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Sainte Brigitte de Suède
Les Révélations Célestes
[Apparitions, extases, locutions] sont approuvées par trois papes et par le concile de Bâles,
1557 pages Traduction de Jacques Ferraige
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édition numérique par Françoise Lajugie  et www.JESUSMARIE.com
Début p 198

       livre 4 chapitre 23                        XXIII .

Saint Jean l’Evangéliste parle à la Sainte Vierge Marie d’un
     hypocrite fin et méchant . Réponse de la Vierge . De quelle
     manière il est devenu tel . Des illusions que le diable lui
     donne . Comment , par sept signes , un bon esprit est connu ,
     et par autant , le malin esprit .

     Saint Jean l’Evangéliste dit à la mère de Dieu : Oyez , ô
Vierge et Mère d’un Fils unique , Mère du Fils  unique de Dieu , Créateur et Rédempteur de tous , oyez , combien celui-ci est trompé du diable , combien il se peine pour acquérir ce qui est impossible ; de combien de choses il est instruit par l’esprit de mensonge ; combien il s’éloigne de Dieu en espèce de brebis et en forme de lion . J’ai enseigné qu’il y a trois choses qui donnent témoignage au ciel et en terre : le Père , le Fils et le Saint-Esprit . Or , à celui-là , le malin esprit lui porte témoignage qu’il est tout saint , non en effet , mais par tromperie de Satan et dissimulation , lequel le Père ne fortifie point par sa puissance , le Fils ne vivifie point par sa sagesse ,ni le Saint-Esprit n’enflamme , point par son amour : ce n’est pas de merveille , car il aspire à la puissance contre la puissance du Père ; il veut être sage contre la sagesse du Fils ; il est enflammé , mais d’un autre amour que du
Saint-Esprit .
     Partant , dit saint Jean à la Sainte Vierge Marie , priez votre Fils , ou afin qu’il soit bientôt enlevé , afin qu’il ne perde les autres , ou qu’il soit soudain humilié pour ses fautes .
     La Mère de Dieu répondit : Oyez , vous , ô

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homme vierge ! Vous êtes celui qu’il a plu à Dieu d’appeler de ce monde par une mort si douce qu’elle s’approchait de la mienne , car je m’endormis quasi en la séparation de l’âme et du corps , et m’éveillai en une joie perpétuelle . Ni cela n’est pas de merveille , d’autant que j’ai souffert plus de peine et d’amertume à la mort de mon Fils ; c’est pourquoi il a plu à mon Dieu de me tirer du monde avec une mort fort douce et très-glorieuse . Or , vous , entre tous les apôtres , m’avez approchée de plus près et avez expérimenté des signes d’un plus grand amour par-dessus les autres . La passion de mon Fils vous a été autant amère par-dessus les autres , que vous l’avez de plus près et plus clairement regardée ; et d’autant que vous avez vécu plus retiré et plus loin de vos frères , et quasi en leur éloignement , vous avez été martyr ; c’est pourquoi il a plu à Dieu de vous appeler du monde , par la plus douce mort après la mienne ; et d’autant que la Vierge vous fut recommandée , à vous qui êtes vierge , c’est pourquoi ce que vous avez demandé sera fait et ne sera point différé .
     Toutefois ; mon fils , je veux vous montrer l’état et la manière de celui dont nous parlons : il est comme le serviteur d’un batteur de monnaie , c’est-à-dire , du diable , qui fond et bat monnaie (c’est-à-dire ,celui qui le sert) par des suggestions et tentations , jusques à ce qu’il l’ait attiré à ses vouloirs .
     Quand il a corrompu les volontés des hommes , et les a inclinées aux délectations de la chair et de l’amour du monde , soudain il imprime en lui comme un cachet gravant sa forme et son inscription , car lors il paraît assez , des signes extérieurs . qu’il aime de tout son cœur ; Or ,

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                      les révélations célestes

quand l’homme accomplit par œuvre les désirs de son cœur , et s’enveloppe plus dans les affaires du monde  que son état et sa condition ne permettent , et ferait , s’il pouvait , comme il veut , lors on connaît que c’est la parfaite monnaie du diable .
     Néanmoins , autre est la monnaie du diable , autre celle de Dieu . La monnaie de Dieu est d’or , luisante , précieuse et de bon aloi . De même toute âme en laquelle Dieu a imprimé son cachet , est reluisante de la divine charité , habituée à la patience , précieuse par la persévérante continuation aux bonnes œuvres . Donc , toute âme qui est bonne est faite par la vertu de Dieu telle , et est éprouvée par plusieurs tentations , par lesquelles l’âme , venant à penser à son origine et à ses défauts , et par la patience et pitié que Dieu en a , devient autant précieuse devant Dieu qu’elle est humble , patiente , et soigneuse de son salut . Or , la monnaie du diable est de cuivre et de plomb : de cuivre , d’autant qu’elle a quelques rapports avec l’or , en ce qu’il en a la couleur , et qu’il est flexible, bien que non pas comme l’or . De même l’âme de l’injuste juge tout le monde ; elle se préfère à tous , mais elle est inflexible à l’humilité et aux œuvres d’humilité , molle en ses œuvres , difficile à être rappelée de ses pensées , admirable au monde , contemptible à Dieu . La monnaie du diable est aussi de plomb ,d’autant qu’elle est difforme , molle , flexible et pesante . De même l’âme de l’injuste est difforme en ses voluptueuses affections , pesante en la cupidité du monde , flexible et changeante comme un roseau , à tout ce que le diable suggère à son esprit ; voire , quelquefois , elle est plus facile à mal faire que le diable à tenter . De même est le

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serviteur du monnoyeur , qui , ennuyé de persévérer dans les observances régulières qu’il avait vouées , songea à des voies pour plaire au monde par la simulation de sa sainteté , pour nourrir plus largement sa chair ; et soudain le diable mit en son esprit quelques songes et mensonges noirs et impossibles , et qui n’arriveront jamais , car sa vie sera abrégée et n’aura point l’honneur qu’il désire vraiment .
     Quand on trouve quelque nouvelle monnaie , en quelque lieu que ce soit , il la faut envoyer à quelque homme sage qui en sache le poids et le cachet . Mais où trouvera-t-on celui-là ? Que si on en trouve , il se soucie bien peu , voire nullement de voir et considérer si cette  monnaie est vraie ou fausse . Partant , en telles choses , il n’y a qu’un seul conseil que je vous vais donner par un exemple . Si on donnait de l’argent à un chien , il ne le recevrait point ; mais si on lui jetait un lopin de chair , sans doute il le prendrait . De même , si quelqu’un s’approche d’un autre et qu’on lui dise : Il est hérétique , on ne s’en soucie point , tant la charité est refroidie . Que si on dit : Il a de l’argent , tout le monde y court . Partant , soudain arrivera ce que saint Paul dit : J’anéantirai la sagesse des sages ; je les humilierai , et  j’exalterai les humbles .
     Vous pourriez , ma fille , connaître et discerner l’esprit immonde d’avec l’Esprit Saint , par sept choses : 1° l’Esprit de Dieu fait que l’homme méprise l’honneur du monde , et ne l’affectionne pas plus dans son cœur que du vent . 2° L’âme aime chèrement Dieu , et les délectations de la chair se refroidissent en elle . 3° Il lui inspire la patience dans les adversités et la seule glorification en Dieu . 4° Il incite l’esprit , et ex-

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cite la volonté à l’amour du prochain et à la compassion , voire des ennemis . 5° Il lui inspire la chasteté entière , voire l’abstinence de ce qui lui est licite . 6° Il la fait confier en Dieu en toute ces tribulations et se glorifier en elles . 7° Il lui donne un désire de vouloir mourir , et être plutôt avec Jésus-Christ , que de demeurer au monde avec danger , en prospérant avec danger  de s’y salir .
     Au contraire , le malin esprit fait sept autres choses : 1° il rend le monde doux et dégoûté du ciel . 2° Il fait désirer les honneurs et s’oublier soi-même . 3° Il excite la haine dans son cœur et l’impatience . 4° Il fait l’audacieux contre Dieu , et l’opiniâtre , et adheurte ès pensées de son esprit . 5° Il rend les péchés petits , et les excuses en se justifiant . 6° Il suggère l’inconstance de l’esprit et l’impureté de la chair . 7° Il fait croire qu’on vivra longtemps , et excite la honte de confesser ses fautes . Partant , soyez soigneuse et attentive à vos pensées , de peur d’être trompée et déçue par cet esprit .

                     DECLARATION .

     L’homme dont il est parlé en ce chapitre , fut un prêtre de l’ordre de Cîteaux , qui , après avoir été apostat dix-huit ans , étant contrit , dolent et repentant de sa faute , retourna à son monastère , où il disait qu’il était impossible que quelqu’un fût damné , que Dieu ne parlait à aucun de ce monde , et qu’aucun ne pouvait voire la face de Dieu avant le jour du jugement .
     Sainte Brigitte oyant cela , le Saint-Esprit lui dit : Allez à ce frère , et dites-lui : Oh ! vous ne voyez pas comme je vois . Comment encore en

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votre vieillesse , le démon occupe t’il votre esprit et tien liée votre langue ? Dieu est éternel , et éternelles sont ses récompenses . Partant , retournez vitement à Dieu sans délai et avec un cœur parfait ,  car sans doute vous ne lèverez pas de la maladie ni du lit où vous êtes gisant . Si vous croyez , vous serez un vase honorable à Dieu .
     Ce bon religieux , oyant ceci , fondit en larmes et rendit grâces à sainte Brigitte . Il corrigea si parfaitement sa vie qu’ayant fait assembler ses frères , il leur dit à l’heure de la mort : O mes frères , il m’a été certifié que Dieu m’a fait miséricorde , a reçu ma contrition , et qu’il me pardonnera . Priez pour moi , car je crois tout ce que croit la sainte Eglise , notre Mère . Et de la sorte , ayant reçu les saints sacrements , il décéda .

                                   XXIV .

     La Sainte Vierge Marie dit à sa fille sainte Brigitte comment il se faut comporter entre les serviteurs de Dieu , contre les impatients , et comment la superbe est signifiée par un muid de vin .

     La sainte Mère de Dieu parle : Quand un muid de vin est chaud et bouillant , il croît et s’enfle , et quelques exhalaisons et écumes montent , tantôt s’enflant , tantôt diminuant tout à coup . Or , tous ceux qui sont auprès du tonneau , considérant que ces exhalaisons s’enflent soudain , et que tels transports et bouillons viennent de la ferveur du vin et marquent la chaleur qui est au dedans , attendent patiemment . La fin de cela est que le vin soit parfait . Or , tous

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                          les révélations célestes

ceux qui environnent le tonneau , qui approchent par trop le nez de ces bouillons de vin , éprouvent en eux deux choses : ou ils éternuent par trop , ou leur cerveau y est par trop blessé .
     De même en est-il dans les choses spirituelles , car il arrive quelquefois que les cœurs de quelques-uns s’enflent de vanité et bouffissent d’orgueil et d’impatience . Les hommes de vertu solide , considérant ces élèvements , disent qu’infailliblement ils procèdent , ou de l’incompétence de l’esprit , ou des mouvements  charnels non retenus . C’est ce qui leur fait aussi attendre la fin et souffrir les paroles pour en voir l’origine , sachant qu’après la tempête , le calme arrivera , et que la patience est plus forte que celui qui surmonte  les villes , d’autant qu’elle surmonte soi-même , ce qui est plus difficile . Or , ceux qui sont trop impatients et rendent également parole pour parole , sans avoir égard aux récompenses glorieuses promises à la patience , et sans considérer combien contemptible  et méprisable est la faveur mondaine , ceux-ci tombent en infirmité d’esprit , par les tentations dont ils sont assaillis et pour l’impatience , car ils s’approchent de trop près de l’émotion du tonneau , c’est-à-dire , du bruit des paroles qui ne sont que vent , et néanmoins les prennent trop à cœur .
     Partant , quand vous verrez quelques-uns être impatients , mettez-vous , pour aide et secours , Dieu pour garde à votre bouche , et n’abandonnez jamais les œuvres que vous avez bien commencées pour les paroles d’impatience , mais dissimulez autant qu’il est juste ce que vous avez ouï , comme si vous ne l’aviez ouï , jusqu’à ce que ceux qui veulent trouver l’occasion d’impatien-

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ce , expriment par parole ce qu’ils ont dans leur cœur .

                                    XXV .

La Sainte Vierge Marie , Mère de Dieu , avertit sa fille que
     L’homme ne doit se soucier des désirs de la chair , mais bien
     nourrir le corps , selon une modérée nécessité ; et en quelle
     manière l’homme est auprès de son corps , et non dans son
     corps .

     La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte , lui disant : Vous devez être comme une épouse qui est devant le marchepied , laquelle , dès qu’elle est appelée par l’époux , se montre préparée et disposée à suivre ses volontés .
     Ce marchepied est le corps qui couvre l’âme : il le faut laver continuellement , l’éprouver et le tenter , car le corps est comme un âne ayant besoin d’une nourriture modérée , afin qu’il ne soit luxurieux ; d’un labeur discret , afin qu’il ne s’enorgueillisse ; d’un fouet continuel , afin qu’il ne soit lâche .
     Demeurez donc auprès du marchepied , c’est-à-dire , auprès de votre corps , et non pas dans le corps , sans vous soucier des désirs charnels , mais seulement de le nourrir selon les nécessités , car celui-là est auprès du corps , et non dans le corps , qui retient son corps , non de la nécessité des viandes , mais de la volupté d’icelles . Demeurez aussi auprès du marchepied , méprisant les voluptés de la chair , honorant Dieu , et vous employant toute pour l’honneur de Dieu .
     C’est de la sorte qu’exposèrent pour Dieu

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leurs corps comme des vêtements , ces deux qui , à toute heure , étaient disposés à faire la volonté de Dieu , quand il plaisait à Dieu de les appeler , car ils n’avaient pas besoin de faire un long chemin pour trouver celui qu’ils avaient partout présent ; les charges lourdes et pesantes n’opprimaient pas leur épaules , car méprisant tout , ils étaient au monde seulement de corps : c’est pourquoi ils se sont fraîchement envolés au ciel , car rien ne les empêchait que quelque aride vêtement très-bien discipliné , duquel s’étant dépouillés , ils obtinrent l’accomplissement de leur désirs . De même celui-ci est tombé périlleusement , s’est relevé sagement , s’est défendu virilement , a combattu constamment et a persisté avec persévérance , c’est pourquoi il sera couronné éternellement , et sera éternellement en présence de Dieu

                                       XXVI .

La Sainte Vierge Marie dit à sa fille sainte Brigitte quelles sont
     les œuvres vertueuses qui méritent la vie éternelle , et quelles
     non . Du très-grand mérite de l’obéissance .
 

    Il y a plusieurs fleurs en un arbre , mais toutes n’apportent pas de fruit . De même il y a plusieurs bonne œuvres , mais toutes ne méritent pas récompense céleste , si elles ne sont faites avec discrétion , car jeûner , prier , visiter les lieux saints , sont des œuvres vertueuses ; mais si l’homme ne les fait à cette intention et avec cet esprit , qu’il espère que , par l’humilité , il pénètrera les cieux , qu’il croit qu’il est en tout serviteur inutile ,et qu’il ait en toutes choses

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une grande discrétion , car autrement , elles profitent bien peu pour le ciel .
     Représentez-vous deux hommes , l’un libre , et l’autre obligé à obéir . Si celui qui est libre jeûne , il a le mérite simple du jeûne . Que si celui qui est obligé à l’obéissance , mange de la viande selon l’obéissance de la règle , il jeûnerait néanmoins par dévotion , si l’obéissance le permettait : celui-là aura double mérite , l’un de l’obéissance , l’autre pour n’avoir effectué ses désirs et pour n’avoir fait sa volonté .
     Partant , demeurez comme une épouse qui prépare d’abord son lit nuptial avant que l’époux vienne . En premier lieu , soyez comme une mère qui prépare ses vêtements avant que l’enfant naisse ; en deuxième lieu , comme un arbre qui pousse plus tôt les fleurs que les fruits ; en troisième lieu , soyez comme un vase pur , disposé à recevoir la liqueur avant qu’on l’y verse .

                                XXVII .

Ici la Sainte Vierge Marie se plaint à sa fille sainte Brigitte de
     quelque dévot feint qu’elle compare à celui qui porte les
     armes en guerre corporelle , et est mal armé .

     La Sainte Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Celui-là dit qu’il m’aime ; mais quand il me sert , il me tourne le dos . Or , quand je lui parle , il me dit : Que dit-vous ? et détourne ses yeux de moi , et les jette à ce qui lui plaît le plus . Il est admirablement armé comme celui qui est exposé à une guerre corporelle , le heaume duquel aurait les yeux derrière la tête , le bouclier

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duquel serait aux épaules au lieu de l’avoir au bras ; duquel les gaines et le fourreau seraient vides , ayant jeté l’épée et le couteau ; la cuirasse duquel , qui doit couvrir le corps et la poitrine , serait sur la selle , les sangles de laquelle seraient lâchées : de même cet homme est spirituellement armé devant Dieu , et c’est pourquoi il ne sait  discerner entre ami et ennemi , ni ne sait offenser son ennemi . L’esprit avec lequel il combat est semblable à celui qui raisonne en son esprit , disant : Je veux être le dernier au combat , afin que je puisse voir si les premiers perdront . Que s’ils surmontent , je viendrai avec tant d’impétuosité que je serai compté des premiers . Partant , celui qu’il a envoyé à la guerre a suivi la sagesse charnelle , et non Dieu .

                                      XXVIII .

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille de trois sortes de
     tribulations qui sont désignées par trois sortes de pains .

     La sainte Mère de Dieu parle : Là où se trouve de la pâte pour faire du pain , là il faut grandement considérer et travailler . Mais Notre-Seigneur apporte et met à table du pain de froment , et on donne à la communauté un mauvais pain . Il y a une troisième sorte de pain pire que l’on donne aux chiens . Par la considération , il faut entendre la tribulation , car l’homme spirituel et dévot s’afflige grandement qu’on ne lui rende l’honneur qu’on lui doit , et qu’on ait si peu d’amour en son endroit . Tous ceux donc qui sont affligés de la sorte , sont ce blé qui
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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réjouit Dieu et tous les citoyens célestes . Or , tous ceux qui se troublent pour les adversités du monde , ceux-là sont comme un méchant pain , néanmoins il profite à plusieurs pour obtenir le ciel ; mais ceux qui s’affligent pour ne pouvoir faire le mal qu’ils        désirent , ceux-là  sont le pain des chiens qui sont en enfer .

                                    XXIX .

La Sainte Vierge Marie dit à sa fille comment il y a des démons
     qui veulent précipiter les hommes , quelques autres pour les
     retarder , quelques autres pour les tenter en leurs abstinences ,
    et de la manière qu’il faut tenir contre eux .

    La Sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte : Tous ceux que vous voyez qui vous entourent , sont vos ennemis spirituels , savoir , l’esprit du diable , car ceux qui ont des perches esquelles vous voyez des lacets , ce sont ceux qui vous veulent précipiter dans les péchés mortels . Ceux que vous voyez  avoir des crochets en leurs mains , ce sont ceux qui vous veulent retarder du service de Dieu , afin que vous soyez oisive à bien faire . Ceux qui ont des instruments où il y a plusieurs dents comme des fourches , avec lesquels on pousse ou on retire ce que l’homme désire , ce sont ceux qui vous suggèrent d’entreprendre des biens par-dessus vos forces , savoir , dans les veilles , jeûnes , oraisons , labeurs , ou en d’irraisonnables dépenses d’argent . Or donc , ces esprits sont désireux de vous nuire ; soyez donc constante à ne vouloir offen-

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ser Dieu et à demander son secours contre leur cruauté , et alors , leurs menaces ne vous nuiront point .

                                   XXX .

La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte , lui disant que les
      choses belles et précieuses du monde , ne nuisent point aux
      serviteurs de Dieu , quand ils en usent pour l’honneur de Dieu
      , à l’exemple de saint Paul .

     Il est écrit que saint Paul , ce grand apôtre , dit devant ce prince qui tenait captif saint Pierre , qu’il était sage , et appela saint Pierre pauvre . Et il ne pécha pas en cela , d’autant que ses paroles tendaient à l’honneur et à la gloire de Dieu . Il en est de même de ceux qui veulent parler aux grands : que s’ils n’y peuvent entrer sans être bien habillés , ils ne pèchent point , pourvu que les pierre précieuses , l’or et l’argent , ne soient non plus en affection et estime dans leurs cœurs , que leurs vêtements ordinaires , car tout ce qui apparaît beau , précieux et luisant , n’est que terre .

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                              XXXI .

La sainte Mère de Dieu montre à sainte Brigitte , et prouve
      par exemple que les prédicateurs et amis de Dieu sont non
      moins couronnés devant Dieu , s’ils ne convertissent les
      hommes , que s’ils les convertissaient , ayant la droite et pure
      intention de le faire .

      La Mère de Dieu parle , disant : Celui qui conduit les ouvriers au travail , disant ; Portez du sable du rivage , et regardez grain à grain si vous trouverez quelque grain d’or , celui-là n’aurait pas moins de récompense de n’en avoir pas trouvé que d’en avoir trouvé .Il en est de même aussi de celui qui , par, parole et par exemple , tâche d’avancer le salut des âmes , car il n’aura pas moins de récompense de n’en avoir converti pas un que d’en avoir converti plusieurs ; car comme le maître dit par exemple : Le combattant qui , au commandement de son maître , va à la guerre avec désir de batailler fortement et généreusement , s’en retournant blessé sans aucun captif , n’en obtiendrait pas moins de récompense d’avoir été vaincu que s’il eût vaincu , à raison de sa bonne volonté : de même en est-il avec les amis de Dieu , car pour chacune des paroles qu’ils auront dites , pour chacune des œuvres qu’ils auront faites pour l’amour de Dieu et pour l’amendement des âmes , et pour chaque heure de tribulation qu’ils endurent pour l’amour de Dieu , ils sont couronnés , soit que plusieurs se convertissent , soit que pas un ne se convertisse .

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                            les révélations célestes
 

                                       XXXII .
 

La Sainte Vierge Marie , Mère de Dieu , parle à sainte Brigitte de
      son infinie miséricorde à l’endroit des pécheurs , et à l’endroit
      de ceux qui la louent et qui l’honneur

      La sainte Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : C’est une maxime qui court parmi vous : Il ne peut sortir de mon pays avec un tel . J’en dis de même maintenant qu’il n’y a pas tel et si grand pécheur au monde , qui dit de cœur que mon Fils est Créateur et Rédempteur  de tous , qu’il est son ami intime et de cœur , que soudain je ne sois disposée à venir à lui , comme une mère charitable vient à son fils , l’embrassant et lui disant : Qu’est-ce qu’il vous plaît , ô mon fils ? Et quand même il aurait mérité les peines horribles de l’enfer , et qu’il aurait volonté de ne soucier des honneurs du monde , ni des cupidités et affections de la chair , que l’Eglise déteste , et qu’il ne désirerait rien plus que son seul entretien , lors lui et moi serions aussitôt amis .
     Dites donc à celui qui compose un chant et une hymne à ma louange , non à sa louange ni récompense propre , mais pour la louange  de celui qui , à raison de toutes ses œuvres , est digne de louange , que , comme les princes du monde donnent des récompenses à ceux qui les louent , de même je les récompenserai spirituellement ; car comme une syllabe a sur soi plusieurs notes , de même Dieu se plaît à lui donner autant de couronnes pour chaque syllabe qui est au chant ; et on dira de lui : Voici venir celui qui loue ,

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qui n’a point dicté ni composé le chant pour quelque bien temporel , mais seulement pour l’honneur de Dieu .

                            DECLARATION .

     Celui-ci , étant tenté sur le mystère de la sainte Trinité , étant ravi en extase , vit comme trois faces de femmes . Le première lui dit : j’ai été mariée plusieurs fois . Je n’ai jamais vu celui qui est un et trine . La seconde répondit : S’ils sont trois et un , il est nécessaire que l’un soit premier et l’autre dernier , ou que deux soient en un . Et la troisième ajouta : Ils ne peuvent pas se faire eux-mêmes : qui les a donc faits ? Et alors le Saint-Esprit  dit clairement : nous viendrons à lui et demeurerons avec lui . Et s’éveillant , il a été délivré de la tentation .
     Après ceci , Jésus-Christ dit à sainte Brigitte : Je suis Dieu , qui est trine en personne et un en essence . Je vous veux montrer quelle est la puissance du Père , quelle la sagesse du fils , quelle la vertu du Saint-Esprit . Et cette révélation a été accomplie là ou il parle du pupitre . D’ailleurs , Notre-Seigneur lui dit : Dite-lui qu’il méritera plus devant moi par son infirmité que par sa sainteté , car le Lazare a été plus beau et plus éclatant par sa douleur , et Job plus aimé par sa patience , et néanmoins , mes élus ne me déplaisent point quand ils sont saints , car leur cœur est toujours avec moi , et leur corps est toujours retenu par une discrète abstinence et labeur .

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                     Les Révélations Célestes

                              XXXIII .

Sainte Brigitte , épouse , dit ici des choses notables de la ville de
     Rome , proposant comme par question les consolations ,
     ordres , dévotions , dont jouissaient anciennement tous les
     Romains , tant clerc que laïques , etc . Pourquoi maintenant
     tout cela est changé , hélas ! en désolation , désordre et
     abomination , comme il paraît ès susdites choses . Combien
     malheureuse est Rome corporellement et spirituellement .

     Mon révérend Seigneur , je vous prie qu’entre autre choses , on avertisse le pape , qu’on lui dise combien faible est l’état de Rome , qui était autrefois heureux corporellement et spirituellement , mais maintenant malheureux en ces deux manières : corporellement , d’autant que ses princes séculiers , qui devaient être sa défense et sa protection , lui sont des larrons très-cruels . C’est pourquoi plusieurs de leurs maisons sont détruites , plusieurs  églises entièrement ruinées et désolées , dans lesquelles il y a plusieurs ossements de saints qui reluisent en plusieurs miracles , les âmes desquels sont éminemment couronnées au royaume de Dieu . Leurs temples , aussi tout découverts et dont les murailles sont abattues , sont changés en décharges des hommes des champs et des bêtes . Spirituellement , , cette ville est malheureuse , d’autant que plusieurs constitutions et ordonnances , que plusieurs papes inspirés du Saint-esprit avaient faites , sont maintenant effacées de l’Eglise , au lieu desquelles , ô malheur trop funeste ! plusieurs nou-

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veaux abus se sont introduit par la suggestion du diable , contre la révérence de Dieu et le salut des âmes .
     la constitution de l’Eglise était que les clercs allassent aux ordres sacrés , ayant une vie dévote et bienheureuse , servant Dieu incessamment et dévotement , montrant aux autres par bonne œuvres la voie du paradis ; et à tels on donnait les rentes de l’Eglise . Mais maintenant , un abus est notre Eglise , que les laÏques ont les biens de l’Eglise , qui ne se marient point , pour porter le nom de chanoine , mais impudemment ; ils ont le jours des concubines en leurs maisons , et la nuit en leurs lits , disant audacieusement : Il ne nous est pas loisible d’avoir des femmes , car nous sommes chanoines .
     Autrefois aussi , les prêtres , diacres et sous-diacres avaient grandement en horreur l’infamie d’une vie immonde . Or , maintenant , quelques-uns d’iceux , au lieu d’en rougir , en tirent vanité . Partant , telle sorte de prêtres doivent plus justement être appelés lions du diable , que clercs ordonnés de Dieu souverain .
     Les saint Pères , comme saint Benoît et autres , ont fait des règles par licence des souverains pontifes , bâtissant des monastères , où les abbés avait coutume de demeurer avec leurs frères , célébrant dévotement les heures du jour et de la nuit , informant et instruisant soigneusement les moines à bien vivre .  Lors certainement , il leur était à joie et à contentement de visiter leurs monastères , quand , jour et nuit , les moines rendaient à Dieu , en chantant , l’honneur et la gloire . Les criminels se corrigeaient par l’éclat de leur bonne vie , et les bons étaient affermis en leurs résolutions par la divine doc-

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trine des prélats , voire les âmes qui étaient en purgatoire en étaient affranchies par leur dévotes prières . Lors le moine qui observait très-bien sa règle , était en un grand honneur devant Dieu et devant les hommes , et celui qui ne l’observait pas , savait qu’il  encourait le dommage  et le scandale de tous . Lors , un chacun pouvait discerner par l’habit quel moine il était . Mais contre cette honnête coutume , est né en plusieurs un abus détestable , car les abbés demeurent souvent en leurs châteaux , dans les villes , où il leur plaît . C’est pourquoi il est sanglant et douloureux de visiter maintenant les monastères , car on voit si peu de moines au chœur , à l’heure où il faut dire les heures , ou voire quelquefois aucun ne s’y trouve , où aussi on lit si peu , et souvent on n’y chante rien , et on demeure plusieurs jours sans y dire la sainte messe. Les bons sont molestés et moqués de la mauvaise volonté de ces religieux , et les méchants se rendent pires de leur mauvaise conversation . Il faut aussi craindre que peu d’âmes reçoivent de leur prières du soulagement dans leurs peines .Il y a aussi  dans la ville plusieurs habitations de moines ,
et chacun a sa maison pour soi ; et quelques-uns baisent un enfant à l’arrivée de leurs amis , disant : Voici mon fils .
     A grand’peine aussi peut-on connaître un moine par l’habit , car la tunique , qui autrefois tombait sur les pieds , maintenant couvre à peine les genoux ; leurs manches , qui étaient autrefois grande et larges , sont maintenant étroites et tirées . On porte maintenant un glaive au lieu de tablettes et d’un style , et à grand ‘peine peut-on trouver maintenant  un habit par lequel on puisse connaître un moine , hormis le scapu-

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laire , qu’on cache souvent , afin qu’on ne le voie , comme si c’était scandale de porter un habit monacal . Quelques autres n’ont point de honte  de porter une cuirasse et des armes sous leur tunique , afin qu’après le crépuscule , ils puissent faire ce qui leur plaît .
     Il y a aussi de grands saints qui ont abandonné de grandes richesses , embrassant une règle avec la pauvreté , qui rejetèrent toute sorte de cupidités , ne voulant avoir rien de propre . Ils abhorraient toute sorte de superbe et de pompe du monde , se couvrant de pauvres habits , détestant et ayant en abomination la concupiscence de la chair , c’est pourquoi ils ont vécu purement . Or , ceux-ci et leur frères sont appelés mondains , les règles desquels les souverains pontifes ont confirmées , se réjouissant que quelques-uns voulussent embrasser une telle manière de vivre pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes ; mais maintenant , ce leur est un grand regret au cœur de voir leurs règles changées en des abus détestables ,et n’être aucunement gardées , comme celles de saint Augustin , de saint Dominique et de saint François , qu’ils avaient dictées par l’Esprit de Dieu, et que plusieurs hommes riches et nobles avaient exactement gardées . Car de fait , on trouve maintenant plusieurs hommes qui sont appelés riches , qui sont aussi pauvres dans leurs coffres que ceux qui ont fait vœu de pauvreté , comme la renommée en est partout . C’est pourquoi plusieurs d’entre eux ont de propre ce que leurs règles ont défendu , se réjouissant plus de leur propre exécrabe que de la sainte et glorieuse pauvreté . Ils se glorifient aussi , d’autant que leurs habits sont d’étoffes aussi riches et précieuses que ceux des

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évêques riches . D’ailleurs , il y a des monastères érigés par saint Grégoire et par d’autres saints , à cette fin et intention que les femmes y seraient tellement recluses qu’à peine on les pourrait voir en toute leur vie . Or , maintenant , il y a des abus si détestables , en ce qu’on  donne indifféremment l’entrée à clercs laïques et aux sœurs auxquelles on se plaît ; voire leurs portes sont même ouvertes la nuit . Et partant , ces lieux sont maintenant plus semblables aux lieux infâmes qu’à des monastères , à des cloîtres saints et sacrés .
     Il y avait aussi une autre constitution en l’Eglise , qui défendait qu’aucun ne prendrait de l’argent pour ouïr les confessions , mais seulement des lettres qu’on leur dépêchait , comme il était juste d’en recevoir , quand le pénitencier en avait extrêmement besoin . Mais entre ceux-ci un autre abus s’est glissé : c’est que les riches , ayant fait leur confession , offrent et donnent ce qui leur plaît . Mais avant la confession , on pactise avec les pauvres . Et certainement , les pénitenciers n’ont point honte de mettre leur argent en leur bourse pendant qu’ils absolvent .
     Il a été ordonné en l’Eglise , 1° que chaque personne laïque se confesserait une fois l’an , et pour le moins , recevrait le corps de Notre-Seigneur , car les clercs et les cloîtrés le font plus souvent en l’année . 2° Il fut ordonné que ceux qui ne pouvaient être continents se marieraient ; 3° que tous les chrétiens jeûneraient au carême , les Quatre-Temps , et à toutes les vigiles des fêtes , ce qui est assez connu d’un chacun , excepté de ceux qui sont atteints d’une grande infirmité ou qui sont en de grandes douleurs . 4° Il fut ordonné que chacun s’abstiendrait , les jours de

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fête , de tout labeur mondain et manuel . 5° Il fut aussi ordonné qu’aucun ne gagnerait par usure .
     Mais au lieu de ces cinq ordonnances très-bonnes , se sont glissés cinq autres abus déshonnêtes et grandement nuisibles : 1° il y a à Rome cent personnes parvenues à l’âge de discrétion , qui meurent sans jamais avoir fait leur confession , et n’avoir non plus reçu le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ que de vrais idolâtres . J’en excepte les prêtres et religieux , et quelques femmes de dévotion , qui se confessent et communient souvent . 2° Plusieurs prennent en mariage des femmes légitimes . Que s’ils ont des discussions avec elles , ils les laissent autant qu’il leur plaît , sans avoir recours à la puissance ecclésiastique , prennent pour femmes des adultères , les ayant en honneur et les aimant . Quelques autres n’ont point horreur d’avoir en leurs maisons l’adultère avec la femme légitime , se réjouissant de les voir en même maison . 3° Plusieurs personnes saines mangent de la viande dans le carême , et parmi une grande multitude , il y en a peu qui soient contentes d’un seul repas le jour . On en trouve aussi d’autre qui , le jour , s’abstiennent de la viande , mange des viandes de carême , mais qui , la nuit , en quelque logis , se saoulent de chair . Certainement , les clercs et les laïques font cela , et sont semblables aux Sarrasins , qui jeûnent le jour , et qui , la nuit , se remplissent de chair . 4° Bien que quelques ouvriers ne travaillent point les jours de fête , néanmoins , les riches en tels jours  envoient leurs valets travailler à leurs vignes , labourer aux champs , couper du bois en leurs forêts et l’apporter en leurs maisons , et de la sorte , les pauvres valets n’ont

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pas plus de repos les fêtes que les autres jours . 5° Les chrétiens exercent l’usure comme les Juifs , et en vérité , les usuriers chrétiens sont plus insatiables et plus cupides que les Juifs !
     Il a été encore ordonné dans l’Eglise que ceux qui auraient introduit tels abus seraient anathématisés . Il y en a plusieurs qui abhorrent autant la malédiction que la bénédiction , et bien qu’ils sachent qu’ils sont excommuniés publiquement , n’évitent point de rentrer dans l’Eglise ni de parler avec les hommes , car il y a peu de prêtres qui défendent l’entrée de l’Eglise aux excommuniés ; peu aussi ont en abomination la conversation  des excommuniés , s’ils sont conjoints par quelques liens d’amitié ; ils ne refusent pas non plus la sépulture aux excommuniés , pourvu qu’ils soient riches .
     N’admirez dons point , mon Seigneur , si j’ai appelé malheureuse la ville de Rome , à raison de tels abus , et de plusieurs autres choses contraires aux saints décrets de l’Eglise . C’est pourquoi il faut craindre que la foi catholique dépérira bientôt , si ce n’est que quelqu’un arrive qui aime Dieu par-dessus toutes choses , et son prochain comme soi même , abolissant tous les abus avec une foi non feinte . Afin que le clergé aime Dieu de tout son cœur , abhorrant les coutumes pernicieuses , compâtissez donc avec l’Eglise et le clergé , qui , à cause de l’absence du pape , ont été comme des orphelins , et néanmoins ont défendu en amour d’enfants le siège de leur père , et ont sagement résisté aux traités , persévérant en la défense , au milieu de plusieurs tribulations

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                                 XXXIV .

Il est traité ici d’une vision que sainte Brigitte , épouse , eut des
     Peines diverses qu’on préparaît à une âme qui était encore
     dans le corps , et en quelle manière tout ce genre de peines
     se devait changer en un très-grand honneur  et gloire , si elle
     se fût convertie avant de mourir .

     Il me semblait que je voyais des hommes debout , qui préparaient , les uns des cordes , les autres des chevaux ; les autres dressaient un supplice ; et tandis que je voyais ceci , il apparut une vierge comme troublée , me disant si j’entendais ceci ; et moi répondant que je ne l’entendais point , elle me dit : Tout ce que vous voyez , c’est une peine spirituelle qu’on prépare à cette âme que vous connaissez . Ces cordes serviront pour lier le cheval qui traînera cette âme , et ces forces serviront pour déchirer le nez , les yeux , les oreilles et les lèvres , et la fourche est pour la pendre . Et lorsque je me troublais de toutes ces choses , cette vierge me dit derechef : Ne vous troublez pas , car il est temps encore : si elle veut elle peut rompre les cordes , renverser les chevaux , faire fondre les forces comme de la cire , et ôter le pôteau . Et davantage , elle peut avoir une si ardente charité envers Dieu , que tous ces signes de peines lui réussiront à un très-grand honneur , de sorte que les cordes dont elle devait être liée , se changeront en des ceintures d’or ; au lieu des chevaux avec lesquels elle devait être traînée par les rues , on lui enverra des anges qui la conduiront devant Dieu : au lieu

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des forces avec lesquelles elles devait être déchirée , on donnera à son nez des odeurs suaves , à sa bouche de bonnes saveurs , à ses yeux de beaux objets , à ses oreilles une agréable et délectable  mélodie .

                         DECLARATION .

     Celui-ci fut Marséalons , roi , qui , venant à Rome , fut tellement humble , humilié et marri de ses offenses , qu’il fit souvent les stations tête nue , priant Dieu et le faisant prier de ne retourner point en son pays , s’il devait retomber en ses fautes passées . Dieu exauça sa voix , car sortant de Rome , et arrivé à Monte Fiasco , il tomba malade et mourut , duquel fut faite une autre révélation . Voyez , ma fille , ce qu’a fait la miséricorde de Dieu , et ce que fait une bonne volonté . Cette âme a été en la gueule des lions , mais sa bonne volonté l’a affranchie de leurs dents ; et maintenant , elle est en la voie qui conduit à la patrie , et sera participante de tous les biens qui se font en l’Eglise .

                                  XXXV .

L’épouse sainte Brigitte parle à Jésus-Christ du désir du salut
     des âmes , et de la réponse qui lui a été faite par le Saint-
     Esprit , que les excès et superfluités des hommes , tant au
     boire qu’au manger , résistent aux visites envoyées par le
     Saint-Esprit .

     O doux Jésus , Créateur de toutes les choses , plût à Dieu que ceux-ci connussent et comprissent les feux de l’amour du Saint-Esprit ! car

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certainement , ils désireraient alors davantage les choses célestes , et auraient en horreur et en abomination les choses terrestres .
     Et soudain il m’a été répondu en esprit ; Leurs excès et superfluités résistent aux visites du Saint-Esprit , car l’excès dans les viandes ; dans la boisson et dans les convives , empêche que le Saint-Esprit ne soit doux en eux , et qu’ils ne soient rassasiés  des délectations mondaines ; et l’excès en l’or , argent , en vases , vêtements et rentes , empêche que le feu de mon  amour n’enflamme et n’allume leurs cœurs . L’excès aussi de la famille , des serviteurs , chevaux et animaux , empêche que le Saint-Esprit ne s’en approche ; voire mes anges , leurs serviteurs , s’éloignent d’eux , et les diables trompeurs s’en approchent , c’est pourquoi ils ne ressentent point la douceur des visites , dont moi , qui suis Dieu , visite les saints et mes amis .

                                      XXXVI .

Dieu parle à son épouse de la crainte et de l’amour de Dieu , avec
     lesquels anciennement les religieux entraient dans les
     monastères . Et maintenant les ennemis de Dieu , c’est-à-dire ,
     les faux religieux , vont au monde , poussés à ce faire par la
     superbe et l’inique cupidité ; et de même en font les soldats en
     leur milice .

     Oyez maintenant ce que maintenant mes ennemis font contre ce que mes amis avaient fait autrefois . Enfin , mes amis entrent dans les monastères de l’amour divin et d’une crainte discrète ; mais ceux qui sont maintenant dans les monas-

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                         les révélations célestes

tères , vont par le monde , poussés par la superbe et la cupidité , ayant leur propre volonté , et faisant et accomplissant leurs plaisirs . Ceux donc qui meurent en une telle volonté , la justice de Dieu veut qu’ils ne jouissent des joies célestes , mais qu’il souffrent sans fin des peines effroyables dans l’enfer . Sachez aussi  que ceux qui vivent dans les cloîtres , qui sont contraints , contre leur volonté , d’être prélats , ne sont pas du nombre . Les soldats aussi , qui autrefois portaient les armes , étaient préparés et disposés à donner leur vie pour la justice , et à répandre leur sang pour la sainte foi ; ils dénonçaient les indignes à la justice , et faisaient déprimer , humilier et abaisser les méchants . Mais maintenant , écoutez comment ils sont contraires à ceci : en vérité , ils aimaient mieux mourir  à la guerre pour l’orgueil , cupidité et envie , selon les suggestions diaboliques , que de vivre selon mes commandements , et en ce faisant , obtenir les joies éternelles .
     Donc , tous ceux qui meurent en telle volonté , on leur donnera la récompense selon le jugement de la justice , c’est-à-dire , ils seront donnés au diable en solde éternelle ; mais ceux qui me servent auront leur solde bienheureuse , qui sera sans fin avec la milice céleste .

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                                   XXXVII .

Jésus-Christ parle à son épouse sainte Brigitte , lui demandant
     Comment est-ce que le monde est . Réponse de l’épouse :
     Le monde est comme un sac dilaté , auquel tous courent
     indiscrètement . Juste et cruelle sentence contre ceux-là .

     Le Fils de Dieu parle , demandant à sa fille comment le monde va , et elle répond : C’est comme un sac dilaté et étendu , auquel tous courent , et comme un homme qui court sans se soucier de ce qui suit .
     Notre-Seigneur lui répondit : C’est pourquoi la justice veut que j’aille avec le soc sur le monde , sans pardonner à jeune ni vieux , pauvre ni riche , gentil ni chrétien ; mais je jugerai un chacun selon qu’il mérite , et un chacun mourra en son péché , et la maison sera délaissée , avec les habitants d’icelle ; néanmoins , je ne la perdrai pas encore tout à fait .
     Et elle dit : O Seigneur ! ne vous indignez pas si je parle . Envoyez quelqu’un de vos amis qui les avertisse des périls proches et infortunés qui pendent sur leur tête .
     Il est écrit , dit  Notre-Seigneur , que le mauvais riche , désespérant en enfer  de son propre salut , demanda qu’on envoyât quelqu’un pour avertir ses frères , afin qu’ils ne se perdissent comme lui , et il lui a été répondu : Cela ne se fera point , car ils ont Moïse et les prophètes par lesquels ils peuvent être enseignés . J’en dis maintenant de même : ils ont les évangiles , les prophéties , les exemples et les paroles des docteurs ;

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Ils ont la raison et l’intelligence : qu’ils en usent , et ils seront sauvés , car si je vous envoie , vous ne pourrez pas crier si haut que vous soyez entendue . Si j’y envoie mes amis , ils sont si petits en nombre que , s’ils crient , à grand peine les oiront-ils . Néanmoins , j’enverrai mes amis à ceux qu’il me plaira , et ils prépareront la voie de Dieu .

                                   XXXVIII .

Jésus-Christ dit à son épouse sainte Brigitte de n’ajouter point foi
     aux songes , et il s’en faut bien donner garde , bien qu’ils
     soient tristes ou joyeux . Comment le diable y mêle souvent
     la fausseté avec la vérité , d’ou vient qu’au monde il y a
     plusieurs erreurs . Les prophètes n’ont pas erré , d’autant
     qu’ils ont dirigé toutes choses à Dieu .

     Le Fils de Dieu parle , disant : Pourquoi les songes joyeux vous élèvent-ils de la sorte , et pourquoi les tristes vous dépriment-ils si bas ? Ne vous avais-je pas dit que le diable était envieux , et que , sans la permission divine , il  ne vous pouvait pas plus vous faire du mal qu’un fétus devant vos pieds . Je vous ai dit aussi qu’il était le père , l’auteur et l’inventeur du mensonge , et qu’en toutes ses faussetés , il mêle quelque vérité . Partant , je vous dis que le diable ne dort pas , mais vous environne , afin qu’il trouve quelque occasion contre vous ; partant , il vous faut donner de garde qu’il ne vous déçoive , car par la subtilité de sa science , il entre dans l’intérieur par les mouvements intérieurs ; car quelquefois , il met dans le cœur des choses tristes , afin qu’é-

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tant abattue , vous laissiez à bien  faire ce que vous pourriez faire , et afin qu’avant vos misères , vous soyez  misérable et dolente .
     Souvent aussi le diable met dans le cœur déçu , trompé et qui veut plaire au monde , plusieurs faussetés par lesquelles plusieurs sont déçus , comme les faux prophètes . Cela arrive à celui qui aime plus quelque autre chose que Dieu . Et partant , cela arrive , attendu que , parmi tant de faussetés , il s’y trouve quelque vérité , car autrement , le diable ne saurait jamais tromper , s’il ne mêlait la vérité avec la fausseté , comme vous avez vu en ce possédé ,qui , bien qu’il confessât y avoir un seul Dieu , était néanmoins impudique en son geste , et ses paroles montraient quelque chose d’étranger , d’autant que le diable était en lui et le possédait .
     Or , maintenant , vous pouvez me demander pourquoi je permets que le diable mente . Je le permets et l’ai permis à raison des péchés du peuple et des clercs , qui ont voulu savoir ce que Dieu voulait cacher , ou qui désiraient prospérer  où Dieu voyait que leur salut ne s’avançait pas . C’est pourquoi Dieu permet des malheurs à raison des péchés , qui  n’arriveraient jamais , si l’homme n’abusait  des grâces et de la raison . Mais les prophètes , qui ne désiraient et ne respiraient que Dieu , ni ne voulaient parler que pour l’amour de Dieu , ne se trompaient point , mais ils ont aimé et parler les paroles de vérité .
     En vérité , comme il ne faut pas recevoir tous les songes , de même il ne faut pas les mépriser tous , d’autant que Dieu quelquefois inspire de bonnes choses aux mauvais , afin qu’ils s’amendent et se corrigent de leurs fautes .Quelquefois aussi , il inspire aux bons de bonnes choses ,

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afin qu’ils s’approchent plus Dieu . Partant , quand et tout autant de fois que cela vous arrivera , n’y opposez votre cœur , mais pesez-les et discernez-les avec vos amis spirituels , ou bien laissez-les et bannissez-les de votre cœur , d’autant qu’en telles choses on se délecte , on se trompe souvent et on s’y trouble .
     Soyez donc constante en la foi de la sainte Trinité . Aimez Dieu de tout votre cœur . Soyez obéissante , tant en prospérité qu’en adversité . Ne vous préférez à pas un , ni par pensée , ni par effet , mais craignez toujours , même en bien faisant . Ne préférez pas votre sens au sens d’autrui , et résignez votre volonté à Dieu , disposée à tout ce que Dieu voudra . Lors vous ne devez point craindre les songes , car s’ils sont joyeux , ne les croyez pas ni ne les désirez pas , si ce n’est que de là dépende l’honneur de Dieu ; que s’ils sont tristes , ne vous abattez pas , mais abandonnez-vous toute en Dieu .
     Après , la Sainte Vierge Marie parlait , disant : Je suis la Mère de miséricorde , qui prépare les vêtements à ma fille qui dort , et lui dispose les viandes quand elle est habillée : et quand elle travaille , je lui prépare les couronnes et les biens .

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                             XXXIX .

La Saint Vierge Marie parle de l’épouse à son Fils . Réponse
      De Jésus-Christ a sa Mère . Après suivent les paroles de la
      Mère , qui sont désignées par le lion et par l’agneau . Comme
      Dieu permet que plusieurs choses arrivent aux hommes , qui
      n’arriveraient point , si ce n’était à raison de leur impatience
      et ingratitude .

     La Mère de Dieu parle à son fils , disant : Notre fille est comme un agneau qui met sa tête en la gueule du lion . Il vaut mieux , dit Jésus-Christ , que l’agneau mette sa tête en la gueule du lion , et qu’il soit avec le lion une même chair et un même sang , que non pas si l’agneau suce le sang du lion , d’où arriverait que le lion s’indignerait et s’affaiblirait , attendu  que sa pâture n’est pas le sang , mais le foin . Néanmoins , ô ma Mère très-chère ! d’autant que vous avez porté en votre ventre toute la sapience et la plénitude de la prudence , faites entendre à celle-ci qu’est-ce que le lion et qu’est-ce que l’agneau .
     La Mère répondit : Béni soyez-vous , mon Fils , qui ,  demeurant éternellement avec le Père , êtes descendu à moi , et néanmoins vous ne vous êtes jamais séparé de mon Père ! vous êtes ce lion de la tribu de Juda ; vous êtes cet agneau sans souillure que saint Jean a montré avec le doigt . Celui-là met la tête en la bouche du lion , qui résigne sa volonté en Dieu , et ne voudrait faire la sienne , bien qu’il pût , si ce n’est qu’il sût que cela vous plût . Or , suce le sang du lion celui qui s’impatiente de vos dispositions et

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ordonnances , et s’efforce de contrevenir à ce que vous lui avez commandé , et voudrais plutôt changer d’état , s’il pouvait , que vous être agréable , bien que cela lui fût expédient . Dieu ne s’apaise pas de telles choses , mais elles provoquent son ire et son indignation , car comme la pâture de l’agneau est le foin , de même l’homme devrait se contenter de choses basses et humbles . C’est pourquoi Dieu permet beaucoup de choses qui n’arriveraient point contre le salut des hommes , s’ils n’étaient ingrats , colères et impatients . Partant , ô ma fille ! donnez votre volonté à Dieu ; et que si quelquefois vous êtes moins patiente qu’il ne faut , levez-vous soudain par la pénitence , car la pénitence est comme une bonne lavandière qui ôte les souillures , et la contrition est comme celle qui blanchit parfaitement .

                                           XL .

 Jésus-Christ parle à son épouse  de la mort des chrétiens .
     Comment l’homme meurt bien ou mal , et pourquoi les amis
     de Dieu  ne se doivent troubler , s’ils voient les serviteurs de
     Dieu mourir cruellement selon le corps .

      Le Fils de Dieu parle , disant : Ne craignez point , ma fille ! cette malade ne mourra point , car ses œuvres m’agréent . Or , étant morte , le Fils de Dieu dit derechef : Voyez , ma fille : ce que je vous ai dit est vrai : elle n’est pas morte , car sa gloire est grande , d’autant que la séparation de l’âme du corps des justes n’est qu’un sommeil , duquel ils s’éveillent pour une vie éternelle . Il faut appeler mort seulement celle-

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là , que , l’âme étant séparée du corps , vit en une mort éternelle . Plusieurs , considérant les choses futures , désirent mourir d’une mort chrétienne , car qu’est-ce  autre chose , une mort chrétienne , si ce n’est mourir comme je suis mort , innocemment , volontairement et patiemment ? Eh quoi ! suis-je à mépriser , d’autant que ma mort était dure et vile ? Ou pour cela , mes élus auraient-ils des fous , pour avoir pâti des choses contemptibles ? Ou la fortune aurait-elle voulu cela , ou le cours des astres ? nenni . Mais moi et mes élus avons pâti des choses contemptibles , afin que , par parole et par exemple , nous montrions que les voies du ciel sont dures et âpres , afin que les méchants considérassent incessamment combien de pureté leur était nécessaire , puisque mes innocents et élus ont souffert des choses si âpres et si dures . Sachez donc que celui-là est mal et misérable , qui , vivant dissolument , meurt en volonté de pécher ; qui , ayant en poupe les faveurs du monde , désire de vivre plus longuement et ne sait rendre grâces à Dieu . Or , celui qui aime Dieu de tout son cœur , souffre et méprise la mort , ou est affligé par longues infirmités . Celui-là vit et meurt heureusement , car la mort dure et âpre diminue le péché et la peine du péché , et augmente les couronnes . Je vous fais souvenir de deux qui , selon le jugement des hommes , moururent d’une mort vile et méprisable , que , s’ils n’eussent obtenu de ma miséricorde un tel genre de mort, ils n’eussent point été sauvés . Mais d’autant que Dieu ne punit pas deux fois ceux qui sont contrits de cœur , c’est pour cela aussi qu’ils sont arrivés à la couronne . C’est pourquoi les amis de Dieu
 ne se doivent point affliger , s’ils

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                                  XLV .

Sainte Brigitte se plaint devant la Majesté impériale de ce que
     quatre sœurs , filles du Roi Jésus-Christ : l’humilité , l’absti-
     nence , la pauvreté et la charité (hélas ! quel malheur !) sont
     maintenant réduites à néant , et les sœurs , filles du diable ; la
     superbe , la délectation , la superfluité et la simonie , sont
     appelées dames , etc .

     Je me plains ,non-seulement de ma part , mais aussi de la part de plusieurs élus de Dieu , et ce , devant votre Majesté royal . Il
y avait quatre chères sœurs du Roi tout puissant , une chacune desquelles avait son siège et sa puissance en son patrimoine . Quiconque jetait les yeux sur leur beauté et sur leur éclat , recevrait une indicible consolation , un grand contentement de
leurs bons exemples et de leur dévotion .
     La première s’appelait sœur Humilité , duite en la disposition
 et ordre de tout ce qu’il fallait faire . La deuxième sœur s’appe-lait sœur Abstinence , exempte et affranchie de toute pernicieuse conversation . La troisième sœur était nommée Contente de peu , exempte de toute sorte la superfluités . La quatrième sœur est Charité , qui paraît en toutes les tribulations du prochain .
     Or , maintenant , ces quatre sœurs sont méprisées et bannies de leurs héritages , aux trônes et siège desquelles ont succédé quatre sœurs illégitimes , qui sont engendrées de la volupté , et sont maintenant appelées dames . La première de celle-ci s’appelle Superbe , qui s’occupe à

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                        De Sainte Brigitte . LIV . IV .     XLVI .

plaire au monde . La deuxième est Plaisir , suivant les appétits déréglés de la chair . La troisième est Superfluité , par dessus toute nécessité . La quatrième dame est Simonie , de la déception de la quelle peu de gens se gardent , car soit que ce qu’elle reçoit soit juste ou injuste , elle reçoit tout avec une cupidité insatiable .
     Ces quatre dames parlent contre les commandements de Dieu , les voulant rendre vains et les annuler , et donnent à plusieurs âmes occasion de se perdre éternellement . Partant , mes sœurs , faites , par un mouvement d’amour et de charité , comme Dieu fit pour vous , et aidez à ces quatre sœurs qui s’appellent vertus , qui sont sorties de la vertu de Jésus-Christ , souverain Roi , qui sont maintenant opprimées en la sainte Eglise , qui est le patrimoine de Jésus-Christ , afin qu’elles soient bientôt élevées et exaltées en leurs trônes , et afin que les vices , qui sont appelés dames au monde , soient déprimés , abaissés et anéantis , qui sont traîtres des saintes âmes , d’autant que ces dames sont nées du vice , ce diable traître et méchant .

                                        XLVI .

Sainte Brigitte avertit quelque seigneur de faire restitution de ce
     qu’il avait injustement acquis . De la voix de l’ange qui
     fulminait un arrêt  cruel et formidable contre lui .

    Seigneur je vous avertis du danger proche où est votre âme ,
vous remettant en mémoire ce qu’on lit en la sainte Ecriture , au vieux Testament , d’un roi (Achab) qui , ayant désiré la vigne d’un autre homme (Nabot) . lui en donnait

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le prix et la valeur ; mais d’autant que le possesseur la vendait à regret , le roi , indigné de cela , usurpa la vigne par violence et par injustice , et le Saint-Esprit lui parla par la bouche d’un prophète , condamnant à une mort très cruelle et misérable le roi et la reine , pour avoir commis une telle injustice , ce qui fut entièrement accompli en eux ; et ses enfants ne se sont pas réjouis de la possession de cette vigne .
     Maintenant donc , puisque vous êtes chrétien ; puisque vous
avez l’intégrité de la foi , et savez que le même Dieu qui était alors , est encore , et qu’il est aussi puissant et juste qu’il l’était
alors , vous devez savoir sans doute qu’il vengera puissamment , et jugera justement ce que vous tiendrez injustement , ou en contraignant le possesseur à vendre contre sa volonté , et le payant aucunement . Vous devez craindre avec douleur et anxiété
qu’un si formidable jugement ne vous arrive tel qu’il arriva à cette reine (Jésabel) , et que vos enfants n’en soient pas plus riches , mais bien plus pauvres et affligés .
     Je vous exhorte donc , par la passion de Jésus-Christ , qui a racheté votre âme par son sang , que vous ne la perdiez pour des choses passagères et périssables , mais que vous restituiez et sati-
sfassiez pleinement tout ce que vous aurez mal acquis , pour la consolation du prochain qui en est incommodé , et pour l’exemple d’autrui ,si vous voulez obtenir l’amitié de Dieu .
     Dieu m’est témoin que je ne vous écris pas ceci de moi , car je
ne vous connais point ; mais je vous écris ce qui a été révélé à une personne qui a été contrainte de vous l’écrire par compassion divine , car cette personne ne dormait pas , mais elle veillait et elle a ouï en ses oraisons la

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voix de l’ange disant : Ourse , Ourse , que vous êtes trop audacieuse contre Dieu et sa justice ! Votre volonté a vaincu en vous la conscience , de sorte que votre volonté parle et opère , et votre conscience se tait . Partant , vous viendrez bientôt devant le jugement de Dieu , et votre volonté tiendra silence ; votre conscience parlera , et vous jugera elle-même selon la justice et l’équité .

                                        XLVII .

Le Fils de Dieu dit à son épouse sainte Brigitte comment nous
     nous devons donner garde des tentations du diable , et en qu-
     elle manière le diable est désigné par l’ennemi ;Dieu par la
     poule ; sa puissance et sa sagesse par les ailes ; sa miséricorde
     par les plumes , et les hommes par les poussins .

     Jésus-Christ parle : Quand l’ennemi heurte à la porte , vous ne devez pas faire comme les chèvres , qui courent aux murailles , ni comme les béliers , qui se battent avec leurs cornes ; mais soyez
comme les poussins , qui , voyant en l’air l’oiseau de rapine , s’enfuient sous les ailes de la poule , leur mère , pour s’y cacher et y être protégés ; qui , bien qu’il ne puissent prendre qu’une plume et se cacher sous elle , s’en réjouissent grandement .
     Or , quel est cet ennemi , sinon le diable qui porte une envie enragée à toutes nos bonnes actions , l’office duquel est de pousser à mal l’esprit de l’homme , et de l’émouvoir par des tentations et des suggestions malheureuses ? Il le pousse par colère , quelquefois par impatience ,

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par médisance et jugements téméraires , qui sont réservés à Dieu seul , quand toutes choses ne succèdent selon ses désirs ; voire fréquemment  il l’émeut , le pousse et l’inquiète importunément
 par des pensées diverses et innombrables , afin que , par icelles , il puisse arracher , ou bien distraire les âmes du service de Dieu , et afin que les bonnes œuvres soient cachées devant Dieu .
     Partant , quelles que soient vos pensées , vous ne devez quitter votre place ni être semblable aux chèvres courant aux murailles , c’est-à-dire , demeurer en l’endurcissement de votre cœur , ou bien juger les œuvres d’autrui dans vos cœurs , car souvent , celui qui est mauvais aujourd’hui sera bon demain . Mais vous devez abaisser votre puissance , l’arrêter et écouter les volontés divines , en vous humiliant et craignant , ayant patience en vos adversités , et priant Dieu afin que ce qui a été mal commencé finisse bien .
     Vous ne devez pas non plus être comme les béliers , qui secouent et éventent leurs cornes , c’est-à-dire , rendre parole pour parole , opprobre pour opprobre , mais vous vous devez arrêter constamment sur vos pieds et vous taire , en retenant fortement les passions déréglées de la chair , afin qu’en parlant et répondant , vous ayez prémédité ce que vous dites , et fais violence avec patience et paix aux passions ; car c’est aux hommes justes de se vaincre eux-même , et de  s’abstenir des paroles licites , pour éviter le babil , l’offense et le péché ; car celui qui , se trouvant et se sentant intérieurement ému , épanche par parole ou quelque autre action , son sentiment , semble en quelque manière s’être vengé de soi-même , et avoir manifesté la légèreté et

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l’inconstance de son esprit . C’est pourquoi il sera privé de la couronne , puisqu’il n’a voulu avoir patience pour quelque peu de temps , par laquelle il eût gagné son frère qui offensait , et eût préparé pour lui une plus grande couronne .
     Or , que sont autre chose les ailes , sinon la puissance et la sagesse divines ? car je suis comme une poule qui défend puissamment des lacets du diable , provoque et excite sagement au salut par mes inspirations , les poussins qui courent en désirant la protection de mes  ailes . Que signifie la plume , sinon ma miséricorde ? Qui l’obtiendra sera autant en sûreté  qu’un poussin qui est échauffé sous les ailes de sa mère . Soyez donc comme des poussins courant à mes volontés : en toutes les tentations et contradictions , dites : La volonté de Dieu soit faite , tant en mes parole qu’en mes œuvres  ,---- car je défends de ma puissance ceux qui se confient en moi ; je les recrée et les réjouis de ma miséricorde ; je les soutiens de ma vertu , les visite de mes consolations , et les récompense au centuple par mon amour .

                                        XLVIII .

Jésus-Christ parle à son épouse de quelque roi ; comment il doit
     augmenter l’honneur de Dieu et dilater son amour et sa charité
     aux âmes .  De la sentence , s’il ne le fait pas .

     Le Fils de Dieu parle , disant : Si ce roi me veut honorer , qu’il diminue en premier lieu le déshonneur qu’il me fait , et qu’il augmente mon honneur . Mon déshonneur est en cela que ma parole et mes commandements sont méprisés et tenus pour néant par plusieurs . Si donc il me

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veut aimer , qu’il ait maintenant plus de charité pour les âmes de tous , pour lesquelles j’ai amoureusement répandu mon sang pour leur ouvrir le ciel . Or , qu’il désire plus le repos qu’on a avec Dieu que de dilater et amplifier son patrimoine , car de la sorte , il aura plus de plaisir , plus de grâces et de secours que s’il avait reconquis Jérusalem , où mon corps a été enseveli .
    Dite-lui encore , vous qui oyez ceci , que je permets qu’il soit couronné ; c’est pourquoi il doit plus que tous suivre mes volontés , plus que tous m’honorer et m’aimer sur toutes choses . Que s’il ne le fait pas , ses jours seront abrégés . Ceux aussi qui l’aiment charnellement  seront séparé de lui avec  peine et tribulation , et son royaume sera partagé et divisé en plusieurs parcelles .

                                       XLIX .

La vision de l’épouse sous la figure de l’Eglise . Son explication ,
      où sont expliqués les moyens et l’état que le pape doit tenir à
      l’égard des autres cardinaux et prélats de notre sainte Mère
      l’Eglise , et principalement de l’état d’humilité .

     Il semblait à une personne qu’elle était en un grand chœur , ou apparurent un grand soleil éclatant et deux sièges , et comme un prêcheur , l’un à gauche , l’autre à droite , éloignés du soleil d’une grande distance ; et deux rayons sortaient du soleil , dardant sur les chaires . Lors on oyait une voix du siège qui était à gauche , disant : Salut éternellement au Roi , Créateur , Rédempteur et juste Juge ! Voici votre vicaire , qui est assis en votre siège au monde . Il a mis son siège au

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lieu où était anciennement le siège de saint Pierre , premier pape
et prince des apôtres .
     La voix qui sortait du siège qui était à droite , répondit , disant : Comment pourra-t-il entrer dans l’Eglise , où  les trous des gonds sont tout plein de rouillure et de terre ? C’est pourquoi les portes sont comme abattues à terre car dans les trous , il n’y a point de lieu où les crochets se puissent attacher pour soutenir les portes ; les crochets sont aussi tout droits , sans être courbés pour s’accrocher aux portes . Le pavé est plein de grands fossés , comme de puits qui n’ont point de fond . Le toit est enduit de poix et brûlé d’un feu de soufre , distillant comme une pluie épaisse . Les murailles sont si noires et si difformes de la noirceur épaisse qui s’élève de l’abîme des fossés et de ce qui distille du toit , qu’elles semblent peintes de sang corrompu et d’une pourriture puante , c’est pourquoi l’ami de Dieu ne doit point habiter en un tel temple .
     La voix qui était à gauche répliqua : Exposez-nous et expliquez-nous spirituellement ce que vous avez dit corporellement .
     Lors la voix dit : Le pape est signifié par les poteaux et leur est comparé . Par les trous des gonds est marquée l’humilité , qui doit être tellement vide de toute superbe , qu’il n’y ait point d’autre apparence que l’humilité pontificale , de même que le trou doit être entièrement vide de rouillure . Mais maintenant , les trous , c’est-à-dire , les livrées et les marques insignes de l’humilité , sont pleins de superfluités , de richesses et d’acquisitions , qui ne servent à autre chose qu’à nourrir la superbe , où rien d’humble ne paraît , mais toute l’humilité est couverte et changée en pompe mondaine .

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     Partant , ce n’est pas de merveille si le pape est comparé aux portes : il est tout penché vers les choses mondaines , marquées
par la rouillure et par la terre . Partant , que le pape commence d’embrasser l’humilité en soi-même , en son apparat ,  en ses vêtement , en l’or , en l’argent , en ses vases , en ses chevaux et autre ustensiles , prenant de tout cela le seul nécessaire , donnant le reste aux pauvres , et spécialement à ceux qu’il connaîtra être amis de Dieu . Après , qu’il ordonne sa maison avec modération ; qu’il ait des serviteurs autant qu’il en est nécessaire  pour garder sa vie , car bien qu’il soit en la main de Dieu de l’appeler en jugement quand il voudra , il est néanmoins juste et équitable qu’il ait des serviteurs pour affermir la justice , afin que ceux qui s’élèvent contre Dieu et L’Eglise soient humiliés .
     Les cardinaux sont signifiés par les crochets qui sont conjoints aux portes , qui sont étendus et diffus autant qu’ils peuvent dans les amplitudes de la superbe , cupidité et volupté de la chair .
     Que le pape donc prenne le marteau et les ciseaux , et qu’il fléchisse les cardinaux à ses volontés , ne leur permettant pas d’avoir tant de vêtements , tant de serviteurs et tant de meubles ,
sinon tout autant que la nécessité le requiert  et que l’usage de la vie le demande . Qu’il les fléchisse avec les ciseaux , c’est-à-dire , qu’il leur parle doucement , avec le conseil divin , avec une paternelle charité . Que s’ils ne veulent obéir , qu’il prenne le marteau , leur montrant sa sévérité , faisant tout ce qu’il pourra , pourvu qu’il ne soit contre la justice , jusqu’à ce qu’ils obéissent à ses volontés .
     Les évêques sont signifiés par le pavé , comme

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aussi les clercs , la cupidité desquels  n’a point de fond , de la
Superbe et de la vie luxurieuse desquels sort une fumée , à raison de quoi ils sont abominables à tous , aux anges au ciel , et aux amis de Dieu en terre . Le pape peut amender en plusieurs évêques tous ces débordement , permettant à un chacun d’avoir seulement le nécessaire et non le superflu , et qu’il commande aux évêques d’avoir soin de la vie des prêtres et de les tenir continents ; qu’il les prive de leur prébendes , s’ils ne s’amendent
. Certainement ,Dieu aime plutôt qu’en ce lieu il n’y ait point de messes , que si des mains polluées touchent le corps de Dieu .

                                         L .

Il est ici traité d’une vision admirable que sainte Brigitte eut du jugement de plusieurs personnes qui vivaient encore , ou elle ouït que si les hommes amendaient leurs péchés , Dieu adoucirait son jugement .

     Il me semblait comme si un roi était assis en son tribunal de justice , et que toute personne vivante était auprès de lui , ayant des deux côtés comme deux hommes : l’un semblait un soldat armé , l’autre comme un Ethiopien noir . Devant le jugement était un pupitre ou était un livre en même disposition que je l’ai vu au
Livre VIII , chapitre XLVIII . J’ai vu aussi que quasi tout le monde était devant ce pupitre . Lors j’ouïs le Juge , qui disait au soldat armé : Appelez celui-là que vous avez servi avec tant de charité . Et soudain tombèrent tous ceux qui furent nommés , dont quelques-un demeurèrent

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 longtemps gisants à terre , quelques autres moins , avant que leurs âmes fussent privé du corps . Or , je n’ai pu comprendre ni ne puis dire tout ce que je vis et j’entendis , car j’ouïs la sentence et le jugement de plusieurs qui vivaient encore , qui seront appelés bientôt . Néanmoins , le Juge me l’a dit avec condition que si les hommes amendaient leurs péchés , il adoucirait son jugement . J’en vis aussi juger plusieurs , quelques-uns au purgatoire ; quelque autres furent condamnés aux malheur éternels .

                                     LI .

Il est ici traité d’une vision terrible et formidable d’une âme
     présentée devant le Juge ; des oppositions de Dieu ; du livre
     du jugement contre elle ; des réponses de l’âme contre elle-
     même , et des diverses et étonnantes peines qu’elle endure
     dans le purgatoire .

     Il me semblait qu’une âme était comme présentée devant le Juge par le soldat et par l’Ethiopien que j’avais vus ci-dessus , et il m’a été dit : Tout ce que vous voyez maintenant en ce chapitre , tout cela s’exécuta sur cette âme , dès qu’elle fut séparée du corps . L’âme , ayant été présentée devant le Juge , demeurait seule , car elle n’était au mains d’aucun de ceux qui la présentaient . Elle était aussi toute nue et toute dolente , ne sachant que devenir . Après , il me semblait que toutes les paroles qui étaient écrites dans ce livre , répondaient d’elles-mêmes à tout ce que l’âme disait .
     Donc , en la présence du Juge et en l’assistance de ses troupes , ce soldat armé parla en ces ter-

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                       De Sainte Brigitte . LIV . IV .     LI

mes : IL n’est point de droit et de justice qu’on reproche en opprobre à l’âme les péchés qu’elle a confessés . En vérité , moi , qui voyais ceci , je connus parfaitement le tout , et le soldat qui parlait connaissait toutes choses en Dieu , mais il parlait , afin que je l’entendisse . Lors une réponse a été faite du livre de justice , que quand l’âme faisait pénitence , elle n’avait pas la contrition digne à tels péchés , ni une vraie satisfaction . C’est pourquoi elle doit maintenant endurer , pour n’avoir pas amendé ses fautes quand elle le pouvait . Ce qu’ayant été dit , l’âme fondit en larmes
avec une telle abondance qu’elle semblait s’y abîmer . Néanmoins , on ne voyait point les larmes et on entendait point de voix .
     Après , le Roi parlait à l’âme , disant : Que la conscience dise et déclare maintenant les péchés dont vous n’avez pas fait digne satisfaction .
     Lors , l’âme éleva si haut la voix qu’elle pouvait être quasi ouïe par tout le monde , disant : Malheur à moi , car , je n’ai pas fais et vécu selon les commandements de Dieu , que j’ai ouïs et connus ! Et s’accusant elle-même , elle ajouta : Je n’ai pas craint
 les jugements de Dieu .
     Il lui fut répondu du livre : C’est pourquoi maintenant vous devez craindre les diables .
     Et soudain l’âme , craignant et frémissant comme si elle était toute perdue , dit : Je n’ai eu quasi aucune charité envers Dieu , c’est pourquoi j’ai fait peu de bien .
     Il lui répliqua soudain du livre : La justice veut , et le droit du diable est de vous rendre selon que vous avez fait avec peine et tribulation .
     L’âme dit : Il n’y a rien en moi , de la pointe des pieds jusques au sommet de la tête , que je ne l’ai revêtu de vanité et de superbe , car j’ai

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                      les révélations célestes

inventé de nouveau quelques vains et superbes habits , et j’ai suivi quelques autres , selon la coutume du pays . J’ai aussi lavé mes mains et ma face , non-seulement pour les avoir nettes , mais afin qu’on les louât comme belles .
     Il lui fut encore reparti du livre : La justice dit que c’est le droit du diable de vous rendre selon que vous méritez , car vous vous êtes ornée et habillée selon qu’il vous suggérait .
     L’âme répondit derechef : Ma bouche était souventefois ouverte aux cajoleries et bouffonneries , car je voulais grandement plaire aux autres , et mon ami désirait grandement toutes les choses d’où il n’encourrait la honte de l’opprobre du monde .
     On lui répondit encore du livre : C’est pourquoi votre langue et vos dents doivent être arrachées , et on doit vous en appliquer d’autres qui vous déplairont beaucoup . On vous doit ôter tout ce qui vous plaît .
     L’âme dit : je me réjouis grandement de ce que plusieurs imitent mes actions et mes mœurs .
     On lui répond encore du livre : C’est pourquoi la justice veut que celui qui sera appréhendé en même péché duquel vous êtes
punie , subisse les mêmes peines que vous et soit amené à vous .
Lors , quand quelqu’un arrivera où vous êtes , qui aura suivi vos vaines inventions , vos peines augmenteront .
     Ces choses ayant été dites , il me semblait que quelque lien était attaché au chef de l’âme , comme une couronne qui serrait si fort que le devant et le derrière de la tête se joignaient ensemble . Ses yeux étaient tombés de leur place , pendants par leur racines tout le long des joues . Les cheveux semblaient avoir été brûlés par le

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feu . Son cerveau coulait par le nez et par les oreilles . On lui étendait la langue et on lui cassait les dents ; on lui serrait les os des bras avec des cordes , et ses mains écorchées étaient liées au col . La poitrine et le ventre étaient si fortement serrés et con-joints  au dos que , les côtes étant cassées , le cœur et toutes les parties intérieures crevèrent . les cuisses pendaient aux côtés , et
on tirait les os cassés comme on a accoutumé de plier un fil délié
en un peloton .
     Ces choses ayant été vues , l’Ethiopien répondit : O juge , les péchés de l’âme sont maintenant condamnés selon la justice : conjoignez-nous donc ensemble , moi et l’âme , en telle sorte que
nous ne nous séparions jamais .
     Le soldat armé répondit : Oyez , ô Juge ! vous qui savez toutes
choses , c’est aussi à vous d’ouïr la dernière pensée et affection que cette âme avait pour la fin de sa vie . En vérité , au dernier point de sa vie , elle pensait que si Dieu me voulait donner quelque temps pour vivre , j’amenderais librement mes péchés , et le servirais tout le cours de ma vie , ni ne voudrais jamais plus l’offenser .
     Le Juge considérait et voulait ces choses : Souvenez-vous aussi , ô seigneur , que cette personne n’a pas tant vécu qu’elle ait pu pleinement entendre la conscience : c’est pourquoi , ô Seigneur , considérez sa jeunesse et faites-lui miséricorde .
     Lors une réponse fut ouïe du livre de justice : L’enfer n’est pas dû à telles pensées à la fin de la vie .
     Et lors le Juge dit : Par ma passion ! le ciel sera ouvert à cette âme , ayant auparavant fait la satisfaction , et s’étant purifiée pour autant de temps qu’elle est obligée , si ce n’est que les

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hommes la secourent par leurs bonnes œuvres pendant qu’ils vivront .

                                   DECLARATION .

     Cette femme avait voué sa virginité dans les mains d’un prêtre
et puis après , elle se maria , et était en danger de mourir en l’enfantement .
                                        LII .

Il est ici traité d’une vision terrible que sainte Brigitte , épouse ,
     eut d’un homme et d’une femme , et comment l’explication a
     été faite  par l’ange , où sont contenues plusieurs merveilles .

     Je voyais un homme dont les yeux étaient arrachés et pendaient encore aux joues avec deux petits nerfs . Il avait les oreilles comme un chien , le nez comme un cheval , la bouche comme un loup farouche , ses mains comme de grands pieds d’un
bœuf , et ses pieds comme les serres d’un vautour .
     Je voyais aussi une femme qui était auprès de lui , les cheveux de laquelle étaient comme un buisson d’épines ; ses yeux étaient
au derrière de la tête , ses oreilles coupées ; son nez était plein de pourriture et de puanteur ; ses lèvres  étaient comme les dents du serpent . IL y avait en sa langue un aiguillon vénéneux . Les mains étaient comme deux queues de renard , ses pieds comme deux scorpions .
     Tandis que je voyais ceci , non en dormant , mais en veillant , je dis : Hélas ! qu’est ceci ? Et soudain une douce et mélodieuse
voix me parla avec tant de consolation , que toute la crainte

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Début p 251

et l’effroi se retirèrent de moi disant : Vous qui voyez ceci , que pensez-vous que ce soit là ?
     J’ignore , dit-elle , si ceux que je voix sont diables , hommes ou bêtes , engendrés ainsi de quelque espèce de bête , ou des hommes que Dieu ait formés de la sorte .
     La voix me répondit : Ce ne sont point des diables , car ils n’ont pas de corps , comme vous voyez que ceux-ci ont , ni ne sont des bêtes , car ils sont de la race d’Adam ; ni aussi Dieu ne les a pas créés de la sorte , mais ils apparaissent et sont faits ainsi
difformes en leurs âmes par le diable , et ils vous semblent tels corporellement . Je vous montrerai qu’est-ce qu’ils signifient spirituellement .
     Les yeux de cet homme vous semble arrachés et pendants par deux petit nerfs .
     Par les deux nerfs , vous entendrez deux choses : 1°que cet homme a cru que Dieu vivait éternellement ; 2°  il a cru aussi que son âme , après cette vie , vivrait éternellement en bien ou en mal.
     Par les deux yeux , vous entendez aussi deux autre choses : 1° qu’il devait considérer comment il devait éviter les péchés ; 2° comment il pouvait , par ma grâce , parfaire et accomplir les bonnes œuvres . Les deux yeux sont pour cela arrachés , d’autant qu’il n’a pas fait de bonnes œuvres , poussé du désir de la gloire céleste , ni fui le péché que par la crainte des supplices éternels .
     Il a aussi des oreilles de chien , car comme un chien , il ne s’est  non plus soucié du nom de Dieu ni d’autre que du sien propre , s’il l’oyait nommer . C’est aussi en cette manière qu’il s’est soucié autant de l’honneur de Dieu que de l’honneur de son propre nom .

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                              Les Révélations célestes

Il a aussi un nez de cheval , car comme le cheval débridé , ayant jeté sa fiente , se plaît à y approcher le nez , il en fait de même , car ayant commis le péché , qui est très-vil devant Dieu comme une fiente , il lui semble retirer quelque douceur misérable de sa puanteur quand il y pense .
     Il a aussi la bouche comme un loup farouche , qui , ayant rempli son ventre et sa bouche , désire encore dévorer ce qui est encore en vie . De même en fait celui-ci , car s’il possédait tout ce qu’il a vu des yeux , il désirerait encore posséder tout ce qu’il oit que les autres possèdent .
     Il a aussi les mains comme un bœuf très-fort , qui , étant cour-
roucé  , foule aux pieds celui qu’il peut surmonter à cause de la véhémence de sa colère , ne se souciant ni des intestins ni de la chair , pourvu-qu’il lui puisse ravir la vie . De même en fait celui-ci , car quand il est en colère , il ne se soucie point que l’âme de son ennemi descende en enfer , ni que son corps endurât quelque tourment que ce fût , pourvu qu’il lui pût ôter la vie .
     Il y a aussi les pieds comme un vautour , qui a quelque chose en ses griffes qui lui est à goût : il la serre tellement avec son pied , que les forces manquant au pied à cause de la grande douleur , il est contraint de laisser aller ce qu’il tenait . De même en fait celui-ci , car il veut tenir injustement jusques à la mort ce qu’il a pris d’autrui , quand même les forces lui manquent , et est contraint de lâcher prise quand il n’en peut plus .
     Les cheveux de cette femme ressemblaient à un buisson d’épines . Or , les cheveux , qui sont

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début p 253

au sommet de la tête , qui ornent la face , signifient la volonté qui désire sommairement plaire à Dieu tout souverain , car cette volonté orne et enrichit l’âme devant Dieu . Mais d’autant que la volonté de cette femme est portée à plaire sommairement à ce monde plus qu’à Dieu souverain , c’est pourquoi ses cheveux sont comme un buisson d’épines .
     Ses yeux paraissent au derrière de la tête , car elle détourne les yeux de l’esprit de ce que Dieu lui a donné en la créant , en la rachetant, et en la favorisant utilement en diverses sortes de manières . Or , elle regarde fort attentivement les choses passagères , et desquelles elle s’approche tous les jours , jusques à ce qu’elles se soient évanouies de sa présence .
     Ses oreilles apparaissent coupées spirituellement, d’autant qu’elle se soucie peu de la doctrine du saint Evangile , ou d’ouïr
les prédications .
     Ses narines sont pleines de pourriture , car comme par les narines on attire au cerveau la suavité des odeurs , afin que , par elles , le cerveau soit fortifié , de même , par ses affections déréglés , elle attire toutes les pourritures qui plaisent au corps , aux affections délectables et misérables .
     Ses lèvres sont comme les dents du serpent , et en sa langue paraissait un aiguillon vénéneux , car quand le serpent serre fortement les dents , de peur que son aiguillon ne soit rompu par quelque accident , néanmoins l’écume s’écoule entre la séparation des dents . De même elle serre les lèvres en la confession vraie , de peur de n’émousser la délectation du péché , qui est l’aiguillon vénéneux de son âme . Néanmoins ,

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la laideur et la difformité du péché paraissent évidemment devant Dieu et devant les saints .
     Je vous ai parlé d’un mariage qui avait été fait contre les décrets et arrêts de l’Eglise . Maintenant , je vous en parlerai plus amplement . Or , vous avez vu les mains de cette femme comme
une queue de renard , et ses pieds comme des scorpions . Cela est parce qu’elle était déréglée et désordonnée en toutes ses actions , membres et affections ; aussi poignait-elle l’âme de son mari par la légèreté de ses mains , et par sa démarche débordée , qui provoquait sa chair aux voluptés , plus durement et plus cruellement que la morsure du scorpion .
     Et voici qu’en même instant l’Ethiopien apparut ayant en sa main un trident , et en l’un des pieds comme trois griffes aiguës , et criant et disant : O juge , c’est maintenant mon heure . J’ai attendu , j’ai gardé le silence ; il est temps que j’agisse .
     Et soudain , le Juge séant avec une milice innombrable , un homme et une femme nus m’apparurent ; et le Juge leur dit : Dites tout ce que vous avez fait , bien que je le sache .
     Premièrement , l’homme répondit : Nous avons ouï parler du
Décret et de la défense que l’Eglise  fait de tels mariages , mais nous n’en avons pas tenu compte et l’avons méprisé .
     Le Juge répondit : Puisque vous n’avez pas voulu suivre Dieu , la justice veut que vous sentiez les peines des bourreaux .
     Et soudain l’Ethiopien enfonça son ongle dans le cœur de tous deux , et les pressa tellement qu’on aurait dit qu’ils étaient dans une presse .
     Et le juge dit : Ma fille (Brigitte) , ceux-

Fin p 254
 
 
 
 
 
 
 
 

Début p 255

là méritent telles choses qui s’éloignent de leur Créateur pour s’approcher de la créature . Le Juge dit encore à tous deux : Je vous ai donné un sac pour les remplir de mes délices . Qu’est-ce
que vous m’apportez maintenant ?
     La femme répondit : O Juge , nous n’avons cherché que les délices du ventre , et nous n’emportons que la confusion misérable .
     Lors le Juge dit au bourreau : Rendez ce qui est juste .
     Le bourreau , dès l’instant , enfonça son ongle dans le ventre de tous deux , et les blessa si fortement que tous les intestins furent déchirés .
     Et le Juge dit : Voilà ce que méritent les violateurs et les infracteurs de mes commandements , et qui , au lieu de médecine , désirent le venin . Et il leur dit encore : Ou est le trésor que je vous avais prêté pour le faire gagner ?
     Tous deux répondirent : Nous l’avons foulé aux pieds , car nous avons cherché un trésor terrestre , et non un trésor éternel .
     Lors le Juge dit au bourreau : Donnez ce que vous savez et devez rendre .
     Le bourreau enfonça soudain son troisième ongle dans le cœur , dans leur ventre et dans leurs pieds , de sorte qu’ils ressem-blaient à un petit globe .
     Et l’Ethiopien dit : Où irai-je avec eux ?
     Le Juge lui dit : Ce n’est pas à toi de monter ni de te réjouir .
     Ce qu’ayant été dit , soudain l’homme et la femme disparurent , et le Juge dit derechef : Réjouissez-vous , ma fille , de ce que vous êtes séparée de telles choses .

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