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Documents sur Mgr Marcel Lefebvre et la Fraternité sacerdotale saint Pie X (F.S.P.X.)
Abbé Emmanuel Berger
Pourquoi je quitte la Fraternité sacerdotale saint Pie X (F.S.P.X.)
Lettre circulaire, par l'abbé Emmanuel Berger, aux prêtres de la FSPX
30 juin 1994

Bien chers confrères,

Mon départ vous aura surpris, certainement peinés, peut-être même scandalisés. Sur la demande de Monsieur l'abbé Aulagnier, et par esprit de charité, j'ai voulu garder jusqu'ici la plus grande discrétion, espérant jusqu'au bout ne pas avoir à partir. C'est pourquoi, en toute amitié, je voudrais maintenant vous donner quelques nouvelles, avec les raisons de ma décision. Depuis une bonne année, dans une réflexion menée en toute ouverture de cœur, et je crois, loyauté, je me suis ouvert aux Supérieurs de certains doutes.

Sur la question des Sacres : Constatant l'insuffisance de mes réponses aux questions de plusieurs fidèles, j'ai voulu retravailler la question, qui, tout le monde en convient, n'est pas évidente, tant du point de vue théologique que canonique ou historique. J'ai particulièrement relu certains textes de Pie IX, Léon XIII et Pie XII. J'ai fait part de quelques objections au Supérieur Général, qui m'a renvoyé à la thèse de l'abbé Mura, parue dans Le Sel de la Terre [revue des dominicains lefebvristes domiciliés en Mayenne].

Non seulement ce travail ne m'a pas convaincu en faveur des Sacres, mais m'a convaincu du contraire. Dans un premier temps en effet, l'abbé Mura reprend tous les arguments de la Tradition, des Pères et des Conciles s'opposant à de tels Sacres, et dans un 2e temps, il affirme que si le Pape a interdit les Sacres, c'est qu'il n'y était pas opposé ; bref, si le Pape est "contre", c'est qu'il est "pour". On a beau faire appel à la notion (discutable...) de "Pape occupé et donc inapte à décider en la matière", ou à la distinction entre volonté première et volonté seconde, cela défie le bon sens!  Surtout quand on sait que le Pape lui-même a plus d'une fois refusé cette explication.

J'ai reçu ensuite cet argument invraisemblable de Mgr Tissier (lettre du 25 septembre 1993) : « Notre position ne vous semble pas claire ; mais c'est Monseigneur qui a eu la grâce d'état de prendre la décision du Sacre, et a eu les lumières pour la prendre ;  nous, nous avons simplement la grâce de le suivre, et cela suffit : marchons dans la foi ; si ce n'est pas la foi divine, c'est quand même l'esprit de foi, qui vient de la foi divine »...

On nous a souvent mis en garde contre l'obéissance aveugle vis-à-vis du Pape. La faudrait-il donc vis-à-vis de Mgr Lefebvre ? Au jugement, Dieu ne me demandera pas si j'ai "suivi", mais si j'ai fait mon devoir. En tout cas, l'argument de Mgr Tissier est tout sauf un argument. C'est même exactement le contraire: l'aveu d'une absence d'argument. On s'appuie sur la confiance, mais la confiance n'est pas un argument théologique. On n'est pas loin du sentiment religieux cher aux modernistes et aux charismatiques.  Quant à me dire "marchons dans la foi" à propos de ce qui n'est qu'obéissance aveugle à une décision historiquement contingente cela pose simplement la question de la nature et de l'objet de la foi ?

J'ai donc demandé des éclaircissements. Mgr Tissier m'a répondu en ces termes : « J'ai accepté les Sacres 10% pour des raisons spéculatives que j'ai exposées en ce temps-là à mes paroissiens :
Pape occupé et donc inhabile à décider validement en la matière ;

volonté implicite du Pape favorable au Sacre, vu le cas de nécessité et la finalité de sa charge ;

exception faite par Dieu à sa loi, divine positive - exception apparente - comme il en fait pour sa loi naturelle en certains cas ;

inspiration divine donnée à Monseigneur.
 

L'abbé Mura développe les 2 premières raisons , on peut objecter à son argumentation, il saurait y rétorquer, et ainsi de suite... Et pour 90%, j'ai accepté le Sacre par confiance en Monseigneur et cela suffit... Que Mgr sacre, les théologiens du XXIe siècle trouveront les arguments... Melius est judicium sapientis (Marcelli) quam millium insipientium ! » (lettre du 7 juin 1994).

D'une part, faudrait-il prouver ces mille insipientes...
D'autre part, qu'il y ait inspiration divine ou exception voulue par Dieu, je veux bien, mais, comme toute apparition et charisme, cela demande à être authentifié par l'autorité légitime de l'Eglise;
et de toute façon, nous sommes en droit d'en avoir un signe extérieur public et indubitable. A défaut duquel on ne peut que se tenir à la loi générale de l'Eglise.
 

Ayant ainsi reçu 2 fois le même non-argument, j'en suis venu à considérer que c'est la seule réponse qu'un de nos évêques puisse apporter pour éclairer un confrère qui se pose des questions. En conscience, je ne peux accepter ces propos sans perdre la foi dans l'Eglise et le Pape. Il y a là une raison objective de quitter une Fraternité devenue subjectiviste. "A u t o c é p h a 1 e", nous disait l'abbé Aulagnier à la récollection du 22 mars à S. Nicolas, devant l'abbé Schmidberger qui constatait également qu'il nous manque l'union visible et extérieure avec Rome
 

Sur le problème de la mission et la question de notre juridiction : La thèse qui fait autorité dans la FSPX est celle de Mgr Tissier, exprimée dans sa conférence à Paris en mars 1991:
il s'appuie d'une part sur le cas de nécessité,
d'autre part sur le besoin des fidèles qui s'adressent à nous. Juridiction de suppléance, où, finalement, c'est la demande des fidèles qui nous donnent juridiction, au cas par cas.

Dans des années surchargées de travail à St Malo, cette thèse m'avait réconforté. Mais pendant ces 2 ans de quasi-vacances que je viens de passer à Lourdes, elle est devenue un véritable piège. Par définition, elle rend impossible tout apostolat à l'extérieur, si les gens ne nous demandent pas notre ministère. De plus, très gênante par son côté démocratique, je vois mal comment la concilier avec la structure hiérarchique de l'Eglise, où l'apostolat est nécessairement fondé sur la mission qui ne peut venir que d'en haut. On a écrit que j'avais déserté mon poste et abandonné le troupeau. Mais d'une part, ce n'était pas "mon" troupeau ; il m'était confié par des supérieurs auxquels ce troupeau n'appartient pas davantage. Et d'autre part, j'ai plutôt la conviction et le sentiment, non pas de déserter, mais de quitter un doux cocon où l'on "ronronne", comme le dit si souvent l'abbé Aulagnier, pour rejoindre le combat là où il se trouve, sur le terrain, à Rome, auprès des évêques, dans les paroisses, etc. C'est là qu'est notre poste véritable. « Quomodo praedicantur nisi mittantur ? »
 

On peut quelquefois déployer un grand zèle dans l'apostolat, mais n'est-ce pas "magni passus extra viam" ? Et soyons réalistes : si, au dire de l'abbé Célier (L'Eglise déchirée, p. 46), « la liberté de prêcher et de distribuer les Sacrements est (pour la Fraternité Saint Pierre) strictement réduite à des groupes de fidèles bien définis », dans la FSPX, à part quelques grands centres comme St Nicolas du Chardonnet ou le Gabon, c'est encore pire ! Qui parmi nous n'a jamais expérimenté combien nous sommes marginalisés. N'imaginons pas que nous sommes en pleine vitalité, en train de faire plier Rome par notre grand nombre ! Que c'est nous qui désormais poserons à Rome les conditions de nouvelles discussions !

Sans compter qu'il y a manque de réalisme de toujours parler de "Rome" comme d'un bloc homogène. La généralisation de l'adversaire : "les modernistes", "I'Eglise conciliaire", est abusive.  C'est une fiction de l'esprit et une logique manichéenne : c'est nous les bons, et c'est eux les méchants.
« Qui se existimat stare, videat ne cadat ». Soyons réalistes, de ce réalisme qui s'appelle l'humilité ! J'ai pu voir à Lourdes l'extrême variété de la richesse et de la misère du clergé et des fidèles. Et ce fut une totale, mais apaisante découverte. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, nous n'avons pas le privilège de la sainteté, loin de là ! Pour les mariages, on se base sur le Droit Canon dispensant de la forme canonique régulière si on n'a pas trouvé de prêtre dans le mois. Il m'a toujours semblé évident que cela suppose de chercher un prêtre pendant au moins un mois.
Pour ma part, j'ai toujours pu trouver. Je sais par contre que bien des confrères se croient dispensés de chercher. Mais comment ne pas réfléchir devant l'annulation de plusieurs mariages faits à St Nicolas, sous le motif de manque de juridiction. De même le fait d'avoir établi un bureau parallèle pour les questions de mariage est à mon avis très grave.

La FSPX ne se constitue-t-elle pas là en Eglise parallèle ? "Autocéphale".
N'y a-t-il pas généralisation indue du "besoin" des fidèles et du "cas de nécessité" ?
Les motifs de notre apostolat, cas de nécessité et besoin des fidèles, sont finalement les mêmes que ceux revendiqués par la récente et ouvertement schismatique Neue Katholische Kirche d'Autriche...
Une compagnie encombrante, et qui met mal à l'aise !
 

« Haec oportet facere, et illa non omittere ». Il convient de ne pas accepter le modernisme et la conception erronée de la liberté religieuse, il convient de garder la Messe de St Pie V, mais il faut aussi garder la foi dans l'Eglise et dans le Pape, avec l'obéissance visible et concrète qui en est la conséquence.

Ce n'est pas parce que le Pape nous scandalise quelquefois, comme à Assise, que nous pouvons de notre côté faire n'importe quoi au niveau canonique. Il y a assez de désordre dans l'Eglise pour ne pas en rajouter !
 

Sur la notion de Tradition : Permettez-moi de penser qu'il y a dans les discours et écrits de la FSPX une réelle équivoque et une ambiguïté profonde sur cette question. Pour ne prendre que le récent livre de l'abbé Célier, la Tradition est-elle :
le trésor des coutumes liturgiques accumulées et purifiées au fil des siècles?
Ou des "oeuvres" (écoles, pèlerinages, etc.), forcément fragiles et passagères ? (p. 23, 46).
Ou un "évêque réellement traditionnel" ? (p.53).
Mais quelle en est la définition , sinon d'avoir été nommé par Rome ? Car s'il y a un point qui fait bien partie de la Tradition, et de la Tradition révélée, c'est bien cette dépendance visible des évêques vis-à-vis de Pierre !

Ou une communauté : "procurer à la Tradition les moyens de vivre" (p. 23).

Ou le "décor": "la soutane rouge, l'aube à dentelle, les 2 tunicelles.... l'anneau, la crosse.... même le visage du prélat, tout y est parfait, tout y est traditionnel" (p. 115).

Mais jamais la Tradition n'y est définie comme le donné révélé, à mettre sur le même pied que l'Ecriture Sainte.
 

Dans ce cas d'ailleurs, peut-on dire que le Pape manque à la Tradition, sans nier son infaillibilité et la prière efficace du Christ pour St Pierre ?
Sola Scriptura. Les Protestants, Témoins de Jéhovah et autres Mormons font tous dire à la Bible le contraire les uns des autres. Il est facile de leur montrer qu'en conséquence l'Ecriture Sainte ne se suffit pas à elle-même, mais qu'elle appelle un Magistère qui en soit le gardien et l'interprète authentique. N'y a-t-il pas la même remarque à faire sur la Tradition révélée ?
Sola Traditio? Tout le monde la revendique pour condamner l'autre. Elle ne suffit donc pas à elle-même, mais appelle un Magistère, interprète authentique. Et ce Magistère, ce n'est pas nous, mais bien le Pape. Bref, je ne me souvenais guère de ces mots de Jean-Paul II dans le Motu Proprio du 2 juillet 1988, mais l'abbé Célier a eu le mérite de nous les rappeler, et j'y adhère totalement : "A la racine de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition (p. 30) ... un faux concept de la Tradition" (p. 85).
 

Sur le silence total de la FSPX sur ce qui est venu de très positif de Rome ces derniers temps: pourquoi n'avons-nous eu aucun écho, par exemple, sur :

le discours du Pape sur la télévision (elle "inculque le relativisme moral et le scepticisme religieux, le meilleur usage qu'on puisse en faire, c'est de l'éteindre!").

le Directoire aux prêtres, réaffirmant avec force et clarté la distinction entre le sacerdoce des simples baptisés et le sacerdoce ministériel, et nous rappelant tant et tant de conseils avec la même ferveur que les lettres de St Pie X et Pie XII sur le Sacerdoce.

Et pourquoi si peu d'écho sur le document concernant l'ordination des femmes, document dont il est difficile de dire qu'il ne relève pas du Magistère ex cathedra Au contraire, on a manifestement voulu attirer l'attention des fidèles et des prêtres uniquement sur les points négatifs : "qui veut noyer son chien l'accuse de la rage"...

On nous dit souvent de prier pour le Pape, on proteste de notre soumission à la Rome éternelle, etc. Mais dans les faits, ces affirmations ne servent qu'à mieux épier le Pape et à le critiquer systématiquement, tel le chasseur embusqué guettant le loup au sortir du bois.
"Attachons-nous à mettre en évidence non pas seulement les lumières, mais les ombres éventuelles" (Cor unum 47 p.5).
 

Psychologiquement, c'est de fait indispensable pour justifier les positions de la FSPX. Car la justification ultime des Sacres, la majeure du raisonnement sur lequel s'appuie toute l'attitude de la FSPX, n'est-elle pas d'affirmer que tout va mal en dehors de la Fraternité, et que l'intégrité de la doctrine a partout disparu, sauf dans la Fraternité.
Vous me direz sans doute : on ne peut accepter tout ce qui vient de Rome. «Bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu ». Certes, mais alors commençons par balayer devant notre porte. Remarquons d'abord que si on épluche tant les écrits du St Père, pour n'en ressortir que le négatif, on peut se permettre au moins la même attitude vis-à-vis des confrères et même des supérieurs.)

Sur les fins du mariage : On nous rabat les oreilles sur l'inversion prônée par Vatican II
Mais voilà le texte du Concile :
"C'est par sa nature même que l'institution du mariage et l'amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l'éducation. Aussi, l'homme et la femme s'aident et se soutiennent mutuellement... (GS 48)
"Le mariage et l'amour conjugal sont d'eux-mêmes ordonnés à la procréation et à l'éducation..." (GS 50.1)
"Le mariage cependant n'est pas institué en vue de la seule procréation. Il requiert que l'amour mutuel des époux s'exprime lui aussi dans sa rectitude." (GS 50,3)

Et voilà le texte du Catéchisme du Concile de Trente (Mariage, n°3), repris par Pie XI (Casti connubii n° 22): « Le premier motif (causa) qui détermine l'homme à se marier, c'est l'instinct naturel qui porte deux êtres à s'unir dans l'espoir de s'aider mutuellement... Le second motif, c'est le désir d'avoir des enfants...»

Si donc il y a inversion des fins du mariage, elle est plutôt à l'honneur de Vatican II. Soyons honnêtes avec les textes, et ne leur faisons pas dire le contraire de ce qu'ils disent, a priori, pour justifier nos thèses ou nos positions.»
 
 

Sur la notion d'infaillibilité :
On entend de plus en plus dans nos rangs cette thèse que le Pape n'est infaillible que lorsqu'il parle ex cathedra. Ce sont des fidèles qui l'affirment, mais ce sont aussi des séminaristes, qui disent l'avoir appris au séminaire (?). Or il est de foi que le Magistère de l'Eglise, et donc du Pape, est infaillible et qu'il se compose du Magistère tant extraordinaire qu'ordinaire. Pourquoi donc réduire l'autorité du Magistère ordinaire à une simple "grande autorité" ? (Cor unum 47 p. 31)

Sur le rapport entre l'autorité et la foi : Jusqu'où peut-on dire : "ce n'est pas l'autorité qui tient la première place dans l'Eglise, mais bel et bien la foi".
Cette affirmation me paraît dangereuse. En effet, qui va me dire où est la foi, à moi pauvre pécheur de l'Eglise enseignée, sinon l'Eglise enseignante, dans la personne de Pierre : « J'ai prié pour que ta foi ne défaille pas ». N'y a-t-il pas danger de subjectivisme à se faire d'abord sa propre idée de la foi : "telle est la vraie foi, tel est l'enseignement des Papes et des conciles précédents, telle est la Tradition", pour en conclure ensuite: "un tel est bien le pape", ou "je peux accepter tel enseignement du pape", parce qu'il colle à mon idée de la foi. N'est-ce pas du libre examen ? La démarche catholique n'est-elle pas inverse : « ubi Petrus, ibi Ecclesia » ?

Nous voilà pratiquement devant 2 "infaillibilités".
Celle du Magistère ordinaire du Pape, et celle des supérieurs. Pourquoi se fier à l'autorité d'un Supérieur même Général plutôt qu'à celle du St Père ? A force de critiquer sans cesse l'autorité à ses différents niveaux, écoles, Etat, prêtres, évêques, Pape, ne finit-on pas par détruire dans le cœur des fidèles, et surtout des enfants, le principe même de l'autorité.»
 

Un manque d'information certain : Le livre de l'abbé Célier, "I'Eglise déchirée", ainsi que sa lettre ouverte publiée dans Fideliter N°96 peut être pris comme une véritable apologie de la Fraternité Saint Pierre. Il nous montre en effet comment la Fraternité Saint Pierre rencontre certes bien des difficultés, mais arrive malgré tout à s'imposer et à survivre en gardant fidèlement la Messe de St Pie V (quelque calomnie contraire qu'on ait pu dire...). Surtout dans le livre, recommandé comme parfaitement documenté et puisant à des sources incontestables, plusieurs pages sont tissées d'affirmations gratuites, incomplètes, et floues. Par exemple à la p. 43 : "d'après des informations sérieuses, la Fraternité Saint Pierre a procédé il y a quelques temps à l'élection d'un nouveau Supérieur Général." Ça s'appelle un Chapitre Général, parfaitement repérable dans le temps et dans l'espace, et pas seulement "il y a quelques temps" ou "d'après des informations sérieuses" !
 

Un esprit de parti inquiétant : Un séminariste de la FSPX m'écrit récemment pour m'assurer de ses prières pour l'ordination de mon frère Michel. En ajoutant: surtout ne le répétez pas, car je risquerai de gros ennuis pour avoir écrit cette simple phrase". On ne peut donc plus prier librement à Flavigny ou à Ecône pour les confrères des autres Congrégations.
 

" Gardez-vous bien toute liberté ? Ne subissez-vous pas quelque influence ? La passion ne se mêle-t-elle pas quelque part dans vos pensées ?" m'écrivait l'abbé Aulagnier le 8 février 1994. Je pense pouvoir répondre en toute sérénité que c'est sans passion que j'en arrive à ces considérations et conclusions. Me sachant facilement émotif, j'ai voulu "laisser le temps au temps", et vous pensez bien que ce n'est pas à la légère qu'on en arrive à de si graves décisions. En 1988, je m'étais appuyé sur cette phrase de mon arrière grand-père, le vénéré Amiral de Penfentenyo : "Dans la tempête, un marin ne change pas de cap." C'était alors la tempête, et je ne voulais pas prendre de décision dans un tel contexte. Depuis, les choses se sont largement calmées et clarifiées, surtout à Lourdes, où j'ai eu le temps de (re)lire bien des textes.
 

L'influence subie, c'est, en profondeur,

les non-réponses à mes questions, et particulièrement les non-arguments de Mgr Tissier : "Mgr a eu la grâce de décider, nous avons la grâce de suivre, et cela doit suffire". Oui, vraiment, le jour où j'ai reçu cette lettre, quelque chose a été brisé ; je ne me suis plus tout à fait senti de la même famille. Mais j'ai voulu me donner le temps de l'étude et de la prière.
 

la relecture des documents pontificaux, surtout de Pie IX et Léon XIII. Si on s'appuie Sur le Magistère antérieur pour critiquer la Déclaration sur la liberté religieuse, il est nécessaire, en toute loyauté, de ne pas esquiver ce même Magistère antérieur à propos des Sacres.
 

et enfin, la grâce de Lourdes : « A Lourdes, on trouve l'accroissement non seulement de l'amour et de la dévotion envers la Mère de Dieu, mais encore de la vénération et de la soumission à l'égard du Vicaire du Christ » (St Pie X, 23 décembre 1908). A Lourdes, on voit l'Eglise. Dans sa richesse, sa misère (car il y a bien des débordements), et sa diversité. Mais avec amour et compassion. Ici "les faits parlent plus forts que les mots".
 

Conclusions-Décisions : Le terminus a quo devenait inéluctable : j'ai quitté ma chère Fraternité, non sans appréhension, mais c'était un devoir de conscience. Pour un motif de foi. Je sentais s'altérer profondément ma foi en l'Église, j'avais de plus en plus de mal à chanter loyalement : « Credo in unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam », ou à expliquer aux enfants le chapitre du Catéchisme sur l'Église et le Pape. Je veux garder la foi en Pierre, malgré ses misères, m'appuyant sur la prière efficace du Christ : « J'ai prié pour toi, pour que ta foi ne défaille point », et sur les enseignements de l'Eglise sur « le devoir de subordination hiérarchique et d'une vraie obéissance, non seulement dans les choses qui concernent la foi et les moeurs, mais aussi dans celles qui appartiennent à la discipline et au gouvernement de l'Église.  Telle est la vérité catholique, dont nul ne peut dévier sans perdre la foi et le salut » (Pie IX, Pastor aeternus).

Le terminus ad quem est moins clair encore. Mais Dieu saura bien me montrer la route à suivre. « Scio cui credidi, et certus sum quia potens est depositum meum servare.»

Je me suis d'abord rendu à Rome, pour régulariser la situation canonique auprès de la Commission Ecclesia Dei. Le seul texte que l'on m'a fait signer, Mgr l'avait signé lui aussi : le préambule du 5 mai 1988 (Cor unum n° 30, p. 30s). J'ai ensuite célébré la Sainte Messe à la basilique St Pierre, sur le tombeau de St Léon le Grand. Maintenant, je ne tiens pas à foncer tête baissée dans telle ou telle communauté. Il me faut prendre du recul. Et visiter les différentes communautés fidèles à la Messe de St Pie V. (Essentiellement l'Institut du Christ Roi et la Fraternité Saint Pierre). Ne serait-ce que pour en avoir une connaissance de l'intérieur, et "de visu".  Car j'ai trop constaté depuis quelques années combien on racontait n'importe quoi sur le Barroux ou sur la Fraternité Saint Pierre, par exemple (n'est-il pas opportun de noter que le séminariste sorti de St Pierre, et principal auteur du fameux rapport qui a fait tant de bruit à l'automne contre ladite Fraternité, a dû être renvoyé de Flavigny à Pâques dernier .. ) De toutes façons, je sais que je peux compter sur vos prières à tous pour que se fasse clairement connaître la volonté de Dieu. N'avons-nous pas dit le 28 juin: « Praesta quaesumus Domine ut nullis nos permittas perturbationibus concuti, quos in apostolicoe confessionis petra solidasti » ?
 

Vous m'accuserez de traîtrise. Peut-être. Vous direz bien ce que vous voulez. Je dirais simplement comme Sainte Bernadette, qui m'est devenue si chère pendant ces 2 années de Lourdes : « Me laisser calomnier, mépriser, rejeter, déchirer. Oh! comme je glorifierais Dieu!» « Mes désirs sont que l'on n'eût plus de souvenir de moi que pour me mépriser, m'humilier, me dire des injures, puisque, en effet, rien ne m'est dû que cela.» (Notes intimes, 1873) Vous me demanderez peut-être pourquoi ne pas avoir attendu le Chapitre Général. Je ne suis absolument pas parti pour des problèmes de personne, ou par découragement, ou par quelconque amertume. Les témoignages de sympathie de plusieurs d'entre vous ces dernières semaines en sont bien la marque.
 

Mais il y a presque un an que je pose aux Supérieurs des questions de fond. Dont les Supérieurs eux-mêmes m'ont dit qu'elles sont légitimes. La seule réponse de fond obtenue est une non-réponse : "Mgr a choisi, nous n'avons qu'à suivre, ça doit nous suffire". Cette absence de réponse doctrinale rendait le départ inéluctable. Je ne veux pas faire la guerre. Je ne juge personne, mais je me juge moi-même, en conscience, devant Dieu. Cependant, "iterum et iterum", je pose la question. En espérant que mon geste aura finalement chez les confrères et les Supérieurs plus d'écho que mes questions. Ou bien il ne faut ni se poser, ni poser de questions, mais cela ressemble trop aux Témoins de Jéhovah et autres sectes. Ou bien il y a une réponse doctrinale cohérente, et je reviens immédiatement dans la Fraternité. Car je l'aime, cette famille où j'ai grandi, je les aime, ces confrères avec lesquels j'ai passé presque 20 ans. Ou bien il n'y en a pas, comme cela semblerait malheureusement apparaître, et au cours du Chapitre Général, pour lequel je ferai la neuvaine et le jeûne demandés, il faut bien en tirer les conséquences, avec une grande foi vraiment surnaturelle dans l'efficacité de la parole du Christ et dans la mission du Pape, qui est objet de foi au même titre que la Trinité ou la Présence réelle.
 

Bien chers confrères, je vous redis toute mon amitié sacerdotale et ma grande union de prières. Notre-Dame de Lourdes, priez pour nous tous, pauvres pécheurs.

abbé Emmanuel Berger
 

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