
meae esse cum filiis
hominum." [Pr 8,31] Elle a tourné
elle-même de tous côtés
pour chercher ceux qui étaient
dignes d'elle: quoniam dignos
seipsa circuit quaerens, c'est-à-dire
des personnes dignes de
son amitié, dignes de ses
trésors, dignes de sa propre
personne. Elle s'est répandue
parmi les nations différentes,
dans les âmes saintes, pour
y former des amis de Dieu et des
prophètes; et c'est elle
seule qui a formé tous les saints
patriarches, les amis de Dieu, les
prophètes et les saints de
l'Ancien et du Nouveau Testament:
Et per nationes in animas
sanctas se transfert, amicos Dei
et prophetas constituit. Sap.
7.
C'est cette Sagesse éternelle
qui a inspiré les hommes de
Dieu, et qui a parlé par
la bouche des prophètes, et elle les
a dirigés dans leurs voies,
éclairés dans leurs doutes,
soutenus dans leurs faiblesses et
délivrés de tous maux.
48. Voici comme le Saint-Esprit l'a
raconté lui-même, dans le
10 chapitre de la Sagesse en ces
termes:
[1] "C'est la Sagesse qui conserva
celui que Dieu avait
formé le premier pour être
le père des hommes, ayant d'abord
été créé
seul, c'est-à-dire Adam.
[2] C'est elle aussi qui le tira
de son péché, et qui lui
donna la force de renfermer et de
gouverner toutes choses.
[3] Lorsque l'injuste, Caïn,
se sépara d'elle dans sa
colère, il périt malheureusement
par la fureur, que le rendit
le meurtrier de son frère.
4. Et lorsque le déluge inonda
la terre à cause de lui,
la Sagesse sauva encore le monde,
ayant gouverné le juste,
Noé, par un bois qui paraissait
méprisable.
5. Et lorsque les nations conspirèrent
ensemble pour
s'abandonner au mal, c'est elle
qui connut le juste, Abraham,
qui le conserva irrépréhensible
devant Dieu et qui lui donna
la force de vaincre la tendresse
qu'il ressentait pour [son
fils Isaac].
6. C'est elle qui délivra
le juste, Loth, lorsqu'il
fuyait du milieu des méchants
qui périrent par le feu tombé
sur les cinq villes.
7. Dont la corruption est marqué
par cette terre qui en
fume encore, et qui est demeurée
toute déserte, où les arbres
portent des fruits qui ne mûrissent
point et où l'on voit une
statue de sel qui est le monument
d'une âme incrédule.
8. Car ceux qui ne se sont pas mis
en peine d'acquérir la
sagesse non seulement sont tombés
dans l'ignorance du bien,
mais ils ont encore laissé
aux hommes des marques de leurs
folies sans que leurs fautes aient
pu demeurer cachées.
49. 9. Mais la Sagesse a délivré
de tous maux ceux qui ont eu
soin de la révérer.
10. C'est elle qui a conduit par
des voies droites le
juste, Jacob, lorsqu'il fuyait la
colère d'Esaü, son frère;
qui lui a fait voir le royaume de
Dieu, qui lui a donné la
science des saints; qui l'a enrichi
dans ses travaux et qui
lui en a fait recueillir le fruit.
11. C'est elle qui l'a aidé
contre ceux qui voulaient le
surprendre par leurs tromperies
et qui l'a fait devenir riche.
12. Elle l'a protégé
contre ses ennemis, elle l'a défendu
des séducteurs et elle l'a
engagé dans un rude combat, afin
qu'il demeurât victorieux,
et qu'il sût que la Sagesse est
plus puissante que toute chose.
13. C'est elle qui n'a point abandonné
Joseph le juste
losrqu'il fut vendu; mais elle l'a
délivré des mains des
pécheurs; elle est descendue
avec luidans la fosse.
14. Et elle ne l'a point quitté
dans ses chaînes, jusqu'à
ce qu'elle lui ait mis entre les
mains le sceptre royal, et
qu'elle l'a[it] rendu le maître
de ceux qui l'avaient traité
si injustement. Elle a convaincu
de mensonge ceux qui
l'avaient déshonoré
et elle lui a donne un nom éternel.
15. C'est elle qui a délivré
le peuple juste, les
Hébreux, et la race irrépréhensible
de la nation qui
l'opprimait.
16. Elle est entrée dans
l'âme du serviteur de Dieu,
Moïse, et elle s'est élevée
avec des signes et des prodiges
contre les rois redoutables.
17. Elle a rendu aux justes la récompense
de leurs
travaux, elle les a conduits par
une admirable voie, et elle
leur a servi d'un couvert pendant
le jour et de la lumière
pendant la nuit.
18. Elle les a conduits par la mer
Rouge et elle les a
fait passer au travers des eaux
profondes.
19. Elle a enseveli leurs ennemis
dans la mer et elle a
retiré les siens du fond
de l'abîme. Ainsi les justes ont
remporté les dépouilles
des méchants.
20. Ils ont honoré par leurs
cantiques, ô Seigneur, votre
saint nom, et ils ont loué
tous ensemble votre main
victorieuse.
21. Parce que la Sagesse a ouvert
la bouche des muets et
qu'elle a rendu éloquentes
les langues des enfants."
50. Dans le chapitre suivant de la
Sagesse, le Saint-Esprit
marque les différents maux
dont la Sagesse a délivré Moïse et
les Israélites, pendant qu'ils
étaient dans les déserts. A
quoi l'on peut ajouter que tous
ceux qui ont été délivrés des
grands dangers, dans l'Ancien et
dans le Nouveau Testament,
comme Daniel dans la fosse aux lions,
Suzanne du crime faux
dont on l'accusait, les trois enfants
de la fournaise de
Babylone..., saint Pierre de la
prison, saint Jean de la
chaudière d'huile bouillante,
et une infinité de martyrs et de
confesseurs des tourments qu'on
faisait souffrir à leurs corps
et des calomnies dont on noircissait
leur réputation, on peut
ajouter, dis-je, qu'ils ont tous
été délivrés et guéris par la
Sagesse éternelle: Nam per
Sapientiam sanati sunt quicumque
placuerit tibi, Domine, a principio.
[Sg 9,19]
[Conclusion]
51. Ecrions-nous donc: "Heureux mille
fois une âme dans qui
la Sagesse est entrée pour
y faire sa demeure! Quelques
combats qu'on lui livre, elle demeurera
victorieuse; de
quelques dangers qu'elle soit menacée,
elle en sera délivrée;
de quelques tristesses qu'elle soit
accablée, elle sera
réjouie et consolée;
et en quelques humiliations qu'elle soit
tombée, elle en sera relevée
et glorifiée dans le temps et
dans l'éternité."
CHAPITRE V
L'excellence merveilleuse de la
Sagesse éternelle.
52. Le Saint-Esprit ayant pris la
peine de nous montrer
l'excellence de la Sagesse, en des
termes si sublimes et si
intelligibles, il ne faut que les
rapporter ici avec quelques
petites réflexions.
53. 1. La Sagesse atteint avec force
depuis une extrémité
jusqu'à l'autre, et elle
dispose tout avec douceur.
Rien n'est si doux que la Sagesse.
Elle est douce en
elle-même, sans amertume;
douce à ceux qui l'aiment, sans leur
laisser aucun dégoût;
douce dans sa conduite, sans faire
aucune violence. Vous direz souvent
qu'elle n'est point dans
les accidents et renversements qui
arrivent, tant elle est
secrète et douce; mais, comme
elle a une force invincible,
elle fait tout insensiblement etfortement
venir à sa fin par
des voies inconnues aux hommes.
Il faut que le sage soit, à
son exemple: "suaviter fortis et
fortiter suavis: doucement
fort et fortement doux."
54. 2. Je l'ai aimée, je l'ai
recherchée dès ma jeunesse,
j'ai tâché de l'avoir
pour épouse.
Quiconque veut acquérir le
grand trésor de la Sagesse
doit, à l'exemple de Salomon,
la rechercher: 1 de bonne
heure, et même dès
le bas âge, si cela se peut; 2
spirituellement et purement, comme
un chaste époux son épouse;
3 constamment, jusqu'à la
fin, jusqu'à ce qu'on l'ait
obtenue. Il est sûr que la
Sagesse éternelle a tant d'amour
pour les âmes, qu'elle va
jusqu'à les épouser et contracter
avec elles un spirituel mais véritable
mariage que le monde ne
connaît point; et l'histoire
nous en fournit d[es] exemples.
55. 3. Elle fait voir la gloire de
son origine en ce qu'elle
est étroitement unie à
Dieu et qu'elle est aimée par celui qui
est le Seigneur de toutes choses.
La Sagesse est Dieu même:
voilà la gloire de son origine.
Dieu le Père prend en elle
toutes ses complaisances, comme il
a témoigné: voilà
combien elle est aimée.
56. 4. Elle est la maîtresse
de lascience de Dieu et la
directrice de ses ouvrages.
C'est la seule Sagesse qui éclaire
tout homme venant en
ce monde; c'est elle seule qui est
venue du ciel pour nous
apprendre les secrets de Dieu; et
nous n'avons point d'autre
véritable maître que
cette Sagesse incarnée, nommée Jésus-
Christ; c'est elle seule qui dirige
à leur fin tous les
ouvrages de Dieu, particulièrement
les saints, en leur faisant
connaître ce qu'ils doivent
faire, et en leur faisant goûter
et faire ce qu'elle leur fait connaître.
57. 5. Si l'on souhaite les richesses
de cette vie, qu'y a-t-
il de plus riche que la Sagesse
qui fait toutes choses?
6. Si l'esprit de l'homme fait quelque
ouvrage, qui a
plus de part qu'elle dans cet art
[avec] lequel toutes choses
ont été faites?
7. Si quelqu'un aime la justice,
les grandes vertus sont
encore son ouvrage; c'est elle qui
enseigne la tempérance, la
prudence, la justice et la force,
qui semble[nt] la chose du
monde la plus utile à l'homme
dans cette vie.
Salomon fait voir que, comme on
ne doit aimer que la
Sagesse, c'est d'elle seule aussi
qu'on doit tout attendre,
les biens de fortune, la connaissance
des secrets de la
nature, les biens de l'âme,
les vertus théologales et
cardinales.
58. 8. Si quelqu'un désire
la profondeur de la science, c'est
elle qui sait le passé et
qui juge de l'avenir . Elle pénètre
ce qu'il y a de plus subtil dans
les discours et de plus
difficile à démêler
dans les paraboles; [elle connaît les
signes et les prodiges] avant qu'ils
paraissent et ce qui doit
arriver dans la succession des temps
[et] des siècles.
Quiconque veut avoir une science
des choses de la grâce
et de la nature qui ne soit pas
commune, sèche et
superficielle, mais extraordinaire,
sainte et profonde, doit
faire tous ses efforts pour acquérir
la Sagesse, sans laquelle
un homme, quoique savant devant
les hommes, n'est réputé pour
rien devant Dieu: in nihilum computabitur.
[Sg 3,17]
59. 9. J'ai donc résolu de
la prendre avec moi pour être la
compagne de ma vie, sachant qu'elle
me fera part de ses biens
et qu'elle sera ma consolation dans
mes peines et dans mes
ennuis.
Qui peut être pauvre avec
la Sagesse, qui est si riche et
si libérale? Qui peut être
triste avec la Sagesse, qui est si
douce, si belle et si tendre? Qui,
deceux qui cherchent la
Sagesse, dit sincèrement
avec Salomon: "Proposui ergo: J'ai
donc résolu"? La plupart
n'ont pas pris cette résolution
sincère; ils n'ont que des
velléités, ou, au plus, que des
résolutions chancelantes
et indifférentes; c'est pourquoi ils
ne trouvent jamais la Sagesse.
60. 10. Elle me rendra illustre parmi
les peuples, et, tout
jeune que je suis, je serai honoré
des vieillards.
11. On reconnaîtra la pénétration
de mon esprit pour bien
rendre justice. Les plus puissants
seront surpris losqu'ils me
verront, et les princes témoigneront
leur admiration sur le
visage.
12. Quand je me tairai, ils attendront
que je parle;
quand je parlerai, ils me regarderont
attentivement; et quand
je m'étendrai dans mes discours,
ils mettront leur main sur
leurs bouches.
13. C'est elle aussi qui me donnera
l'immortalité, et
c'est par elle que je rendrai la
mémoire de mon nom éternelle
parmi ceux qui me doivent suivre.
14. Je gouvernerai les peuples par
elle, et les nations
me seront soumises.
Sur ces paroles du Sage dans lesquelles
il se loue, saint
Grégoire fait cette réflexion:
"Ceux que Dieu a choisis pour
écrire ses paroles sacrées,
étant remplis de son Esprit-Saint,
sortent en quelque manière
d'eux-mêmes pour entrer en celui
qui les possède, et ainsi,
étant devenus la langue de Dieu,
ils ne considèrent que Dieu
dans ce qu'ils disent; ils parlent
d'eux comme ils parleraient d'un
autre."
61. 15. Les rois les plus redoutables
craindront lorsqu'ils
entendront parler de moi. Je ferai
voir que je suis bon à mon
peuple et vaillant dans la guerre.
16. Entrant dans ma maison, je trouverai
mon repos avec
elle; car sa conversation n'a rien
de désagréable, ni sa
compagnie d'ennuyeux; mais on n'y
trouve que de la
satisfaction et de la joie.
17. Ayant donc pensé à
ces choses, les ayant méditées en
mon coeur, considérant que
je trouverai l'immortalité dans
l'union avec la Sagesse,
18. Un saint plaisir dans son amitié,
des richesses
inépuisables dans les ouvrages
de ses mains, l'intelligence
dans ses conférences et ses
entretiens, et une grande gloire
dans la communication de ses discours,
j'allais la chercher de
tous côtés, afin de
la prendre pour ma compagne.
Le Sage, après avoir renfermé
en peu de paroles ce qu'il
avait expliqué auparavant,
tire cette conclusion: "J'allais la
chercher de tous côtés."
Pour acquérir la Sagesse, il faut la
chercher ardemment, c'est-à-dire:
il faut être prêt à tout
quitter, à tout souffrir
et à tout entreprendre pour la
posséder. Il y a peu qui
la trouvent, parce qu'il y en [a]
peu qui la cherchent d'une manière
qui soit digne d'elle.
62. Le Saint-Esprit, dans le chapitre
7 de la Sagesse, parle
encore de l'excellence de la Sagesse
en ces termes: "Dans la
Sagesse il y a un esprit d'intelligence
qui est saint, unique,
multiplié en ses effets,
subtil, disert, agile, sans tache,
clair, doux, ami du bien, pénétrant,
que rien ne peut empêcher
d'agir, bienfaisant, amateur des
hommes, bon stable,
infaillible, calme, qui peut tout,
qui voit tout, qui renferme
en soi tous les esprits, intelligible,
pur et subtil. Car la
Sagesse est plus active que toutes
les choses agissantes, et
elle atteint partout à cause
de sa pureté. [Sg 7,22-24]
Enfin la Sagesse est un trésor
infini pour les hommes, et
ceux qui en ont usé sont
devenus les amis de Dieu et se sont
rendus recommandables par les dons
de la science: Infinitus
enim thesaurus est hominibus, quo
qui usi sunt participes
facti sunt amicitiae Dei, propter
disciplinae dona
commendati" Sap 7 [Sg 7,14]
63. Après des paroles si puissantes
et si tendres du Saint-
Esprit pour nous faire voir la beauté,
l'excellence et les
trésors de la Sagesse, quel
est l'homme qui ne l'aimera pas et
ne la recherchera pas de tous ses
forces? D'autant plus que
c'est un trésor infini, propre
à l'homme, pour lequel l'homme
est fait, et qu'elle-même
a des désirs infinis de se donner à
l'homme.
CHAPITRE VI
Les désirs empressés
que la divine Sagesse
a de se donner aux hommes.
64. Il y a une si grande liaison
d'amitié entre la Sagesse
éternelle et l'homme, qu'elle
est incompréhensible. La Sagesse
est pour l'homme, et l'homme pour
la Sagesse. Thesaurus
infinitus hominibus: c'est un trésor
infini pour les hommes,
et non pour les anges ou pour les
autres créatures.
Cette amitié de la Sagesse
pour l'homme vient de ce qu'il
est, dans sa création, l'abrégé
de ses merveilles, son petit
et son grand monde, son image vivante
et son lieutenant sur la
terre. Et, depuis que, par l'excès
de l'amour qu'elle lui
portait, elle s'est rendue semblable
à lui en se faisant
homme, et s'est livrée à
la mort pour le sauver, elle l'aime
comme son frère, son ami,
son disciple, son élève, le prix de
son sang et le cohéritier
de son royaume, en sorte qu'on lui
fait une violence infinie lorsqu'on
lui refuse ou on lui
arrache le coeur d'un homme.
[1. La lettre d'amour de la Sagesse éternelle]
65. Cette beauté éternelle
et souverainement aimable a tant
de désir de l'amitié
des hommes, qu'elle a fait un livre
exprès pour la gagner, en
lui découvrant ses excellences et
les désirs qu'elle a de lui.
Ce livre est comme une lettre
d'une amante à son amant,
pour gagner son affection. Les
désirs qu'elle y témoigne
du coeur de l'homme sont si
empressés, les rechereches
qu'elle y fait de son amitié sont
si tendres, les appels et ses voeux
y sont si amoureux, qu'à
l'entendre parler vous diriez qu'elle
n'est pas la Souveraine
du ciel et de la terre et qu'elle
a besoin de l'homme pour
être heureuse.
66. Tantôt pour trouver l'homme,
elle court dans les grands
chemins; tantôt elle monte
sur la pointe des plus hautes
montagnes; tantôt elle vient
aux portes des villes; tantôt
elle entre jusques dans les places
publiques, au milieu des
assemblées, criant le plus
haut qu'elle peut: "O viri, ad vos
clamito, et vox mea ad filios hominum:
O hommes! ô enfants des
hommes! c'est à vous que
je crie depuis si longtemps; c'est à
vous que ma voix s'adresse; c'est
vous que je désire; c'est
vous que je cherche; c'est vous
que je réclame. Ecoutez, venez
à moi; je veux vous rendre
heureux."
Et, pour les attirer puissamment,
elle leur dit: "C'est
par moi et par ma grâce que
les rois règnent, que les princes
commandent, et que les potentats
et les monarques portent le
sceptre et la couronne. C'est moi
qui inspire aux
législateurs la science de
dresser de bonnes lois pour policer
les Etats, et qui donne la force
aux magistrats d'exercer
équitablement et sans crainte
la justice.
67. J'aime ceux qui m'aiment, et
quiconque me cherche
diligemment me trouvera, et, me
trouvant, trouvera abondance
de tous biens. Car les richesses,
la gloire, les honneurs, les
dignités, les solides plaisirs
et les vraies vertus sont avec
moi; et il est imcomparablement
meilleur à un homme de me
posséder que de posséder
tout l'or et tout l'argent du monde,
toutes les pierreries et tous les
biensde tout l'univers. Je
conduis les personnes qui viennent
à moi par les voies de la
justice et de la prudence, et je
les enrichis de la possession
des vrais enfants, jusqu'au comble
de leurs désirs. Et soyez
persuadés que mes plus doux
plaisirs et mes plus chères
délices sont de converser
et de demeurer avec les enfants des
hommes. [cf. Pr 8,31]
68. Maintenant donc, mes enfants,
écoutez-moi. Bienheureux
ceux qui gardent mes voies. Ecoutez
mes instructions, soyez
sages et ne les rejetez point. Heureux
celui qui m'écoute,
qui veille tous les jours à
l'entrée de ma maison et qui se
tient à ma porte.
Celui qui m'aura trouvée,
trouvera la vie; et il puisera
le salut de la bonté du Seigneur.
Mais celui qui péchera
contre moi blessera son âme.
Tous ceux qui me haïssent aiment
la mort. [Pr 8,32-36: traduction
de SACY]
69. Après tout ce qu'elle
a dit de plus tendre et de plus
engageant pour s'attirer l'amitié
des hommes, elle craint
encore qu'à cause de son
éclat merveilleux et de sa majesté
souveraine ils n'osent, par respect,
s'approcher d'elle.
C'est pourquoi elle leur fait dire
qu'elle est d'un accès
facile; qu'elle se laisse aisément
voir àceux qui l'aiment;
qu'elle prévient ceux qui
la désirent; qu'elle se montre à eux
la première, et que celui
qui se lèverea du matin pour la
chercher n'aura pas beaucoup de
peine pour la trouver; car il
la trouvera assise à sa porte
pour l'attendre. [Sg 6,13b-15]
[2. L'Incarnation, la mort et l'Eucharistie]
70. Enfin la Sagesse éternelle,
pour s'approcher de plus près
des hommes et leur témoigner
plus sensiblement son amour, est
allée jusqu'à se faire
homme, jusqu'à devenir enfant, jusqu'à
devenir pauvre et jusqu'à
mourir pour eux sur la croix.
Combien de fois s'est-elle écriée,
lorsqu'elle vivait sur
la terre: "Venez à moi, venez
tous à moi; c'est moi, ne
craignez rien; pourquoi craignez-vous?
Je suis semblable à
vous; je vous aime. Est-ce parce
que vous êtes pécheurs? Eh!
c'est eux que je cherche; je suis
l'amie des pécheurs. Est-ce
parce que vous vous êtes égarés
du bercail par votre faute?
Eh! je suis le Bon Pasteur. Est-ce
parce que êtes chargés de
péchés, couverts d'ordures,
accablés de tristesse? Eh! c'est
justement pourquoi vous devez venir
à moi; car je vous
déchargerai, je vous purifierai,
je vous consolerai."
71. Voulant d'un côté
montrer son amour pour l'homme jusqu'à
mourir en sa place afin de le sauver,
et ne pouvant de l'autre
se résoudre à quitter
l'homme, elle trouve un secret admirable
pour mourir et pour vivre tout à
la fois, et demeurer avec
l'homme jusqu'à la fin des
siècles: c'est l'invention
amoureuse de l'Eucharistie; et pour
venir à bout de contenter
son amour en ce mystère,
elle ne fait point de difficulté de
changer et renverser toute la nature.
Si elle ne se cache pas sous [l']éclat
d'un diamant ou
autre pierre précieuse, c'est
qu'elle ne veut pas seulement
demeurer extérieurement avec
l'homme: mais elle se cache sous
l'apparence d'un petit morceau de
pain, qui est la nourriture
propre de l'homme, afin que, étant
mangée de l'homme, elle
entrât jusqu'en son coeur
pour y prendre ses délices: Ardenter
amantium hoc est.
"O Deum vere prodigum sui prae desiderio
hominis! O
Sagesse éternelle, dit un
saint, ô Dieu vraiment prodigue de
lui-même par le désir
qu'il a de l'homme."
[3. Ingratitude de ceux qui refusent]
72. Si nous ne sommes pas touchés
des désirs empressés, des
recherches amoureuses et des témoignages
d'amitié de cette
aimable Sagesse, quelle est notre
dureté et notre ingratitude?
Mais si, au lieu de l'écouter,
nous lui fermons
l'oreille; si, au lieu de la chercher,
nous la fuyons; si, au
lieu de l'honorer, de l'aimer, nous
la méprisons et
l'offensons, quelle est notre cruauté,
et quel sera notre
châtimenet, même dès
ce monde! "Ceux, dit le Saint-Esprit,
qui ne se sont pas mis en peine
d'acquérir la Sagesse non
seulement sont tombés dans
l'ignorance du bien mais ils ont
encore laissé aux hommes
des marques de leur folie, sans que
leurs fautes aient pu demeurer cachées:
Sapientiam enim
praetereuntes, non tantum in hoc
lapsi sunt ut ignorarent
bona, sed et insipientiae suae reliquierunt
hominibus
memoriam, ut in his quae peccaverunt,
nec latere potuissent."
Sap 10. [Sg 10,8]
Trois malheurs, pendant la vie,
à ceux qui ne se mettent
pas en peine d'acquérir la
Sagesse; ils tombent 1 dans
l'ignorance et l'aveuglement; 2
dans la folie; 3 dans le
scandale et le péché.
Mais quel est leur malheur à
la mort, lorsque, malgré eux
ils entendent la Sagesse leur reprocher:
"Vocavi, et
renuistis. Je vous ai appelés,
et vous ne m'avez pas répondu;
je vous ai tendu les bras tout le
jour, etvous m'avez
méprisée; je vous
ai attendus, assise à votre porte, et vous
n'êtes point venus à
moi. Ego quoque in interitu vestro ridebo
et subsannabo vos: Et moi à
mon tour je me moque de vous; je
n'ai plus ni oreilles pour écouter
vos cris, ni yeux pour
regarder vos larmes, ni coeur pour
être touchée de vos
sanglots, ni mains pour vous donner
du secours."
Mais quel sera leur malheur en enfer!
Lisez ce que le
Saint-Esprit lui-même a dit
des malheurs, des plaintes, des
regrets et du désespoir des
fols, en enfer, qui reconnaissent
trop tard leur folie et leur malheur
pour avoir méprisé la
Sagesse de Dieu. Talia dixerunt
in inferno. Sap 5.14: Ils
commencent à parler sagement,
mais c'est en enfer.
[4. Conclusion]
73. Désirons donc et recherchons
uniquement la divine
Sagesse. Cuncta quae desiderantur,
huic et non valent
comparari; et en un autre endroit:
Omne desiderabile ei non
potest comparari, Pr. 8: On ne peut
rien désirer de plus que
la Sagesse. ASE 73 Ainsi, quelques
dons de Dieu, quelques
trésors célestes que
vous désiriez, si vous ne désirez pas la
Sagesse, vous désirez quelque
chose de moindre qu'elle.
Ah! si nous connaissions ce que
c'est que ce trésor
infini de la Sagesse fait pour l'homme,
- car j'avoue que je
n'en ai rien dit, - nous souspirerions
jour et nuit après
elle: nous volerions avec vitesse
aux extrémités du monde, et
nous passerions avec joie au travers
des feux et des rasoirs,
s'il était nécessaire,
pour la mériter.
Mais il faut prendre garde de se
tromper dans le choix de
la Sagesse, car il y en a de plusieurs
sortes.
CHAPITRE VII
L'élection de la vraie Sagesse.
74. Dieu a sa Sagesse; et c'est l'unique
et véritable qui
doive être aimée et
recherchée comme un grand trésor. Mais le
monde corrompu a aussi sa sagesse,
et elle doit être condamnée
et détestée comme
mauvaise et pernicieuse. Les philosophes
ont aussi leur sagesse; et elle
doit être méprisée comme
inutile, et souvent comme dangereuse
au salut.
Nous avons jusqu'ici parlé
de la Sagesse de Dieu aux âmes
parfaites, comme dit l'Apôtre;
mais, de peur qu'elles ne
soient trompées par le faux
brillant de la sagesse mondaine,
montrons-en l'imposture et la malignité.
[1 La sagesse mondaine]
75. La sagesse mondaine est celle
dont il est dit: Perdam
sapientiamn sapientium 1 Corint:
je perdrai la sagesse des
sages selon le monde. Sapientia
carnis inimica est Deo, Rom 8:
la sagesse de la chair est ennemie
de Dieu. Non est ista
sapientia desursum descendens, sed
terrena, animalis,
diabolica, Jacob, 3.13: cette sagesse
ne vient pas du ciel,
mais c'est une sagesse terrestre,
animale et diabolique.
Cette sagesse du monde est une conformité
parfaite aux
maximes et aux modes du monde; c'est
une tendance continuelle
vers la grandeur et l'estime; c'est
une recherche continuelle
et secrète de son plaisir
et de son intérêt, non pas d'une
manière grossière
et criante, en commettant quelque péché
scandaleux, mais d'une manière
fine, trompeuse et politique,
autrement ce ne serait plus selon
le monde une sagesse, mais
un libertinage.
76. Un sage du siècle est
un homme qui sait bien faire ses
affaires, et faire réussir
tout à son avantage temporel, sans
quasi paraître vouloir le
faire; qui sait l'art de déguiser et
de tromper finement sans qu'on s'en
aperçoive; qui dit ou fait
une chose et pense l'autre; qui
n'ignorerien des airs et des
compliments du monde; qui sait s'accommoder
à tous pour en
venir à ses fins, sans se
mettre beaucoup en peine de
l'honneur et de l'intérêt
de Dieu; qui fait un secret mais
funeste accord de la vérité
avec le mensonge, de l'Evangile
avec le monde, de la vertu avec
le péché, de Jésus-Christ avec
Bélial; qui veut passer pour
un honnête homme, mais non pas
pour un dévôt; qui
méprise, empoisonne ou condamne aisément
toutes les pratiques de piété
qui ne s'accommodent pas avec
les siennes. Enfin, un sage mondain
est un homme qui, ne se
conduisant que par la lumière
des sens et de la raison
humaine, ne cherche qu'à
se couvrir des apparences de chrétien
et d'honnête homme, sans se
mettre beaucoup en peine de plaire
à Dieu ni d'expier, par la
pénitence, les péchés qu'il a
commis contre sa divine Majesté.
77. La conduite de ce sage du monde
est fondée sur le point
d'honneur, sur le "qu'en dira-t-on",
sur la coutume, sur la
bonne chère, sur l'intérêt,
sur le grand air, sur le mot à
rire. Ce sont là les sept
mobiles innocents, comme il croit,
sur quoi il se tient appuyé
pour mener une vie tranquille.
Il a des vertus particulières
qui le font canoniser des
mondains, comme la bravoure, la
finesse, la politique, le
savoir-faire, la galanterie, la
politesse, l'enjouement. Il
prend pour des péchés
considérables l'insensibilité, la
bêtise, la pauvreté,
la rusticité, la bigoterie.
78. Il suit le plus fidèlement
qu'il peut les commandements
que le monde lui a faits:
Tu sauras bien le monde;
Tu vivras en honnête homme;
Tu feras bien tes affaires;
Tu conserveras ce qui t'appartient;
Tu sortiras de la poussière;
Tu te feras des amis;
Tu hanteras le beau monde;
Tu feras bonne chère;
Tu n'engendreras point de mélancolie;
Tu éviteras la singularité,
la rusticité, [la] bigoterie.
79. Jamais le monde n'a été
si corrompu qu'il l'est, parce
que jamais il n'a été
si fin, si sage à son sens, ni si
politique. Il se sert si finement
de la vérité pour inspirer
le mensonge, de la vertu pour autoriser
le péché, et des
maximes mêmes de Jésus-Christ
pour autoriser les siennes, que
les plus sages selon Dieu y sont
souvent trompés.
Le nombre de ces sages selon le
monde, ou de ces fols
solon Dieu, est infini: Stultorum
infinitus est numerus. [Qo
1,13]
80. La sagesse terrestre, dont parle
saint Jacques, est
l'amour des biens de la terre. C'est
de cette sagesse dont les
sages du monde font une profession
secrète, quand ils
attachent leur coeur à ce
qu'ils possèdent; quand ils tâchent
de devenir riches; quand ils intentent
des procès et font des
chicanes inutiles pour les avoir
ou pour les conserver; quand
ils ne pensent, ils ne parlent,
ils n'agissent la plus grande
partie du temps que dans la vue
d'avoir ou de conserver
quelque chose de temporel, ne s'appliquant
à faire leur salut
et aux moyens de le faire, comme
la confession, la communion,
l'oraison, etc., qu'à la
légère, par manière d'acquit, par
intervalles et pour sauver les apparences.
81. La sagesse charnelle est l'amour
du plaisir. C'est de
cette sagesse dont les sages du
siècle font profession quand
ils ne cherchent que les plaisirs
des sens; quand ils aiment
la bonne chère; quand ils
éloignent de soi tout ce qui peut
mortifier ou incommoder le corps,
comme les jeûnes, les
austérités, etc.;
quand ils ne pensent plus ordinairement qu'à
boire, qu'à manger, qu'à
jouer, qu'à rire, qu'à se divertir et
qu'à passer agréablement
son temps; quand ils recherchent les
lits mollets, les jeux divertissants,
les festins agréables et
les belles compagnies.
Et, après que sans scrupules
ils ont pris tous ces
plaisirs qu'ils ont pu prendre sans
déplaire au monde et sans
incommoder leur santé, ils
cherchent le confesseur le moins
scrupuleux (c'est ainsi qu'ils nomment
les confesseurs
relâchés qui ne font
pas leur devoir), afin d'avoir de lui, à
bon marché, la paix dans
leur vie molle et efféminée et
l'indulgence plénière
de tous leurs péchés. Je dis: à bon
marché; car ces sages selon
la chair ne veulent ordinairement
pour pénitence que quelques
prières ou quelques aumônes,
haïssant ce qui peut affliger
le corps.
82. La sagesse diabolique est l'amour
et l'estime des
honneurs. C'est de cette sagesse
dont les sages du siècle font
profession quand ils aspirent, quoique
secrètement, aux
grandeurs, aux honneurs, aux dignités
et aux emplois relevés;
quand ils recherchent à être
vus, estimés, loués et applaudis
des hommes; quand ils n'envisagent,
dans leurs études, dans
leurs travaux, dans leurs combats,
dans leurs paroles et dans
leurs actions, que l'estime et la
louange des hommes, pour
passer pour des personnes dévotes,
pour des gens savants, pour
des grands capitaines, pour des
savants jurisconsultes, pour
des gens d'un mérite infini
et distingué ou de grande
considération; quand ils
ne peuvent souffrir qu'on les méprise
et qu'on les blâme; quand
ils cachent ce qu'ils ont de
défectueux et font montre
de ce qu'ils ont de beau.
83. Il faut, avec notre Seigneur
Jésus la Sagesse incarnée,
détester et condamner ces
trois sortes de sagesse fausse pour
acquérir la véritable:
qui ne cherche point son propre
intérêt, qui ne se
trouve point dans la terre et dans le coeur
de ceux qui vivent à leur
aise, et qui a en abomination tout
ce qui est grand et relevé
devant les hommes.
[2. La sagesse naturelle]
84. Outre cette sagesse mondaine,
qui est condamnable et
pernicieuse, il y a une sagesse
naturelle parmi les
philosophes.
C'était cette sagesse naturelle
que les Egyptiens et les
Grecs recherchaient autrefois avec
tant d'empresssement:
Graeci sapientiam quaerunt. Ceux
qui avaient acquis cette
sagesse étaient appelés
mages ou sages. Cette sagesse est une
connaissance éminente de
la nature dans ses principes. Elle
fut communiquée en plénitude
à Adam dans son innocence; elle
fut donné en abondance à
Salomon, et dans la suite des temps
quelques grands hommes en ont reçu
quelque partie, comme
l'histoire nous apprend.
85. Les philosophes vantent leurs
arguments de philosophie
comme un moyen d'acquérir
cette sagesse.
Les chimistes vantent les secrets
de leur cabale pour
trouver la pierre philosophale,
dans laquelle ils s'imaginent
que cette sagesse est renfermée.
A la vérité, la philosophie
de l'Ecole, étudiée bien
chrétiennement, ouvre l'esprit
et le rend capable des sciences
supérieures; mais elle ne
donnera jamais cette prétendue
sagesse naturelle si vantée
dans l'antiquité.
86. La chimie ou alchimie, ou la
science de dissoudre les
corps naturels et de les résoudre
à leurs peincipes, est
encore plus vaine et plus dangereuse.
Cette science, quoique
véritable en elle-même,
a dupé et trompé une infinité de gens,
par rapport à la fin qu'ils
se proposaient; et je ne doute
point, par l'expérience que
j'en ai moi-même, que le démon ne
s'en serve aujourd'hui pour faire
perdre l'argent et le temps,
la grâce et l'âme même,
sous prétexte de trouver la pierre
philosophale. Il n'y a point de
science qui propose
l'exécution de plus grandes
choses, et par des moyens plus
apparents.
Cette science promet la pierre philosophale,
ou une
poudre qu'ils nomment de projection
qui, jetée en quelque
métal que ce soit, s'il est
fondu, le change en argent ou en
or, qui donne la santé, qui
guérit les maladies, qui même
prolonge la vie, et qui opère
une infinité de merveilles qui
passent chez les ignorants pour
divines et miraculeuses.
Il y a une bande de gens qui se
disent savants en cette
science, qu'on nomme cabalistes,
qui gardent les mystères de
cette science si cachés qu'ils
aimeraient mieux perdre la vie
que de révéler leurs
prétendus secrets.
87. Ils autorisent ce qu'ils disent:
1 Par l'histoire de Salomon qu'ils
assurent avoir reçu
le secret de la pierre philosophale,
et dont ils vantent un
livre secret, mais faux et pernicieux,
nommé la Clavicule de
Salomon.
2 Par l'histoire d'Esdras, à
qui Dieu donna à boire une
liqueur céleste qui lui donna
la Sagesse, comme il est marqué
dans le 7 livre d'Esdras.
3 Par les histoires de Raymond Lulle
et de plusieurs
autres grands philosophes qu'ilsassurent
avoir trouvé cette
pierre philosophale.
4 Enfin, pour mieux couvrir du manteau
de la piété leurs
tromperies, ils disent que c'est
un don de Dieu, qu'il ne
donne qu'à ceux qui l'ont
longtemps demandé et qui l'ont
mérité par leurs travaux
et par leurs prières.
88. Je vous ai rapporté les
rêveries ou les illusions de
cette science vaine, afin qu'on
n'y soit pas trompé comme tant
d'autres, car j'en sais qui, après
avoir fait plusieurs
dépenses inutiles et perdu
beaucoup de temps à chercher ce
secret, sous les plus beaux et pieux
prétextes du monde, et de
la manière la plus dévote,
ont été enfin obligés de s'en
repentir, en avouant leurs tromperies
et leurs illusions.
Je ne conviens pas que la pierre
philosophale soit
possible. Le savant Delrio l'assure
et la prouve possible;
d'autres la nient. Quoiqu'il en
soit, il n'est pas convenable
et il est même dangereux qu'un
chrétien s'applique à la
chercher. C'est faire injure à
Jésus-Christ, la Sagesse
incarnée, dans lequel sont
tous les trésors de la Sagesse et
de la science de Dieu, tous les
biens de la nature, de la
grâce et de la gloire. C'est
désobéir au Saint-Esprit qui
dit: "Altiora te ne quaesieris,
Eccli 3: Ne cherchez point ce
qui est au-dessus de vos forces'"
[Si 3,22]
[3. Conclusion]
89. Demeurons-en donc à Jésus-Christ,
la Sagesse éternelle et
incarnée, hors duquel il
n'y a qu'égarement, que mensonge et
que mort: Ego sum via, veritas et
vita.
Voyons ses effets dans les âmes.