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Sainte Brigitte de Suède
Les Révélations Célestes
[Apparitions, extases, locutions] sont approuvées par trois papes et par le concile de Bâles,
1557 pages Traduction de Jacques Ferraige
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Livre 3
édition numérique réalisée par  www.JesusMarie.com et
Valérie Pajerski - Véronique  M. - Ginette Duval

Chapitre I.

Il est traité ici d’un avertissement et enseignement pour un évêque ; de la manière de vivre, vêtement et oraison ; comment il se doit gouverner en toutes choses, avant, durant et après le repas, et même pour son sommeil ; et en quelle sorte il doit en toutes choses exercer l’office épiscopal.

  Jésus-Christ, Dieu et homme, qui est venu en terre prendre l’humanité et sauver les âmes par son sang ; qui nous a illuminés ; qui nous a frayé la vraie voie et qui a ouvert la porte du ciel, m’a envoyé lui-même à vous. Écoutez donc, vous à qui est divinement donnée la capacité d’ouïr les choses spirituelles.
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Si cet évêque propose d’aller par la voie étroite et parfaite, par laquelle peu de gens marchent, et d’être un de ce petit nombre, qu’il dépose premièrement le poids lourd et pesant qui l’environne, qui l’accable, c’est-à-dire, la cupidité du monde, usant seulement du monde pour la nécessité, conformément à l’humble sustentation d’un évêque. Ce bon Matthieu en fit de même, lui qui, étant appelé de Dieu, quitta soudain la charge lourde et pesante du monde, et trouva une charge légère.
  Secondement, il doit être ceint, pour être conforme à la sainte Écriture qui dit : Tobie, préparé à aller en voyage, trouva un ange debout et tout ceint. Que signifiait cet ange ceint, si ce n’est que tous les évêques doivent être ceints de la ceinture de la justice et de l’amour divin, et être prêts à marcher par les voies où marcha celui qui dit : Je suis le bon Pasteur, qui donne son âme pour ses brebis ? Il doit aussi être prêt à dire la vérité nue et simple par ses paroles. Il doit être résolu de garder avec ses œuvres l’équité et la justice, tant en lui qu’en autrui, n’abandonnant jamais la justice, ni pour les menaces, ni pour les opprobres, ni pour la fausse amitié, ni pour la vaine crainte. L’évêque donc qui apparaîtra de la sorte ceint, verra Tobie, c’est-à-dire, les hommes justes, venir à lui, suivre sa voie et imiter sa vie.
  En troisième lieu, il doit manger du pain et boire de l’eau avant de se mettre en chemin, comme on le lit d’Élie, qui, étant éveillé, trouva à son chever du pain et de l’eau. Quel est ce pain donné au Prophète, si ce n’est le bien corporel et spirituel qu’on lui administrait ? car dans le désert, on lui préparait du pain corpo-
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rel pour l’exemple ; et bien que Dieu l’eût pu sustenter, dans le désert, sans viande et sans pain corporel, il lui prépara néanmoins du pain matériel, afin que l’homme entendît qu’il plaisait à Dieu, quand il usait des bien avec sobriété et tempérance pour la consolation de la chair. L’infusion spirituelle était aussi inspirée au Prophète, puisqu’il marcha quarante jours en la force de ce pain ; car si l’intime onction de la grâce ne lui eût été inspirée, il eût certainement défailli en la peine de quarante jours, car il est faible de complexion, mais rendu fort pour faire un si grand chemin. Donc, puisque l’homme vit de la parole de Dieu, nous avertissons l’évêque de prendre une bouchée de pain, c’est-à-dire, d’aimer Dieu sur toutes choses. Il trouvera ce pain à son chevet, c’est-à-dire, la raison lui dire qu’il faut aimer Dieu sur toutes choses et plus que toutes choses, tant à cause de la création et rédemption que par sa longue patience et sa bonté. Nous le prions aussi de boire un peu de l’eau, c’est-à-dire, de considérer intimement les amertumes de la passion de Jésus-Christ ; car qui est celui qui puisse dignement considérer les angoisses que l’humanité de Jésus-Christ a souffertes, quand il demandait que ce calice fût transféré, quand les gouttes de son sang arrosaient la terre ? Que l’évêque boive donc cette eau de la grâce et mange le pain d’amour, et alors, il sera réconforté pour aller par la voie de Jésus-Christ.
  Ayant donc ainsi commencé la voie de salut, si l’évêque veut passer plus avant, il lui sera fort utile, le matin, de rendre grâces à Dieu de tout son cœur, de considérer soigneusement toutes ses actions, et de demander aide à Dieu.
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Pour faire en tout fidèlement sa divine volonté.
  Ensuite, quand il se revêt de ses habits, qu’il considère, médite et prie en cette manière : La cendre doit être avec la cendre, et la terre avec la terre. Mais néanmoins, puisque je suis évêque, je revêts mon corps des habits terrestres, non pour leur éclat et leur beauté, ni pour l’orgueil, mais seulement pour couvrir ma nudité. Je ne me soucie pas que mon habit soit meilleur ou pire, pourvu que seulement on connaisse, pour l’honneur épiscopal, que c’est l’habit d’un évêque, et que l’autorité d’un évêque soit discernée par l’habit, pour la correction et l’instruction des autres. C’est pourquoi je vous prie, ô Dieu très-pieux ! de me donner en l’esprit la constance, afin que je ne m’enorgueillisse pas de la cendre et de la terre, et que je ne me glorifie vainement de la couleur de la poussière. Mais, je vous en supplie, donnez-moi la force, afin que, comme l’habit épiscopal est discerné et est plus honorable que les autres, à cause de l’autorité divine, de même les habitudes de mon âme soient bien agréables à Dieu, de peur que je ne sois profondément humilié, usant indiscrètement et indignement de l’autorité sacrée, ou bien que, pour avoir porté vainement un habit vénérable, j’en sois ignominieusement dépouillé à ma damnation.
  Ensuite, qu’il lise ou chante ses heures, car plus l’homme est échauffé et élevé à de plus grands et de plus importants honneurs, d’autant plus est-il tenu de rendre un plus grand honneur à Dieu. Néanmoins, un cœur pur plaît à Dieu dans son silence comme dans le chant, pourvu qu’il ait de plus justes et de plus utiles occupa-
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ions. Quand il aura dit la sainte messe, qu’il exerce sa charge épiscopale, prenant bien garde de n’avoir plus de soin du corps que de l’esprit. Quand il s’approche de la table pour prendre son repas, qu’il ait les pensées suivantes : O Seigneur Jésus-Christ, qui commandez qu’on sustente d’une viande matérielle le corps qui va en corruption, donnez-moi la grâce de donner en telle sorte au corps les choses nécessaires, que la chair ne surmonte méchamment l’esprit par la superfluité des viandes, ni qu’elle soit lâche dans votre service par l’indiscrète sobriété ; mais inspirez-moi la modération discrète, afin que, quand la terre est sustentée de viandes terrestres, le courroux du Seigneur de la terre ne soit provoqué par la terre.
  Or, quand il est à table, une réfection modérée et la conversation lui sont permises, pourvu que cette conversation soit sans cajolerie et sans vanité, et que parole n’y soit ouïe ni prononcée, dont les auditeurs puissent prendre occasion de pécher, mais que tout s’y passe avec une honnêteté modeste, ayant en vue le salut des âmes. Car si à table toutes choses sont sans goût quand le pain et le vin manquent, de même, quand la bonne doctrine et l’exhortation manquent  à la table épiscopale, toutes choses sont à l’âme sans goût. Et partant, pour éviter toute occasion de vanité, qu’on lise ou qu’on dise quelque chose dont les assistants soient édifiés. Or, la réfection étant achevée et ayant rendu grâces à Dieu en bénédiction, qu’il regarde ce qu’il faut faire, ou bien qu’il lise les livres, par la doctrine desquels il puisse être attiré à la perfection de l’ame. Mais ayant soupé, il pourra se consoler avec ses familiers amis ; mais qu’il
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Se comporte comme la mère, qui, sevrant son enfant, oint sa mamelle d'une chose amère, ou y éparpille de la cendre, jusqu'à ce que l'enfant soit désaccoutumé du lait et s'accoutume aux viandes plus solides : De mme l'évêque doit attirer ses amis avec des paroles qui excitent à l'amour et à la crainte de Dieu, afin qu'il soit leur père par l'autorité divine, et leur mère par l'éducation spirituelle. Que s'il sait que quelqu'un de ses familiers amis pèche mortellement, et l'ayant averti et admonesté, ne s'amende point, il le doit chasser de sa compagnie. Que s'il le retient pour la commodité et l'utilité temporelle, il participera à ses péchés. Quand il ira se coucher, il doit examiner avec soin toutes ses œuvres, actions et affections du jour passé, demandant à Dieu, créateur de l'âme et du corps, qu'il le regarde de l'œil de sa miséricorde, et qu'il lui fasse la grâce que, par l'abondance du sommeil, il ne devienne plus tiède au servie de Dieu, ni par l'inquiétude du sommeil, il ne défaille à son devoir ; mais il dira : Seigneur, modérez-le pour votre honneur, puisque vous l'avez enjoint pour le soulagement du corps ; et donnez-moi la force, afin que le diable, mon ennemi, ne m'inquiète ni ne me retire de la piété. Or, se levant du lit, qu'il confesse les fautes et les négligences qu'il aura commises, de peur que le lendemain, il ne se lève avec quelque délectation charnelle.

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Chapitre II

La Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, des remèdes convenables pour obvier aux difficultés qui arrivent à un évêque en la voie étroite de la perfection. Comment la patience est désignée par les vêtements ; les dix préceptes, par dix doigts, et les désirs des choses éternelles et le dégoût des choses mondaines, par les deux pieds. De trois ennemis qui s’opposent en la voie à l’évêque.

  La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Dites à l’évêque que, s’il marche en la voie dont nous venons de parler, trois choses difficiles viendront au-devant de lui : la première, que la voie est étroite ; la deuxième, qu’il y a, sur cette voie, des épines poignantes ; la troisième, que la voie n’est pas frayée, qu’elle est pierreuse, difficile et inégale. Contre ces trois choses, je vous donnerai trois conseils : 1. que l’évêque se revête, contre la voie étroite, de vêtements forts et subtilement cousus ; 2. qu’il ait ses dix doigts devant les yeux, comme des barreaux entre lesquels il regarde, et se garde d’être blessé par les épines ; 3. qu’il pose ses pieds sagement, et à chaque pas, qu’il sonde si son pied est ferme et arrêté, avant qu’avec précipitation il y mette les deux pieds, qu’il soit certain de la bonté ou de la méchanceté du chemin.
  Or, que signifie cette voie étroite, sinon que la malice des hommes impies est toujours contraire aux œuvres des justes, dont ils se moquent, dépravent les voies et les avertissements des justes, et tiennent à vil prix tout ce qui est hum-

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ble et pieux ? Que l'évêque s'habille contre telle sorte de gens, des vêtements de patience et de constance, car la patience rend doux et traitable ce qui est rude, et fait supporter joyeusement les calomnies qu'on vomit sur nous.
 Que signifient les épines poignantes, si ce n'est les adversités du monde ? Il faut être muni contre elles des doigts des dix commandements de Dieu et de ses conseils, afin que, quand l'épine de l'adversité dure et amère, et l'extrémité de la pauvreté nous piqueront, nous considérions la passion douloureuse et la poignante pauvreté de Jésus-Christ ; et quand l'épine de la colère et de l'envie nous piquera, que nous considérions dans l'amour de Dieu, qu'il nous a commandé de conserver en nos cœurs ; car le véritable amour ne cherche point ses intérêts, mais il donne tout ce qu'il a pour l'honneur de Dieu et l'utilité du prochain. Mais quand on dit qu'il doit marcher sagement, nous disons qu'en tout, et partout il doit raisonnablement craindre, car l'homme de bien doit avoir deux pieds : le premier, le désir des choses éternelles, le second ; le dégoût du monde. Mais dans les désirs des choses éternelle, on doit avoir une grande discrétion, afin qu'on ne les désire pour soi seulement, comme si on en était digne, mais qu'on mette tous les désirs, les volontés et les récompenses entre les mains de Dieu. Dans le dégoût du monde, il faut aussi être sage et craintif, de peur que ce dégoût ne vienne à cause des adversités du monde et de l'impatience de cette mourante vie, ou bien pour un plus grand repos de cette vie temporelle, et pour s'affranchir et se décharger d'un plus grand labeur qui est utile et profitable aux autres. Mais que ce dé-
 
 
 
 
 
 
 
 

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goût soit seulement à cause de l'abomination du péché et à raison des désirs insatiables de la vie éternelle. J'avais encore l'évêque de trois ennemis qui sont en son chemin, après qu'il aura vaincu et surmonté la difficulté de cette voie : le premier ennemi désire lui persuader qu'il bouche ses oreilles ; le deuxième est arrêté devant ses yeux pour les lui pincer ; le troisième est devant ses pieds avec un lacet pour les pendre quand il les lèvera de terre.
 Le premier ennemi, ce sont les hommes qui, par leurs discours, tâchent de retirer et d'écarter l'évêque du droit chemin, disant : Pourquoi prenez-vous tant de peine et marchez-vous par une voie si étroite ? Détournez-vous un peu par la voie fleurie où plusieurs marchent; Que vous importe que celui-ci ou celui-là vive ? Qu'ils vivent comme ils voudront. Que vous importe que ceux qui vous doivent honorer et aimer, s'injurient et s'offensent ? S'ils n'offensent ni vous, ni les vôtres, de quel soin vous chargez-vous s'ils vivent comme il faut ou s'ils offensent Dieu ? Si vous êtes bon vous-même, que vous souciez-vous du jugement qu'on fera un jour des autres ? Donnez plutôt des présents et prenez-en ; servez-vous de l'amitié des hommes, afin que vous soyez loué et que vous soyez estimé bon en cette vie.
 Le deuxième ennemi désire vous aveugler comme le Philistin aveugla Samson. Cet ennemi, ce sont la beauté, la possession du monde, la superfluité des vêtements, la diversité des choses apparentes, les honneurs des hommes et leurs faveurs. En effet, quand on offre ces choses, elles plaisent aux yeux ; la raison s'aveugle ; l'amour des commandement de Dieu s'attiédit ;
 
 
 
 
 
 
 
 

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on commet le péché plus licencieusement, et quand le péché est commis, il semble peu ou rien. Partant, quand l'évêque aura ce qui lui est nécessaire, qu'il s'en contente, car il semble maintenant à plusieurs plus doux de demeurer à la meule de cupidité avec Samson, que d'aimer l'Eglise, selon la louable disposition d'un soin pastoral.
 Le troisième ennemi, qui a un lacet, crie hautement, disant : Pourquoi allez-vous ainsi sur vos gardes, la tête baissée ? Pourquoi vous humiliez-vous tant, vous qui devez et pouvez être honoré de plusieurs ? Soyez plutôt un prêtre qui est aux premiers rangs, ou plutôt un évêque, afin que vous puissiez être honoré de plusieurs. Avancez-vous aux plus grandes dignités, afin que vous ayez de plus grands services et que vous jouissiez d'un plus grand repos. Entassez des trésors, avec lesquels aidant aux autres, vous puissiez être courtisé et caressé de tous, et être partout joyeux et content ; car quand l'esprit sera touché par toutes ces choses et sera incliné vers elles, il écartera toutes ces suggestions et affectera tout cela : soudain sans doute notre cœur s'élèvera, comme le pied d'une délectation déshonnête, vers les cupidités terrestres, et ainsi, il s'enveloppe dans les lacets des soins mondains, dont à rand peine il peut se débarrasser pour considérer sa misère, les récompenses ou les supplices éternels. Et ce n'est point de merveille que celui qui désire l'épiscopat désire une bonne œuvre pour l'honneur de Dieu : mais maintenant, plusieurs désirent l'honneur, et fuient le labeur dans lequel se trouve le salut éternel de l'âme. partant, que cet évêque demeure dans le degré qu'il a, et qu'il n'aspire

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point plus haut jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'y pourvoir autrement.

III.

La Sainte Vierge Marie déclare d'abord comment l'évêque doit exercer son office épiscopal, afin que Dieu y soit honoré du double fruit qui suit cette vraie dignité. De la double confusion qui suit une fausse dignité, et en quelle manière Jésus-Christ et tous les saints vont au-devant d'un évêque juste et vrai.

 La Mère de Dieu disait : Je veux expliquer à un évêque ce qu'il est tenu de faire et quel est l'honneur qu'on doit porter à Dieu.
 L'évêque doit avoir la mitre, la bien garder entre ses bras, ne pas la vendre pour de l'argent, ne pas la donner aux autres pour amour charnel, ni la perdre par négligence et par tiédeur. Or, que signifie cette mitre épiscopale, se ce n'est la dignité, la puissance épiscopale d'ordonner les clercs, de faire les saints chrêmes, de ramener ceux qui s'égarent, et d'exciter les négligents par leur exemple ? La mitre qu'il doit garder soigneusement dans ses bras, signifie combien attentivement il doit considérer quelle est la puissance épiscopale, et en quelle manière elle lui a été donnée, quels fruits elle apporte et quelle est sa fin. Si l'évêque veut savoir comment il a été fait évêque, qu'il considère s'il a désiré cette charge plus pour son utilité que pour l'amour de Dieu : s'il l'a désirée pour l'amour de soi, son désir a été charnel ; si pour l'amour de Dieu, pour son honneur et pour sa gloire, son
 
 
 
 
 
 

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désir a été spirituel et méritoire. Après, si l'évêque considère pourquoi il a accepté l'épiscopat, il trouvera que c'est pour être le père des pauvres, le consolateur et le médiateur des âmes, car les biens d'un évêque, c'est le bien des âmes : que s'il les mange infructueusement et les dépense  prodigalement, les âmes en crieront vengeance contre les injustes dispensateurs.
Or, quel sera le fruit de la dignité épiscopale ? Je vous le dirai : il sera de deux sortes, comme dit saint Paul, corporel et spirituel, car sur la terre, il est vicaire de Dieu, c'est pourquoi, pour l'honneur de Dieu ; il est honoré comme un dieu en terre ; dans le ciel, le fruit sera corporel et spirituel, à raison de la glorification du corps et de l'esprit : car là, le serviteur sera avec le maître, tant à cause de la vie épiscopale qu'il a menée sur la terre, qu'à raison de l'exemple d'humilité par laquelle il a provoqué les autres avec lui à la gloire. Or, celui qui a un vêtement et une dignité épiscopale, mais qui en fuit la vie et n'en pratique pas les actions, aura double confusion. Quant à ce que je dis que la dignité épiscopale ne doit pas se vendre, cela veut dire que l'évêque ne doit pas être simoniaque, ni ne doit pas exercer son office pour avoir de l'argent ou pour la faveur des hommes, ni les promouvoir pour les prières des hommes qu'il sait être de mauvaise vie. Quant à ce que j'ai dit que la mitre ne devait pas être donnée aux autres pour l'amitié" des hommes, cela signifie que l'évêque ne doit pas dissimuler les péchés des négligents et des lâches, et doit corriger ceux qu'il pourra, sans les renvoyer impunis. Il ne doit pas taire les péchés de ses amis à raison de l'amitié charnelle, ni mettre sur son dos les péchés de ses
 
 
 
 
 
 
 
 

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sujet, car l'évêque est celui qui contemple Dieu. Quand j'ai dit que l'évêque ne doit pas perdre sa mitre par lâcheté, cela signifie que l'évêque ne doit confier aux autres, pour qu'ils la fassent, sa charge, qu'il est tenu de remplir lui-même personnellement et fructueusement ; qu'il ne doit pas la confier aux autres pour le repos charnel, que lui-même pourrait accomplir, car l'office d'un évêque n'est pas repos, mais labeur l'évêque ne doit pas non plus ignorer les mœurs de ceux auxquels il confie ses offices, mais il doit les savoir et s'en enquérir, et voir comment ils gardent l'équité et la justice, et s'ils se comportent en ce qu'il faut faire, sagement et sans cupidité. Outre cela, je veux que vous sachiez que l'évêque, étant pasteur, doit avoir un faisceau de fleurs sous ses bras, avec lesquelles il attire les brebis proches et éloignées, qui, étant alléchées, courent soudain à l'odeur de ces fleurs. Ce faisceau de fleurs marque la prédication divine que l'évêque est tenu de faire ; les deux bras sur lesquels la prédication divine est portée, marquent deux œuvres qu'il faut qu'un évêque fasse, l'une publique et l'autre en cachette, afin que les brebis voisines de son évêché, voyant la charité dans les œuvres de leur évêque, entendant et comprenant ses paroles, glorifient Dieu en l'évêque ; et que toutes les brebis éloignées, entendant la renommée de l'évêque, désirant suivre ; car ce faisceau, qui est très odoriférant, n'a point honte de la vérité, ni de l'humilité, ni d'enseigner le bien et de faire ce qu'il enseigne, ni d'être humble en ses honneurs et dévot en son abjection.
Quand l'évêque aura accompli le cours de sa voie et qu'il sera parvenu à la porte, il est nécessaire qu'il ait quelque  chose en sa main pour
 
 
 
 
 
 
 

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présenter au Juge souverain, en partant, qu'il ait en sa main un vase fort cher et vide, et qu'il l'offre à ce Roi souverain. Or, ce vase vide qu'il porte pour offrir, n'est autre choses que le cœur, que nous devons nuit et jour vider et purifier de toute volupté et de tous les désirs de la gloire passagère.
 Quand il faudra introduire un tel évêque au royaume de gloire, Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, avec toute la milice céleste, lui viendra au-devant. Alors il entendra les anges qui diront : O notre Dieu ! ô notre joie ! ô tout notre bien ! cet évêque a été pur en sa chair, généreux en l'action : il est donc raisonnable que nous vous la présentions, car il a toujours désiré notre compagnie. Partant, accomplissez ses désirs, et par son arrivée, augmenter notre gloire. Alors, tous les saints diront : O Dieu éternel ! notre joie vient de vous, est en vous, sort de vous, et nous n'avons besoin que de vous. Néanmoins, notre joie est excitée par la joie de cet évêque, qui vous a désiré autant qu'il a pu, car il a porté des fleurs très-odoriférantes en sa bouche, par lesquelles il a augmenté notre nombres. Il en a porté en son œuvre, fleurs qui rafraichissaient ceux qui habitaient près et loin de lui. Partant, donnez-lui la grâce de se réjouir avec nous ; et vous aussi, réjouissez-vous, puisqu'en mourant, vous lui désiriez tant de joie. Le Roi de gloire leur dira enfin : O mon ami, vous êtes venu me présenter le vase de votre cœur vide de vous-même et de votre propre volonté : c'est pourquoi je vous remplis de plaisirs indicibles et de ma gloire éternelle ; ma joie sera la vôtre, et je ne finirai jamais, mais je conserverai éternellement votre gloire.
 
 
 
 
 
 
 
 

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 La sainte Mère de Dieu parle à la fille, sainte Brigitte, de la concupiscence des mauvais évêques. Comment plusieurs obtiennent une dignité spirituelle, à raison de leur bonne volonté, que les évêques désordonnés méprisent ; et il est montré par un exemple ceux qui y sont appelés corporellement.

 La Sainte Mère de Dieu, parlant à l'épouse de son Fils, sainte Brigitte, lui dit : Vous pleurez en pensant que l'amour de Dieu envers les hommes est très-grand, et que l'amour des hommes et petit envers Dieu. Véritablement, cela est ainsi, car quel est ce seigneur, ou évêque, qui ne désire plus avidement les charges pour en obtenir l'honneur du monde ou les richesses, que pour en secourir de ses propres mains les pauvres nécessiteux ? Et partant, puisque les seigneurs ni les évêques ne veulent pas venir aux noces préparées à tous dans le ciel, les pauvres et les infirmes y viendront, comme je vous le montrerai par un exemple.
 Dans une cité, il y eut un  évêque sage, beau et riche, qui, étant loué de sa sagesse et de sa beauté, n'en rendait pas grâces comme il devait à Dieu, qui lui avait donné la sagesse. Il était aussi loué et honoré à raison des ses richesses, et partant, il donnait beaucoup pour acquérir les fumées des faveurs mondaines. Il a aussi ardemment désiré beaucoup de richesses pour donner plus largement et pour se faire honorer davantage.
Cet évêque avait en son évêché un clerc sa-
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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vant qui savait les pensées de son évêque. Cet évêque, disait-il à part soi, aime moins Dieu qu'il ne faut. Sa vie est tout employée et occupée au siècle. Partant, s'il plaisait à Dieu, je désirerais son épiscopat pour en honorer Dieu. Je ne désire pas de vrai pour l'honneur du monde, car il n'est que vent et fumée ; ni pour les richesses, car je ne dois avoir qu'un raisonnable repos, en sorte que mon corps puisse subsister au service de Dieu ; mais je le désire seulement pour Dieu et pour son honneur ; et bien que je sois indigne de tout honneur, néanmoins, pour gagner plusieurs âmes à Dieu, et pour profiter à plusieurs par parole et par exemple, et pour sustenter plusieurs pauvres des biens de l'Eglise, je recevrais la charge épiscopale, et j'entreprendrais de la porter ; car Dieu sait qu'une mort dure et amère me serait plus agréable et un supplice plus doux à supporter que la dignité épiscopale ; car bien que je sois sujet, comme les autres, aux passions furieuses, néanmoins, celui qui désire l'épiscopat désire une bonne œuvre. Partant, je désire franchement l'honneur d'un évêque avec la charge épiscopale. L'honneur, en vérité, je le désire pour le salut de plusieurs, et la charge, pour l'honneur de Dieu et pour mon salut et le salut des âmes ; pour cette fin seule, je le souhaite, afin que je puisse largement distribuer les biens de l'Eglise aux pauvres, instruire les âmes plus librement, ramener plus fidèlement les errants et les dévoyés, mortifier plus sévèrement ma chair, me composer et me compasser plus soigneusement pour l'exemple et l'édification des autres.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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 Or, ce chanoine admonesta son évêque prudemment et sagement de tout cela ; mais l'évêque, portant aigrement ses paroles, confondit publiquement et imprudemment ce chanoine, se vantant d'être modéré et suffisant à tout, et le disant. Or, le chanoine pleura les excès de l'évêque, souffrant patiemment néanmoins les injures qu'il lui avait faites ; mais l'évêque, se moquant de la charité et de la patience du chanoine, médisait tellement de lui, qu'il en était réputé insensé et menteur, et que l'évêque était réputé juste et circonspect. Enfin, quelque temps s'étant écoulé, l'évêque et le chanoine décédèrent et furent appelés au jugement de Dieu, en la présence duquel et des anges il semblait qu'on eût placé une chaire dorée, et devant la chaire, une mitre épiscopale et tout son ornement. Une grande multitude de diables suivaient le chanoine, désirant ardemment de trouver en lui quelque péché mortel : car de l'évêque, ils en étaient aussi certains que la baleine est assurée des petits poissons qui sont dans son ventre, au milieu des orages de la mer. Or, plusieurs plaintes et accusations étant proposées contre l'évêque, savoir : pourquoi et en quelle intention il avait pris la dignité épiscopale ; pourquoi il s'était enorgueilli du bien des âmes ; en quelle manière il avait régi et gouverné les âmes qui lui avaient été confiées ; ce qu'il avait fait pour Dieu en reconnaissance des faveurs dont il l'avait éminemment comblé.
Or, l'évêque n'ayant rien à répondre justement à ce qu'on lui demandait, le Juge lui dit : Qu'on pose sur la tête de l'évêque de la boue au lieu de mitre ; dans ses mains, de la poix au lieu de gants ; de la fange au pieds au lieu de
 
 
 
 
 
 
 
 

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sandales ; pour chemise et pour lin épiscopal, le plus sale et le plus puant des linges ; pour l'honneur, honte et confusion ; pour une famille plantureuse, qu'il ait une cruelle troupe de démons.
Le Juge ajouta soudain : Qu'on mette sur la tête du chanoine une couronne rayonnante comme un soleil ; qu'on donne à ses mains des gants dorés ; qu'on chausse ses pieds, et qu'on l'habille avec tout l'honneur d'un vêtement épiscopal.
Quand le chanoine fut revêtu de la sorte, il fut présenté au Juge de la milice céleste, avec honneur, comme un évêque, et le misérable évêque descendit comme un larron qui a la corde au cou ; et le Juge détournait de lui les yeux de sa miséricorde ; et aucun des saints ne le voulait regarder.
Voyez comme quelques-uns, à raison de leur bonne volonté, obtiennent spirituellement les dignités que méprisent ceux-là qui les ont de fait. Tout ceci se faisait en Dieu en un moment ; mais pour votre considération, il a été prononcé par paroles, car devant Dieu, mille ans sont comme une heure. Il est aussi arrivé souvent que, quand les seigneurs et les évêques ne veulent faire la charge et l'office auxquels ils sont appelés, Dieu choisit pour soi de pauvres prêtres et des sonneurs de cloches, qui vivant en la meilleure conscience qu'ils peuvent, profiteraient franchement aux âmes, s'ils pouvaient, à l'honneur et à la gloire de Dieu ; et faisant ce qu'ils peuvent, ils possèdent les lieux préparés pour les évêques, car Dieu fait comme celui qui mettrait une couronne aux portes de sa maison et dirait à tous les passants : Quiconque, de quelque état et de quelque condition que
 
 
 
 
 
 
 

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ce soit, s'il veut, peut mériter cette couronne avec la grâce ; et celui qui sera noblement et éminemment enrichi des vertus, l'obtiendra.
néanmoins, sachez que si les évêques et les seigneurs sont sages d'une charnelle sagesse, Dieu est plus sage qu'eux, qui exalte les humble et n'approuve point les superbes. Saches encore que ce chanoine qui est tellement loué, n'eut pas lui-même soin du cheval, quand il allait prêcher, ni d'allumer son feu au repas ; mais on le servait, et il avait ce qui lui était nécessaire pour se sustenter raisonnablement ; il avait aussi de l'argent, mais non pour assouvir ses désirs, car quand il aurait eu toutes les richesses du monde, il n'eût pas donné un denier pour être évêque ; pour tout au monde il n'eût pas laissé sons évêché, si cela eût été agréable à Dieu ; mais il avait toute sa volonté à plaire à Dieu, prêt à être honoré, afin que Dieu fût honoré, et disposé à être humilié et abaissé pour l'amour et la crainte de Dieu.

v.
Saint Ambroise parle à Sainte Brigitte, épouse de Jésus-Christ, de la prière des bons pour le peuple. Comment sont désignés, les seigneurs séculiers et ecclésiastiques, par les gouverneurs ; par les tempêtes et les orages, la superbe, etc. et par le port, l'entrée de la vérité. De la vocation de l'épouse à l'esprit.

Il est écrit que jadis les amis de Dieu criaient, disant : Plût à Dieu qu'il rompît les cieux, et qu'il descendît pour délivrer et affranchir le peuple d'Israël ! Semblablement, en ce temps, les amis de Dieu crient, disant : O Dieu très-
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doux ! nous voyons un peuple innombrable périr en des orages misérables, attendu que les gouverneurs sont avides et insatiables d'appliquer leurs sujets à ce d'où ils pensent retirer plus de rentes, se conduisant, là où il y a les plus horribles abîmes d'eaux ; le peuple, ignorant l'assurance du port, et à raison de cela, un peuple quasi juif, y fait un misérable naufrage, et trop peu viennent au port salutaire. Partant, nous vous prions, vous qui êtres le Roi de toute gloire, de daigner illuminer le port des rayons de votre Divinité, afin que le peuple évite les écueils, et qu'il n'obéisse point à ses mauvais conducteurs, mais se détourne d'eux, mais qu'il soit directement conduit par votre lumière divine au port de salut.
Par les gouverneurs sont entendus tous ceux qui ont au monde puissance corporelle et spirituelle, car la plupart de ceux-là aiment tellement leur volonté porpre, qu'ils ne se soucient point de l'utilité des âmes de leurs sujets, mais se plongent volontairement dans les ondes impétueuses du monde, de la superbe, de la cupidité et des immondicités ; la communauté misérable imite et suit leurs actions, croyant que cette voie est juste et droite, la voyant pratiquée par les juges ; et de la sorte, ils se perdent misérablement, perdant leurs sujets pour le misérable désirs qu'ils ont de suivre leurs appétits désordonnés.
Par le port, j'entends l'entrée de la vérité, qui est maintenant tellement obscurcie devant plusieurs,  que quand quelqu'un dit que la vérité est la voie pour aborder au port de la vie céleste, qui est l'Evangile sacré de Jésus-Christ, ils disent que ce sont des mensonges, suivant plutôt les œuvres de ceux qui se plongent en
 
 
 
 
 
 
 

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toute sorte de péchés, que croire à ceux qui prêchent la vérité évangélique.
Par la lumière que les amis de Dieu demandent, j'entends quelque divine révélation faite au monde, afin que l'amour de Dieu soit enouvelé dans les cœurs des hommes, et que sa justice ne soit ni oubliée ni négligée. C'est pourquoi il a plu à Dieu, par sa grande miséricorde et par les demandes de ses amis, de vous appeler par le Saint-Esprit, afin de voir, d'ouïr et d'entendre spirituellement, et de révéler à autrui ce que vous auriez ouï en esprit, selon le vouloir de Dieu.

VI.

Saint Ambroise parle à quelque épouse sous les formes et figures d'un mari, d'une femme et d'une chambrière. Comment un mauvais évêque est signifié par l'adultère, l'Eglise par la femme, et l'amour du monde par la servante. De la sentence cruelle fulminée contre ceux qui adhèrent plutôt au monde qu'à l'Eglise

Je suis Amboise, l'évêque, qui vous apparaît, parlant avec vous par quelque similitude, car votre esprit ne saurait comprendre les choses spirituelles sans quelque similitude corporelle.
Il y avait un homme marié à une femme légitime, grandement belle, sage et prudente, à qui néanmoins la chambrière plaisait plus que sa femme ; et de ceux-ci sortaient trois choses : la première, que les paroles et les gestes de la servante réjouissaient plus son cœur que sa femme ; la deuxième, qu'il habillait la servante des
 
 
 
 
 

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 plus belles étoffes, ne se souciant pas que sa femme fût vêtue d'ettoffes communes, voire même des plus viles et déchirées ; la troisième qu'il avait coutume de demeurer neuf heures avec la servante, et une heure avec sa femme. Car la première heure, il l'employait à veiller avec sa servante, se réjouissant de contempler sa beauté. La deuxième, il dormait ensre ses bras. La troisième, il supportaint le travail pour l'amour d'elle. la quatrième, après la lassitude du corps, il se reposait avec elle. La cinquième heure, il l'employait à lui ôter les inquiétudes d'esprit et à avoir soin que rien ne lui manquât. La sixième, il contenait son esprit du soin qu'il avait eu que rien ne lui manquât. A la septième heure, l'ardeur de la concupiscence le brûlait. A la huitième, la satisfaisait. A la neuvième, il omettait ce qu'il lui était loisible de faire. A la dixième, il faisait ce qui ne plaisait pas à sa emme, de sorte qu'il demeurait seulement une heure avec sa femme.
Or, quelque parent de la femme venant à cet adultère, le reprit, lui disant : Retournez à votre légétime femme, en l'aimant et la revêtant comme il faut, et demeurant avec elle neuf heures, et une heure avec la servante : autrement, sachez que vous mourrez malheureusement.
Par cet adultère, dit Saint Amboise, j'entends le pévoyeur de cette église, qui a la charge et l'office d'évêque, et dont la vie est la vie d'un adultère. Et de fait, l'évêque est tellement conjoint par l'union spirituelle avec l'Eglise, qu'elle devrait être son épouse très chère ; il a néanmoins retiré d'elle le cœur et l'amour, aimant beaucoup plus le monde servile que sa maîtresse, son excellente et amoureuse épouse. C'est pourquoi
 
 
 
 
 

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quoi il a fait trois malheurs : le premier est qu'il se réjouit plus des allèchements trompeurs du monde, que des belles et excellentes qualités de la Sainte Eglise. Le deuxième est qu'il aime grandement l'ornement et l'éclat du monde, sans se soucier de la défectuosité et pauvreté de l'ornement de l'Eglise. le troisième est, qu'il emploie neuf heures pour le monde, et la dixième heure seulement pour l'Eglise Sainte, car il veille la première heure joyeusement avec le monde, contemplant avec plaisir sa beauté et son éclat. A la deuxième heure, il repose entre les bras du monde, qui sont la hauteur des murailles et la vigilance des hommes armés, entre lesquels il dort douchement, pensant tenir là heureusuement l'assurance de son corps. A la trroisème heure, il supporte joyeusement le labeur et la peine pour des commodités mondaines, afin qu'avec cela, il se réjouisse corporellement. A la quatrième heure, après avoir travaillé, il repose franchement son corps, car il a à suffisance tout ce qui lui plaît. A la cinquième heure, il a un monde d'inquiétudes d'esprit, de ce qu'il veut être estimé un grand et sage pourvoyeur du monde. A la sixième heure, il a le repos de l'esprit avec joie, voyant que son soin plaît universellement à tous les mondains. A la septième heure, entendant et voyant les choses délétable du monde, il des attire dans son cœur, où il en brûle avec une impatience intolérable. A la huitième, il accomplit actuellement et défait ce qu'auparavant il avait ardemment désiré. A la neuvième, il laisse inutilement quelques plaisirs, afin de ne sembler offenser ceux qu'il aime charnellement. A la dixième heure, il fait quelque bonne œuvre, mais à regrt, d'autant qu'il craint de se rendre
 
 
 
 
 
 
 
 

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infâmes et méprisable, et d'être jugé misérablement, s'il omet quelque chose entièrement pour quelque autre fin. Cette dixième heure, il l'emploie seulement avec la Sainte Eglise. Le bien qu'il fait ne vient pas de la charité, mais de la craint', craignant le supplice du feu de l'enfer. en effet, s'il pouvait vivre éternellement sans danger du corps, abondant en choses mondaines, il ne se soucierait point d'être privé de la félicité éternelle. Partant, je vous dis certainement, jurant de la part de Dieu, que celui qui n'aura point le commencement n'aura point aussi la fin. Que s'il ne se convertit bientôt à la Sainte Eglise, empoyant les neuf heures avec elle et avec la serante, c'est-à-dire, le monde une heure, non pas néanmpins en l'aimant, mais ayant à regret et par contrainte ses richesses et ses honneurs, conformément à l'office épiscopal, disposant humblement et raisonnablement le tout pour l'honneur de Dieu, il aura en son âme des persécutions spirituelles aussi grande que celle de celui (pour parler par similitude), qu'on frapperait à la tête; dont tout le corps se dissoudrait jusqu'à la plante du pied; dont les veines et les nerfs se rompraient; dont les os seraient fracassés, et dont la moelle coulerait misérablement partout; et comme ce cœur semblerait être amèrement tourmenté, si le sommet de la tête et les membres voisins étaient en telle sorte frappés que la plante des pieds les plus éloignés en seraient blessés, de même cette âme misérable étant près d'ouir prononcer la sentence divine, il lui semblera qu'elle est percée et outrée amèrement d'un coup si misérable, tandis qu'il voit que sa conscience est partout intolérablement blessée.
 
 
 
 
 
 
 
 

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VII.

La Sainte Vierge Marie parle à l'épouse de Jésus-Christ. Comment un évêque qui aime le monde est comparé à un éventoir plein de vent et à une tortue croupissante en la pourriture; et comment celui-là sera jugé à l'opposite de Saint Ambroise, évêque.

 L'Ecriture dit que celui qui aime son âme en  ce monde, la perd. Or, cet évêque aime son âme selon ses volupté profanes, et la délectation spirituelle n'est point en son cœur. Partant, on le peut très bien comparer à un éventoir, plein de vent auprès du fourneau : car comme les charbons étant brûlés et l'air brûlant cessé, il demeure encore du vent dans l'éventoir, de même, bien que cet évêque donne à sa nature tout ce qu'il désire, consommant le temps inutilement, néanmoins, la même délectation demeure en désir et sentiment, et lui désire satisfaire, comme le vent demeure dans l'éventoir, car sa volonté ne se porte qu'à la superbe et aux ambitions du monde, lesquelles l'endurcissant dans son cœur, il donne à autrui l'exemple et l'occasion de pécher, lesquelles étant consommées en péchés, descendent dans l'enfer.
 Saint Ambroise, évêque, n'était pas disposé de la sorte ; son cœur était plein de volonté divine ; son boire, son manger et son repos étaient raisonnable ; rejetant et repoussant loin de soi les voluptés du péché, il a parfaitement, utilement et honorablement employé son temps. Et de fait, on le peut appeler l'éventoir des vertus, car il a guéri les blessures du péché par les
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Paroles de vérité ; il a allumé les froids du divin amour, par l'exemple de ses bonne œuvres et par la pureté de sa vie ; il a tempéré, voire refroidi ceux qui brûlaient des feux des voluptés, et de la sorte, il a aidé plusieurs, afin qu'ils ne se précipitassent pas dans l'enfer, car la délectation divine arrosa doucement son cœur tant qu'il vécut. Mais cet évêque est semblable à une tortue, qui croupit en sa pourriture naturelle , et attire sa tête vers la terre : de même bourbiers abominables des voluptés, tirant son âme à la terre, non au ciel. Qu'il se rappelle ces trois choses : 1° comment il s'est acquitté de l'office sacerdotal; 2° qu'est-ce que signifient ces paroles de l'Evangile : Les vêtements sont vêtements de brebis, mais au-dedans, ce sont des loups ravisseurs ; 3° pourquoi les choses temporelles lui touchent tant au cœur, et pourquoi le Créateur de toutes choses est aimé si froidement.

VIII.

La Sainte Vierge Marie parle à l'épouse de Jésus-Christ de sa propre perfection, excellence des appétits déréglés des docteurs de ce temps, et de leur fausse réponse à la question que la Sainte Vierge leur avait faite.

 La Sainte Vierge Marie dit : Je suis celle qui ai été de toute éternité en l'amour divin, et dès mon enfance, le Saint-esprit était parfaitement avec moi. Vous pourrez prendre un exemple de ceci, de la noix, laquelle croît quand le zeste qui est au dehors croît ; le noyau qui est au dedans
 
 
 
 
 
 

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croît aussi, de sorte que la noix en croissant est toujours pleine, ne donnant place à rien qui vienne de l'extérieur. De même, moi, dès mon enfance, j'ai été pleine du Saint-Esprit, et il me remplit tellement à mesure que je croissais en corps et en âge avec tant d'abondance, qu'il n'a rien laissé de vide en moi pour donner entrée ni place au péché. Et partant, je suis celle qui n'a jamais commis un péché véniel ni mortel, car de fait, j'ai été si ardente en l'amour de Dieu que rien ne m'a plu, sinon la perfection de la volonté de Dieu, car le feu de l'amour divin brûlait incessamment dans mon cœur. Dieu aussi, qui est béni sur toutes choses, qui m'a créée par sa puissance et m'a remplie de la vertu du Saint-Esprit, m'a aimée ardemment. La ferveur de son amour fit qu'il m'envoya un messager, me faisant entendre par lui ses volontés, savoir, que je fusse Mère de Dieu ; et ayant connu que c'était la volonté divine, soudain le feu d'amour que j'avais dans mon cœur me fit prononcer cette parole d'obéissance, par laquelle je répondis au messager : Qu'il me soit fait selon votre parole ; et au même instant, le Verbe fut fait chair en moi, et le Fils de Dieu a été fait mon Fils, et de la sorte, nous avons tous deux un même Fils, qui est Dieu et homme, et moi semblablement je suis Vierge Mère. Il est homme très sage et vrai Dieu, Jésus-Christ, qui, demeurant en mon ventre, me donna alors tant de sagesse, que, non seulement je puis entendre la sagesse de tous les docteurs, mais encore la voir dans leur cœurs, Dieu me la manifestant, et pénétrer si leurs paroles sortent de la divine charité, ou bien de l'artifice de leur science.
Partant, vous qui entendez mes paroles, dites
 
 
 
 
 
 
 
 

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à ce docteur que je l'interroge sur trois choses : 1° s'il désire plus les faveurs et l'amitié de l'évêque corporellement, que de présenter spirituellement son âme à Dieu ; 2° s'il prend plus de plaisir et de délectation en l'esprit de l'abondance des richesses, que dans leur privation ; 3° laquelle de ces deux choses le contente le plus, ou d'être appelé docteur et maître, et demeurer entre les plus honorés avec leur vanité mondaine, ou bien d'être appelé simple frère et demeurer avec les derniers.
Qu'il sonde avec soin ces trois choses, car s'il aime son évêque plus corporellement que spirituellement, il s'ensuit qu'il lui parle de ce en quoi il se plaît : c'est pourquoi il ne lui défend pas les péchés dans lesquels il se plonge. Que s'il se plaît plus en l'abondance des richesses qu'en leur privation, il aime plus les richesses que la pauvreté, et conseille le même à ses amis, leur disant qu'ils possèdent tout ce qu'ils pourront acquérir, que de laisser, le pouvant faire librement ; que s'il se plaît au nom de maître pour l'honneur du monde et pour avoir rang avec les honorables, alors il aime plus la superbe que l'humilité, d'où vient que, devant Dieu, il est plus semblable aux ânes qu'aux maîtres, car alors, il mâche la vile litière des bêtes, lui qui acquiert la science sans le bon blé de la charité ; car l'amour divin ne pourrait subsister en un cœur superbe. Après qu'il eut fait ses excuses, il dit qu'il aimait plus présenter spirituellement l'âme de l'évêque à Dieu, que l'aimer corporellement, et plus la pauvreté que les richesses, et qu'il ne se souciait aucunement du nom de maître.
La sainte Mère de Dieu lui répliqua et lui dit :
 
 
 
 
 
 
 
 

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Je suis celle qui a ouï de la bouche de Gabriel la vérité et cru sans douter d'où vient qu'il prit chair humaine de mon cœur et demeura en moi. J'ai engendré la même Vérité, qui est de soi Dieu et homme; et parce que la Vérité, qui est Fils de Dieu, a voulu venir à moi, demeurer en moi et naître de moi, j'entends pleinement s'il y a vérité en la bouche des hommes ou non ; mais je demande au maître trois choses. Je dirais qu'il m'aurait très bien répondu, si la vérité était en ses paroles ; mais parce qu'elle n'était point en elles, c'est pourquoi je l'avertis de trois autres choses : 1° il y a quelque chose qu'il aime et qu'il désire corporellement, et il ne l'obtiendra pas ; 2° cela même qu'il possède maintenant, il le perdra avec la joie mondaine ; 3° les petits entreront dans le ciel, et les grands demeureront dehors, d'autant que la porte est étroite.

IX

La Sainte Vierge parlait à l'épouse de Jésus-Christ de la manière dont ceux qui voient et entendent, etc. fuient les dangers, étant illuminés par les rayons du soleil ; et de ce qui arrive aux sourds et aux aveugles, etc.

 La Mère de Dieu disait : Bien que l'aveugle ne voit pas, néanmoins, tandis qu'il tombe dans le précipice, le soleil reluit en la splendeur de sa clarté et de son éclat Ceux qui sont clairvoyants, étant par le chemin, se réjouissent d'avoir évité les précipices avec cette lumière. Et bien que le sourd n'entende pas, néanmoins, celui qui entend, entend l'impétuosité d'un torrent qui
Tombe et fond horriblement sur le sourd, et il
 
 
 
 
 

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l'évite en s'enfuyant en quelque lieu assuré. Et bien que la mort ne puisse rien apporter de bon, néanmoins, pourrissant parmi la vermine, sa boisson conserve quelque doucheur et quelque saveur, car lorsqu'il vivait, il avalait avec joie le calice des douleurs, et il était courageux à l'entreprise de toute sorte d'œuvres généreuses.

X.

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, lui donnant assurance des choses susdits, des périls proches et éminents de la ruine de l'Eglise, et en quelle manière, comme nous le voyons maintenant en plusieurs, les économes de l'Eglise (hélas ! quel malheur !) sont adonnés à la vie lubrique, à la cupidité, à prodigaliser les liens de l'Eglise par orgueil. De l'ire de Dieu provoquée contre telle sorte d'économes.

 La Mère de Dieu dit : Ne craignez pas en croyant que ce que vous verrez maintenant soit de l'esprit du diable, car comme par l'approche du soleil, deux choses arrivent, la lumière et la chaleur, à ceux qui ne suivent pas les lumière et la chaleur, à ceux qui ne suivent pas les lumières palpables, de même, par la venue du Saint-Esprit, viennent deux choses en votre cœur, savoir : la parfaite lumière de la sainte foi et l'ardeur de l'amour divin. Or, vous ressentez maintenant ces deux choses. Le diable aussi, qui est comparé aux nuits palpable, ne suit pas ces choses. Envoyez donc à lui le nonce que je vous ai nommé. Or, bien que je sache son cœur et sa réponse, et la prompte et proche fin de sa vie, néanmoins, vous lui devez envoyer les paroles suivantes.
 
 
 
 

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 Je le fais enfin certain qu'à la droite de la sainte Eglise, le fondement est tellement ruiné, que le sommet de la voûte a de grandes ruptures, menaçant de ruine totale grandement dangereuse, de sorte que plusieurs de ceux qui y viennent y perdront la vie. Plusieurs colonnes, qui devraient être debout, se courbent maintenant jusqu'à terre ; le pavé est tellement fossoyé et défait, que les pauvres aveugles, en y entrant, tombent avec péril de leur vie ; les clairvoyants mêmes y choppent lourdement ; et pour cela, l'Eglise de Dieu est en un grand danger, et n'a rien de si proche qu'une ruine totale. Certainement, je vous dis que si on ne la rétablit, la ruine en sera si grande qu'on la saura par toute la chrétienté.
 Or, je suis cette Vierge en laquelle Jésus-Christ a daigné descendre sans aucune volupté charnelle. Et le même Fils de Dieu est sorti de mon sein, qui est demeuré clos avec grande consolation et sans peine. J'ai demeuré auprès de la croix, quand il surmontait l'enfer avec une patience invincible et victorieuse, et ouvrait le ciel par le sang de son cœur. J'étais aussi sur la montagne, quand le Fils de Dieu, qui est aussi mon Fils, monta au ciel. J'ai connu aussi très clairement tout la foi catholique, qu'il avait enseignée en évangélisant tous ceux qui voulaient entrer dans le ciel. Partant, moi qui suis la même, j'assiste maintenant par-dessus le monde en continuelle oraison, comme sur les nuées l'arc du ciel, qui semble s'incliner vers la terre et la toucher de ses deux bouts. Par l'arc-en-ciel, j'entends moi-même, moi qui, par ma prière, m'incline et m'abaisse aux habitants de la terre, tant bons que mauvais. Je m'incline aux bons, afin qu'ils soient fermes et constants dans les choses
 
 
 
 
 

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que la sainte Eglise leur commande, et aux mauvais, afin qu'ils n'avancent pas en leur malice et qu'ils ne deviennent pires. Je vous fais donc connaître celui que je vous ai nommé, que, d'une partie de la terre, s'élèveront des nuées horribles contre la clarté et l'éclat de l'arc. Par ces nuées, j'entends ceux-là qui mènent une vie lubrique, et sont insatiables d'argent comme un gouffre et un abîme de mer. Emus de superbe, ils donnent aussi les biens raisonnablement et prodigalement, comme un impétueux torrent verse de l'eau. Plusieurs, maintenant, économes de l'Eglise, exercent ces trois choses, et leurs horribles péchés montent jusqu'au ciel, en présence de la Divinité, contre ma prière, comme les nuées cruelles contre l'éclat de cet arc. De même aussi, ceux qui devraient apaiser avec moi l'ire de Dieu, la provoquent et l'attirent sur eux, et de tels économes ne devraient pas êtres exaltés dans l'Eglise. Quiconque donc voudra prendre soin que le fondement de l'Eglise soit stable, et que la vigne sainte et bienheureuse que Dieu a plantée par son soin, soit renouvelée et rétablie, s'il s'humilie, se jugeant insuffisant et incapable, moi, Reine du ciel, je viendrai à lui pour le secourir avec tous les anges, extirpant les racines fausses, arrachant les arbres infructueux et les mettant au feu, et entant en leur lieu des greffes fructueux et plantureux. Par la vigne, j'entends l'Eglise de Dieu, en laquelle on doit renouveler l'humilité et l'amour divin.

 Ce qui suit est une addition au chapitre.

 (Le Fils de Dieu parle des nonces du pape) : Vous êtes venus en la société des grands, et vous montez encore à des choses plus grandes. Partant ,
 
 
 
 
 

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celui qui travaille mérite grandement que son humilité soit exaltée, puisque la superbe était trop montée. Sera aussi accueilli avec grand honneur celui qui a une grande charité envers les âmes, car l'ambition et la simonie règnent maintenant en plusieurs. Heureux aussi sera celui que s'efforce tant qu'il peut que les vices soient extirpés du monde, car les vices prévalent et règnent plus qu'il ne faut et plus qu'ils n'avaient accoutumé. Il est aussi très utile de faire et de demander pénitence, car dans les jours de plusieurs qui vivent maintenant, le soleil sera divisé, les étoiles seront confondues ; là la sapience sera assottie et affolée ; les humbles cacheront leur feu en terre, les audacieux prévaudront. C'est sagesse d'entendre et d'interpréter ceci à ceux qui savent égaler ce qui est raboteux et prévoir ce qui est à venir.
 (cette précédente révélation fut faite au cardinal d'Albane, qui était alors prieur.)

XI

Paroles de foi que  Sainte Brigitte dit à Jésus-Christ. Manière dont Saint Jean-Baptiste l'induit à la certitude de ce que Notre-Seigneur lui dit. Félicité d'un bon riche. Comment un évêque indiscret est semblable à un singe, à cause de sa sotte légèreté et de sa méchante vie.

 L'épouse Sainte Brigitte, en oraison, parlait à Jésus-Christ, lui disant humblement : O mon Seigneur Jésus-Christ, je me confie si fermement en vous, que je croirais que même, si un serpent était couché auprès de ma bouche, il n'y entrerait
 
 
 
 

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point, à moins que vous le permissiez pour mon bien.
 Saint Jean-Baptiste lui répondit : Celui qui vous apparaît est Fils de Dieu, duquel le Père, comme je l'entendis, porta témoignage, disant
: Celui-ci est mon Fils. C'est celui duquel le Saint-Esprit procède, et du Père, qui apparut sur lui en forme de colombe, lorsque je le baptisais. C'est celui qui est, selon la chair, le vrai Fils de la Vierge, dont j'ai touché de mes mains le corps. Croyez donc fermement et entrez dans ses voies, car c'est lui qui a montré les voies droites pour monter au ciel, par lesquelles le pauvre et le riche peuvent y monter.
Mais vous me demanderez comment le riche doit être disposé pour entrer au ciel, puisque Dieu même a dit qu'il est plus facile qu'un chameau entre par le trou d'une aiguille que le riche entre dans les cieux. ( Math. 10. Luc. 19. Marc. 10.) Je vous réponds à cela : Le riche, qui est disposé en cette sorte qu'il ne veuille rien en soi de mal acquis ; qui est soigneux que ses biens ne se dépensent inutilement et contre Dieu ; qui, les possédant à regret, en désire librement séparer l'affection et l'honneur mondain qui lui en reviennent ; qui se trouble de la perte des âmes et du déshonneur qu'on rend à Dieu ; et bien qu'il soit contraint par la dispense divine d'aimer en quelque manière le monde, néanmoins, veille de toute son intention à l'amour de Dieu : un tel riche est fructueux, heureux et cher à Dieu.
Mais cet évêque dont nous parlons n'est pas riche de la sorte, car de fait, il est semblable à un singe qui a quatre conditions : 1° on lui fait des vêtements qui le couvrent entièrement, hormis les parties honteuses; 2° il touche de ses doigts les
 
 
 
 
 
 
 

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choses puantes ; 3° il a seulement la face humaine et tout le reste bête ; 4° bien qu'il ait des pieds et des mains, il foule de ses doigts la boue. De même l'évêque insensé est comme le singe, curieux en la vanité du monde, difforme dans les œuvres louables, car il a ses vêtements, c'est-à-dire, les ordres épiscopaux, qui sont grandement honorables et précieux devant Dieu. Mais ses hontes paraissent toutes nues, attendu que la légèreté de ses mœurs et ses affections brutales se manifestent aux hommes à la ruine des âmes ; contre ceci, dit ce chevalier généreux, que les hontes des hommes ont plus d'honnêteté, marquant en cela que les mouvements brutaux des ecclésiastiques doivent être cachés par l'éclat des bonnes œuvres, de peur que leur exemple ne scandalise les infirmes. Le singe aussi sent et touche ce qui est puant. Qu'est-ce que le doigt lait, sinon montrer ce qu'on a vu ? comme moi, voyant Jésus-Christ en son humanité, je dis : Voici l'Agneau de Dieu. Les doigts donc d'un évêque ne sont autre chose que les mœurs louables avec lesquelles il doit montrer la justice divine et la charité. Mais maintenant, il montre par les œuvres qu'il est riche et généreux, sage du monde et prodigue d'argent. Or, que signifient ces choses, sinon porter ses doigts aux choses puantes ? car se glorifier de la chair et du sang d'une nombreuse et féconde famille, qu'est-ce autre chose, sinon se glorifier des sacs enflés ? Le singe aussi a une face humaine, mais le reste est en forme de bête : de même celui-ci a son âme enrichie d'un caractère divin, mais elle est enlaidie par sa cupidité. Quatrièmement, comme le singe touche et foule la terre boueuse avec les pieds et avec les mains, de même celui-
 
 
 
 
 
 
 

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ci ne désire que la terre en ses œuvres et en ses mains, détournant ses yeux du ciel, et les tournant vers la terre, comme un animal oublieux. Une telle personne pourrait-elle apaiser l'ire de Dieu ? Nullement, mais elle provoque davantage et attire sur elle la justice divine.

ADDITION.

Cette révélation a été faite à un légat cardinal, l'an du jubilé, etc. Le Fils de Dieu parle en ces terme : O contentieux superbe ! où sont maintenant vos pompes et le riche apparat de vos chevaux ? Vous n'avez pas voulu entendre quand vous étiez en honneur, c'est pourquoi maintenant vous êtes sans honneur. Dites donc, bien que je sache toutes choses, en la présence de cette épouse, ce que je vous demande.
Et soudain, une personne tremblante et nue apparut misérablement enlaidie, et le juge lui dit : O âme, vous avez été posée au peuple en chandelier de lumière : pourquoi ne reluisez-vous pas par paroles et par exemple ? L'âme lui répondit : Je ne l'ai ni entendu ne conçu, d'autant que votre amour a été arraché de mon cœur. J'allais comme un homme sans mémoire, et comme un vagabond après les choses présentes, sans regarder ni considérer les choses futures.
Cela ayant été dit, l'âme fut privée de la lumière des yeux. Et un Ethiopien, qui était là, dit : O juge, cette âme est à moi :qu'en ferai-je ?
Le  Juge répondit : Purifiez-la, et examinez-la comme si elle était en la presse, jusqu'à ce que le consitoire soit assemblé, dans lequel on ballottera les allégations des amis et des ennemis.
 
 
 
 
 
 

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XII.

L'épouse parle à Jésus-Christ, en priant pour cet évêque; Réponses faites par Jésus-Christ à la Sainte Vierge et à Sainte Agnès.

O,  mon Seigneur ! je sais que pas un n'entre dans le ciel que le Père ne l'attire. Partant, ô Père très clément et très miséricordieux ! attirez à vous cet infirme évêque. Et vous, ô Fils de Dieu ! aidez celui qui s'efforce. Vous aussi, ô Saint-Esprit ! emplissez du feu de votre amour cet évêque qui en est si vide.
Le Père répondit : Si celui qui tire est fort, et si la chose qu'il tire est trop lourde et trop pesante, soudain l'œuvre sera dissipée et mise à néant. Si celui qui tire est lié, il ne peut pas aider ni soi-même ni celui qui doit être tiré ; et si celui qui tire est immonde, il se rend abominable en tirant et en touchant. Cet évêque est comme un homme qui est en un chemin fourchu, ne sachant de quel côté se tourner ni quelle voie tenir.
L'épouse lui répondit : O, mon Seigneur, n'est-il pas écrit que personne ne demeure stable en même état pendant cette vie, mais il fait progrès ç meilleur ou à pis ? Le Père lui répliqua : L'un et l'autre se peut dire, car il est arrêté comme entre deux voies de joie et de douleur. Il se trouble de l'horreur du supplice éternel ; il affecte d'obtenir les joies célestes, mais néanmoins, il lui semble dur de marcher parfaitement par la voie qui tend aux joies ; il se laisse emporter, en y marchant à ce à quoi la faveur le porte.
Après, Sainte Agnès parla : Cet évêque a les
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Livre 3

même dispositions qu'aurait un homme qui est entre deux voies, l'une desquelles il saurait être étroite en son commencement, mais agréable à la fin, et saurait que l'autre est délectable pour quelque temps, mais qu'à la fin, elle a un abîme profond et insatiable. Craignant, néanmoins l'insatiabilité de ce profond abîme, telles pensées lui arrivent : Il y a, dit-il, en cette voie agréable, un certain chemin abrégé : si je le puis trouver, j'y marcherai longtemps en assurance, et quand je m'approcherai de la fin et de l'abîme, si je trouve l'abrégé, rien ne me nuira. Et marchant avec assurance par la voie, et étant arrivé à l'abîme profond, il tomba misérablement, car il ne trouva pas le chemin abrégé, comme il pensait.
 Il se trouve aujourd'hui des hommes de même pensées, disant : Oh ! qu'il est fâcheux de marcher par une voie si étroite ! Oh ! qu'il est dur et amer de laisser sa propre volonté et les honneurs ! C'est pourquoi ils se forment une fausse et dangereuse espérance. Longue est notre vie, disent-ils. La miséricorde de Dieu est très grande. Ce monde est délectable et est créé pour le plaisir : partant, n'importe pas si j'use du monde selon mes volontés, car à la fin de la vie, je veux suivre Dieu. Il y a quelque abrégé de cette vie du monde, c'est à dire, la contrition et la confession : si je l'obtiens, je serai sauvé. Une telle pensée de vouloir pécher jusqu'à la fin de sa vie et vouloir lors confesser ses fautes, est une espérance très faible, car ils ne savent pas ce qui arrivera avant leur chute ; mais au contraire, quand ils sont ç l'extrémité, souvent ils ressentent une douleur si grande et une fin si soudaine, qu'ils ne pourront aucune-
 
 
 
 
 
 
 

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ment obtenir la contrition, et à juste raison, car ils n'ont voulu prévoir les maux à venir quand ils le pouvaient, mais ils ont mis en leur choix et limité le temps de la miséricorde divine. Ils ne proposaient pas de mettre fin à leurs péchés, avant que le péché ne les eût pu plus délecter.
  Semblablement, cet évêque était entre deux voies ; mais maintenant, il s'approche de la voie délectable de la chair, et a devant soi comme trois feuilles qu'il lit. Il lit la première doucement et à suite ; la deuxième, il la lit quelquefois, mais non pas avec plaisir ; la troisième, rarement, mais avec douleur. La première, ce sont les richesses et les honneurs auxquels il se plaît ; la deuxième, c'est la crainte de l'enfer et du jugement où il se trouble ; la troisième, c'est l'amour de Dieu et la crainte filiale, qu'il feuillette rarement, car s'il considérait ce que Dieu a fait pour lui, ce qu'il lui a donné, jamais l'amour de Dieu ne s'éteindrait en son cœur.
  L'épouse répondit : O Dame, priez pour lui. Et alors, Sainte Agnès dit : Qu'est-ce que la justice fait, sinon le jugement, et qu'est-ce que la miséricorde fait, qu'allécher ?
  La Mère de Dieu parle : On parlera en ces termes à l'évêque : Bien que Dieu puisse faire toutes choses de lui-même, néanmoins, l'homme doit coopérer, afin d'éviter le péché et qu'il obtienne la charité : car il y a trois choses qui induisent à fuir le péché, et il y a trois choses qui induisent à obtenir la charité. Les trois choses par lesquelles on fuit le péché, sont : une pénitence parfaite ; la deuxième, l'intention de ne vouloir jamais pécher ; la troisième, s'amender selon le conseil de ceux qu'il voit avoir
 
 
 
 
 
 

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méprisé le monde. Et les trois choses pour obtenir l'amour, sont l'humilité, la miséricorde et le labeur de charité, car quiconque ne dirait qu'un Pater noster pour obtenir la charité, bientôt les effets de la charité s'approcheraient de lui.
  De l'autre évêque dont je vous ai parlé, je vous dis pour conclusion que les fosses lui semblent trop larges pour les sauter, les murailles trop hautes pour y monter, et les serrures trop fortes pour les rompre : partant, je demeure et je l'attends ; mais lui s'étant tourné ç la tête et aux œuvres de trois troupes, les considère avec plaisir et s'y plonge. La première d'icelles est la danse et le chant mélodieux, auxquels il dit : je me plais à vous ouïr ; attendez-moi. L'autre s'arrête à se mirer, à qui il dit : je me plais à voir ce que vous voyez, car je me délecte beaucoup à cela. La troisième se réjouit et prend son repos, et avec celle-ci, il cherche son repos et son honneur. Mais qu'est-ce que danser et chanter dans le monde, sinon passer d'une joie temporelle à une autre, et d'un appétit d'honneur à un autre ? Mais qu'es-ce que s'arrêter et penser, sinon relâcher ou arracher l'esprit de la contemplation divine, et le porter à la contemplation d'entasser, donner et prodigaliser des choses temporelles ? or, que signifie se reposer, si ce n'est chercher les plaisirs de la chair ? Considérant donc ces trois troupes, il monta en une montagne haute, et il ne se soucia point des paroles que je lui ai envoyées, ayant mis en oubli cette clause que j'avais mise au contrat, Que? S'il me gardait la promesse, je la lui garderais aussi.
  L'épouse repartit : O Mère très bénigne ! ne
 
 
 
 
 
 

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vous retirez point de lui. La Mère de Dieu lui répondit : Je ne m'en retirerai point jusqu'à ce que la terre reprenne la terre ; voire même s'il rompt les serrures du péché, je lui irai au devant comme une servante et l'aiderai comme une mère. Et la Mère ajouta : Vous, ô ma fille ! pensez qu'il aurait été la récompense de ce chanoine d'0rléans, si son évêque se fut converti. Je vous dis que, comme vous voyez que la terre produit des herbes et des fleurs de diverses espèces, de même, si tous les hommes eussent louablement persévéré dès le commencement du monde en leur sainte institution, tous eussent reçu une récompense excellente, car tous ceux qui sont en Dieu passent d'une joie indicible en une autre, non pas qu'il y ait dégoût en quelqu'une, mais parce que la délectation s'augmente incessamment, et la joie ineffable s'accroît continuellement.

DECLARATION.

  Cet homme fut un évêque de Vexionen, lequel étant à Rome grandement travaillé de son retour, elle ouït en esprit ces paroles : Dis à cet évêque que ce retardement lui est plus utile que son avancement. Ceux aussi qui, de sa compagnie, sont allés au-devant, le suivront. Quand il sera retourné en son pays, il trouvera que mes paroles sont vraies. Aussi toutes ces choses arrivèrent de la sorte, car en revenant, il trouva que son roi était pris et tout le royaume en confusion. Ceux aussi de sa compagnie qui étaient allés au-devant, furent empêchés par le chemin, et le suivaient de loin. Sachez aussi que cette dame qui était en la comp
 
 
 
 
 
 

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pagnie de l'évêque, s'en retournera saine, mais elle ne mourra pas en son pays, et la chose vint de la sorte, car au second voyage, elle (Sainte Brigitte) mourut à Rome et y fut ensevelie.

AUTRE REVELATION DU MEME EVEQUE.

  Quand Sainte Brigitte descendait du mont Gargan en la cité de Mafredoine, au royaume Puglia, le même évêque, étant en la compagnie de ladite dame, tomba du cheval et se rompit deux côtes. Avant qu'elle partît le matin pour aller à saint Nicolas de Baro, il l'appela, disant : Oh ! qu'il m'est amer de demeurer ici sans vous ! et il m'est aussi fâcheux que vous retardiez à mon occasion, principalement à raison de ces hommes corsaires ! Je vous supplie, pour l'amour de Jésus-Christ, de prier Dieu pour moi. Touchez le côté où est ma douleur, car j'espère que, par votre attouchement, ma douleur sera apaisée. Elle, fondant en larmes de compassion qu'elle en avait : O mon Seigneur, dit-elle, je me répute comme si je n'étais pas, et pire, car je suis grandement pécheresse devant Dieu. Néanmoins, nous prierons tous Dieu pour vous, et il répondra à votre foi. Ayant donc fait oraison et se levant, elle toucha le côté de l'évêque, disant : Notre-Seigneur Jésus-Christ vous guérisse ! Et soudain, la douleur cessa, et l'évêque, se levant, suivit Sainte Brigitte par tous les chemins jusqu'à ce qu'elle retourna à Rome.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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XIII.

 La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sa fille de la manière dont les paroles et les œuvres de Jésus-Christ sont signifiées par le trésor ; la Déité par le chant ; les péchés par les serrures : les vertus par les murailles ; la beauté du monde et les plaisir des âmes par les deux fossés ; et il est expliqué comment se doit gouverner l'évêque à l'endroit des âmes qui lui sont confiées.

 La Mère de Dieu parlait à l'épouse de son Fils, disant : Cet évêque demande ma charité, partant, il doit faire ce qui m'est très cher. Car de fait, je sais un trésor : celui qui le trouvera ne sera jamais la tribulation ni la mort. Quiconque le désirera aura tout le contentement de son cœur avec exaltation et joie. Or ce trésor est caché en un château fermé à quatre serrures, et est entouré de murailles bien hautes, bien épaisses et bien fortes. Hors des murs sont deux profonds et larges fossés. C'est pourquoi je le supplie de passer d'un saut ces deux fossés, de monter d'un pas les murailles, et de rompre d'un coup les serrures, et que de la sorte, il me présente une chose précieuse. Or, maintenant, je vous dirai tout ce que cela signifie.
 Chez vous, on nomme trésor ce qui arrive rarement en usage et ce qu'on remue rarement. Ce trésor, ce sont les paroles de mon Fils et les œuvres précieuse qu'il a faites, et avant la passion, et en sa passion, et aussi les œuvres admirable qu'il fit, lorsque le Verbe fut fait chair
 
 
 
 
 
 

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en mon sein, et lorsque tous les jours, sur l'autel, le pain est transubstatié en son corps, par la force des paroles de Dieu. Toutes ces choses sont un précieux trésor, qui sont maintenant si négligées et oubliées, qu'il y en a peu qui s'en souviennent et qui s'en servent pour leur avancement. Mais néanmoins, le corps glorieux du Fils est dans un château muni, c'est-à-dire, en la vertu de la Déité, car comme il défend le château contre ses ennemis, de même la puissance de la Divinité de mon Fils défend l'humanité de son corps, afin qu'aucun ennemi ne lui nuise. Les quatre serrures sont quatre péchés, par lesquels plusieurs sont repoussés de la participation du corps de Jésus-Christ. Le premier est la superbe et les ambitions des honneurs du monde ; le deuxième, les désirs des biens du monde ; le troisième est la volonté sale et brutales, qui tend à remplir immodérément et brutalement le corps ; le quatrième, ce sont la colère, l'envie et la négligence de son propre salut. Plusieurs aiment trop ces quatre vices et y sont trop accoutumés, c'est pourquoi ils sont grandement éloignés de Dieu, car ils voient le corps de Dieu et le reçoivent ; mais leur âme est tellement éloignée de Dieu que les larrons la désirent dérober, mais ne peuvent, à raison des serrures fortes. C'est pourquoi j'ai dit qu'il rompît d'un coup les serrures. Ce coup signifie le zèle des âmes, par lequel l'évêque doit rompre les pêcheurs avec les œuvres de justice faites en charité, afin que les serrures du péché étant une fois rompues, le pécheur puisse arriver jusqu'à ce précieux trésor. Et bien qu'il ne puisse frapper tous les pécheurs, qu'il fasse, comme il y est obligé, ce qu'il pourra, et principalement en ceux qui sont
 
 
 
 
 
 

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sous sa main, ne pardonnant ni au grand ni au petit, ou proche, ou à son allié, ami ou ennemi. C'est en cette sorte que se comporta Saint Thomas d'Angleterre, qui, ayant enduré un monde de tribulations pour l'équité de la justice, mourut enfin d'une mort cruelle, attendu qu'il frappa le corps par la justice ecclésiastique, afin que l'âme endurât moins. Que cet évêque imite cette vie, afin que tous sachent qu'il hait ses propres péchés et ceux d'autrui, et alors, un tel coup de zèle est ouï par-dessus tous les cieux en la présence de Dieu éternel et des anges, et plusieurs se convertiront et se rendront meilleurs, disant : Il ne nous hait pas, mais bien nos péchés. Amendons-nous donc, et nous seront amis de Dieu et de lui.
 Or, ces trois murailles qui environnent le château, sont rois vertus : la première est quitter les délices du corps et faire la volonté de Dieu ; la deuxième est vouloir plutôt les dommages et les opprobres pour la vérité et la justice, que d'avoir des honneurs et possessions du monde, dissimulant la vérité ; la troisième, ne pardonner ne la vie ni les biens pour le salut de chaque chrétiens. Mais voyez à quoi s'emploie maintenant l'homme. enfin, il lui semble que ces murailles sont si hautes, qu'il ne les pourra passer en aucune manière : c'est pourquoi les cœurs des hommes n'approchent point de ce corps glorieux avec permanence, ni leurs âmes, attendu qu'elles sont éloignées de Dieu ; et partant, j'ai commandé à mon ami de passer les murailles d'un seul pas ; car chez vous, en appelle un pas, quand on sépare les pas d'une grande distance, pour faire passer vite le corps : de même en est-il du pas spirituel, car quand le corps est en la
 
 
 
 
 
 

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terre, et l'amour du cœur au ciel, alors on passe par-dessus ces trois murailles, car alors, l'homme se plaît, par la considération des choses célestes, à quitter sa propre volonté, à pâtir repoussements, injures et persécutions pour la justice et l'équité, à mourir pour la gloire de Dieu. Les deux fossés qui sont hors des murs, sont la beauté du monde, la présence et le plaisir de ses amis.
 Plusieurs se reposeraient volontiers en ces fossés, et ne ce soucieraient jamais de voir Dieu au ciel. Et partant, les fossés sont larges et profonds : larges, d'autant que les volontés de ces hommes sont distantes et éloignées de Dieu ; profonds, d'autant qu'ils détiennent plusieurs dans les profonds abîmes de l'enfer : c'est pourquoi ces fossés doivent être passés d'un saut ; car qu'est-ce qu'un saut spirituel, sinon arracher son cœur des choses vaines, et saillir de la terre au ciel ?
 Il est maintenant montré comment il faut rompre les serrures et passer les murailles. Je montrerai maintenant comment cet évêque doit présenter et offrir une chose la plus précieuse qui ait jamais été.
 Certainement, la Divinité a été de toute éternité et sans commencement, et est, attendu qu'en elle on ne peut trouver ni commencement ne fin . et l'humanité fut en mon corps et reçut de moi chair et sang. Partant, elle est une chose fort précieuse, s'il y en a eu jamais et s'il en est maintenant. Donc, quand l'âme du juste reçoit le corps de Dieu en soi avec amour, le corps de Dieu remplit sont âme : alors, il y a en elle une chose fort précieuse, si elle a jamais été ; car bien que la Divinité soit en trois personnes sans principe et sans fin en soi, néanmoins, quand le Père
 
 
 
 
 
 

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envoya son Fils, le Saint-Esprit y survenant, le Fils reçut alors de moi son précieux corps.
 Or, maintenant, je montrerai à cet évêque comment il faut présenter à Notre-Seigneur une chose précieuse. Où l'ami de Dieu trouvera le pécheur, aux paroles duquel il y a un peu d'amour envers Dieu et beaucoup envers le monde, là il trouvera une âme vide pour aller à Dieu. Partant, que l'ami de Dieu ait de l'amour envers Dieu, étant marri et dolent que l'âme, qui a été rachetée du sang du Créateur, soit ennemie de Dieu, et qu'il ait compassion de cette âme misérable, faisant deux choses pour elle :
 1° qu'il prie Dieu de lui faire miséricorde.
 2° qu'il lui montre le danger où il est.
Or, s'il peut accorder Dieu et l'âme, alors des mains de dilection, qu'il présente à Dieu une chose très précieuse, car quand le corps de Dieu qui a été en moi, et l'âme créée par Dieu, conviennent en une amitié, cela m'est grandement cher. Ce n'est pas de merveille si je l'aime, car j'étais présente lorsque mon Fils, ce chevalier généreux, sortit de Jérusalem pour aller au combat, qui fut si fort et si dur que tous les nerfs de ses bras furent étendus ; son corps étaie tout livide et ensanglanté ; ses mains et ses pieds étaient percés de clous, ses yeux et ses oreilles pleins de sang ; son cou étaie aussi abaissé quand il rendit l'esprit ; le cœur était ouvert par le fer de la lance ; et ainsi; avec grandes douleurs et peines, il a vaincu les âme, et maintenant, résidant dans la gloire, il tend les gras aux hommes. Mais hélas ! il s'en trouve peu qui lui  présentent une épouse; partant, que l'ami de Dieu n'épargne point les biens ni ne pardonne à sa vie, en aidant aux autres en les présentant à mon Fils.
 
 
 
 
 

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 Dites encore à cet évêque, d'autant qu'il me demande pour être sa chère amie, que je lui veux donner ma foi, et me lier avec lui d'un lien signalé, parce que le corps de Dieu a été en moi, et je recevrai son âme en moi avec grand amour et grande charité, car comme le Père avec le Fils a été en moi, qui ai eu mon corps et mon âme en soi, et comme le Saint-Esprit, qui, avec le Père et le Fils, a été partout avec moi, qui avait aussi mon Fils en moi, de même, ce mien domestique sera lié avec le même Esprit ; car quand il aime la passion de mon Fils, et qu'il a son très cher corps en son cœur, alors il aura l'humanité qu'il a en soi et hors de soi ; la Divinité et Dieu est en lui, et lui en Dieu, comme Dieu est en moi et moi en lui. Or, quand mon domestique et moi avons un même Dieu, nous avons aussi un même lien de charité, et le Saint-Esprit, qui est un Dieu avec le Père et le Fils.
 Ajoutez encore une parole : si cet évêque me tient sa promesse, je l'aiderai tant qu'il vivra ; mais à la fin de sa vie, je veux le servir et l'assister en présentant son âme à Dieu, en lui parlant en c'est termes : O mon Dieu ! celui-ci vous a servi et m'a obéi, c'est pourquoi je vous présente son âme. O ma fille ! qu'es-ce que l'homme, quand il méprise son âme ? Eh quoi ! Dieu le Père, avec sont incompréhensible Déité, aurait-il permis que son Fils innocent souffrît en son humanité des peines si cruelles, s'il n'eût pris plaisir és âmes, s'il ne les eût aimées, et s'il ne leur eût préparé une gloire éternelle ?
 (Cette révélation a été faite à l'évêque Lincopen, qui, après, a été fait archevêque. Il y en a encore une du même au liv. VI, chap. XXII qui commence ainsi : Ce prélat…)

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Une addition du même.

L’évêque pour lequel vous pleurez est allé en un léger purgatoire : partant, sachez pour certain que, bien qu’il ait eu au monde plusieurs qui l’ont empêché, maintenant ceux-là mêmes en ont rapporté leur jugement; et lui, à cause de sa foi et de sa pauvreté, est en gloire avec moi.
 

XIV.

La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sa fille sous une figure admirable d’un évêque, de la manière qu’un évêque est signifié et marqué par le papillon et vermisseau, l’humilité et la superbe par les deux ailes. Trois espèces de maux palliés par les évêques, par les trois couleurs du vermisseau; les œuvres de l’évêque par l’épaisseur de la couleur; ses deux volontés par les deux cornes du papillon; sa cupidité par sa bouche, et sa petite charité est expliquée par le petit corps.

La Mère de Dieu parle à l’épouse de son Fils, disant : Vous êtes un vase que le possesseur remplit et que le maître vide néanmoins, et celui qui vide et celui qui possède ne sont que le même; car comme celui qui verserait dans un vase tout à la fois du vin, du lait et de l’eau, serait appelé maître, s’il séparait l’un de l’autre après qu’ils seraient mêlés, et les remettait en leur nature propre, de même, moi, Mère de Dieu et Maîtresse de tous, j’en ai fait en vous et le fais encore, car il y a treize mois que je vous ai dit plusieurs affaires, et toutes sont comme mêlées
 

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en votre âme. Que si on les épanchait soudain, elles sembleraient être abominables, si on en ignorait la fin; partant, je les distingue et les sépare maintenant comme il me plaît.

Ne vous souvenez-vous pas que je vous ai envoyé à quelque évêque que j’appelais serviteur ? C’est pourquoi nous le comparons maintenant au vermisseau qui a des ailes larges, parsemées de couleur blanche, rouge et bleue. Quand on les touche, la couleur épaisse demeure aux doigts comme des cendres. Ce vermisseau a un petit corps, mais une grande bouche, deux cornes au front, et un lieu caché dans le ventre, par lequel il jette hors les immondices. Les ailes de cet évêque sont l’humilité et la superbe, car il paraît humble extérieurement en ses paroles, en ses débordements, vêtements et œuvres; mais au dedans, il n’y a que superbe, s’estimant grand devant ses yeux, enflé d’honneur, ambitieux des faveurs mondaines, arrogant, préférant le sien à ce qui est d’autrui et jugeant mal les autres. Il vole donc par ces deux ailes d’humilité apparente, afin de plaire aux hommes et pour faire parler de lui, et par l’aile de la superbe, s’estimant plus saint que les autres.

Mais les trois couleurs des ailes sont trois prétextes qui pallient ses maux, car la couleur rouge signifie qu’il dispute tous les jours de la passion de Jésus-Christ et des merveilles des saints, afin qu’il soit appelé saint; mais vraiment ils sont bien loin de son cœur, car il ne les a pas à goût.

La couleur bleue signifie qu’à l’intérieur il semble ne se soucier des choses temporelles, mais il semble mort au monde et tout vivant au
 

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ciel, comme le bleu a la couleur du ciel; mais vraiment, cette deuxième couleur n’a pas moins de stabilité et de fruit que la première.

La couleur blanche marque qu’il est religieux en ses vêtements, et louable par-dessus tous en ses mœurs. Mais il y a autant de douceur et de perfection en la couleur troisième que dans les deux autres, car comme la couleur du papillon est épaisse et adhère aux mains, ou pour le moins demeure aux mains comme de la cendre, de même ses œuvres semblent admirables, car il désire être seul; mais elles sont, pour son utilité propre, vaines et sans fruit, car il ne cherche pas sincèrement ce qu’il faut chercher, ni n’aime ce qu’il faut aimer.

Ces deux cornes marquent ses deux volontés, car il désire avoir la vie en ce monde sans incommodité aucune, et après la mort, la vie éternelle, afin qu’il ne soit privé en terre des grands honneurs, et qu’il soit couronné plus parfaitement dans le ciel.

Cet évêque est semblable au papillon, qui pense porter le ciel en une de ses cornes et la terre en l’autre, qui néanmoins, bien qu’il puisse, ne voudrait pas soutenir la moindre chose pour l’honneur de Dieu, et pense tellement profiter à l’Église par sa parole et son exemple, qu’il lui est avis que, sans lui, elle ne croîtrait pas, et il pense que les hommes terrestres s’engendrent spirituellement par ses mérites, et il se considère comme un bon soldat qui a bien combattu, disant en soi-même : Puisque je suis appelé dévot et estimé humble, qu’ai-je affaire de mener une vie plus étroite ? Si je pèche en quelques délectations sans lesquelles je vivrais sans plai-
 

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sir, mes grands mérites et mes plus grandes œuvres m’excuseront. Puisque même on peut obtenir le ciel par un verre d’eau froide, qu’est-il besoin de se travailler outre mesure ? Le papillon aussi a sa bouche large, mais plus amples sont ses cupidités, car bien qu’il eût dévoré toutes les mouches, excepté une, il désirerait encore celle-là; et s’il la tenais, il la dévorerait. Il en est de même de cet évêque qui, s’il pouvait obtenir un seul denier pour l’entasser avec les autres, le recevrait avec plaisir, pourvu que cela se fît en secret et qu’il n’en fût pas marqué tel; et pour cela néanmoins, le feu de sa cupidité en s’éteint pas.

Le papillon a aussi un trou secret pour jeter ses immondices : de même ce méchant verse sa colère et son impatience, afin que ce qu’il tenait si secret soit manifesté aux autres. D’ailleurs, comme le papillon a un petit corps, lui aussi a une charité bien petite, car tout ce qui défaut en la grandeur et perfection de la charité, tout est suppléé en la latitude et extension des ailes.

L’épouse repartit : S’il a quelque étincelle de charité, il a espérance de vie et de salut.

La Mère de Dieu répartit : Quelle charité avait Judas quand, en trahissant Notre-Seigneur, il dit : J’ai péché, trahissant le sang du Juste ? Il voulut faire voir qu’il avait de la charité, mais il n’en avait pas.
 

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La Mère de Dieu parle à sa fille, sous figure d’un autre évêque, de la manière dont un tel évêque est signifié par la chenille; l’éloquence des paroles par le vol; les deux considérations par les deux ailes, et les paroles plaisantes du monde par le mors. De l’admiration de la Vierge. De la vie de ces deux évêques et des prédicateurs.

La sainte Mère de Dieu parle à l’épouse de son fils, lui disant : Je vous ai montré un autre évêque que j’ai appelé pasteur du troupeau. Nous le comparons à la chenille, qui, ayant la couleur de la terre, vole avec un grand bruit, et où elle s’arête, elle mord intolérablement et avec douleur. De même, ce pasteur a la couleur de la terre, car étant appelé à la pauvreté, il désire d’autant plus être riche que pauvre, plus commander qu’obéir, avoir plus de volonté propre qu’être rangé par les autres. Il vole aussi avec un grand bruit, car au lieu de discours de Dieu, il abonde en éloquence de paroles; au lieu de parler de la doctrine spirituelle, il dispute de la vanité du monde; au lieu de la sainte simplicité de son ordre, il loue et suit la vanité du monde. Il a encore deux ailes, c’est-à-dire, deux considérations : la première est qu’il voudrait donner à tous de beaux mots plaisants et agréables, afin qu’il fût honoré de tous; la deuxième : il voudrait que tout le monde lui obéît et lui fît la révérence. La chenille mord dommageablement : de même celui-ci mord malheureusement aux âmes, car étant le médecin
 

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des âmes, il ne dit pas à celles qui s’approchent de lui leurs infirmités et leurs dangers, ni n’use point du couteau pour retrancher ce qui est pourri, mais leur dit des paroles plaisantes, afin qu’il soit nommé doux et que personne ne le fuie.

Voici qu’en ces deux évêques il y a de grandes merveilles, car l’un paraît extérieurement pauvre, humble et solitaire, afin d’être appelé spirituel; l’autre désire posséder le monde, afin d’être appelé miséricordieux et charitable; l’un veut qu’on voie qu’il ne possède rien, et néanmoins, il désire posséder tout en cachette; l’autre veut posséder tout ouvertement, afin de donner beaucoup, et de la sorte, il veut être honoré beaucoup. Partant, selon la maxime vulgaire, d’autant qu’ils me servent en telle sorte que je ne le vois pas et ne l’approuve pas, aussi, je les récompenserai en telle manière qu’ils ne le verront pas.

Vous admirez pourquoi tels sont loués en leurs prédications. Je vous réponds que quelquefois un méchant dit de bonnes choses, car l’Esprit de Dieu, qui est bon, leur est donné, non pour la bonté du docteur, mais pour la parole du docteur, en laquelle l’Esprit de Dieu est pour le bien des auditeurs. Quelquefois un homme de bien parle aux mauvais, et ils deviennent bons en l’entendant, à raison de l’Esprit de Dieu, qui est bon, et à cause de la bonté du prédicateur. Quelquefois, un froid dit des paroles froides, afin que les auditeurs qui sont aussi froids, tandis qu’ils les rapportent aux absents, soient plus fervents que les auditeurs mêmes. Partant, ne vous troublez pas à qui que vous soyez eu-
 

Révélations Célestes Livres III Pages 59-85

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voyée, car Dieu est admirable, qui met l’or sous les pieds et la boue entre les rayons du soleil.

XVI.

Paroles du Fils de Dieu à son épouse : que la damnation des âmes déplait à Dieu : Des admirables questions d’un jeune évêque à un ancien, et des réponses de l’ancien au jeune.

 Le Fils de Dieu parle à l’épouse, disant : Que pensez-vous, quand on vous montre ces deux évêques ? Vous semble-t-il pas que leur blâme et leur damnation plaisent à Dieu, et que c’est pour cela que je les nomme ? Nenni, ce n’est pas pour cela, mais afin que la patience et l’honneur de Dieu soient plus manifestées et que les auditeurs craignent les jugements de Dieu. Mais venez et oyez des merveilles. Voici un jeune évêque qui demanda à l’ancien, disant : Oyez, mon frère, et répondez-moi. Vous qui êtes obligé au joug de l’obéissance, pourquoi l’avez-vous délaissé ? Ayant choisi la pauvreté et la religion, pourquoi les avez-vous abandonnées ? Puisque, par l’entrée de la religion, vous vous étiez montré mort au siècle, pourquoi avez-vous désiré l’épiscopat ?
  L’ancien répondit : L’obéissance, qui m’enseignait de me soumettre, m’était amer, c’est pourquoi j’ai cherché le repos du corps. L’humilité était en moi feinte, c’est pourquoi je désirais passionnément les honneurs ; et d’autant qu’il me semblait meilleur de commander que d’obéir, j’ai désiré l’épiscopat.
  Le jeune évêque demanda encore : Pourquoi
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N’honoriez-vous votre siège par l’honneur du monde ? Pourquoi n’avez-vous acquis des richesses par la sagesse du monde ? Pourquoi ne les avez-vous pas dépensées et départies selon l’honneur du monde ? Pourquoi vous étiez-vous tellement abaissé extérieurement, et n’alliez plutôt selon les ambitions du monde ?
  L’ancien répondit : Je n’ai pas dressé mon siège avec les honneurs du monde, parce que je m’attendais à être plus honoré, si j’apparaissais humble et spirituel, que temporel et mondain. Et parce qu’il me semblait être loué des mondains, je faisais semblant de mépriser tout ; mais afin d’être aimé des hommes spirituels, j’apparaissais humble et dévot. C’est pourquoi je n’ai pas acquis des richesses avec la sagesse mondaine, de peur que les hommes spirituels ne me marquassent ambitieux et me méprisassent à raison des choses temporelles. Je n’ai pas aussi donné de grands présents, attendu que je me plaisais plus à être avec ceux qui peuvent donner un peu qu’avec ceux qui peuvent donner beaucoup, et me plaisais plus à avoir mes trésors dans mes coffres que les départir de ma main.
  De plus, le jeune évêque lui demande : Dites-moi : pourquoi avez-vous donné à l’âne un breuvage doux et délectable, tiré  du vase immonde et corrompu ? Pourquoi avez-vous donné à l’évêque les cosses des fèves, tirées des auges des pourceaux ? Pourquoi avez-vous foulé aux pieds votre couronne ? Pourquoi avez-vous craché le blé et avez-vous mâché la zizanie ? Pourquoi avez-vous délié les autres et vous êtes-vous lié vous-même ? Pourquoi avez-vous appliqué aux plaies d’autrui des médicaments salutaires, et aux vôtres des médicaments mortels ?
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  L’ancien répondit : J’ai donné à l’âne une boisson douce d’un port corrompu et méprisé, d’autant qu’étant homme savant, je me plaisais plus à administrer les saints et augustes sacrements, surtout celui de l’autel, pour l’honneur du monde, que de vaquer au soin de siècle ; et par cela, les choses occultes de mon cœur étaient inconnues aux hommes et connues de Dieu ; je m’en suis rendu superbe et ai augmenté les justes et horribles jugements de Dieu. Quant au deuxième, je dis que j’ai donné à l’évêque les cosses de l’auge des pourceaux, parce que je versais en moi les allumettes de la lubricité, et les accomplissais, et je n’étais constant à les éteindre et à les retenir. Au troisième, je réponds : J’ai foulé aux pieds ma couronne, attendu que je me plaisais plus à faire miséricorde pour les faveurs des hommes, que justice pour l’honneur et l’amour de Dieu. Au quatrième, je dis : J’ai craché le blé et mâché la zizanie, car je ne disais pas mes paroles par un mouvement d’amour de Dieu, ni ne me plaisais pas à faire ce que je disais aux autres. Au cinquième je dis que je déliais les autres et me liais moi-même, quand je donnais l’absolution à ceux qui venaient à moi avec contrition ; et ce qu’ils pleuraient en faisant pénitence, et laissaient en pleurant, c’est cela même qu’il me plaisait et délectait de commettre. Je réponds au sixième : J’oignais les autres d’un onguent salutaire, et moi-même, d’un onguent mortel, car en enseignant aux autres la pauvreté de la vie, j’amende les autres et me suis moi-même rendu pire, car ce que je commande aux autres, je ne l’ai pas voulu toucher avec le doigt ; et d’où je voyais profiter les autres, c’est de là même qu’en défaillant j’ai séché d’en-
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vie, attendu que je me plaisais plus à aggraver le faix de mes péchés qu’à l’alléger.
  Après tout cela, ouït une voix qui disait : Rendez grâces à Dieu que vous ne soyez avec ces vases vénéneux qui, en se cassant, s’en vont au même venin. Et soudain on annonça que l’un des deux était mort.

XVII.

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille,  recommandant la vie et l’ordre de saint Dominique. Manière dont il se convertit à la fin de ses jours à la Sainte Vierge. Comment, dans les temps modernes, peu de ses frères suivront le signe de la passion de Jésus-Christ que saint Dominique leur avait donné ; et plusieurs s’en vont, ce signe étant ôté, à celui que le diable leur a offert.

  La Sainte Mère de Dieu parle encore de nouveau à l’Épouse de Jésus : je vous parlai hier de deux qui étaient de la règle de saint Dominique. Certes, saint Dominique a eu mon Fils pour son cher Seigneur, et m’a aimée, moi qui suis sa Mère, plus que son cœur. Satan inspira à ce saint trois choses du monde qui déplaisent à mon Fils, savoir : la superbe, la cupidité et la concupiscence de la chair. Pour la diminution de ces trois vices, saint Dominique impétra avec de grands soupirs le secours et le médicament.
  Dieu, ayant compassion de ses larmes, lui inspira la loi et la règle de bien vivre, en laquelle ce saint établi trois biens contre ces trois maux, car contre le vice de la concupiscence, il institua la pauvreté, de sorte qu’on ne peut
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rien posséder sans licence de son prieur. Contre la superbe, il ordonna qu’on porterait un habit humble et simple ; et contre les insatiables gouffres de la chair, il mit l’abstinence et le temps propre pour se régler et se contenir. Il créa aussi un prieur pour les frères, pour les contenir en paix et les entretenir en l’union. Apres, voulant donner quelque signe spirituel à ses frères, il imprima comme une croix spirituelle et rouge ne leur bras gauche auprès du cœur, pour la doctrine, et efficace de sa doctrine et de son exemple, quand il les avertit de se souvenir continuellement de la passion de Notre-Seigneur, de prêcher avec ferveur la parole de Dieu, non pour l’honneur du monde, mais pour l’amour de Dieu et l’utilité des âmes. Il leur enseigna d’ailleurs d’obéir plus que de commander, de fuir sa propre volonté, de souffrir patiemment les injures, et de ne désirer autre chose que la vie et le vêtement ; d’aimer de tout son cœur la vérité et de la proférer par parole ; de ne chercher point la louange, mais d’avoir incessamment la parole de Dieu en la bouche, de l’enseigner et de ne la laisser par honte, ni de la prêcher pour les faveurs humaines.
  Le temps de son départ s’approchant, que mon Fils lui avait révélé, il s’en vint à moi, sa Mère, avec larmes, disant : O Marie, Reine du ciel, que Dieu a élue pour soi par-dessus les autres, pour unir sa Déité et son humanité, vous êtes cette Vierge singulière et très-digne Mère ; vous êtes cette très-puissante, de laquelle la puissance même est née ; oyez-moi qui vous prie, car je sais que vous êtes cette très-puissante, de laquelle la puissance même est née ; oyez-moi qui vous prie, car je sais que vous êtes très-puissante, c’est pourquoi j’espère en vous. Recevez mes frères, que j’ai nourris et fomenté sous mon scapulaire, quoi-
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que petit, et défendez-les sous l’étendue et l’ampleur de votre manteau ; régissez-les et les réchauffez, de peur que l’ennemi ne les surmonte et ne dissipe cette nouvelle vigne que la dextre puissante de votre Fils a plantée. Qu’est-ce que je marque autre chose par mon scapulaire étroit, qui est partie devant, partie derrière, si ce n’est deux considérations que j’ai eues envers mes frères ? De fait, je priais nuit et jour pour eux, afin qu’ils servissent Dieu d’une raisonnable et louable tempérance. Je priais afin qu’ils ne désirassent rien du monde qui offense Dieu, ou qui ternisse l’éclat de l’humilité et de la piété devant le prochain. Maintenant donc que le temps de ma récompense s’approche, je vous commets mes enfants : enseignez-les donc comme mes enfants ; portez-les comme mère. Et en disant ces paroles, Dominique est appelé à la gloire de Dieu.
  Je lui répondis en telle sorte, parlant comme en similitude : O Dominique, mon ami et mon bien-aimé ! d’autant que vous m’avez plus aimée que vous-même, ayant ôté mon manteau, je défendrai et gouvernerai vos enfants, et tous ceux qui persévéreront en votre règle seront sauvés. Mon manteau large et ample est ma miséricorde, que je ne dénie à aucun qui la demande heureusement ; mais tous ceux qui la cherchent sont protégés et défendus dans le sein de ma miséricorde.
  Mais que croyez-vous, dit la Sainte Vierge Marie à sainte Brigitte, que la règle de saint Dominique soit ? certainement, humilité, continence et mépris du monde, car tous ceux qui prennent ces trois choses, et en persévérant , s’aiment, ne seront jamais damnés ; et ceux-là sont ceux qui tiennent et gardent la règle de saint Dominique. Mais oyez une merveille. Saint Dominique a recommandé ses frères sous la latitude et l’étendue
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 de mon manteau, et voici que maintenant il y en a moins sous mon manteau large et ample, qu’il n’y en avait alors sous son scapulaire étroit ; ni voire du temps de saint Dominique, tous n’eurent point la laine de brebis ni les mœurs d’un Dominique. Je vous montrerai mieux leurs mœurs par un exemple. Si saint Dominique descendait du haut du ciel, où il est, et disait au larron qui est sorti de la vallée, et considère les brebis pour les tuer et les perdre : Pourquoi appelez-vous mes brebis et les cachez, lesquelles je connais être miennes par des signes très-évidents ? Le larron pourrait répondre : Pourquoi, ô Dominique, approchez-vous des brebis qui ne vous appartiennent point ? car quand on fait une violente subreption, on s’attribue alors ce qui appartient à autrui. Si vous voulez dire que Dominique les a nourries, domptées, conduites et enseignées, vous vous trompez, car le larron dira : Si vous les avez nourries et enseignées, je les ai retirées de vous en les alléchant doucement à leur propre volonté. Que si vous mêliez l’austérité avec la douceur, moi je les alléchais avec plus d’attrait, et leur montrais ce qui les délectait davantage ; et voici que plusieurs courent à ma pâture et à ma voix plus qu’à la vôtre. Partant, les brebis qui me suivent avec plus de ferveur, je les tiens pour miennes, d’autant qu’elles ont le libre arbitre de suivre celui qui les allèche. Saint Dominique répond derechef que ses brebis sont marquées du sceau rouge dans le cœur. Le larron dire : Mes brebis aussi sont marquées du signe de retranchement, et  à l’oreille droite. Et d’autant que mon signe est plus évident et plus manifeste que le vôtre, c’est pourquoi je les connais mieux.
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  Ce larron est le diable, qui a amené plusieurs brebis de saint Dominique dans son bercail, qui sont incisées en l’oreille droite, car elles n’entendent point les paroles de vie qui disent : La voie qui conduit au ciel est étroite, mais font et écoutent avec plaisir et délectation celles qui leur plaisent et qu’il leur plaît d’accomplir. Or, il y a peu de brebis du bercail de saint Dominique qui aient le signe rouge dans leur cœur, qui considèrent la passion de Notre-Seigneur, qui prêchent avec ferveur la parole de Dieu, et qui mènent une vie heureuse en chasteté et pauvreté. Car telle est la règle de saint Dominique, comme on a accoutumé de dire par une maxime ordinaire : Porter tout avec soi. Ne vouloir rien posséder, sinon ce que la règle permet, et non-seulement laisser ce qui est superflu, mais aussi s’abstenir quelquefois des choses mêmes licites et nécessaires, pour tempérer et arrêter les mouvements de la chair.
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XVIII.

La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte, lui disant que les Frères entendraient plutôt la voix du diable ( voire maintenant ils l’écoutent), que celle de leur Père saint Dominique. Comment il y en a maintenant peu qui imitent ses vestiges, d’autant qu’ils désirent l’épiscopat pour les honneurs du monde, pour leur repos et pour leur liberté, et ne sont point en la règle de saint Dominique. De la terrible sentence qui est fulminée contre ceux-là , et de l’expérience de la damnation pour avoir désiré l’épiscopat.

  La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parlant à l’épouse, lui dit : Je vous ai dit que tous ceux qui sont en la règle de saint Dominique sont sous la protection de mon manteau. Maintenant, vous oirez quels y sont. Si saint Dominique descendait maintenant du lieu des délices dont il jouit maintenant, il crierait de la sorte : O mes très-chers frères ; suivez-moi, car vous sont réservés quatre sortes de biens : l’honneur pour l’humilité ; les richesses permanentes pour la pauvreté ; les plaisirs qui vous satisferont sans dégoût, pour la continence, et la vie éternelle, qu’on ne peut ouïr ni comprendre, pour le mépris du monde. Mais au contraire, le diable monte soudain de la vallée, et leur promet quatre autres choses dissemblables. Dominique, dit-il, vous a promis quatre choses. Regardez-moi. Je vous montrerai avec la vue ce que vous désirez, car voici que je vous offre l’honneur ; j’ai les richesses en main ; ma volupté est toute
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prête, le monde sera plaisant pour en jouir. Prenez donc ce que je vous offre ; servez-vous des choses qui vous sont certaines ; vivez avec joie, afin que vous vous réjouissiez aussi après la mort.
  Si ces deux différentes vois criaient maintenant au monde, plusieurs courraient plus a la voix du diable, larron infernal, qu’à la voix de saint Dominique, mon grand ami, si parfait et si excellent. Mais que dirai-je  des frères de saint Dominique ? Certainement, il y en peu qui soient en l’observance de la règle, et il y en a moins qui, l’imitant, suivent ses pas, car tous n’entendent pas la même voix, d’autant que tous n’ont pas les mêmes sentiments, non pas que tous ne soient de Dieu, et que tous ne se puissent sauver, s’ils voulaient, mais parce que tous n’entendent pas la voix de Dieu qui dit, en se donnant soi-même : Venez à moi, et je vous soulagerai.
  Mais que dirai-je de ces Frères qui, pour l’amour de monde, désirent l’épiscopat ? Sont-ils point dans la règle de saint Dominique ? non. Ou bien, ceux qui acceptent l’épiscopat pour une cause raisonnable, sont-ils excusés de la règle de saint Dominique ? non certainement, car saint Augustin vécut régulièrement avant l’épiscopat et en l’épiscopat ; il ne laissa point la vie régulière, bien qu’il montât à un plus grand honneur, car il prit cet honneur y étant contraint, non pas pour le repos, mais pour le plus grand honneur de Dieu, d’autant qu’il voyait qu’il pouvait profiter aux âmes. Il renonça librement à sa propre volonté et au repos de la chair pour l’amour de Dieu et pour lui en gagner plusieurs. Partant, ceux qui désirent et reçoivent l’épiscopat pour plus profiter aux âmes, ceux-là sont en
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La règle de saint Dominique, et leur récompense sera double, tant parce qu’ils se sont sevrés de la douceur de la règle, que pour la charge épiscopale à laquelle ils sont appelés. Partant, moi, la Vierge Marie, je jure sur Dieu, sur lequel juraient les prophètes sans impatience, mais parce qu’ils avaient reçu Dieu en témoignage de leur parole, de même maintenant, je jure sur  le même Dieu qu’il viendra à ces frères qui ont méprisé la règle de saint Dominique, comme un chasseur puissant avec ses chiens affamés. Comme si le serviteur disait à son seigneur : Plusieurs brebis sont entrées en votre jardin,  dont la chair est empoisonne, la laine entortillée de vilenie, le lait inutile, et qui sont trop insolentes en lasciveté. Commandez qu’elles soient tuées, dit-il, de peur que les pâturages ne manquent aux bonnes brebis, et qu’elles ne soient troublées par l’insolence des mauvaises ; à qui le seigneur répondrait : Fermez les avenues, afin qu’aucune n’y entre, sinon celles qui me duisent et me contentent ; et il est expédient qu’elles soient nourries et repues, puisqu’elles sont honnêtes et pacifiques. De même, je vous dis qu’en premier lieu, on ferme quelques avenues, mais non pas toutes. Après, le chasseur viendra avec ses chiens, qui ne leur épargnera point les sagettes et les traits pour blesser leurs corps, jusqu’à ce qu’elles meurent misérablement. Après viendront les gardiens, qui les considéreront attentivement, et verront quelle espèce de brebis il faut admettre aux pâturages de Dieu.
  L’épouse répondit : O Dame, né vous indignez pas si je vous demande une chose. Quand le pape mitige l’austérité de leur règle, sont-ils
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à reprendre, s’ils mangent de la viande ou bien ce qu’on leur présente ?
  La Mère de Dieu repartit : Le pape, considérant l’infirmité de la nature humaine, et les défauts que quelques-uns lui ont proposés et représentés, leur a permis raisonnablement de manger de la chair, afin qu’ils fussent plus forts, plus disposés et plus fervents pour prêcher et travailler, non pas afin qu’ils fussent plus lâches et paresseux ; c’est pourquoi nous excusons le pape de cette permission.
  L’épouse lui demanda encore : Saint Dominique a institué qu’on aurait des vêtements, non pas des étoffes les meilleures ni des plus viles, mais des moyennes : ne sont-ils pas répréhensibles, ceux qui se servent des meilleures ?
  La Mère de Dieu répondit : Saint Dominique, qui a été la règle de l’esprit de mon Fils, commanda que les vêtements seraient, non des étoffes douces, molles et belles, de peur que les religieux ne fussent repris et affectassent la beauté et la valeur de l’habit, et qu’ainsi ils se rendissent superbes. Il a aussi institué que leurs habits ne fussent pas aussi de très-vile étoffes, de peur qu’ils ne s’inquiétassent  à raison de leur dureté, quand ils voudraient prendre leur sommeil après le travail ; mais il ordonna que les habits seraient moyens, tempérés, et pour la nécessité, de sorte qu’il ne se trouvât en eux aucun sujet de superbe ni de vanité, mais qu’ils ne fussent munis pour l’avancement de la vertu. C’est pourquoi nous louons saint Dominique en son institution, mais nous reprenons ses frères, savoir, ceux qui transforment leur habit en vanité, et non à l’utilité.
  L’épouse sainte Brigitte demanda derechef.
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Ces frères, qui édifient à votre Fils de hautes et somptueuses églises, ne sont-ils pas répréhensibles ? Ou doivent-ils être vitupérés et jugés, si, pour édifier de tels bâtiments, il faut qu’ils mendient beaucoup ?
  La  Mère de Dieu répondit : Quand l’église est si large qu’elle contient ceux qui y viennent ; quand les murailles sont si hautes qu’elles ne nuiront à ceux qui y sont, ni les serreront ; quand l’épaisseur est si forte que le vent ne les croulera pas ni les fera tomber ; quand le toit est si bien et fermement agencé qu’il n’y a point de gouttières, il suffit d’en édifier de la sorte, car un cœur humble en une église humble et petite, plaît plus à Dieu que de hautes murailles, où les corps sont au dedans et les cœurs sont au dehors. C’est pourquoi ils n’ont point affaire d’entasser dans leurs coffres de l’or et de l’argent pour les édifices superbes, car il ne profita rien à Salomon d’avoir bâti des édifices si somptueux, puisqu’il négligea d’aimer celui pour qui il l’avait fait édifier. Ces choses étant dites et ouïes, soudain l’évêque ancien, qu’on a dit mort ci-dessus, cria, disant : Hélas ! hélas ! on a ôté la mitre, et ce qui était caché dessous paraît. Où est maintenant cet évêque si honorable ? où est ce prêtre si vénérable ? où est ce pauvre Frère ? Certainement, l’évêque n’y est plus, qui a été oint d’huile pour l’office apostolique et pour la pureté de vie ; il demeure comme un cerf enlaidi de pourriture. Le prêtre qui a été consacré par des paroles saintes, afin qu’il changeât le pain inanimé, est mort en Dieu vivifiant ; mais le traître fallacieux demeure, qui a vendu pour la cupidité celui qui nous a tous rachetés par charité. Le pauvre
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Frère n’y est plus, qui avait renoncé au monde avec jurement. Mais hélas ! maintenant je suis contraint de dire la vérité : ce juste juge qui m’a jugé, eut mieux aimé me délivrer par sa mort amère qu’il souffrait alors en croix ; mais la justice à laquelle il ne pouvait contrevenir, s’opposait à ce que je fusse jugé de la sorte, comme j’expérimente maintenant à raison de mes fautes.

XIX.
Réponse de l’épouse à Jésus-Christ. Pourquoi elle est agitée de pensées inutiles et extravagantes ; comment elle ne les peut point repousser. Réponse de Jésus-Christ à l’épouse. Pourquoi il les permet. De la grande utilité  des pensées : les ayant en détestation, crainte avec discrétion, elles servent à mérites et à couronnes. Comment on ne doit point négliger les péchés véniels, de peur qu’ils ne nous induisent aux péchés mortels.

  Le Fils de Dieu éternel parle à son épouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous et êtes-vous en anxiété ? Elle répondit :  D’autant que je suis grandement assaillie d’un monde de diverses et inutiles pensées, lesquelles je ne puis chasser ; et d’ouïr parler de vos terribles jugements me trouble.
  Le Fils de Dieu répondit : Celle-ci en est la vraie justice, que, comme vous vous plaisiez auparavant aux affections du monde contre ma volonté, de même maintenant je permets que diverses pensées vous importunent contre votre volonté. Néanmoins, craignez avec discrétion,
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et confiez-vous fortement en moi, votre Dieu, sachant pour certain que quand la volonté ne prend point plaisir dans les pensées de péché, mais les repousse en les détestant, elles servent à l’âme de purification et de couronne.
  Or, si vous vous plaisez à faire quelque petit péché que vous connaissiez être péché, et le faites, vous confiant en l’abstinence et en la présomption de la grâce, n’en faisant point pénitence ni autre satisfaction, sachez qu’il vous dispose au péché mortel. Partant, s’il arrive en votre volonté quelque délectation de péché, quelle que ce soit, considérez soudain à quoi elle tend, et repentez-vous-en, car depuis que la nature a été débilitée par le péché, on pèche plus souvent, car il n’y a point homme qui ne pèche au moins véniellement.
  Mais Dieu, tout miséricordieux, a donné à l’homme pour remède la vraie contrition de tous les péchés, voire même de ceux que nous avons amendés, de peur qu’ils ne soient pas bien amendés, car Dieu ne hait rien tant que le péché, et l’endurcissement de ceux qui n’ont soin de le quitter et qui présument sur les mérites d’autrui, sans vouloir faire de bonnes œuvres, comme s’il ne pouvait être honoré sans eux ; et partant qu’il vous permettra de faire quelque mal , puisque vous faites plusieurs biens, vu même quand vous en feriez mille pour chaque péché, vous ne sauriez compenser un des moindres maux, ni ne sauriez satisfaire à Dieu, à l’amour qu’il vous a porté et à la bonté qu’il vous a communiquée. Que si vous ne pouvez éviter les pensées, supportez-les pour le moins patiemment, et efforcez-vous d’aller volontairement contre elles, car vous ne
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serez pas damnée à cause d’elles, bien qu’elles entrent en votre esprit, attendu que vous ne leur pouvez défendre l’entrée, mais bien la délectation.
  Craignez aussi, bien que vous n’y consentiez pas, que la superbe ne soit cause de votre chute, car tout homme qui subsiste sans tomber, subsiste en la vertu du seul Dieu. Partant, la crainte est une introduction au ciel, car plusieurs sont tombés dans les précipites et en la mort pour avoir abandonné la crainte, et ont eu honte de confesser là leurs péchés devant les hommes, où ils n’avaient eu vergogne de les commettre devant Dieu : C’est pourquoi ils ne se soucient point de demander pardon pour un petit péché. Je dédaignerai aussi de relâcher et de pardonner leur péché, et de la sorte, les péchés étant augmentés par les actes, ce qui était rémissible par la contrition et était véniel, est grave par le mépris, comme vous pouvez voir en cette âme maintenant jugées, car après avoir commis quelque chose vénielle et rémissible, elle l’augmentait par la coutume, se confiant de quelques siennes bonnes œuvres, ne considérant pas que je jugeais les choses petites ; et ainsi l’âme, étant enveloppée en iceux par la coutume qu’elle avait aux délectations déréglées, ne les a pas corrigées, ni n’a pas réprimé la volonté du péché, jusqu’à ce qu’elle a vu le jugement aux portes, et que la dernière période de sa vie s’approchait ; c’est pourquoi, la fin s’approchant, sa conscience s’embrouilla soudain misérablement, et était marrie de mourir sitôt, craignant de se séparer de ce peu de temporel qu’elle aimait, car Dieu souffre et attend l’âme jusqu’au dernier point, parce que, par aventure, elle voudrait quitter sa volonté libertine qu’elle
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a eu l’affection du péché : mais d’autant que la volonté ne se corrige point, c’est pourquoi l’âme est tourmentée sans fin. Le diable, sachant en effet qu’un chacun est jugé selon sa conscience et selon la volonté, s’efforce principalement à la fin de donner des illusions à l’âme pour d’écarter de la droite intention, ce que Dieu permet, car l’âme n’a pas voulu veiller sur elle quand elle le devait.
  D’ailleurs, ne vous confiez et présumez pas trop, si j’appelle quelqu’un ami et serviteur, comme j’ai appelé ce juge autrefois, car aussi Judas a été nommé mon ami, et Nabuchodonosor serviteur, car comme j’ai dit : Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande, maintenant, je parle en cette sorte : Ceux-là sont mes amis qui m’imitent, et ceux-là mes ennemis qui me poursuivent et méprisent mes commandements et moi-même. Mais quoi ! David, après que j’eus dit qu’il était selon mon cœur, ne commit-il pas un homicide ? Salomon, à qui des choses si merveilleuses ont été données et promises, ne s’est-il pas retiré de ma bonté ? Et les promesses n’ont pas été accomplies en lui à raison de son ingratitude, mais seulement en moi, Fils de Dieu.
Partant, comme ne ce que vous dites, vous mettez cette clause : finalement, de même, moi, j’aime la même la clause en mes paroles. Si quelqu’un fait ma volonté et quitte son héritage, il aura la vie éternelle. Or, celui qui l’oira et ne persévèrera à la faire, sera comme un serviteur inutile et ingrat. Mais vous ne devez pas vous défier, si j’appelle quelqu’un ennemi, car soudain qu’il aura changé sa volonté au bien, il sera mon ami. Judas n’était-il pas un des douze,
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quand je dis : Vous êtes mes amis, qui m’avez suivi, et serez assis sur les douze sièges ? Certainement lors Judas me suivait ; il ne sera pas pourtant assis avec les douze.
  Comment donc sont accomplies les paroles de Dieu ? Je réponds : Dieu, qui voit les volontés et sonde les cœurs des hommes, juge selon qu’il voit au visage. Partant, de peur que le bon ne s’enorgueillisse ou que le méchant se défie, Dieu appela à son apostolat les bons comme les mauvais, et chaque jour, il appelle aux dignités aussi bien les bons que les mauvais, afin que celui qui obtient en sa vie un bénéfice, se glorifie en la vie éternelle. Or, celui qui a de l’honneur sans charge, qu’il se glorifie pour quelque temps, puisqu’il périra éternellement. Partant, d’autant que Judas ne me suivait pas d’un cœur parfait, ces mots : Qui secuti esti me, qui m’avez suivi, ne furent point pour lui, attendu qu’il ne persévéra point jusqu’à la récompense, mais seulement étaient pour ceux qui devaient persévérer, tant pour ceux qui étaient alors que pour ceux qui étaient à venir. Car Dieu, à la présence duquel sont toutes choses, parle quelquefois en temps présent bien que cela appartienne au futur, et parle des choses qui sont à faire comme des choses faites ; quelquefois aussi, il mêle le passé avec  le futur, et se sert du passé pour le futur, afin qu’aucun n’ose examiner le conseil de l’immuable et auguste Trinité.
  Écoutez encore une parole : Plusieurs sont appelés et peu élus : de même celui-ci est appelé à l’épiscopat, mais n’est pas élu, car il est ingrat aux grâces de Dieu. Partant, il a seulement le nom d’évêque ; et parce qu’il dégénère, il sera
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à bon endroit nombré entre ceux qui descendent et non entre ceux qui montent.

Addition.

  Le Fils de Dieu parle à sa fille sainte Brigitte et lui dit : Vous admirez pourquoi l’autre évêque a eu si belle fin, et l’autre une fin si horrible, car une muraille tombant l’écrasa ; il vécut peu encore, et ce peu avec une grande douleur. Je réponds à vos admirations.
  L’Écriture dit, je dis moi-même que le juste, de quelque mort qu’il meure, est toujours juste devant Dieu. Mais les hommes du monde réputent justes ceux-là qui ont une belle fin et meurent sans douleur et sans honte. Mais Dieu dit : Celui-là est juste qui est éprouvé par une longue abstinence, ou bien qui est affligé pour la justice, car les amis de Dieu sont affligés en ce monde, afin de l’être moins en l’autre et pour une plus grande couronne au ciel. Car saint Pierre et saint Paul sont morts pour la justice, mais saint Pierre, d’une mort plus amère que celle de saint Paul, car il a plus aimé la chair que saint Paul ; et d’autant qu’il a eu la primauté de l’Église, il devait donc aussi ce conformer à moi par une mort plus amère. Mais d’autant que saint Paul a plus aimé la continence et qu’il a plus labouré comme un généreux soldat, il est mort par le glaive, d’autant que je dispose toutes choses selon les mérites et selon la mesure.
  Partant, au jugement de Dieu, ce n’est pas la fin ou la mort contemptible qui couronne, mais bien l’intention, la volonté des hommes, et la cause pourquoi on souffre. Il en est de même de ces deux évêques, car l’un endurait une peine amère et une mort méprisable et contemp-
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tible. Cela lui a été à moindre peine, bien que non pas à une plus grande gloire, car il n’endurait pas d’une bonne volonté. Quant à ce que l’autre a obtenu une fin glorieuse, cela est arrivé par les secrets de ma justice, mais non pas pour les récompenses éternelles, car il n’a pas corrigé ses volontés tandis qu’il vivait.

XX.
La Sainte Vierge, Mère de Dieu, parle à sa fille, lui montrant comment par le talent, sont désignés les dons du Saint-Esprit. Manière dont saint Benoît multiplie en soi les dons du Saint-Esprit, et par quels moyens le Saint-Esprit et le malin esprit entrent en l’âme de l’homme.

  C’est la Mère de Dieu qui parle à sainte Brigitte : Ma fille, il est écrit que celui qui avait reçu cinq florins, en avait gagné cinq autres. Qu’est-ce autre chose, un talent, sinon le don du Saint-Esprit ? car les uns reçoivent la science, les autres les richesses, les autres la familiarité des riches, et néanmoins, tous doivent rapporter à leur maître un double lucre, savoir : de la science, en vivant utilement pour soi et en instruisant les autres ; des richesses et autres dons, en usant raisonnablement et en aidant miséricordieusement les autres.
  Ce bon abbé saint Benoît en fit de la sorte : il multiplia le don de grâce qu’il avait reçu, quand il méprisa tout ce qui était passager ; quand il contraignit la chair de servir à l’esprit ; quand il ne préféra
 rien à la charité divine ; que voire même, craignant que ses oreilles ne fussent tachées des paroles vaines, ses yeux souillés par
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la vue des choses délectables, il s’enfuit au désert, imitant celui qui, n’étant pas né encore, en tressaillant de joie entre les flancs de sa mère, connut l’avènement de son Sauveur très-pieux et très-clément.
  En vérité, saint Benoît eut bien obtenu le ciel sans le désert, car le monde était mort pour lui, et son cœur était tout plein de Dieu. Mais il plut à Dieu d’appeler saint Benoît à la montagne ; afin qu’étant connu de plusieurs, plusieurs fussent incités par son exemple à la perfection de la vie. Le corps de ce saint était comme un sac de terre dans lequel était caché le feu du Saint-Esprit, qui  chassa de son cœur le feu diabolique : car comme le feu corporel s’allume de deux choses, de l’air et du souffle de l’homme, de même  le Saint-Esprit entre en l’âme de l’homme, ou par l’inspiration personnelle, ou bien par quelque opération humaine, ou locution divine, qui excite l’esprit à Dieu. De même l’esprit diabolique visite les siens, mais d’une manière incomparablement différente, car le Saint-Esprit échauffe l’âme pour rechercher Dieu, mais il ne la brûle pas charnellement. Il luit et éclate en la modestie pure, et la malice n’offusque point l’esprit ; mais l’esprit du diable brûle le cœur et l’excite aux choses charnelles, et les rend intolérablement amères, offusque l’esprit par l’inconsidération de soi-même, et le déprime entièrement à terre.
  Partant, afin que ce bon feu qui était en saint Benoît embrassât plusieurs, Dieu l’appela à la montagne ; et ayant appelé à soi plusieurs étincelles, il ne fit, par l’Esprit de Dieu, un grand feu, et leur composa la règle de l’Esprit de Dieu, par le moyen de laquelle plusieurs ont été par-
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faits comme saint Benoît. Or, maintenant, plusieurs flambeaux jetés de ce grand feu caché, sont dispersés partout, ayant pour la chaleur le froid, pour la lumière les ténèbres. Que s’ils s’assemblaient dans ce feu, ils donneraient et enverraient des flammes et des chaleurs partout.

XXI.
La Sainte Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, montrant par exemple les magnificences et les perfections de la vie de saint Benoît. Comment l’âme fructueuse au monde est marquée et figurée par l’arbre infructueux, l’orgueil de l’esprit par le caillou. De trois étincelles grandement notables, tirées du cristal, du caillou et de l’arbre.

  La sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, disant : Je vous ai dit ci-dessus que le corps de saint Benoît était comme un sac, qui était discipliné et gouverné et ne gouvernait pas. Enfin, son âme était comme un ange qui a donné de soi une grande chaleur et embrasement, comme je vous le montre par un exemple. Par exemple, s’il y avait trois feux, et si l’un de ces feux était allumé en la myrrhe, il donnerait de soi l’odeur de suavité ; le deuxième, s’il était allumé au bois vert, donnerait de soi des charbons ardents et une splendeur éclatante ; le troisième, s’il était allumé à l’olivier, donnerait de flammes de lumière et de chaleur.
  Par ces trois feux j’entends trois sortes de personnes, et par ces personnes, trois états au monde. Le premier état était de ceux qui, ayant considéré l’amour et la charité de Dieu, ont
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renoncé à leur propre volonté entre les mains d’autrui ; qui ont pris, au lieu de la vanité et superbe du monde, la pauvreté et l’abjection ; qui, au lieu de l’intempérance, ont aimé la continence et la pureté. Ceux-ci ont eu le feu dans la myrrhe. Car comme l’amertume de la myrrhe chasse les démons, étanche la soif, de même leur abstinence est amère au corps, éteint la concupiscence déréglée et affaiblit toute la puissance des diables. Le second est de ceux qui ont telles pensées : Pourquoi aimons-nous les hommes du monde, qui n’est autre chose qu’un air qui bat les oreilles ? Pourquoi aimons-nous l’or, puisque ce n’est que terre rouge ? Or, quelle est la fin de la chair, sinon pourriture et feu ? que nous profite-t-il de désirer les choses terrestres, puisque toutes sont vanité ? Partant, nous ne voulons vivre pour autre fin, ni travailler à autre intention, qu’afin que Dieu soit honoré en nous, et afin que les autres s’allument du feu de l’amour divin par nos paroles et par nos exemples. Ceux-ci eurent le feu au bois vert, car l’amour du monde a été mort en eux, et un chacun d’eux donnait des charbons ardents de justice, d’éclat d’une prédication divine. Le troisième état était de ceux qui, étant fervents en la passion de Jésus-Christ, désiraient de tout leur cœur de mourir pour Jésus-Christ : ceux-ci ont eu leur feu en l’olivier, car comme ce bois jette, quand il brûle, de la graisse grandement chaude, de même ceux-ci ont été engraissés de la grâce divine, par le moyen de laquelle ils ont puisé et donné la lumière de la divine science, l’ardeur d’une charité fervente et la force d’une honnête conversation.
  Ces trois feux se sont dilatés au loin et au lar-
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ge. Le premier de ces feux s’est allumé dans les ermites et les religieux, comme dit saint Jérôme, qui, inspiré du Saint-Esprit, a trouvé leurs vies admirables et inimitables. Le Deuxième a été allumé dans les confesseurs et les docteurs ; le troisième, dans les martyrs, qui ont méprisé leur vie pour l’amour de Jésus-Christ, et d’autres l’eussent méprisée, s’ils eussent obtenu de Dieu la grâce et le secours.
  Saint Benoît a été envoyé à quelques-uns de ces feux et de ces états, lui qui unit trois feux en telle sorte que les aveugles étaient illuminés, les froids étaient échauffés, et les fervents rendu plus fervents. Et c’est en ces trois feux que la religion de saint Benoît commença, qui conduisait en la voie de salut et bonheur éternel un chacun, selon la disposition et la capacité de l’esprit d’un chacun.
  Or, maintenant, comme du sac de saint Benoît s’exhalait la douceur du Saint-Esprit, par laquelle plusieurs monastères se renouvelaient, de même maintenant, du sac de plusieurs de ses frères se retire le Saint-Esprit, car la chaleur de la cendre est éteinte, et les flambeaux gisent dispersés, ne donnent ni chaleur ni splendeur, mais bien une fumée d’impureté et de cupidité.
  Néanmoins, pour la consolation et le soulas de plusieurs, Dieu m’a donné trois étincelles, sous le nom desquelles j’entends un grand nombre : la première est tirée du cristal par la chaleur et la splendeur du soleil, qui s’est prise au bois sec, afin qu’elle fasse un grand feu. La deuxième est tirée d’un caillou fort dur. La troisième est tirée d’un bois infructueux qui a crû avec ses racines et a dilaté ses feuilles. Or, par le cristal, qui est une pierre froide et fragile, est signifiée
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l’âme qui, bien qu’elle soit froide en l’amour de Dieu, s’efforce néanmoins d’aller à la perfection, et prie Dieu, afin qu’il la secoure. C’est pourquoi cette volonté la porte à Dieu, lui fait mériter que Dieu lui augmente les tentations, par lesquelles il la refroidit des tentations mauvaises, jusqu’à ce que Dieu, illuminant son cœur, s’arrête tellement en cette âme vide de volupté, qu’elle ne veut vivre désormais que pour l’honneur de Dieu. Par le caillou est marqué la superbe : qu’y a-t-il en effet de plus dur que la superbe de l’esprit de celui qui cherche et mendie les louanges de tous, et néanmoins désire patiemment d’être appelé humble et être estimé dévot ? Qu’y a-t-il de plus abominable que l’âme qui préfère ses pensées à toutes pensées, et ne veut être reprise de personne ni enseignée d’aucun ?
  Vraiment, il y en a plusieurs qui, étant ainsi superbes, demandent humblement à Dieu qu’il arrache de leur cœur la superbe et l’ambition. C’est pourquoi Dieu ôte de leur cœur , leur bonne volonté coopérant, tout ce qui les empêche et les contrarie, leur donnant des choses douces par lesquelles ils sont retirés des choses du monde et excités aux choses célestes. Par l’arbre infructueux est signifiée cette âme qui, nourrie en la superbe, fructifie pour le monde, désire l’avoir et posséder l’honneur.  Néanmoins, d’autant qu’il craint la mort éternelle, elle arrache force souches de péché, qu’elle perpétrait, n’était la crainte. Partant, Dieu s’approche de cette âme, à raison de cette crainte, et lui inspire sa grâce, afin que l’arbre inutile soit fructueux. C’est pourquoi l’ordre de saint Benoît,
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Qui semble maintenant désolé et abject à plusieurs, doit être renouvelé avec telles étincelles.

XXII.
La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte du moine qui a le cœur vilain, et comment il a apostasié de la vie angélique, voire de Dieu, par sa propre volonté, concupiscence et subterfuges.

   La Mère de Dieu parle à l’épouse de son Files disant : Que voyez-vous en celui-ci qui soit répréhensible ? Elle répond : Je vois qu’il dit rarement la messe. Pour cela, dit la Mère de Dieu, il n’est pas à juger, car il y en a d’autres qui se souvenant de leurs actions, s’en abstiennent raisonnablement, et ils ne me sont pas moins agréables. Mais voyez-vous quelque autre chose en lui ? Je vois, dit-elle, qu’il n’a pas les vêtements que saint Benoît a institués. La Vierge Marie répondit : Il arrive souvent qu’une coutume commencée et suivie, ceux qui la savent être mauvaise et la suivent, sont répréhensibles. Mais ceux qui ignorent les louables institutions, et seraient contents des vêtements vils, si la coutume qui est de longtemps ne prévalait, tels ne sont pas facilement et méchamment à juger.
  Mais écoutez, et je vous montrerai celui qui est répréhensible en trois autres choses : 1-d’autant qu’il a son cœur sali de vilaines pensées ; 2- il a laissé peu, et ardemment désiré beaucoup de ce qui est d’autrui ; il a promis de renoncer à soi-même et il suit sa propre volonté ; 3- Dieu ayant créé son âme belle comme un ange, qui partant devrait avoir une vie angélique, son âme est
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maintenant semblable à l’image de cet ange, qui, bouffi de superbe, apostasia. Celui-ci est grand devant les hommes, mais Dieu sait quel il est devant Dieu, car Dieu fait comme celui qui, ayant quelque choses cachées en son poing, le  cache aux autres jusqu’à ce qu’il ouvre le poing, car il choisit le plus infirme du monde, et cache les couronnes en la vie présente, jusqu’à ce qu’il rendra à un chacun selon ses œuvres.

Addition.
  Cet homme fut un abbé trop séculier, ne se souciant des âmes ; il est mort soudain sans sacrements. Le Saint-Esprit en parle en ces termes : O âme, vous avez aimé la terre, la terre vous reçoit maintenant. Vous êtes mort à votre vie, et maintenant, vous n’avez pas ma vie, ni n’aurez pas participation avec moi, d’autant que vous avez aimé la société de celui qui est tombé de moi par sa superbe, et a méprisé la vraie humilité

XXIII.
Dieu le Père répond aux prières que son épouse lui a faites pour les pêcheurs. Comment ils sont trois qui donnent témoignage en terre, comme trois au ciel, En quelle manière toute la sainte Trinité donne témoignage à l’épouse. Comment elle lui est épouse par la foi, et tous ceux qui ont la foi droite de l’Église.

  O mon Dieu très-doux ! je vous prie pour les pécheurs, au nombre desquels je suis, afin que vous leur fassiez miséricorde.
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Dieu le Père répondit : Je sais et j’ai ouï votre volonté ; c’est pourquoi votre oraison charitable sera accomplie. Partant, comme dit saint Jean en son épître aujourd’hui, voire moi-même par lui : Trois sont qui donnent témoignage en terre : l’esprit, l’eau et le sang ; et trois au ciel : le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; aussi y
a-t-il trois choses qui vous donnent un témoignage : car l’Esprit, qui vous a conservée aux entrailles de la mère, testifie à votre âme que vous êtes à Dieu par la foi du baptême, que vos parents ont professée de votre part. L’eau du baptême vous témoigne que vous êtes fille de l’humanité de Jésus-Christ, par la renonciation et émendation de la première transgression. Le sang aussi de Jésus-Christ vous rend témoignage que vous êtes rachetée, que vous êtes fille de la Déité, et que vous êtes séparée de la puissance du diable par les sacrements ecclésiastiques.
  Nous aussi, Père, Fils et Saint-Esprit, trois en personne, mais un en substance et puissance, nous vous rendons témoignage que vous êtes notre par la foi, et semblablement tous ceux qui imitent la foi droite de la sainte Eglise. Et en témoignage que vous voulez faire notre volonté, approchez-vous et recevez le corps et le sang de l’humanité de Jésus-Christ, afin que le Fils vous rende témoignage que vous êtes à celui de qui vous recevez le corps pour fortifiez l’âme. Le Père, qui est dans le Fils, vous rend témoignage que vous êtes au Père et au Fils. Le Saint-Esprit vous rend aussi témoignage qu’il est dans le Père et le Fils, et que vous êtes à  cette Trinité et unité par la foi vraie et la délectation amoureuse.
 

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XXIV.
 

Jésus-Christ répond aux prières de l’épouse faites pour les infidèles, savoir, que Dieu est honoré de la malice des méchants, bien que non pas en vertu de leur mauvaise volonté, ce qu’il prouve par un exemple, auquel sont désignés l’Église, ou l’âme, par la Vierge ; les neuf ordres des anges par les neuf frères de la Vierge ; Jésus-Christ par le roi ; les trois états des hommes par les trois enfants du roi.

 O mon Seigneur Jésus-Christ ! je vous prie afin que votre foi soi dilatée parmi les infidèles ; que les bons soient embrasés de plus en plus par les feux de votre amour, et que les méchants se convertissent.
  Le Fils répondit : Vous vous troublez de ce que Dieu est moins honoré, et de ce que vous désirez que l’honneur de Dieu soit du tout accompli. Mais afin que vous entendiez que Dieu est honoré de la malice des méchants, quoique non en vertu d’icelle et de leur mauvaise volonté, je vous donnerai un exemple.
  Il y avait une vierge sage, belle, riche et bien morigérée, qui avait neuf frères, un chacun desquels aimait sa sœur comme son cœur et leur cœur était dans le cœur de leur sœur. Or, dans le royaume où cette vierge était, il y avait une telle ordonnance et ordre que quiconque honorerait serait honoré, qu’on déroberait à qui aurait dérobé, et que qui violerait aurait la tête tranchée.
  Le roi de ce royaume avait trois enfants, dont le premier aimait cette vierge. Celui-ci lui présenta des souliers dorés avec une ceinture dorée,
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Un anneau en sa main et une couronne sur sa tête. Le deuxième désirait les possessions de la vierge, et les déroba. Le troisième désira la virginité d’icelle, faisant en sorte de la violer.
  Or, ces trois enfants du roi sont pris par les neuf frères de la vierge et sont présentés au roi. Ils lui dirent : Vos enfants ont désiré notre sœur. Certainement, le premier l’a honorée et aimée de tout son cœur ; le deuxieme l’a dépouillée de tous ses biens, et le troisième eût donné volontiers sa vie pour la pouvoir violer. Or, ils ont été pris sur le fait au moment où ils voulaient accomplir leurs mauvais desseins.
  Le roi, ayant ouï ces choses, dit : Tous sont mes enfants, et je les aime tous également. Néanmoins, je ne puis ni ne veux agir contre la justice, mais j’entends faire le même jugement de mes enfants que de mes serviteurs. Partant, vous, ô mon fils ! qui avez honoré cette vierge, venez et prenez l’honneur et la couronne avec votre père. Vous qui avez désiré et ravi les possessions de la vierge, vous entrerez en prison jusqu’à ce que vous ayez restitué ce que vous avez pris, car j’ai ouï que, vous en repentant, vous vouliez restituer ce que vous aviez pris. Mais d’autant que vous êtes prévenu de crime, et par un jugement inopiné, vous n’avez pas accompli votre restitution, vous entrerez en prison, jusqu’à ce que vous ayez satisfait jusqu’au moindre denier. Mais vous, ô mon fils, qui vous êtes efforcé autant que vous avez pu de violer la fille, et de fait, ne vous en êtes repenti, c’est pourquoi autant de manières que vous avez employées pour la déshonorer, en autant de manières votre peine s’augmentera.
  Tous les frères de la vierge répondirent : Loué
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Soyez-vous de votre justice, ô juge ! car s’il n’y eût eu de la vertu en vous, de l’équité en votre justice, de l’amour en votre équité, vous n’eussiez jamais jugé de cette sorte.
  Or, cette vierge signifie la sainte Église, dont la disposition est excellente en la foi, belle en ses sacrements, louable en ses mœurs et vertus, aimable en ses fruits, d’autant qu’elle nous montre le vrai chemin pour aller à l’éternité. Cette sainte Eglise a comme trois enfants, auxquels sont compris plusieurs : ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur sont le premier ; ceux qui aiment les choses temporelles pour leur honneur, sont le second ; ceux qui préfèrent leur volonté à Dieu sont le troisième. Les âmes des hommes créées de la puissance divine, sont la virginité de l’Église.
  Le premier enfant présente des souliers dorés quand il s’excite à contrition pour les fautes commises, et pour ses lâchetés et ses négligences présentes. Il présente des vêtements, quand il médite et considère les préceptes de la loi, et garde autant qu’il peut les conseils évangéliques. Il donne une ceinture quand il propose de demeurer fermement en chasteté et continence. Il lui met un anneau à la main quand il croit ce que l’Église commande, savoir : le jugement futur et la vie éternelle. La pierre de l’anneau est l’espérance, qui fait constamment espérer qu’il n’y a péché, quelque abominable qu’il soit, qui ne soit effacé par la pénitence et par la ferme volonté de se corriger. Il lui met une couronne sur la tête, quand il a une vraie charité. Car comme diverses pierres sont en la couronne, de même la charité contient diverses vertus. Or, le chef de l’Église ou de l’âme, c’est mon corps. Quiconque l’aime et l’honore est justement appelé fils
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De Dieu. Donc, quiconque aime en telle sorte la sainte Église et son âme, celui-là a neuf frères, c’est-à-dire, neuf chœurs des anges ; il sera leur compagnon et participera d’eux en l’autre vie éternelle, car ces anges embrassent d’un amour tout entier la sainte Église, comme si elle était au cœur d’un chacun ; car ce ne sont pas les pierres qui composent l’Église ni les murailles, mais bien les âmes des justes : C’est pourquoi ils se réjouissent de leur avancement, comme du leur propre.
  Mais le deuxième frère, ou le fils, marque ceux-là qui, méprisant les ordonnances de l’Église, vivent selon l’honneur du monde et l’amour de la chair ; qui, changeant en eux l’éclat et la beauté de la vertu, vivent selon leur propre volonté ; néanmoins, ils s’en repentiront à la fin, et auront contrition de leurs actions mauvaises. Ceux-ci se doivent purifier, jusqu’à ce que, par les oraisons de l’Église et par les bonnes œuvres, ils soient réconciliés.
  Le troisième fils signifie ceux qui, scandalisant leur âme, ne se soucient de périr éternellement pourvu qu’ils puissent assouvir leurs sales et brutales volontés. Contre ceux- là des neuf ordres des anges demandent justice et vengeance, puisqu’ils ont méprisé de faire pénitence. Donc, quand Dieu fait justice, les anges le louent à raison de son inflexible équité. Quand  l’honneur de Dieu s’accomplit, ils s’en réjouissent, en vertu de ce qu’il se sert de la malice des méchants pour son honneur. Partant, quand vous verrez les méchants compatir avec eux, réjouissez-vous de l’honneur de Dieu éternel, car Dieu, qui ne veut aucun mal, est créateur de toutes choses, et est véritablement bon de soi-même ; il permet néan-
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Moins que plusieurs choses soient faites, comme juste juge desquelles il est honoré au ciel, et sur la terre, à raison de son équité et de sa bonté occulte.

XXV.

  La Sainte Vierge Marie se plaint à sa fille de la manière dont Jésus-Christ, Agneau très-innocent, est en ce temps négligé de sa créature.

 La Vierge Marie parle, disant : Je me plains, en premier lieu, que l’Agneau très-innocent est aujourd’hui porté, bien qu’il sache marcher. Aujourd’hui cet enfant se taisait, qui savait très-bien parler. Aujourd’hui, cet enfant innocent est circoncis, qui n’a jamais offensé ; et partant, bien que je ne puisse me courroucer, il semble néanmoins que je sois en colère de ce que ce grand Dieu, étant fait petit enfant, est oublié en négligé de sa créature.

XXVI.

  Notre Seigneur Jésus-Christ déclare le mystère ineffable de la sainte Trinité ; comment les pêcheurs diaboliques obtiennent miséricorde de Dieu par la contrition et par la volonté qu’ils ont de se corriger. De la réponse de Jésus-Christ. Manière dont il fait miséricorde à tous, tant Juifs qu’autres, et du double jugement des damnés et des sauvés.

  Le Fils de Dieu parle : Je suis, dit-il, le Créateur du ciel et de la terre, un vrai Dieu avec
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Le Père et le Saint-Esprit, car le Père est Dieu, le Fils est Dieu et le Saint-Esprit est Dieu, non pas pourtant trois dieux, mais trois personnes et un Dieu.
  Mais vous me pourriez demander : Pourquoi y a-t-il trois personnes et n’y a-t-il qu’un Dieu ? Je réponds qu’il n’y a autre Dieu que la puissance même, la sapience même et la bonté même, d’où est toute puissance sous le ciel et sur le ciel, toute sagesse et toute piété qu’on peut penser et imaginer. Or, Dieu est un et trine, un en nature et trine en personnes, car le Père est la puissance et la sagesse, de laquelle sont toutes choses, et qui est avant toutes chose ; puissant, non d’ailleurs, mais de lui-même de toute éternité. Le Fils, aussi égal au Père, est aussi puissance et sagesse, non puissant de soi-même, mais engendré du Père puissamment et ineffablement, principe du Prince, qui n’est jamais séparé du Père. Le Saint-Esprit aussi est puissance et sagesse, procédant du Père et du Fils, égal en puissance et en majesté.
  Il y a donc en Dieu et trois personnes, et une opération (1) de trois personnes, une volonté, une gloire et puissance. Il est tellement un en essence qu’il y a néanmoins distinction de personnes, car tout le Père est dans le Fils et le Saint-Esprit, et le Fils dans le Père et dans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit en tous deux, en une nature de Déité, non pas comme première ou postérieure, mais d’une manière ineffable, où il n’y a ni prieur ni postérieur, rien de plus grand l’un que l’autre, ou d’un autre hors d’eux, mais tout y est ineffable et égal. C’est pourquoi il est
(1) Il faut entendre des opérations que Dieu fait dans les créatures.
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à bon droit écrit que Dieu est admirable et grandement louable.
  Maintenant, je me puis plaindre que je suis peu loué et inconnu à plusieurs, attendu que tous cherchent leur propre volonté et peu la mienne. Or, vous demeurez stable et humble ; ne vous élevez pas en vos pensées, puisque je vous montre les périls et les dangers des autres ; ne déclarez pas leurs noms, si ce n’est qu’il vous soit commandé, car les périls ne vous sont pas montrés pour leur confusion, mais pour leur conversion, et afin qu’ils connaissent la justice et la miséricorde divines, ni ne les devez pas fuir et éviter comme des personnes jugées. Car bien que j’aie dit ce jour que quelqu’un est méchant, si demain il m’invoque et m’appelle à son secours avec contrition et avec volonté de s’amender, je suis prêt à lui pardonner ; et celui que j’aie appelé hier pernicieux, celui-là même, je le dis aujourd’hui ami très-cher, à raison de sa contrition. Tellement que si la contrition est stable (1), je le tiens quitte, non seulement du péché, mais de la peine même du péché, comme vous le pourrez connaître par un exemple.
  Pensez qu’il y a deux parties du vif-argent, et que toutes deux s’écoulassent vitement en un tout, et qu’en leur union, il n’en demeurât qu’un peu, comme un atome, Dieu pourrait faire encore qu’ils ne s’unissent en un. De même si quelque pécheur était enraciné en opérations diaboliques et qu’il fût sur le point de se perdre, il obtiendrait encore pardon et miséricorde, s’il
(10 Parfaite,1-en douleur du passé ; 2- en résolution de ne plus pécher à l’avenir, 3-en propos de se confesser ; 4- vouloir satisfaire.

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liv. 3 page 94 -112 par Valérie Pajerski

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Invoquait Dieu avec contrition et volonté de s’amender.
  Or, maintenant, puisque je suis si miséricordieux, vous pourriez me demander pourquoi je ne fais pas miséricorde aux Juifs et aux Gentils, dont quelques-uns, s’ils étaient instruits d’une foi droite, mourraient franchement pour l’amour de Dieu.
  Je vous réponds : Je fais miséricorde tant aux Gentils qu’aux Juifs, et il n’y a aucune créature sans ma miséricorde, car quiconque oit que sa foi n’est ni bonne ni vraie, et désire avec ferveur la vraie : ou quiconque croit que ce qu’il tient est le meilleur, d’autant qu’il ne lui a été jamais prêché rien de meilleur, et fait de toutes ses forces ce qu’il peut, son jugement sera en quelque petite miséricorde ( 1), car il y a double jugement des damnés et des sauvés.
  Le jugement des chrétiens damnés sera sans miséricorde ; leur peine sera éternelle, en perpétuelles ténèbres, et leur volonté obstinée contre Dieu. Et le jugement des sauvés sera la vision de Dieu, la glorification en Dieu, et vouloir à Dieu du bien. De ceux-là sont forclos les Gentils, les Juifs, les mauvais et faux chrétiens, qui, bien qu’ils n’aient eu aucune foi droite, ont néanmoins eu la conscience propre pour juge, croyant que c’était le même Dieu qu’ils ont honoré et offensé.
  Or, ceux dont les volontés et les actions étaient et sont contre le péché et selon la justice, auront, avec ceux qui sont moins mauvais chrétiens, jugement, miséricorde et supplice, à raison de la dilection, de la justice et haine du pé-
(1) Mieux avec plus grande miséricorde.
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ché ; mais ils n’auront la consolation en la fruition de la gloire et vision de Dieu,  à raison qu’ils ne sont pas baptisés ; car la considération des choses temporelles, ou quelque occulte jugement de Dieu, les a retirés, qu’ils ne cherchassent et obtinssent, fructueusement leur salut. Or, si rien ne les a retirés de la recherche du vrai Dieu, ni le labeur, ni la peur, ni la perte de l’honneur et des biens, mais seulement un empêchement humain, qui vainquait la fragilité humaine, moi qui ai vu Cornélius et le Centurion, n’étant pas baptisés, être hautement et parfaitement récompensés, je sais qu’ils seront rémunérés comme leur foi l’exige, d’autant qu’autre est l’ignorance de malice, autre celle de piété, autre celle de difficulté ; semblablement autre est le baptême de l’eau, autre celui du sang, et autre celui d’une parfaite volonté, que Dieu connaît, lui qui voit le cœur de tous.
  Partant, moi qui suis né sans principe, éternellement du principe ; moi qui suis encore né derechef temporellement, à la fin des temps, je connais et sais du commencement comment il fut récompenser les actions et donner à un chacun selon ses mérites ; ni le moindre bien qui est fait pour l’honneur de Dieu, ne sera sans récompense. Partant, vous êtes obligée de remercier grandement Dieu, que vous soyez née de chrétiens et en temps de salut, d’autant que plusieurs désireront voir et obtenir ce qui est offert aux chrétiens, et ne l’obtiendront point.
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XXVII.

C’est une prière que l’épouse fait à Notre-Seigneur pour Rome. De la multitude innombrable des saints martyrs qui reposent à Rome. De trois visions faites à cette épouse, et en quelle manière Jésus-Christ, lui apparaissant, lui expliqua et déclara la susdite vision.

  O Marie, Mère du Tout-Puissant, bien que je n’aie pas été douce et bonne, toutefois je vous invoque à mon aide, et vous supplie qu’il vous plaise de prier pour Rome, ville si excellente et si sainte, car je vois de mes yeux corporels quelques églises, où reposent les os et les reliques des saints, être désolées et démolies. Quelques autres sont habitées, mais les cœurs et les mœurs de ceux qui en ont le gouvernement sont bien éloignés de Dieu. Impétrez donc pour eux la charité, car j’ai ouï qu’à Rome, il y a pour chaque jour de l’an sept mille martyrs. Et partant, bien que leurs âmes n’obtiennent pas moins d’honneur au ciel bien que leurs os soient en la terre, néanmoins, je vous prie de faire en sorte qu’il soit rendu en terre un plus grand honneur aux saints et aux reliques des saints, et qu’ainsi la dévotion du peuple soit excitée.
  La Mère répondit : Si vous semiez la mesure de cent pieds de longueur et autant de largeur, du blé pur, si serré qu’il n’y eût distance d’un grain à l’autre que d’un doigt, et que chaque grain donnât et produisît le fruit au centuple, il y aurait encore à Rome plus de
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martyres et de confesseurs, depuis que saint Pierre vint à Rome avec humilité, jusques à ce que Célestinus se retira du siège et retourna à sa vie solitaire. Or, je parle de ces martyrs et confesseurs qui ont prêché la vraie foi contre la défiance, la vraie humilité contre la superbe, et qui sont morts pour la vérité de la foi, ou bien qui étaient volontairement disposés à mourir : car saint Pierre et plusieurs autres étaient si fervents et si embrasés à prêcher la parole divine, que, s’ils eussent pu mourir pour un chacun, ils l’eussent franchement fait, Néanmoins, ils craignaient que ceux à qui ils prêchaient et qu’ils consolaient, ne les ravissent aux mains des bourreaux, car ils leur désiraient plus le salut que la vie et l’honneur. Ils furent aussi sages ; c’est pourquoi ils allaient aux persécutions occultement pour le lucre de plusieurs âmes. Donc, entre ces deux, saint Pierre et Célestin, tous ne furent pas bons ni aussi tous mauvais. Partageons-les en trois degrés, comme vous les ayez aujourd’hui divisés en bons, meilleurs et très-bon. Au premier degré furent ceux-là dont les pensées étaient telles. Nous croyons tout ce que la sainte Église commande. Nous ne voulons tromper personne, mais bien rendre tout ce que nous avons défraudé, et désirons servir Dieu de tout notre cœur. Ils étaient aussi semblables à ceux qui, du temps de Romulus, fondateur de Rome, selon leur foi s’entretenaient en ces pensées : Nous savons et entendons par les créatures que Dieu est créateur de toutes choses. Nous voulons donc l’aimer par-dessus toutes choses. Oh ! que plusieurs considéraient : Nous avons ouï des Hébreux que le vrai Dieu s’est manifesté à eux par des miracles ; et partant, si nous sa-
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vions en quoi nous nous devons plus fonder, nous le ferions librement. Tous ceux-ci ont été quasi au premier degré. Or, saint Pierre vint à Rome en un temps fort convenable, qui éleva les uns au bien, les autres au mieux, les autres à un degré très-bon, car ceux qui reçurent la vraie foi, qui étaient liés par le mariage, ou étaient en quelque louable disposition, ceux-là ont été en un bon degré ; mais ceux qui renoncèrent à tout ce qu’ils avaient, qui ont montré aux autres des exemples et bonnes œuvres, voire qui n’ont rien tant estimé que Jésus-Christ, ceux-là sont mieux. Or, ceux qui ont donné leur vie pour l’amour de Dieu, ceux-là sont en un degré très-bon.
  Mais maintenant, cherchons en lequel de ces degrés la charité se trouve plus fervente. Cherchons-la dans les soldats et dans les docteurs ; cherchons-la dans les religieux, et en ceux qui méprisent le monde, qui sont obligés d’être au meilleur degré, voire au très-bon, et certainement, il s’y en trouve trop peu, car il n’y a vie si austère que la vie militaire, si elle demeurait en sa vraie et pure institution. Car si on commande au moine de porter la cuculle, il est aussi commandé au soldat de porter la cuirasse. S’il est dur et fâcheux au moine de combattre contre les assauts de la chair, il est plus amer au soldat de passer à travers des hommes armés. Que si le moine a un lit dur, il est plus dur au soldat de coucher sur les armes. Si le moine se trouble et s’afflige par l’abstinence, il est plus dur au soldat d’être toujours en danger de perdre sa vie : car certes, la milice de la chrétienté n’a pas commencé par avoir des possessions au
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monde et des ambitions et cupidités, mais par affermir la vérité et dilater la vraie foi. Partant, les soldats militants et les religieux sont obligés d’être au meilleur ou au très-bon degré ; mais tous les degrés ont apostasié de leur louable disposition, car la charité s’est changée en cupidité du monde ; car si l’on ôtait un seul florin de l’un de ces degrés, ils tairaient plutôt la vérité que de la défendre, s’ils le perdaient.
  Or, maintenant, l’épouse parle, disant : J’ai vu encore en terre comme plusieurs jardins, où, entre ces jardins, il y avait des roses et des lis. En quelque autre lieu, j’ai vu un champ, qui avait en longueur et en largeur cent pieds ; en chaque pied, sept grains de blé étaient semés, et chaque grain donnait un fruit centuple.
  Après ceci, j’ai ouï une voie qui disait : O Rome, Rome ! vos murailles sont ruinées ; c’est pourquoi vos portes sont sans gardes ; vos vases se vendent ; c’est pourquoi vos autels sont désolés ; on brûle le sacrifice vivant et l’encens du matin dans la chambre , c’est pourquoi il ne sort point du Sancta Sanctorum la sainte odeur très-suave.
  Et soudain, le Fils de Dieu, apparaissant, dit à l’épouse : Je vous veux montrer l’intelligence de ce que vous avez vu. La terre que vous avez vue signifie tous les lieux où est maintenant publiée la foi chrétienne. Les jardins signifient les lieux où les saints ont reçu leurs couronnes. Néanmoins, au paganisme, savoir, à Jérusalem et en autres lieux, il y a plusieurs autres lieux que vous n’avez pas vus, où il y a eu plusieurs élus de Dieu. Le champ de cent pieds en longueur et largeur signifie Rome, car si tous les jardins du monde étaient conjoints à Rome,
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certainement Rome serait aussi grande qu’elle a eu de martyrs ; je dis que si ses martyrs vivaient en chair, elle en serait autant peuplée, car ce lieu-là est élu pour l’amour de Dieu. Le blé que vous avez vu en chaque pied signifie ceux qui sont entrés dans le ciel par la mortification de la chair, par contrition et vie innocente. Les roses signifient les martyrs rougis par l’effusion de leur sang en diverses manières et en divers lieux. Les lis sont les confesseurs, qui ont publié la sainte foi par de paroles, et qui l’ont confirmée par leurs œuvres.
  Or, maintenant, je puis parler de Rome comme le Prophète parlait de Jérusalem : Autrefois, disait-il, la justice était en elle, et ses princes étaient princes de paix. Or, maintenant, elle est changée en écume, et ses princes sont homicides. O Rome ! si vous connaissiez vos jours, vous pleureriez certainement, et ne vous réjouiriez pas. Car Rome, les jours passés, était comme une toile colorée de la beauté et de l’éclat de plusieurs couleurs et tissu d’un excellent fil. Sa terre aussi était empourprée du sang que les martyrs y ont répandu, et était couverte des os des saints. Or, maintenant, ses portes sont désolées, car leurs gardiens et leurs défenseurs sont tous penchés à la cupidité. Ses murs sont par terre et sans garde, d’autant qu’on ne se soucie plus maintenant de la perte des âmes. Mais le clergé et le peuple, qui sont les murailles de Dieu, sont dispersés à la recherche des utilités charnelles ; ses vases sacrés se vendent avec mépris, d’autant qu’on administre les saints sacrements pour l’argent et pour les faveurs mondaines. Les autels sont tous désolés, car celui qui célèbre avec les vases, a ses mains vides
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De l’amour de Dieu, et jette les yeux aux offrandes ; et bien qu’ils aient Dieu en leurs mains, leur cœur néanmoins est tout vide de Dieu, car il est rempli des vanités mondaines. Le Saint des Saints, où autrefois on consommait le grand sacrifice, signifie le désir ardent de la jouissance de Dieu et de sa vision, d’où se devaient allumer et l’amour et la charité tant envers Dieu qu’envers le prochain, et s’y évaporer l’odeur d’une continence entière et de la solide vertu. Or, maintenant, on consomme les sacrifices à la chambre, c’est-à-dire, dans le monde, car toute la charité est changée en incontinence et en vanité mondaine. Telle est Rome corporellement comme vous l’avez vue, car plusieurs de ses autels sont désolés, les offrandes sont appendues aux tavernes ; ceux qui les offrent sont plus occupés au monde qu’à Dieu. Néanmoins, sachez que, depuis saint Pierre, humble pontife, jusqu’à ce que Boniface (VIII) montât au siège de superbe, un nombre d’âmes montèrent au ciel. Néanmoins, maintenant encore, Rome n’est pas sans amis de Dieu. Si on avait recours à eux, ils crieraient au Seigneur, et il leur ferait miséricorde.

XXVIII.

La Sainte Vierge Marie instruit l’épouse de la manière de savoir aimer. De quatre cités dans lesquelles se trouvent quatre charités, et laquelle des quatre se doit proprement nommer charité parfaite.

  La Mère de Dieu parle à l’épouse, disant : Ma fille, ne m’aimez-vous pas ?
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Elle répondit : O Dame, enseignez-moi comment il faut aimer, car mon âme a été noircie par la dilection fausse, et a été séduite d’un venin si mortifère qu’elle ne sait prendre la vraie dilection. Je vous enseignerai, dit la Mère de Dieu, car il y a quatre cités dans lesquelles on trouve quatre charités, car on ne doit pas nommer proprement charité, si ce n’est là où Dieu et l’âme sont unis en la conjonction des vertus.
  La première donc est une cité de probation, qui est le monde, dans lequel l’homme est mis, afin qu’il soit prouvé s’il aime Dieu ou non ; afin qu’il expérimente son infirmité ; afin qu’il ait les vertus, par lesquelles il retourne à la gloire, et afin que, se purifiant sur la terre, il soit couronné plus glorieusement dans les cieux. En cette cité, on trouve une charité désordonnée, quand on aime plus la chair que l’âme ; quand on y désire avec plus de ferveur  le corps que l’esprit ; quand on y honore le vice et qu’on y méprise la vertu ; quand on se plaît plus en pèlerinage qu’à la patrie ; quand on y craint plus un petit homme mortel que Dieu, qui régnera éternellement.
  La deuxième cité est celle de la purification, en laquelle on lave les souillures de l’âme, car il a plu à Dieu d’ordonner de tels lieux, dans lesquels celui qui doit être couronné est purifié ; qui, négligeant sa liberté, était insolent, mais néanmoins avec crainte de Dieu. En cette cité, on trouve la dilection imparfaite, car Dieu est aimé sous l’espérance qu’il les affranchira ces captivités, mais non pas d’une ferveur d’affection, pour l’amertume et dégoût qu’ils ont de satisfaire à leurs fautes.
  La troisième cité est de douleur, où est l’en-
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fer. En celle-là se trouve la dilection de toute sorte de malice, immondice, envie et endurcissement. En cette cité aussi règne Dieu, par la fureur de sa justice bien ordonnée, pas la mesure des supplices et par l’équité des mérites ; car comme les damnés ont péché les uns plus, les autres moins, de même, des bornes sont constituées à leurs peines et mérites ; car bien que tous les damnés soient plongés et abîmés dans les ténèbres, tous ne seront pas  pourtant d’une même manière, car les ténèbres diffèrent des ténèbres, l’horreur de l’horreur, et l’ardeur de l’ardeur. Dieu enfin dispose toutes choses par sa justice et sa miséricorde, voire même dans l’enfer, afin qu’autrement soient punis ceux qui ont péché par infirmité, autrement ceux qui n’ont que le péché originel, qui, bien que la punition de ce péché consiste en la privation de la vision divine et de l’éclat des élus, jouissent néanmoins du contentement de cette miséricorde, en ce qu’ils ne souffrent point l’horreur des supplices, puisqu’ils n’ont point commis de mauvaises œuvres actuellement. Autrement, si Dieu n’ordonnait et disposait toutes choses en poids et mesure, le diable n’aurait mesure en ses supplices et tourments.
  La quatrième cité est de gloire : en celle-là sont la délectation parfaite et la charité bien ordonnée ; on n’y désire autres choses que Dieu même et pour Dieu. Afin donc que vous arriviez à la perfection de cette cité, il faut que vous ayez quatre sortes de charités, savoir : bien ordonnée, pure, vraie et parfaite. La charité ordonnée est celle-là, quand la chair est seulement aimée pour le seul soutien ; le monde sans au-
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cune superfluité ; le prochain pour l’amour de Dieu ; l’ami à raison de la pureté de sa vie ; l’ennemi pour la seule récompense. La pure charité est quand on n’aime point le vice avec la vertu ; quand on méprise les coutumes rompues ; quand on n’excuse point ses péchés. La charité vraie est quand on aime Dieu de tout son cœur, de toute son affection ; quand on considère l’honneur que nous devons à Dieu, et combien nous le devons craindre en toutes nos actions ; quand, appuyés sur nos bonnes œuvres, nous ne commettons pas le moindre péché ;quand quelqu’un se modère soi-même, qu’il ne défaille par trop de ferveur, et quand il ne se laisse emporter au péché par pusillanimité et ignorance des tentations. La charité parfaite est quand rien n’est si doux à l’homme que Dieu :
elle commence par des renouvellements d’amour en cette vie, et elle est accomplie au ciel.
  Aimez donc cette parfaite et vraie charité, car tous ceux qui ne l’auront point seront purifiés avant d’entrer dans le ciel, si toutefois ils sont fidèles, fervents, humbles et baptisés, autrement ils iraient à la cité d’horreur. Car comme il y a un Dieu, de même il n’y a qu’une foi en l’Église de saint Pierre, un baptême, une gloire et une parfaite récompense. Partant, ceux qui désirent d’aller à Dieu, doivent avoir une même volonté et amour avec Dieu seul. Partant, misérables sont ceux-là qui parlent en ces termes : Il suffit que je sois au ciel le moindre ; je ne désire point être parfait. O folle pensée ! Comment y aura-t-il là quelque chose d’imparfait, où tous sont parfaits, les uns par l’innocence de leur vie, les autres par l’innocence d’enfant, les autres par purification, les autres de la foi et de bonne volonté.
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XXIX.

L’épouse sainte Brigitte loue la Sainte Vierge Marie, contenant la similitude du temple de Salomon, la vérité inexplicable de l’unité de la Divinité avec l’humanité, et en quelle manière les temples des prêtres sont peints avec vanité.

 Pour le jour de la Nativité de la Sainte Vierge.

Bénie soyez-vous, ô Mère de Dieu ! temple de Salomon, dont les murailles furent dorées ; dont le toit fut tout splendide, le pavé tout parsemé de pierres précieuses, la composition, la structure tout éclatantes, le dedans excellent, beau et délectable à voir ! Enfin vous êtes en toute manière semblable à ce temple, dans lequel le vrai Salomon s’est promené et s’est assis ; dans lequel il a conduit l’arche de gloire et la chandelier pour luire. De même, vous êtes, ô Vierge bénie ! le temple  de ce Salomon qui a fait la paix entre Dieu et les hommes, qui a réconcilié les coupables, donné la vie aux morts, et affranchi les pauvres de leurs créanciers. Vraiment, votre corps et votre âme ont été le temple de la Divinité, votre corps et votre âme où était le toit de la divine charité, sous lequel le Fils de Dieu, sortant du Père, vint à vous et habita joyeusement avec vous. Le pavé de ce temple fut votre vie tout bien composée et l’exercice assidu des vertus, d’autant que toute honnêteté a été en vous, car toutes choses ont été établies en vous humbles, dévotes, et toutes parfaites et accomplies. Les murailles de ce temple
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Furent en figure quadrangulaire, d’autant que vous ne vous troubliez par aucun opprobre, vous ne vous enorgueillissiez d’aucun honneur, vous ne vous inquiétiez par aucune impatience, et n’affectionniez rien que l’honneur et l’amour de Dieu. Les peintures de ce temple furent les feux continuels du Saint-Esprit, dont votre âme était tellement embrasée et élevée, qu’il n’y avait vertu qui ne fût avec plus de perfection et d’accomplissement en vous qu’en aucune autre créature.
  En ce temple, Dieu se promena ; lors il versa en vous les douceurs et les suavités de sa visite, et s’y reposa quand la Divinité s’associa avec l’humanité.
  Soyez donc bénie, ô très-heureuse Vierge ! en qui le grand Dieu s’est fait enfant, le Seigneur ancien un petit fils ; en qui Dieu éternel et Créateur invisible est fait visible entre les créatures. Partant donc, puisque vous êtes très-pieuse et très-puissante Dame, regardez en moi, je vous prie, et faites-moi miséricorde, car vous êtes la Mère de Salomon, non de celui qui a été fils de David, mais de celui qui est Père de David, et Seigneur de Salomon, qui édifiait ce temple merveilleux qui vraiment vous préfigurait ; car le Fils exaucera sa Mère, et une telle et si grande Mère ! Impétrez donc que l’enfant Salomon, qui fut en vous comme dormant, soit comme veillant en moi, afin qu’aucune délectation de péché ne me blesse, mais que la contrition des péchés commis soit constamment en moi ; que l’amour de monde soit mort en moi ; que la patience persévère en moi, et que ma pénitence soit fructueuse, car je n’ai point autre vertu en moi, sinon cette parole : Miséricorde, ô Marie ! car mon temple est tout contraire au votre : il
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Est obscurci de vices, de boue, de luxure, corrompu de la vermine des cupidités, inconstant, à raison de la superbe, vil à cause de la vanité des choses mondaines.
  La Mère répondit : Béni soit Dieu, qui vous a inspiré de dire cette salutation, afin que vous compreniez combien de douceur et de bonté est en Dieu. Mais pourquoi me comparez-vous à Salomon et au temple de Salomon, puisque je suis Mère de celui qui n’a ni commencement ni fin, et de celui dont on lit qu’il n’a eu ni père ni mère, savoir, Melchisédech, car il est écrit qu’il fut prêtre, et le temple de Dieu appartient aux prêtres, et partant, je suis  la Vierge Mère du souverain Prêtre ? Je vous dis en vérité que je suis l’un et l’autre, savoir, la Mère du roi Salomon, et la Mère du prêtre qui pacifie et allie tout ; car le Fils de Dieu, qui est aussi mon Fils, est l’un et l’autre prêtre et Roi des rois. D’ailleurs, il s’est revêtu en mon ventre spirituellement des vêtements sacerdotaux, desquels il   a offert sacrifice pour le monde. En la cité royale, il était couronné d’un diadème royal, mais bien âpre et poignant ; hors de là, il courait dans le camp comme un très-fort athlète, et s’exerçait au combat.
  Or, maintenant, je me puis justement plaindre que mon Fils est oublié et négligé des prêtres et des rois. Certes, les rois se glorifient de leur palais, de leurs armées et de l’avancement de l’honneur du monde, et les prêtres s’enorgueillissent des biens et possessions temporelles des âmes, car comme vous avez dit que le temple était peint d’or, de même les temples des prêtres sont peints de vanité et de curiosité mondaine, car la simonie règne en leur tête. L’arche du Testament est ôtée ; les lumiè-
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res des vertus sont éteintes ; la table de dévotion est désolée.
  L’épouse répondit : O Mère de miséricorde, ayez en pitié et priez pour eux !
  Le Mère répondit : Dieu, de toute éternité, a tellement aimé les siens que, non seulement il veut que soient exaucés ceux qui prient en leurs prières, mais encore que les autres sentent l’effet de leur demande. Partant, afin que les prières qu’on fait pour les autres soient exaucées, deux choses sont nécessaires : la volonté de quitter le péché, et le désir d’avancer dans le bien, car mes prières profiteront à tous ceux qui auront ces deux choses.

XXX.
Sainte Agnès parle à sainte Brigitte de la dilection qu’on doit obtenir de l’Époux, pour la Sainte Vierge Marie sous la figure d’une fleur. Comment la Vierge Marie glorieuse, parlant, déclare l’immense et éternelle piété divine contre notre impiété et notre ingratitude ; et comment les amis de Dieu ne se doivent inquiéter en leurs tribulations.

Pour le jour de sainte Agnès.

  Sainte Agnès parle à l’épouse, disant : Fille, aimez la Mère de miséricorde, car elle est semblable à une fleur ( le lis), la figure de laquelle est semblable à un glaive ; elle a les deux extrémités aiguës et la pointe menue ; elle surpasse les autres fleurs en hauteur et en largeur. De même la Sainte Vierge est la fleur de fleurs, fleur qui croît dans les vallées et s’est dilatée sur toutes les montagnes ; fleur, dis-je, qu’on nourrissait
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En Nazareth, et s’épandait jusques au Liban. Cette fleur a eu sur toutes la hauteur, car la sainte Reine du ciel excelle sur toutes les créatures en dignité et en puissance. Elle a aussi du cœur deux grands combats ou afflictions : l’un en la passion de son Fils, l’autre la constance au combat contre les incursions du diable, car elle ne consentait jamais au péché. Oh ! que ce vieillard prophétisa vraiment, lorsqu’il dit : Le glaive transpercera votre cœur, car elle endura et souffrit spirituellement autant de contre-coups de glaives que Jésus-Christ endura de coups et qu’elle voyait et prenait des plaies en son Fils ! Elle a eu encore une latitude excessive, c’est-à-dire, une miséricorde quasi incompréhensible, car elle fut tellement pieuse et miséricordieuse, qu’elle aima mieux endurer toute sorte de tribulations et que les âmes fussent rachetées, que ne les endurer pas. Or, maintenant, étant conjointe avec son Fils, elle n’oublie pas sa naturelle bonté, mais elle étend et dilate sa miséricorde à tous, voire jusques aux méchants ; que comme par le soleil les choses célestes et terrestres sont illuminées et échauffées, de même qu’il n’y ait aucun qui, par la douceur de Marie, ne ressente, s’il les demande, sa piété et sa clémence. Elle a une pointe fort aiguë, c’est-à-dire, l’humilité, car par elle, elle plut à l’ange, disant qu’elle était la servante, bien qu’elle fût élue sublimement en Dame. Par là même, elle conçut le Fils de Dieu, car elle ne voulut plaire aux superbes. Par là même, elle monta au trône souverain, car elle n’aima rien que Dieu. Allez donc, ô âme charnelle ! et saluez la Mère de miséricorde, qui vient tout maintenant.
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  Lorsque Marie apparaissant dit  à sainte Agnès : Vous avez prononcé mon nom sans épithète : ajoutez-y-en une.
  Sainte Agnès répondit : Si je vous dis très-belle ou très-vertueuse, cela ne convient de droit à autre qu’à vous, qui êtes la Mère du salut de tous.
  La Mère de Dieu répondit à sainte Agnès : Vous avez dit vrai, car je suis la plus puissante de tous, mais j’ajouterai un substantif et un adjectif à celle-ci, c’est-à-dire, charnelle du Saint-Esprit. Mais venez, ô charnelle ! et écoutez-moi : vous vous affligez que la maxime suivante coure parmi les hommes : Vivons selon notre plaisir, car Dieu est facilement apaisé. Servons-nous du monde et de ses honneurs pendant que nous pouvons, car le monde n’est fait que pour nous. Vraiment, ma fille, ces maximes ne viennent point de l’amour de Dieu, ni ne tendent ni n’attirent à l’amour de Dieu. Néanmoins, pour cela, Dieu n’oublie pas l’amour qu’il nous porte, mais à toute heure, pour l’ingratitude des hommes, il manifeste sa piété, car il est semblable à un bon maréchal qui maintenant échauffe le fer, maintenant le refroidit. De même Dieu, très-bon ouvrier qui a fait la monde de rien, manifesta son amour à Adam et à sa postérité. Mais les hommes se refroidirent tellement que, réputant Dieu comme rien, ils commirent d’abominables et énormes péchés. Partant, ayant manifesté sa miséricorde et ayant donné auparavant ses salutaires avertissements, Dieu montra les fureurs de sa justice par le déluge. Après le déluge, Dieu fit pacte avec Abraham et lui montra des signes de son amour, et conduisit toute sa lignée en signes et merveilles prodigieuses, Dieu
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Donna de sa propre bouche sa loi au peuple, et confirma ses paroles et ses commandements par des signes évidents. Le peuple, après quelque laps de temps écoulé en vanité, se refroidissant et se laissant emporter et transporter à tant de folies qu’il rendait le culte aux idoles, Dieu, tout bon, pieux et clément, voulant derechef embraser et échauffer les froids, envoya au monde son propre Fils, qui nous a enseigné la voie du ciel, et nous a montré la vraie humilité que nous devons suivre. Or, maintenant, il est par trop oublié de plusieurs, voire négligé ; mais néanmoins, maintenant, il montre et manifeste ses paroles de miséricorde ; mais toutes choses ne s’accompliront pas plus maintenant qu’auparavant, car avant que le déluge vînt, le peuple était plutôt averti et attendu à pénitence, comme Israël a été éprouvé avant d’entrer dans la terre promise, et a été différé jusques à son temps ; car de fait, Dieu pouvait tirer le peuple en quarante jours sans y employer quarante ans, s’il eût voulu, mais la justice de Dieu exigeait que l’ingratitude du peuple fût connue, que la miséricorde de Dieu fût manifestée, et que le peuple futur fût d’autant plus humilié.
  Or, maintenant, si quelqu’un voulait penser pourquoi Dieu affligeait de la sorte son peuple, ou pourquoi quelque peine doit être éternelle, puisque la vie ne peut être éternelle à pécher, ce serait une grande audace, comme celui-là est grandement audacieux qui s’efforce d’entendre et de comprendre comment Dieu est éternel. Enfin Dieu est éternel et incompréhensible, et en lui sont la justice, la récompense éternelle, et une miséricorde qui est au-delà de nos pensées. Autrement, si Dieu n’eût manifesté sa jus-
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tice aux premiers anges, comment connaîtrait-on sa justice, qui juge toutes choses en équité ? Et si derechef il n’eût fait miséricorde à l’homme en le créant et l’affranchissant en signes infinis, comment connaîtrait-on sa bonté, son amour immense et parfait ?
  Donc, d’autant que Dieu est éternel, sa justice est éternelle, en laquelle ne se font addition ni diminution aucune, comme se fait en l’homme qui pense faire entelle ou telle manière mon œuvre ou dessein, ou en tel jour. Or, quand Dieu fait miséricorde ou justice, il les manifeste en les accomplissant ; car devant lui, passé, présent et futur, tout est présent de toute éternité. C’est pourquoi les amis de Dieu doivent demeurer patiemment en l’amour de Dieu, et ne s’inquiéter point, bien qu’ils voient que les mondains prospèrent, car Dieu fait comme une bonne lavandière, qui met entre les vagues et les flots les draps les plus sales, afin que, par l’émotion de l’eau, ils se nettoient et se blanchissent, et évite avec soin la pointe des vagues, de peur qu’ils ne soient submergés. De même, Dieu met en cette vie ses amis entre les orages des tribulations et des pauvretés, afin que, par elles, ils soient purifiés pour la vie éternelle, les gardant soigneusement qu’ils ne se plongent en quelque excessive tristesse ou intolérable tribulation.
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Fin du Livre 3 des Révélations Célestes de saint Brigitte de Suède.
 

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