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Sainte Catherine de Sienne
Traité de la Prière

LXV.- Du moyen que prend l’âme pour arriver à l’amour pur et généreux.
 

1.- Lorsque l’âme est entrée dans le chemin de la perfection, en passant par la doctrine -de Jésus crucifié, avec l’amour véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu’elle est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la connaissance d’elle-même, elle s’y renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de la conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle? Elle se renferme par la crainte que lui cause la vue de son imperfection, et par le désir qu’elle a d’arriver à l’amour généreux et parfait. Elle voit et comprend qu’on ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive ma venue par l’augmentation de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette foi vive? A la persévérance dans la vertu et dans la sainte prière, quelque chose qui arrive. A moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais abandonner la prière.

2.- Souvent le démon obsède plus l’âme de ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui n’y est pas consacré : il voudrait vous inspirer l’ennui de la, prière. Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de rien, parce qu’on ne doit pas être ainsi distrait. Le démon s’efforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter l’âme de l’exercice de la prière, parce que la prière est une arme avec laquelle l’âme se défend contre tous ses ennemis, lorsqu’elle la prend avec la main de l’amour et le bras du libre arbitre, et qu’elle combat à la lumière de la sainte foi. (103)
 

LXVI.- L’âme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.
 
 
 
 

1.- Tu sais, ma fille bien-aimée, que c’est en persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que l’âme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer , et ne se laisser jamais arrêter par les illusions du démon ou par sa propre fragilité. Elle doit résister aux pensées, aux mouvements de la chair, et aux propos que l’esprit du mal met sur la langue des hommes pour la détourner de la prière. Oh! que cette prière est douce à l’âme, et qu’elle m’est agréable, lorsqu’elle est faite avec la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la lumière de la sainte foi et avec l’ardeur de ma charité !

2.- Cette charité s’est rendue visible dans la personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son sang. Ce sang enivre l’âme et l’embrase du feu de la charité divine ; cette nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la sainte Église est le corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui tient la clef de ce précieux sang, est chargé de vous le distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie établie sur le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui passent par la doctrine de ma vérité, afin qu’ils ne périssent pas de faiblesse.

3.- Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon le désir et les dispositions de celui qui la prend sacramentellement ou virtuellement : sacramentellement en recevant la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuellement par le saint désir de la Communion ou par la pieuse contemplation du sang de Jésus crucifié. L’âme y trouve et goûte le sentiment de l’amour qui l’a fait répandre ; elle s’y enivre, s’y enflamme d’un saint désir, et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du prochain. Où acquiert-elle cette charité? Dans la cellule de la connaissance d’elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples, qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection (104) et acquirent la perfection. Par quel moyen? Par la persévérance unie à la sainte foi.

4.- Mais ne pense pas qu’on reçoive cette ardeur et cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient plutôt des lèvres que du coeur. Ils ne songent qu’à réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès qu’ils ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose ; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il ne faut pas agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruit et on m’est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ? Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.

5.- Tu sais que l’âme est imparfaite avant d’être parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l’oisiveté, lorsqu’elle est encore imparfaite, l’âme doit s’appliquer à la prière vocale ; mais elle ne doit pas faire la prière vocale sans la faire mentale ; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle s’efforcera d’élever et de fixer son esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera l’abondance de ma charité et la rémission de ses péchés.

6.- Elle doit le faire pour que la connaissance d’elle-même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma bonté envers clic et continuer sa prière avec une humilité véritable. Je ne veux pas qu’elle considère ses fautes en particulier, mais en général, pour qu’elle ne soit pas souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi qu’elle ne doit pas considérer ses péchés en généraI et en particulier sans y joindre la considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon inépuisable miséricorde, afin qu’elle ne tombe pas dans la confusion.

7.- Si la connaissance d’elle-même et la vue de son péché n’étaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de l’espérance de la miséricorde, elle serait nécessairement troublée, et le démon se servirait de sa confusion et de son regret pour la faire tomber dans la damnation éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, parce qu’elle ne s’appuierait pas sur le bras de ma miséricorde. (105)

8.- C’est là un des pièges les plus dangereux que le démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa malice et pour m’être agréable, vous devez toujours dilater votre coeur et votre amour dans mon infinie miséricorde par une humilité sincère, Tu sais que l’orgueil du démon ne peut supporter une âme humble, et qu’il est confon4u par la grandeur de ma bonté et de ma miséricorde, dès que l’âme espère véritablement en moi.

9.- Souviens-toi que le démon voulait te perdre, en te troublant ; il tâchait de te persuader que ta vie était pleine d’égarements et que tu n’avais jamais suivi ma volonté. Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma bonté t’avait enseigné, car ma bonté est toujours présente à qui veut la recevoir. Tu t’appuyais avec humilité-sur ma miséricorde, et tu disais : Je confesse à mon Créateur que ma vie s’est passée dans les ténèbres, mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus crucifié ; je me baignerai dans son sang. J’effacerai ainsi mes iniquités, et je me réjouirai par mon désir dans mon Créateur.

10.- Le démon prit la fuite, mais il revint avec une autre tentation, et voulut te porter à l’orgueil en te disant : Tu es parfaite et agréable à Dieu ; il est inutile de t’affliger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière te fit voir alors la route que tu devais prendre ; c’était celle de l’humilité, et tu répondis au démon : Misérable que je suis! Jean-Baptiste n’a jamais fait de péché, il a été sanctifié dans le sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence : et moi qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à les pleurer? ai-je compris ce qu’est Dieu, et ce que je suis, moi qui l’offense?

11.- Alors le démon, ne pouvant supporter l’humilité de l’espérance en ma bonté, te cria : Sois maudite, car je ne puis -rien faire avec toi si je veux t’abaisser parle désespoir, tu t’élèves par l’espérance de la miséricorde ; si je veux t’élever par l’orgueil, tu t’abaisses par l’humilité jusqu’aux enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.

12.- L’âme doit donc sans cesse unir à la connaissance de ma bonté la connaissance d’elle-même, et à la connaissance d’elle-même ma connaissance. C’est ainsi que la prière vocale sera utile à l’âme qui la fera, et qu’elle me (106) sera agréable ; de la prière vocale imparfaite elle arrivera par la pratique et la persévérance à la prière mentale parfaite. Mais si elle se contente de réciter un certain nombre de prières, et si pour la prière vocale elle laisse la prière mentale, elle n’y arrivera jamais.

13.- Souvent l’âme, dans son ignorance, s’obstine à réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la visite, tantôt en lui donnant une claire connaissance d’elle-même et la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant comprendre la grandeur de ma charité, d’autres fois en lui manifestant de différentes manières, comme il me plaît et comme elle l’avait désiré, la présence dé mon Fils bien-aimé ; mais elle, pour accomplir la tâche qu’elle s’est imposée, néglige ma visite et se fait un cas de conscience de ne pas achever ce qu’elle a commencé.

14.- Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait’ être le jouet du démon.. Dès qu’elle sent au contraire ma visite par les moyens que je viens de dire, elle doit abandonner la prière vocale pour la prière mentale, et ne la reprendre que si elle a le temps. Si elle n’en a pas le temps, elle ne doit pas s’en attrister et se troubler, parce qu’elle a fait ce qu’elle devait faire. Il faut excepter cependant l’office divin, que les ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire : en ne le disant pas ils m’offensent, puisqu’ils y sont tenus jusqu’à la mort. S’ils sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à l’heure qu’ils devaient consacrer à la récitation de l’office, ils doivent faire en sorte de le dire , avant ou après, parce qu’ils ne doivent jamais y manquer,

15.- L’âme doit commencer par la prière vocale pour arriver à la prière mentale, et dés qu’elle s’y trouve disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je l’ai dit, conduit à la prière parfaite ; il ne faut donc pas l’abandonner, mais suivre le mode que je t’ai enseigné : et ainsi, par la pratique et la persévérance, l’âme goûtera la prière véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.

16.- Je t’ai dit que quelques-uns participaient au corps et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacramentellement, parce qu’ils participaient à l’ardeur de la charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu (107) ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie. Celui qui prie avec peu d’application recueille peu ; celui qui prie avec beaucoup d’application recueille beaucoup. Plus l’âme s’efforce d’affranchir son amour et de s’unir à moi par la lumière de l’intelligence, plus elle me connaît ; plus elle me connaît, plus elle m’aime ; plus elle m’aime, plus. Elle me goûte.

17.- Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne consiste pas dans la multitude des paroles, mais dans l’ardeur du désir qui élève l’âme vers moi, par la connaissance de. son néant et la connaissance de ma bonté jointes ensemble : il faut donc unir la prière mentale et la prière vocale comme la vie active et la vie contemplative.

18.- il y a différentes manières de comprendre la prière vocale et la prière mentale. Car je t’ai dit que le désir, c’est-à-dire une volonté bonne et sainte, était une prière continuelle. Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans un moment donné, et surajoute à la prière continuelle du désir ; et ainsi la prière vocale, unie à la sainte volonté de l’âme., se fera dans le temps prescrit, ou quelquefois se continuera au delà, si la charité le demande pour le salut du prochain, ou si la position où je l’ai placée l’exige.

19.- Chacun, selon son état, doit coopérer au salut des âmes, comme l’inspire une sainte volonté. Tout ce qui se dit et se fait pour le salut du prochain est une prière méritoire, mais qui n’exempte pas de la prière vocale prescrite à un certain moment et dans un certain lieu. En dehors de cette prière obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de -Dieu et du prochain, tout ce qu’on fait même pour soi avec une intention droite, peut être appelé une prière ; car, comme le dit mon apôtre saint Paul, on ne cesse pas de prier dès qu’on ne cesse pas de bien faire : aussi j’ai dit que la prière se faisait de plusieurs manières, en unissant la prière actuelle à la prière mentale. Cette prière actuelle est inspirée par l’ardeur de la charité, et -cette ardeur de la charité est la prière continuelle.

20.- Je t’ai dit comment on parvenait à la prière mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant la prière vocale pour la prière mentale lorsque je (108)

visite l’âme ; je t’ai dit ce qu’étaient la prière publique et la prière vocale faite en dehors du temps prescrit, la prière du désir, et comment tout ce qu’on fait pour soi ou pour son prochain avec une intention droite était une prière. Il faut donc que l’âme s’excite avec courage à la prière, qui enfante la vertu ; et l’âme y parviendra si elle se renferme dans la connaissance d’elle-même avec un amour tendre et filial. Si l’âme ne le fait pas, elle restera toujours dans sa tiédeur et son imperfection ; elle n’aimera qu’autant qu’elle trouvera son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.
 

LXVII.- De l’erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.
 
 
 
 

1.- Je veux te parler de l’amour imparfait et de l’erreur de ceux qui m’aiment pour leur propre consolation. Tu sauras que le serviteur qui m’aime imparfaitement, cherche plutôt la consolation qu’il ne me cherche moi-même : cela est évident, puisqu’il se trouble dès qu’il manque de consolations spirituelles ou temporelles.

2.- Les consolations temporelles charment les hommes  du monde, qui font quelque bien tant qu’ils sont dans la prospérité ; mais quand vient la tribulation que je leur donne dans leur intérêt, ils se troublent et abandonnent le peu de bien qu’ils faisaient. Si vous leur demandez : Pourquoi vous troublez-vous? Ils répondront : Parce que je suis dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans la prospérité me semble inutile, puisque je ne le fais plus avec le même amour et le même esprit. C’est la tribulation qui en est cause, car il me semble que j’agissais bien mieux, avec plus de paix et de calme autrefois que maintenant.

3.- Celui qui parle ainsi est aveuglé par l’intérêt. Il n’est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son amour et ses oeuvres. Ce qu’on fait dans la tribulation vaut autant que ce qu’on fait dans la consolation, et même Le mérite en augmenterait si l’on avait la patience. Mais cela vient de ce que ces hommes s’attachent trop à la prospérité. Ils m’aiment peu par vertu, et se reposent l’esprit (109) dans quelques bonnes oeuvres. Dès qu’ils sont privés de ce qui, les charme, il leur semble qu’ils n’ont plus la paix nécessaire pour bien faire ; il leur arrive comme à un homme qui est dans un beau jardin : parce qu’il s’y plaît, il aime y travailler ; il croit aimer son travail, mais c’est le beauté du jardin qu’il aime. Il est- facile de voir qu’il aime plus le jardin que le travail ; car, dès qu’il a quitté le jardin, il ne ressent plus de plaisir. Si son plaisir venait du travail, il ne l’aurait pas ainsi perdu ; il l’aurait toujours, parce que la faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de l’homme, même lorsqu’on ne jouit plus de la prospérité, comme l’homme ne jouit plus du jardin.

4.- La passion égare ceux qui agissent ainsi et qui disent : Je sais que je faisais mieux et que j’avais plus de consolations avant d’être éprouvé. J’aimais à faire le bien, mais maintenant je n’y ai aucun goût. Ils se font illusion ; s’ils eussent aimé le bien par amour du bien, ils n’auraient pas cessé de l’aimer et, loin d’en perdre le goût, ils l’auraient davantage ; mais ils faisaient le bien pour le plaisir qu’ils y trouvaient ; leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et c’est là une erreur où tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes oeuvres ; ils s’abusent sur le plaisir qu’elles leur causent.
 
 
 

LXVIII.- Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.
 
 
 
 

1.- Mes serviteurs qui sont encore dans l’amour imparfait me cherchent et m’aiment à cause de la  consolation et du bonheur qu’ils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le bien qui se fait, petit ou grand, scion la mesure de l’amour qui agit, je donne des consolations spirituelles, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, dans le temps de la prière, Je ne le fais pas pour que l’âme reçoive mal la consolation, c’est-à-dire quelle s’arrête plus à la consolation que je lui donne qu’à moi-même, mais bien pour qu’elle regarde plus l’ardeur de ma charité à donner et son indignité à recevoir, que le  plaisir qu’elle trouve dans ces consolations. Mais si dans son ignorance (110), elle s’arrête à la seule jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle tombe dans un malheur et un égarement que je vais te faire connaître.

2.- Elle est trompée d’abord par cette consolation qu’elle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois je la console et je la visite plus qu’à l’ordinaire ; et quand je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les jouissances dans la route qu’elle avait suivie. Je ne donne pas toujours de la même manière, afin qu’elle sache que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et comme le demandent ses besoins. Mais l’âme ignorante recherche la consolation dans les mêmes choses, comme si elle voulait imposer une règle à l’Esprit Saint.

3.- Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus crucifié, et recevoir en la manière, au lieu et au moment choisis par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas, je le fais par amour et non par haine, pour qu’elle me cherche en vérité et qu’elle ne m’aime pas seulement pour son plaisir, mais qu’elle s’attache plutôt à ma charité qu’à la consolation. Si elle ne le fait pas, et si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce qu’elle se verra privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son intelligence.

4.- Tels sont ceux qui s’arrêtent aux consolations : ils ont goûté ma visite d’une certaine manière, et ils veulent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si je les visite d’une autre façon, ils résistent et ne veulent me recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de leur attachement à la jouissance spirituelle qu’ils ont trouvée en moi.

5.- L’âme se trompe, parce qu’il est impossible qu’elle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt une contrition et un regret qui semblent la bouleverser. Quelquefois je serai dans l’âme, et elle ne me sentira pas ; quelquefois je manifesterai ma volonté, c’est-à-dire (111) mon Verbe incarné, de différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant il semblera que l’âme ne goûte pas l’ardeur et la joie que cette vision devrait lui donner. D’autres fois, au contraire, elle ne verra rien, et goûtera un grand bonheur.

6.- Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour la faire croître dans l’humilité et la persévérance, pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne pas mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans la vertu, dont je suis le fondement. Qu’elle reçoive humblement les différents états où elle se trouve, qu’elle reconnaisse avec amour l’amour avec lequel je donne. Qu’elle croie fermement que j’agis toujours uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une plus grande perfection. Elle doit être toujours humble et placer son principe et sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne. Le moyen d’éviter les pièges de l’ennemi est de recevoir tout de moi par amour, parce que je suis la fin suprême de l’homme et que, toute chose doit être basée sur ma douce volonté.
 
 

LXIX.- De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d’assister le prochain.
 
 
 
 

1.- Je t’ai parlé de l’erreur de ceux qui veulent me goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux te faire connaître combien se trompent ceux qui s’attachent tellement à la consolation, que, voyant les besoins spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien pour les soulager, sous prétexte de mieux faire ; ils disent : Cela m’ôte la paix de l’âme et m’empêche de réciter mes prières ordinaires.

2.- Ils croient m’offenser parce qu’ils n’ont plus de consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse ; car ils m’offensent bien plus en ne secourant pas leur prochain qu’en abandonnant toutes leurs consolations. Si j’ordonne des prières vocales et mentales, c’est pour que l’âme puisse arriver à la charité envers moi et envers le prochain, c’est pour qu’elle persévère dans cette charité. (112)

3.- Elle m’offense plus en abandonnant la charité du prochain pour prier et pour conserver la paix, qu’en laissant ses exercices pour assister le prochain. Aussi l’âme me trouve dans la charité du prochain, tandis qu’elle me perd dans les consolations où elle me cherche. Car en n’assistant pas le prochain, la charité du prochain diminue par là même. Dès que la charité du prochain diminue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour diminue aussi la consolation.

4.- En voulant cagner on perd, en voulant perdre on gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en l’assistant et en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire, est toujours dans la peine ; car souvent l’obéissance, les liens particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles des autres le contraindront à s’occuper du prochain : et alors il le fera avec chagrin, avec ennui et trouble de conscience ; il deviendra insupportable à lui-même et aux autres.

5.- Si vous lui demandez : Pourquoi ressentez-vous de la peine? Il vous répondra : Il me semble que j’ai perdu la paix et la tranquillité d’esprit ; je n’ai pas fait mes exercices ordinaires, et je crois que j’ai offensé Dieu. Il n’en est rien ; mais parce qu’il ne regarde que sa propre consolation, il ne sait connaître et discerner véritablement où est son offense. S’il le savait, il verrait que l’offense ne consiste pas à être privé de consolation spirituelle et à laisser l’exercice de la prière lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer de charité pour le prochain, qu’on doit aimer et servir par amour pour moi. Tu vois donc que l’âme se trompe elle-même

à cause de son, amour-propre spirituel.
 

LXX.- De l’erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions.
 
 
 
 

1.- L’amour-propre spirituel cause un mal plus grand à l’âme lorsqu’elle aime et recherche uniquement les consolations et les visions que j’accorde souvent à mes serviteurs (113). Dès qu’elle s’en voit privée, elle tombe dans le chagrin et l’ennui, parce qu’il lui semble qu’elle est privée de la grâce lorsqu’elle ne sent plus ma présence ; car, comme je te l’ai dit, je parais et je disparais dans l’âme, afin de la rendre parfaite. Elle tombe dans l’abattement et croit être réprouvée dès qu’elle perd la consolation et qu’elle sent les attaques de la tentation.

2.- Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par l’amour-propre spirituel, qui lui cache la vérité. Qu’elle sache que moi, le souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa volonté pendant le combat, et pour l’empêcher de reculer en recherchant la consolation. Elle doit s’humilier et se reconnaître indigne de la paix et du repos de l’esprit. Je me retire d’elle pour qu’elle s’humilie et qu’elle reconnaisse ma charité dans la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.

3.- II faut qu’elle ne reçoive pas seulement le lait de la douceur que je lui présente, mais il faut- qu’elle s’attache au sein de ma Vérité, et qu’elle reçoive le lait avec la chair, c’est-à-dire qu’elle se nourrisse du lait de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus crucifié, dont j’ai fait un pont pour que vous arriviez à moi. C’est pour cela que je me retire. Si l’âme avance avec prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus de douceur, de force et de charité ; mais si elle reçoit avec trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles, elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.
 
 

LXXI.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière.- Des signes auxquels on peut reconnaître qu’une vision vient de Dieu ou du démon.
 
 
 
 

1.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles sont souvent exposés à d’autres pièges du démon, qui se transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours l’âme sur ce qu’elle désire davantage, et, s’il la voit passionnée pour les consolations et les visions spirituelles, si elle y met tout son bonheur, au lieu de le mettre dans la vertu en se reconnaissant indigne des douceurs de mon (114) amour, alors il revêt pour elle des formes de lumière :, tantôt il prend l’apparence d’un ange, tantôt celle de mon Fils, tantôt celle de quelque saint. Il agit ainsi pour prendre l’âme à l’amorce du plaisir qu’elle trouve dans les visions et les douceurs spirituelles. Si l’âme ne se retire pas avec une humilité profonde en repoussant la jouissance qui lui est offerte, elle tombe par ce piège dans les mains du démon. Mais si elle se sépare de la jouissance par l’humilité, si elle s’attache par l’amour à moi qui donne, plutôt qu’à mes présents, alors le démon est vaincu, parce que son orgueil ne peut supporter l’humilité de l’âme.

2.- Si tu me demandes comment on peut reconnaître. ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te répondrai que c’est à ce signe. : Si c’est le démon qui se présente, à l’âme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive joie ; mais plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et il ne reste bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obscurcissent tout l’intérieur. Mais si c’est moi, l’éternelle Vérité, qui visite l’âme, elle éprouve au premier moment une sainte frayeur, et avec cette frayeur, la joie, l’assurance, une douce prudence qui fait qu’en doutant elle ne doute pas.

3.- La connaissance d’elle-même la persuade de son indignité. Elle dit : Je ne suis pas digne de recevoir votre visite, et, puisque je n’en suis pas digne, comment cela peut-il être? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité ; elle comprend que je puis lui donner ce qu’il me plaît, en ne regardant pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend, capable de me recevoir en elle-même par grâce et d’une manière sensible. Je ne méprise pas son désir qui m’appelle, et elle me reçoit humblement en disant : Voici, votre servante, qu’il me soit fait selon votre volonté. Alors elle quitte l’oraison et les douceurs de ma présence avec joie, avec humilité, parce qu’elle se trouve indigne de tout ce qu’elle reçoit de ma charité.

 4.- Tel est le signe qui montre si l’âme est visitée par moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte, elle continue et finit dans la joie et l’espoir de la vertu ; celle du démon commence par la joie, mais elle se termine dans la confusion et les ténèbres de l’esprit. Je vous ai donné ce signe pour que l’âme qui veut marcher avec humilité et prudence ne puisse être trompée ; elle le sera (115), quand elle voudra avancer seulement avec l’amour imparfait de sa propre consolation, et non pas avec mon amour.
 
 
 

LXXII.- L’âme qui se connaît évite les tromperies du démon.
 
 

1.- Je n’ai pas voulu te cacher, ma fille bien-aimée, l’erreur où tombent ordinairement les hommes qui se complaisent dans le peu de bien qu’ils font au temps de la consolation, et celle de mes serviteurs qui s’attachent tellement aux douceurs spirituelles, qu’ils ne peuvent plus connaître la vérité de mon amour et discerner où se trouve le péché. Je t’ai dit le piège où le démon les prend par leur faute s’ils ne suivent pas le moyen que je t’ai enseigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs, vous devez suivre la vertu par amour pour moi, et non par un autre, motif.

2.- Ces erreurs et ces dangers sont pour ceux dont l’amour est imparfait, c’est-à-dire pour ceux qui aiment plus mes bienfaits que moi-même. Mais l’âme qui est entrée dans la connaissance d’elle-même en s’exerçant à l’oraison parfaite, en rejetant l’imperfection de l’amour et de la prière, comme je te l’ai expliqué, cette âme me reçoit par l’amour ; elle s’efforce d’attirer à elle le lait de ma douceur sur le sein de la doctrine de Jésus crucifié.

3.- Elle est arrivée au troisième état, c’est-à-dire à l’amour tendre et filial ; elle n’a pas un amour mercenaire, mais elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami qui lui fait un présent : il ne regarde pas au présent, mais au coeur de celui qui donne, et il n’aime le présent que par amour pour son ami. Ainsi fait l’âme qui est parvenue à l’amour parfait. Quand elle reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle ne s’arrête pas au présent, mais son intelligence contemple la grandeur de ma charité qui donne.

4.- Pour que l’âme ne puisse s’excuser de ne pas faire ainsi, j’ai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une même chose avec moi comme moi avec lui. Par cette (116) union vous mie pouvez voir le présent sans voir celui qui vous le fait. Comprenez donc avec quel amour vous devez aimer le don et le donateur. Si vous faites cela, vous aurez un amour non pas mercenaire, mais pur et généreux, comme ceux qui se renferment dans la connaissance d’eux-mêmes.
 
 
 

LXXIII.- Comment l’âme quitte l’amour imparfait et arrive à l’amour parfait.
 
 
 
 

1.- Jusqu’à présent je t’ai montré de différentes manières comment’ l’âme quitte l’imperfection pour arriver à l’amour parfait, et comment elle agit quand elle est parvenue à l’amour intime et filial. Je t’ai dit et je te répète qu’elle y arrive par la persévérance, en se renfermant dans la connaissance d’elle-même, Cette connaissance d’elle-même doit être accompagnée de la connaissance de ma bonté, pour qu’elle n’en soit pas troublée. Car la connaissance d’elle-même lui donnera la haine de son amour, sensitif et de l’attrait qu’elle a pour les consolations. De cette haine fondée sur l’humilité doit naître la patience.

2.- La patience deviendra sa force contre les attaques du démon et contre les persécutions des hommes. Elle s’en servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire la consolation. Elle supportera tout au moyen de cette vertu. Si la sensualité voulait, dans quelques épreuves, se révolter contre la raison, le juge de la conscience s’élèverait au-dessus d’elle avec une sainte haine et ferait justice de tout mouvement coupable. Car l’âme qui ne s’aime pas se corrige toujours et se reprend non seulement des mouvements qui sont contre la raison, mais encore quelquefois de ceux qui viennent de moi.

3.- C’est ce que veut faire comprendre mon doux serviteur saint Grégoire, lorsqu’il dit qu’une conscience sainte et pure trouvait le péché là où il n’était pas, c’est-à-dire que sa délicatesse était si grande, qu’elle voyait une faute où il n’y en avait pas. L’âme doit faire de même si elle veut quitter l’imperfection, et si elle attend, dans la connaissance d’elle-même et à la lumière de la foi, ce qu’ordonnera ma Providence (117).

4.- Ainsi firent mes disciples, lorsqu’ils se renfermèrent dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la prière jusqu’à la descente du Saint-Esprit. L’âme, comme je te l’ai dit, fait de même. Elle s’éloigne de l’imperfection et se renferme en elle-même pour atteindre la perfection. Elle veille, et fixe le regard de son intelligence sur la doctrine de ma Vérité. Elle se connaît et persévère humblement dans la prière d’un saint désir, parce qu’elle éprouve en elle l’ardeur de ma charité.
 
 
 

LXXIV.- Des signes auxquels on connaît que l’âme est arrivée à l’amour parfait.
 
 
 
 

1.- Je vais te dire maintenant quel signe prouve que l’âme est arrivée à l’amour parfait. Ce signe est le même signe qu’on vit dans mes disciples, lorsqu’ils eurent reçu l’Esprit Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute crainte et annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe mon Fils bien-aimé. Loin de redouter la souffrance, ils s’en glorifiaient ; ils ne craignaient pas de paraître devant les tyrans du monde et de leur dire la vérité pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Ainsi, lorsque l’âme s’est renfermée dans la connaissance d’elle-même, comme je te l’ai dit, je retourne vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pondant qu’elle persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir la vertu par amour, en lui communiquant ma puissance ; avec cette puissance elle a dominé et vaincu sa passion sensitive.

3.- Par la même charité, je l’ai fait participer à la sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit et connaît, par l’oeil de l’intelligence, ma vérité et les égarements de l’amour-propre spirituel, c’est-à-dire l’amour imparfait de la consolation. Elle connaît la malice et les mensonges avec lesquels le démon abuse l’âme qui est liée à cet amour imparfait ; elle se lève avec la haine de l’imperfection et avec l’amour de la perfection.

4.- Par cette même charité, qui est le Saint-Esprit, je la fais participer à sa volonté, en fortifiant la volonté qu’elle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite (118)

pour mon nom, et de produire des bonnes oeuvres envers le prochain. Elle ne sort pas de sa connaissance, mais elle fait sortir d’elle-même les vertus conçues par l’amour. Elle les montre de différentes manières, quand les besoins du prochain le réclament ; car elle n’a plus la crainte qu’elle avait de perdre ses consolations spirituelles.

5.- Elle est parvenue à l’amour généreux et parfait, et elle agit au dehors sans penser à elle-même. L’âme arrive au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré de parfaite union en moi. Ces deux derniers degrés sont unis ensemble, et l’un n’est pas sans l’autre ; mon amour n’est jamais sans l’amour du prochain, et celui du prochain, sans le mien, ils ne peuvent être jamais séparés : de même, ces deux degrés ne sont jamais l’un sans l’autre, comme je te le montrerai en t’expliquant le troisième état.
 
 

LXXV.- Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils.
 
 

1.- Je t’ai dit que ceux qui sortent ainsi dehors, montrent qu’ils ont quitté l’imperfection et sont arrivés à la perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi et votre doctrine. Ils ne se proposent pas d’autre but que Jésus crucifié. Ce n’est pas moi le Père qu’ils se proposent, comme font ceux qui sont dans l’amour imparfait et qui ne veulent pas supporter de peine, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine.

2.- Les imparfaits ne veulent suivre que la consolation qu’ils trouvent en moi. Je te le dis, ce n’est pas moi qu’ils suivent, c’est la consolation qu’ils trouvent en moi. Les parfaits, au contraire, font autrement : embrasés par l’amour, ils ont uni les trois puissances de l’âme et monté les trois degrés figurés sur le corps de Jésus crucifié. Avec les pieds de son affection, leur âme est parvenue des pieds de mon Fils à son côté, où elle trouve le secret du coeur et connaît le baptême de l’eau, qui a sa vertu par le sang. L’âme y reçoit la grâce du saint baptême et y devient un vase capable de contenir la grâce unie et mélangée de ce sang. (119)

3.- Où l’âme connaît-elle la dignité d’être unie et mélangée au sang de l’Agneau, en recevant le saint baptême par la vertu de ce sang? Dans le côté de mon Fils où elle connaît le feu de la divine charité. Si tu te le rappelles, ma Vérité incarnée te l’a révélé, lorsque tu l’interrogeais en lui disant : Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté a été ouvert. Pourquoi vouloir que votre coeur soit ainsi frappé et entrouvert? Mon Fils te répondit, s’il t’en souvient, qu’il avait eu bien des raisons ; et il te dit les principales.

4.- Son désir de sauver le genre humain était infini, et son corps ne pouvait supporter la douleur et les tourments que dans une certaine mesure ; ce qui était fini ne pouvait donc montrer l’amour infini dont il vous aimait ; alors il voulut que vous vissiez le secret de son coeur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire comprendre qu’il vous aimait plus que ne le pouvait montrer sa mort.

5.- L’eau et le sang qui en sortirent signifiaient le saint baptême de l’eau, que vous recevez en vertu du sang ; il répandit le sang et l’eau pour marquer deux baptêmes de sang : le premier, que reçoivent ceux qui répandent leur sang pour moi : ce sang tire sa vertu du sang de mon Fils, et remplace le baptême qu’ils n’ont pu recevoir ; le second est le baptême de feu, que reçoivent ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans pouvoir l’obtenir ; et il n’y a pas de baptême de feu sans le sang ; parce que ce sang est pénétré par le feu de la divine charité qui l’a fait répandre.

6.- L’âme reçoit aussi le baptême de sang d’une autre manière, pour parler par figure ; ma divine charité l’accorde parce qu’elle Voit’ l’infirmité et la fragilité de l’homme qui l’entraîne au péché. Sa fragilité, ni aucune autre cause ne l’entraînerait au péché, s’il n’y consentait pas ; mais il y tombe par faiblesse, et le péché lui fait perdre la grâce qu’il avait reçue au baptême en vertu du sang ; alors il fallait que ma divine bonté perpétuât le baptême du sang par la contrition du coeur et par la sainte confession, en s’adressant, quand on le peut, à mes ministres qui gardent les clefs du sang.

7.- Le sang est versé sur l’âme par l’absolution, et quand (120) on ne peut se confesser, il suffit de la contrition du coeur : alors c’est la main de ma clémence qui vous donne le bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser devra le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera privé du bénéfice du sang.

8.- Il est vrai que, quand on le veut, au moment de la mort, et qu’on ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire pardonner ses fautes au dernier instant ; car il peut craindre que, pour punir son obstination, ma divine justice lui dise : Tu ne t’es pas souvenu de moi pendant la vie, quand tu en avais le temps ; je ne me souviendrai pas de toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer sa conversion ; mais, alors même, on doit jusqu’à la fin espérer dans le sang et en recevoir le baptême.

9.- Mais tu vois que le baptême de sang peut toujours couler sur l’âme ; et dans ce baptême tu reconnais l’action de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le fruit que vous en recevez est infini à cause de la nature divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. La nature humaine souffrait dans mon Verbe revêtu de votre humanité, mais comme les deux natures sont unies et pénétrées l’une pour l’autre, La divinité attire à elle la peine qu’elle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et son action peut être appelée infinie.

10.- La peine n’était pas infinie, puisqu’elle était limitée par le corps, et que le désir de souffrir pour vous racheter a cessé sur la croix quand l’âme de mon Fils s’est séparée de son corps ; mais le fruit qui est sorti de cette peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le recevez d’une manière infinie ; car s’il n’était pas infini, le genre humain ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans le présent et dans l’avenir. L’homme qui m’offense ne pourrait se relever sans cesse, si le baptême de sang ne lui était accordé d’une manière infinie, et si le fruit du sang n’était pas infini.

11.- C’est ce que mon Fils vous a montré par la blessure de son côté ; c’est là que vous trouvez le secret de son coeur, parce que vous y voyez qu’il vous aime plus qu’il ne peut vous le montrer par une peine finie. Il vous le montre d’une manière infinie, par le baptême du sang uni (121) au feu de la charité divine, car c’est l’amour qui l’a fait répandre. Le baptême est donné à tous les chrétiens, et à quiconque veut le recevoir, dans l’eau unie au sang et au feu. L’âme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils, et c’est pour vous faire comprendre ces choses qu’il a fait sortir le sang et l’eau de son côté. J’ai maintenant répondu à ce que tu m’avais demandé.
 
 

LXXVI.- L’âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu’elle y est arrivée.
 
 
 
 

1.- Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te l’avait enseigné ; mais j’ai voulu te le répéter, en te parlant de lui pour te faire mieux comprendre l’excellence de l’âme parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien l’ardeur de l’amour, qu’elle court aussitôt au troisième degré, c’est-à-dire à la bouche : et là elle montre qu’elle est parvenue à l’état parfait. Par où passe-t-elle? L’âme passe par le coeur, c’est-à-dire qu’elle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant l’amour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable coeur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.

2.- Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue qu’elle a ; elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à l’estomac, et les dents les broient pour qu’ils puissent être avalés. L’âme fait de même ; elle me parle d’abord avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, c’est-à-dire avec la langue d’une sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement et mentalement : elle parle mentalement lorsqu’elle m’offre ses doux et amoureux désirs pour le salut des âmes ; elle parle réellement lorsqu’elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu’elle avertit et conseille le prochain, lorsqu’elle confesse la foi sans craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.

3.- L’âme aussi apaise la faim qu’elle a des âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle autre (122) chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l’amour sont comme deux rangées de dents dans la bouche du saint désir ; la nourriture qu’elle reçoit est préparée pas la haine d’elle-même et par l’amour de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie l’injure, le mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses ; elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.

4.- Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain. Cette nourriture parvient à l’estomac, qui est excité par le désir et la faim des âmes ; et cet organe est l’amour et le zèle de son coeur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à s’approprier cette nourriture, qu’elle perd le goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet aliment, qu’elle trouve sur la table de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifié.

5.- Alors l’âme s’engraisse de solides et véritables vertus, et se développe tellement dans l’abondance, que le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c’est-à-dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré meurt, et la volonté sensitive disparaît ; car la volonté de l’âme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté : la sensualité meurt donc eu elle. Telle est l’âme arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique son progrès, c’est que la volonté propre est morte en goûtant l’ardeur de ma charité.

6.- L’âme trouve dans la bouche la paix et le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix : aussi à ce degré l’âme possède tellement la paix, que personne ne peut la troubler, parce qu’elle a perdu et détruit sa volonté propre, dont la mort seuls procure la paix et le repos. L’âme alors enfante sans douleur des vertus à l’égard du prochain : non pas qu’elle Soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volontairement pour l’honneur de mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié ; elle ne se laisse point (123) arrêter par l’injure, par les persécutions qu’elle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui donner : elle surmonte tout avec force et persévérance.

7.- Son amour s’est revêtu du feu de ma charité ; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que l’âme m’aime parfaitement et sans intérêt. Car si elle m’aimait et aimait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et s’arrêterait dans sa route. Mais parce qu’elle m’aime pour moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne d’être aimée, parce qu’elle s’aime et qu’elle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et persévérante.
 
 

LXXVII.- Des oeuvres de l’âme parvenue au troisième degré.
 
 
 
 

1.- Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches : ces vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couronnées par la lumière de la très sainte foi ; cette lumière dissipe les ténèbres de l’âme qui court dans la voie de la Vérité ; l’âme est exaltée par un saint désir, et personne n’est capable de l’arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il craint l’âme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les injures des hommes sont impuissantes contre elle ; si le monde la poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce qu’elle s’est faite petite par humilité.

2.- Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abaissés pour moi et que j’ai élevés en moi, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours d’eux, parce que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie? Oui, le monde les respecte, parce qu’ils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité ; et si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation ; mais ils le servent avec courage, s’oubliant et se sacrifiant eux-mêmes.

3.- De quelque manière qu’ils consacrent leur vie et (124) leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent la paix et le repos de l’esprit. Pourquoi? Parce qu’ils veulent me servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et qu’ils aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation, la prospérité comme l’adversité ; l’une ne leur pèse pas plus que l’autre, parce qu’en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu’ils n’ont pas d’autre pensée que de s’y conformer dès qu’ils la connaissent.

4.- Ils ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté le péché, qui est un néant. C’est pour cela qu’ils détestent le péché et qu’ils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur prochain, sans s’arrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des reproches, ils n’en continuent pas moins leurs bonnes oeuvres et les prières qu’ils m’offrent pour lui, et ils souffrent plus de l’offense qu’il me fait et du tort qu’il cause à son âme que de toutes les injures qui leur sont adressées. C’était ce que disait mon glorieux apôtre saint Paul : « Le monde nous maudit, et nous bénissons ; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et actions de grâce ; il blasphème, et nous prions ; nous sommes rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons » (I Cor. , IV, 12-13 ).

5.- Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence qui montre que l’âme a quitté l’amour imparfait pour, l’amour parfait : ce signe est la vertu de patience, qui lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsqu’il était sur la Croix où les clous de l’amour l’attachaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui lui criaient : « Descends, et nous croirons en toi » (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne l’empêcha pas de persévérer dans l’obéissance que je lui avais imposée, et sa patience fut si grande, qu’on n’entendit pas la moindre plainte sortir de ses lèvres.

6.- Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et l’exemple de ma Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses (125) ou ses menaces ; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le vêtement qu’ils y ont laissé, c’est-à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que j’ai chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l’amour de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend invulnérable tant qu’on la conserve et que le libre arbitre ne livre pas volontairement à l’ennemi le glaive qu’il tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais ; ils persévèrent courageusement jusqu’à la mort, où tous leurs ennemis sont confondus.

7.- O glorieuse vertu, combien tu me plais! tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui ne peuvent s’empêcher de participer à la lumière de mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié : car plus ils sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans l’injure triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce qu’elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les vertus de l’âme ; elle montre si elles sont fondées ou non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée, comme je te l’ai dit, de la force et de la persévérance ; elle remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille, c’est pour venir à moi le Père, l’Eternel, qui récompense toute fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.
 

LXXVIII.- Du quatrième état, qui n’est pas séparé du troisième.- Des oeuvres de l’âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d’elle d’une manière sensible.
 
 

1.- Je t’ai dit comment on reconnaît que l’âme est arrivée (126) à la perfection de l’amour sincère et filial ; maintenant je veux te dire le bonheur qu’elle goûte en moi, même dans son corps mortel. Lorsqu’elle est arrivée au troisième état dont je t’ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n’est pas séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma charité est toujours unie à la charité du prochain. C’est un fruit qui sort de ce troisième état par l’union parfaite que l’âme contracte avec moi ; elle y trouve une force si grande que non seulement elle souffre avec patience, mais qu’elle désire avec ardeur souffrir pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils unique, comme le disait mon apôtre saint Paul : « Je me glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus crucifié » (II Cor., XII, 9). Et ailleurs : « Puis-je me glorifier en autre chose qu’en Jésus crucifié» ? Il disait aussi : « Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps » (Gal., VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très sainte Croix ; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les stigmates du Christ dans leur corps. Car l’amour crucifié qui les brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu’ elles leur viennent.

3.- Pour ces fils bien aimés la peine est un plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consolations spirituelles qu’ils reçoivent de moi, et cela par humilité et par haine d’eux-mêmes. Ils ne méprisent pas la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que l’âme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, c’est la vertu d’une humilité sincère acquise par une sainte haine ; cette humilité est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la connaissance de moi et d’eux-mêmes (127). Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.

4.- Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer d’eux d’une manière sensible, comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne, non par la grâce mais par la douceur de ma présence. Je n’agis pas de la sorte avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à leur volonté ; car je me repose continuellement dans leur âme par ma grâce et d’une manière sensible. Dès qu’ils veulent s’unir à moi par un regard d’amour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur conversation s’est élevée au-dessus de la terre, et s’est fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre sensitif ; ils se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes jusque dans les hauteurs des cieux, par l’échelle des vertus et les trois degrés que je t’ai montrés sur le corps de mon Fils.

5.- Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur affection de l’amour du vice ; au second, ils ont goûté le secret et l’affection du coeur, et ils ont conçu l’amour pour les vertus ; au troisième, où est la paix de l’esprit, ils ont acquis les vertus en quittant l’amour imparfait, et ils sont parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la doctrine de ma Vérité.

6.- Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de Jésus crucifié. C’est moi qui suis le lit et la table ; mon doux et tendre Fils est la nourriture ; car ils se rassasient en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous l’ai donné pour aliment ; vous recevez au Sacrement de l’Autel sa chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage, pour que vous n’oubliiez pas le bénéfice du sang versé pour vous avec tant d’amour, mais pour que vous soyez toujours pleins de force et d’ardeur dans votre voyage.

7.- L’Esprit Saint les sert, car l’ardeur de ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et vient pour les servir ; il me porte leurs ardents et amoureux (128) désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.

8.- Remarque qu’ils me possèdent toujours d’une manière sensible : plus ils ont rejeté les jouissances et voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance. Pourquoi ? Parce qu’ils sont enflammés et embrasés de ma charité qui a Consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur charité ; il leur jette de loin ses flèches et n’ose pas en approcher.

9.- Le monde les frappe à l’extérieur, croyant les blesser, et c’est lui qui se blesse ; car le trait qui ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde, lorsqu’il lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé ; et le trait revient sur celui qui l’a lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut blesser d’aucun côté les parfaits, parce qu’en frappant le corps il n’atteint pas l’âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la faute du prochain, et heureuse de la charité qu’elle possède.

10.- Elle suit ainsi l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du désir qu’il avait d’expier la faute des hommes ; il était heureux, parce que la nature divine, unie à la  nature humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants bien-aimés, lorsqu’ils sont arrivés au troisième et au quatrième degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles, puisqu’ils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et qu’ils sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur du prochain ; mais ils sont heureux parce que le trésor de la charité qu’ils possèdent ne peut leur être enlevé ; et c’est pour eux une source d’allégresse et de béatitude. (129)

11.- Leur affliction n’est pas une douleur qui dessèche l’âme : elle l’engraisse, au contraire, dans l’ardeur de la charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et l’excite. Elle n’affecte pas l’âme, mais elle la nourrit. Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer d’amour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut être saisi parce qu’il est tout en feu : de même l’âme qui est jetée dans la fournaise de ma charité n’est plus rien en dehors de moi ; sa volonté est détruite et elle est toute embrasée en moi ; personne ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu’elle est devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.

12.- Jamais je ne lui retire ma présence comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne pour les conduire à la perfection. Lorsqu’ils y sont arrivés je cesse ce jeu de l’amour ; cette alternative de visites et d’absences est un jeu de l’amour ; c’est par amour que je pars, c’est par amour que je reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu immuable et je ne change pas ; mais c’est l’effet sensible de ma charité dans l’âme qui parait et disparaît.
 
 
 
 
 

LXXIX.- Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.
 
 

Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que l’état dont il est question était celui de notre sainte.
 
 

1.- Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le sentiment de ma présence. Je m’éloigne cependant d’une autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne pourrait supporter continuellement l’union que je contracte avec elle. Et parce qu’elle ne le peut pas, je m’éloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.

2.- Lorsque l’âme s’élance avec ardeur vers la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu’elle arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se baigne et s’enivre du sang ; elle brûle du feu de l’amour et goûte en moi la divinité même. L’âme s’unit tellement à cet océan tranquille, qu’elle ne peut avoir de pensée qu’en (130) moi. Dès sa vie mortelle elle goûte le bien de l’immortalité, et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de l’esprit.

3.- Souvent son corps est élevé de terre par la parfaite union de l’âme avec moi, comme si le corps était déjà devenu subtil. Il n’a pas perdu sa pesanteur, mais parce que l’union de l’âme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la force de l’esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immobile et brisé par l’amour de l’âme : tellement que, comme tu l’as entendu dire de quelques personnes, il lui serait impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et je veux que tu saches que c’est un plus grand miracle de voir l’âme ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.

4.- Aussi j’arrête pour quelque temps cette union de l’âme et je la fais retourner dans le vase de son corps ; la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par l’ardeur de l’âme, recommence ses fonctions. Car l’âme n’est complètement séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses puissances par l’amour qui l’unit à moi. La mémoire ne contient d’autre chose que moi ; l’intelligence ne contemple d’autre objet que ma Vérité, et l’amour qui suit l’intelligence, n’aime et ne s’unit qu’à ce que voit l’intelligence. Toutes ses puissances sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment. L’oeil en voyant ne voit pas, l’oreille en entendant n’entend pas, la langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du coeur, je ne permette à la langue de le laisser déborder et de parler pour la gloire de mon nom.

5.- Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas ; tous les membres sont liés et retenus par les liens de l’amour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les unissent si étroitement à l’ardeur de l’âme, que tous ensemble, contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit séparé de l’âme et l’âme du corps. C’est ce que me criait le glorieux saint Paul : «Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Je vois dans mes membres (131) une loi contraire à la loi de l’esprit » (Rom., VII , 23-24).

6.  Paul ne parlait pas seulement du combat de la chair contre l’esprit, car ma parole l’avait pour ainsi dire rassuré, lorsqu’il lui avait été dit : «  Paul, ma grâce te suffit» ( II Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce qu’il se sentait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusqu’au moment de la mort, l’oeil ne peut voir l’éternelle Trinité de la même vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse m’offensent, il était privé de me voir dans mon essence.

7.- Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans l’effet de la charité, de différentes manières, selon qu’il plaît à ma bonté de me manifester ; mais cette vue de l’âme unie au corps est une obscurité quand on la compare à la vue de l’âme séparée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face. Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte qu’il ne pouvait aimer autant qu’il devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est imparfait jusqu’à ce qu’il arrive à sa perfection.

8.- L’amour de Paul, comme celui de mes autres vrais serviteurs, n’était pas imparfait quant à la grâce et à la charité ; il était parfait sous ce rapport, mais il était imparfait parce qu’il ne pouvait rassasier son amour. C’était là sa peine. S’il avait pu satisfaire son désir de ce qu’il aimait, il n’aurait eu aucune peine ; mais il souffrait parce que l’amour, tant qu’il est dans un corps mortel -n’a pas parfaitement ce qu’il aime.

9.- Dès que l’âme, au contraire, est séparée du corps, son désir est rempli et l’amour est sans peine. L’âme alors est rassasiée, mais elle l’est sans dégoût, parce qu’étant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car dès que l’âme est séparée du corps, elle déborde d’une félicite parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me voir, et elle me soit face a face, elle désire voir la gloire de mon nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la nature humaine. (132)
 
 
 

LXXX.- Les mondains rendent gloire à Dieu, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas.
 
 
 
 

1.- La vue de l’âme bienheureuse est si parfaite qu’elle voit la gloire et l’honneur de mon nom, non seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la terre. Qu’il le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai qu’il ne le fait pas comme il devrait, en m’aimant par dessus toute chose ; mais moi je trouve dans.

 les hommes la gloire et la louange de mon nom, puisqu’en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma charité.

2.- Je leur laisse le temps, et je ne commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes ; je les attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons ; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les. choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus-au pécheur qu’au juste, parce que le juste peut souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma charité brillent sur eux.

3.- Quelquefois, les persécutions que les serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur patience et leur charité ; elles ne servent qu’à me faire

offrir d’humbles et continuelles prières ; elles tournent. ainsi à la gloire et à l’honneur de mon nom. Qu’il le veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce qu’il fait pour m’offenser.
 
 

LXXXI.- Comment les démons même rendent gloire à Dieu
 
 
 
 

1.- De même que les pécheurs servent- dans cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les dé-nions dans l’enfer sont les bourreaux et les ministres de

 ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, (133) qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver a moi, leur fin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils rendent gloire et honneur à mon nom.

2.- Ainsi s’accomplit ma vérité en eux. Je les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire participer à ma beauté ; mais ils se sont révoltés contre moi par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me rendent pas gloire par l’amour ; mais moi, la Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité s’accomplit véritablement a eux, puisqu’ils me rendent gloire, non pas comme les habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans le purgatoire.
 
 
 
 

LXXXII.- L’âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature ; elle n’a plus la peine du désir, mais seulement le désir.
 
 

1.- Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la gloire et l’honneur de mon nom? C’est l’âme dépouillée de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime ; en aimant, elle est rassasiée ; en étant rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la mienne ; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de peine, parce qu’elle a ce qu’elle désirait avoir. Elle désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom ; elle le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans toutes les créatures, dans les démons mêmes.

2.- Elle voit l’offense qu’i m’est faite ; elle ne peut (134) plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en éprouve seulement de la compassion ; elle aime sans peine et prie toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut qui le tourmentait ; mais le désir de votre salut n’a pas cessé avec la peine.

3.- Si l’ardeur de ma charité que je vous ai montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous êtes faits par amour ; si je retirais l’amour, c’est-à-dire si je n’aimais pas votre être, vous ne seriez pas ; mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé, mais non pas le désir.

4.- De même les saints qui ont la vie éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir la peine ; la peine s’est éteinte dans leur mort, mais non ‘ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de l’Agneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain Ils ont passé par la porte étroite, tout inondés du sang

de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, l’océan de la paix, délivrés de l’imperfection, c’est-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette perfection où ils sont rassasiés de tout bien.
 
 
 

LXXXIII.- Comment saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.
 
 

I.- Paul avait vu et goûté ce bien quand je l’élevai au troisième ciel, c’est-à-dire à la hauteur de la Trinité. Il avait connu et goûté  ma vérité en recevant la plénitude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le

 ciel, excepté que son âme n’était pas séparée de son corps. Il plut à ma bonté d’en faire un vase d’élection dans l’abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi, parce qu’en moi ne peut être la peine ; et je voulais qu’il souffrît pour mon nom. (135)

2.- Je donnai pour objet à son intelligence Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et l’enchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau ; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ; dites ce que vous voulez que je fasse et je le ferai ». (Act., IX, 6). Alors je l’enseignai en lui montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma charité. Je l’illuminai parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en s’appuyant sur ma charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne se trouvent pas dans l’édition italienne de Gigli. Nous les donnons d’après la traduction latine du bienheureux Raymond de Capoue.).

3.- Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus  crucifié, il y fixa si fortement son âme, qu’il ne put en être dépouillé et séparé, ni par les tentations du démon, ni par les combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après qu’il eut joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose ce vêtement de Jésus-Christ ; il le garda dans toutes ses épreuves et. ses tribulations, et il persévéra toujours dans la doctrine de la Croix. Il se l’était tellement incorporé, qu’il donna sa vie pour ne pas s’en séparer, et retourna vers moi avec ce vêtement divin.

4.- Paul avait goûté ce que c’était que jouir de moi sans le poids de son corps ; je lui avais permis d’en jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de l’amour qu’il avait goûté en moi, et qu’il avait vu dans les Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasiement dont l’âme jouit après la mort. Sa mémoire lui paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel. (136)

5.- Il lui semblait que, tant qu’il était dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise qui combattait l’esprit, non. par un entraînement au péché, puisque je lui avais dit : « Paul, ma grâce te suffit», mais par un empêchement à la perfection de l’esprit, qui consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps, Paul s’écriait : « O homme infortuné que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? car j’ai dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit ».

 6.- C’est la vérité ; car la mémoire est combattue par l’imperfection du corps, l’intelligence, arrêtée par sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine, comme je te l’ai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de dire : J’ai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes serviteurs que je t’ai montrés parvenus au troisième et au quatrième degré d’union parfaite avec moi, crient aussi qu’ils désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.
 
 
 
 

LXXXIV.- Des causes qui font désirer à l’âme d’être séparée de son corps.
 
 

1.- Mes, fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte, et l’angoisse de la mort, ils la désirent au contraire. Dans la rude guerre qu’ils ont faite à leurs corps avec une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit le corps et l’âme ; ils ont vaincu et détruit l’amour d’eux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent : Qui me délivrera de ce corps de mort? Je désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils disent avec l’Apôtre : La mort est mon désir, mais je prends la vie en patience. Dès que l’âme est élevée à l’union parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de me voir glorifié en tontes choses.

2.- (Le chapitre LXXXIV commence ici dans l’édition italienne ) Quand l’âme revient à ses sens corporels, qui  avaient été absorbés en moi par l’effet de l’amour, elle (136)

supporte péniblement la vie, parce qu’elle se voit privée de l’union qu’elle avait avec moi, ‘et de la société désirable des Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me voir. La vie lui devient insupportable.

3.- Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus et qu’elle est devenue par l’amour une même chose avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je l’ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut des âmes. Elle ne s’éloigne en rien de ma volonté, mais elle court avec ardeur ; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle souffre, plus elle se réjouit : la multitude des tribulations calme le désir qu’elle a de la mort, et souvent l’amour des souffrances adoucit la peine qu’elle éprouve de n’être

pas délivrée de son corps.

4.- Non seulement mes serviteurs souffrent alors avec patience comme ceux qui Sont au troisième degré, mais ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom ; quand ils souffrent, ils se réjouissent ; et quand ils ne souffrent pas, ils s’en affligent, parce qu’ils craignent que je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup d’épreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres de Jésus-Christ.

5.- S’ils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils n’y consentiraient pas ; ils préféreraient se réjouir sur la croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi? Parce qu’ils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur coeur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir. C’est ainsi que le regard de l’intelligence s’élève à cette contemplation de ma divinité, où l’amour s’unit et se développe en suivant l’entendement. Cette vue surnaturelle est une grâce infinie que je donne à l’âme qui m’aime et me sert en vérité. (138)
 
 
 
 

LXXXV.- Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce.- Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu’un savant qui a de l’orgueil.
 
 
 
 

1.- C’est avec cette lumière qui éclairait son intelligence que me vit saint Thomas d’Aquin et qu’il acquit, les clartés de la science, comme le firent saint Augustin saint Jérôme et nies autres saints docteurs. Ils étaient éclairés d’en haut et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, c’est-à-dire la  Sainte Ecriture qui parait obscure parce qu’elle n’est pas comprise, non par le défaut de l’Écriture, mais par l’ignorance de celui qui ne la comprend pas. Aussi j’ai donné ces lampes pour éclairer les

aveugles et les intelligences grossières, afin que l’homme puisse connaître la vérité dans les ténèbres.

2.- Moi, le feu qui consume le sacrifice, je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation qu’il apporte à mie connaître ; car je ne méprise les bonnes dispositions de personne.

3.- L’intelligence reçoit une lumière infuse par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car l’intelligence a été formée avant l’Écriture ; c’est dé l’intelligence que vient la science, puisque c’est en voyant qu’elle discerne.

4.- Avec cette lumière, les prophètes ont vu l’avènement et la mort de mon Fils ; les apôtres l’ont possédée après la descente du Saint-Esprit ; les évangélistes, les docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés ; tous l’ont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des âmes et l’enseignement de la Sainte Écriture. (139)

5.- Les docteurs l’ont reçue pour expliquer la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes des Évangélistes ; les martyrs, pour montrer par leur sang la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de l’Agneau ; les vierges l’ont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants ont fait briller l’obéissance du Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.

6.- Cette lumière est visible dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, par les prophètes dont l’intelligence a été surnaturellement éclairée par ma grâce ; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle n’a pas détruit l’ancienne, elle en est inséparable ; elle en a seulement ôté l’imperfection, parce qu’elle était fondée sur la crainte.

7.- Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la loi d’amour, il l’accomplit en lui donnant l’amour, en ôtant la crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte,

 crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer qu’il ne détruisait pas la loi : « Je ne suis pas venu pour- détruire la loi, mais l’accomplir » (S. Matth., V. 17 ). Comme s’il disait : Jusqu’à présent, la loi était imparfaite ; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et je l’accomplirai en ce qui lui manque, parce que j’ôterai la crainte de la peine ; je l’établirai sur l’amour et sur la crainte sainte et filiale.

8.- Comment la Vérité est-elle connue? Par la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Ecriture, sort de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, s’aveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de l’amour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent la lettre et l’apparence de l’Écriture plus qu’ils n’en saisissent le sens ; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne goûtent pas la moelle de l’Écriture, parce qu’ils sont privés de la lumière avec laquelle l’Écriture a été formée et présentée.

9.- Ceux-là s’étonnent et murmurent quand ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que (140) ceux qui ont longtemps étudié. Ce n’est pas surprenant, puisqu’ils possèdent la cause de la lumière d’où vient la science ; mais, parce que, les superbes ont, perdu la lumière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.

10.- Aussi je te dis qu’il vaut mieux prendre pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une conscience droite et pure, qu’un savant orgueilleux qui a beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce qu’on a soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la lumière qu’ils ont en eux, ils la présentent avec l’ardent désir du salut des âmes.

11.- Je te dis cela, ma très douce fille ; pour te faire connaître la perfection de l’état unitif, où l’intelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière surnaturelle. L’âme m’aime avec cette lumière, parce que l’amour suit l’intelligence ; plus elle connaît, plus elle aime, et plus elle aime, plus elle connaît. L’intelligence et l’amour se nourrissent réciproquement.

12.- C’est par cette lumière que l’âme isolée du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vérité, comme je te l’ai dit en t’expliquant le bonheur que l’âme reçoit en moi. C’est l’état le plus élevé où l’âme dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est si grande, qu’elle sait à peine si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce qu’elle m’est étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle : c’est cette mort qui l’unit à moi, et il n’y a pas d’autre moyen de s’unir à moi parfaitement. L’âme goûte la vie éternelle dès qu’elle est délivrée de l’enfer de sa volonté propre. L’homme souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté sensitive.
 
 

LXXXVI.- Résumé de ce qui précède.- Dieu invite l’âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.
 
 
 
 

1.- Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus (141) avec ton coeur, comment tu devais profiter pour toi et pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je te l’ai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la vérité par la connaissance de toi-même ; mais cette connaissance de toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en toi. C’est ce qui te donnera l’humilité, la haine, le mépris personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma connaissance ; tu parviendras ainsi à l’amour du prochain, en lui étant utile par la doctrine et les exemples d’une vie sainte.

2.- Je t’ai montré un pont et les trois degrés qui représentent les trois puissances de l’âme. Personne ne peut avoir la vie le la grâce s’il ne monte ces trois degrés, c’est-à-dire, s’il ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je t’ai montré plus parfaitement ces trois degrés de l’âme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds percés, à l’ouverture de son côté, et à sa bouche où l’âme goûte la paix et le repos.

3.- Je t’ai fait connaître l’imperfection de la crainte servile, et l’imperfection de l’amour de ceux qui m’aiment à cause de la douceur qu’ils trouvent en moi. Tu as vu la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir monté-les trois degrés principaux, en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom, comme je te l’ai clairement expliqué. Tu les as vus, après avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l’état imparfait à l’état parfait dans lequel ils courent en vérité.

4.- Je t’ai fait goûter la perfection de l’âme et les parfums de ses vertus. Je t’ai montré aussi les pièges où elle peut tomber avant d’arriver à la perfection, si elle ne s’applique pas toujours à se connaître et à me connaître Je t’ai montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que -je vous ai donné pour que vous ne périssiez pas ; mais les insensés ont préféré se noyer dans les misères et la fange du monde. (142)

5.- Je t’ai montré ces choses pour augmenter en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes, afin que la douleur et l’amour te poussent à me faire violence par les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu m’offriras avec ardeur. Je t’ai parlé pour que beaucoup d’autres qui me servent m’entendent, et pour qu’enflammés de ma charité, vous m’imploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu m’as tant prié.

6.- Je t’ai promis, si tu te le rappelles, d’exaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté, mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis ; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la vertu, l’exemple et la doctrine, en m’offrant de continuelles prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain, c’est le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.

7.- Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que je t’ai montrée sous la forme d’une femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous les chrétiens l’ont souillée de leurs fautes, comme je te l’expliquerai bientôt.
 
 

LXXXVII.- L’âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.
 
 
 
 

1.- Alors cette âme tourmentée d’un immense désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu’elle avait entendu de la Vérité suprême, se désolait de l’aveuglement des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l’ardeur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de (143) l’espérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce qu’elle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce qu’elle voulait savoir quelque chose des états de l’âme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que l’âme passe

à ces états par les larmes, elle désirait apprendre de la Vérité la différence des larmes, ce qu’elles sont, d’où elles viennent et les fruits qu’elles produisent.

2.- La vérité ne pouvant être connue et comprise que par la Vérité même, elle s’adressait à la Vérité, où rien ne s’aperçoit que par l’intelligence. Celui qui veut la connaître doit s’élever vers elle par l’ardeur du désir, en ouvrant l’oeil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu qu’elle ne s’était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui avait enseignée, et qu’il n’y avait pas d’autres moyens de connaître ce qu’elle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits, elle s’éleva au dessus d’elle-même par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière d’une foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce qu’elle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa demande.
 
 

LXXXVIII.- Des larmes qui se rapportent aux différents états de l’âme.
 
 

1.- La Vérité suprême lui disait doucement : Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de t’apprendre les causes des larmes et leurs résultats ; je veux satisfaire ton désir. Ouvre donc l’oeil de ton intelligence, et je -te montrerai par les trois états de l’âme les larmes imparfaites qui viennent de la crainte. Mais avant je t’expliquerai celles que répandent les hommes coupables du monde : ce sont des larmes de damnation. ‘Les secondes larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur (144) amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité du prochain, en m’aimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes ; ces larmes sont d’une douceur extrême, et il y a un grand charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.

2.- Je te parlerai aussi des larmes de feu, que l’oeil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient pleurer et ne le peuvent pas. L’âme passe par ces différentes larmes en quittant la crainte et l’amour imparfait pour arriver à la charité parfaite de l’état unitif. Je vais t’expliquer toutes ces larmes.
 

LXXXIX.- Des différentes sortes de larmes.
 
 

1.- Apprends, ma fille, que toute larme vient du coeur, car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement que l’oeil aux affections du coeur. Si le coeur souffre, l’oeil le fait paraître. Si sa douleur est sensuelle, les larmes le sont aussi et engendrent la mort, parce qu’elles procèdent d’un amour déréglé qui m’offense et qui empoisonne la douleur et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins

coupables, selon la mesure de l’amour déréglé, ceux qui pleurent ainsi répandent les larmes de mort dont je t’ai parlé.

2.- Voici maintenant les larmes qui commencent à donner la vie : ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs fautes commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces larmes sont humaines et sensibles, parce que l’âme n’a pas encore la haine parfaite de sa faute, à cause de l’offense qu’elle m’a faite ;sa douleur vient de la peine qui suit le péché commis, et l’oeil pleure parce qu’il obéit au mouvement du coeur.

3.- Lorsque l’âme s’exerce à la vertu, elle commence à perdre la crainte, parce qu’elle connaît que la seule crainte ne suffit pas pour donner la vie éternelle, comme je te l’ai expliqué dans le second état de l’âme. Alors elle s’élève avec amour à la connaissance d’elle-même et de ma bonté jour elle, et elle commence à espérer de ma miséricorde dans laquelle se réjouit son coeur. La douleur de sa faute se mêle à la joie de l’espérance dans ma miséricorde, et l’oeil commence à verser des larmes qui viennent de la source du cœur (145).

4.- Mais, parce que l’âme n’est pas parvenue à la véritable perfection, souvent ces larmes sont encore sensuelles. Et si tu me demandes pourquoi, je te répondrai : Parce que la racine de l’amour-propre n’est pas détruite : Je ne parle pas de l’amour-propre sensitif, car il est vaincu, mais de l’amour-propre spirituel, qui fait désirer à l’âme les consolations qui viennent de moi ou de quelque créature qu’elle afme d’une affection spirituelle.

5.- Lorsqu’elle est privée de ces consolations intérieures ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou extérieures si elles viennent des créatures, lorsqu’elle est éprouvée par les tentations du démon et par les persécutions des hommes, son coeur souffre, et aussitôt l’oeil ressent sa douleur et commence à répandre des larmes personnelles qui viennent de la tendresse que l’âme u pour elle-même, parce que sa volonté propre n’est pas encore entièrement foulée aux pieds et détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles procèdent d’une passion spirituelle dont je t’ai montré l’imperfection.

6.- Mais si l’âme, en augmentant la connaissance d’elle-même, se méprise et se hait parfaitement ; si elle acquiert ainsi une vraie connaissance de ma bonté et un ardent amour, elle commence à unir et conformer sa volonté à la mienne, et à ressentir intérieurement la joie de la compassion, la joie de l’amour et la compassion du prochain, comme je te l’ai dit en parlant du troisième état. Aussitôt l’oeil qui veut satisfaire le coeur verse des larmes excitées par ma charité et par l’amour du prochain. L’âme pleure sur l’offense qui m’est faite, et sur le malheur du prochain, sans penser à la peine qu’elle peut en recevoir elle-même, parce qu’elle s’oublie pour ne penser qu’à rendre gloire à mon nom ; et dans l’ardeur de son désir elle se rassasie à la table de la sainte Croix, en imitant l’humilité, la patience de l’Agneau sans tache, mon Fils unique, dont j’ai fait un pont pour les hommes.

7.- Lorsque l’âme a passé sur ce pont, en suivant la doctrine de rua Vérité et l’exemple de mon Verbe, elle souffre avec une sincère patience les épreuves et les afflictions que je permets pour son salut ; non seulement elle les supporte avec patience, mais encore avec joie et empressement. Elle trouve que c’est une gloire d’être persécutée pour mon nom (146), selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est contente, pourvu qu’elle souffre, et elle goûte une consolation et une paix qu’aucune langue n’est capable d’exprimer.

8.- En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle fixe son intelligence en moi, la Vérité suprême ; en me voyant elle me connaît, en me connaissant elle, m’aime. L’amour suit l’intelligence et savoure ma divinité qu’elle connaît et qu’elle voit dans la nature divine unie à votre humanité. Elle se repose en moi, l’océan de la paix, et son coeur m’est uni par les liens de l’amour, comme je l’ai dit dans le quatrième état unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de douces larmes qui sont un lait pur dont l’âme se nourrit clans la patience. Ces larmes sont un baume précieux qui répand un parfum d’une extrême suavité.

9.- O ma fille bien-aimée! quelle gloire pour cette âme qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à moi, l’océan de la paix, pour y remplir le vase de son coeur dans les abîmes de ma divinité! L’oeil, qui est le canal dit cœur, en reçoit les larmes et les répand avec abondance. C’est le dernier état, où l’âme est heureuse et affligée : heureuse par l’union qu’elle éprouve en moi, et par l’amour divin qu’elle goûte ; affligée par l’offense qu’elle voit faire à ma bonté, à ma grandeur qu’elle a vue et goûtée dans la connaissance d’elle-même. C’est par cette connaissance et. par la mienne qu’elle arrive à ce dernier état.

10.- Cet état unitif n’empêché pas qu’elle ne répande des larmes d’une extrême douceur, que lui causent la connaissance d’elle-même et la charité du prochain. Elle pleure d’amour pour ma divine miséricorde, et de douleur pour l’offense du prochain ; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent. L’âme se réjouit avec ceux qui vivent dans la charité, parce qu’elle me voit rendre grâce et honneur par mes serviteurs.

11.- Les secondes larmes n’empêchent pas les dernIères, c’est-à-dire celles du second état d’union. Les unes conduisent aux autres. Si les dernières larmes, où l’âme a trouvé une si grande union, n’étaient pas venues des secondes, c’est-à-dire du troisième état de la charité du prochain, elles ne seraient pas parfaites. Il faut qu’elles viennent les unes des autres : sans cela la présomption serait à craindre ;

le vent perfide de la propre estime pourrait faire tomber (147) l’âme des hauteurs de la vertu jusqu’aux abîmes des premières chutes.

12.- Il faut soutenir et entretenir la-charité du prochain par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi s’alimentera le feu de ma charité dans l’âme, parce que la charité du prochain vient de ma charité, c’est-à-dire de cette connaissance que l’âme a d’elle et de ma bonté en elle. Elle voit un amour ineffable envers elle, et du même amour dont elle se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable.  C’est pour cela que l’âme, aussitôt qu’elle me connaît, aime le prochain, et elle aime avec ardeur ce qu’elle voit que j’aime le plus.

13.- Elle comprend qu’elle né peut m’être utile personnellement et me rendre ce pur amour que je lui porte ; alors elle s’applique à me rendre cet amour par le moyen que je lui ai donné, c’est-à-dire par le prochain. C’est le moyen dont vous devez profiter ; car, comme je te l’ai dit, toute vertu s’accomplit par le moyen du prochain, en agissant envers lui en général et en particulier, selon les grâces de la vocation que je vous donne.

14.-Vous devez aimer du même amour pur dont je vous aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que je vous ai aimés sans être aimé et sans aucun intérêt, car je vous ai aimés avant même votre existence. L’amour m’a porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez le rendre aux créatures raisonnables ; vous devez les aimer sans en être aimés et sans songer à aucun intérêt spirituel ou temporel. Vous devez les aimer uniquement pour l’honneur et la gloire de mon nom, parce que je les aime : et ainsi vous accomplirez le commandement de la loi qui est de m’aimer par dessus toute chose et d’aimer le prochain comme vous-mêmes.

15.- Il est vrai qu’on ne peut arriver à cette hauteur que par le second degré de l’union ; et, quand on y est parvenu, on ne peut le conserver, si on s’éloigne de cet amour qui conduit aux secondes larmes. Il est impossible d’accomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain. Ce sont les deux pieds de l’affection qui font observer les commandements et les conseils que vous a donnés ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états, qui n’en font (148) qu’un, nourrissent l’âme dans la vertu, en augmentant sa perfection et son état d’union. L’âme ne change pas d’état quand elle est parvenue à ce degré ; mais à ce degré augmente la richesse de la grâce par de nouveaux dons et d’admirables extases, avec une connaissance de la Vérité qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le sentiment de sa propre sensualité est vaincu, et que sa volonté est morte par l’union qu’elle a avec moi.

16.- Oh ! combien cette union est douce pour l’âme qui en jouit et qui voit ainsi mes secrets! Souvent l’esprit de prophétie lui fait connaître les choses futures ; c’est un don de ma bonté, que l’âme humble ne doit pas demander, parce qu’elle doit fuir, non pas les effets de ma charité, mais le désir des consolations. Pour entretenir sa vertu, elle sa reconnaît indigne de la paix et du repos ; elle ne s’arrête pas au second état, mais elle descend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.

17.- Ma grâce lui accorde cette lumière pour qu’elle grandisse. Car l’âme n’est jamais si parfaite en cette vie, qu’elle ne puisse arriver à une plus grande perfection d’amour. Il n’y a que mon Fils bien-aimé, votre Chef, qui ne pouvait pas croître en perfection, parce qu’il était une même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était bienheureuse par l’union de sa nature divine. Mais vous qui êtes ses membres, vous pouvez, pendant votre pèlerinage, croître toujours en perfection ; vous ne pouvez, cependant arriver à un autre état que celui dont je vous ai parié ; vous êtes arrivés au dernier, mais vous pourrez toujours y croître dans la perfection, autant que vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.
 
 
 

XC.- Résumé du chapitre précédent.- Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes.- Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.
 
 
 
 

1.- Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur différence, parce qu’il a plu à ma Vérité de satisfaire ton désir. Les premières viennent de ceux qui sont dans un état de mort et de péché mortel. Tu as vu que la (149) douleur procède généralement du coeur, et comme le principe du sentiment qui cause les larmes est corrompu, cette douleur est corrompue et misérable, et toutes leurs oeuvres sort mauvaises. Dans le second état. se trouvent ceux qui commencent à connaître leur malheur par le châtiment qui doit suivre la faute. C’est là un premier mouvement que ma bonté donne aux faibles et aux aveugles qui se noient dans le fleuve, en méprisant la doctrine de mon Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaissent leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui ressentent aussitôt une grande haine d’eux-mêmes ; à cause de cette haine ils se reconnaissent dignes de toutes sortes de peines.

2.- Plusieurs s’appliquent en toute simplicité à me servir et à se repentir de l’offense qu’ils ont faite à leur Créateur. Il est vrai que celui qui a une grande haine de lui-même est plus apte que tout autre à parvenir, à la perfection ; tous y arrivent en s’exerçant à la vertu, mais celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une

grande haine de lui même doit prendre garde de rester dans la crainte servile ; celui qui marche plus simplement doit prendre garde de s’engourdir dans la tiédeur :

cette route cependant est la vocation la plus commune.

3.- Dans le troisième et le quatrième état se trouvent ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à l’amour et à l’espérance ; ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoivent de moi des faveurs et des consolations abondantes ; leurs yeux pleurent d’abord pour satisfaire le sentiment de leur coeur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et mélangé de regrets spirituels, en s’exerçant à la vertu, iIs arrivent au degré où l’âme, augmentant son désir, s’unit et se conforme tellement à ma volonté, qu’elle ne peut vouloir et désirer que ce que je veux. Elle trouve alors en elle des pleurs d’amour et de douleur pour l’offense et le malheur du prochain. Cet état est inséparable de la perfection où l’âme s’unit dans la vérité, et augmente l’ardeur du saint désir.

4.- Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler l’âme, ni par l’injure qui lui est faite parce qu’elle est devenue patiente dans la charité du prochain, ni par les consolations spirituelles ou temporelles parce que la haine (150) d’elle-même, son humilité sincère lui font tout mépriser. Il            est vrai que de son côté le démon ne dort jamais : il vous donne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vous perdez à dormir le temps dont vous pourriez profiter. Mais sa vigilance ne peut nuire à cette âme, parce qu’il ne peut supporter l’ardeur de sa charité, ni l’odeur de l’union qu’elle a contractée avec moi, l’océan de la paix.

5.- L’âme ne peut être trompée tant qu’elle est unie à moi ; le démon s’en éloigne, comme la mouche fuit la vapeur d’un vase qui bout sur le feu ; si le vase était tiède, la mouche ne le craindrait pas ; elle s’y arrêterait, quoique souvent elle y périsse, en y trouvant plus de chaleur qu’elle ne croyait. Il en arrive de même pour l’âme qui n’est pas encore parvenue à l’état parfait : le démon, parce qu’il la croit tiède, s’y présente avec beaucoup de tentations ; mais il y trouve une connaissance de soi-même, une ferveur et une horreur des fautes qui lui résistent et fixent la volonté dans les liens de la haine du péché et de l’amour de la vertu.

6.- Que l’âme se réjouisse quand elle éprouve ces tentations, car c’est là le chemin pour arriver à ce doux et glorieux degré. Je te l’ai dit, vous arrivez à la perfection par la connaissance et la haine de vous-mêmes, et par la connaissance de ma bonté. Jamais l’âme ne se connaît aussi parfaitement, si je suis en elle, qu’au moment de ces combats : elle se connaît en se voyant dans des combats qu’elle ne peut éviter malgré sa volonté ; elle peut seulement y résister en refusant toujours son consentement mais pas autrement. Elle peut alors comprendre qu’elle n’est pas ; car si elle était quelque chose par elle-même, elle se délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.

7.-Elle s’humilie ainsi dans la connaissance d’elle-même, et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi l’Eternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droiture et la justice, si elle ne consent pas, pendant le combat, à obéir à ces misères qui la tourmentent. Vous avez donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine du doux et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque l’adversité et les tentations des hommes et du démon vous éprouvent car ce sont des moyens pour augmenter la vertu et parvenir à la perfection. (151)
 
 
 

XCI.- Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu.- Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.
 
 
 
 

1.- Je t’ai parlé des larmes parfaites et imparfaites toutes sortent du coeur comme d’un vase, qu’elle qu’en soit la raison : aussi peut-on les appeler toutes des larmes. du coeur. Leur différence vient de l’amour réglé ou déréglé, parfait ou imparfait, comme je te l’ai dit : il me reste maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir l’atteindre.

2.- Y a-t-il une autre manière de pleurer? Oui, car il y a des larmes de feu, c’est-à-dire les larmes d’un vrai et saint désir, les larmes de ceux qui se consument d’amour et qui voudraient perdre la vie dans la douleur, par haine pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des âmes ; et il semble qu’ils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-là ont des larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit pleure devant moi, pour eux et pour le prochain. Ma divine charité embrase de ses flammes cette âme, qui m’offre ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.

3.- Ces larmes sont des larmes de feu, et c’est pour cela que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme. Au lieu des larmes qu’elle ne peut répandre, elle offre le désir, la volonté qu’elle a de pleurer par amour pour moi. Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des saints désirs, et offrent en ma présence d’humbles et continuelles prières, l’Esprit Saint gémit en eux. C’est ce que mon glorieux apôtre saint Paul voulait exprimer lorsqu’il disait que l’Esprit Saint me sollicite pour vous par des gémissements inénarrables (Rom., VIII, 26).

4.- Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas. moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Souvent même elles valent davantage, selon la mesure de l’amour. L’âme ne doit donc pas se troubler et se croire privée de moi parce qu’elle désire les larmes et qu’elle ne peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les désirer en conformant sa volonté à la mienne, et s’humilier (152) toujours, qu’elle les obtienne ou qu’elle ne les obtienne pas, selon qu’il plaît à ma bonté divine.

5.- Quelquefois je n’accorde pas les larmes dû corps, pour que l’âme persévère dans l’humilité, la prière et le désir de me goûter ; car si elle recevait de moi ce qu’elle me demande, elle n’en retirerait pas l’utilité qu’elle en attend, mais elle serait contente de posséder ce qu’elle désire, et ralentirait son ardeur. Pour soutenir et augmenter sa vertu, je la prive des larmes des yeux ; je lui donne des larmes du coeur tout embrasées du feu de ma divine charité. Je suis le médecin, et vous êtes les malades ; je donne à tous ce qui est nécessaire à votre salut et à la perfection de vos âmes.

6.- Ceci est la vérité et l’explication des différentes sortes de larmes que tu m’as demandée, ma fille bien-aimée. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de l’humble Agneau sans tache, et avance toujours dans la vertu, afin d’augmenter en toi le feu de ma divine charité.
 
 

XCII.- Dieu veut être servi comme l’être infini, et non comme une chose finie.
 
 
 
 

1. -Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous n’êtes pas infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini de l’âme.

2.-Tu sais maintenant que toute larme procède du coeur, c’est le coeur qui donne les larmes aux yeux lorsque l’ardeur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la chaleur le fait pleurer, parce qu’il est vert ; s’il était sec il ne pleurerait pas. De même le coeur reverdit par l’action de la grâce, et perd la sécheresse de l’amour-propre qui dessèche l’âme ; ce coeur renouvelé trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.

3.- Plus l’âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la (153) charité et qui lui fait répandre des larmes. Mais dès que l’âme est séparée du corps et qu’elle est arrivée à moi, sa fin, elle n’abandonne plus le désir qui la porte vers moi et vers la charité du prochain ; car la charité est entrée dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes lés autres vertus.

4.- Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le désir dure toujours. L’âme .me désire, mais elle me possède en vérité ; sans aucune crainte de perdre ce qu’elle a si longtemps désiré, et de cette manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée ; elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété, ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.

5.- Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d’une manière finie ; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous d’une manière infinie, et vous n’avez d’infini que le désir et l’élan de votre âme. Aussi je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et c’est la vérité, à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes..

6.- Aussitôt que l’âme est séparée du corps, les larmes des yeux lui sont étrangères ; mais l’ardeur de la charité attire le fruit des larmes qu’elle a consumées, comme l’eau est absorbée par une fournaise : l’eau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu’ l’attire et la détruit. De même, l’âme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité divine, et qui a quitté la vie avec l’ardeur de ma charité et de la charité du prochain dans l’amour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais de m’offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de larmes.

7.- Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que l’oeil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet état. Je t’ai expliqué la différence des quatre états des larmes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce qu’il produit dans l’âme (Dans l’édition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.). (154)
 
 
 
 
 

XCIII.- Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.
 
 
 
 

1.- Je commencerai d’abord par les premières larmes dont je t’ai parlé, c’est-à-dire par celles que répandent les -malheureux qui ,vivent dans le monde, et qui font leur

Dieu des choses créées et de leur propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je te dirai que toute larme procède du coeur, et c’est la vérité ; car le coeur souffre autant qu’il aime. Les hommes du monde pleurent quand leur coeur souffre, c’est-à-dire quand il est privé de ce qu’il aime.

2.- Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien?-Autant qu’ils ont de sortes d’amour. Et parce que la racine est corrompue par l’amour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu : c’est un arbre qui n’a que des fruits de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et qu’agitent tous les vents. Tel est l’arbre de l’âme. Vous êtes tous des arbres d’amour, et sans l’amour vous ne pouvez vivre ; car vous avez été faits par moi, par amour. L’âme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de l’humilité véritable ; mais celle qui vit misérablement l’enterre dans la montagne de l’orgueil, et, parce que l’arbre est mal planté, il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.

3.- Ces fruits sont leurs oeuvres, qui sont toutes empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la racine est gâtée, ce qui en sort l’est aussi. L’âme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisqu’elle n’est pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes oeuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme l’oeuvre imparfaite que l’âme me présente.

 4.- Quelquefois je la récompense par des biens temporels ; quelquefois je lui accorde, comme je te l’ai dit ; du (155) temps pour qu’elle puisse se corriger. D’autres fois je lui donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs que j’aime et que j’écoute. Ainsi l’ai-je fait pour mon glorieux apôtre saint Paul, qui, par la prière de saint Étienne, cessa d’être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque état que l’homme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.

5.- Je t’ai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrompues, et c’est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du coeur qui m’offense et qui déteste le prochain ; l’homme, comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent l’infection des faux jugements de deux manières. D’abord l’homme me juge faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères ; il reçoit avec haine ce que j’ai fait par amour ; il         voit le mensonge où j’ai mis la vérité, et la mort où j’ai placé la vie. Il juge et condamne d’après sa faiblesse et son ignorance. Parce qu’il a obscurci l’oeil de l’intelligence recouvert la pupille de la sainte foi avec l’amour-propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vérité.

6.- Il juge ensuite faussement le prochain ; ce qui cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s’ignore lui-même, veut connaître le coeur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger d’après un acte qu’il verra ou une parole qu’il entendra. Mes serviteurs jugent toujours en bien, parce qu’ils s’appuient sur moi, le Bien suprême ; les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce qu’ils partent d’un principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, l’homicide, l’aversion pour le prochain et l’éloignement de l’amour de la vertu dans mes serviteurs.

7.- Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de mon Fils et pour injurier le prochain.            Ils ne songent à autre chose qu’à maudire et condamner mes oeuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous            ceux qu’ils rencontrent et qu’ils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les malheureux, que la langue et       uniquement faite pour m’honorer., pour confesser leurs fautes, pour     pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont (156) là les feuilles du péché, car le coeur d’où elles viennent n’est pas pur ; il est tout souillé de fausseté et- de misère, Outre le tort que cause à l’âme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces langues coupables! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de changements de fortune, de bouleversements dans les villes, d’homicides et de catastrophes? Une parole entre dans le coeur de celui qui l’entend ; elle pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.

8.- Cet arbre a sept branches qui traînent par terre et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant d’autres. Leur commune racine est l’amour de soi-même et l’orgueil, d’où partent les fleurs des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des actions criminelles.

9.- Les branches sont courbées jusqu’à terre, car les péches mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent qu’à s’en repaître sans pouvoir s’en rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste qu’ils soient toujours inquiets, toujours vides, puisqu’ils ne désirent qu’une chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les empochent d’être rassasiés, c’est qu’ils désirent une chose finie, tandis qu’ils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais, quoiqu’ils meurent à la grâce par le péché.

10.- L’homme est au-dessus des choses créées, et les choses créées ne sont pas au dessus de lui ; il ne peut se rassasier et trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au dessus de lui ; il n’y a rien que moi, l’Éternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant qu’il se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment continuels Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont l’arbre de l’amour sensuel, qui est le principe de tout mal.
 
 

XCIV.- Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.
 
 
 
 

1.- Les mondains sont agités par quatre sortes de vents, (157) le vent de la prospérité, le vent de l’adversité, le vent de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans l’âme l’orgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. S’il domine, il multiplie l’injustice, la vanité du coeur, les impuretés du corps et de l’esprit, l’amour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.

2.- Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu lui-même? Non certainement, ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu, c’est la racine de l’arbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains pleurent, c’est que leur coeur n’est pas rassasié, il désire ce qu’il ne peut avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce que l’oeil veut toujours satisfaire le coeur.

3.- Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait que l’homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu’il aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou d’autres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui l’intéressent, pour ses honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce qu’il ne possède pas selon les règles de ma volonté: de là sa crainte servile et continuelle. Il se rend l’esclave malheureux du péché; il s’assimile à la chose qu’il sert, et comme le péché est un néant, il va au néant.

4.- Lorsque le vent de la crainte l’a frappé, il ressent bientôt celui de l’adversité, qu’il redoutait et qui le prive de ce qu’il possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine n’est pas si complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. L’âme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience. Elle produit l’impatience, les scandales, les murmures, la haine, l’aversion pour moi et pour mes créatures.

5.- Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est (158) proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes pleines d’impatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume et dépérit; l’homme malheureux perd la vue spirituelle et corporelle; il n’a plus de bonheur, d’espérance, parce qu’il est privé de ce qu’il aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance ; et il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets, c’est aussi l’amour déréglé et la peine du coeur d’où viennent ces larmes.

6.- Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c’est la racine d’où elles procèdent, c’est à-dire l’amour propre déréglé du coeur. Si le coeur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient réglées, et il connaîtrait que moi, l’Éternel, je veux lui faire miséricorde. J’ai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le coeur.

7.- Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et c’est un acte de ma divine bonté. J’ai voulu attirer l’homme par l’amour, au moyen de la prospérité. J’ai essayé ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son coeur à aimer d’une manière sainte et méritoire. Je I’ai enfin éprouvé par la tribulation, afin qu il connut la fragilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords de la conscience, afin qu’il ouvre la bouche et qu’il vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux obstinés s’éloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir ma grâce d’aucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et s’en délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre le prochain Il en est ainsi parce que la racine et l’arbre sont corrompus tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et des larmes amères.

8.- S’ils ne se convertissent pas pendant qu’ils ont encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la vertu, c’est-à-dire avec un désir de l’âme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s’ils avaient voulu, ils seraient (159) sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres. J’ai dit ces larmes infinies quant au désir et à l’être de l’âme, mais non quant à la haine et à l’amour qui est dans l’âme. Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré : mais si l’homme finit dans l’amour de la vertu, il reçoit un bien infini, et s’il finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en recevant l’éternelle damnation, comme je te l’ai dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.

9.- Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu’ils sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi, la Vie éternelle ; les prières, les aumônes, les autres bonnes oeuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du corps de ma charité divine, parce que, pendant qu’ils ont vécu, ils n’ont pas voulu être unis à l’obéissance de mes saints commandements, dans le corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où vous puisez le sang de l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé.

10.- Ils recueillent le fruit de l’éternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon ; le démon leur donne le fruit qu’il a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la société éternelle des démons.
 

XCV.- Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.
 
 
 
 

1.-Il me reste maintenant à te parler du fruit que reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te l’ai dit, c’est la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès qu’ils ont ainsi purifié l’âme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent (160) leur âme à l’amour, et, en considérant leur intérieur, où ils n’apercevaient, avant- de l’avoir débarrassé, que la corruption de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que le ver de la conscience est tranquille et qu’ils sont prêts à prendre la nourriture des vertus.

2.- Ainsi fait l’homme lorsque son estomac est débarrassé des humeurs mauvaises ; son appétit le porte à prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture des vertus que l’âme doit prendre. En effet, l’âme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections ; elle reçoit le second fruit, c’est-à-dire le second état des larmes où l’âme, poussée par l’amour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiqu’elle soit encore imparfaite. Pourvu qu’elle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la douceur, parce que son coeur jouit de ma vérité et de moi, qui suis l’amour même. Et à cause de la douceur, et de

la consolation qu’elle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce qu’elle jouit de moi et des créatures à cause de moi.

3.- En exerçant l’amour qui est entré dans le coeur purifié par la crainte, l’âme commence à goûter les fruits de ma divine bonté ; et dès que l’amour est maître de l’âme, elle commence à jouir en recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle, obtient enfin de s’asseoir au festin, c’est-à-dire que, quand elle a passé de la crainte à l’amour des vertus, et qu’elle est arrivée aux troisièmes larmes, elle s’asseoit à son festin, elle dresse la table de la très sainte Croix dans son coeur ; dès qu’elle l’a mise, elle y trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre salut ; car c’est pour mon honneur et votre salut que le coeur de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa  chair vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et l’horreur, du péché.

4.- Quel fruit reçoit l’âme de ce troisième état des larmes? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité, avec le doux fruit d’une humilité véritable et d’une patience qui ôte tout scandale et délivre l’âme de toute (161) affliction, parce qu’avec le glaive de la haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il n’y a que la  volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te l’ai dit, et ç’est ainsi que l’âme tombe dans l’impatience. Mais quand sa volonté est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de la patience.

5.- O fruit d’une extrême suavité, combien tu es doux à qui te goûte, et combien tu m’es agréable! Tu fais trouver la douceur dans l’amertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la  volonté divine, une ardente charité l’enveloppe comme d’un vêtement, et il est impossible à l’eau d’entrer.

6.- O ma fille bien-aimée, la patience est une reine qui résiste sur un roc inébranlable ; elle est toujours victorieuse, jamais vaincue. Elle n’est pas seule, car la persévérance l’accompagne ; elle est la moelle de la charité, et c’est celle qui montre qu’on porte la robe nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par l’imperfection, elle le fait voir sur-le-champ par son contraire, c’est-à-dire par l’Impatience.

 7.- Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et faire croire qu’elles sont parfaites, lorsqu’elles sont imparfaites ; mais elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le miroir de l’âme : tu es l’essence de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les vertus sont imparfaites, et qu’elles ne sont pas encore nourries à la table de la sainte Croix. L’âme te conçoit dans la connaissance d’elle-même et dans la connaissance de ma bonté ; elle t’enfante par une sainte haine et te fortifie par une humilité véritable ; tu peux toujours prendre la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et tu t’en rassasies sans cesse.

8.- Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la vie ; ils  ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses (162) grandeurs, les princes et toute leur puissance ne pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.

9.- Cette vertu est la lampe sur le candélabre ; c’est le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l’âme, parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec l’Agneau sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son, désir, et le tourment qu’elle ressent de l’offense qui m’outrage. Ce n’est pas une peine qui l’afflige, parce que l’amour avec la vraie patience tue la crainte et l’amour-propre, qui donnent la peine. Mais c’est une peine pleine de douceur qui vient de l’offense qui m’est faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette peine engraisse l’âme qui s’en réjouit, parce que c’est une preuve qui lui montre que je suis en elle par ma grâce.
 
 

XCVI.- Du fruit des quatrièmes larmes unitives.
 
 
 
 

1.- Je t’ai dit le fruit des troisièmes larmes ; vient ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n’est pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du prochain ; l’une est préparée par l’autre ; mais, en arrivant au quatrième état, l’âme a fait tant de progrès, qu’elle souffre non seulement avec patience, mais qu’elle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissance, de quelque côté qu’elle vienne, pourvu qu’elle puisse ressembler à Jésus crucifié.

2.- Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme l’enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture de même, l’âme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la chair de Jésus crucifié : c’est-à-dire qu’elle suit ses traces et sa doctrine ; car elle a bien compris dans le troisième état, qu’on ne pouvait avancer par moi le Père, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine ; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.

 3.- Oui, vous ne pouvez avancer sans peine ; c’est en souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. L’âme se placé donc sur le sein de Jésus crucifié ; elle tire à (163) elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes n’étaient pas douces, mais elles le sont devenues, parce qu’elles ont été faites et unies en moi,

l’Amour suprême ; car l’âme n’a pas pensé à elle, mais seulement à mon honneur et au salut des âmes.

4.- Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux cet état où l’âme s’attache tellement au sein de la charité, que jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. L’âme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, qu’elle a trouvé en goûtant l’éternelle et souveraine Déité. Oh! qui pourra comprendre combien s’enrichissent les puissances de cette âme? La mémoire se remplit continuellement de mon Souvenir ; elle se rappelle avec amour tous mes bienfaits ; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle d’abord le bienfait de la création

qui l’a faite à mon image et ressemblance ; puis, dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je l’ai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de l’amour et le repentir du péché qu’elle voit m’avoir tellement déplu que je l’ai puni sur le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue du Saint-Esprit, qui l’a éclairée, et qui l’éclaire dans la vérité.

5.- Quand l’âme reçoit-elle cette lumière? Lorsqu’elle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite ; elle connaît ma vérité, c’est-à-dire que par mon amour paternel je l’ai créée pour lui donner la vie éternelle ; et cette vérité je l’ai montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès qu’elle la connaît elle l’aime ; dès qu’elle l’aime, elle le prouve en aimant purement ce que j’aime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité ; elle se dépouille de toute imperfection, parce qu’elle s’est rappelé et qu’elle a retenu mes bienfaits.

6.- L’intelligence a reçu la lumière ; en regardant dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l’aveuglement (164) de l’amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié, qu’elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui donne cette union, elle s’élève à une lumière acquise, non par sa nature, ni par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vérité, qui ne méprise jamais l’ardeur des désirs et les fatigues

 qu’on offre devant moi. Alors le coeur qui suit toujours l’intelligence, s’unit à moi d’un amour très parfait et très enflammé. Et si quelqu’un me demandait ce qu’est cette âme, je répondrais : Un autre moi-même par l’union de l’amour.

7.- Quelle langue pourrait dire l’excellence de ce dernier état, et les fruits nombreux et variés qu’en retirent les trois puissances de l’âme? C’est de leur sainte union que je te parlais en t’expliquant, à l’occasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire ; cependant les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, l’ont montrée en- expliquant la Sainte Écriture. Tu sais que le grand saint Thomas d’Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science dans la prière, l’extase et la lumière de l’intelligence, que dans les études humaines. C’est une lumière que j’ai  donnée au corps mystique de la sainte Eglise pour dissiper les ténèbres de l’erreur.

8.-Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité! Et avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière d’une manière ou d’une autre. Mais quant au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne l’union parfaite, la langue ne pourra jamais l’exprimer, puisqu’elle est une chose finie.

C’est ce que saint Paul affirmait en disant : « L’oeil ne peut  voir, l’oreille entendre, le coeur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment véritablement »

(I Cor., II, 9).

 9.- Oh! qu’elle est douce cette demeure! douce au dessus de toutes les douceurs, par l’union parfaite de l’âme en moi. Cette union est telle que la volonté disparaît de l’âme, parce qu’elle ne fait plus qu’un avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles prières ; l’encens de son désir prie sans cesse pour le salut des âmes ; c’est une voix sans parole humaine, qui crie toujours en présence de ma divine Majesté. (165)

10.- Ce sont ces fruits de l’union qui. nourrissent l’âme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la grâce de cette union qui est encore imparfaite, à l’union durable et éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce qu’elle ne peut se rassasier de ce qu’elle désire tant qu’elle est dans les liens d’un corps mortel, où se trouve une loi perverse ; cette loi est endormie par l’amour de la vertu : elle n’est pas morte, et elle peut se réveiller, si la puissance de la vertu qui l’endort, disparaît. C’est pour cela qu’on peut appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit l’âme à recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.

11.- Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres n’ont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et m’offre sans cesse des larmes de feu pour vous. Maintenant je t’ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs perfections et les fruits qu’en retirent les âmes. Les parfaits reçoivent la vie éternelle et les méchants l’éternelle damnation.
 
 

XCVII.- L’âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.
 
 
 
 

1.- Alors cette âme enflammée d’un ardent désir par les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents états de larmes, disait dans la violence de son amour : Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous passionnez pour nôtre salut ; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec vous, nous avez montré tant d’amour, par le moyen de votre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière ; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m’avez clairement montrée.

2.- Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains (166) de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu’avant de finir ce sujet vous m’expliquiez ces deux points : D’abord, si quelqu’un s’adressait à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner? Je sais bien ; mon Dieu, que vous m’avez déjà expliqué cette parole que vous m’avez dite : « Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d’actions ». Cependant, s’il plaisait fi votre bonté de m’en dire e-acore quelque chose, je serais bien heureuse.

3.- Si en priant pour vos créatures et particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans l’oraison, une âme bien disposée et paraissant jouir de vous et si j’en voyais une autre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que l’une est dans la lumière et l’autre dans les ténèbres? Ou si je voyais quelqu’un faire de grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais je juger qu il y a une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que dans celui qui a en fait pas ? Faites, mon Dieu, que je ne m’égare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez moi plus particulièrement ce que vous m avez dit d’une manière générale.

4.- La seconde chose que je vous demande, c’est de me montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si c’est vous qui visitez l’âme, ou si ce n’est pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité éternelle, que l’âme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle ; si cela était, je ne m’arrêterais qu’au signe de la vertu. Ces choses, je vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux jugement à l’égard de vos créatures et de vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne l’âme de vous, et je ne voudrais pas tomber dans ce malheur.
 
 
 

XCVIII.- La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu.- De la lumière générale.
 
 

1.- Alors l’Éternel, se délectant de la soif et de la faim de cette âme, de la pureté de son coeur et du désir avec lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta-sur elle  les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant : Ma (167) bien-aimée, ma chère et douce fille, mon épouse fidèle, élève-toi au dessus de toi-même, et ouvre l’oeil de ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et l’amour ineffable que j’ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre l’oreille de ton coeur et de ton désir ; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.

2.- L’âme qui ne voit pas avec l’oeil de son intelligence l’objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité, et je veux que, pour la mieux connaître, tu t’élèves au dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis ; je puis vous enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi ; je nie réjouis en moi-même de mes oeuvres.

3.- Alors cotte âme obéissante s’éleva au dessus d’elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu’elle demandait ; et l’Éternel lui dit : Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie Lumière.

4.- La première lumière est une lumière générale pour ceux qui sont dans la charité commune. Je t’en ai déjà entretenu de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir : Les deux autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection ; et sur ce sujet je te dirai ce que tu m’as demandé, et je t’expliquerai particulièrement ce que j’en ai dit d’une manière générale.

5.- Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne ne peut aller par la voie de la vérité ; et cette lumière de la raison, vous la tirez de moi, la vrai Lumière, au moyen de l’intelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas par vos fautes.

6.- Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous a donné la forme de la foi ; et cette foi s’exerce par la vertu, par la lumière de la raison. La raison s’illumine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous n’arriverez qu’aux ténèbres. (168)

7.- Deux lumières qui viennent de cette lumière vous sont nécessaires, et à ces deux lumières j’en joindrai une troisième. La première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde qui passe comme le vent ; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connaissez pas d’abord votre propre fragilité, et combien elle s’incline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le moindre péché, si la volonté n’y consent pas, mais elle combat violemment contre l’esprit.

8.- Je n’ai pas donné cette loi pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fût éprouvée dans l’âme, car la vertu ne s’éprouve que par les contraires. La sensualité est contraire à l’esprit, et c’est par la sensualité que l’âme montre l’amour qu’elle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle? Lorsqu’elle se combat elle-même par le mépris.

9.- J’ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les, conserver dans l’humilité véritable. Tu dois voir qu’en créant l’âme à mon image et à ma ressemblance, et en l’élevant à une si haute dignité et beauté, je l’ai associée en même temps aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la tête contre moi.

10.- Ainsi donc, l’homme fragile qui a cette lumière, a raison d’humilier son âme, et n’a aucun sujet de s’enorgueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-même et de l’instabilité de la vie présente. C’est ce que doit voir l’oeil de l’intelligence avec la lumière de la sainte foi qui est, comme je te l’ai dit, la prunelle de l’oeil.

11.- Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de l’Agneau sans tache. C’est la lumière générale que chacun doit avoir : et. s’il ne l’avait pas, il serait en état de damnation. Et ce qui l’empêche d’être en état de grâce, c’est de n’avoir pas la lumière ; celui qui n’a pas la lumière ne connaît pas le mal (169) de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et détester cette cause.

12.- Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu ; il ne peut m’aimer et me désirer, moi qui suis le Bien suprême ; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière ; car vos fautes ne consistent qu’à aimer ce que je hais et à haïr ce que j’aime. J’aime la vertu et je hais le vice ; celui qui aime le vice et hait la vertu, m’outrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du vice, qui est l’amour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-même ; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice ; il ignore aussi la vertu, et il m’ignore, moi qui lui donne la vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette lumière vous est nécessaire.
 
 
 

XCIX.- De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.
 
 
 
 

1.- Lorsque l’âme est parvenue à la lumière générale dont je viens de te parler, elle ne doit pas s’en contenter ; car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui n’avance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et s’efforcer d’atteindre la seconde lumière en allant de l’imparfait au parfait, parce qu’il faut avec la lumière arriver à la perfection.

2.- Dans cette seconde lumière il y a deux sortes de parfaits ; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et dans cette perfection il y a deux états :

le premier, où sont ceux qui s’appliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas Contre la raison ; ils mettent plus de soin à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté, comme je te l’ai déjà dit.

3.- Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence. (170) Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la lumière de la discrétion, c’est-à-dire avec l’humble connaissance d’eux-mêmes et de moi, surtout s’ils s’appliquent plus à voir ma volonté que celle des hommes. S’il en était autrement, c’est-à-dire s’ils ne se revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait ? Parce qu’ils mettent plutôt leurs soins et leurs désirs à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté.

4.- Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que j’ai appelée la volonté spirituelle, et ils disent : Je voudrais cette consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus abondante dans mon âme ; car il me semble que je le servirai bien mieux de cette manière que d’une autre.

5.- C’est ainsi que souvent l’âme tombe dans la peine et l’ennui, et qu’elle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne s’aperçoit pas de la corruption de l’orgueil qui l’envahit. Car, si l’âme était véritablement humble et sans présomption, elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je distribue à chacun l’état, le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle j’appelle les âmes ; elle verrait que toute chose vient de mon amour et quelle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière parfaite.
 

C.- De la troisième et parfaite lumière.- Des oeuvres de l’âme parvenue à cette lumière.
 
 
 
 

1.- Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma (171) permission, ainsi que je te l’ai dit en te parlant du troisième état unitif de l’âme. Ils se croient dignes des peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte

de consolation ; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les peines.

2.- Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je donne et permet est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que l’âme l’a reconnu, elle se revêt de ma volonté ; elle ne songe à autre chose qu’au moyen de conserver et d’accroître sa perfection pour la gloire et l’honneur de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi l’oeil de son intelligence sur Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine

qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette vue la remplit d’amour.

3.- La perfection est la connaissance de ce doux et tendre Verbe, mon Fils unique, qui s’est nourri à la table du saint désir, en cherchant l’honneur de son Père et votre salut. C’est ce désir qui l’a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à l’obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il n’a pas craint la fatigue et les opprobres ; il n’a pas reculé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne

s’est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris, les affronts, les murmures du peuple ; mais il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un

généreux chevalier que j’avais envoyé sur le champ de bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen de son sang précieux, répandu avec tant d’amour et avec tant de haine de vos fautes.

4.- C’est comme si le doux ,et tendre Verbe, mon Fils, vous disait : Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai ouvert la porte avec mon sang ; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans (172) votre amour-propre, dans l’ignorance de la voie et dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne. Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui l’a arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut venir à moi, le Père, si ce n’est par lui. Il est la voie et la porte par laquelle il faut entrer en moi, l’océan de la paix.

5.- Lorsque l’âme est parvenue à goûter cette lumière et qu’elle en connaît la douceur parce qu’elle l’a goûtée, elle court vers moi dans l’ardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté qu’elle vienne : elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les murmures des hommes ; elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créatures, car elle s’est dépouillée de l’amour mercenaire qui m’aime par intérêt. Elle s’est revêtue de la lumière parfaite en m’aimant, sans songer à autre chose qu’à la gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans penser au bonheur qu’elle y trouve et à l’utilité que lui procure le  prochain, mais en agissant par pur amour.

6.- Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dépouillés du vieil homme, c’est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l’homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, qu’ils suivent avec courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et s’appliquent plus à tuer leur propre volonté qu’à tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce n’est pas là leur but principal ;c’est seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te l’ai dit en t’expliquant cette parole : que je voulais peu de mots et beaucoup d’actions.

7.- En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le Christ crucifié, en cherchant l’honneur et la gloire de mon nom et le salut des âmes ceux qui sont dans (173) cette glorieuse lumière le font, et c’est pour cela qu’ils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise, parce qu’ils ont éloigné ce qui cause le scandale, c’est-à-dire la volonté propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à leurs pieds ; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la tentation sans qu’elles puissent leur nuire, parce qu’ils sont revêtus et fortifiés par l’ardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.

8.- Ils sont heureux de tout ce qu’ils voient, de tout ce qu’ils rencontrent, et ils disent : Grâces vous soient rendues, ô Père éternel ! de ce qu’il y a en votre maison plusieurs demeures ( S. Jean, XIV,2 ). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce qu’ils admirent plus la grandeur de ma bonté ; tout leur est agréable, et leur semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui est évidemment mal ; ils éprouvent seulement alors une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui m’offensent et disant avec une humilité parfaite : Aujourd’hui c’est toi, demain ce sera moi, si la grâce divine ne me conserve.

9.- O ma fille bien-aimée ! passionne-toi pour ce doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse lumière ; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau vêtement de l’Agneau, mon Fils unique, c’est-à-dire de sa doctrine, par l’ardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde ; ils ne sont jamais scandalisés d’aucun murmure contre eux ou contre le prochain. Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.

10.- Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils ne s’égarent jamais, et parce qu’il est réglé, ma chère fille, ils ne se scandalisent pas de ceux qu’ils aiment ni (174)

d’aucune créature raisonnable. Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne s’arrêtent pas à juger la volonté des autres, mais ils ne voient partout que l’expression de ma miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu t’étais endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit, mais à ton oreille, de telle sorte, s’il t’en souvient, que tu fus rappelée à toi-même.

11.- Ma Vérité te disait clairement : si tu veux arriver à la pureté parfaite ; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale, il faut toujours m’être unie par l’amour, car je suis la souveraine, l’éternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie l’âme véritablement. Plus tu t’approcheras de moi, plus tu deviendras pure ; et plus tu t’en éloigneras, plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes souillures que parce qu’ils sont séparés de moi ; car l’âme qui s’unit à moi participe nécessairement à ma pureté.

12.- Il faut faire une autre chose pour arriver à cette union, à cette pureté : il faut t’abstenir de tout jugement sur ce que tu vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre les autres ; il ne faut jamais considérer la volonté de l’homme, mais voir ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut tirer de l’épine la rose, en m’offrant les coupables par une sainte et fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs, pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que souvent ses intentions sont bonnes ; car personne ne peut juger les secrets du coeur de l’homme.

13.- Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté. Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir compassion ; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce (175) qu’en faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi, ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce scandale séparent l’âme de moi, et empêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris et de la haine qu’ils ont contre le prochain en le jugeant.

14.- Le contraire arrive à l’âme qui en tout, comme je te l’ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen de rester toujours dans l’amour du prochain est de rester toujours dans le mien, et l’âme en m’aimant m’est toujours unie.

15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu me demandes, il faut faire surtout trois choses : T’unir à moi par l’amour, en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de moi ; voir avec l’oeil de ton intelligence l’ardeur ineffable de ma charité envers vous ; voir enfin ma volonté dans la volonté de l’homme, et non pas sa méchanceté, parce que c’est moi qui suis juge, ce n’est pas vous. Tu arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que t’enseigna ma Vérité, s’il t’en souvient bien.

16.- Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les pièges du démon ; car tu les reconnaîtras aux signes que tu m’as demandés. Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.
 
 
 
 

CI.- Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.
 
 

1.- Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éternelle (176). Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce qu’ils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance ; la peine alors sera séparée de la faim, parce qu’ils auront ce qu’ils désirent, et leur rassasiement ne connaîtra pas l’ennui, parce que je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que l’âme est affamée de mon honneur et du salut des âmes ; et comme elle en a faim, elle s’en nourrit, c’est-à-dire que l’âme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim comme d’une nourriture, et en s’en nourrissant elle ne s’en rassasie jamais, parce qu’elle est insatiable et qu’elle a une faim continuelle.

2.- Les arrhes sont une garantie qu’on donne à l’homme pour qu’il attende le payement. Cette sûreté n’est pas parfaite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude d’arriver au complément, et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de la charité du prochain ; elle n’est pas parfaite, mais elle attend la perfection de la vie éternelle.

3.- Ce qu’elle reçoit n’est pas parfait, parce qu’elle n’est, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle, ni dans les autres : en elle, par l’offense que me cause la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat contre l’esprit ; dans les autres, par les fautes du prochain. Ce qu’elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle n’a pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel ; car, comme je te l’ai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres vous font souffrir.

4.- Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique l’était sur le bois de la sainte Croix ; car sa chair était douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bienheureuse par l’union de la nature divine. De même ceux-là sont bienheureux par l’union de leur saint désir en moi, parce qu’ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce qu’ils compatissent au malheur du prochain, et qu’ils affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles. (177)
 
 
 
 

CII.- Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de faux jugements.
 
 
 
 

1.- Ma fille bien-aimée, écoute maintenant, afin que tu puisses mieux comprendre ce que tu me demandais. Je t’ai parlé de la lumière générale que vous devez tous avoir, dans quelque état que vous soyez, dès que vous êtes dans la charité commune. Je t’ai dit que ceux qui étaient dans la lumière parfaite l’avaient de deux manières : les uns se séparent du monde et s’appliquent à mortifier leurs corps ; les autres mettent tous leurs soins à tuer leur volonté ; ce sont les parfaits qui se nourrissent à la table du saint désir.

2.- Maintenant je te parlerai plus particulièrement, et en te parlant je parlerai aux autres et je satisferai ton désir. Je veux surtout que, tu fasses trois choses, afin que l’ignorance n’empêche pas la perfection à laquelle je t’appelle. Il ne faut pas que, le démon, sous le manteau de la charité du prochain, nourrisse en toi la racine de la présomption pour te faire tomber dans les faux jugements que je t’ai défendus. Tu croirais juger bien et tu jugerais mal, si tu suivais tes impressions, et le démon te ferait souvent voir beaucoup de vérités pour te conduire au mensonge. Cela t’arriverait si tu te faisais juge des pensées et- des intentions des créatures raisonnables ; car comme je te l’ai dit, je dois seul les juger.

3.- C’est là une des trois choses que je te recommande d’observer. Je veux que tu ne juges personne sans une règle, et je veux que cette règle soit celle-ci : A moins que je ne t’aie manifesté clairement, non seulement une ou deux fois, mais plusieurs fois, le défaut de ton prochain, tu ne dois pas reprendre particulièrement celui en qui tu crois voir ce défaut, mais tu dois reprendre d’une manière générale les vices de celui qui. vient te visiter, et lui prêcher la vertu avec, charité et douceur, en n’ajoutant la sévérité à la douceur que si tu en vois le besoin.

4.- S’il te semble que je t’ai montré souvent les défauts de quelqu’un, mais si tu ne vois pas que ce soit (178) une révélation formelle, comme je te l’ai dit, tu ne dois pas le reprendre particulièrement ; tu dois suivre la voie la plus sûre, afin d’éviter les pièges et la malice du démon qui pourrait te prendre par l’amorce du désir, en te faisant souvent voir dans le prochain ce qui n’y serait pas ; tu pourrais ainsi te scandaliser injustement.

5.- Que ta bouche garde donc le silence, ou qu’elle parle seulement de la vertu pour combattre le vice ; et quand tu croiras reconnaître dans les autres un défaut, reprends-le aussi en toi-même par un acte d’une sincère humilité. Si ce défaut est véritablement dans cette personne, elle se corrigera mieux, en se voyant si doucement reprise, et tes avis lui seront plus profitables, en te disant à toi-même ce que tu voulais dire. Tu seras plus tranquille toi-même et tu auras repoussé le démon, qui ne pourra pas te tromper et empêcher la perfection de ton âme.

6.- Je veux que tu saches que tu ne dois pas te fier à ce que tu vois ; il vaut mieux détourner la tête et tâcher de ne rien voir ; mais il faut seulement persévérer dans la vue et la connaissance de toi-même, et dans celle de ma bonté et de ma générosité envers toi. Ainsi font, ceux qui sont arrivés au dernier état dont je te parle. Ils retournent toujours à la vallée de la connaissance d’eux-mêmes. Cela n’empêche pas leur élévation et leur union avec moi. C’est là une des trois choses que je t’ai dit que je voulais te voir faire pour que tu me serves en vérité.
 
 
 
 

CIII.- Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en conclure qu’elle est en péché mortel.
 
 
 
 

1.- Voici maintenant la seconde explication : si, en priant particulièrement pour deux âmes, tu vois dans l’une la lumière de ma grâce que tu ne vois pas dans l’autre, quoique les deux .me soient fidèles, il ne faut pas conclure des ténèbres de l’âme éprouvée que son état vient de quelque faute ; car souvent ton jugement pourrait être faux. Quelquefois, en priant pour quelqu’un tu trouveras en lui une lumière et un désir de moi si saint, qu’il te semblera que ton âme s’engraisse de sa vertu, comme le (179) veut l’ardeur de la charité qui fait participer chacun au bien des autres. Une autre fois au contraire, son âme te semblera éloignée de moi et si pleine de ténèbres et de tentations, que ce te sera une fatigue d’offrir pour elle tes prières devant moi. Il pourra se faire que cet état vienne de quelque défaut de celui pour qui tu pries. Mais le plus souvent ce ne sera pas la punition d’une faute, mais l’effet d’une de ces privations que j’envoie souvent pour faire parvenir à la perfection, ainsi que je te l’ai dit en te parlant des états de l’âme.

2.- Je me serai retiré par sentiment et non par grâce. L’âme ne sentira plus de douceur et de consolation ; elle sera plongée dans la sécheresse, l’aridité, la peine ; et cette peine, je la fais sentir à ceux nièmes qui prient pour cette âme. J’agis ainsi par- amour pour cette âme qui est l’objet de la prière, afin que celui qui prie s’unisse à elle pour dissiper le nuage qui l’environne. Ainsi tu vois, ma douce et chère fille, combien serait ignorant et digne de blâme celui qui jugerait sur les apparences et qui croirait que c’est le péché qui cause les ténèbres que je t’ai montrées dans cette âme ; car tu as vu qu’elle n’était pas privée de ma grâce, mais seulement de la douceur du sentiment que je lui donnais de ma présence.

3.- Oui, vous tous, mes serviteurs, vous devez désirer vous connaître parfaitement vous-mêmes, afin que vous connaissiez plus parfaitement ma bonté envers vous. Laissez-moi les jugements sur les autres, car c’est ma part et non la vôtre. Abandonnez-moi la justice qui m’appartient ; ayez seulement compassion de votre prochain, et faim de mon honneur et du salut des âmes. Prêchez la vertu avec l’ardeur du désir et reprenez le vice en vous et dans les autres, comme je l’ai dit plus haut.

4.- C’est ainsi que tu viendras à moi en vérité et que tu montreras que tu gardes et que tu observes la doctrine que t’a donnée mon Fils. Ne vois que ma volonté et non celle des hommes ; c’est le seul moyen d’acquérir une vertu réelle et de demeurer dans la parfaite et grande lumière, en te nourrissant à la table des saints désirs, de la nourriture des âmes, pour la gloire et l’honneur de mon nom. (180)
 
 
 

CIV.- On ne doit pas prendre pour fondement de l’âme la pénitence, mais l’amour de la vertu.
 
 
 
 

1.- Ma fille bien-aimée, après ces deux choses, je t’en dirai une troisième à laquelle je veux que tu fasses attention pour en profiter toi-même, si le démon ou la faiblesse de ta vue te portait à vouloir conduire mes serviteurs par la voie où tu as marché toi-même, car ce serait contre la doctrine que tu as reçue de ma Vérité. il arrive souvent qu’en voyant marcher les autres par la voie d’une austère pénitence, on veut que tous suivent la même route, et s’ils ne la prennent pas, on en est affligé, scandalisé, et on pense qu’ils font mal.

2.- Vois cependant quelle erreur. Souvent celui qu’on juge mal parce qu’il fait moins pénitence, fera mieux et sera plus vertueux, quoiqu’il ne pratique pas les austérités de celui qui murmure. Je te l’ai dit, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence n’agissent pas avec une humilité véritable, s’ils ne prennent pas la pénitence, non comme but principal, mais comme instrument de vertu, leurs murmures nuiront souvent à leur perfection.

3.- Ils doivent savoir que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à détruire sa propre volonté, et c’est par cette voie de la volonté anéantie et soumise à ma douce Volonté que vous devez désirer ce que je veux que tu désires pour tous. C’est la doctrine éclatante de cette glorieuse Lumière, où court l’âme passionnée et revêtue de ma Vérité.

4.- Je ne méprise pas cependant la pénitence ; car la pénitence est bonne à dompter le corps, quand il veut combattre contre l’esprit. Mais je ne veux pas, ma chère fille, que tu la prennes pour règle générale, parce que tous les corps ne sont pas égaux et n’ont pas la mémo complexion ; la nature est plus forte dans l’un que dans l’autre, et souvent il arrive, comme je te l’ai dit, que les circonstances forcent à abandonner les austérités qu’on avait commencées. Alors, si tu avais pris ou si tu avais fait prendre la pénitence pour base de conduite, il y aurait découragement, imperfection ; l’âme perdrait la consolation et la vertu. (181)

5.- Parce que vous êtes privés d’une chose que vous aimiez trop et que vous aviez prise pour votre but, vous vous croyez privés de moi, et en vous croyant séparés de ma bonté, vous tombez dans l’ennui, le dégoût et le trouble. Vous perdez ainsi la pratique de l’oraison et la ferveur que vous aviez quand vous faisiez pénitence. Les circonstances vous ont forcés à l’abandonner, et vous ne trouvez plus dans la prière la douceur que vous goûtiez auparavant. Cela vient de ce que vous avez pris pour fondement l’amour de la pénitence, et non l’ardeur du désir des véritables et solides vertus.

6.- Tu vois le mal qui arrive lorsque vous prenez pour base principale la pénitence : vous êtes dans l’erreur et vous tombez dans des murmures contre mes serviteurs. Vous rencontrez l’ennui, l’amertume, et vous voulez nie servir par des oeuvres finies, moi qui suis le Bien infini et qui vous demande un désir infini. La chose principale pour vous est de tuer et d’anéantir la volonté-propre. C’est en la soumettant entièrement à ma volonté que vous me présenterez, comme une agréable offrande, l’ardeur de votre désir infini pour mon honneur et le salut des âmes.

7.- Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, et vous ne serez jamais scandalisés, ni à votre occasion, ni à celle du prochain ; mais vous vous réjouirez

en, toute chose, et vous profiterez des moyens si variés que je donne à l’âme. Ce n’est pas ce que font les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, et la voie droite donnée par ma Vérité. Ils jugent au contraire selon l’aveuglement et l’infirmité de leur vue ; ils vont comme des insensés qui ignorent leur route ; ils se privent des biens de la terre et du ciel. Dès cette vie, comme je te l’ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de l’enfer.
 
 
 
 

CV.- Résumé des choses précédentes.- Explication sur la correction du prochain.
 
 
 
 

1 - Maintenant, ma très chère fille, je satisferai ton désir, et je t’expliquerai ce que tu me demandais sur la (182) manière de reprendre ton prochain sans te laisser tromper par le démon, ou par la faiblesse de ta vue. Tu dois le reprendre d’une manière générale, et non particulière, à moins que je ne te l’aie expressément révélé ; mais toujours avec une grande humilité, et en te reprenant toi-même avec les autres.

2.- Je t’ai dit, et je te répète qu’en aucune occasion il n’est permis de juger les créatures et les âmes de mes serviteurs suivant les dispositions heureuses ou fâcheuses où on les trouve. Car tu es incapable de les juger, et en le faisant tu te tromperais dans tes jugements. Vous devez compatir au prochain, et me le laisser juger.

3.- Je t’ai dit aussi la règle que tu devais donner à ceux qui viendraient te consulter. et qui voudraient sortir des ténèbres du péché mortel et suivre les sentiers de la vertu. Il faut leur donner pour principe et fondement l’amour de la vertu, par la connaissance d’eux-mêmes et la connaissance de ma bonté envers eux ; il faut leur faire tuer et détruire leur propre volonté, afin qu’elle ne se révolte jamais contre moi. Montre-leur la pénitence comme un moyen, et non comme un but ; elle ne doit pas être égale pour tous, mais elle doit se régler sur l’aptitude, les forces et l’état de chacun : les uns peuvent beaucoup, les autres moins, selon leurs dispositions extérieures.

4.- Je t’ai dit qu’il ne fallait reprendre le prochain que d’une manière générale, et c’est la vérité. Je ne veux pas cependant que tu penses qu’en voyant un défaut formel dans quelqu’un, tu ne puisses le reprendre entre toi et lui. Tu peux le faire, et même s’il s’obstine et s’il ne se corrige pas, tu peux le dire à deux ou trois personnes et si cela ne sert de rien, tu peux le déclarer au corps mystique de la sainte Eglise (S. Matthieu, XVIII, 15-17), Mais je t’ai dit d’être prudente et de ne pas te hâter sur

des apparences que tu verras dans ton esprit ou extérieurement. A moins de voir clairement la vérité, ou d’en recevoir une révélation positive, tu ne dois reprendre personne, si ce n’est comme je te l’ai dit : c’est le parti le plus sûr pour que le démon ne te trompe pas sous le manteau de la, charité. J’ai fini maintenant, ma bien chère fille, de t’expliquer ce qui est nécessaire pour conserver et accroître la perfection de l’âme. (183)
 
 

chapitre 106
 

Des signes auxquels on connaît que les visites et les visions spirituelles sont de Dieu ou du démon.

Je vais t'exposer, à présent, comme tu l'as demandé, le signe que je donne à l'âme, pour qu'elle puisse discerner les visites qu'elle reçoit par mode de visions ou autres consolations spirituelles, dont elle se croit favorisée et reconnaître Si elles sont de moi ou non. Le signe de ma présence, ai-je dit, c’est l'allégresse que je laisse dans l'âme après ma visite, et le désir de la vertu, spécialement de la vertu de véritable humilité, jointe à l'ardeur de la divine charité.
Tu m'as demandé si, dans cette allégresse, ne se pouvait pas glisser quelque illusion; et, s'il en était ainsi, tu voudrais suivre le parti le plus sûr et t'en tenir au signe de la Vertu, qui ne peut être trompeur. Je te dirai donc l'erreur qui s'y peut mêler et à quoi tu pourras reconnaître que cette joie spirituelle est vraie ou fausse.
Voici comment l'erreur peut t'égarer.
Je veux que tu saches, que la créature raisonnable qui aime ou désire un bien, ressent une joie dés qu'elle le possède. Et plus elle aime ce bien [386]
qu'elle possède, moins elle le voit, moins elle s'applique à l'examiner avec prudence. Elle est toute à la jouissance qu'elle éprouve de cette consolation:
la joie de posséder enfin ce qu'elle aime ne lui permet pas de le juger: son moindre souci est de se rendre compte de ce qu'il vaut.
Il en va de même de ceux qui aiment et désirent vivement les consolations spirituelles, qui recherchent les visions et s'attachent plus aux douceurs des consolations, qu'à moi-même, comme je te l'ai dit de ceux qui étaient encore dans l'état imparfait et qui regardaient davantage à la faveur des consolations, qu'ils recevaient de Moi, le donateur, qu'à l'amour de ma Charité, avec lequel je les leur donne. Ceux-là peuvent être trompés dans leur allégresse, sans compter d'autres dangers, dont je t'entretiendrai à part, dans un autre endroit.
Comment sont-ils abusés? - Ecoute.
Lorsqu'ils ont conçu un grand amour de la consolation, comme il a été dit, et que la consolation leur arrive, ou quelque vision, quel qu'en soit la provenance, ils ressentent de la joie d'avoir enfin ce qu'ils aiment et désiraient d'avoir. Aussi, souvent, ces consolations pourraient venir du démon, qu'ils en éprouveraient encore de la joie. Ne t'ai-je pas dit, en effet, que lorsque le démon visite l'âme, sa présence se fait sentir, tout d'abord, par l'allégresse; mais qu'elle laissait ensuite l'âme dans la tristesse, avec un remords dans la conscience, et sans aucun désir de la vertu ! J'ajouterai que cette allégresse peut se prolonger, et que l'âme peut la ressentir [387] parfois pendant toute la durée de son oraison. Mais si cette allégresse n'est pas accompagnée d'un ardent désir de la vertu, parfumée d'humilité, embrasée du feu de nia divine charité, cette vision, cette consolation, cette visite reçue, vient du démon, elle n'est pas de Moi. L'âme a bien possédé le signe de l'allégresse ; mais comme cette allégresse n'est pas unie à l'amour de la vertu, elle peut juger avec évidence que cette allégresse procède uniquement du désir qu'elle avait des consolations personnelles intérieures. Elle se réjouit maintenant, elle est dans la joie, parce qu'elle croit avoir ce qu'elle souhaitait, et que c'est le propre de l'amour, quel qu'il soit, d'être dans la joie, dès qu'il possède ce qu'il aime.
Tu ne pourrais donc te fier à la seule allégresse éprouvée, alors même que cette allégresse durerait tout le temps de la consolation, et plus encore. L'amour, aveuglé par cette allégresse, ne découvrira par cette tromperie du démon, s'il ne fait pas appel à d'autres signes que la prudence lui fournit; mais s'il procède avec prudence, il verra si, oui ou non, cette allégresse est accompagnée de l'amour de la vertu. Il discernera ainsi, si cette visite spirituelle est de Moi ou du démon.
Tel est le signe de discernement que je t'avais donné quand je t'avais dit que la joie que tu en éprouverais serait pour toi un signe de ma visite, pourvu que cette joie fût accompagnée de la vertu. Telle est bien la vérité. C'est là un signe certain qui te démontrera s'il y a ou non tromperie, si la [388] joie que tu éprouves est bien provoquée par ma présence, ou si elle procède de l'amour-propre spirituel et du désir des consolations personnelles. Ma visite apporte la joie avec l'amour de la vertu, celle du démon ne cause que la joie. Quand l'âme en vient à constater qu'elle n'est pas plus avancée dans la vertu qu'auparavant, il en faut conclure que cette allégresse procède de l'amour-propre des consolations spirituelles.
Tous, sache-le bien, ne sont pas trompés par cette joie, il n'y a que les imparfaits, ceux qui recherchent la consolation et regardent plus au don qu'au donateur, Mais ceux qui purement, sans aucun intérêt personnel, par la seule ardeur de l'amour qu'ils ont pour Moi, regardent au donateur et non au don et n'attachent de prix au don qu'à cause de Moi qui donne, nullement à cause de la consolation qu'ils en retirent, ceux-là ne peuvent jamais être abusés par cette allégresse. Ils ont un signe certain qui leur permet de discerner promptement quand le démon parfois essaye de les tromper en se transformant en ange de lumière, et de visiter leur esprit en y répandant soudain une grande allégresse. N'étant point passionnés par le désir de la consolation spirituelle, ils ont tôt fait, par leur prudence, d'éventer le piège, dès qu'ils constatent que l'allégresse une fois dissipée, ils demeurent dans les ténèbres. Ils s'en humilient alors dans la vraie connaissance qu'ils ont d'eux-mêmes, ils renoncent à ton Le consolation, et s'attachent avec passion à la doctrine de ma Vérité. Le démon, tout confus, ne [389] se présentera plus jamais ou rarement sous cette forme.
Ceux, au contraire, qui sont avides de consolations personnelles, recevront souvent sa visite. S'ils sont trompés ils reconnaîtront leur erreur, par le moyen que je t'ai indiqué, en constatant que l'allégresse n'était pas accompagnée de la vertu, et qu'ils ne sont point sortis de cette visite, avec l'humilité, avec une vraie charité, avec un grand désir de mon honneur à moi, le Dieu éternel, et du salut des âmes. C'est ma Bonté qui a ainsi pourvu à la préservation de tous, parfaits et imparfaits, dans quelque état que vous soyez. Vous pourrez déjouer toutes les ruses, si vous voulez conserver la lumière de l'intelligence que je vous ai donnée avec la pupille de la très sainte Foi. Ne la laissez donc point obscurcir par le démon, ou éteindre pas votre amour-propre car, si vous ne la voulez perdre, il n'est au pouvoir de personne de vous l'enlever [390].

chapitre 107

Comment Dieu exauce les saints désirs de ses serviteurs. Combien lui sont agréables ceux qui le prient, et frappent avec persévérance à la porte de sa Vérité.

J'ai fini, ma très chère fille, d'éclaircir tes doutes. J'ai procuré à l'oeil de ton intelligence la lumière dont il avait besoin pour éviter les pièges que le démon te pourrait tendre, et j'ai satisfait ainsi à toutes tes demandes. Car Moi, crois-le bien, je ne méprise pas le désir de mes serviteurs. Je donne à quiconque me demande, et je vous invite tous à demander. C'est me déplaire vivement que dé ne pas frapper, en vérité, à la porte de la Sagesse de mon Fils unique, en suivant sa doctrine. Car suivre sa doctrine c'est comme frapper à la porte, en criant vers moi le Père éternel par la voix du saint désir, par d'humbles et continuelles prières. Et c'est moi le Père, qui vous donne le pain de la grâce par la porte de la douce Vérité. Parfois, pour éprouver vos désirs et votre persévérance, je fais semblant de ne pas vous entendre, mais je vous entends bien, et j'accorde à votre esprit ce dont il a besoin. C'est moi qui vous donne la faim et la soif avec laquelle vous criez vers moi, et je ne veux qu'éprouver votre [391]constance, pour combler vos désirs, lorsqu'ils sont bien ordonnés et dirigés vers Moi. C'est à crier de la sorte que vous invite ma Vérité, quand elle dit Appelez et l'on vous répondra, frappez et il vous sera ouvert, demandez et l'on vous donnera (Mt 7,7 ; Lc 11,9).
Et Moi aussi je te dis " Je ne veux pas que tu laisses faiblir ton désir ni que tu cesses d'implorer mon secours! N'abaisse pas ta voix! Crie, crie vers moi pour que je fasse miséricorde au monde! Frappe sans interruption à la porte de ma Vérité, mon Fils, en suivant ses traces. Que tes délices soient d'être avec lui sur la croix, avec pour aliment les âmes à sauver pour la gloire et l'honneur de mon nom, gémissant dans l'angoisse de ton coeur, sur la mort de la race humaine que tu vois entraînée vers une telle. misère que ta langue ne la saurait décrire. C'est par tes gémissements, c'est par tes cris, que je voudrais faire miséricorde au monde C'est cela que je demande à mes serviteurs ! A ce signe je reconnaîtrai qu'ils m'aiment en vérité, et Moi, comme je te l'ai dit, je ne mépriserai pas leur désir [392].
 
 

chapitre 108

Comment cette âme s'humilie en rendant grâces à Dieu. Elle prie ensuite pour le monde entier, et spécialement pour le corps mystique de la sainte Église, pour ses fils spirituels et pour les deux pères de son âme. Enfin elle demande à connaître les fautes des ministres de la sainte Eglise.

Alors cette âme, dans une véritable ivresse, paraissait hors d'elle-même. L'action de ses sens était suspendue en son corps, par l'union d'amour qu'elle avait faite avec son Créateur pendant que son esprit était ravi dans la contemplation de la Vérité éternelle, qui absorbait le regard de son intelligence. Cette vue de la Vérité l'avait faite tout amour pour la Vérité! Et elle disait
O souveraine et éternelle Bonté de Dieu! Eh! que suis-je donc, moi misérable, pour que vous, Père éternel et souverain, vous m'ayez manifesté votre Vérité, pour que vous m'ayez découvert les ruses secrètes du démon et les illusions du sens propre, auxquelles je suis exposée, moi et les autres, pendant le pèlerinage de cette vie, afin que je ne sois trompée ni par le démon ni par moi-même? Qui donc vous inspire? L'amour! Car vous m'avez aimée sans être aimée de moi [393].
O foyer d'amour! Grâces, grâces, soient à vous, Père éternel ! A moi imparfaite et remplie de ténèbres, vous le Parfait, vous la Lumière, vous avez montré la perfection et la voie lumineuse de la doctrine de votre Fils unique. J'étais morte, vous m'avez rendu la vie ! J'étais malade, vous m'avez servi le remède ! Et non seulement le remède du Sang, que vous avez appliqué par votre Fils à ce malade qu'est le genre humain; mais encore vous m'avez donné contre une infirmité secrète un remède que je ne connaissais pas; vous m'avez enseigné cette doctrine que je ne puis d'aucune manière juger la créature raisonnable et spécialement vos serviteurs i Aveugle et infirme que j'étais! Que de fois ne les ai-je pas jugés, sous couleur de votre honneur et du salut des âmes! Je vous remercie donc, ô Bonté souveraine et éternelle, de ce qu'en me découvrant votre Vérité, et les tromperies du démon, et les illusions du sens propre, vous m'avez fait connaître mon infirmité! Je vous en supplie par votre grâce et par votre miséricorde, qu'aujourd'hui soit le terme et la fin de mes égarements! Que je ne m'écarte plus désormais de la doctrine que votre Bonté m'a donnée, à moi et à quiconque la voudra suivre. Sans vous, rien ne se peut faire ! J'ai donc recours à vous, vous êtes mon refuge, Père éternel, et ce n'est pas pour moi seule que je vous implore, mais encore pour le monde entier, et particulièrement pour le corps mystique de la sainte Eglise.
Qu'elle brille dans vos ministres, cette Vérité, [394] cette doctrine que vous m'avez enseignée, à moi misérable, vous la Vérité éternelle ! Je vous le demande aussi et Spécialement pour tous ceux que vous m'avez donnés, que j'aime d'un amour de prédilection, et que vous avez fait une même chose avec moi. Ils seront ma joie, pour la gloire et l'honneur de votre nom, si je les vois
courir dans cette douce et droite voie, purs, morts à leur volonté et à leur sens propre, sans un jugement, sans un scandale, sans un murmure contre leur prochain! Je vous en prie, ô mon très doux Amour, qu'aucun d'entre eux ne me soit ravi, par les mains du démon infernal, mais qu'au dernier jour, tous, ô Père éternel, parviennent à Vous, qui êtes leur fin. Je vous adresse encore une autre prière, pour les deux soutiens que vous m'avez donnés sur la terre, pour les deux pères que vous avez préposés à ma garde et à mon enseignement à moi, pauvre misérable, depuis le commencement de ma conversion jusqu'à cette heure. Unissez-les: de leurs deux corps ne faites qu'une âme, et qu'ils n'aient de pensée que pour réaliser en eux, et dans les mystères que vous avez confiés à leurs mains, et dans le salut des âmes, la gloire et l'honneur de votre nom. Et moi qui ne suis pas votre fille, mais une esclave indigne et misérable, que toujours je sois vraiment ainsi vis-à-vis d'eux, en tout respect, avec une sainte crainte, pour l'amour de Vous! Que je sois votre honneur, leur joie, leur consolation, et l'édification du prochain [395].
Je suis assurée, ô Vérité éternelle, que vous ne mépriserez pas mon désir, dans les prières que je vous adresse! Car je sais, pour l'avoir vu, selon que vous avez daigné me le manifester, et beaucoup plus encore, pour l'avoir expérimenté, que vous exaucez les saints désirs. Moi, votre indigne servante, je ferai tout ce qui est en moi, suivant que vous m'en ferez la grâce, pour observer votre commandement et votre doctrine.
Maintenant, ô Père éternel, je me souviens d'une promesse que vous m'avez faite, quand vous m'avez parlé des ministres de la sainte Église. Vous m'avez dit que vous m'entretiendriez plus en détail, en un autre endroit, des fautes qu'ils commettent de nos jours. S'il vous plaît de m'en révéler quelque chose, je vous écouterai, pour avoir un sujet d'augmenter en moi la douleur, et la compassion, et l'angoisse de mon désir pour leur salut. Car je n'ai pas oublié ce que vous m'avez enseigné, que c'est par la souffrance, et les larmes, et les douleurs, et les sueurs, et les prières de vos serviteurs, que vous enverriez la consolation, en réformant la sainte Eglise en lui donnant de bons et saints Pasteurs. C'est pour accroître en moi ce désir, que je vous adresse cette demande [396].
 

 chapitre 109
Comment Dieu excite le zèle de cette âme pour la prière en répondant à quelques-unes de ses demandes.

Alors, le Dieu éternel, abaissant sur cette âme le regard de sa miséricorde, ne méprisa point son désir. Il accueillit ses prières et pour satisfaire au voeu qu'elle lui avait présenté, au sujet de la promesse qu'il lui avait faite, Il lui disait : O bien-aimée et très chère fille, j'exaucerai ta demande, j'accomplirai ton désir, pourvu que, de ton côté, tu ne commettes aucune erreur ni négligence. Elles seraient beaucoup plus graves, et tu mériterais de plus sévères reproches qu'auparavant, maintenant que tu as connu davantage ma Vénté. Applique-toi donc avec zèle à prier pour tontes les créatures raisonnables, pour le corps mystique de la sainte Église et pour ceux que tu aimes d'un amour particulier. N'apporte aucune négligence dans le devoir qui t'incombe de la prière, de l'exemple de ta vie, de l'enseignement de la parole. Reprends le vice et recommande la vertu de tout ton pouvoir. Des appuis que je t'ai donnés, tu m'as dit en vérité ce qu'il fallait dire. Fais en sorte d'être le moyen par lequel je donnerai à chacun ce dont [397] il a besoin, selon ses dispositions, et suivant que moi, ton Créateur, t'en ferai la grâce. Car, sans moi, vous ne pourrez rien faire et c'est moi qui réaliserai tes désirs. Mais ne manquez pas, toi et eux, d'espérer en moi. Ma Providence, elle, ne vous manquera pas; chacun recevra humblement ce qu'il est capable de recevoir. Que chacun donc s'emploie à remplir le ministère à lui confié, selon la mesure qu'il a reçue ou qu'il recevra de ma Bonté [398].
 

 chapitre 110
De la dignité des prêtres, et du sacrement du corps du Christ. De ceux qui se communient dignement, et de ceux qui le font indignement.

Je vais répondre maintenant, à la demande que tu m'as faite, concernant les ministres de la sainte Eglise. Pour mieux connaître la vérité, ouvre l'oeil de ton intelligence et contemple leur excellence, et la dignité a laquelle je les ai élevés. Comme l'on comprend mieux une chose par son contraire, je veux te montrer la dignité de ceux qui administrent dans la vertu, le trésor que j'ai mis entre leurs mains. Par là tu verras davantage la misère de ceux, qui aujourd'hui se nourrissent au sein de cette épouse.
Alors cette âme, pour obéir à cette invitation, se mirait dans la Vérité, où elle voyait la vertu briller en ceux qui la goûtent vraiment.
Et le Dieu éternel lui disait : [1]  Ma fille très chère, je veux d'abord te dire la dignité où je les ai établis par ma Bonté, outre l'amour général que j'ai eu pour mes créatures, en vous créant à mon image et à ma ressemblance, et en vous faisant renaître à la grâce, dans le Sang de mon fils unique. Vous avez acquis une telle excellence, par l'union que j'ai faite de ma divinité à la nature humaine, que vous surpassez en dignité l'ange même car j'ai pris votre nature, non celle de l'ange. Ainsi, comme je te l'ai dit, je suis Dieu fait homme, et l'homme a été fait Dieu, par l'union de la nature divine et de votre nature humaine. Cette grandeur est un bénéfice commun à toutes les créatures raisonnables. Mais parmi elles, j'ai élu mes ministres, pour votre salut, afin que par eux vous soit distribué le Sang de l'humble Agneau immaculé, mon Fils unique. A ceux-là, j'ai donné pour fonction d'administrer le Soleil, en leur confiant la lumière de la science et la chaleur de la divine charité, et la couleur unie à la chaleur et à la lumière, le Sang et le Corps de mon Fils.
Ce Corps est un soleil, parce qu'il est une même chose avec moi qui suis le vrai Soleil, et si grande est cette union que l'on ne les peut diviser ni séparer l'un de l'autre. Ainsi, dans le soleil, l'on ne saurait séparer la chaleur de la lumière, ni la lumière de la chaleur, tant est parfaite leur union.
Le soleil, sans sortir de sa sphère, sans se diviser, répand la lumière sur l'univers entier. Quiconque le veut, participe à sa chaleur. Aucune impureté [2] ne le peut souiller, et sa lumière lui est unie, comme je l'ai dit.
De même ce Verbe, mon Fils, avec son Sang précieux, est un soleil, Dieu tout entier, et homme tout entier : car il est une même chose avec moi et moi avec lui. Ma Puissance n'est pas séparée de sa Sagesse ; et la chaleur, le feu du Saint-Esprit n'est point divisée non plus, de moi le Père, ni de lui le Fils, parce que l'Esprit-Saint procède du Père et du Fils, et nous sommes un même Soleil.
Moi, le Dieu éternel, je suis le Soleil d'où procèdent le Fils et le Saint-Esprit. Au Saint-Esprit est attribuée la chaleur, au Fils la sagesse, et dans cette Sagesse mes ministres reçoivent une lumière de grâce, pour avoir administré cette lumière, avec lumière, et avoir su reconnaître mon bienfait à Moi, le Dieu éternel, en suivant la doctrine de cette Sagesse mon Fils unique. C'est cette lumière que possède, unie à elle, la couleur de votre humanité. La lumière de ma Divinité est ainsi la lumière qui est unie à la couleur de votre humanité.
Cette couleur est devenue lumineuse, quand elle est devenue impassible en vertu de la Déité de la nature divine. C'est par ce moyen, c'est-à-dire par le Verbe incarné, étroitement uni à la lumière de ma Divinité et à la chaleur et au feu de l'Esprit-Saint, que vous avez reçu la lumière. A qui en ai-je confié la dispensation? - A mes ministres, dans le corps mystique de la sainte Eglise, afin que vous ayez la vie, en recevant d'eux son Corps en nourriture et son Sang pour breuvage [3].
Ce Corps, ai-je dit, est un soleil. Le corps ne peut donc vous être donné, sans que vous soit donné aussi le sang; ni le sang et le corps, sans l'âme de ce Verbe ; ni l'âme ni le corps, sans ma Divinité à moi, le Dieu éternel. L'un est inséparable de l'autre. Comme je te l'ai dit en un autre endroit, la nature divine ne se sépare jamais de la nature humaine : ni la mort, ni rien ne les peuvent diviser. C'est donc toute l'Essence divine que vous recevez en ce très doux sacrement, sous cette blancheur de pain. Comme le soleil est indivisible, ainsi Dieu se trouve tout entier, et l'homme tout entier, dans la blancheur de l'hostie. Diviserait-on l'hostie en mille et mille miettes s'il était possible, en chacune je suis encore, Dieu tout entier, homme tout entier, comme je t'ai dit. En divisant le miroir l'on ne divise pas l'image qui se voit dans le miroir, ainsi en divisant l'hostie, l'on ne divise pas Dieu, l'on ne divise pas l'homme, mais en chaque parcelle il y a tout entier le Dieu-homme. Et il n'est pas non plus diminué en lui-même, comme on le peut comprendre par l'exemple du feu.
Si tu avais une lumière et que tout le monde vint y allumer ses flambeaux, ta lumière n'en serait pas diminuée, et chacun cependant l'aurait tout entière. Il est vrai, pourtant, que chacun y participe plus ou moins suivant la matière qu'il présente à la flamme pour en recevoir le feu. Un exemple te le fera mieux comprendre.
Supposons qu'il y ait plusieurs personnes à venir chercher de la lumière avec des cierges. L'une [4] apporte un cierge d'une once, l'autre de deux onces, une troisième de trois onces, celle-ci d'une livre, celle-là, de plus encore. Toutes s'approchent de la lumière, et chacune allume son cierge. Dans chaque cierge allumé, quel que soit son volume, l'on voit désormais la lumière tout entière, sa couleur, sa chaleur et son éclat; cependant, tu jugeras que celui qui porte un cierge d'une once possède moins de lumière que celui qui tient un cierge d'une livre.
Ainsi advient-il à ceux qui s'approchent de ce Sacrement. Chacun apporte son cierge, c'est-à-dire le saint désir avec lequel il reçoit et prend ce Sacrement. Le cierge est éteint, et il s'allume, lorsqu'on reçoit ce sacrement. Je dis qu'il est éteint, parce que, par vous-même, vous n'êtes rien. Je vous ai donné, il est vrai, la matière avec laquelle vous pouvez recevoir et conserver en vous cette lumière; cette matière, c'est l'amour, parce que je vous ai créés par amour; aussi, ne pouvez-vous vivre sans amour.
Cet être, qui vous a été donné par amour, a trouvé dans le saint baptême, par la vertu du Sang de ce Verbe, la disposition sans laquelle vous ne pourriez participer à cette lumière. Vous seriez comme un cierge, sans mèche, qui ne saurait brûler et qu'il est impossible d'allumer, si, avec le sentiment d'une âme créée par moi, faite pour aimer, - et tellement qu'elle ne peut vivre sans amour, que son aliment c'est l'amour, - vous n'aviez reçu dans le saint baptême, la très sainte foi unie à la grâce. La très sainte foi, voilà la mèche qui [5] peut s'enflammer à cette lumière! Et où donc l'âme ainsi préparée allumera-t-elle son flambeau ? Au feu de ma divine charité, en m'aimant, en me craignant, en suivant la doctrine de ma Vérité.
Il est vrai que l'âme s'enflamme plus ou moins, comme je t'ai dit, suivant la matière qu'elle apportera pour alimenter ce feu! Bien, que tous, en effet, vous ayez une même matière, puisque tous vous avez été créés à mon image et ressemblance et que tous, vous les chrétiens, vous possédez la lumière du saint baptême, chacun cependant peut croître en amour et en vertu, selon qu'il le veut, avec le secours de ma grâce. Non que vous changiez, pour prendre une autre forme que celle que je vous ai donnée; mais vous accroissez, vous développez l'amour de la vertu par la pratique même de la venu, et le sentiment de la charité par l'exercice de votre libre arbitre, pendant que le temps vous en est donné car, le temps passé, vous ne le pourrez plus faire.
Ainsi, il dépend de vous de croître en amour, et c'est avec cet amour, que vous vous approchez de cette douce et glorieuse lumière, qui vous est distribuée par mes ministres auxquels je l'ai confiée, et que je vous ai donnée comme une nourriture. Tant vous apporterez d'amour et d'ardent désir, tant vous participerez à cette lumière. Vous ne la recevrez pas moins tout entière, comme je te l'ai expliqué par l'exemple de ceux qui participaient à la lumière suivant le poids des cierges qu'ils venaient y allumer, bien que chacun semblât [6] avoir la lumière tout entière, sans division aucune. Ainsi la lumière de mon Fils ne peut être divisée, ni par l'imperfection de celui qui la reçoit, ni par la faute de celui qui l'administre. Mais cependant vous ne participez à cette lumière, vous n'en recevez de grâce en vous, que dans la mesure de vos dispositions, de votre saint désir. Qui s'approcherait de ce sacrement, en péché mortel, n'en recevrait aucune grâce, quoiqu'il reçut réellement Dieu tout entier, et l'homme, tout entier, comme je te l'ai dit.
Sais-tu à quoi ressemble cette âme qui reçoit le Sacrement indignement? A un cierge qui serait tombé dans l'eau, et qui ne fait que crépiter quand on l'approche du feu; veut-on y introduire la flamme, elle s'éteint, et il n'en reste que de la fumée. Cette âme, elle aussi, porte en elle son cierge, qu'elle a reçu au saint baptême, mais elle l'a jeté dans l'eau de la faute qu'elle a commise, au dedans d'elle-même. Cette eau a mouillé la mèche, cette lumière de la grâce qui lui fut donnée dans le saint baptême, et tant qu'elle n'a pas été séchée, au feu d'une véritable contrition accompagnée de l'aveu de la faute, elle va, à la table de l'autel, recevoir cette lumière, réellement, mais non spirituellement. Quand l'âme n'est pas préparée comme il convient à un si grand mystère, cette vraie lumière ne demeure pas en elle par la grâce; elle s'éteint aussitôt, et l'âme se trouve en une confusion plus grande, en des ténèbres plus épaisses, avec une faute plus lourde à porter. De ce Sacrement, elle ne retire qu'un remords plus criant dans sa conscience, non [7]par le défaut de cette lumière inaltérable, mais par l'effet de l'eau criminelle qui est dans cette âme, et qui fait obstacle au sentiment qu'elle devrait avoir, pour participer à la lumière.
Tu vois donc bien que cette lumière est inséparable de la chaleur et de la couleur auxquelles elle est unie. Cette union, rien ne la peut rompre, ni la faiblesse du désir qui porte l'âme à s'approcher de ce sacrement, ni la faute même de l'âme qui le reçoit, ni le péché de celui qui l’administre. Le soleil, t'ai-je dit, éclaire une chose immonde, sans en être impur, de même, en ce sacrement, cette douce lumière ne peut être souillée, ni divisée, ni diminuée; rien ne peut l'atteindre ni la faire dévier de son centre. Quand le monde entier communierait à la lumière et à la chaleur de ce Soleil, ce Verbe soleil, mon Fils unique, ne se séparerait jamais de Moi, le Soleil Père éternel.
Par le corps mystique de la sainte Eglise, il est administré à quiconque veut le recevoir; mais il n'en demeure pas moins tout entier, et bien que vous le receviez, Dieu et homme, tout entier, comme je te l’ai expliqué par l'exemple de la lumière, alors même que tous les hommes viendraient allumer leur flambeau à cette lumière, ils la recevraient tout entière. mais elle n'en demeurerait pas moins tout entière [8].

 chapitre 111
Comme toutes les impressions des sens corporels sont trompées dans ce Sacrement, mais non les sens de l'âme. C'est avec ces sens intérieures, qu'il faut voir, goûter et toucher. D'une belle vision qu'eut cette âme, à ce sujet.

O ma fille très chère, ouvre bien l'oeil de l'intelligence pour contempler l'abîme de ma Charité. Il n'est pas une créature raisonnable dont le coeur ne dût se briser sous la pression de l'amour, en considérant après tous les biens dont je vous ai comblés, le bienfait que vous recevez dans ce Sacrement. C'est avec cet oeil de l'esprit, très chère fille, que toi et les autres, devez regarder ce mystère et le toucher, et non seulement avec la vue et le toucher corporels, qui sont ici impuissants.
L'oeil ne voit rien d'autre que la blancheur du pain, la main ne touche rien d'autre que la surface du pain, le goût ne savoure rien d'autre que la saveur du pain. Tous les sens grossiers du corps sont ici abusés; mais le sens de l'âme ne peut être trompé, si elle le veut, c'est-à-dire si elle ne consent pas à se priver, par l'infidélité, de la lumière de la très sainte Foi.
Qui goûte et voit et touche ce sacrement? Les [9] sens de l'âme. Avec quel oeil le voit-elle? Avec l'oeil de l’intelligence, si cet oeil est muni de la pupille de la très sainte Foi. Cet oeil voit sous cette blancheur Dieu tout entier, l'homme tout entier, la nature divine unie à la nature humaine, le corps, l'âme, le sang du Christ, l'âme unie au corps, le corps et l'âme unis à ma nature divine, sans qu'elle soit séparée de Moi.
N'est-ce pas, s'il t'en souvient, ce que je t'ai fait voir, presque dès le commencement de ta vie, et non seulement du regard de l'intelligence, mais aussi des yeux du corps. Les yeux du corps, il est vrai, ne tardèrent pas à être aveuglés par l'éclat même de la lumière, et il ne demeura que la vision par l'oeil de l'intelligence. C'est à ta demande, que je t'avais favorisée de cette manifestation, pour répondre aux attaques auxquelles tu étais en butte de la part du démon, au sujet de ce sacrement.
Tu sais, qu'allant un matin à l'église, dès l'aurore, pour entendre la messe, après avoir été tourmentée auparavant par le démon, tu allas te placer droit à l'autel du Crucifix. Le prêtre était venu à l'autel de Marie. Toi, tu examinais ton indignité : tu craignais de m'avoir offensé par la tentation que le démon t'avait fait subir, et tu considérais l'amour de ma Charité, qui avait daigné te faire entendre la messe, alors que tu te jugeais indigne d'entrer seulement dans mon saint temple. Lorsque le prêtre allait consacrer, au moment même de la consécration, tu levas les yeux sur lui, et comme il prononçait les paroles consécratoires, je me manifestai à [10] toi. Tu vis sortir de mon sein une lumière, semblable au rayon de soleil qui jaillit du disque solaire, sans cependant se séparer de lui. Dans cette lumière, unie avec elle, il y avait une colombe qui venait frapper sur l'hostie par la vertu des paroles de la consécration que le ministre prononçait. Les yeux du corps ne purent supporter plus longtemps cette lumière: la vision se continua par le seul regard de l'intelligence. Tu vis alors et tu goûtas l'abîme de la Trinité, et le Dieu-Homme tout entier, caché et voilé sous cette blancheur. Tu vis que ni la splendeur, ni la présence du Verbe, que ton intelligence contemplait en cette blancheur, ne détruisait en rien la blancheur du pain. L'une n'empêchait pas l'autre. En faisant le Dieu-Homme présent en ce pain, je ne supprimais pas le pain, je veux dire sa blancheur, sa dimension, sa saveur.
Voilà ce que te manifesta ma Bonté. A qui fut continuée cette vision? A l'oeil de l'intelligence éclairée par la pupille de la très sainte Foi. A lui doit revenir la vision principale, parce qu'il ne peut être trompé. C'est donc de ce regard, que vous devez contempler ce Sacrement.
Et qui le touche? La main de l'amour. Oui, c'est avec cette main; que l'âme touche ce que l'oeil de l'esprit a vu et connu dans le Sacrement par la foi; et elle touche avec cette main de l'amour, pour s'assurer de ce que l'intelligence a vu et connu par la Foi.
Qui le goûte? Le goût du saint désir. Le goût corporel goûte la saveur du pain, et le goût de [11] l'âme qui est le saint désir goûte le Dieu-homme. Tu vois donc que les sens du corps sont ici déçus, mais non le sens de l'âme, à cause de la lumière et de la certitude qu'elle possède en elle-même. Car l'oeil de l'intelligence a perçu par la pupille de la très sainte Foi; ayant vu, il connaît, puis il touche avec foi, par la main de l'amour, ce qu'il a connu par la foi. Enfin par ce goût qui est en elle, par l'ardent désir, l'âme goûte ce qu'elle a vu et touché, l'amour ineffable de mon ardente Charité.
C'est cet Amour qui a daigné l'inviter à recevoir un si grand mystère, avec la grâce qu'il produit, dans ce Sacrement.
Ce n'est donc pas seulement par les opérations des sens corporels, tu le vois, que vous devez considérer et recevoir ce sacrement, mais par les actes spirituels en disposant les puissances de l'âme par affection d'amour, à contempler, à recevoir, à goûter ce mystère [12].
 

chapitre 112
De l'excellence de l'âme qui reçoit ce sacrement en état de grâce.

Considère, ma très chère fille, quelle excellence acquiert l'âme qui reçoit, comme il convient, ce pain de vie, cette nourriture des anges. En recevant ce sacrement, elle demeure en Moi et Moi en elle. Comme le poisson est dans la mer et la mer dans le poisson, ainsi je suis dans l'âme et l'âme est en Moi, l'Océan de paix. De cette communion, il reste la grâce; car, après avoir reçu ce pain de vie en état de grâce, l'âme en recueille la grâce, une fois que les accidents du pain sont consommés.
Je vous laisse l'empreinte de la grâce, comme fait le sceau que l'on appose sur la cire chaude, qui conserve sa marque quand on l'en retire. De même, fait la vertu de ce Sacrement dans l'âme, où il laisse après lui, l'ardeur de ma divine Charité, la clémence de l'Esprit-Saint, avec la lumière de la Sagesse, mon Fils unique. Eclairé par cette Sagesse, l'oeil de l'intelligence peut connaître et contempler la doctrine de ma Vérité. Cette Sagesse aussi rend forte l'âme où elle s'empreint fortement, parce qu'elle participe de ma Force et de ma Puissance. Cette âme [13] est puissante désormais, contre sa propre passion sensuelle, contre le démon et contre le monde.
Tu le vois donc, l'empreinte demeure, quand le sceau est enlevé, quand les accidents du pain sont détruits et que le vrai Soleil est revenu à son disque, non qu’il en ait été séparé, car, comme je t'ai dit, il est toujours uni avec Moi. Mais pour vous servir un aliment en cette vie où vous êtes pèlerins et voyageurs, pour vous ménager un réconfort, et conserver en vous la mémoire du bienfait du Sang, l'amour immense que j'ai de votre salut, m'a fait vous le donner en nourriture, par une dispensation de ma Providence, qui a voulu subvenir à vos besoins en vous donnant à manger ce pain de ma douce Vérité.
Juge maintenant quelle obligation vous avez envers Moi! combien vous êtes tenus de me rendre le devoir d'amour, puisque je vous aime tant, et que je suis la souveraine et éternelle Bonté, digne de tout votre amour [14] !
 

chapitre 113
Comment ce qui a été dit touchant l'excellence du sacrement vous fait mieux connaître la dignité des Prêtres ; et comment Dieu exige d'eux une pureté plus grande que des autres créatures.

O très chère fille, tout ce que je t'ai dit, est pour te faire mieux comprendre la dignité à laquelle j'ai élevé mes ministres, et t'inspirer une douleur plus profonde de leurs misères. S'ils considéraient eux-mêmes leur dignité, ils ne demeureraient pas dans les ténèbres du péché mortel ; ils ne souilleraient pas ainsi le visage de leur âme. Non seulement ils ne m'offenseraient pas, ils ne profaneraient pas leur dignité, mais, alors même qu'ils livreraient leur corps au bûcher, ils croiraient ne pas faire encore assez pour reconnaître la grande grâce et le grand bienfait qu'ils ont reçu. Car, dans cette vie, ils ne peuvent ambitionner une dignité plus haute que celle-là.
Ils sont mes oints, et je les appelle mes christs ! Ils ont, par Moi, fonction de me donner à vous. Je les ai placés comme des fleurs odoriférantes dans le corps mystique de la sainte Eglise. Cette dignité, l'ange lui-même ne l'a pas ; et je l'ai donnée aux hommes, à ceux que j'ai élus pour mes ministres [15]. J'ai fait d'eux des anges, et ils doivent être en cette vie, comme les anges de la terre. De toute âme j'exige la pureté, la charité. A toute âme je demande de m'aimer, Moi, d'aimer son prochain, de subvenir à ses besoins, suivant ses moyens, le secourant de ses prières et demeurant en union de charité avec lui, comme je te l'ai exposé en un autre endroit, en traitant ce sujet.
Mais je requiers bien davantage la pureté dans mes ministres, l'amour envers Moi et envers le prochain, auquel ils doivent dispenser le Corps et le Sang de mon Fils unique, avec une charité ardente, et la faim du salut des âmes, pour la gloire et l'honneur de mon nom. Comme ils veulent la pureté du calice où ils offrent le sacrifice, moi aussi j'exige la pureté et netteté de leur coeur, de leur âme, de leur esprit. Et leur corps aussi, comme instrument de l'âme, je demande qu'ils le conservent dans une parfaite charité, qu'ils ne le souillent pas dans la fange de l'impureté, qu'ils ne soient pas enflés d'orgueil, à l'affût des grandes prélatures, qu'ils ne soient pas cruels envers eux-mêmes et envers leur prochain. Car, s'ils sont cruels envers eux-mêmes par leurs péchés, ils sont, par le fait même, cruels pour les âmes de leur prochain: ils ne leur donnent pas l'exemple de leur vie, ils n'ont pas le souci de les arracher aux mains du démon, ni d'administrer le Corps et le Sang de mon Fils unique, et Moi-même, la vraie lumière, dans les autres sacrements de la sainte Eglise. Ainsi donc, ils ne peuvent être cruels à eux-mêmes, sans l'être aux autres [16].
 

chapitre 114
Comment l'on ne doit pas vendre ni acheter les sacrements. Comment ceux qui les reçoivent doivent subvenir aux besoins temporels des Ministres; et comment ceux-ci doivent faire trois parts des offrandes qui leur sont faites.

Je veux que mes prêtres soient généreux et non pas avares, qu'ils ne vendent pas, par cupidité et par avarice, la grâce du Saint-Esprit qui est à Moi. Non, ils ne le doivent pas faire, je ne veux pas qu'ils le fassent. Ce qu'ils ont est un don, une largesse de ma Charité que leur a faite ma Bonté; c'est donc avec le coeur large, par sentiment d'amour, pour mon honneur et le salut des âmes, qu'ils le doivent donner, à leur tour, en toute charité, à toute créature raisonnable qui humblement le demande. Ils ne doivent pas en réclamer le prix, car ils ne l'ont pas acheté; ils l'ont reçu de moi gratuitement, pour le servir aux autres. Mais il leur est permis d'accepter l'aumône qui leur est due par celui qui reçoit le Sacrement, et qui est obligé, quand il le peut, de leur faire une offrande, pour subvenir à leurs nécessités temporelles. C'est à vous qu'il incombe, de nourrir corporellement ceux qui vous dispensent la nourriture spirituelle la grâce, les dons du Saint-Esprit [17], par l'administration des rites sacrés que j'ai institués dans la sainte Eglise pour servir à votre salut. Et je vous fais à savoir, qu'ils vous donnent incomparablement plus que vous ne leur donnez; car aucune comparaison ne peut être établie entre les choses finies et passagères que vous leur procurez, et Moi, le Dieu infini, que, par ma Providence et ma divine Charité, je les ai chargés de vous communiquer. Et cela n'est pas vrai seulement de ce mystère, mais de toute grâce spirituelle, quel qu'elle soit, par quelque créature qu'elle vous soit obtenue, par la prière ou tout autre moyen. Toutes vos richesses temporelles n'égalent pas et jamais ne pourront égaler les dons que vous recevez spirituellement, ni même entrer en comparaison avec eux.
Je te dirai maintenant, que des biens que vous leur offrez, mes ministres doivent faire trois parts la première est pour leurs besoins personnels; la seconde, pour les pauvres; la troisième, ils la consacreront à l'Eglise, pour les choses qui sont nécessaires, seulement: ils m'offenseraient en agissant autrement [18].
 

chapitre 115
De la dignité des prêtres. Comment la vertu des sacrements n'est pas amoindrie par les fautes de ceux qui les administrent ou qui les reçoivent. Et comment Dieu ne veut pas que les Séculiers s'arrogent le droit de les corriger.

Ainsi faisaient mes chers et glorieux ministres, ceux dont je t'ai promis de te faire voir l'excellence personnelle, outre la dignité dont je les ai honorés en faisant d'eux mes christs : car, s'ils exercent dans la vertu cette dignité, ils sont revêtus de ce doux et glorieux Soleil dont je leur ai confié la dispensation. Regarde le doux Grégoire, Sylvestre, et tous ceux qui, avant eux et après eux, ont succédé au Souverain Pontife Pierre, à qui ma Vérité confia les clefs du royaume des cieux par ces paroles : Pierre, je te donne les clefs du royaume des cieux. Ce que tu délieras sur la terre, sera délié dans le ciel, et ce que tu lieras sur la terre, sera lié dans le ciel (Mt 16,19).
Remarque bien, très chère Fille, qu'en te montrant l'excellence de leurs vertus, je te ferai plus pleinement comprendre la dignité à laquelle j'ai élevé mes ministres.
Cette clef du royaume des cieux est celle du Sang [23] de mon Fils unique; c'est par cette clef, que fut ouverte la vie éternelle, qui si longtemps avait été fermée par le péché d'Adam. Quand je vous eus donné ma Vérité, le Verbe mon Fils unique, il souffrit mort et passion et, par sa mort il détruisit votre mort, en vous baignant dans son sang. Ainsi son sang et sa mort, en vertu de la nature divine unie à votre nature humaine, ouvrirent la vie éternelle.
A qui laissa-t-il les clefs de ce Sang? Au glorieux apôtre Pierre et à tous les autres qui sont venus et qui viendront après lui jusqu'au dernier jour du jugement. Tous ont donc et auront la même autorité que Pierre, et aucune de leurs fautes n’ amoindrira cette autorité, ni n'affaiblira la perfection du Sang ou des autres sacrements. Car, je te l'ai déjà dit, aucune tache ne peut ternir ce Soleil, ni sa lumière ne peut être obscurcie par les ténèbres du péché mortel, qui se trouvent en celui qui l'administre ou en celui qui le reçoit. Leur faute ne peut nuire en rien aux sacrements de la sainte Eglise, ni amoindrir leur vertu. Tout ce qu'elle peut, c'est de diminuer la grâce ou d'aggraver la culpabilité, en celui qui les administre et en celui qui les reçoit indignement.
Ainsi, mon Christ sur terre tient les clefs du Sang. S'il t'en souvient bien, je t'ai manifesté cette vérité par une allégorie, lorsque je voulus te faire comprendre, quel respect les séculiers doivent porter à mes ministres, qu'ils soient bons ou mauvais, et combien ils m'offensaient par leurs irrévérences, Je te montrai, tu le sais, le corps mystique de la sainte Eglise, sous la forme d'un cellier qui renfermait le sang de mon Fils unique; c'est ce sang qui fait la valeur de tous les sacrements, qui ne contiennent la vie que par la vertu du Sang.
A la porte de ce cellier était mon Christ en terre, à qui était confiée l'administration du Sang. A lui il appartenait d'établir des ministres, pour l'aider à distribuer ce sang au corps entier de la Religion chrétienne. Celui qui était agréé et sacré par lui était institué ministre, les autres, non. C'est de lui qu'est issue toute la hiérarchie cléricale, et c'est lui, qui assigne à chacun son office, pour la dispensation de ce glorieux sang.
Comme c'est lui qui établit ses auxiliaires dans leurs fonctions, c'est à lui aussi qu'il appartient de les corriger de leurs fautes. Et je veux qu'il en soit ainsi. A raison de l'excellence et de la dignité dont je les ai revêtus, je les ai tirés de la servitude, je veux dire que je les ai affranchis de la domination des princes temporels. La loi civile n'a rien à faire avec eux, elle n'a pas à intervenir pour leur répression. Ils ne relèvent que de celui qui a pouvoir pour gouverner et administrer dans la Loi de Dieu. N'allez pas toucher à mes christs! Le plus grand malheur où puisse tomber un homme, c'est de s'en constituer le justicier [21].
 

chapitre 116
Comment Dieu regarde comme dirigées contre lui-même les persécutions que l'on fait subir à l'Église et à ses ministres. Et comment cette faute est plus grave qu'aucune autre.

Si tu me demandes pourquoi le péché de ceux qui persécutent la sainte Eglise est plus grave que tous les autres, et pour quelle raison, les fautes de mes ministres ne diminuent en rien le respect qu'on leur doit rendre, je te répondrai : Parce que tout le respect qu'on leur témoigne, ce n'est pas à eux qu'il s'adresse, mais à Moi, par la vertu du Sang dont je leur ai confié la dispensation. Sans cela, vous auriez autant de respect pour eux que pour les autres hommes, et rien de plus. C'est à cause de ce ministère qu'ils remplissent, que vous êtes obligés à ce grand respect: c'est à eux qu'il vous faut aller, non pas à eux à cause d'eux, mais à cause de la puissance que je leur ai donnée, si vous voulez recevoir les saints sacrements de l'Eglise; et, si pouvant les recevoir vous ne le vouliez pas, vous mourriez en état de damnation.
Et donc, ce n'est pas à eux, c'est à Moi que va cet hommage de respect, et à ce glorieux Sang qui est une même chose avec Moi, par l'union de la nature [22] divine et de la nature humaine. c'est à Moi que va le respect, c'est à Moi aussi que s'adresse l'irrévérence. Je te l'ai déjà dit, vous ne leur devez pas d'égards particuliers, pour eux-mêmes, mais à cause de l'autorité dont je les ai investis; et, pareillement, en les offensant, ce n'est pas eux qu'on offense, c'est Moi-même. C'est ce que j'ai interdit, par ces mots Ne portez pas la main sur mes christs (Par. 16,22). Non: Je ne le veux pas.
Qu'on ne s'excuse point en disant : " Je ne fais pas injure à la sainte Eglise, je ne me révolte pas contre elle, je n'en ai qu'aux vices des mauvais pasteurs. " Qui parle ainsi ment sur sa tête. Son amour-propre l'aveugle, et l'empêche d'y voir clair, ou plutôt, il voit bien, mais fait semblant de ne pas voir, pour étouffer les reproches de sa conscience. S'il était sincère, il verrait bien, et même, il voit bien que ce ne sont pas les hommes qu'il persécute, mais le Sang de mon Fils. A Moi l'injure, comme à Moi le respect! Et donc à Moi aussi, tous les dommages, tous les mépris, tous les affronts, toutes les opprobres, toutes les réprobations dont mes ministres sont l'objet. Je considère comme fait à Moi-même tout ce qui leur est fait. Je l'ai dit et je le répète : Je ne veux pas que l'on touche à mes christs!-- C'est à Moi seul de les punir.
Les méchants prouvent ainsi leur irrévérence pour le Sang et le peu de prix qu'ils attachent à ce trésor que je leur ai donné, pour le salut et la vie de [23] leurs âmes. Pouvais-je faire davantage que de me donner moi-même, Dieu et homme tout entier, pour être votre nourriture. Mais parce qu'ils n'ont pas su m'honorer moi-même à travers mes ministres, leur respect s'est encore amoindri par les persécutions qu'ils leur ont fait subir, sous prétexte qu'ils découvraient en eux nombreux péchés et maints défauts dont je t'entretiendrai en un autre endroit. Si vraiment ils avaient professé le respect qu'ils me doivent à Moi dans la personne de mes ministres, les défauts de ceux-ci n'eussent point découragé leur hommage, comme ils ne diminuent en rien, je te l'ai dit, la vertu de ce Sacrement. Donc le respect, lui aussi, doit demeurer le même: l'amoindrir, c'est m'offenser moi-même.
Cette offense m'est plus sensible que toutes les autres, et pour plusieurs raisons, dont je te dirai les trois principales.
La première est que, ce qu'on leur fait, c'est à Moi-même qu'on le fait.
La seconde c'est qu'ils transgressent le commandement, que j'ai institué moi-même, de ne pas porter là main sur mes christs, et qu'ils méprisent ainsi la vertu du Sang qu'ils ont reçu dans le saint baptême. Ils ont désobéi, en faisant ce qui était défendu, et ils se sont insurgés contre ce Sang, en lui manquant de respect, par une grave persécution. Ils sont donc comme des membres putrides, retranchés du corps mystique de la sainte Eglise, et s'ils s'obstinent dans leur révolte, s'ils meurent dans leur mépris, ils encourront la damnation éternelle. Au [24]
dernier moment, il est vrai, s'ils s'humilient en reconnaissant leur faute, s'ils veulent se réconcilier avec leur chef et qu'ils ne le puissent pas, ils recevront miséricorde ! Soit ! Ce n'est pas une raison, cependant, d'attendre ce dernier instant, car ils ne sont pas sûrs d'en pouvoir disposer.
La troisième raison, qui fait que leur faute est plus grave que toutes les autres, c'est que ce péché est voulu par malice, avec préméditation. Ils savent bien, qu'en bonne conscience, ils ne peuvent pas ainsi outrager mes ministres. Et ils le font quand même, ils m'offensent par perversité d'orgueil, sans entraînement de la chair. Ils ruinent ainsi leur âme et leur corps. L'âme est ruinée par la perte de la grâce, et souvent elle est rongée par le ver de la conscience. Leurs biens corporels, ils les gaspillent au service du démon, et leurs corps périssent enfin comme des animaux.
Ainsi donc ce péché est commis directement contre Moi, sans intérêt personnel, sans jouissance sensuelle, uniquement par malice et par orgueil. Cet orgueil a sa source dans l'amour-propre sensitif, et dans cette crainte coupable qu'eut Pilate lorsque, par peur de perdre son pouvoir, il mit à mort le Christ mon Fils unique. Ainsi font toujours ceux qui portent la main sur mes ministres. Tous les autres péchés sont commis ou par simplicité, ou par ignorance, ou même par malice, quand on sait que l'on fait mal, mais c'est à cause de la jouissance désordonnée, ou du plaisir, ou de l'intérêt personnel, que l'on se procure par le péché [25] lui-même. Ces péchés sont nuisibles à l'âme, ils m'offensent ainsi que le prochain: ils m'offensent parce qu'ils me privent de l'honneur et de la gloire auxquels j'ai droit, ils offensent le prochain en le privant de l'amour de la charité. Mais ils ne m'atteignent pas extérieurement, ils ne sont pas dirigés contre Moi, et spécialement contre Moi, bien qu'ils soient préjudiciables à l'âme et me déplaisent à cause de sa perte. Tandis que cette offense dont je me plains, c'est à Moi qu'elle s'adresse, et immédiatement. Les autres péchés se couvrent de quelque prétexte; on les commet sous couleur de quel que bien; ils ne sont pas dirigés immédiatement contre Moi; car je t'ai dit, tout vice et toute vertu s'exercent à l'égard du prochain, le péché se commet, par manque de charité envers Moi, votre Dieu, et envers le prochain, et la vertu opère par l'amour même de la charité. C'est en offensant le prochain, et en quelque sorte par son intermédiaire, que l'on m'offense.
Mais parce que, parmi mes créatures raisonnables, j'ai élu mes ministres, qui sont mes oints, comme je te l'ai dit, les dispensateurs du corps et du sang de mon Fils unique, de votre chair humaine unie avec ma nature divine, quand ils consacrent, ils représentent la personne même du Christ mon Fils.
Tu le vois donc bien, c'est à mon Verbe que cette injure est faite. En l'atteignant, elle m'atteint du même coup, puisque nous sommes Un. Les malheureux! Ils persécutent le Sang, et ils se privent du trésor qui est le fruit du Sang  [26] !
C'est pourquoi, elle m'est plus sensible que toute autre, cette offense qui s'adresse non pas à mes ministres, mais à Moi. Je n'estime pas comme leur appartenant en propre ni l'honneur, ni la persécution: c'est Moi qu'ils visent, c'est-à-dire ce glorieux Sang de mon Fils qui est Un avec moi. Aussi je t'assure, que si tous les autres péchés commis jusqu'à ce jour étaient dans un plateau, et celui-là dans l'autre, c'est celui-là qui pèserait davantage dans la balance de ma Justice, pour les raisons que je t'ai exposées.
Si je t'ai révélé tout cela, c'est pour que tu aies sujet de t'attrister davantage, de l'injure qui m'est faite et de la perte de ces malheureux; c'est afin que par la douleur et par l'amertume de ton âme et de mes autres serviteurs, par ma Bonté et ma Miséricorde, soient dissipées les ténèbres qui pèsent sur les membres corrompus, séparés du corps mystique de la sainte Eglise.
Je ne trouve presque plus personne qui gémisse de la persécution que l'on fait subir à ce glorieux et précieux Sang. Mais combien n'en rencontré-je pas, qui sans cesse me frappent des flèches de leur amour désordonné, de leur crainte servile, de leur propre estime! Aveugles qu'ils sont, ils se font un honneur de ce qui est leur honte, ils jugent honte ce qui serait leur honneur, je veux dire s'humilier devant leur chef. Voilà les vices qui les ont faits s'insurger pour persécuter le Sang [27]
 

chapitre 117
Où l'on parle de ceux qui, de différentes manières, persécutent l'Église et les ministres.

Ils me frappent, t'ai-je dit, et c'est la vérité. Dans leur intention, du moins, autant qu'il est en leur pouvoir, ils m'accablent de leurs coups. Non que certes j'en puisse ressentir aucune blessure je suis comme le rocher, qui ne peut être entamé par les coups, et qui renvoie le choc à celui qui le frappe. Ainsi en est-il de leurs offenses. Ils essayent bien d'en jeter l'affront jusqu'à Moi: ils ne peuvent m'atteindre. La flèche empoisonnée de leur faute retombe sur eux, et c'est eux qu'elle blesse en leur faisant perdre, en cette vie, la grâce qui est le fruit du Sang. Et, au dernier moment, s'ils ne se convertissent, par une sainte confession accompagnée de contrition du coeur, ils tomberont dans l'éternelle damnation: ils seront séparés de Moi et liés au démon ; car c'est avec lui qu'ils ont fait alliance.
Dès que l'âme, en effet, est privée de la grâce, elle est prise dans les liens du péché, ces liens qui sont la haine de la vertu et l'amour du vice. Cette chaîne, c'est leur libre arbitre qui l'a mise aux mains du démon, et c'est par elle qu'il les tient [28] : Ils ne seraient pas ainsi enchaînés, s'ils ne l'avaient voulu. Ce lien unit ensemble tous les persécuteurs du Sang, et c'est comme membres du démon, qu'ils font ainsi l'office des démons.
Les démons s'ingénient à pervertir mes créatures, à les détourner de la grâce, à les faire tomber dans le péché mortel, afin de les amener à partager avec eux, leur malheureux sort. C'est à cette oeuvre aussi que s'emploient les misérables qui sont devenus membres du démon ; ils s'essayent à séduire les enfants de l'Epouse du Christ, mon Fils unique, en brisant les liens de la charité qui les unissent, et après les avoir ainsi privés du fruit du Sang, ils !es chargent des mêmes chaînes qu'ils portent eux-mêmes, chaînes de l'orgueil, chaînes de la présomption, chaînes de la crainte servile. C'est par crainte d'être dépouillés de leur puissance temporelle, qu'ils perdent ainsi la grâce et qu'ils acceptent la pire honte qu'ils puissent encourir, qui est d'être privés de la dignité du Sang. Cette chaîne est scellée avec le sceau des ténèbres : car ils ont perdu le sens de l'immense malheur et de la profonde misère dans lesquels ils sont tombés et font tomber les autres. N'en ayant plus conscience, comment pourraient-ils se corriger? Dans leur aveuglement, ne vont-ls pas jusqu'à se glorifier de la ruine de leur âme et de leur corps!
O fille très chère, que ton affliction soit sans mesure, au spectacle d'un pareil aveuglement et d'une telle misère! Pense que ces malheureux ont été purifiés, comme toi, dans le Sang, qu'ils ont été [29] nourris du Sang, qu'ils ont grandi par la vertu du Sang, sur le giron de la sainte Eglise, et aujourd'hui les voilà! La crainte a fait d'eux des révoltés! Sous le prétexte de redresser les fautes de mes ministres, que j'ai déclarés inviolables, que je leur ai défendu de toucher, ils se sont séparés du sein de leur Mère. Quelle terreur ne doit pas être la tienne et celle de mes serviteurs en entendant rappeler cette misérable alliance! Ta langue ne pourrait dire combien elle est abominable à mes yeux. Le pire, c'est que sous le manteau des fautes de mes ministres, ils essayent de cacher leurs propres iniquités! Ils oublient qu'il n'est de manteau si épais que ne perce mon regard. Ils peuvent bien se dérober aux yeux des créatures, non aux miens : rien ne m'est caché, tout m'est présent. Que pourriez-vous me cacher à Moi, qui vous aimai et vous connus, avant même que vous ne fussiez?
C'est là une des raisons, pour lesquelles ces infortunés mondains ne se convertissent pas. Privés qu'ils sont de cette lumière de la Foi vivante, ils ne croient pas vraiment que je les voie! S'ils croyaient en vérité que je connais leurs crimes, que chaque faute est punie, comme toute bonne action récompensée, ils ne commettraient pas tant de péchés, ils se repentiraient de ceux qu'ils ont commis, ils imploreraient humblement ma miséricorde! Et Moi, par la vertu du sang de mon Fils, je leur accorderais mon pardon. Mais ils s'obstinent dans le mal; ils appellent sur eux, par leurs fautes, la réprobation de ma Bonté; ils se sont précipités dans [30] la dernière ruine, en se privant de la lumière, et les voilà, ces aveugles, qui se sont mis à persécuter le Sang! - Eh bien! à cette persécution, aucune faute, dans les ministres du Sang, ne peut servir d'excuse [31].
 
 

chapitre 118
Bref résumé de ce qui a été dit sur l'Église et sur les ministres.

Je t'ai dit, ma très chère fille, quelque chose du respect que l'on doit témoigner à mes oints, malgré leurs défauts. Ces marques de révérence qu'on a pour eux, ne leur sont pas dues à cause de leur personne, mais à raison de l'autorité qu'ils tiennent de Moi. Leurs défauts ne peuvent en rien affaiblir ou diviser le mystère du Sacrement. Ils ne doivent donc pas diminuer non plus, les hommages qu'on leur doit, non pour eux-mêmes, encore une fois, mais pour le trésor du Sang dont ils ont la garde.
Quant à ceux qui en agissent autrement, je t'ai dit bien peu, en regard de la réalité, de l'indignation que j'en éprouve et du tort que leur fait à eux-mêmes l'inconcevable mépris et la persécution du Sang, comme aussi cette alliance conclue entre eux contre Moi, par laquelle ils se consacrent au Service du démon.
Cette confidence est faite pour provoquer en toi la douleur de ce crime, dont je t'ai entretenue particulièrement le crime de ceux qui persécutent la sainte Eglise. J'appelle aussi ton attention. en général, [32] sur tous les chrétiens qui sont en péché mortel, et qui, par là même, méprisent le Sang, en se privant de la vie de la grâce. Tous m'outragent, mais bien plus grave. est la faute de ceux dont je t'ai parlé spécialement [33].
 
 

chapitre 119
De l'excellence des vertus, et des oeuvres saintes des ministres vertueux et saints. Comment ils ont la propriété du soleil,et comment ils corrigent ceux qui leur sont soumis.

Pour procurer à ton âme un peu de consolation et adoucir la douleur que tu éprouves des ténèbres de ces malheureux pêcheurs, je vais te parler maintenant de la vie sainte de mes ministres, qui ont, je te l'ai dit, les qualités du soleil. Le parfum de leur vertu corrige l'infection du péché, et leur lumière éclaire les ténèbres du vice. Aussi bien, par cette lumière, pourras-tu mieux comprendre les ténèbres et les fautes de mes mauvais ministres.
Ouvre donc l'oeil de ton intelligence et fixe-le en Moi, le Soleil de justice ! Tu y verras que mes glorieux ministres qui ont administré le Soleil, ont pris, dans ce service, la condition du soleil. Ce que je t'ai exposé de Pierre, le Prince des apôtres, qui reçut les clefs du royaume des cieux, je le dis pareillement des autres, qui, dans ce jardin de la sainte Eglise, ont distribué la lumière, le corps et le sang de mon Fils unique, - Soleil toujours uni à Moi et jamais séparé de Moi, comme il a été dit, - avec tous les sacrements de la sainte Eglise, qui [34] n'ont de valeur et ne donnent la vie qu'en vertu du Sang.
Tous, à des degrés divers, et chacun selon son état, ont pouvoir de Moi de distribuer la grâce de l'Esprit-Saint.
Et par quel moyen répandent-ils la grâce? Par la lumière de la grâce qu'ils ont tirée de la vraie Lumière.
Cette lumière est-elle seule? Non la lumière de la grâce ne peut être seule ni être divisée, on l'a tout entière ou on ne l'a pas du tout.
Celui qui est en péché mortel est privé de la lumière de la grâce, et qui a la grâce possède dans son intelligence la lumière qu'il faut pour me connaître Moi qui lui ai donné la grâce et la vertu qui conserve la grâce. Par cette lumière, il connaît également la misère du péché et la cause du péché, qui est l'amour-propre sensitif. Aussi est-il pris de haine pour cet égoïste amour, et par cette haine il reçoit dans sa volonté la chaleur de la divine Charité, car la volonté accompagne l'intelligence. Il reçoit la couleur de cette glorieuse lumière, en suivant la doctrine de ma douce Vérité, qui remplit sa mémoire du souvenir des bienfaits du sang.
Tu le vois, l'on ne peut recevoir la lumière sans bénéficier en même temps de la chaleur et de la couleur, parce qu'elles sont unies ensemble et ne font qu'une même chose. Pareillement, je te l'ai expliqué, l'âme ne peut diriger vers moi le vrai Soleil, une de ses puissances, sans que, du même [35] coup, toutes les trois se trouvent réunies et assemblées en mon nom. Quand l'oeil de l'intelligence, éclairé de la lumière de la Foi, s'élève au-dessus des visions sensibles, pour regarder en Moi, il entraîne après lui la volonté qui apporte son amour à ce que l'intelligence voit et contemple, et la mémoire se remplit toute de l'objet aimé. Dès que les puissances sont ainsi disposées, l'âme me participe Moi le Soleil. Je l'illumine de ma Puissance, de la Sagesse de mon Fils unique, et je l'embrasse de la Clémence du Saint-Esprit.
Dès lors, mes serviteurs ont revêtu la condition du Soleil, leurs puissances sont toutes remplies de moi le vrai Soleil, et ils font fonction de soleil.
Le soleil échauffe, il éclaire, et sa chaleur féconde la terre. Et que font donc mes chers ministres?
Elus par moi, Oints par moi, placés par moi dans le corps mystique de la sainte Eglise pour la dispensation du Soleil qui est Moi-Même, pour distribuer le corps et le sang de mon Fils unique avec les autres sacrements qui contiennent la vie par la vertu du Sang, ils les administrent extérieurement, et ils les administrent spirituellement. Je veux dire qu'ils répandent dans le corps mystique de la Sainte Eglise la lumière qui est en eux : lumière de science surnaturelle, jointe à la couleur d'une vie honnête et sainte, conforme à la doctrine de mn Vérité, et rayonnent la chaleur de la plus ardente charité. La chaleur de leur charité met en fermentation les âmes stériles; leur science les éclaire de sa lumière; et l'exemple de leur vie [36] réglée et sainte achève de dissiper les ténèbres des nombreux péchés mortels et de toutes les infidélités! Ils ramènent à ma discipline ceux qui, en dehors de toute loi, vivaient dans la nuit du péché et dans le froid de la mort par la privation de la grâce. N'est-il donc pas vrai qu'ils sont des soleils, puisqu'ils ont la propriété du soleil, de par moi le vrai Soleil, après que, par sentiment d'amour, ils sont devenus une même chose avec moi, et moi avec eux, comme je te l'ai exposé en un autre endroit!
Tous, et chacun selon la fonction pour laquelle je l'ai élu, ont répandu dans l'Eglise la lumière. Pierre par la prédication, par la doctrine, et enfin par le sang; Grégoire, par la science, par la sainte Ecriture, par le miroir de sa vie; Silvestre, par la lutte contre les infidèles, principalement par la discussion, par les preuves qu'il a données de la très sainte Foi, tant en actes qu'en paroles, par la vertu qu'il avait reçue de moi.
Que si tu regardes Augustin, le glorieux Thomas, Jérôme, et tant d'autres, tu verras quels torrents de lumière ils ont versé sur cette Epouse, en extirpant les erreurs vrais flambeaux posés sur le chandelier, et pourtant si vraiment, si parfaitement humbles! Tout affamés de mon honneur et du salut des âmes, ils mangeaient cette nourriture avec délices, à la table de la très sainte Croix.
Et les martyrs, avec leur sang! Le parfum de ce sang montait jusqu'à Moi! Par le parfum de leur sang et de leur vertu, joint à la lumière de la [37] science, ils faisaient fructifier l'Epouse, ils dilataient la foi; ceux qui étaient dans les ténèbres accouraient à la lumière qui rayonnait d'eux.
Et les prélats institués dans l'état de la prélature par mon Christ de la terre! Comme par la sainteté et l’honnêteté de leur vie, ils m'offraient le sacrifice de justice! Cette perle précieuse de la justice, enchâssée dans une véritable humilité et une très ardente charité, comme elle brillait en eux et dans ceux qui leur étaient soumis, à la lumière du sens chrétien!
En eux surtout, qu'elle était éclatante cette justice! Comme ils me rendaient bien ce qui m'est dû! Comme ils entouraient mon nom d'honneur et de gloire! Pour eux, ils n'avaient que haine, que mépris pour leur propre sensualité. Le vice, ils l'avaient en horreur, et ils s'attachaient à la vertu de toute l'ardeur de leur charité pour Moi et pour leur prochain. Leur humilité foulait aux pieds l'orgueil. C'est comme des anges qu'ils montaient à la table de l'autel, la pureté dans le coeur, sans souillure dans leur corps, et, dans la pleine sincérité de leur âme, ils célébraient le sacrifice, tout embrasés du feu de la charité.
Parce qu'ils avaient tout d'abord établi la justice en eux-mêmes et dans leur vie, ils la faisaient aussi régner dans ceux qui leur étaient Soumis. Ils voulaient les voir vivre saintement et les corrigeaient sans crainte servile, parce qu'ils s'oubliaient eux-mêmes pour ne penser qu'à mon honneur et au salut des âmes. O les bons pasteurs! Comme ils [39] suivaient vraiment le bon Pasteur, ma Vérité, que je vous ai donnée pour vous conduire, mes chères brebis, en lui imposant de donner sa vie pour vous! Ils ont bien suivi ses traces, ils ont bien corrigé à temps, ils n'ont pas laissé les membres se corrompre, faute de soins; ils ont mis leur charité, non seulement à les redresser avec onction de la douce bonté, mais aussi à porter le feu daîis la plaie, quand c'était nécessaire, par la réprimande, par la pénitence plus ou moins sévère, suivant la gravité de la faute. Et dans cet office de droiture et de vérité, jamais ils ne se laissèrent arrêter par la crainte de la mort.
Ils étaient, ceux-là, de vrais jardiniers! C'est avec zèle, avec une sainte crainte, qu'ils arrachaient les épines des péchés mortels, pour planter à leur place les fleurs parfumées des vertus. Aussi leurs sujets vivaient-ils dans une sainte crainte, et s'élevaient comme des fleurs odoriférantes dans le jardin de la sainte Eglise, parce qu’ils les corrigeaient sans la crainte servile qu'ils ne connaissaient pas. Exempts eux-mêmes de péché, ils étaient tout zèle pour la sainte justice, reprenant humblement, mais sans peur aucune. En eux brillait vraiment cette pierre précieuse; l'éclat qu'elle répandait, versait la paix avec la lumière dans les âmes de mes créatures, et les maintenait dans la sainte crainte et dans l'union des coeurs. S'il y a tant d'obscurité dans le monde, sache-le bien, tant de division entre séculiers et religieux, entre clercs et prélats de la sainte Eglise, l'unique raison en est, que la lumière de la justice [39] s'est éteinte, et que dès lors les ténèbres de l'injustice ont enveloppé la terre.
Quelque situation que l'on occupe dans la loi civile on dans la loi divine, on ne peut s'y maintenir en état de grâce, sans la sainte justice. Celui qui n'est pas corrigé ou ne corrige pas, est comme un membre qui commence à pourrir, et sur lequel le mauvais médecin se contente d'appliquer un emplâtre, sans cautériser la plaie le corps tout entier ne tarde pas à être empoisonné et à se corrompre. Il en est ainsi des prélats et des autres supérieurs, qui voient leur sujet infecté de cette plaie purulente du péché mortel; s'ils se contentent d'employer l'onguent de la flatterie sans recourir à la réprimande, ils ne guériront jamais le membre malade; la contagion gagnera les autres membres, unis au premier dans un même corps, sous un même Pasteur.
S'ils étaient, au contraire, de vrais et bons médecins des âmes, comme l'étaient ces glorieux pasteurs, ils n'emploieraient l'onguent, qu'après avoir cautérisé la plaie, par le feu de la réprimande. Si ce sujet s'obstinait dans le vice, ils le retrancheraient de la Congrégation, pour qu'il ne contaminât pas les autres, par l'infection du péché mortel. Aujourd'hui, ils se gardent bien d'en agir ainsi! Ils font plutôt semblant de ne rien voir.
Sais-tu pourquoi? La racine de l'amour-propre vit en eux et produit ce mauvais rejeton de la crainte servile! Ils ont peur de perdre leur position, ou de se priver de quelques ressources temporelles, [40] ou de se voir enlever leur prélature! - Et ils se taisent.
O les aveugles, qui ne savent pas comment l'on se maintient dans son état! Ils ne voient pas que la grande force de conservation, c'est la sainte justice Comme ils s'emploieraient à la faire observer s'ils le savaient comprendre! Mais ils semblent bien l'ignorer, privés qu'ils sont de la lumière.
C'est par l'injustice qu'ils croient se conserver, en ne reprenant pas les manquements de leurs sujets. Mais aussi, c'est leur propre passion sensitive qui les abuse, c'est l'ambition du pouvoir, c'est le désir de la Prélature; et c'est encore qu'ils sentent en eux les mêmes vices, ou de plus grands encore. Comment, dès lors, les reprendre dans les autres? La conscience de leur propre faute leur ôte le courage et la fermeté qui leur seraient nécessaires: elle les livre à la crainte servile, et ils font semblant de ne pas voir. Ne peuvent-ils fermer les yeux, ils se laissent encore arrêter, dans le devoir de la réprimande, par les paroles flatteuses, par les nombreux présents. Dès lors, ils trouvent d'eux-mêmes mille excuses pour ne pas sévir. Ils n'ont fait pourtant que réaliser la parole de ma Vérité Ce sont des aveugles conduisant des aveugles. Quand un aveugle en conduit un autre, c'est bus les deux à la fois qu'ils tombent dans le fossé 4 (Mt 15,14).
Certes, ce n'est pas ainsi que faisaient, - et que font encore aujourd'hui, s'il en reste quelques-uns, mes chers ministres, dont je t'ai dit, qu'ils avaient les propriétés et la condition du soleil. Et vraiment, ils sont des soleils ! En eux, nulles ténèbres de péchés, en eux pas d'ignorance; car ils suivent la doctrine de ma Vérité. En eux point de tiédeur, car ils sont embrasés du feu de ma charité. Grandeurs, situations, plaisirs du monde, tout ne leur est rien; aussi n'ont-ils pas peur de corriger le vice. Qui n'a pas l'ambition de la puissance ou de la prélature, ne craint point de les perdre et reprend avec vigueur. Celui dont la conscience est sans reproche, n'a peur de rien.
Aussi n'était-elle point obscurcie dans mes oints, dans mes christs, cette perle précieuse de la Justice! Elle y brillait au contraire avec éclat. Ils embrassaient la pauvreté volontaire; ils cherchaient l'abaissement avec une humilité profonde, sans souci des railleries, des affronts, des calomnies, des injures, des opprobres, des peines et des tourments des hommes. Blasphémait-on contre eux, ils bénissaient et acceptaient tout avec une véritable patience, comme des anges de la terre, et plus que des anges, - non par nature, mais par fonction par le don surnaturel qui leur avait été fait, de distribuer le corps et le sang de mon Fils unique.
Et, en vérité, ils sont des anges. L'ange que j'ai proposé à votre garde, vous communique les bonnes et saintes inspirations. Eh bien mes ministres, eux aussi, étaient des anges. C'est ma Bonté qui leur avait confié votre garde. Sans cesse, ils avaient l'oeil sur les âmes qui leur étaient soumises [42], pour leur inspirer, en gardiens fidèles, de bonnes et saintes pensées ; sans cesse, ils m'offraient pour elles, en leurs oraisons continuelles, les doux désirs de leur charité; sans cesse, ils les soutenaient par l'enseignement de la parole, ou par l'exemple de leur vie.
Ils sont donc bien, tu le vois, des anges, messagers de ma Charité, préposés à votre garde, vrais luminaires dans le corps mystique de la sainte Eglise, guides sûrs, capables de vous conduire, vous les aveugles, dans la voie de la Vérité, par les bonnes pensées qu'ils vous inspirent, par leurs prières, par l'exemple de leur vie, par l'enseignement, ainsi qu'il a été dit.
Avec quelle humilité ils gouvernaient et conservaient ceux dont ils avaient la charge! En eux quelle espérance et quelle foi vivante ! Ils n'auraient pas craint de voir les biens temporels manquer pour eux et leur troupeau! Aussi, avec quelle largesse, distribuaient-ils aux pauvres les richesses de la sainte Eglise! Avec quelle rigueur ils observaient l'obligation de faire trois parts du temporel, pour leurs besoins, pour les pauvres et pour l'Eglise, Ils n'avaient point à prendre de dispositions testamentaires ils ne laissaient point de fortune après leur mort. Quelques-uns même avaient pour les pauvres endetté l’Eglise. Si large était leur charité, si ferme leur espérance dans ma divine Providence, que la crainte servile n'avait sur eux nulle prise. Ce n'est pas eux qui auraient [43] en peur de manquer, si peu que ce soit, du temporel ou du spirituel.
C'est là, en effet, le signe que la créature espère en Moi et non en elle-même n'avoir pas de crainte servile. Ceux qui ont placé en eux-mêmes leur espérance, craignent toujours. Ils ont peur de leur ombre; ils se demandent sans cesse, si le ciel et la terre ne vont pas leur manquer. Avec cette crainte au fond du coeur, et la fausse espérance qu'ils ont mise en leur petite science, ils sont tourmentés d'une sollicitude misérable, pour assurer ou conserver les choses temporelles. Quant aux spirituelles, l'on croirait qu'ils les ont rejetées par derrière leurs épaules; on ne trouve plus personne qui en ait souci.
Ils ne pensent pas, ces pauvres ministres orgueilleux et sans foi, que c'est Moi qui suis Celui qui pourvoit, en tout et pour tout, aux nécessités de l'âme et du corps, bien que ma Providence mesure son assistance, à l'espérance que vous avez en elle. Dans leur présomption, ils ne considèrent pas, les malheureux, que je suis Celui qui suis, qu’ils sont, eux, ceux qui ne sont pas, et que leur être ils le tiennent de ma Bonté, comme aussi toute grâce ajoutée à leur être.
C'est donc bien en vain, que se fatigue celui qui veille sur la cité, si je ne la garde pas moi-même. Tous ses efforts seront inutiles, toute sa vigilance sera en défaut, s'il ne s'en remet qu'à lui seul, du soin de la protéger : car c'est Moi, et Moi seul, qui la protège. Je veux, il est vrai, que l'être et les grâces que je vous ai donnés, vous les fassiez fructifier, dans la vertu, pendant cette vie, par l'exercice de votre libre arbitre, que vous avez reçu avec la lumière de la raison. Car, je vous ai bien créés sans vous, mais je ne vous Sauverai pas sans vous.
Vous n'étiez pas encore que déjà je vous aimais! Ils le voyaient bien, ils le Savaient bien, mes bien-aimés ! Aussi m'aimaient-ils ineffablement ! Cet amour qu'ils avaient pour Moi, leur inspirait une si large espérance, qu'ils ne craignaient plus rien. Il ne tremblait pas, Silvestre, quand il comparut devant l'empereur Constantin, pour disputer avec douze Juifs, en présence de tout le peuple. Il avait la foi vivante; et donc il croyait, que, m'ayant avec lui, nul ne pourrait prévaloir contre lui. Et les autres, de même. Ils perdaient toute crainte, par l'assurance qu'ils avaient de n'être pas seuls ils se sentaient accompagnés. En demeurant dans ma charité, ils demeuraient en Moi, et de moi ils recevaient la lumière de la Sagesse de mon Fils; de moi, ils recevaient la puissance, pour rester inébranlables et forts devant les princes et les tyrans du monde; de moi encore ils recevaient le feu de l'Esprit-Saint en participant à sa clémence et à son ardent amour. Et cet amour avait, il a toujours pour cortège dans quiconque le veut participer, la lumière de la foi, l'espérance, la force, la vraie patience, l'infatigable persévérance, jusqu'au dernier instant de la mort. Ils n'étaient donc pas seuls, tu le vois, ils étaient bien accompagnés ; voilà pourquoi ils n'avaient pas [45] peur. Il n'est pour avoir peur, que celui qui se sent seul, et qui n'espère qu'en lui, privé qu'il est de l'amour de la charité. La moindre menace l'épouvante. Il est seul sans moi, qui donne à l'âme, qui me possède par affection d'amour, une sécurité souveraine. N'ont-ils pas prouvé, ces glorieux et chers élus, qu'aucune menace n'avait de prise sur leur âme? Ne les a-t-on pas vus maintes fois, châtier les hommes et les démons, qu'ils enchaînaient par le pouvoir et la vertu que je leur avais donnés sur eux, pour répondre à leur amour, à leur foi et à l'espérance qu'ils avaient mis en Moi.
Ta langue serait impuissante à raconter leurs vertus; l'oeil de ton intelligence ne saurait voir la récompense qu'ils en ont reçu dans la vie durable, et que recevra quiconque marchera sur leurs traces. Ils sont devant moi comme des pierres précieuses, parce que j'ai eu pour agréables leurs travaux et la lumière qu'ils répandirent avec le parfum de leurs vertus dans le corps mystique de la sainte Eglise. Voilà pourquoi, je leur ai conféré une très haute dignité dans la vie éternelle, où ils possèdent la béatitude et la gloire dans ma vision, après avoir donné l'exemple d'une vie d'honneur et de sainteté, et distribué avec éclat la lumière du corps et du sang de mon Fils unique, et tous les autres sacrements.
Aussi c'est d'un amour tout à fait à part que je les aime, tant à cause de cette dignité à laquelle je les ai élevés en faisant d'eux mes oints, mes ministres, qu'à cause du zèle qu'ils ont déployé pour [46] ne pas laisser enfoui, dans l'ignorance et la négligence, le trésor confié à leurs mains. Ils ont reconnu que c'était de Moi qu'ils le tenaient, et ils ont apporté à le faire valoir toute leur sollicitude, une profonde humilité, de vraies et réelles vertus. Comme c'était pour le salut des âmes, que je les avais mis en si grand honneur, ils ont travaillé sans relâche, ces bons pasteurs, â ramener les brebis dans le bercail de la sainte Eglise. Par amour, affamés qu'ils étaient des âmes, ils affrontaient la mort pour les arracher aux mains du démon. Ils étaient faibles, je veux dire qu'ils se faisaient faibles avec ceux qui étaient faibles. Que de fois, pour ne pas accabler le désespoir du prochain, et le mettre plus à l'aise pour découvrir son infirmité, ils faisaient semblant de la partager. Je suis faible comme vous, disaient-ils, tout comme vous. Pleurant avec ceux qui pleuraient, ils se réjouissaient avec ceux qui étaient dans la joie, et savaient ainsi distribuer à chacun, la nourriture qui lui convenait. Ils conservaient les bons, et leurs vertus les remplissaient d'allégresse car ils n'étaient pas dévorés par l'envie, et leur coeur se dilatait dans la plénitude, par la charité qu'ils avaient pour le prochain et pour ceux surtout dont ils avaient la charge. Quant aux pécheurs, ils les retiraient de leur iniquité, en se faisant avec eux et pour eux infirmes et pécheurs, par une véritable et sainte compassion, et ils les corrigeaient de leurs fautes par la pénitence, que souvent, par charité ils partageaient avec eux. L'amour qu'ils [47] avaient pour les pécheurs était tel, qu'ils avaient plus de peine de la pénitence qu'ils imposaient, que ceux-là mêmes qui la recevaient; parfois même, ils l'accomplissaient réellement, surtout s'ils s'apercevaient qu'elle répugnait trop au pénitent. Par ce moyen la rigueur était changée en douceur.
O mes bien-aimés De prélats qu'ils étaient, ils se faisaient sujets ! Eux les seigneurs, ils se faisaient serviteurs. Ils se faisaient infirmes, eux qui étaient sains, exempts d'infirmités, purs dela lèpre du péché mortel. Forts ils étaient, et ils se faisaient débiles. Ils se faisaient simples, avec les simples et les idiots, petits avec les petits, et ils savaient ainsi, par humilité et charité, se proportionner à tous et fournir à chacun la nourriture dont il avait besoin.
Qui donc les faisait agir de la sorte? La faim et le désir qu'ils avaient conçu en moi, de mon honneur et du salut des âmes. Ils accouraient à la table de la très sainte Croix pour y manger cet aliment ils ne fuyaient aucun labeur, ils ne refusaient aucune fatigue. Pleins de zèle pour les âmes, pour le bien de la sainte Eglise, pour l'expansion de la sainte Foi, ils se jetaient d'eux-mêmes au milieu des épines de la tribulation, et s'exposaient à tous les périls avec une véritable patience, faisant monter vers moi, l'encens parfumé de leurs désirs pleins d'angoisse et de leur humble et continuelle prière. Ils oignaient de leurs larmes et de leurs sueurs les plaies du prochain, ces plaies du péché mortel, et rendaient aux pécheurs la santé parfaite, si ceux-ci recevaient humblement ce précieux baume [48].
 
 

chapitre 120
Résumé du chapitre précédent, et du respect que l'on doit aux prêtres, qu'ils soient bons ou mauvais.

Je t'ai montré, ma très chère fille, comme un reflet de l'excellence de mes ministres. Je dis un reflet, en comparaison de ce qu'elle est en réalité. Je t'ai exposé la dignité dont je les ai revêtus, en les choisissant pour en faire mes ministres. A cause de cette autorité et de cette dignité dont je les ai investis, je ne veux pas, pour quelque faute que ce soit, que les séculiers portent la main sur eux. Eu touchant à mes prêtres, ils m'offensent misérablement.
Je veux, au contraire, qu'ils aient pour eux, tout le respect qui leur est dû, non à cause d'eux, comme je t'ai dit, mais à cause de Moi, à raison de l'autorité que je leur ai donnée.
Ce respect ne doit donc jamais diminuer, alors même que leur vertu serait amoindrie, parce qu'ils sont toujours, de par Moi, les ministres du Soleil, les dispensateurs du corps et du sang de mon Fils et des autres sacrements.
Cette dignité appartient aux mauvais comme aux bons. Tous sont investis des mêmes fonctions. Mais [49] les parfaits, ainsi que je te l'ai exposé, ont les propriétés du soleil ; ils illuminent et réchauffent leur prochain par l'amour de la charité. Par cette chaleur, ils font germer et fructifier les vertus, dans les âmes qui leur sont confiées. Ils sont aussi des anges, préposés par moi à votre garde, pour vous préserver du mal et suggérer à vos coeurs de bonnes inspirations, par leurs saintes prières, par leur enseignement, par l'exemple de leur vie, et en même temps pour vous servir et vous administrer les saints sacrements, comme fait l'ange qui vous garde et vous inspire de bonnes et saintes pensées.
Tu vois donc qu'outre la dignité que je leur ai conférée, ils sont aussi dignes de votre amour, parce qu'ils sont ornés de toutes les vertus, que tous d'ailleurs, sont tenus de posséder. Quel respect ne devez-vous donc pas avoir pour ces fils d'élection, qui sont un seul Soleil avec moi par leurs vertus, dans le corps mystique de la sainte Eglise. si tout homme vertueux est digne d'amour, combien plus ceux-ci, à raison du ministère que je leur ai confié! Vous les devez donc aimer à un double titre: à cause de leurs vertus et à cause de la dignité du Sacrement. Quant à ceux qui vivent mal, vous devez haïr leurs péchés, mais je ne veux pas que vous vous fassiez leurs juges. Ils sont mes christs, et vous devez aimer et vénérer l'autorité qu'ils tiennent de Moi.
Si un homme, crasseux et mal vêtu, vous apportait un grand trésor qui vous rendrait la vie, sans aucun doute, par amour du trésor, et aussi du seigneur [50] qui l'envoie, vous feriez bon accueil au commissionnaire, nonobstant sa crasse et ses haillons. Son extérieur vous déplairait bien, mais, vous vous emploieriez, par amour pour son seigneur, à le laver et à l'habiller de neuf. C'est votre devoir d'en agir ainsi, suivant l'ordre de la charité, et je veux que vous traitiez de cette manière, mes ministres dont la vie est trop peu réglée. Malgré leur impureté et leurs vêtements en lambeaux, déchirés par tous les vices, depuis qu'ils sont séparés de ma charité, ils ne laissent pas que de vous apporter de grands trésors, par les Sacrements de la sainte Eglise, où vous puisez la vie de la grâce, si vous en approchez dignement. Vous devez donc les honorer, quels que soient leurs défauts, pour l'amour de moi, le Dieu éternel, qui vous les envoie, et par amour de la vie de la grâce, que vous trouvez dans ce trésor, qui contient le Dieu-Homme tout entier, le corps et le sang de mon Fils, unis à ma nature divine. Votre devoir est de déplorer et de détester leurs fautes, et de vous employer avec charité, par la sainte prière, à leur procurer un habit neuf, et à laver dans vos larmes leur souillure. Oui, c'est là ce que vous devez faire : offrir devant moi, pour eux, avec larmes et grand désir, vos saintes prières, pour que je les revête, par ma Bonté, du vêtement de la charité.
Vous savez bien que je veux leur faire grâce, pourvu qu'ils s'y disposent, et que vous me le demandiez. Car, c'est contraire à ma volonté, qu'ils vous distribuent le Soleil, dans les ténèbres, dépouillés [51] de la vertu et souillés par une vie déshonnête. C'est pour qu'ils soient vos anges sur terre et en même temps votre soleil, que je vous les ai donnés, comme je te l'ai dit. S'ils ne le sont pas, votre devoir est de me prier pour eux, mais ne les jugez pas. Ce jugement m'est réservé. Et Moi, par vos prières, s'ils veulent s'y disposer, je leur ferai miséricorde. Mais, s'ils ne se corrigent pas, la dignité qu'ils possèdent sera leur ruine. Moi, le souverain Juge je leur ferai entendre le grand reproche au dernier instant de la mort, et s'ils ne s'amendent pas, s'ils ne profitent pas de la grandeur de ma miséricorde, ils seront envoyés au feu éternel [52].
 
 

chapitre 121
Des péchés et de la vie coupable des mauvais prêtres.

Ecoute maintenant, fille bien-aimée! Afin que toi et mes autres serviteurs, vous ayez plus sujet de m'offrir pour eux, d'humbles et continuelles prières, je veux te montrer et te dire la vie criminelle de trop de mes prêtres. De quelque côté que tu regardes, séculiers et religieux, clercs et prélats, petits et grands, jeunes et vieux, gens de toute condition, partout tu ne vois qu'offenses. Tous répandent l'infection de leurs pêchés mortels; mais cette infection ne peut m'atteindre ni me nuire, elle n'est mortelle que pour eux-mêmes.
Je t'ai entretenue, jusqu'ici, de l'excellence de mes ministres et de la vertu des bons, pour donner a ton âme quelque consolation, et pour te faire mieux comprendre la misère de ces malheureux, combien ils sont dignes de plus grands reproches et d'un plus terrible châtiment. Autant les élus, mes bien-aimés, qui ont fait fructifier par leurs vertus le trésor que je leur avais confié, méritent une plus grande récompense, et seront comme des pierres précieuses en ma présence, autant ceux-là sont [53] misérables, et auront en partage les tourments les plus cruels.
Sais-tu, ma fille, quel est le principe de leur égarement? Apprends-le, dans la douleur et l'amertume de ton coeur. C'est dans l'amour égoïste d'eux mêmes, d'où est issu l'arbre de l'orgueil, qui a pour rejeton l'aveuglement, l'absence de discernement. Dépourvus de sens spirituel, ils ne se proposent plus d'autre but, que les honneurs et la gloire; ils sont à l'affût de grandes prélatures; ils n'ont d'ambition que pour le faste et les délicatesses du corps. Pour moi, ils n'ont que du dédain, que des offenses. Ils s'attribuent à eux-mêmes ce qui ne leur appartient pas, et me donnent ce qui n'est pas à moi. Ce qui est à Moi, c'est la gloire, c'est l’honneur de mon nom, voilà ce qu'ils me doivent. Ce à quoi ils ont droit, c'est la haine de leur propre sensualité, par une véritable connaissance d'eux-mêmes, c'est le sentiment de leur indignité, en regard du grand Mystère que je leur ai confié. Bien au contraire, enflés d'orgueil, ils ne se peuvent rassasier de dévorer la terre des richesses et des délices du monde. Ils sont avides, cupides, avares à l'égard des pauvres; et ce misérable orgueil et cette avarice, nés de l'amour égoïste et sensuel, leur ont fait abandonner le soin des âmes. Ils n'ont de pensée et de souci que des choses temporelles, et mes brebis, dont je leur ai commis la garde, ne sont plus, entre leurs mains, que des brebis sans pasteur. Ils ne les paissent pas, ils ne les nourrissent pas, ni spirituellement, ni temporellement [54]. Ils administrent, il est vrai, spirituellement, les sacrements de la sainte Eglise, dont leur faute ne peut ni détruire, ni diminuer la vertu. Mais ils ne sustentent pas les âmes de leurs prières ferventes, de l'ardent désir de leur salut, et d'une vie honorable et sainte. Ils ne nourrissent pas, non plus, leurs sujets, des choses temporelles, ils ne distribuent pas aux pauvres les biens de l'Eglise dont ils doivent faire trois parts, comme je te l'ai dit: la première pour leurs besoins, la seconde pour les pauvres, la troisième pour l'utilité de l'Eglise.
Loin de là ! Non seulement ils ne distribuent pas ce qu'ils doivent aux pauvres, mais encore ils dépouillent les autres par simonie. Oui, par amour de l'argent ils vendent la grâce de l'Esprit-Saint. Souvent même ils en viennent à ce degré de malice, que ce que je leur ai donné gratuitement pour qu'ils le distribuent de même, ils le refusent à ceux qui en ont besoin, jusqu'à ce qu'ils aient la main pleine et qu'on les ait pourvus de nombreux présents. Leur amour pour ceux qui leur sont soumis se mesure exactement au profit qu'ils en retirent, ni plus, ni moins. Tous les revenus de l'Eglise passent dans l'achat de vêtements somptueux, pour se montrer, vêtus avec délicatesse, non comme des clercs ou des religieux, mais comme des seigneurs et damoiseaux de cour. Ils ont le goût des beaux chevaux, des nombreux vases d'or et d'argent pour la décoration de leur maison, et ils apportent dans cette possession, si contraire à leur état, une grande vanité de coeur qui se révèle dans le désordre et la légèreté [55 ] de leurs discours. Ils ne rêvent que festins et se font un Dieu de leur ventre: mangeant et buvant sans mesure, ils ne tardent pas à tomber dans l'impure té et dans la débauche.
Malheur, malheur à leur vie misérable ! C'est ainsi qu'ils dépensent avec des pécheresses publiques ce que le doux Verbe, mon Fils unique, a acquis au prix de tant de peine sur le bois de la très sainte Croix !
C'est ainsi qu'ils déchirent de mille cruelles morsures et qu'ils dévorent les âmes rachetées par le sang du Christ. C'est ainsi qu'ils nourrissent leurs fils du patrimoine des pauvres !
O temples du diable Je vous avais élus pour être des anges de la terre, en cette vie, et vous êtes des démons I Et vous avez choisi l'office des démons! Ils répandent, les démons, les ténèbres qu'ils ont en eux-mêmes, ils sont les ministres de cruels tourments. C'est eux qui travaillent autant qu'il est en eux, par leurs attaques, par leurs tentations, à priver les âmes de la grâce, en les entraînant dans le péché mortel. L'âme, il est vrai, ne peut tomber dans une faute que si elle le veut bien, mais ils font tout ce qui est en leur puissance, pour l'y attirer.
N'est-ce pas aussi ce que font ces malheureux, indignes d'être appelés mes ministres? Ce sont des démons incarnés, puisque, parleurs propres péchés ils se sont conformés à la volonté du démon, et par là même font fonction de démens. Ils me distribuent, moi le vrai Soleil, au milieu des ténèbres du péché mortel, et ils répandent ainsi les ténèbres de [56] leur vie déréglée et criminelle sur les autres créatures raisonnables qui leur sont soumises. Ils couvrent de honte et remplissent de douleur les âmes qui sont ainsi témoins de leur existence désordonnée. Souvent même, ils jettent le trouble et le tourment dans les consciences qui se laissent détourner de l'état de grâce et de la voie de la Vérité. En les entraînant au péché, ils les conduisent par le chemin du mensonge, bien que ceux qui les suivent soient pourtant sans excuse; car aucune puissance ne peut les contraindre au péché mortel, pas plus celle des démons visibles que celle des démons invisibles. Personne ne doit se régler sur leur vie ni imiter ce qu'ils font. C'est ce qu'ils disent que vous devez faire (Mt 23, 3), comme vous en avertit ma Vérité, dans le saint Evangile. La doctrine que vous devez suivre, c'est celle qui vous est donnée dans le corps mystique de la sainte Eglise, conservée dans les saintes écritures et proclamée par mes hérauts, les prédicateurs chargés d'annoncer ma parole.
Ne les imitez pas dans leur vie mauvaise, si vous ne voulez pas les suivre dans les malheurs qu'ils méritent; et gardez-vous aussi de les punir : vous m'offenseriez. Laissez leur vie coupable, et ne recueillez d'eux que la doctrine. Réservez-moi le châtiment, car je suis le Dieu bon et éternel qui récompense toute bonne action et punit toute faute. Pour être mes ministres, ils n'en sont pas moins [57] exposés à ma vengeance, et leur dignité ne les couvrira pas contre ma justice. C'est au contraire, plus durement que tous les autres, qu'ils seront punis, s'ils ne se convertissent pas, parce qu'ils ont plus reçu de ma Bonté. En m'offensant si misérablement, ils s'attirent un châtiment plus lourd. Ce sont des démons, encore une fois, tu le vois bien, comme mes élus dont je t'ai parlé, sont des anges sur terre, chargés de faire l'office des anges [58].
 
 

 chapitre 122
Comment ces ministres d’iniquité font régner l'injustice, particulièrement en ne corrigeant pas leurs sujets.
Dans mes ministres bien-aimés, t'ai-je dit, brillait la perle précieuse de la justice. Je vais te dire maintenant que ces pauvres malheureux portent sur la poitrine comme enseigne, l'Injustice, qui est attachée avec l'amour égoïste d'eux-mêmes, dont elle procède. Car, c'est l'amour-propre qui les rend injustes envers leurs âmes et envers Moi, aveuglés qu'ils sont parleur faux jugement. Ils ne me rendent pas, à Moi, la gloire qu'ils me doivent, et ils ne procurent pas à leurs âmes l'honnêteté, la vie sainte, la soif de leur salut et le désir des vertus. Ils deviennent, par là même, injustes envers ceux qui leur sont soumis, et qui sont leur prochain, en ne corrigeant pas leurs vices.
Aveugles qu'ils sont, ils n'ont même pas conscience du tort qu'ils causent à mes créatures, en les laissant ainsi s'endormir et croupir dans leur misère. Ils ne s'aperçoivent pas, qu'en voulant plaire aux créatures, ils causent leur perte et m'offensent Moi, votre Créateur s'il leur arrive, parfois, d'oser une réprimande pour se faire un manteau de ce [59] lambeau de justice, ce n'est pas aux grands qu'ils s'adressent, quoique leurs vices soient souvent plus criants. Ils craindraient trop de compromettre leur situation ou leur vie! Ils reprendront les petits, qui ne peuvent rien contre eux, ni contre leur état. Mais, tout cela, n'est-ce pas commettre l'injustice, par un misérable amour-propre de soi-même?
L'amour-propre a empoisonné le monde et le corps mystique de la sainte Eglise ; il a couvert de plantes sauvages et de fleurs fétides le jardin de l'Epouse. Ce jardin fut bien planté au temps où il était cultivé par de vrais jardiniers, mes ministres saints: il était tout orné de fleurs embaumées. Les chrétiens ne menaient pas une vie criminelle sous la conduite de ces bons pasteurs; elle était honnête, vertueuse et sainte.
Il n'en est plus ainsi, aujourd'hui. Les sujets sont mauvais, parce que mauvais sont les pasteurs. Cette malheureuse Epouse est environnée d'épines de toutes sortes, par tous les péchés qui se commettent. Non, en vérité qu'elle puisse être elle-même atteinte par la corruption du péché, et que la vertu des Sacrements puisse en subir aucun amoindrissement, mais ce sont ceux qui se nourrissent au sein de l'Epouse, qui reçoivent la corruption dans leur âme, en y perdant la dignité à laquelle je les avais élevés. En réalité, ce n'est pas cette dignité qui subit en elle-même une déchéance, mais ils la font mépriser en eux. Leurs crimes avilissent ainsi le Sang, car les séculiers n'ont plus pour eux le respect qu'ils leur doivent à cause du Sang. Ils n'y sont pas [60] moins tenus toujours, et s'ils y manquent à cause des fautes des pasteurs, leur péché à eux n'en est pas moins grand. Cependant, ces malheureux sont des miroirs, d'iniquité, alors que je les avais choisis pour être des miroirs de vertu [61].
 
 

 chapitre 123
De maints autres vices de ces mauvais prêtres ; en particulier de la fréquentation des cabarets, du jeu, et du concubinage.

Quelle est donc la source de tant de corruption dans leur âme? - Leur sensualité.
Leur amour-propre a fait de leur sensualité, une reine, à laquelle ils ont assujetti la pauvre âme, comme une esclave. Je les avais fait libres, cependant, par le sang de mon Fils, lors de l'affranchissement général, quand toute la race humaine fut soustraite à la domination du démon, qui la tenait en esclavage. A cette grâce, participe toute créature, raisonnable, mais, spécialement, mes oints, que j'ai délivrés, eux, de la servitude du monde, pour les attacher à mon service à Moi, le Dieu éternel, et les charger d'administrer les Sacrements de la sainte Eglise. J'ai eu tant de souci de leur liberté, que je n'ai pas voulu, ni ne veux encore, qu'aucun prince temporel se constitue leur juge.
Sais-tu, fille bien-aimée, comment ils me remercient d'un si grand bienfait? Leur remerciement consiste à m'outrager sans cesse, par tant de crimes de toutes sortes, que la langue ne les pourrait raconter et que tu n'aurais pas la force de les entendre [62]. Je veux cependant t'en dire quelque chose, outre ce que je t'ai déjà conté, pour te fournir un sujet de compassion et de larmes.
Ils doivent demeurer à la table de la très sainte Croix, par le saint désir, et s'y nourrir des âmes, pour mon honneur à Moi. Toute créature raisonnable le doit faire, et combien plus, ceux que j'ai élus, pour vous distribuer le corps et le sang du Christ crucifié, mon Fils unique, pour vous donner l'exemple d'une bonne et sainte vie par leurs travaux, et pour faire leur nourriture de vos âmes, par un grand et saint désir de votre salut, à l'exemple de ma Vérité. Mais, leur table à eux, elle est dans les tavernes. C'est là qu'on les trouve, jurant et parjurant, étalant publiquement leurs misères et leurs vices. Ils sont comme des insensés, des hommes sans raison. Leurs vices ont fait d'eux des animaux. Chez eux, actions, gestes, paroles, tout est lascif, et c'est là qu'ils se complaisent.
L'office, ils ne savent plus guère ce que c'est, et si parfois ils le récitent, c'est des lèvres seulement, leur coeur est loin de moi. Ils se conduisent, comme des libertins et des fripons. Comme ils ont joué leur âme qu'ils ont engagée au démon, ils jouent maintenant les richesses de l'Eglise et ses biens temporels, dissipant ainsi ce qu'ils ont recu par la vertu du Sang. En conséquence, les pauvres n'ont plus la part qui leur est due, et l'Eglise est dépouillée, elle n'a plus même les objets nécessaires au culte. Ils sont devenus les temples du démon, comment s'étonner qu'ils n'aient plus soin de mon [63] temple. Ces ornements dont ils devraient enrichir le temple et l'Eglise pour honorer le Sang, c'est maintenant aux maisons qu'ils habitent qu'ils les réservent.
Et bien pis encore! Jouant à l'époux qui orne sa propre épouse, ces démons incarnés parent des dépouilles de l'Eglise la complice diabolique de leur injustice et de leur impudicité. Sans la moindre honte, ils la feront assister à l'office, pendant qu'ils célèbrent à l'autel, sans trouver mauvais que cette malheureuse, tenant ses enfants par la main, se présente à l'offrande avec le peuple!
O démons, plus démons que les démons! Si du moins vous aviez quelque souci de ne pas afficher ainsi vos iniquités, aux yeux de ceux dont vous avez la charge! En les commettant dans le secret, vous m'offenseriez encore, Moi, et vous vous perdriez vous-mêmes; mais du moins, vous n'entraîneriez pas les autres dans votre ruine, par l'étalage de votre vie criminelle. Vos exemples leur sont un motif, non seulement de ne point sortir de leurs péchés, mais encore d en commettre de semblables, ou de plus graves encore. Est-ce là, la pureté que j'exige de mon ministre, quand il monte à l'autel? Le matin, l'âme souillée dans un corps corrompu, il se lève de la couche, où il gisait dans le péché mortel, dans le péché immonde, et il s'en va célébrer. Et c'est là, la pureté? O tabernacle du démon! Où sont les veilles de la nuit, dans la solennité pieuse de l'office divin? Où, la prière assidue et fervente? N'est-ce pas ainsi, que pendant les heures de la nuit, tu devais [65] te préparer au ministère que tu avais à célébrer le matin, en apprenant à te connaître toi-même, et à te juger, par cette connaissance même, indigne d'une si haute fonction; en apprenant à me connaître aussi, Moi qui, par ma Bonté, t'ai élevé à cette dignité, sans aucun mérite de ta part, et t'ai fait mon ministre, pour le service de mes autres créatures [65]!
 
 

 chapitre 124
Comment ces ministres se rendent coupables d'un très grand péché. Et d'une belle vision qu'eut cette âme à ce sujet.

Je te fais à savoir, ma très chère fille, que j'exige de vous et de mes prêtres, dans la réception de ce Sacrement, toute la pureté dont l'homme est capable en cette vie.
Autant qu'il est en vous, vous devez donc faire tous vos efforts, pour l'acquérir sans cesse. Vous devez penser que, si la nature angélique était susceptible de devenir plus pure encore, les anges eux-mêmes devraient se purifier pour un pareil mystère. Mais, ce n'est pas possible les anges n'ont pas besoin d'être purifiés, puisque le venin du péché ne les peut atteindre. Je veux seulement par là te faire entendre, quelle pureté je réclame de vous et de mes ministres, particulièrement de mes ministres, dans ce Sacrement.
Les malheureux! c'est tout le contraire qu'ils font! C'est tout souillés qu'ils s'approchent de ce mystère, et, non seulement, de l'impureté à laquelle vous êtes inclinés par la pente même de votre fragile nature, - quoique la raison, quand le libre arbitre le veut, puisse réprimer cette révolte, - mais [66] encore, loin de surmonter cet entraînement, ils font pire encore et commettent le péché maudit.
Ils sont comme des aveugles, comme des fous! La lumière de leur intelligence s'est obscurcie, et ils ne voient plus la corruption et la misère dans laquelle ils sont plongés. Péché si horrible pourtant, et qui me déplaît tant, à Moi, la souveraine et éternelle Vérité, que, pour ce seul péché, j'ai englouti cinq villes, après sentence de ma divine justice, qui ne les pouvait plus supporter! Voilà l'horreur et le dégoût que ce péché me cause, et non seulement à moi, mais aux démons eux-mêmes, que ces malheureux ont choisis pour maîtres.
Ce n'est pas le mal qui leur déplaît aux démons ils ne peuvent aimer aucun bien, mais leur nature, qui fut celle des anges, répugne à voir commettre cet énorme péché, extérieurement. Ils lancent bien la flèche empoisonnée de la concupiscence, mais ils ne supportent pas la vue de l'acte extérieur ils s'enfuient, pour la raison que j'ai dite.
Avant la peste, je te montrai, s'il t'en souvient, combien j'avais ce pêché en horreur, et à quel point il avait infecté le monde. T’élevant alors au-dessus de toi-même, par un saint désir et l'élan de ton esprit, je fis passer sous tes yeux, le monde entier avec toutes les nations qui le composent, et tu pus voir cet abominable péché, et les démons qui s’enfuyaient à ce spectacle, comme je te l'ai dit. Si grande fut ta douleur, tu le sais, et si insupportable l'infection que tu éprouvais dans ton. esprit, qu'il te semblait mourir, et tu ne voyais pas un seul lieu [67] où tu pus te retirer, avec mes autres serviteurs, pour échapper à cette lèpre. Petits et grands, jeunes et vieux, religieux et clercs, prélats et sujets, maîtres et serviteurs, tous, esprit et corps, étaient souillés de cette malédiction.
C'est une vue générale de l'état du monde que je te donnais, sans mettre sous tes yeux les exceptions particulières, ceux que la contagion n'a pas touchés. Car au sein des méchants il est quelques âmes préservées qui sont miennes, dont les oeuvres de justice retiennent ma justice et l'empêchent de commander aux pierres de lapider les coupables, à la terre de les engloutir, aux animaux de les dévorer, aux démons de les emporter, âme et corps.
Je trouve même le moyen de leur faire miséricorde, en les amenant à changer de vie. J'emploie mes serviteurs, ceux qui se sont gardés de la lèpre et conservés sains, à me prier pour eux. Parfois, donc, à ces préservés je découvre ces péchés abominables, pour enflammer leur zèle à désirer le salut des pécheurs, à m'invoquer avec une plus grande compassion, avec une plus vive douleur des fautes du prochain et de l'offense qui m'est faite, et à me prier pour eux.
C'est ce que je fis pour toi-même, tu le sais bien. Si tu t'en souviens, lorsque je te fis sentir un simple souffle de cette infection, tu en éprouvas un tel malaise, que tu ne le pouvais endurer davantage. "O Père éternel, me disais-tu, ayez pitié de moi et de vos créatures! retirez mon âme de mon corps, car il me [68] semble que je n'en puis plus. Ou bien, donnez-moi quelque consolation, montrez-moi des lieux où nous puissions, moi et vos autres serviteurs, chercher un refuge, pour n'être pas atteints par cette lèpre, et conserver la pureté de nos âmes et de nos corps! "
J'abaissai sur toi un regard de tendresse et je te répondis : " Ma fille, votre refuge est de rendre honneur et gloire à mon nom, et de faire monter vers moi l'encens d'une continuelle prière pour ces infortunés plongés en une si grande misère qu'ils ont mérité par leurs péchés les rigueurs du jugement divin. Votre asile doit être le Christ crucifié, mon Fils unique. C'est dans la plaie de son côté que vous devez vous réfugier. Demeurez là, vous y goûterez par sentiment d'amour, en cette nature humaine, ma Nature divine. Dans ce coeur ouvert vous trouverez la charité, envers moi et envers le prochain. Car, c'est pour mon honneur à Moi, le Père éternel, et par obéissance au commandement que je lui donnai pour votre salut, qu’il courût à la mort ignominieuse de la très sainte Croix. En contemplant cet amour, en le goûtant, vous suivrez sa doctrine, vous vous nourrirez à la table de la Croix, en supportant par charité, avec une véritable patience, votre prochain, et aussi les peines, les tourments, les fatigues, de quelque côté qu'elles vous arrivent. C'est ainsi que vous acquerrez des mérites et que vous éviterez la lèpre...
Tel est le moyen que je t'indiquai, et que je te suggère encore, à toi et à mes autres serviteurs.
Cependant ton âme était toujours absorbée par [69] le sentiment de cette infection, et le regard de ton intelligence, perdu dans ces ténèbres. C'est alors, que ma Providence vint à ton secours. Comme tu communiais au corps et au sang de mon Fils, Dieu tout entier, homme tout entier, dans le saint Sacrement de l'autel, en signe de la vérité des paroles que je t'avais dites, l'infection fut soudain dissipée par le parfum qui se fit sentir dans ce Sacrement, et les ténèbres chassées tout à coup, par la lumière qui venait de lui. Par une faveur spéciale de ma Bonté, tu conservas dans ta bouche, d'une façon sensible et corporelle, le parfum et le goût de ce Sang, plusieurs jours durant.
Tu vois donc, ma très chère fille, combien ce péché m'est odieux en toute créature. Songe combien plus il me doit déplaire, en ceux que j'ai appelés à vivre, dans l'état de continence. Parmi ces continents, il en est que j'ai retirés du monde par la vie religieuse, d'autres par leur incorporation au corps mystique de la sainte Eglise, et parmi ceux-ci sont mes ministres. Vous ne sauriez comprendre, à quel point ce péché me déplaît en eux. Il m'offense beaucoup plus, qu'en ceux qui vivent dans le monde, ou même qui sont, à un autre titre, voués à la continence.
C'est qu'ils sont mes ministres! Je les avais placés comme des lampes sur le chandelier, pour me distribuer à tous, Moi le vrai Soleil, par la lumière de la vertu, par l'exemple d'une vie honnête et sainte, et c'est à travers les ténèbres, qu'ils me répandent sur les âmes. Ces ténèbres ont tellement [70] obscurci leur intelligence, qu'ils n'entendent plus la sainte Ecriture. L'Ecriture cependant est en soi lumineuse, puisque c'est de Moi, la vraie Lumière, que l'ont reçue mes élus, par l'illumination surnaturelle de leur esprit. Mais, eux, ne l'entendent pas. Enflés d'orgueil et possédés par le démon, ils ne voient et ne comprennent que l'écorce, sans y trouver aucune saveur. Leur goût, le goût de l'âme, n'est pas sain; il est perverti et corrompu par l'amour-propre. Leur estomac, l'intérieur de l'âme, est tout rempli de pensées d'orgueil et de désirs impurs, d'instincts de cupidité et d'avarice. Tous ces désirs demandent à se satisfaire, dans les jouissances désordonnées; et, sans honte aucune, publiquement, ils commettent leurs péchés, ils exercent l'usure que j'ai défendue pourtant, et qui expose ceux qui s'y livrent à de si grands châtiments [71].
 
 

 chapitre 125
Comment ces fautes des ministres sont cause qu'ils ne corrigent pas leurs sujets. Des vices des Religieux. Des maux nombreux qui découlent de cette absence de correction.

Comment ces ministres, couverts de tant de crimes, pourraient-ils exercer la justice, corriger et reprendre les fautes de leurs sujets? C'est impossible: leurs propres péchés leur enlèvent le courage et le zèle de la sainte justice. Veulent-ils réprimer, parfois? Ils s'attirent, de leurs sujets criminels, cette réplique: " Médecin, guéris-toi, toi-même! Tu viendras ensuite m'offrir tes remèdes, et je prendrai la médecine que tu me donneras! Il est en plus grand péché que moi, et ne voilà-t-il pas qu'il me fait honte du mien ! "
Mal en prend, en effet, à celui dont la réprimande est toute en paroles, sans être accompagnée d'une vie bonne et réglée. Certes, bon ou mauvais, le supérieur a toujours le devoir de reprendre le vice qu'il découvre en ceux qui lui sont soumis; mais de ce devoir il s'acquitte mal, s'il ne se corrige surtout, par l'exemple d'une vie honnête et sainte. Et plus coupable encore, celui qui ne reçoit pas humblement la correction, et ne réforme pas sa vie criminelle [72], que la réprimande lui vienne d'un bon ou d'un mauvais pasteur. C'est à lui-même qu'il fait mal et non aux autres, et c'est lui-même qui recevra le châtiment de ses propres péchés.
Tous ces maux, ma très chère fille, proviennent de l'absence de correction, par une bonne et sainte vie. Pourquoi donc les pasteurs ne redressent-ils pas leurs sujets? Parce qu'ils sont aveuglés par l'amour d'eux-mêmes, cet amour-propre qui est le principe de toutes leurs iniquités. Sujets, pasteurs, clercs, religieux n'ont plus qu'un souci, leur plaisir; et leur seule préoccupation est de trouver le moyen de satisfaire leurs désirs déréglés.
Hélas! ma douce fille, où est-elle l'obéissance des religieux? Établis dans la sainte religion comme des anges, ils sont pires que des démons. Ils avaient pour fonction d'annoncer ma parole, suivant la doctrine de Vérité, et ils ne font qu'un vain bruit de mots, sans produire aucun fruit dans le coeur des auditeurs. Leurs prédications sont faites, pour plaire aux hommes ct charmer leurs oreilles, beaucoup plus que pour l'honneur de Moi. Aussi s'appliquent-ils, lion à vivre saintement, mais à polir leurs phrases. Ce n'est pas ceux-là, vraiment qui sèment mon grain, le bon grain de ma Vérité, parce qu'ils ne se préoccupent pas de détruire les vices et de faire éclore les vertus. Ils n'ont point arraché les épines de leur propre jardin, comment s'emploieraient-ils à les faire disparaître de celui de leur prochain!
Leurs délices sont de parer leurs corps, d'orner [73] leurs cellules, et d'aller bavarder par la ville. Il leur advient, ce qui arrive aux poissons, qui meurent, quand ils sont hors de l'eau. En demeurant en dehors de leur cellule, ils trônent la mort eux aussi, dans une vie vaine et désordonnée. Ils quittent cette cellule dont ils devaient faire un ciel, et s'en vont par les rues visitant les maisons de leurs parents ou d'autres séculiers, au gré de leurs caprices, et avec l'agrément de leurs prélats, qui leur laissent la bride longue au lieu de les attacher de court. Ces misérables pasteurs s'inquiètent si peu de voir ainsi leurs sujets, leurs frères, aux mains du démon, que Souvent ils les lui livrent eux-mêmes.
Oui parfois, sachant bien que ceux-ci sont de vrais démons incarnés, ils les enverront dans des monastères, pour les mettre en relation avec des religieuses, qui sont, elles aussi, de vraies diablesses incarnées. Là ils se corrompent réciproquement par leurs ruses et leurs manèges subtils. Au début le démon les encourage sous couleur de piété. Mais comme leur vie est misérable et lascive, ils ne se tiennent pas longtemps à ces faux dehors, et leur feinte dévotion ne tarde pas à montrer ses fruits. Ce sont tout d'abord des fleurs fétides, les pensées impures et honteuses; accompagnées de feuilles qui sont les paroles déshonnêtes et les jeux misérables, qui les amènent à l'accomplissement criminel de leur désir. Les fruits qu'ils produisent ainsi, tu les connais bien, tu les as vus, ce sont leurs enfants. Maintes fois, ils en arrivent à quitter, l'un et l'autre, la sainte religion : lui, désormais [74], fait un libertin, elle, une pécheresse publique.
De tous ces maux et de beaucoup d'autres sont cause les prélats, qui n'ont pas l'oeil sur leurs sujets. Ils leur laissent toute liberté, ils les envoient eux-mêmes, ils font semblant de ne pas voir leurs misères, et le dégoût qu'ils ont pour la cellule. Ainsi, par la faute de l'un et de l'autre, ce religieux a trouvé la mort. La langue ne saurait raconter tant d'iniquités, et tous les moyens criminels par lesquels ils m'offensent. Ils sont devenus les armes du démon, et leur corruption répand son poison au dedans et au dehors: au dehors, chez les séculiers, au dedans parmi les religieux eux-mêmes.
Ils ont perdu la charité fraternelle, chacun veut être supérieur, chacun rêve de posséder, et tous vont ainsi contre la règle et contre le voeu qu'ils ont fait. Ils ont promis d'observer les constitutions de l'Ordre et ils les violent. Encore ne se contentent-ils pas de les transgresser eux-mêmes; ils s'acharnent, comme des loups, sur les agneaux qui voudraient observer la règle, et les poursuivent de leurs sarcasmes et de leurs railleries. Ils s'imaginent, les malheureux, que par les persécutions, par les dédains, par les moqueries dont ils accablent les bons religieux, fidèles à leur règle, ils masqueront leurs propres désordres; mais ils ne réussissent qu'à les découvrir davantage.
Voilà le mal qui a envahi les jardins des religions saintes. Saintes en effet, elles le sont en ellesmêmes, parce qu'elles ont été établies et fondées par l'Esprit-Saint. Aussi l'Ordre, en soi, ne peut-il [75] être gâté ni corrompu par la faute des inférieurs ou des supérieurs. Celui qui vent entrer dans un Ordre, ne doit pas considérer les mauvais sujets qu'il renferme il doit s'appuyer sur le bras de l'Ordre qui est fort qui ne peut faiblir, et lui demeurer fidèle jusqu'à la mort.
Je te disais que les jardins des saintes Religions étaient désolés par la faute des mauvais prélats et des mauvais religieux, qui n'observent pas pleinement la constitution de leur Ordre, qui en transgressent les lois, qui en violent les usages, qui n'en accomplissent plus les cérémonies, ou ne pratiquent de la règle, en public, que ce qui est nécessaire, pour conserver la faveur des gens du monde, et faire un manteau à leurs propres vices. Ainsi, par exemple, leur premier voeu, qui est l'obéissance aux constitutions, il est bien évident qu'ils ne l'observent pas ; mais je te parlerai ailleurs de l'obéissance. Ils font voeu également de garder la pauvreté volontaire et d'être chastes. Ces voeux, comment les observent-ils?
Vois les propriétés, et tout l'argent qu'ils possèdent, à titre personnel, contrairement à la charité commune qui leur fait un devoir de partager avec leurs frères tous les biens temporels et spirituels, ainsi que le demande la loi de leur Ordre. Mais ils ne veulent engraisser qu'eux seuls et leurs bêtes, et ainsi une bête on nourrit une autre. A côté, un frère pauvre meurt de froid et de faim. Mais ce religieux, lui, est chaudement vêtu, il fait bonne chère; il n'a cure de ce frère besogneux, se gardera bien de [76] se rencontrer avec lui, à la pauvre table du réfectoire. Son plaisir est de demeurer là où il peut, tout à l'aise, s'emplir de viande, et satisfaire sa gourmandise.
Impossible à un pareil religieux, d'observer le troisième voeu de la continence. Un estomac bien rempli ne fait pas l'âme chaste ! Il devient lascif, il éprouve des mouvements désordonnés, et, ainsi, un mal en amène un autre. Leur richesse personnelle est aussi, pour ces religieux, une occasion de beaucoup de chutes. S'ils n'avaient pas de quoi suffire à leur dépense, ils ne vivraient pas ainsi dans le désordre, ils n'entretiendraient pas ces amitiés suspectes. Quand on n'a plus rien à donner, c'en est tôt fait de l'affection ou de l'amitié qui ne sont pas fondées sur la parfaite charité, mais uniquement sur l'amour du don, ou sur le plaisir que l'on peut tirer l'un de l'autre.
Oh ! les malheureux! en quelle misère ils sont tombés, par leur faute; et à quelle dignité, pourtant, ne les avais-je pas élevés! Le choeur, ils le fuient comme la peste, et si, par hasard, ils y assistent, ils n'y mêlent que leur voix, leur coeur est loin de moi. A la table de l'autel, ils ont pris l'habitude d'aller sans préparation aucune, comme ils iraient à une table ordinaire.
Tous ces maux, et bien d'autres que je veux te taire, pour ne pas souiller tes oreilles, viennent de la négligence des mauvais pasteurs, qui ne corrigent pas, qui ne punissent pas les manquements de leurs sujets. Ils ne se soucient pas de la règle, ils n'ont [77] aucun zèle pour son observance, parce qu'ils ne l'observent pas eux-mêmes. Ils réserveront tous les fardeaux des obédiences difficiles et en imposeront le joug à ceux qui veulent être fidèles à la constitution et les puniront, au besoin, des fautes qu'ils n'auront pas commises! S'ils en agissent ainsi, c'est que ne brille pas, en eux, la perle de la justice, mais celle de l'iniquité. C'est l'iniquité qui leur fait réserver leurs rigueurs et leur haine à ceux qui sont dignes de leur bienveillance et de leur faveur, et accorder à ceux qui comme eux sont les membres du démon, leur affection, leurs bonnes grâces, et une situation, en leur confiant les charges de l'Ordre. Ils vivent comme des aveugles, et c'est comme des aveugles aussi, qu'ils gouvernent leurs sujets et distribuent les fonctions de l'Ordre. S'ils ne se corrigent pas, leur aveuglement les conduira aux ténèbres, à la damnation éternelle, et ils auront à me rendre compte, à Moi, le souverain juge, des âmes de leurs sujets. Ils ne pourront m'en rendre un bon compte. Aussi recevront-ils de Moi, le juste châtiment qu'ils ont mérité.
 
 

 chapitre 126
Comment, dans les mauvais ministres, règne le péché de luxure.
Ma fille très chère, je t'ai donné un rapide aperçu de la vie de ceux qui appartiennent à la sainte Religion, et je t'ai dit comment, misérablement, ils demeurent dans l'Ordre, sous le vêtement des brebis, tout en n'étant que des loups ravisseurs. Je reviens maintenant aux clercs et aux ministres de la sainte Eglise, pour déplorer avec toi leurs péchés, qui découlent tous de ceux dont je t'ai déjà parlé à propos des trois colonnes du vice. Je te les montrai, une autre fois, en me plaignant à toi de leur impureté, de leur insatiable orgueil, et de leur cupidité qui leur fait vendre la grâce de l'Esprit-Saint.
Comme je te l'ai dit, ces trois vices sont étroitement unis, et leur fondement commun, c'est l'amour-propre. Tant que ces trois colonnes demeurent debout, tant qu'elles ne sont pas jetées à terre, par cette force, qui est l'amour de la vertu, elles suffisent à retenir l'âme immobile et obstinée dans tous les vices. Tous les vices, en effet, naissent de l'amour-propre, dont le premier-né est l'orgueil. [79] L'homme orgueilleux est privé de l'amour de la charité, et l'orgueil le conduit à l'impureté et à l'avarice. Ces vices se relient ainsi l'un à l'autre, par une chaîne diabolique.
Considère encore, ma très chère fille, par quel orgueil, par quelle impureté, ils souillent leur corps et leur âme I
Je t'en ai déjà dit quelque chose, mais je veux t'en parler à nouveau, pour te faire mieux connaître la source de ma miséricorde, et t'inspirer une compassion plus grande pour ces malheureux.
Quelques-uns d'entre eux, sont tellement devenus démons, tellement possédés par l'amour de certaines créatures, qu'ils en sont comme hors d'eux-mêmes. Ce n'est pas assez, pour eux, de n'avoir plus aucun respect pour mon Sacrement, et de n'attacher plus aucun prix à la dignité dont les a revêtus ma Bonté. Exaspérés de ne pouvoir posséder, par eux-mêmes, l'objet de leurs coupables convoitises, ils recourent aux incantations du démon. Pour satisfaire leurs pensées impures et misérables pour réaliser leurs désirs, ils emploient à la composition de maléfices, le Sacrement que je vous ai donné comme une nourriture de vie. Les pauvres brebis confiées à leurs soins, dont ils devraient nourrir les âmes et les corps, ils les tourmentent ainsi, par ces détestables moyens, et par d'autres encore, dont je t'épargnerai le récit, pour ne pas t'affliger davantage. Ta les as vues, ces pauvres brebis, affolées et comme hors d'elles-mêmes, sentir leur volonté fléchir sous les entreprises de ces démons incarnés [80], et en arriver à faire ce qu'elles ne voulaient pas; et la violence qu'elles se faisaient à elles-mêmes, causait à leurs corps de cruelles souffrances.
Ces malheurs, quel en est le principe? Leur vie impure et misérable. Il est bien d'autres maux encore que je pourrais dire; mais, pourquoi te les rappeler? Tu les connais.
O fille bien-aimée, la chair qui a été élevée au-dessus de tous les choeurs des anges par l'union de votre nature humaine à ma nature divine, voilà àquelles iniquités, ils la font servir! O homme abominable, ô homme misérablle, non pas homme, mais brute, cette chair que j'ai consacrée par mon onction sainte, tu la livres aux prostituées, et pis encore ! Cette chair, qui est tienne, elle avait été guérie, comme celle de toute la race humaine, de la blessure que lui avait faite le péché d'Adam, par le corps de mon Fils unique, meurtri et percé sur l'arbre de la très sainte Croix ! O malheureux! Il t'a rendu l'honneur, et ta lui apportes la honte ! Il a guéri tes plaies par son sang, bien plus, il t'a fait ministre du Sang, et toi, tu le meurtris de tes péchés impurs et honteux! Le bon Pasteur avait lavé ses
brebis, dans son propre sang! Toi, tu souilles celles qui sont pures, tu fais tout ce qui est en ton pouvoir, pour les jeter dans l'ordure! Tu devrais être un miroir de pureté, tu es un modèle de débauche! Tous les membres de ton corps, tu les fais servir à commettre le mal, et, dans toutes tes actions, tu t'appliques à contredire à ce qu'a fait ma Vérité. J'ai souffert qu'on lui bandât les yeux, pour te donner la [81] lumière, et toi, tes yeux lascifs lancent des flèches empoisonnées, mortelles pour ton âme et pour le coeur de ceux qui sont l'objet de tes regards criminels!
J'ai enduré qu'il fût abreuvé de fiel et de vinaigre, et toi, comme un animal glouton, tu cherches tes délices en des mets délicats, tu te fais un dieu de ton ventre! Ta langue ne profère que des paroles déshonnêtes et vaines. Cette langue qui devrait être employée à redresser le prochain, à annoncer ma parole, à dire l'Office, en union avec le coeur, je n'en reçois que vilenies; ce ne sont que jurements, mensonges, parjures, quand encore tu ùe vas pas jusqu'à blasphémer mon nom !
J'ai supporté qu'on lui liât les mains pour te délivrer toi et toute la race humaine, des liens du péché. Tes mains, à toi, ont reçu l'onction, elles ont été consacrées pour administrer le très saint Sacrement, et toi, vilainement, tu les fais servir, ces mains, à des usages infâmes. Toutes les oeuvres de tes mains sont corrompues, toutes sont ordonnées au service du démon.
O malheureux I A quelle dignité pourtant ne t'avais-je pas élevé, en t'appelant, toi et toute créature raisonnable, à me servir, Moi seul!
J'ai voulu que les pieds de mon Fils unique fussent percés, pour te faire de son corps une échelle; et, que son côté fut ouvert, pour te faire voir le secret du coeur. Je l'ai disposé, comme un asile toujours ouvert, où vous pourrez connaître et goûter l'Amour ineffable que je vous ai, en trouvant [82] et en contemplant ma Nature divine unie à votre nature humaine.
Il t'apprend ce coeur, que le Sang dont tu es le ministre, répandu comme un bain, doit purifier vos iniquités, et toi, tu as fait de ton coeur un temple du démon! Ton affection, qui est signifiée par les pieds, n'enferme et ne peut m'offrir rien d'autre, que honte et bassesse; elle ne conduit ton âme, que dans les repaires du démon.
Ainsi, tu emploies ton corps tout entier à meurtrir le corps de mon fils ! Sans cesse, tes actes sont en opposition avec les siens; sans cesse, tu fais le contraire de ce que toi et toutes les créatures, êtes obligês de faire. Tous les organes de ton corps sont devenus des instruments de péché, parce que les trois puissances de ton âme ont été assemblées au nom du démon, alors que c'est en mon nom que tu les devais réunir.
Ta mémoire devait être remplie des bienfaits que tu as reçus de moi, et elle est toute pleine d'images impures et de mille autres indignités. L'oeil de ton intelligence, tu le devrais fixer dans la lumière de la Foi sur le Christ crucifié, mon Fils unique, dont tu es devenu le ministre ; et, par une misérable vanité, il n'a d'attention que pour les plaisirs, les honneurs, les richesses du monde. Ta volonté devait s'attacher à Moi, uniquement, m'aimer pour moi-même ; et, bassement, tu as placé ton amour dans les créatures, dans ton propre corps. Il n'est pas jusqu'à tes animaux, que tu n'aimes plus que moi! La preuve, c'est ta colère contre moi, quand je [83] t'enlève quelque cher objet de tes affections; c'est ton irritation contre le prochain, quand tu crois en avoir reçu quelque dommage matériel. Tu le hais, alors, tu l'outrages, et tu te sépares de ma charité et de la sienne. O infortuné! A toi a été confié le service de ce Feu sacré qu'est ma Charité divine, et tu l'éteins en toi, en lui préférant ton propre plaisir, tes affections déréglées! Tu ne peux supporter, pour elle, un léger préjudice que t'aura causé le prochain!
O ma fille très chère, voilà l'une de ces trois fatales colonnes du mal, dont je t'ai parlé [84].
 
 

chapitre 127
Comment ces ministres sont dominés par l'avarice. Ils prêtent à usure, mais surtout ils vendent et achètent les bénéfices et les Prélatures. Des maux que cette cupidité a causés à la sainte Eglise.

Parlons maintenant de la seconde colonne du vice, qui est l'avarice.
Oui, ce que mon Fils a donné sur la croix, avec tant de générosité, n'est plus distribué, désormais, qu'avec la plus grande parcimonie. Regarde-le sur le bois de la Croix, son corps est tout percé, de chacun de ses membres son sang coule à flots. La rédemption, ce n'est pas à prix d'or ou d'argent qu'il l'opère, c'est avec son Sang et par largesse d'amour. Il n'a pas racheté seulement une moitié du monde, mais le genre humain tout entier, tous les hommes passés, présents et à venir. Ce Sang ne vous a pas été donné, sans, qu'en même temps, vous fût distribué le feu; car, c'est par le feu de l'amour, que le sang a été versé pour vous. Le feu et le sang ne vous ont pas été accordés, sans ma Nature divine, si étroitement unie à la nature humaine. Et c'est de ce Sang, uni à ma divinité, par la libéralité de mon amour, que toi, malheureux, je t'ai constitué le ministre ! Et voilà [85] que ta cupidité te rend si avare, de ce que mon Fils a acquis sur la croix! Toi, ministre du Sang, par un don de lui, tu t'es si criminellement approprié ce trésor, que tu vends, maintenant, la grâce du Saint-Esprit, aux âmes que le Christ a rachetées lui-même, avec un si pur amour! Ce que tu as reçu gratuitement, tu veux qu'on te le paie, quand on te le demande. Ton avidité ne te porte point, à faire ta nourriture des âmes, pour l'honneur de Moi c'est l'argent qu'elle dévore ! Ta charité est devenue si serrée, dans la dispensation de ce que tu as reçu avec tant de largesse, qu'évidemment, je ne suis pas en toi par la grâce, ni le prochain par l'amour. Les biens temporels que l'on te donne, à cause de ce Sang, c'est largement encore que tu les reçois, et d'eux encore, pauvre avare, tu ne sais pas être bon, pour d'autres que pour toi! Larron que tu es, voleur digne de la mort éternelle, tu dérobes encore le bien des pauvres et de la sainte Eglise; tu l'emploies a tes dépenses ; tu le dissipes avec des femmes, avec des hommes sans moeurs; tu en enrichis ta parenté. Avec ce bien des pauvres et de l'Eglise, tu te procures toutes tes aises, et prépares un établissement à tes fils.
O malheureux! Où sont donc ces fils des vraies et douces vertus que tu devais avoir? Où donc, cette charité ardente que tu devais répandre? Où, ce zèle dévorant de mon honneur et du salut des âmes? Où, cette douleur crucifiante, que tu devais ressentir, à la vue du loup infernal qui te ravissait tes brebis ? Plus rien ! En ton c?ur étroit, il n’y a plus de place [86] , ni pour Moi, ni pour ton prochain. Tu n'aimes que toi! Tu n'as que cet amour égoïste et sensuel; et, cet amour est un poison, pour toi et pour les autres. Tu es, toi-même, le loup infernal ! C'est ton amour déréglé qui les dévore tes brebis! Ton avidité ne convoite que cette proie! Que t'importe donc, que le démon invisible emporte les âmes, quand tu es, toi, le démon visible qui les livre à l'enfer! Les biens de l'Eglise ne servent qu'à te vêtir et à t'engraisser toi-même, avec les autres démons de ta compagnie, comme aussi à entretenir des animaux, ces beaux chevaux, que tu ne possèdes que pour ton plaisir déréglé, et sans aucune nécessité. C'est la nécessité seule, pourtant, et non ton propre plaisir, qui peut te permettre ce train de maison. Que les hommes du monde cherchent cette jouissance, soit; mais tes plaisirs, à toi1 devraient être d'assister les pauvres, de visiter les malades, de subvenir à leurs besoins spirituels et temporels. C'est pour cela, et pour cela seul, que je t'ai fait mon ministre, que je t'ai confié une si haute dignité. Mais, après que tu es devenu semblable aux bêtes, tu te complais au milieu des bêtes. Aveugle que tu es! Si tu pouvais voir les supplices qui t’attendent si tu ne changes pas de vie, tu n'agirais pas ainsi, tu n'aurais que douleur de ta conduite passée, et dès à présent tu commencerais à mieux vivre.
Tu le vois, ma très chère fille, combien n'ai-je pas raison de me plaindre de ces malheureux ! Quelle ne fut pas ma générosité envers eux, et quelle n'est pas leur ingratitude envers moi ! [88]
Qu'ajouter de plus?
Comme je te l'ai dit, il en est qui prêtent à usure. Ils ne mettent pas d'enseignes, comme les usuriers publics, mais ils ne manquent pas de moyens subtils, pour vendre le temps a leur prochain, par pure avarice: car, rien au monde ne peut légitimer un semblable commerce. Si on leur fait un présent, si petit soit-il, et que dans leur pensée ils le reçoivent comme prix du service rendu, en excédent de la somme prêtée, c'est usuraire, comme usuraire aussi, tout ce qui serait perçu, en paiement du temps, pour la durée du prêt.
Je les ai établis, pour qu'ils défendent l'usure aux séculiers, et ils la pratiquent eux-mêmes. Ce n'est pas tout. Si quelqu'un vient les consulter sur cette matière, comme ils ont eux-mêmes ce vice, et qu'ils ont perdu sur ce point la lumière de la raison, le conseil qu'ils donnent est obscur et comme enveloppé de la passion qui est dans leur âme. De là, par conséquent, une infinité de méfaits qui découlent de leur coeur étroit, cupide et avare. A eux s'applique bien cette parole que prononça mon Verbe, lorsque, entrant dans le Temple, il y trouva vendeurs et acheteurs: " La maison de mon Père est une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs (Mt 21,13) ", cria-t-il; et, prenant des cordes, il s'en fit un fouet, pour les jeter dehors.
Il en est bien ainsi, aujourd'hui, tu le vois, ma très douce fille! De mon Eglise qui est un lieu de [88] prière, ils ont fait une caverne de voleurs! Ils vendent, ils achètent, ils trafiquent de la grâce de l'Esprit-Saint. Il n'y a qu'à ouvrir les yeux. Veut-on obtenir des prélatures et des bénéfices de la sainte
Eglise, on les achète. On commence par circonvenir, par de nombreux présents, soit en argent, soit en nature, les officiers de la curie. Ceux-ci ne s'arrêtent plus, désormais, à considérer si le solliciteur est bon ou mauvais. Ils sont tout complaisance envers lui. Comme ils n'ont d'amour que pour les dons qu’ils en ont reçus, ces malheureux vont s'employer à introduire, dans le jardin de la sainte Eglise, cette plante vénéneuse. Ils feront de lui bon rapport au Christ en terre.
Ainsi, de part et d'autre, c'est un complot de mensonges pour tromper le Christ en terre, dont l'on ne devrait approcher, cependant, qu'en droiture et franchise. Si le vicaire de mon Fils s'aperçoit de la fraude, c'est son devoir de punir les coupables. Il doit priver son subordonné de son office, s'il ne se corrige et ne s'amende; et, au solliciteur si offrant, il fera bien de conférer la prison, en échange de son argent. Ce sera pour lui une correction alu taire, et, pour les autres, un exemple qui les détournera d'un semblable trafic. Si le Christ en terre en agit ainsi, il ne fera que son devoir; et, s'il ne le fait pas, son péché ne demeurera pas impuni, quand il viendra rendre compte, devant Moi, de ses brebis.
Crois-moi, ma fille, aujourd'hui, cette répression n'est plus connue. Voilà pourquoi l'Eglise, mon Eglise, en est arrivée à cet état de crimes et d'abominations [89]. Pour élever aux prélatures, l'on ne s'enquiert plus de la vie de ceux qui sont promus; l'on ne s'informe plus, s'ils sont bons ou mauvais. Si l'on fait quelque enquête, c'est auprès de ceux qui sont les complices de leurs péchés, c'est ceux-là qu'on interroge, et qui sont tout disposés à leur rendre de bons témoignages, puisqu'ils sont semblables à eux. On n’a égard qu'à la grande situation du candidat, à sa naissance, à sa richesse, à la distinction de son langage. Ce qui est pire, c'est qu'on alléguera même, parfois, et en plein consistoire qu'il est beau de sa personne. Langage de démon, note bien ! Là où l'on devrait rechercher l'ornement et la beauté de la vertu, l'on n'a d'yeux que pour la beauté du corps!
Ceux qu'on devrait préférer, ce sont les humbles qui s'effacent, ceux qui, par humilité, fuient les prélatures; et voilà qu'ils choisissent ceux qui, par vaine gloire, et tout enflés d'orgueil, briguent cette élévation !
On fait grand cas de la science. Certes, la science, en soi, est bonne. Elle est parfaite, quand celui qui la possède, y joint une vie honnête et sainte et une sincère humilité; mais, dans un orgueilleux, dépravé et libertin, la science est un poison. Ce savant n'a pas le sens de l'Ecriture, il n'en entend plus que la lettre. Son esprit est dans les ténèbres, parce qu'il a perdu la lumière de la raison, et qu'il a obscurci l'oeil de son intelligence. C'est dans cette lumière de la raison, accrue de clartés surnaturelles, que fut exposée et comprise la sainte Écriture, comme je te l'ai dit plus. explicitement, en un autre endroit. Tu le vois donc. la science est bonne en soi, mais elle peut être dépravée par le mauvais usage que le savant en peut faire. S'il ne met pas plus de droiture dans sa vie, elle deviendra même pour lui un feu vengeur.
Aussi, doit-on considérer davantage la bonne et sainte vie, et la préférer à la science d'un libertin. C'est le contraire, pourtant, que l'on fait. Les hommes de bien et de vertu, s'ils ne sont point de science raffinée, sont tenus pour sots; on les méprise. Quant à ceux qui sont pauvres, on les écarte, parce qu'ils n'ont rien à donner.
Ainsi, ma propre maison, qui devrait être la maison de la prière, où brilleraient la perle de la justice, avec la lumière de la science unie à une bonne et sainte vie, où l'on respirerait le parfum de la vérité, ma maison est pleine de mensonge. Ceux qui l'habitent devraient posséder la pauvreté volontaire, un zèle sincère pour préserver les âmes, ou les arracher aux mains du démon, et ils n'ont de goût que pour les richesses; le soin des choses temporelles les absorbe tellement, qu'ils n'ont plus aucun souci des spirituelles. Jouer, rire, accroître et multiplier leur bien, voilà qui prend toute leur vie. Ils ne s'aperçoivent pas, les pauvres, que c'est le moyen le plus assuré de perdre leurs richesses! S'ils étaient riches en vertu, ils s'adonneraient à l'administration des choses spirituelles, comme ils le doivent, les biens temporels leur viendraient en [91] abondance, et mon Epouse n'aurait pas eu à subir, à ce sujet, tant de révoltes.
Qu'ils laissent donc les morts ensevelir les morts: leur devoir, à eux, est de suivre la doctrine de ma Vérité et d'accomplir, en eux-mêmes, ma volonté, en se consacrant au ministère que je leur ai confié. Tout au contraire, ils s'appliquent, avec un amour déréglé, à ensevelir les choses mortes, les choses qui passent, usurpant ainsi l'office des hommes du monde. C'est là, ce qui m'offense, et c'est là, ce qui perd la sainte Eglise. Qu'ils abandonnent aux séculiers ce qui appartient aux séculiers. C'est aux morts à ensevelir les morts; c'est à ceux qui sont préposés au gouvernement des choses temporelles, à s'occuper de cette administration.
Pourquoi t'ai-je dit que c'est aux morts à ensevelir les morts ? - Ce mot est à double sens. Morts sont ceux qui s'occupent des choses temporelles, avec un amour désordonné, et une sollicitude exclusive, qui les font tomber en péché mortel. Mais morts, aussi, peuvent être dits, ceux qui s'y adonnent, simplement. Car ces biens sont des biens sensibles, des biens corporels, et cette administration est un office corporel. Or le corps, de soi, est chose morte, il n'a pas la vie en lui-même. La vie, il la tient de l'âme, il participe à la vie de l'âme, tant que l'âme habite en lui; il la perd, dès qu'il en est séparé.
Mes ministres consacrés, qui sont appelés à vivre comme des anges, doivent donc laisser les choses mortes aux morts, pour s'adonner à la conduite des [92] âmes, réalités vivantes qui ne meurent jamais. Qu'ils les gouvernent, qu'ils leur administrent les sacrements, qu'ils leur distribuent les dons et les grâces de l'Esprit-Saint, qu'ils les nourrissent du pain spirituel par une bonne et sainte vie. A ce prix, ma maison sera la maison de prière, abondante en grâces et riche de vertus. Mais ce n'est pas là, ce qu'ils font: leur conduite est tout autre. Aussi peut-on dire que ma maison est devenue une caverne de voleurs. Ils s'y sont établis marchands : ils vendent, ils achètent, et leur seule avarice est la loi de leurs contrats.
Ils ont fait de ma demeure un repaire de bêtes, puisqu'ils vivent, sans moralité, à la façon des bêtes. Oui, ils en ont fait une écurie, où ils se vautrent dans la fange du vice. Ils ont là, dans l'Eglise, leurs complices diaboliques, comme l'époux a son épouse dans sa maison. Tu vois, combien plus grands que tous les désordres dont je t'avais parlé, sont les maux qui reposent sur ces deux colonnes de pestilence et de corruption, qui sont l'impureté et l'avarice [93].
 

 chapitre 128
Comment ces ministres sont dominés par l'orgueil qui leur tait perdre le sens de la vérité; et comment, dans cet aveuglement, ils en arrivent à simuler la consécration sans consacrer réellement.

Je veux, maintenant, te parler de la troisième colonne, qui est l'orgueil. Je l'ai placée la dernière, mais s'il est le dernier, l'orgueil est aussi le premier de tous les vices. Car tous les vices ont leur fondement dans l'orgueil, comme toutes les vertus sont établies sur la charité et n'ont vie que par elle. C'est l'amour-propre sensitif, qui engendre et nourrit l'orgueil, comme il est le fondement premier de ces trois colonnes, et de tous les péchés que commettent les créatures. Qui s'aime soi-même d'un amour désordonné, n'a pas en soi la charité, puisqu'il ne m'aime pas. En ne m'aimant pas, il m'offense, il n'observe pas le commandement de la loi qui lui fait un devoir de m'aimer, Moi, au-dessus de tout, et le prochain comme lui-même.
En s'aimant eux-mêmes d'un amour sensitif, ces malheureux ne peuvent donc m'aimer ni me servir; c'est le monde qu'ils servent et qu'ils aiment car l'amour sensitif et le monde sont en Opposition avec moi. A raison même de cette opposition, qui aime le monde d'un amour sensitif, qui sert le monde d'une manière sensuelle, celui-là me hait; [94] comme celui qui m'aime vraiment, hait le monde. C'est pourquoi ma Vérité a dit : Nul ne peut servir deux maîtres si opposés : en servant l’un il mécontente l’autre (Mt 6,24).
Tu vois donc que l'amour-propre dépouille l'âme de ma charité pour la revêtir du vice de l'orgueil; et, par là même, tout péché a sa source dans l'amour-propre.
Toutes les créatures raisonnables m'affligent, de toutes je me plains, mais combien plus de ceux que j'ai consacrés mes ministres et qui ont pour devoir d'être humbles. Tous en vérité doivent posséder cette vertu d'humilité qui nourrit la charité, mais combien plus ceux qui sont attachés au service de l'humble Agneau sans tache, mon Fils unique. Ils n'ont pas honte cependant, et toute la race humaine avec ceux, de s'exalter eux-mêmes, alors qu'ils me voient, Moi, m'abaisser jusqu'à l'homme pour unir à votre chair le Verbe mon Fils unique, alors qu'ils voient ce Verbe s'empresser à l'obéissance que je lui ai imposée, et se soumettre à la mort ignominieuse de la croix! Il a la tête inclinée pour te saluer, le front couronné pour t'orner, les bras étendus pour t'embrasser, les pieds percés de clous pour demeurer avec toi! Et toi, homme misérable, qu'il a fait le ministre de tant de générosité et de tant d'abaissement, tu devrais embrasser la croix et tu la fuis, pour porter tes embrassements à de criminelles et immondes créatures [95]. Tu devrais être ferme et inébranlable dans la doctrine de ma Vérité, fixer en elle ton coeur et ton esprit, et tu es roulé comme une feuille au vent, tu fais voile à tout souffle qui passe. Le souffle de la prospérité te gonfle d'allégresse et tu t'y livres sans mesure; le vent de l'adversité t'emporte hors de toi et te jette dans la colère, cette moelle de l'orgueil; - la colère est la moelle de l'orgueil, comme la patience est la moelle de la chanté. Ainsi à l'orgueilleux, prompt a la colère, tout est tourment, tout est scandale.
Je réprouve tant l'orgueil, que je l'ai précipité du ciel dès que l'ange voulut s'exalter lui-même. L'orgueil ne monte pas au ciel, il tombe au fond des enfers. Aussi ma Vérité a-t-elle dit: " Celui qui s'exaltera (c'est-à-dire l'orgueilleux), sera abaissé et celui qui s'abaisse sera exalté ". Dans tous les hommes, quelle que soit leur condition, l'orgueil m'est odieux. mais surtout, comme je te l'ai dit, en ceux qui sont mes ministres: car, ceux-là, je les ai mis en un état d'humilité, pour servir l'humble Agneau. Chez eux, pourtant, quel orgueil! Comment ce malheureux prêtre ne rougit-il pas de s'enorgueillir ainsi, quand il me voit abaissé devant vous jusqu'à vous livrer le Verbe mon Fils unique, dont je l'ai fait le ministre, quand ce Verbe, pour obéir à ma volonté, s'est humilié jusqu'à la mort, jusqu'à l'opprobre de la croix? Il a la tête déchirée d'épines, et ce malheureux lève le front, contre moi et contre le [96] prochain. Au lieu de l'humble Agneau qu'il devrait être, c'est un bélier, portant cornes d'orgueil, et frappant quiconque l'approche.
O homme infortuné! tu ne penses donc pas que tu ne peux m'échapper? Est-ce là l'office que je t'ai confié, de me frapper, Moi, avec les cornes de l'orgueil, en m'outrageant ainsi que ton prochain, quand, sans droit et sans raison, tu te tournes contre lui? Est-ce donc là cette miséricorde, avec laquelle tu devrais célébrer le mystère du corps et du Sang du Christ mon Fils? Tu es devenu, comme une bête féroce, et tu n'as plus aucune crainte de Moi! Tu dévores ton prochain; tu fomentes la division autour de toi, par ta partialité; tu n'as d'égard que pour ceux qui te servent, qui te font des cadeaux, ou pour ceux qui te plaisent, parce que leur vie est semblable à la tienne. Tu les devrais corriger, et leur faire honte de leurs vices, tu leur en donnes l'exemple, au contraire; ils n'ont qu'à t'imiter, pour faire ce qu'ils font ou pis encore. Agirais-tu ainsi si tu étais bon? Mais comme tu es mauvais, tu ne sais pas corriger, tu es insensible aux fautes d'autrui. Tu méprises les humbles, et les pauvres vertueux tu les fuis: tu ne le devrais pas faire, mais tu as tes raisons pour cela. Tu les fuis, parce que la corruption de tes vices ne peut supporter l'odeur de la vertu. Il te répugne de voir mes pauvres à ta porte, et tu évites d'aller les visiter dans leurs besoins : tu les vois mourir de faim, sans venir à leur secours? Et pourquoi donc? sinon parce que ton front porte les cornes de l'orgueil, et que ces cornes [97] d'orgueil ne veulent pas s'abaisser à accomplir un petit acte d'humilité ! Et pourquoi donc refuses-tu de t'abaisser? Parce que l'amour-propre, où se nourrit l'orgueil, est maître chez toi. Voilà pourquoi, tu ne veux pas condescendre aux malheureux, voilà pourquoi tu ne veux pas administrer aux pauvres, les secours temporels et spirituels, ce service ne devant te rapporter aucun profit.
O maudit orgueil fondé sur l'amour-propre! Comme tu as aveuglé leur intelligence! Ils croient s'aimer eux-mêmes et d'une tendresse sans égale, et ils ne voient pas à quel point ils sont cruels envers eux-mêmes, et qu'ils perdent quand ils peuvent gagner! Ils sont dans les délices, pensent-ils, ils possèdent richesses et dignités! Ils s'aveuglent sur leur pauvreté et leur bassesse. Ils ne voient pas qu'ils ont perdu cette richesse de la vertu et qu'ils sont tombés des hauteurs de la grâce à la honte du péché mortel. Ils croient voir ; mais ils sont aveugles, parce qu ils ne se connaissent pas et ne me connaissent pas moi-même. Ils ne connaissent pas leur état, ni la dignité à laquelle je les avais élevés. ils ne connaissent pas la fragilité du monde et son peu de solidité s'ils la connaissaient, s'en feraient-ils un dieu?
Qui leur a fait perdre cette connaissance? L'orgueil! Et voilà ce qu'ils sont devenus, eux que j'avais élus pour mes anges, pour qu'ils fussent, en en cette vie, les anges de la terre. Des hauteurs du ciel ils sont tombés au fond des ténèbres; et, ces ténèbres se font si épaisses, leur iniquité si profonde [98], qu'ils en arrivent, parfois, au crime que je veux te dire.
Il en est d'aveuglés à ce point par le démon, que souvent ils font semblant de consacrer et ne consacrent pas, par crainte de mon jugement, et pour s'enlever tout frein qui pourrait encore les retenir dans leurs mauvaises actions. Le soir, ils ont mangé et bu plus que de raison, puis le matin, ils s'arracheront à leurs impuretés, il leur faudra satisfaire au service du peuple. Le souvenir de leurs fautes les arrête, ils voient qu'en bonne conscience ils ne doivent ni ne peuvent célébrer en cet état. Ils éprouvent quelque crainte de mon jugement, non par haine du vice, mais par l'amour-propre qu'ils ont pour eux-mêmes. O ma très chère fille, vois quel est l'aveuglement de ce prêtre! Au lieu de recourir à la contrition du c?ur et de regretter sa faute, avec le ferme propos de s'en corriger, il s'arrête à un autre moyen, il ne consacrera pas! Aveugle qu'il est, il ne voit pas, que le mal qu’il se dispose à accomplir est plus grave encore que celui qu'il a déjà commis! Il va rendre le peuple idolâtre, en proposant à ses adorations une hostie non consacrée, comme si elle était le corps et le sang du Christ mon Fils unique, vrai Dieu et vrai homme! C'est ce qu'elle est, une fois consacrée, mais en cette circonstance elle n'est vraiment que du pain.
Quelles abominations, tu le vois, et quelle patience ne me faut-il pas pour les supporter! S’ils ne se corrigent pas, toutes mes grâces tourneront à leur condamnation [99].
Mais que doit faire le peuple pour éviter ce péril? Il doit prier sous condition en formulant ainsi sa prière : "  si ce ministre a dit ce qu'il devait dire, je crois vraiment que vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant qui m'est donné en nourriture par l'ardeur de votre incompréhensible charité, en mémoire de votre très douce passion et du grand bienfait du Sang répandu avec un si ardent amour pour laver nos iniquités. " De cette façon, le peuple ne sera pas trompé par l'aveuglement du ministre, en adorant une chose pour une autre. La faute, en vérité, en est au seul ministre, mais les fidèles n'en seraient pas moins induits à faire un acte défendu .
O très douce fille, qui donc empêche la terre de les engloutir? Qui retient ma puissance de les arrêter et de les immobiliser, comme des statues, en présence de tout le peuple, pour les couvrir de confusion? Ma miséricorde. Je me contiens moi-même, ma miséricorde arrête ma justice divine. Je ne veux les vaincre qu'à force de miséricorde. Mais eux, ils sont obstinés comme des démons, ils ne connaissent pas, ils ne voient pas ma miséricorde. Ils semblent que tout ce que je leur donne n'est qu'un dû que je leur paie. Oui, l'orgueil les aveugle à ce point: ils ne voient plus qu'ils n'ont aucun droit, et que c'est pure grâce que je leur accorde [100].
 
 

 chapitre 129
De beaucoup d'autres péchés qui se commettent par orgueil et par amour-propre.
 

Tout ce que je t'ai dit, est pour te donner plus de sujet de pleurer amèrement sur l'aveuglement de ces prêtres, en te découvrant l'état de damnation dans lequel ils se trouvent. C'est aussi, pour te faire mieux connaître ma miséricorde, pour accroître encore ta confiance en cette miséricorde, pour t'amener i'i l'invoquer avec pleine assurance et à présenter devant moi, ces malheureux ministres de la sainte Eglise et l'univers entier, en me priant de leur faire miséricorde. Plus tu feras monter vers moi de voeux attristés et d'ardentes prières, plus tu me témoigneras l'amour que tu as pour moi.
Pour moi, personnellement tu ne peux rien, non plus que mes autres serviteurs: vous ne pouvez me servir que dans la personne de ces malheureux, et c'est à eux par conséquent que vous devez faire du bien. Je me laisserai vaincre alors par les désirs, par les larmes, par les prières de mes serviteurs, et je ferai miséricorde à mon Epouse, en la réformant par de bons et saints pasteurs. La présence de bons pasteurs amènera naturellement la conversion des [101] sujets, car ce sont les mauvais pasteurs, qui sont cause de presque tous les péchés que commettent les inférieurs. S'ils se corrigeaient en effet, si l’on voyait briller en eux la perle de la justice, avec une bonne et sainte vie, le peuple ne serait pas ce qu'il est. Sais-tu quelle est la conséquence de tous ces désordres? C'est que l'un suit les traces de l’autre. Pourquoi les sujets n'obéissent-ils pas? Parce que le prélat, quand il était sujet, n'obéissait pas lui-même à son prélat. Il reçoit à son tour ce qu'il a donné. Il fut un mauvais inférieur, il fait un mauvais pasteur.
La cause de tous ces péchés et de beaucoup d'autres, c'est l'orgueil, qui vient de l'amour-propre. Ignorant et superbe il était, quand il était dans le rang; beaucoup plus ignorant et superbe il est, maintenant qu'il est prélat. Si grande est son ignorance, si profond son aveuglement, qu'il conférera le sacerdoce à un homme sans culture, sachant à peine lire, ignorant tout des fonctions sacerdotales, d'une telle incapacité que souvent il ne pourra même pas consacrer parce qu'il ne connaît pas bien les paroles sacramentelles. Ce prêtre, ordonné dans ces conditions, sera donc exposé à tomber par ignorance en ce péché que d'autres commettent par malice, en faisant semblant de consacrer tout en ne consacrant pas.
Les pasteurs sont tenus, pourtant, de ne choisir que des hommes expérimentés, d'une vertu éprouvée, possédant la science, et l'intelligence des paroles et des rites du saint ministère. Et voilà que par un renversement des choses, ceux-ci ne regardent ni à la [102] science, ni à l'âge: ils ne tiennent compte que de leur propre affection : aujourd'hui, paraît-il, ce ne sont pas des hommes mûrs qu'ils consacrent, ce sont des enfants qu'ils choisissent. Qu'importe qu'ils soient de bonne et sainte vie, qu'ils soient instruits de la nature de cette dignité qui leur sera conférée, et du grand mystère qu'ils auront à accomplir? On ne pense qu'à multiplier la famille sacerdotale, non à multiplier la vertu. Aveugles, rassembleurs d'aveugles, ils ne voient pas que moi je leur demanderai compte de ces actes et de beaucoup d'autres, à leur dernier jour. Après avoir fait des prêtres si ignorants de tout, ils ne leur en confient pas moins le soin de conduire les âmes, alors qu'ils voient bien pourtant qu'ils ne sont même pas capables de se conduire eux-mêmes. Comment donc ceux qui ne peuvent discerner dans leur propre vie ce qui est mal, pourront-ils le découvrir dans les autres pour le corriger. Ils ne le peuvent pas et ils ne le voudraient pas faire, pour ne point se condamner eux-mêmes. Et les brebis, qui n'ont pas de pasteur, qui veille sur elles et les sache conduire, s'égareront facilement ; et, souvent, elles seront dévorées et déchirées par les loups.
Le mauvais pasteur ne se soucie guère d'avoir un bon chien qui aboie au loup: ils en ont un qui leur ressemble. Ces ministres et ces pasteurs, sans zèle aucun pour leurs âmes, n’ont point à leur service le chien de la conscience ; ils n’ont pas à la main le bâton de la justice. Aussi ne corrigent-ils point avec la verge ; le chien de la conscience reste [103] muet! Il n'aboie plus, pour les reprendre eux-mêmes dans le secret de leur âme, ou rappeler les brebis égarées hors du sentier de la vérité, dés qu'elles n'observent plus mes commandements. Ils ne s'emploient plus à les ramener dans le chemin de la vérité et de la justice, hors des atteintes du loup infernal. Si ce chien faisait entendre son aboiement, si la verge de la sainte justice s'abattait sur leurs égarements, les brebis rebrousseraient chemin pour revenir au bercail. Mais le berger est sans bâton et sans chien; et ses brebis périssent, sans qu'il en ait cure. Le chien de la conscience ne peut plus donner de la voix, tant il est débile, parce qu’il a été privé de sa nourriture.
Car il faut le nourrir le chien; et l'aliment qu'il lui faut, c'est la chair de l'Agneau mon Fils. Quand la mémoire, qui est comme le réservoir de l'âme, est pleine de ce sang, la conscience s'en nourrit. Le souvenir de ce sang enflamme l'âme, de la haine du vice et de l'amour de la vertu. Cette haine et cet amour purifient l'âme de la souillure du péché mortel et donnent vigueur à la conscience préposée a sa garde. Dès que quelque ennemi de l'âme, quelque péché mortel menace d'en franchir le seuil, avant même d'avoir subi son attrait, à la première pensée du mal, aussitôt la conscience est en éveil, son avertissement est comme l'aboiement du chien de garde, qui empêche de commettre l'injustice. Car celui qui a la conscience, possède la justice.
C'est pourquoi ces êtres d'iniquité, indignes d'être appelés mes ministres, et même des créatures [104] raisonnables, puisque leurs vices ont fait d'eux de simples animaux, n'ont plus à leur service ce chien, peut-on dire: car il est tellement débile qu'il n'est plus d'aucun secours, et ils ne possèdent pas, non plus, le bâton de la sainte justice. Leurs vices les ont rendus tellement craintifs que leur ombre même leur fait peur; crainte, qui n'est pas sainte, en vérité, mais toute servile. Ils devraient être prêts à supporter la mort pour arracher les âmes des mains du démon, et c'est eux qui les lui livrent, en ne leur procurant pas l'enseignement d'une bonne et sainte vie et en ne voulant pas même s'exposer pour leur salut à la moindre parole injurieuse.
Maintes fois, ce ministre se trouvera en présence d'une âme à lui confiée, et qui traîne la chaîne de lourdes fautes. Cette âme a de graves obligations de justice vis-à-vis d'autrui, et cependant, par un amour désordonné pour les siens, pour ne pas dépouiller sa famille, elle n'est pas disposée à s'acquitter de cette dette. Le fait est connu de beaucoup de gens; ce malheureux prêtre ne peut pas l'ignorer; on est même venu lui exposer cette situation, afin que, en sa qualité de médecin - ce qu'il doit être,- il puisse donner à cette âme, les soins que réclame son état. Ce pauvre ministre se rendra auprès d'elle, avec l'intention de faire ce qui doit être fait, mais le premier mot malsonnant, le moindre regard menaçant suffisent a lui ôter tout son courage il n'insistera plus. Parfois, on lui fera un cadeau. Bien pris désormais entre le présent accepté et la [105] crainte servile, il laissera cette âme comme il l'avait trouvée, aux mains du démon, et il lui donnera le Sacrement, le corps du Christ mon Fils unique. Il voit pourtant, il sait que cette âme est plongée dans les ténèbres du péché mortel; mais il ne veut pas déplaire aux gens du monde, il est dominé par une crainte désordonnée, il est séduit par le présent qu'on lui a fait; il administre les sacrements à ce pécheur public qui va mourir, et il l'ensevelit en grande pompe avec tous tes honneurs ecclésiastiques, alors qu'il aurait dû le jeter hors de l'Eglise comme un animal, comme un membre retranché du corps.
Quel est donc le principe d'une semblable conduite? L'amour-propre et l'exaltation de l’orgueil S'il m'avait aimé, Moi, par-dessus toute chose s’il avait aimé l'âme de ce pauvre malheureux il fût demeuré humble et n'eût plus eu peur, il aurait cherché à sauver cette âme.
Tu vois combien de maux ont leur fondement, dans ces trois vices, que je t'ai donnés comme les trois colonnes où s’appuient tous les autres péchés:
l'orgueil, l'avarice, l'impureté de l'esprit et du corps. Tes oreilles ne pourraient entendre toutes les iniquités que commettent ces membres du démon.
N'as-tu pas vu toi-même, où les entraînent parfois leur orgueil, leur luxure et leur avarice? Il se rencontre quelques âmes trop simples, mais de bonne foi, dont l'esprit est troublé par la crainte d'être possédées du démon. Elles vont trouver ce malheureux [106] prêtre, dans l'espoir qu'il les pourra délivrer et qu'un démon chassera l'autre. Son avidité commencera par recevoir un présent, et ensuite, donnant libre cours à sa lascivité brutale, il dira à cette pauvre âme: " Le tourment dont vous souffrez ne peut être apaisé qu'à une condition". - Et il l'amènera ainsi à pécher avec lui.
O démon, plus que démon! car tues devenu pire que démon! Beaucoup de démons, en effet, n'ont que dégoût pour ce péché, tandis que toi tu t'y vautres, comme le pourceau dans la boue. O animal immonde, est-ce donc là ce que je suis en droit d'attendre de toi! C'est pour chasser des âmes le démon, par la vertu du Sang, que je t'ai fait le ministre du Sang, et toi tu introduis le démon dans les âmes! Ne vois-tu pas que déjà la hache de la divine Justice est à la racine de ton arbre? Et tes iniquités, je t'en préviens, seront punies avec usure, en temps et lieu, si tu ne les châties toi-même, par la pénitence et par la contrition du coeur. Je n'aurai pas d'égard pour toi, parce que tu es prêtre ! Tu seras punis sévèrement, pour tes crimes, et pour ceux que tu auras fait commettre. Tu seras châtié, plus cruellement que les autres. Tu essayeras alors de chasser le démon, par le démon de la concupiscence!
Et celui-là, non moins misérable, qui se rend auprès d'une pauvre âme pour l'absoudre et la délivrer des liens du péché mortel, et qui par ses suggestions l'amène à commettre le mal avec lui! Il la laisse chargée de plus lourdes chaînes et plus [107] honteuses que celles dont il devait la libérer. Si tu t'en souviens bien, tu as vu de tes propres yeux, la pauvre créature ainsi trompée. N'est-ce pas là un pasteur qui n'a plus avec lui le chien de la conscience? Et non seulement il a étouffé la sienne, il tente encore de faire taire celle des autres.
Je leur ai confié la charge de chanter et de psalmodier, la nuit, l'office divin. Eux, au contraire, recourent aux maléfices et aux incantations démoniaques pour que le démon leur procure, la nuit, la visite de ces créatures qu'ils aiment si bassement. Et ils croiront qu'elles sont venues; mais ils sont le jouet d'une illusion.
O malheureux, je t'avais choisi pourtant pour passer dans la prière les veilles de la nuit, et te disposer ainsi, le matin venu, à célébrer le sacrifice! Tu devais répandre sur le peuple l'odeur de la vertu et non l'infection du vice! Je t'ai élevé à l'état des anges, pour te permettre, dès cette vie, de converser avec les anges, par la sainte méditation, afin qu'au dernier jour tu puisses jouir de moimême dans leur compagnie; et toi, tu mets tes délices à être un démon, à converser avec les démons, et c'est ainsi que tu te prépares à l'instant de la mort! La corne de ton orgueil a crevé, dans l'oeil de ton intelligence, la pupille de la très sainte foi tu as perdu la lumière, et tu ne vois plus en quelle misère tu es tombé! Tu ne crois donc pas que toute faute est punie, et toute bonne action récompensée. Si tii le croyais vraiment, tu agirais autrement; tu ne rechercherais pas, tu ne voudrais pas un pareil [108] commerce; son nom même te serait odieux, et tu ne pourrais l'entendre prononcer sans épou vante. Mais puisque c'est sa volonté que tu suis, puisque c'est dans son oeuvre que tu mets ton bonheur, ô deux fois aveugle que tu es, demande donc au démon, je t'en prie, quelle récompense il te réserve pour le service que tu lui rends. Il te répondra qu'il donnera ce qu'il possède lui-même. Il ne peut rien t'offrir que les cruels tourments, que le feu dans lequel il brûle éternellement et où, des hauteurs des cieux, l’a précipité son orgueil.
Toi, ange de la terre, ta superbe t'a fait choir aussi de la sublimité du sacerdoce et des sommets de la vertu, dans un abîme de misères, et si tu ne renonces pas à tes crimes, tu rouleras jusqu'aux profondeurs de l'enfer. Tu as fait de toi-même et du monde ton seigneur et ton dieu. Tu as joui du monde, en cette vie : ta propre sensualité s'est gorgée de ses plaisirs, ô prêtre, que j'avais revêtu du sacerdoce, pour mépriser le monde et ta propre sensualité! Eh bien! maintenant, dis donc au monde, dis donc à ta sensualité, de plaider pour toi devant moi, le Juge souverain! Ils te répondront qu'ils ne peuvent t'être d'aucun secours; ils se riront de toi; ils diront que tu as bien mérité ton sort, qu'il est juste que tu demeures confondu et réprouvé, devant Moi et devant le monde. Tu ne vois pas ton malheur, parce que, je te l'ai dit, la corne de ton orgueil t'a aveuglé. Mais tu le verras, au moment de la mort, alors que tu ne trouveras en toi-même aucune vertu pour éviter la damnation [109]; il n'en est point d'autre, en effet, que dans ma miséricorde, et dans l'espérance de ce sang précieux, dont je t'ai fait le ministre. Tune seras pas privé de cette assistance, pas plus que les autres, pourvu que tu veuilles espérer dans le Sang et dans ma Miséricorde. Mais nul ne doit être assez fou ni assez aveugle, pour attendre ce dernier moment.
Songe, qu'à cette heure dernière, le démon, le monde, la sensualité propre, accusent l'homme qui a vécu dans l'iniquité. Ils ne le trompent plus ils n'essayent plus de lui faire trouver la douceur là où il n'y a que de l'amertume, le bien où il n'y a que mal, la lumière où il n'y a que ténèbres, comme ils avaient accoutumé de faire pendant sa vie; ils lui découvrent la vérité telle qu'elle est. Le chien de la conscience, jusque-là muet, commence à aboyer avec tant de violence, qu'il réduit l'âme presque au désespoir. C'est là l'extrême péril qu'il lui faut éviter, en recevant avec confiance le Sang, malgré tous les crimes qu'elle a commis; car ma Miséricorde, qu'il reçoit par le Sang, est incomparablement plus grande que tous les péchés qui se commettent dans le monde.
Mais, je le répète, que personne ne diffère jusqu'à ce dernier instant; car c'est une chose terrible pour l'homme, que de se trouver désarmé sur le champ de bataille, au milieu de tant d'ennemis [110].
 

chapitre 130
De beaucoup d'autres péchés que commettent les mauvais pasteurs.

Voilà ce qu'oublient, ma fille très chère, les malheureux dont je t'ai parlé. S'ils y pensaient, ils ne se laisseraient pas aller à tant de crimes, et les autres non plus. Ils marcheraient sur les traces de ceux qui vivaient dans la vertu, et eussent préféré mourir plutôt que de m'offenser, plutôt que de défigurer leur âme, et de porter atteinte à la dignité dont je les avais investis. Ils augmentaient au contraire, ces justes, la dignité et la beauté de leur âme.
Non que, en vérité. la dignité du sacerdoce puisse être accrue ou diminuée, en elle-même, par les mérites ou les fautes personnels des prêtres; mais les vertus n'en sont pas moins une parure, dont ils peuvent orner leur âme et ajouter ainsi à la beauté qu'elle a reçue dès son origine, quand je la créai à mon image et ressemblance. Ceux-là connaissaient la vérité de ma Bonté, la beauté de leur âme et leur dignité, parce que l'orgueil et l'amour-propre ne les avaient point aveuglés, et privés de ce qui est la lumière de la raison. Dans cette lumière ils m'aimaient, Moi, et ils aimaient le salut des âmes. Mais [111], les pauvres malheureux, qui ont perdu cette lumière, vont de crime en crime, tranquillement, sans un remords, jusqu'au bord de la fosse.
Du temple de leur âme, de la sainte Eglise qui est un jardin, ils ont fait un repaire d'animaux. O très chère fille, quelles abominations il me faut souffrir! Leurs maisons devraient être l'asile de mes serviteurs et des pauvres. Ils devraient n'y avoir d'épouse que leur bréviaire et d'enfants que les livres de la sainte Ecriture: c'est dans cette compagnie qu'ils devraient se complaire, pour procurer au peuple la doctrine et lui donner l'exemple d'une sainte vie ! Et leurs demeures sont devenues le réceptacle du désordre, elles sont ouvertes aux personnes d'iniquité! Vois-le ce prêtre! Ce n'est pas le bréviaire qui est son épouse, ou il ne le traite que comme une épouse adultère. Une créature du démon a pris sa place et vit avec lui dans le crime. Ses livres, vois-les, c'est la troupe de ses fils; au milieu de ces enfants, fruits de la faute, fruits de son péché, il se sent heureux, sans penser à en rougir.
Les solennités pascales et autres jours de fêtes, où il est tenu de rendre honneur et gloire à mon nom, par l'office divin, et de faire monter vers moi l'encens d'humbles et ferventes prières, il les passe au jeu, à se divertir avec les créatures du démon, à se distraire avec les séculiers, à la chasse ou à la pipée, comme un laïc et un homme de cour.
O malheureux homme i Où en es-tu arrivé ! Ce sont les âmes que tu devais poursuivre et prendre pour l'honneur et la gloire de mon nom! C'est dans
les jardins de la sainte Eglise que tu devais demeurer, et tu cours les bois ! Tu es devenu bête toi-même, tu entretiens dans ton âme une foule d'animaux qui sont tes nombreux péchés mortels, voilà pourquoi tu t'es fais oiseleur et chasseur de bêtes! Le jardin de ton âme est passé à l'état Sauvage, il est devenu un fourré d'épines. C'est pour cela que tu te plais à courir, par les lieux déserts, à la poursuite des bêtes des forêts.
Rougis donc, ô homme! Considère tes crimes de quelque côté que tu regardes, tu as de quoi rougir! Mais non, tu es inaccessible à la honte, parce que tu as perdu la véritable et sainte crainte de Moi! Comme une courtisane sans pudeur, tu te vantes d'occuper une grande situation dans le monde, d'avoir une belle famille, une troupe nombreuse d'enfants! Si tu n'en as pas, tu cherches à en avoir, pour laisser des héritiers de ta fortune. Mais tu n'es qu'un bandit, tu n'es qu'un voleur! Tu sais bien que tu ne peux leur laisser ces biens et que tes héritiers ce sont les pauvres et la sainte Eglise. O démon incarné! esprit sans lumière, tu cherches ce que tu ne dois pas chercher ; tu te flattes, tu es fier de ce qui devrait te couvrir de confusion et te faire rougir devant moi, qui vois le fond de ton coeur. Les hommes eux-mêmes te méprisent, mais les cornes de ton orgueil t'empêchent de voir ta honte !
O très chère fille, je l'avais placé, ce prêtre, sur le pont de la doctrine et de ma Vérité, pour qu'il vous administrât à vous, les voyageurs, les sacrements de la sainte Eglise. Et le voilà qui est [113] descendu en dessous du pont, il est entré dans le torrent des plaisirs et des misères du monde. C'est là qu'il exerce son ministère, sans s'apercevoir que le flot de la mort va le prendre et l'emporter avec les démons, ses maîtres, qu'il a si bien servis. Il se laisse ainsi aller, sans résistance, au fil de l'eau, dans le courant du fleuve. S'il ne s'arrête, c'est à l'éternelle damnation qu'il va, avec tant de charges et d'accusations contre lui, que ta langue ne le pourrait dire. Plus lourde est sa responsabilité que celle de tout autre. Aussi, la même faute est-elle punie plus sévèrement en lui que dans les hommes du monde. Plus impitoyable aussi est l'accusation que ses ennemis font peser sur lui, quand, au moment de la mort, ils se dressent pour lui reprocher sa vie, comme je te l'ai dit [114].
 
 

chapitre 131
De la différence de la mort des justes d'avec celle des pécheurs. Et premièrement de la mort des justes.

Puisque je t'ai dit comment le monde, les démons et la sensualité propre accusaient le prévaricateur, je veux t'exposer plus longuement cette vérité, et t'entretenir en détail de l'état de ces malheureux, en cet instant suprême, pour t'en inspirer encore une plus grande compassion. Je te dirai combien différents sont les combats que doit soutenir l'âme du juste et ceux qui assaillent le pécheur, et combien différente aussi la mort de l'un et de l'autre. Tu apprendras quelle grande paix, plus ou moins profonde suivant la perfection de chacun, remplit l'âme du juste en ce dernier assaut.
Sache bien tout d'abord, que toutes les peines quelles qu'elles soient qu'endurent les créatures raisonnables, ont leur principe dans la volonté. Si leur volonté était bien ordonnée et en accord avec la mienne, elles n'auraient aucune peine. Elles ne seraient pas pour autant délivrées de toutes souffrances; mais ces souffrances, volontairement supportées pour l'amour de Moi, ne seraient plus pour elles des peines, dès lors qu'elles les endureraient [115] volontiers en voyant que telle est ma volonté. La sainte haine qu'elles conçoivent d'elles-mêmes, met ces âmes en hostilité permanente avec le monde, avec le démon, avec la sensualité propre. Aussi, à leur dernière heure, leur mort est paisible, parce que leurs ennemis ont été vaincus pendant leur vie.
Le monde ne peut accuser cette âme, qui a si bien connu tous les mensonges du monde qu'elle a renoncé au monde et a ses plaisirs.
La fragile sensualité ni le corps ne la peuvent non plus accuser, puisqu'elle a réduit sa sensualité en esclavage par le frein de la raison, et macéré sa chair par la pénitence, par les veilles, par d'humbles et continuelles prières. Elle a tué la volonté sensitive par la haine du vice et par l'amour de la vertu, et radicalement détruit le trop tendre amour, que l'homme a pour son corps. C'est cet amour, c'est cette tendresse que l'âme éprouve naturellement pour son corps qui fait paraître la mort si affreuse, et inspire à l'homme cette peur instinctive de la mort.
Mais, dans le juste parfait, la vertu triomphe de la nature : elle réprime la crainte naturelle, elle la domine par une sainte haine et par le désir de retourner à sa fin. La tendresse naturelle ne peut donc lui livrer assaut., et sa conscience demeure tranquille, parce que, durant sa vie, elle a fait bonne garde, elle a aboyé chaque fois qu'un ennemi paraissait, pour attaquer la cité de l'âme. Comme le chien, qui, à la porte, aboie dès qu’il aperçoit l'ennemi et réveille ainsi les gardes, le chien de la [116] conscience a donné l'alarme à la garde de la raison; et la raison, en compagnie du libre arbitre, a pu reconnaître, à la lumière de l'intelligence, si c'était un ami ou un ennemi qui se présentait.
A l'ami, â la vertu, aux saintes pensées du coeur, la raison et le libre arbitre ont ouvert avec plaisir, avec amour, et les ont entourés de soins et de sollicitude. L'ennemi, le vice, les pensées mauvaises, ils l'ont repoussé avec haine et dégoût.
La lumière de la raison et la main du libre arbitre armée de ce glaive de la haine et de l'amour se sont employées à donner la chasse à cet ennemi. Aussi, au moment de la mort, la conscience est-elle sans reproche, parce qu'elle a fait bonne garde: elle laisse donc l'âme en paix.
Il est vrai, cependant, que l'âme du juste, par humilité, et parce qu'aussi elle connaît mieux, a cet instant de la mort, la valeur du temps et le prix de la vertu, se reproche à elle-même de n'avoir pas assez bien employé ce temps. Mais la peine qu'elle en éprouve n'est pas afflictive; elle lui est profitable, au contraire. Elle amène l'âme à se recueillir en elle-même, pour se mettre en présence du sang de mon Fils, l'humble Agneau sans tache. L'âme ne s'attarde pas a considérer ses mérites passés, car elle ne veut ni ne peut espérer dans sa propre vertu; tout son espoir est dans le Sang où elle a trouvé ma Miséricorde. Comme elle a vécu avec le souvenir de ce sang, elle s'enivre encore de ce sang, elle s'y plonge jusque dans la mort.
Et les démons, comment pourraient-ils encore [117] lui faire peur, si cette âme, en l'accusant de ses péchés, puisque, pendant sa vie, sa sagesse a triomphé de leur malice. Ils accourent cependant, pour voir s'ils ne pourront point gagner quelque chose sur elle. Ils se présentent sous des formes horribles, ils prennent des apparences hideuses, ils provoquent en elle mille imaginations diverses, pour l'effrayer. Mais, à l'âme pure de tout venin criminel, cette vision ne cause pas la crainte ni l'effroi qu'elle peut provoquer chez celui quin vécu dans l'iniquité du siècle. A la vue de ce juste, dont l'ardente charité s'est réfugiée dans le Sang de mon Fils, les démons ne peuvent soutenir ce spectacle, ils s'éloignent, et ce n'est qu'à distance qu'ils essayent encore de lui lancer leurs flèches.
Leurs assauts et leurs cris ne troublent point cette âme, qui, je te l'ai dit ailleurs, a déjà commencé de goûter la vie éternelle. Éclairé par la lumière de la sainte foi, l'oeil de son intelligence est tout occupé de moi, son Dieu infini et éternel, dont elle attend la possession de ma grâce et non de ses mérites, par la vertu de Jésus-Christ, mon Fils. Vers ce bien, son espérance tend les bras; de ses mains l'amour l'étreint, elle commence ainsi à le posséder avant de l'avoir, comme je te l'ai expliqué en un autre endroit. Soudain, en un instant, toute baignée de ce Sang, elle passe par la porte de mon Verbe, pour arriver à moi l'Océan de Paix. Porte et Océan sont unis ensemble, puisque Moi et ma Vérité, mon Fils unique, nous ne faisons qu'Un...
De quelle allégresse est inondée l'âme, qui si [118] doucement se voit arrivée à ce passage, et qui jouit enfin du bonheur angélique ! Tous ceux dont la mort a cette douceur participent à cette félicité; mais combien plus encore mes ministres, ceux dont je t'ai dit qu'ils avaient vécu comme des anges, parce que, dans cette vie, ils ont eu une connaissance plus claire et un désir plus intense de mon honneur et du salut des âmes. Ils n'ont pas eu seulement la lumière de la vertu que tous généralement peuvent avoir, mais, en plus de cette lumière surnaturelle d'une vie vertueuse, ils ont possédé la lumière de la sainte science, qui leur a fait mieux connaître ma Vérité. Or, plus on connaît plus on aime, et qui plus aime, plus reçoit. La mesure de votre mérite est la mesure même de votre amour.
Si tu me demandais : Celui qui ne possède pas la science peut-il atteindre à cet amour? Oui certainement, il y peut parvenir, mais exceptionnellement, et un cas particulier ne peut être érigé en loi générale pour tous. Ici, c'est d'après la règle commune que je te parle.
Mes ministres ont encore reçu, de par leur sacerdoce, une dignité plus grande. Leur office spécial à eux, c'est de se nourrir des âmes, pour l'honneur de moi. Certes, à tous et à chacun il a été donné, il a été commandé de demeurer dans l'amour du prochain. Mais à eux seuls, à mes ministres, a été confiée la charge de gouverner les âmes et de leur assurer le service du Sang. S'ils s'acquittent de ce devoir avec zèle, par amour de la vertu, comme je t'ai dit, ils recevront plus que les autres [119].
O combien heureuse l'âme de ces prêtres, quand elle arrive à cette extrémité de la mort! Toute leur vie, ils sont demeurés les apôtres et les défenseurs de la Foi, pour leur prochain. La Foi a ainsi pénétré leur âme jusqu'aux moelles; et cette Foi leur découvre la place qu'ils obtiendront en moi. L'espérance qui soutenait leur vie n avait d'appui que dans ma Providence. Ce n'est pas en eux-mêmes qu'ils avaient mis leur confiance, ils ne se reposaient pas sur leur propre savoir. Comme ils s'étaient dépouillés de toute espérance en eux-mêmes, ils n'avaient point pour quelque créature d'attachement déréglé. Rien de créé ne prenait leur amour. Ils vivaient pauvres, et volontairement: ainsi détachés de tout le reste, ils dilataient à l'aise l'unique espoir qu'ils plaçaient en moi.
Leur coeur était un vase d'amour rempli de la plus ardente charité, qui portail mon nom et l'annonçait au prochain, par les exemples d'une bonne et sainte vie, non moins (lue par les enseignements de la parole. Ce coeur s'élève donc vers moi, à cette heure, avec un amour ineffable; il m'étreint de toutes ses forces, Moi qui suis sa fin, en me présentant la perle de la justice que toujours il porta devant soi, faisant droit à tous, et rendant à chacun fidèlement ce qui lui était dû. Aussi, me rend-il à moi-même, par son humilité, la justice à laquelle j'ai droit. Il rend honneur et gloire à mon nom, en proclamant que c'est par mn grâce, qu'il lui a été donné de passer le temps de sa vie, avec une conscience pure et sainte; et il a pour lui-même la justice qu'il mérite [120] en se confessant indigne d'avoir reçu et de recevoir une si grande grâce. Sa conscience me rend bon témoignage, et moi, je lui rends, suivant son mérite, la couronne de justice, ornée de perles précieuses, qui sont les bonnes oeuvres que la charité a fait produire à ses vertus.
O Ange de la terre, bienheureux es-tu, de n'avoir pas été ingrat pour les bienfaits que tu as reçus de moi, de ne les avoir ni négligés ni méconnus !
Eclairée de la vraie lumière, ta sollicitude a toujours en l'oeil ouvert, sur ceux qui t'étaient confiés. Pasteur fidèle, au coeur viril, tu as suivi la doctrine du vrai et bon Pasteur, le doux Christ Jésus, mon Fils unique. Aussi, est-ce par lui, en vérité, que tu es arrivé à Moi, baigné et noyé dans son sang, avec le troupeau de tes brebis, dont tu as déjà conduit un grand nombre à la vie éternelle, par la sainte doctrine et par tes exemples, et dont tu laisses beaucoup d'autres encore, en état de grâce.
O fille très chère, comment ceux-là pourraient-ils être troublés par la vue du démon, qui me voient déjà par la Foi et qui me possèdent par l'amour. En eux, point de corruption, point de péché : les ténèbres, les terreurs du dernier passage, ne leur causent donc aucune épouvante, aucun effroi. Ils n'ont point de crainte servile tout est saint dans leur crainte. Ils n'ont pas peur des illusions du démon, dont la lumière surnaturelle et la révélation des saintes Ecritures leur ont fait connaître les pièges; aussi leur âme n'en est-elle ni obscurcie ni troublée [121]. C’est ainsi qu'ils passent, glorieusement, baignés dans le Sang, dans un ardent désir du salut des âmes, tout embrasés de l'amour du prochain. Ils passent par la porte du Verbe, ils entrent en Moi, et ma Bonté assigne à chacun sa place et son rang, selon le degré de la charité qu'ils ont eue pour moi [122].
 
 

chapitre 132
De la mort des pécheurs et de leurs peines en ce dernier instant.

Le bonheur de mes prêtres fidèles n'est pas si grand, ma fille très chère, qu'il ne soit encore dépassé par la misère des pauvres infortunés dont je t'ai parlé. Que leur mort est affreuse et qu'elle est enveloppée de ténèbres !
A ce dernier instant, comme je te l'ai dit, les démons, par leurs accusations, les épouvantent et jettent le trouble dans leur esprit. Ils se montrent à eux sous une figure si horrible qu'il n'est point de peine en cette vie, tu le sais, qu'une créature aimerait mieux endurer, plutôt que de subir cette vue. Le remords de la conscience se réveille alors avec une telle vivacité, qu'il ronge cruellement le pécheur au plus intime de lui-même.
Tous les plaisirs déréglés, la sensualité propre qui s'était rendue souveraine et tenait en esclavage la raison, l'accusent sans merci parce qu'il reconnaît à cette heure, la vérité de ce qu'il méconnaissait auparavant. Le sentiment de son erreur le jette dans une grande confusion. Il découvre que, toute sa vie, il a vécu comme un infidèle et non en croyant, parce que l'amour-propre avait obnubilé chez lui [123] la pupille de la très sainte foi : le démon est là, qui l'assiège de la pensée de son infidélité, pour le pousser au désespoir. Oh ! que dire de cette lutte qui le trouve désarmé, privé qu'il est de ce glaive de la charité, qu'il a complètement perdu en devenant membre du démon!
Il n'a point la lumière surnaturelle, non plus que celle de la science, qu'il ne saurait comprendre d'ailleurs, puisque son orgueil ne lui permet pas d'en pénétrer le sens et d'en savourer la moelle. Aussi, l'heure venue de cette suprême bataille, il ne sait plus que faire.
Il n'a point été nourri de l'espérance, puisqu'il n'a point espéré en Moi ni dans le Sang, dont je l'avais constitué le ministre : tout son espoir il l'avait placé en lui-même, dans les honneurs et les plaisirs du inonde. Il ne voyait pas, ce malheureux esclave du démon, que tout ce qu'il possédait lui avait été prêté en viager, qu'il en était débiteur, et qu'il lui en faudrait rendre compte devant moi ! Voilà que maintenant il se trouve seul, dans sa nudité, sans aucune vertu, et, de quelque côté qu'il se tourne, il n'entend que plaintes contre lui, il ne voit que sujets de confusion.
L'injustice, dont il s'est rendu coupable durant sa vie, l'accuse devant sa conscience, et lui ôte tout courage, pour demander autre chose que la justice. Si grande est sa honte, si troublante sa confusion, qu'il s'abandonnerait au désespoir, s'il ne s'était fait, pendant sa vie, une certaine habitude d'espérer en ma Miséricorde, bien qu’à raison de ses péchés, [124] cette espérance ne fût qu'une grande présomption. Car celui qui m'offense en s'appuyant sur ma miséricorde, celui-là ne peut dire en vérité, qu'il espère en mn miséricorde. Mais ce présomptueux n'en a pas moins sucé le lait de la miséricorde. A l'heure de la mort, s'il reconnaît son péché, s'il décharge sa conscience par la sainte confession, il est purifié de la présomption, qui ne m'offense plus, et la miséricorde lui reste.
Par cette miséricorde il peut, s'il le veut, se rattacher à l'espérance. Sans cela, aucun de ces pécheurs n'échapperait au désespoir, et par la désespérance il encourrait avec les démons l'éternelle damnation.
C'est ma miséricorde qui, pendant leur vie, leur fait espérer mon pardon, bien que je ne leur accorde point cette grâce pour qu'ils m'offensent en comptant sur lui, mais pour dilater leur âme dans la charité et dans la considération de ma Bonté. C'est eux qui en usent à contre-sens, quand ils s'autorisent de l'espérance qu'ils ont en ma miséricorde, pour m'offenser. Je ne les en conserve pas moins dans l'espérance de la miséricorde, pour qu'au dernier moment ils aient à quoi se rattacher, qui les empêche de succomber sous le remords, en s'abandonnant au désespoir. Car le péché de la désespérance m'offense davantage et leur est plus mortel, que tous les autres péchés qu'ils ont commis dans le cours de leur existence.
Les autres péchés, en effet, ils les commettent par un entraînement de la sensualité propre; parfois [125] même ils en éprouvent du regret, et ils pensent en concevoir un repentir qui leur obtienne le pardon. Mais au péché de désespoir, comment trouver une excuse dans la fragilité! Là aucun plaisir qui les y attire; au contraire, rien qu'une peine intolérable. Dans le désespoir aussi, il y a le mépris de ma Miséricorde, par lequel le pécheur estime son crime plus grand que ma Miséricorde et que ma Bonté. Une fois tombé dans ce péché, il ne se repent plus, il ne s'afflige plus vraiment, comme il doit s'affliger. Il n'a de pleur que pour son propre malheur, il n'en a point pour mon offense. C'est ainsi qu'il tombe dans l'éternelle damnation.
C'est ce crime seul, tu le vois bien, qui le conduit en enfer, où il est châtié tout à la fois pour ce péché et pour les autres qu'il a commis. S'il eut conçu de la douleur et du repentir de l'offense qu'il m'avait faite à Moi, et s'il eut espéré dans ma miséricorde, il eut obtenu le pardon. Car, je te l'ai dit, ma miséricorde est incomparablement plus grande que tous les péchés que peuvent commettre toutes les créatures ensemble : aussi est-ce le plus cruel affront que l'on me puisse faire, que d'estimer que le crime de la créature est plus grand que ma Bonté.
C'est là le péché qui n'est pardonné, ni en cette vie ni dans l'autre. Au moment de la mort, après toute une existence passée dans le désordre et dans le crime, je voudrais donc que les pécheurs prissent confiance en ma miséricorde, tant j'ai horreur du désespoir. Voilà pourquoi, pendant leur [126]
vie, j'use avec eux de ce doux stratagème, de les faire espérer largement dans ma miséricorde. Après avoir été nourris intérieurement dans cette espérance, ils sont moins enclins à s'en laisser détacher, quand vient la mort, par les durs reproches qu'ils entendent.
Cette grâce est pur don de mon ardente et insondable Charité. Mais cette grâce, ils en ont usé sous l'inspiration ténébreuse de l'amour-propre de là tout le mal. Ils ne l'ont pas connue en vérité; il y avait une grande présomption, dans le sentiment qu'ils éprouvaient de la douceur de ma miséricorde.
C'est là un autre reproche que leur fait leur conscience, en présence des démons. Ils comptaient sur le temps, ils se confiaient à la libéralité de la miséricorde! Oui, mais cette espérance leur était donnée pour dilater leur âme dans la charité et dans l'amour des vertus, pour employer en bonnes oeuvres, le temps que je leur accordais par amour. Eux, ils ont passé ce temps, ils se sont servis de cette large espérance en ma miséricorde, pour m'outrager misérablement. O deux fois aveugle! tu as enfoui la perle et le talent, que je t'avais mis entre les mains pour en tirer profit. Dans ta présomption, tu as refusé de faire ma volonté, et sous la terre de ton amour-propre, de ton amour égoïste, tu as enfoui mon don : il a fructifié, et tu en recueilles à cette heure un fruit de mort. O malheureux, quelle peine s'abat sur toi en cette extrémité! Tu ne peux plus fermer les yeux sur tes misères [127] ! Le ver de la conscience ne dort plus, tu le sens qui te ronge! Les démons élèvent contre toi leurs clameurs, ils t'apportent le prix des services qu'ils ont coutume de payer à leurs esclaves, la confusion et les reproches. Pour qu'en cet instant de la mort tu n'échappes pas à leurs mains, ils veulent jeter ton esprit dans le trouble, pour t'acculer au désespoir et te faire ensuite partager leur sort.
O malheureux! la dignité à laquelle je t'avais élevé, tu la vois aujourd'hui en pleine lumière, telle qu'elle est en vérité. Cette vue te force à reconnaître, pour ta honte, que c'est pour des oeuvres de péché, que tu as retenu ou dépensé les biens de la sainte Église ; il te faut convenir que tu es un larron, que tu es débiteur envers l'Église, et que tu dois restituer ce qui appartient aux pauvres. Ta conscience te représente que ce bien tu l'as dépensé, en gratifications à des pécheresses publiques, pour élever tes enfants, pour enrichir tes parents; tu l'as gaspillé dans le luxe de ta table, pour l'ornement de ta maison, pour l'acquisition de toute une vaisselle d'argent, toi qui devais vivre dans la pauvre té volontaire!
Elle te représente aussi, ta conscience, l'obligation de l'office divin, la facilité avec laquelle tu l'omettais, sans te soucier du péché mortel, que tu commettais par cette négligence; elle te rappelle que, lorsque tu le récitais, c'était des lèvres seulement, et le coeur loin de moi.
Et les âmes qui t'étaient confiées! la charité que [128] tu leur devais, l'obligation qui t'incombait de les élever dans la vertu, en leur donnant l'exemple d'une vie sainte, en les façonnant par la main de la miséricorde et la verge de la justice! C'est le contraire que tu as fait, et ta conscience t'en accuse, en
présence de cette horrible apparition des démons. Et toi, prélat! Si tu as conféré des prélatures ou des charges d'âmes a quelqu'un de tes inférieurs, en dehors du droit; si tu n'as pas considéré, à qui et comment tu les as données, la conscience te cite à son tribunal. Elle voit clairement, aujourd'hui, pour quels motifs tu les devais distribuer, ces charges. Il ne fallait pas te laisser prendre aux flatteries, ni chercher à plaire aux créatures, ni te laisser séduire par les présents : tu ne devais avoir égard qu'à la vertu, à l'honneur de mon nom et au salut des âmes. Tu ne l'as pas fait, et ta conscience te le reproche à cette heure, pour ton châtiment, pour ta honte. En pleine lumière d'intelligence, elle te dit ce que tu n'aurais pas dû faire et que tu as fait, ce que tu aurais dû faire et que tu n'as pas fait.
Tu sais bien, très chère fille, que l'on connaît plus exactement le blanc quand il est rapproché du noir et le noir quand il est à côté du blanc, que lorsqu'on les voit séparés l'un de l'autre. Ainsi en est-il, pour ces infortunés, pour mes ministres et particulier, mais aussi, générale ment, pour tous les pécheurs, lorsqu'au moment de la mort, l'âme commence à apercevoir son malheur. Tandis que le juste a le sentiment de sa béatitude, le coupable voit se dérouler [129] à ses regards sa vie criminelle. Nul besoin qu'un étranger vienne en placer le tableau sous ses yeux: sa conscience suffit à lui remettre en mémoire, tons les crimes qu'il a commis, en regard des vertus qu'il aurait dû pratiquer. Pourquoi les vertus? Pour sa plus grande confusion. Cette comparaison de la vertu avec le vice, fait mieux ressortir par le contraste, l'indignité du péché, et plus le coupable en prend conscience, plus il en éprouve de boute. La vue de ses fautes, en retour, lui fait mieux comprendre la perfection de la vertu, et la considération de son existence, vide de bonnes oeuvres, provoque chez lui une douleur plus vive. Dans cette connaissance qu'il prend ainsi de la vertu et du vice, il discerne très bien, n'en doute pas, le bonheur réservé à la vertu du juste et le châtiment qui attend le coupable, plongé dans les ténèbres du péché mortel.
Cette vue exacte des choses, c'est Moi qui la lui donne, non pour le conduire à la désespérance, mais pour lui inspirer une plus parfaite connaissance de lui-même, et une honte de ses péchés mêlée d'espérance. Mon dessein est de l'amener, par cette honte et cette connaissance, à avouer ses fautes et à apaiser ma colère, en implorant humblement son pardon.
Le juste, à ce moment éprouve une joie croissante, dans le sentiment plus intense de ma Charité. S'il est demeuré dans le chemin de la vertu en suivant la doctrine de ma Vérité, c'est à Moi non à lui-même qu'il attribue la grâce de sa fidélité. C'est [131] donc en Moi que son âme exulte, sous l'influence de cette lumière et de ce sentiment. Il a aussi un avant-goût, il reçoit les arrhes du bonheur tout proche, comme je te l'ai expliqué en un autre endroit.
Ainsi donc, l'un, le juste, qui a vécu dans la plus ardente charité, surabonde de joie, pendant que l’autre, le criminel, l'être de ténèbres, est abîmé dans la douleur. Le juste n'est point ébranlé par la vue des démons ni par leur suggestion, il n'en a pas peur; parce qu'il ne craint qu'une chose au monde, une seule chose le peut faire souffrir, le péché. Mais ceux qui ont passé leur vie dans la débauche et dans le désordre, ceux-là, oui, ont peur des démons et leur vue leur est un supplice. Ils ne peuvent cependant, être précipités par eux dans le désespoir, s'ils ne le veulent, mais il leur faut subir, comme un châtiment, leurs reproches, le réveil de la conscience, la crainte et l'épouvante de leur affreuse présence.
Vois donc, très chère fille, quelle différence pour le juste et pour le pécheur, dans cette peine de la mort, et dans les assauts qu'ils ont à soutenir! Quelle différence aussi dans leur fin ! Je ne t'en ai raconté qu'une toute petite partie. Ce que j'en ai dévoilé au regard de ton intelligence, est si peu de chose auprès de la réalité, que ce que je t'ai exposé de la souffrance de l'un et du bonheur de l'autre, n'est pour ainsi dire rien.
Quel n'est pas l'aveuglement de l'homme, et en particulier de ces malheureux! Plus ils reçurent de [131] moi et plus leur esprit fut éclairé par la sainte Écriture, plus ils avaient d'obligations et plus intolérable par conséquent est leur confusion. Plus ils ont connu la sainte Écriture pendant leur vie, plus à cet instant de la mort, ils voient en pleine évidence les grandes fautes qu'ils ont commises. Ils seront, en outre, condamnés à des tourments plus durs que les autres, comme de leur côté les bons seront plus élevés en gloire. Il leur arrivera comme au faux chrétien qui, dans l'enfer, est plus torturé qu'un païen, parce qu’ il a possédé la foi et n'a pas voulu de sa lumière, tandis que le païen ne l'a jamais eue. Ces malheureux prêtres, eux aussi, pour une même faute, seront punis plus rigoureusement que les autres chrétiens, à cause du ministère que je leur avais confié pour la distribution du Soleil eucharistique, et parce qu'ils possédèrent la lumière de la science, qui leur permettait de discerner la vérité pour eux et pour les autres, s'ils l'avaient voulu. Il est juste qu'ils reçoivent un plus terrible châtiment.
Ils n'y pensent pas, les infortunés! S'ils faisaient réflexion sur leur état, ils ne tomberaient pas en tous ces malheurs; ils seraient ce qu'ils doivent être et qu'ils ne sont pas. Par eux le monde entier est corrompu, parce qu'ils font pire que les séculiers eux-mêmes. Ce n'est donc pas seulement leur âme, qu'ils souillent avec leurs impuretés, ils en emploi sonnent ceux qui leur sont confiés. Ils sucent le sang de mon Épouse, la sainte Eglise : elle en est devenue toute pâle et défaillante. L'amour et les [132] soins qu'ils devaient à cette Épouse, ils les ont reportés sur eux-mêmes ils n'ont de zèle que pour la dépouiller. Ce sont les âmes dont ils devraient être avides, et ils n'ont d'ambition que pour les prélatures et les gros revenus. Par leur mauvaise vie, ils ont provoqué le mépris des séculiers et leur désobéissance envers l'Église. Ce mépris et cette désobéissance ne laissent pas, néanmoins, d'être coupables, et la faute des séculiers n'est pas excusée par celle des ministres [133].
 
 
 

 chapitre 133
Bref résumé de ce qui précède; et comment Dieu dé rend aux séculiers de porter la main sur ses prêtres. Comment aussi il invite cette âme à pleurer sur ces prêtres prévaricateurs.

J'aurais bien d'autres crimes encore à te faire connaître, mais je ne veux pas plus longtemps en souiller tes oreilles. Je t'ai fait ce récit, pour satisfaire à ton désir et pour stimuler ton zèle à m'offrir les voeux, à la fois amers et doux, de ton amour. Je t'ai dit l'excellente dignité dont je les ai revêtus, en même temps que le trésor que leurs mains sont chargées de vous distribuer, ce Sacrement de mon Fils, vrai Dieu et vrai homme, que j'ai comparé au soleil, pour te faire comprendre que leurs fautes n'en altèrent pas la vertu. C'est aussi pourquoi, je veux pareillement qu'elles ne diminuent en rien le respect qui leur est dû. Puis je t'ai montré l'excellence de mes ministres fidèles, en qui brille la perle de la vertu et de la sainte justice.
Je t'ai expliqué ensuite, quelle grave offense commettent contre moi ceux qui persécutent l'Eglise, et l'irrévérence dont, par là même, ils se rendent coupables contre le Sang. Ce qui est fait contre mes ministres, je le considère comme un [134] attentat contre le Sang; c'est pourquoi j'ai défendu que l'on touchât à mes christs. Je t'ai entretenu enfin de leur vie coupable, de leurs désordres, des peines et de la confusion qui les attendent à l'instant de la mort, des tourments plus cruels que ceux réservés aux autres pécheurs, qu'ils doivent endurer dans l'au-delà. J'ai tenu ainsi ce que je t'avais promis, de te raconter quelque chose de leur vie, et par là même, j'ai exaucé la demande que tu m'avais adressée, d'accomplir la promesse que je t'avais faite.
Je te dis derechef, que si grands que soient leurs péchés, et fussent-ils plus graves encore, je ne veux pas qu'aucun séculier s'arroge le droit de les punir. S'ils l'osent, leur crime ne demeurera pas impuni, s'ils ne l'expient par la contrition du coeur et ne reviennent à résipiscence. Les uns et les autres, mauvais ministres et persécuteurs sont des démons incarnés. C'est la Justice divine qui permet qu'ils entrent en lutte, et se châtient les uns les autres. Mais le crime du séculier n'excuse pas celui du prélat, ni le crime du prélat celui du séculier.
Maintenant, très chère fille, je vous invite tous, toi et mes autres serviteurs, à pleurer sur ces morts; à demeurer, comme des brebis fidèles, dans le jardin de la sainte Église, pour vous nourrir des saints désirs et des oraisons continuelles que vous m'offrirez pour eux. Car, je veux faire miséricorde au monde. Ne vous laissez pas distraire de cette nourriture, ni par les injures, ni par la prospérité; paissez continuellement, en ce pâturage, sans [135] que jamais l'impatience de l'épreuve, ou une joie désordonnée, puisse vous faire relever la tête. Appliquez-vous humblement à procurer mon honneur, le salut des âmes et la réforme de la sainte Eglise. Là sera le signe, que vous m'aimez en vérité. Je t'ai déjà manifesté ma volonté, tu le sais bien, que vous demeuriez, toi et les autres, comme des brebis fidèles, toujours occupées à paître dans le jardin de la sainte Église, et supportant toutes les fatigues jusqu'à l’heure de la mort. Fais-le donc, et Moi, de mon côté, je comblerai tes désirs [136].
 
 

chapitre 134
Comment cette âme dévote en louant et remerciant Dieu, prie pour la sainte Église.

Alors cette âme, comme enivrée, haletante, et embrasée d'amour, le coeur blessé d'une grande douleur, se tournait vers la souveraine et éternelle Bonté: " O Dieu éternel, disait-elle, Ô Lumière au-dessus de toute lumière et foyer de toute lumière! Ô Feu au-dessus de tout autre feu, Feu qui seul brûle sans se consumer! Feu qui consume dans l'âme tout péché et tout amour-propre, Feu qui ne consume pas l'âme, mais la nourrit d'un amour insatiable, puisqu'en la rassasiant, vous ne la rassasiez pas, elle vous désire toujours; et plus elle vous désire plus elle vous possède, plus elle vous cherche et plus elle vous trouve, plus elle vous goûte, Ô Feu souverain, Feu éternel, abîme de Charité!
O Bien suprême et éternel, qui vous a donc porté, vous le Dieu infini, à m'éclairer de la lumière de votre Vérité, moi votre petite créature? Nul autre que vous-même, Ô Feu d'amour! L'Amour, toujours, l'Amour seul, vous a poussé et vous pousse encore à créer à votre image et ressemblance vos [137] créatures raisonnables, et à leur faire miséricorde, en les comblant de grâces infinies et de dons sans mesure. O Bonté au-dessus de toute bonté, vous seul êtes souverainement bon! Et, cependant, vous nous avez donné le Verbe, votre Fils unique, pour qu'il vécût avec nous, en contact avec notre être de corruption et nos ténèbres! De ce don quelle fut la cause? L'amour car vous nous avez aimés avant que nous ne fussions. O Grandeur éternelle! Ô! grandeur de Bonté. Vous vous êtes abaissée, vous vous êtes faite petite, pour faire l'homme grand. De quelque côté que je me tourne, je ne trouve qu'abîme et feu de votre Charité.
Est-ce moi, pauvre misérable, qui pourrai reconnaître ces grâces et cette ardente Chanté que vous m'avez témoignée et que vous me témoignez encore, avec tant d'amour, à moi en particulier, en dehors de la charité générale et de l'amour que vous avez pour vos créatures? Non, certes : Vous seul, très doux et tendre Père, serez reconnaissant pour moi. C'est le sentiment de votre Charité elle-même, qui vous rendra grâce à ma place : car moi, je suis celle qui ne suis pas. Si je disais que je suis quelque chose par moi-même, je mentirais sur ma tête; menteuse, je serais fille du démon qui est le père du mensonge. Vous seul, êtes Celui qui est. L'existence et toutes les grâces que vous avez ajoutées à mon être, c'est de vous que je les tiens, c'est vous qui me les avez données et me les continuez, par amour, sans que j'y aie aucun droit.
O Père très doux, quand la race humaine était là [139] gisante et blessée par le péché d'Adam, vous lui avez envoyé le médecin, votre cher Fils, le Verbe d'amour. Et quand j'étais abattue moi-même, languissante dans la négligence et une épaisse ignorance, vous le très doux et très suave médecin, le Dieu éternel, vous m'avez donné une suave et douce et amère médecine, pour me guérir et me tirer de mon infirmité. Elle était suave, parce que c'est, avec votre charité, avec votre suavité que vous vous êtes manifesté à moi, vous la douceur au-dessus de toute douceur. Vous avez éclairé l'oeil de mon intelligence par la lumière de la très sainte foi, et dans cette lumière, suivant qu'il vous plut de me le découvrir, j'ai connu l'excellence et la grâce que vous avez conférées à la race humaine en vous donnant à elle tout entier, vrai Dieu et vrai homme, dans le corps mystique de la sainte Église. J'ai appris ainsi la dignité de vos ministres, établis par vous, pour vous distribuer vous-même à nous.
Je désirais l'accomplissement de la promesse que vous m'aviez faite, et vous m'avez accordé beaucoup plus, en me donnant ce que je ne savais pas vous demander. Vous m'avez fait connaître ainsi que le coeur de l'homme ne peut tant demander ni tant désirer, que vous ne lui donniez encore davantage. Je vois que vous êtes le Dieu infini et éternel, et que nous, nous sommes ceux qui ne sont pas. C'est parce que vous êtes infini, et nous finis, que vous donnez à votre créature raisonnable plus qu'elle ne peut et sait désirer. La mesure de son désir n'égale jamais la mesure, suivant laquelle [139] vous savez, pouvez et voulez exaucer l'âme, et la rassasier de ce qu'elle ne vous a pas demandé. Encore moins, peut-elle mettre dans sa prière, cette amabilité et cette douceur avec laquelle vous donnez.
J'ai donc été éclairée de votre lumière sur votre Grandeur et votre Charité, par l'amour même que VOUS avez en pour toute la race humaine, et particulièrement pour vos oints, qui doivent être, en cette vie, les anges de la terre. Vous m'avez montré la vertu et le bonheur de ceux de vos christs qui ont vécu dans la sainte Église comme des lampes ardentes, ornées de la perle de la justice, et j'ai mieux compris par là, la faute de ceux qui vivent dans le désordre. J'en ai conçu une grande tristesse, et pour l'offense qui vous est faite et pour le dommage qui en résulte pour le monde entier. Car ils sont une cause de perdition pour le monde, aux yeux duquel ils apparaissent comme le miroir du vice, quand ils devraient être le miroir de la vertu. Et comme à moi misérable, qui suis la cause et l'instrument de bien des péchés, vous avez montré leur iniquité et confié vos plaintes, j'en ai éprouvé une intolérable douleur.
O amour ineffable! Vous m'avez donné, en me dévoilant ces choses, une médecine douce et amère, pour me guérir de mon infirmité, pour m'arracher à mon ignorance et à ma tiédeur, pour ranimer mon zèle et provoquer un ardent désir de recourir à vous! En me montrant ainsi votre Bonté et les outrages que vous recevez de tous les hommes, [140] mais spécialement de vos ministres, vous avez voulu me faire verser, sur moi-même, pauvre pécheresse, et sur ces morts qui vivent si misérablement, un torrent de larmes, qui jailliront de la connaissance de votre infinie Bonté. Je ne veux donc pas, Ô Père éternel, foyer d'amour ineffable et d'ardente charité, je ne veux pas cesser un instant, de faire des voeux pour votre honneur et le salut des âmes! Je ne veux pas que mes yeux s'arrêtent de pleurer, et je vous demande en grâce, qu'ils soient comme deux fleuves de cette eau qui jaillit de vous, l'Océan de paix!
Grâces, grâces vous soient rendues, à vous, Père, pour avoir exaucé mn demande, et aussi pour m'avoir accordé ce que je ne connaissais pas, ce que je ne demandais pas. En me fournissant un sujet de larmes, vous m'avez invitée à offrir devant vous, de doux et d'ardents désirs, tout chargés d'amour, avec mes humbles et continuelles prières. Je vous demande donc, maintenant, de faire miséricorde au monde et à votre sainte Eglise, en vous suppliant d'accomplir vous-même, ce que vous-même me faites demander. Oh! misérable que je suis, quelle douleur en mon âme d'être cause de tous ces maux! Faites miséricorde au monde, ne tardez plus, laissez-vous fléchir, exaucez enfin le désir de vos serviteurs! Hélas! N'est-ce pas vous-même qui provoquez leurs cris? Écoutez donc leur voix! N'est-ce pas votre Vérité qui a dit: "Appelez, et il vous sera répondu; frappez et il vous sera ouvert, demandez et [141] l'on vous donnera (Lc 11,9)?" O Dieu éternel, vos serviteurs font appel à votre miséricorde, répondez-leur donc! Ne sais-je pas que la Miséricorde est tellement divine que vous ne pouvez refuser de l'accorder à qui vous la demande? Ils frappent à la porte de votre Vérité, parce que dans votre Vérité, votre Fils unique, ils ont connu l'amour ineffable que vous avez pour l'homme. S'ils frappent à la porte, votre charité de feu ne doit donc pas, ne peut pas, refuser d'ouvrir à qui frappe avec persévérance!
Ouvrez donc ! Elargissez, brisez les coeurs endurcis de vos créatures, non à cause d'elles qui ne frappent pas, mais à cause de votre infinie Bonté, mais à cause de l'amour de vos serviteurs qui frappent, en vous implorant pour eux! Donnez-leur, Père éternel! Voyez, ils sont là, à cette porte de votre Vérité, qui demandent! Et que demandent-ils? Le sang de votre Vérité qui est elle-même la porte! Ils veulent ce sang dans lequel vous avez lavé l'iniquité et effacé la tache du péché d'Adam. Il est à nous, ce sang, puisque vous nous en avez fait un bain! Vous ne pouvez pas, vous ne voulez pas le refuser à qui vous le demande. Donnez donc le fruit de ce sang, à vos créatures. Placez dans là balance le prix du sang de votre Fils, et que les démons de l'enfer ne puissent emporter vos brebis!
Oh! n'est-ce pas vous, le bon Pasteur, qui nous avez donné le vrai Pasteur, votre Fils unique, qui, [142] sur votre commandement, a donné sa vie pour ses brebis et les a lavées dans son sang? C'est ce sang, que vous demandent vos serviteurs, avec un grand désir, en frappant à cette porte. C'est par ce sang, qu'ils vous supplient de faire miséricorde au monde, et de faire refleurir à nouveau la sainte Eglise, en lui envoyant ces fleurs embaumées, que sont les bons et saints pasteurs, pour que la bonne odeur qu'ils répandent dissipe l'infection des fleurs mauvaises et fétides. Père éternel, vous avez dit vous-même, que, pour l'amour que vous portez à vos créatures raisonnables, vous aurez égard aux prières de vos serviteurs, à leurs travaux, aux souffrances qu'ils endurent, sans avoir péché, pour faire miséricorde au monde et réformer votre Eglise ! C'est la consolation qu'attendent vos serviteurs. Ne tardez donc plus à jeter sur nous le regard de votre miséricorde! Répondez-nous, ô Vous qui voulez nous répondre avant même que nous vous invoquions, répondez-nous avec la voix de votre miséricorde!
Ouvrez la porte de votre ineffable charité, cette charité que vous nous avez déjà donnée par votre Verbe. En vérité, je sais que déjà vous ouvrez avant même que nous frappions! Ouvrez donc! C'est avec l’affection, c'est avec l'amour que vous-même avez donnés à vos serviteurs, qu'ils heurtent à cette porte et qu'ils vous appellent, tout remplis d'ardeur pour votre honneur et le salut des âmes. Donnez-leur le pain de vie, le fruit du sang de votre Fils unique, qu'ils vous demandent pour la gloire et l'honneur [143] de vôtre nom et pour le salut des âmes! Ne reviendra-t-il pas à votre nom, plus de gloire et de louange, à sauver tant de créatures, qu'à les laisser s'obstiner dans leur endurcissement?
A vous, Père éternel, tout est possible! Bien que vous nous ayez créés sans nous, vous ne voulez pas nous sauver sans nous. Je vous prie donc, de retourner leur volonté et de la disposer à vouloir ce qu'ils ne veulent pas: je vous le demande par votre infinie miséricorde! Vous nous avez créés de rien! Maintenant que nous sommes, faites-nous miséricorde, réparez les vases que vous avez créés et formés à votre image et ressemblance. Restaurez-les dans la grâce, par la miséricorde et le sang de votre Fils, le doux Christ Jésus [144].
 
 
 
 

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