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Livre 1 des Révélations Célestes de Sainte Brigitte de Suède
les Apparitions, extases et locutions sont approuvées par trois papes et par le concile de Bâles,
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Livre 1
Chapitre 28
Paroles de Notre-Seigneur à son épouse, par lesquelles il
lui montre en
quelle manière quelqu'un vint devant le tribunal pour
être jugé, et de la
sentence horrible et formidable que lancèrent contre lui
Dieu et tous les
saints.

Sainte Brigitte, épouse, voyait Dieu comme courroucé, qui
disait : Je suis
sans commencement et sans fin ; il n'y a point en moi de
changement, ni dans
les ans, ni dans les jours, mais tout le temps de ce
monde est en moi comme
une heure ou comme un moment.  Celui qui me voyait,
voyait et entendait en
moi tout ce qui y est comme en un point ; mais parce que
vous, ô mon épouse
! êtes encore corporelle, vous ne pouvez le voir ni le
connaître comme un
esprit.  Partant, pour l'amour de vous, je vous
manifesterai tout ce qui
s'est passé.

Je suis assis comme au jugement criminel, d'autant que
tout jugement m'est
donné.  Quelqu'un (1) qui devait être jugé vint devant le
tribunal.  On
entendit la voix du Père, qui lui dit : Malheur à vous,
de ce que vous êtes
né ! Non pas que Dieu se repentît de l'avoir fait, mais
il parlait comme
celui qui a coutume de souffrir et de compatir à
l'affligé.  Après, la voix
du Fils répondit : J'ai versé mon sang pour l'amour de
vous, et j'ai
souffert pour vous une peine très amère ; vous vous êtes
éloigné de tout ce
bien, et n'avez rien en vous de tout ceci.  La voix du
Saint-Esprit dit :
J'ai cherché dans tous les replis de son coeur, pour
savoir si par hasard
j'y trouverais un peu de charité et d'affection, mais il
est froid comme la
glace, dur comme la pierre : je n'ai rien avec lui.  Les
trois vois n'ont
pas été ouïes comme s'il y avait trois dieux, mais elles
ont été proférées
pour l'amour de vous, ô mon épouse ! car vous ne pouviez
autrement entendre
ce mystère.

(1) Cet homme était un chanoine noble, sous-diacre.
Ayant obtenu une fusse
dispense pour épouser une fille fort riche, il mourut de
mort subite sans
jouir de ce qu'il désirait.

Après, ces trois voix du Père, du Fils et du
Saint-Esprit, se sont changées
soudain en une voix qui a dit : Le royaume des cieux ne
vous est dû
aucunement.  La Mère de miséricorde ne dit pas un mot,
n'ouvrit pas le sein
de sa miséricorde, car celui qui devait être jugé en
était indigne, et tous
les saints criaient d'une commune voix, disant : Telle
est la rigueur, telle
est la fureur de la divine justice, qu'il soit banni du
royaume et de la
joie éternelle.  Et tous ceux qui étaient en purgatoire
dirent : Les
douleurs que nous endurons, quelques amères qu'elles
soient, ne peuvent vous
punir de vos péchés, car vous méritez de souffrir de plus
grandes peines :
partant, vous serez séparé de nous.

Alors celui qui devait être jugé criait d'une voix
horrible, disant :
Malheur ! malheur à la semence dont j'ai été engendré et
formé ! Après, il
disait : Malheureuse soit l'heure où mon âme a été unie à
mon corps ! Maudit
soit celui qui m'a donné le corps et l'âme ! En troisième
lieu, il criait et
disait : Maudite soit l'heure où je suis sorti vivant du
ventre de ma mère !
Alors sortirent de l'enfer trois vois qui disaient :
Venez à moi, âme
maudite, entrez dans la mort éternelle et dans la douleur
sans fin.  Ensuite
une autre voix horrible, épouvantable, s'entendit, criant
: Venez, ô âme
vide de bien ! livrez-vous à notre malice, car il n'y
aura aucun de nous qui
ne vous replisse de la fureur de sa malice et de sa
peine.  En troisième
lieu, cette voix disait : Venez, ô âme maudite ! lourde
comme une pierre qui
s'enfonce toujours et ne trouve jamais le fond où elle
puisse reposer : de
même, vous descendrez en un lieu plus profond et plus
horrible que le nôtre,
afin que vous ne puissiez vous arrêter avant d'arriver à
l'abîme profond et
épouvantable.  Et alors Notre-Seigneur lui dit : Je fais
comme un homme qui
a plusieurs femmes : voyant la chute de l'une, il se
tourne vers les autres
et se réjouit avec elles : de même, je détourne de lui ma
face et ma
miséricorde infinie, et je regarde d'un oeil favorable
mes serviteurs et me
réjouis avec eux.  Partant, quand vous entendez la chute
funeste et la
misère déplorable de celui-ci, servez-moi aussi
sincèrement que je vous ai
fait plus de miséricorde.  Fuyez le monde impur et son
insatiable
concupiscence.  N'ai-je pas enduré une passion amère et
anéantissante pour
la gloire du monde ? Ne pouvais-je pas le racheter avec
moins de douleur ?
Oui, vraiment.  Mais la rigueur de la justice l'exigeait
de la sorte : car
comme l'homme avait péché par tous ses membres, aussi
fallait-il satisfaire
pour tous.  Pour cela, la Divinité, compatissant à
l'homme, brûla d'une si
grande charité et d'un si grand amour envers la Vierge
sainte, qu'elle prit
d'elle la nature humaine en laquelle Notre-Seigneur porta
toute la peine que
l'homme devait supporter.  Donc, si, pour l'amour de
vous, je supporte votre
peine, demeurez, comme mes vrais et fidèles serviteurs
demeurent, en
humilité, afin que vous n'ayez honte de rien ni ne
craigniez rien que moi.
Gardez-vous tellement de parler, que, si vous saviez que
ce fût ma volonté,
vous ne voudriez jamais parler.  Ne vous attristez pas
pour les choses
temporelles, car elles sont périssables, puisque je puis
enrichir et
appauvrir celui que je voudrai.  Partant, ô mon épouse !
mettez en moi toute
votre espérance.

Chapitre 29

Paroles de la Vierge Marie à sa fille, traitant de deux
âmes dont l'une
s'appelle Superbe, et l'autre Humilité, par laquelle
était désignée la
douceur de la Sainte Vierge.  De la venue que la Sainte
Vierge fait chez ses
amis à l'heure de la mort.

La Mère de Dieu parlait à l'épouse de son Fils, lui
disant : Il y a deux
dames, l'une sans nom spécial, car elle n'en mérite pas,
l'autre est
Humilité, qui s'appelle Marie.  Le démon domine la
première.

Un chevalier disait à cette dame : Je suis prêt à faire
tout ce que vous
voudrez et tout ce que je pourrai, pourvu que j'abuse
impurement de vous,
car je suis fort magnanime de coeur ; je ne crains rien ;
je suis prêt à
mourir pour vous.

La dame lui répondit : Mon serviteur, votre amour pour
moi est grand ; mais
moi, je suis assise sur un siège élevé.  Je n'ai qu'un
seul siège, et il y a
trois portes entre nous : la première est si étroite que
tout ce qui est
corporel s'y déchire quand l'homme y passe ; la deuxième
a des pointes si
aiguës qu'elles percent jusques aux nerfs ; la troisième
est si ardente que
le feu y est incessamment, de sorte que celui qui y passe
se fond soudain
comme du métal.

Le chevalier lui répondit : Je donnerai ma vie pour vous,
car je ne fais pas
grand cas de cette chute.

Cette dame, c'est la Superbe.  Celui qui voudra aller
vers elle passera pas
trois portes.  Celui-là entre par la première porte, qui
fait tout pour
s'attirer la louange des hommes et pour s'en
enorgueillir.  Celui-là entre
par la deuxième porte, qui fait tout, qui emploie ses
pensées et son temps
pour pouvoir accomplir la superbe ; qui, s'il le pouvait,
donnerait sa chair
à déchirer, pourvu qu'il pût acquérir de l'honneur et des
richesses.
Celui-là entre par la troisième, qui n'a jamais de repos,
qui ne se tait
jamais, et brûle comme un feu pour trouver les manières
de s'enorgueillir et
d'acquérir des honneurs.  Mais quand il aura acquis ce
qu'il désirait, il ne
demeurera guère en même état, mais il tombera
misérablement.  Et néanmoins,
la Superbe demeure dans le monde.

Quant à moi, dit la Vierge Marie, qui suis très humble,
je suis assise en un
lieu spacieux, et il n'y a au-dessus de moi ni lune ni
soleil, mais une
inestimable, une admirable sérénité, qui procède de la
majesté divine.
Au-dessous de moi, il n'y a ni terre ni pierres, mais un
incomparable repos
au sein de la divine vérité.  Auprès de moi, il n'y a
point de mur, mais une
glorieuse compagnie des anges et des âmes bienheureuses.
Et bien que je
sois assise si haut, néanmoins, j'entends les
gémissements et je vois les
larmes de mes amis qui sont sur la terre.  Je vois que
leurs peines et leur
force sont plus grandes que celles qui combattent pour
dame Superbe.
Partant, je les visiterai et les placerai sur mon trône,
qui est spacieux,
qui peut les contenir tous.  Mais ils ne pourront encore
venir à moi ni
s'asseoir avec moi, d'autant qu'il y a deux murs entre
eux, par lesquels je
les conduirai sûrement, afin qu'ils arrivent jusqu'à mon
trône.  Le premier
mur est le monde, qui est étroit et rigoureux : c'est
pourquoi je consolerai
mes serviteurs ; le second mur est la mort : partant,
moi, leur chère Dame
et leur Mère, j'irai au-devant d'eux ; je les assisterai
à la mort, afin
que, dans la mort, ils trouvent soulagement et
consolation.  Je les placerai
avec moi sur le trône de la joie céleste, afin qu'au sein
d'une dilection
perpétuelle et d'une éternelle gloire, ils reposent
éternellement avec une
joie qu'on ne peut exprimer.

Chapitre 30
Paroles amoureuse de Notre-Seigneur à son épouse, qui
traitent de la
multiplicité des faux chrétiens pour se crucifier avec
lui ; et comment,
s'il était possible, il serait de nouveau prêt à endurer
la mort pour les
pécheurs.

Je suis Dieu.  Mes pouvoirs sont infinis.  J'ai créé
toutes choses pour
l'utilité des hommes, afin qu'elles servissent toutes à
l'éducation de
l'homme ; mais l'homme abuse de toutes à son détriment.
Et d'ailleurs, il
se soucie bien peu de Dieu et l'aime moins que la
créature.  Les Juifs
irrités me firent, dans la passion, trois sortes de
peines : l'une fut le
bois sur lequel je fus cloué, fouetté et couronné ;
l'autre fut le fer avec
lequel mes pieds et mes mains furent attachés ; le
troisième fut le fiel
dont je fus abreuvé.  Après, ils blasphémaient contre
moi, disant que
j'étais un insensé, attendu que, franchement et
librement, je m'étais exposé
à souffrir la mort, et m'appelaient menteur en ma
doctrine.

Oh ! combien dans le monde, il y a maintenant de gens de
cette trempe, qui
me donnent bien peu de consolation ! car ils m'attachent
au bois par la
volonté qu'ils ont de pécher ; ils me fouettent par leur
impatience, car il
n'y en a pas un qui veuille souffrir une parole pour
l'amour de moi ; et ils
me couronnent des épines de superbe, d'autant qu'ils
veulent être plus
grands que moi.  Ils percent mes mains et mes pieds par
le fer de leur
endurcissement, attendu qu'ils se glorifient d'avoir
péché, et
s'endurcissent afin de me craindre.  Par le fiel, ils
m'offrent
d'insupportable tribulation ; par une passion
douloureuse, à laquelle
j'allais joyeusement, ils me croient insensé, et disent
que je suis un
menteur.  Or, de fait, je suis assez puissant pour les
submerger, même tout
le monde avec eux, à raison de leurs péchés, si je
voulais ; et si je les
submergeais, ceux qui resteraient me serviraient par
crainte ; mais cela ne
serait pas juste et équitable, attendu que, par amour,
ils devraient me
servir fidèlement.  Or, si je venais visiblement et en
personne chez eux,
leurs yeux ne pourraient me regarder, ni leurs oreilles
m'ouïr. En effet,
comment un homme mortel pourrait-il voir un immortel ? Je
mourrais certes
franchement, poussé par l'incomparable amour que j'ai
pour l'homme, s'il en
était besoin et si c'était possible.

Alors apparut la bienheureuse Vierge Marie, et son Fils
lui dit : Que
voulez-vous, ma Mère, ma bien-aimée ? Elle répondit :
Hélas ! mon Fils,
faites miséricorde à votre créature par l'amour de votre
amour.  Et
Notre-Seigneur repartit : Je leur ferai encore une fois
miséricorde pour
l'amour de vous.  Puis l'Époux, Notre-Seigneur, parlait à
son épouse, disant
: Je suis Dieu et Seigneur des anges.  Je suis Seigneur
de la mort et de la
vie.  Moi-même je veux demeurer en votre coeur.  Voici
combien d'amour j'ai
à votre égard : le ciel, la terre, et tout ce qui est en
eux, ne peuvent me
contenir, et toutefois, je veux demeurer en votre coeur,
qui n'est qu'un
petit morceau de chair.  Qui donc alors pourrez-vous
craindre ? De qui
pourriez-vous avoir besoin, quand vous avez en vous-même
le Dieu
tout-puissant, qui a en soi tout bien ?

Il faut donc qu'il y ait trois choses dans le coeur qui
doit être ma demeure
: le lit, dans lquel nous nous reposions, le siège sur
lequel nous nous
asseyons, la lumière, afin d'être illuminés.  Donc, qu'en
votre coeur soit
un lit de repos et de quiétude, afin que vous vous
retiriez des pensées
perverses et des désirs du monde, et que vous considériez
incessamment la
joie éternelle.  Le siège doit être la volonté de
demeurer avec moi, bien
qu'il arrive parfois que vous excédiez : car c'est
l'ordre de la nature
d'être toujours en même état.  Or, celui-là s'arrête en
même état qui désire
d'être au monde et de ne s'asseoir jamais avec moi.  La
lumière doit être la
foi, par laquelle vous croyiez que je puis tout et que je
suis tout-puissant
par-dessus tout.

Chapitre 31

En quelle manière l'épouse voyait la très douce Vierge
Marie enrichie d'une
couronne et d'autres ornements, et comment saint
Jean-Baptiste lui apparut
et lui déclara ce que signifient la couronne et les
autres ornements.

L'épouse sainte Brigitte voyait la Mère de Dieu et la
Reine du ciel qui
avait sur sa tête une inestimable couronne.  Ses cheveux,
d'un éclat et
d'une beauté admirables, tombaient sur ses épaules.  Elle
avait une tunique
d'or d'une splendeur éclatant, et un manteau bleu comme
le ciel ; mais elle
était ravie en admiration d'une vision singulière, et
elle était immobile
d'admiration, comme aliénée de soi par la vue intérieure.
Soudain lui
apparut saint Jean Baptiste qui lui dit : Écoutez
attentivement : je vais
vous dire ce que ces choses signifient.

La couronne signifie que la Sainte Vierge est Reine,
Dame, Mère du Roi et
des anges.  Les cheveux épars signifient qu'elle est
vierge très pure et
très parfaite.  Son manteau bleu comme le ciel signifie
que toutes les
choses temporelles lui étaient comme mortes.  Sa tunique
d'or signifie
qu'elle fut ardente en amour et en charité, tant
intérieurement
qu'extérieurement.

Son Fils a mis en sa couronne sept lys, et entre les lys,
sept pierres
précieuses.  Le premier lys, c'est son humilité, le
deuxième la crainte, le
troisième l'obéissance, le quatrième la patience, le
cinquième la stabilité,
le sixième la douceur, car c'est à ceux qui sont doux
qu'il convient fort
bien de donner à tous ceux qui demandent ; le septième
est la miséricorde
dans les nécessités : en effet, en quelque nécessité que
l'homme se trouve,
s'il l'invoque, il sera sauvé.

Le Fils de Dieu a mis entre ces sept lys sept pierres
précieuses : la
première, c'est son éminente vertu : en effet, il n'est
pas, dans quelque
esprit, dans quelque corps que ce soit, de vertu que
cette Vierge sainte
n'ait en elle plus excellemment et avec plus d'éminence ;
la deuxième est
une pureté parfaite, car cette Reine du ciel a été si
pure, qu'il ne s'est
pas trouvé en elle la moindre tache de péché, depuis le
jour de sa naissance
jusqu'au dernier période de sa vie ; tous les démons
n'ont pu trouver en
elle la moindre impureté.  Vraiment, elle fut très pure,
car il était décent
que le Roi de gloire ne reposât qu'en un vase qui fût
très pur et très
choisi par-dessus les anges et les hommes.   La troisième
pierre précieuse
est la beauté, d'autant que Dieu est loué de la beauté de
sa Mère par ses
saints, et la joie de tous les anges, de tous les saints
et de toutes les
saintes, est accomplie. La quatrième pierre précieuse de
la couronne est la
sagesse de la Vierge Mère, car étant enrichie d'éclat et
de beauté, elle a
été remplie et accomplie de toute sagesse avec Dieu.  La
cinquième est la
force, d'autant qu'elle est si forte avec Dieu qu'elle
peut ruiner et perdre
tout ce qui est créé.  La sixième pierre, c'est son éclat
et sa clarté, car
les anges, qui ont leurs yeux plus claires que la
lumière, sont illuminés de
son éclat, et les démons, éblouis de sa beauté, n'osent
regarder sa
splendeur.  La septième pierre est la plénitude de toute
délectation, de
toute douceur spirituelle, qui est en elle avec tant de
plénitude, qu'il n'y
joie qui ne soit augmentée par la sienne, nulle
délectiation qui ne
s'accomplisse de la vue bienheureuse d'elle ; car elle a
été remplie de
grâce par-dessus tous les saints ; car elle est le vase
de pureté où s'est
trouvé le pain des anges, et où se trouvent toute douceur
et toute beauté.
Son Fils a mis ces pierres entre les lys qui était sur la
couronne de la
Vierge.  Honorez-la donc, ô épouse du Fils ! et louez-la
de tout votre coeur
: elle est digne en effet de tout honneur et de toute
louange.

Chapitre 32

En quelle manière l'épouse sainte Brigitte, étant avertie
de Dieu, choisit
la pauvreté, rejeta les richesses et méprisa sa maison.
De la vérité de ce
qui lui a été révélé, et de trois choses notables que
Jésus-Christ lui
montra.

Vous devez être comme un homme qui épand et qui amasse :
vous devez laisser
les richesses de l'esprit, les richesses du corps et
amasser les vertus ;
laisser ce qui est périssable et entasser ce qui est
durable ; abandonner
les choses visibles et ammasser les choses invisibles :
car je vous
donnerai, pour la délectation de la chair, la joie et
l'ivresse de l'esprit
; pour le plaisir du monde, la délectation du ciel ; pour
l'honneur du
monde, l'honneur des anges ; pour la vue de vos parents
et leur
conversation, la vision ravissante de Dieu ; pour la
possession des biens,
je me donnerai moi-même à vous, moi, auteur, créateur et
source inépuisable
de tous biens.

Dites-moi trois choses que je vous demande : 1°
voulez-vous être riche ou
pauvre en ce monde ? Elle répondit : Seigneur, j'aime
mieux être pauvre que
riche, attendu que les richesses ne m'apportent d'autre
bien qu'une
importune sollicitude qui me retire du service de mon
auguste et adorable
Dieu.  2° N'avez-vous pas trouvé en mes paroles, que vous
avez ouïes de ma
bouche, quelque chose de faux ou de répréhensible, selon
votre pensée ?
Hélas ! non, dit-elle, car tout est selon la raison. 3° Y
a-t-il plus de
contentement dans les plaisirs de la chair, que vous avez
eus autrefois, que
dans les plaisirs de l'esprit, dont vous jouissez
maintenant ? J'ai honte,
dit-elle, de penser à l'ombre fuyante des plaisirs
charnels passés, et ils
me sont maintenant comme autant de poisons, et d'autant
plus amers que je
les ai aimés avec plus de passion, car j'aimerais mieux
mourir que de les
reprendre, et il n'y a pas de comparaison entre les
plaisirs spirituels et
les plaisirs corporels.

Vous éprouvez donc en vous, dit Notre-Seigneur, que ce
que je vous avais dit
autrefois est véritable.  Pourquoi craignez-vous donc, ou
pourquoi vous
inquiétez-vous si je tarde de faire ce que je vous ai dit
? Considérez les
prophètes, les apôtres et les saints docteurs : ont-ils
trouvé en moi,
source de la vérité, autre chose que la vérité ? C'est
pourquoi ils ne se
sont souciés ni du monde ni de la concupiscence.  Ou
bien, pourquoi les
prophètes ont-ils prophétisé de si loin les choses à
venir, si ce n'est que
Dieu a voulu que les paroles fussent d'abord connues,
puis que les oeuvres
les suivissent, et que les ignorants fussent instruits
dans la foi ? Car
tous les mystères de mon ineffable incarnation furent
auparavant connus des
prophètes, voire l'étoile qui conduisit les mages fut
prévue par eux.  Ceux
qui croyaient aux paroles du Prophète méritèrent de voir
ce qu'ils croyaient
; et ayant vu l'étoile, ils en ont soudain été faits
certains.  De même
maintenant, mes paroles doivent être premièrement
annoncées, et après que
les oeuvres auront suivi, on y croira plus évidemment.

Je vous ai montré trois choses : la première, c'est la
conscience d'un
certain homme que je vous montrai par des signes très
évidents quand je
manifestais son péché.  Mais pourquoi ne pouvais-je pas
le faire mourir ou
ne pouvais-je pas le submerger en un instant ? Je le
pouvais de fait ; mais
pour instruire les autres et pour l'évidence de mes
paroles, et afin que je
manifeste combien je suis juste et patient, et combien
est malheureux celui
que le diable domine, je ne l'ai pas voulu faire.  Voilà
les raisons
pourquoi mon insigne patience le souffre encore, car à
cause de la volonté
qu'il a de continuer son péché et de la délectation qu'il
y prend, la
puissance du daible enragé s'est tellement augmentée sur
lui, que ni la
douceur des paroles, ni la rigueur des menaces, ni la
crainte de la géhenne
infernale, ne le peuvent rappeler.  Et certes, il est
digne de cela, car il
a eu la volonté de pécher toujours, bien qu'il ne l'ait
pas mise à effet.
Il mérite donc d'être mis éternellement en enfer avec le
diable, d'autant
que le moindre péché mortel auquel on se délecte, si on
ne s'amende pas, est
suffisant pour la damnation éternelle.  Je vous en ai
encore montré deux
autres : le corps de l'un était furieusement tourmenté
par le diable, mais
il n'était pas dans son âme ; il obscurcissait la
conscience de l'autre par
des ruses et des tromperies ; toutefois, il n'était pas
dans son âme et il
n'avait aucune puissance sur elle.

Mais peut-être vous vous enquerrez si l'âme et la
conscience, ce n'est pas
la même chose.  Le diable n'est-il pas dans l'âme, quand
il est dans la
conscience ? Non, car comme le corps a deux yeux par le
moyen desquels il
voit, et que, bien qu'on ôte les yeux du corps, il
demeure néanmoins entier,
de même en est-il de l'âme.  En effet, bien que
l'entendement et la
conscience soient quelquefois troublés quant à la peine,
néanmoins l'âme
n'est pas offensée quant à la coulpe : c'est pourquoi le
diable dominait la
conscience de l'un et non pas son âme.  Je vous montrerai
le troisième, dont
la conscience et l'âme sont entièrement dominées par le
démon, et le démon
n'en sortira pas, à moins qu'il n'y soit contraint par ma
toute-puissance et
par ma grâce spéciale.  Le diable sort librement de
quelques hommes et fort
vitement, et des autres, non sans y être contraint, car
le diable entre en
quelques-uns, ou à cause du péché des parents, ou bien
par quelque secret
jugement de Dieu, comme on le voit dans les enfants et
les insensés.  Il
entre dans les autres à cause de l'infidélité ou quelque
autre péché.  Le
diable sort fort librement de cuex-ci, s'il est jugé par
ceux qui savent des
conjurations et autres artifices pour le chasser ; s'ils
le chassent par
vaine gloire, ou bien pour quelque lucre temporel, alors
le diable a le
pouvoir d'entrer en celui qui l'avait chassé de l'autre,
et de nouveau en
celui-ci même, duquel il a été chassé, d'autant que
l'amour de Dieu n'était
ni en l'un ni en l'autre.  Or, il ne sort jamais de ceux
qu'il possède
corporellement et spirituellement, que par ma puissance.
Comme le vinaigre,
s'il est mêlé au vin doux, le corrompt entièrement et ne
peut jamais en être
séparé, de même le diable ne sort jamais que par ma
puissance d'une âme
qu'il possède.  Or, ce vin n'est autre chose que l'âme,
qui m'a été si chère
et par-dessus toutes les créatures, que j'ai permis qu'on
coupât mes nerfs
et qu'on déchirât ma chair jusques aux côtes pour l'amour
d'elle ; et avant
que cette âme me fût ôtée, j'ai souffert la mort.  Ce vin
se conserve dans
la lie, d'autant que j'ai mis l'âme dans le corps, où,
comme dans un vase
clos, elle était conservée pour accomplir mes volontés.
Mais on a mêlé à ce
doux vin le vinaigre, qui est le diable, dont la malice
m'est plus aigre et
plus abomiable que le vinaigre.  Ce vinaigre,
c'est-à-dire, le diable, sera
chassé de cet homme dont je vous ai dit le nom, afin
qu'en lui je vous
montre ma miséricorde infinie et mon incomparable
sagesse, et dans le
premier, ma justice rigoureuse et mon épouvantable
jugement.

Chapitre 33

Paroles par lesquelles Notre-Seigneur avertit son épouse,
pour discerner la
vraie sagesse de la fausse.  Comment les bons anges
assitent les hommes
sages, et comment les diables sont auprès des hommes
méchants.

Mes amis sont comme quelques écoliers qui ont trois
choses : la première,
une conscience et une intelligence ; la deuxième une
sagesse sans l'avoir
apprise des hommes, d'autant que moi-même je les enseigne
intérieurement ;
la troisième, c'est qu'ils sont plein de douceurs, et de
dilection divine,
par le moyen de laquelle ils surmontent le diable.  Mais
maintenant, les
hommes apprennent au rebours : 1° ils veulent être
savants pour
s'enorgueillir et pour être réputés bons clercs ; 2° pour
acquérir des
richesses ; 3° pour se faire passage et jour aux honneurs
et aux dignités.
C'est pourquoi, quand ils entrent et qu'ils sortent des
écoles, je me
retirent d'eux, d'autant qu'ils apprennnent pour
s'enorgueillir, et moi, je
leur ai enseigné l'humilité.  Ils y entrent pour la
cupidité d'avoir, et moi
je n'ai rien eu pour appuyer ma tête.  Ils y entrent pour
obtenir les
charges et les dignités, portant envie à ceux qui les
surpassent, et moi,
j'étais jugé par Pilate et j'étais risée d'Hérode : c'est
pourquoi je me
retire d'eux, car ils n'apprennent pas ma doctrine.  Mais
néanmoins, parce
que je suis bon et doux, je donnce ce qu'on me demande,
car celui qui me
demande du pain en aura, celui qui me demande un lit le
recevra.  Or, mes
amis demandent du pain quand ils cherchent et apprennent
la sagesse divine,
dans laquelle est mon amour ; mais d'autres demandent un
lit, c'est-à-dire,
une sagesse mondaine ; car comme il n'y aucune utilité
dans le lit, mais
qu'il y a de la paille, pâture des animaux
irraisonnables, il en est de même
de la sagesse du monde, qu'ils cherchent avec tant de
passion : il n'y a en
elle aucune utilité, aucun rassasiement de l'âme, toute
sa sagesse est
réduite à néant et ne peut être vue de ceux par qui il
était loué.  De là
vient que je suis comme un grand seigneur qui a plusieurs
serviteurs qui
distribuent de la part de leur maître tout ce qui est
nécessaire ; de même
les bons et les mauvais anges s'arrêtent à mon
commandement.  Or, ceux qui
apprennent ma sagesse admirable, c'est-à-dire, à me bien
servir, sont servis
par les bons anges, qui les repaissent d'une consolation
indicible et d'un
délectable labeur.  Mais les mauvais anges assistent les
sages du monde,
leur suggèrent et forment en eux les désirs inutiles,
selon leur volonté,
leur inspirant des pensées laborieuses.  Vraiment s'ils
se tournaient vers
moi, s'ils se convertissaient, je pourrais leur donner du
pain sans labeur.
Le monde leur en donne, mais ils n'en sont jamais
rassasiés, attendu qu'ils
changent la douceur en amertume.  Or, vous, ô ma chère
épouse ! vous devez
être comme le lait, et votre corps comme une forme dans
laquelle on met le
lait jusqu'à ce qu'il ait pris la figure de cette forme :
de même votre âme,
qui m'est douce et délectable comme un fromage, doit
aussi longtemps être
purifiée et éprouvée dans le corps, jusqu'à ce que le
corps et l'âme soient
d'accord et aient une même continence, que la chair
obéisse à l'esprit, et
que l'esprit régisse et conduise dûment la chair à toute
sorte de vertus.

Chapitre 34

Doctrine de Jésus-Christ à son épouse, par laquelle il
lui enseigne la manière de vivre.  Comment le diable confesse que
Jésus-Christ aime son épouse par-dessus toutes choses.  De la question que le
diable fait à Notre-Seigneur, savoir : pourquoi Notre-Seigneur aime
tant les hommes, et de l'amour que Jésus a envers son épouse, amour qui a été
manifesté par le diable.

Je suis le Créateur du ciel et de la terre. J'ai été dans
le sein de la
Vierge, vrai Dieu et vrai homme, qui mourut, ressuscita
et monta au ciel.
Vous, ô ma nouvelle épouse ! vous êtes venue en un lieu
inconnu.  Il faut
donc que vous ayez quatre choses : 1° il faut savoir le
langage du pays ; 2°
avoir les vêtements que l’on y porte ; 3° savoir disposer
les jours et les
temps suivant les coutumes de ce pays ; 4° s’accoutumer
aux viandes que l’on
y mange.  De même, vous qui êtes venue de l’instabilité
du monde à la
stabilité éternelle, vous devez avoir : 1° un langage
nouveau, c’est-à-dire,
vous abstenir des paroles inutiles, et quelquefois même
des paroles licites,
pour la grandeur et pour l’honneur du silence.  2° Vos
vêtements doivent
être l’humilité intérieure et extérieure, afin que vous
ne vous éleviez,
comme si vous étiez plus sainte que les autres, et que
vous n’ayez pas honte
de vous montrer extérieurement humble.  3° Vous devez
modérer le temps, car
comme vous avez sacrifié beaucoup de temps aux nécessités
corporelles, de
même maintenant vous devez avoir le temps pour
l’avancement de l’âme,
savoir, qu’en tout vous ne vouliez m’offenser ; 4° cette
nouvelle viande est
l’abstinence des viandes délicates avec discrétion,
conformément aux forces
de la nature, car l’abstinence qui se fait par-dessus les
forces de la
nature ne me plaît point, d’autant que je demande ce qui
est raisonnable,
afin que la volupté soit domptée.

Alors le diable apparut soudain.  Notre-Seigneur lui dit
: Tu as été créé
par moi, et tu as vu et senti les rigueurs de ma justice.
Réponds-moi :
cette nouvelle épouse m’appartient-elle légitimement et
justement ? Je te
permets de voir son cœur et de le sonder, afin que tu
saches ce qu’il me
faut répondre.  Aime-t-elle quelque chose comme moi, ou
voudrait-elle me
changer en quelque chose ?

Le diable répondit : Elle n’aime rien autant que vous, et
voudrait plutôt
souffrir toute sorte de supplices ( si vous lui en
donniez la sagesse et la
force ), que se séparer de vous.  Je vois comme un
certain lien d’amour qui
descend de vous à elle, qui lie en telle sorte son cœur
qu’elle ne pense
qu’à vous et qu’elle n’aime que vous.

Alors Notre-Seigneur dit au diable : Dis-moi comment te
plaît la dilection
que je lui porte.

Le diable dit : J’ai deux yeux, l’un corporel, bien que
je n’aie pas de
corps.  Avec cet œil je connais si clairement les choses
corporelles qu’il
n’y a rien de si caché ni de si obscur que je ne
connaisse ; l’autre est
spirituel, avec lequel je vois la moindre peine due au
péché ; et il n’y a
pas de péché, quelque petit qu’il soit, que je ne
punisse, s’il n’est
purifié par la sainte pénitence.  Mais bien que les yeux
n’aient pas des
membres, néanmoins, je souffrirais peut-être volontiers
que deux flambeaux
ardents me les pénétrassent incessamment, pourvu que
cette épouse fût
aveugle des yeux spirituels.

J’ai aussi deux oreilles : une corporelle, avec laquelle
j’entends les
choses les plus secrètes ; l’autre spirituelle, avec
laquelle j’entends
toutes les pensées, toutes les affections au péché,
quelque cachées qu’elles
soient, si elles ne sont pas effacées par la pénitence.
Il y a en enfer une
peine toujours bouillante : je souffrirais qu’elle entrât
incessamment en
mes oreilles, et qu’elle me sortît incessamment, comme un
torrent impétueux,
pourvu que cette épouse n’ouït point des oreilles
spirituelles.

J’ai aussi un cœur spirituel : je souffrirais franchement
qu’il fût mis en
lambeaux et qu’il fût toujours en proie à de nouveaux
supplices, pourvu que
son cœur se refroidît en votre amour.

Or, parce que vous êtes juste, je vous demande une
parole, afin que vous me
disiez pourquoi vous l’aimez tant, ou pourquoi vous
n’avez pas élu une plus
sainte, plus riche et plus belle créature.

Notre-Seigneur lui dit : Ma justice l’exigeait ainsi.
Or, toi, qui as été
créé par moi, qui as vu ma justice, dis-moi en présence
d’elle pourquoi tu
es tombé si misérablement, ou quelle était ta pensée
quand tu tombas.

Le diable lui répondit : J’ai vu en vous trois choses :
j’ai connu votre
gloire, en considérant ma beauté et mon éclat, et que
vous deviez être
honoré sur toutes choses, et je pensai à ma gloire :
partant,
m’enorgueillissant, je résolus. Non pas de vous être
seulement égal, mais de
vous surpasser.  Après, je connus que vous étiez plus
puissants que tous,
c’est pour cela que je désirais être plus puissant que
vous.  En troisième
lieu, je vois les choses futures qui viennent
nécessairement, et que votre
gloire et votre honneur sont sans principe et sans fin :
j’enviai cela, et
je pensai en moi-même que je souffrirais volontiers des
peines et des
tourments pourvu que vous cessassiez d’être ; et en cette
pensée, je tombai
misérablement, et c’est pour cela que l’enfer existe.

Notre-Seigneur répondit : Tu t’es enquis pourquoi j’aime
tant cette épouse :
certainement parce que je change tout ta malice en bien :
car toi, d’autant
que tu es superbe, tu as voulu m’avoir pour égal, moi qui
suis ton Créateur.
  C’est pourquoi, m’humiliant, j’assemble tous les
pécheurs, et je me
compare à eux, les faisant participants de ma gloire
infinie.  En deuxième
lieu, d’autant que tu as eu une cupidité si dépravée que
de vouloir être plu
s puissant que moi, c’est pourquoi je rends les pécheurs
puissants sur toi
et puissants avec moi.  En troisième lieu, c’est parce
que tu m’as porté
envie, à moi qui suis si charitable que je m’offrirais
pour les pécheurs.

Ensuite, Notre-Seigneur lui dit : Maintenant, ô diable !
ton esprit
ténébreux est illuminé.  Dis, en telle sorte que mon
épouse l’entende, dis
de quel amour je l’aime.

Le diable repartit : S’il était possible, vous
souffririez volontiers une
peine telle que vous avez souffert en chacun de vos
membres, plutôt que de
vous priver d’elle !

Alors, Notre-Seigneur repartit : Si je suis donc si
miséricordieux que je ne
refuse le pardon à aucun de ceux qui me le demandent,
demande-moi humblement
miséricorde, toi aussi, et je te la donnerai.

Le diable lui repartit : Je n’en ferai rien, car quand je
tombai, il fut
ordonné une peine pour chaque péché, ou pour toute pensée
et parole
inutiles, et tous les esprits qui sont tombés ont chacun
une peine infligée.
  Partant, plutôt que de fléchir mon genou devant vous,
j’aimerais mieux
attirer sur moi et engloutir toutes les peines, tous les
supplices, bien que
leur rigueur fût incessamment renouvelée.

Alors, Notre-Seigneur dit à son épouse : Voyez combien
est endurci le prince
du monde, et combien il est puissant par ma justice
cachée : car de fait,
mon adorable et redoutable puissance pourrait l’effacer
tout à fait en un
instant, mais néanmoins, je ne lui fais pas plus d’injure
qu’au bon ange,
qui, dans le ciel, m’aime et m’adore.  Mais quand le
temps sera arrivé (il
s’approche maintenant), je le jugerai, lui et ses
complices.  Partant, ô mon
épouse ! avancez incessamment en bonnes œuvres ;
aimez-moi de tout votre
cœur ; ne craignez que moi seul, car je suis le maître du
démon et de tout
ce qui existe.

Chapitre 35

Paroles de la Sainte Vierge Marie à l’épouse, qui
expliquent les douleurs
tolérées en la passion de Jésus-Christ.  Comment, par Adam
et Ève, le monde
a été vendu, et en quelle manière il a été racheté par
Jésus-Christ et par
sa Mère.

Considérez, ma fille, disait la Vierge Marie, la passion
de mon Fils, dont
les membres furent presque mes membres et dont le cœur fut
presque mon cœur
: car lui, comme le reste des enfants, a été dans mon
sein, mais il a été
conçu d’un fervent amour de la dilection divine, et les
autres, de la
concupiscence de la chair.  De là vient que saint Jean,
son cousins, dit
bien à propos : Le Verbe s’est fait chair ; car par une
incomparable
charité, il est venu et il a demeuré en moi.  Or, la
parole et l’amour le
produisirent en moi.  Je ressentais comme si la moitié de
mon cœur sortait
de moi, et quand il souffrait, j’en ressentais la douleur,
comme si mon cœur
eût enduré ses tourments.  Car comme ce qui est la moitié
dehors et la
moitié dedans, ce qui est dedans le ressent, de même,
quand mon Fils était
frappé et flagellé, mon cœur l’était aussi.

J’ai été aussi la plus proche de lui dans sa passion.  Je
ne me séparai pas
de lui ; je restai près de la croix ; et comme ce qui est
plus près du cœur
est affligé plus rudement, de même sa douleur m’était plus
amère qu’à tous.
Quand il me regarda du haut de la croix et que je le
regardai, des torrents
de larmes sortaient de mes yeux ; et quand il me vit
brisée de douleur, il
ressentit tant d’amertume de ma douleur, que la douleur de
ses plaies lui
sembla assoupie.  Partant, j’ose dire que sa douleur était
ma douleur,
d’autant que son cœur était mon cœur ; car comme Adam et
Ève ont vendu le
monde par une pomme, de même mon cher Fils et moi l’avons
racheté comme par
un cœur.  Considérez donc, ma fille, quelle j’étais en la
mort de mon Fils,
et il ne vous sera pas fâcheux de laisser le monde et de
vous en dégoûter.

Chapitre 36

Notre-Seigneur répond à l’ange qui priait pour cette
épouse.  Il lui faut
donner les tribulations du corps et de l’esprit, d’autant
que les plus
grandes tribulations sont données aux âmes les plus
parfaites.

Notre-Seigneur répondit à l’ange qui priait pour l’épouse
de son Seigneur,
lui disant : Vous êtes comme un soldat qui ne laisse
jamais son heaume par
mécontentement, et à qui la peur ne fait jamais détourner
les yeux du
combat, quoique sanglant.  Vous êtes stable comme une
montagne, ardent comme
une flamme.  Vous êtes comme un monde d’éclat, et partant,
vous n’avez point
de tache.  Vous demandez miséricorde pour mon épouse, bien
que vous sachiez
toutes choses et les voyiez en moi.  Toutefois, dites-moi
en sa présence
quelle miséricorde vous demandez pour elle, car il y a
trois sortes de
miséricordes : une par laquelle le corps est puni, et on
pardonne à l’âme,
comme on fit à Job, mon serviteur, dont la chair fut
livrée à toutes sorte
de douleurs et dont l’âme fut sauvée.  La deuxième
miséricorde, c’est quand
on pardonne au corps et à l’âme, et qu’on les rend quittes
de la peine,
comme à ce roi qui jouit de toute sorte de plaisirs, et ne
ressentit,
pendant qu’il vécut dans le monde, aucune sorte de
douleur, ni dans son
corps ni dans son esprit.  La troisième miséricorde, c’est
quand le corps et
l’âme sont punis, afin qu’on ressente la tribulation en la
chair et la
douleur dans le cœur comme saint Pierre, saint Paul et
autres saints ; car
dans le monde, les hommes sont partagés en trois états :
l’un est de ceux
qui tombent dans le péché et se relèvent de nouveau : je
permets que parfois
ceux-ci aient des trivulations au corps, afin qu’ils
soient sauvés ; l’autre
état est de ceux qui vivraient volontiers éternellement,
pour pécher
éternellement, qui ont tous leurs désirs liés et abîmés
dans le monde : que
si parfois ils font quelque chose pour moi, ils le font
avec intention que
les choses temporelles s’augmentent et s’accroissent.  À
ceux-ci ne sont pas
données les tribulations du corps ni grande affliction
d’esprit, mais ils
sont laissés en leur puissance et en leur propre volonté,
car pour un petit
bien qu’ils ont fait pour l’amour de moi, ils en reçoivent
ici leur
récompense, pour être tourmentés éternellement en l’autre
monde.  En effet,
puisque leur volonté de pécher est éternelle, éternelle
aussi doit être leur
peine.  Le troisième état de ceux qui craignent plus mon
offense que la
peine qui leur en est due, et qui aimeraient mieux être
éternellement
tourmentés par des peines intolérables, que de provoquer
mon ire et mon
indignation.  A ceux-ci sont données les peines et les
tribulations
corporelles et spirituelles, comme à saint Pierre, à saint
Paul et à
d’autres saints, afin qu’ils s’amendent, dans le monde, de
tout ce qu’ils
ont fait dans le monde, ou bien afin qu’ils soient
purifiés pour quelque
temps, pour une plus grande gloire et pour l’exemple des
autres.  J’ai cette
triple miséricorde en ce royaume avec trois personnes qui
vous sont connues.
  Donc, maintenant, ô ange, mon serviteur, quelle
miséricorde demandez-vous
pour mon épouse ?

L’ange répondit : Je demande la miséricorde de l’âme et du
corps, afin
qu’elle amende en ce monde toutes ses fautes, et qu’aucun
de ses péchés ne
vienne en jugement.

Notre-Seigneur lui repartit : Qu’il soit fait selon votre
volonté.  Après,
il parla à son épouse : Vous êtes à moi, partant je ferai
en vous comme il
me plaira.  N’aimez rien autant que moi. Purifiez-vous
donc du péché,
suivant la direction et le conseil de ceux à qui je vous
ai confiée. Ne leur
cachez aucun péché ; examinez-les tous ; ne pensez pas
qu’aucun péché soit
petit ; n’en négligez pas un, car tout ce que vous
laisserez, je le réduirai
en mémoire et je le jugerai.  Certes, aucuns de vos
péchés, qui, en cette
vie, auront été effacés par la pénitence, ne seront soumis
à mon
épouvantable jugement.  Or, ceux dont on n’aura pas fait
pénitence en cette
vie mourante, seront purgés en purgatoire, ou par quelque
autre moyen ou
occulte jugement, s’ils ne sont amendés ici par quelque
satisfaction.

Chapitre 37

La Sainte Vierge Marie parle à son épouse sainte Brigitte
de l’excellence de
son Fils.  En quelle manière, maintenant, Jésus-Christ est
plus cruellement
crucifié par des chrétiens, ses mauvais ennemis, que par
les Juifs ; et par
conséquent, ces chrétiens seront punis plus
rigoureusement.

Mon cher Fils avait trois biens, disait la Mère de Dieu.
Premier bien : nul
n’a jamais eu un corps aussi délicat que le sien, parce
qu’il était de deux
bonnes, excellentes, éminentes natures : de la Divinité et
de l’humanité.
Ce corps était si pur, que, comme dans un œil limpide on
ne peut voir aucune
tache, de même on ne pouvait pas trouver en ce corps
précieux la moindre
difformité.  Le deuxième bien était qu’il n’avait jamais
péché.  Les autres
enfants portent souvent les péchés de leurs parents et les
leurs, mais
celui-ci n’a jamais péché, et il a néanmoins porté les
péchés de tous.  Le
troisième bien était que quelques-uns meurent pour l’amour
de Dieu et pour
une plus belle couronne ; mais lui, il mourut pour ses
ennemis, comme pour
moi et ses amis.

Mais quand ses ennemis le crucifièrent, ils lui firent
quatre choses : 1°
ils le couronnèrent d’épines ; 2° ils lui percèrent les
pieds et les mains ;
3° ils lui donnèrent à boire du fiel ; 4° ils lui
percèrent le côté.  Mais
je me plains maintenant de ce que mon Fils est plus
cruellement crucifié par
ses ennemis qu’il ne l’était alors par les Juifs : car
bien que la Divinité
soit impassible et immortelle, néanmoins, ils la
crucifient par leurs
propres vices.  En effet, comme un homme qui offenserait
et briserait
l’image de son ennemi lui ferait injure, bien que l’image
n’en sentît rien,
toutefois, à cause de la volonté qu’il aurait de
l’offenser, il en serait
repris et condamné, de même, les vices de ceux qui
crucifient
spirituellement mon Fils, sont plus abominables que les
vices de ceux qui
l’ont crucifié corporellement. Mais peut-être m’en
demanderez-vous la
manière.  Je vais vous la dire : 1° ils le clouent sur la
croix qu’ils lui
ont préparée, quand ils désobéissent et qu’ils ne se
soucient pas des
commandements de leur Créateur et de leur Seigneur, et ils
le déshonorent,
quand, par ses serviteurs, il les avertit de le servir, et
qu’ils s’en
moquent pour accomplir ce qui leur plaît.  Après, ils
crucifient sa main
droite, quand ils prennent l’injustice pour la justice,
disant que les
péchés ne sont pas si graves ni si odieux à Dieu qu’on le
dit ; que Dieu
n’afflige personne éternellement, mais qu’il nous a ainsi
menacés pour
inspirer de la crainte et de la terreur : car pourquoi
rachèterait-il
l’homme, s’il voulait le perdre ?  Ils ne considèrent pas
que le moindre
péché sans punition, aussi ne laisse-t-il pas le moindre
bien sans
récompense.  Partant, ceux-là auront un supplice éternel,
d’autant qu’ils
ont eu une volonté éternelle de pécher, laquelle mon Fils,
qui voie le cœur,
répute comme mise à effet, d’autant certes qu’il n’aurait
pas tenu à eux, si
mon Fils l’eût permis.

Puis, ils crucifient sa main gauche, quand ils tournent la
vertu en vice,
voulant pécher jusqu’à la fin, disant : Si nous disions
une fois, à la fin
de nos jours, qu’il ait pitié de nous, la miséricorde de
Dieu est si grande
qu’elle nous pardonnera.  Cela n’est pas vertu de vouloir
pécher sans
vouloir s’amender, vouloir le prix sans la peine, à moins
que la contrition
et le désir de s’amender ne fussent dans le cœur, si
l’infirmité ou quelque
autre empêchement était ôté.

Ils lui crucifient les pieds, quand ils se délectent à
pécher, et ne
considèrent pas une seule fois la passion amère de mon
Fils, ni ne lui en
rendent grâces une seule fois avec un amour et une
reconnaissance intimes,
disant : Ô Dieu ! que votre passion est amère ! Louanges
vous soient rendues
pour votre mort !  Ces remerciements ne sortent jamais de
leur bouche.

Ils le couronnent de la couronne de moquerie, quand ils se
moquent des
serviteurs de Dieu et pensent qu’il est inutile de le
servir.  Ils lui
donnent à boire du fiel, quand ils se complaisent
malheureusement en leur
péché, et ne pensent pas combien ce péché est détestable
et grand.  Ils lui
percent le côté, quand ils ont la volonté de persévérer en
leur péché.

Je vous dis en vérité, ma fille, et vous pourrez le dire à
mes amis, que
ceux qui font toutes ces choses, sont, devant mon Fils, le
juste des justes,
plus injustes que les Juifs, plus cruels que ceux qui le
crucifiaient, plus
impudents que celui qui l’a vendu, et il est dû à ceux-ci
une plus grande
peine qu’à ceux-là.  Pilate a bien su que mon Fils n’avait
pas péché et
qu’il ne méritait point la mort ; néanmoins, parce qu’il
craignait de perdre
la puissance temporelle et une sédition parmi les Juifs,
il condamna comme
par force mon Fils à mort.  Or, qu’auraient ceux-ci à
craindre s’ils
servaient mon Fils ?  Ou bien quel honneur, quelles
charges, quelles
dignités perdraient-ils, s’ils l’honoraient ? aucunes.
C’est pourquoi ils
sont devant mon Fils plus coupables que Pilate, et ils
seront jugés plus
rigoureusement, d’autant que Pilate l’a jugé avec quelque
crainte, pressé
par les Juifs et par la volonté d’autrui ; mais ceux-ci le
jugent de leur
propre volonté et sans crainte, quand ils le déshonorent
par leurs péchés,
dont ils pourraient s’abstenir, s’ils voulaient ; mais ils
ne s’abstiennent
pas de pécher, et ils ne rougissent pas de les avoir
commis, attendu qu’ils
ne pensent pas être indignes des récompenses de celui
qu’ils offensent tant,
et ne le servent pas.  Ils sont pire que Judas, d’autant
que Judas, ayant
trahi Notre-Seigneur, savait bien qu’il avait vendu celui
qui était Dieu,
reconnut l’avoir grandement offensé, fut désespéré, et se
croyant indigne de
vivre, se pendit, se livra au démon.  Or, ceux-ci
connaissent bien la
laideur de leur péché, et néanmoins, ils y persévèrent,
n’ayant pas en leur
cœur la moindre contrition ; mais ils veulent avec
violence et puissance
ravir le royaume des cieux, quand ils pensent l’avoir, non
par de bonnes
œuvres, mais par une confiance vaine et par une folle
présomption, ce qui
n’est octroyé à personne, si ce n’est à ceux qui font de
bonnes œuvres et
qui souffrent quelque chose pour Dieu.  Ils sont pires
aussi que ceux qui le
crucifièrent, car quand ils virent les œuvres
merveilleuses de mon Fils,
ressuscitant les morts et guérissant les lépreux, ils
pensaient en eux-mêmes
: Cet homme fait des prodiges et des merveilles inouïes ;
il abat avec une
parole ceux qu’il veut abattre ; il sait nos pensées et il
fait ce qu’il
veut.  Si on le laisse faire, nous serons tous sous sa
puissance et lui
serons soumis.  Partant, afin de ne pas lui être soumis,
ils le crucifièrent
; car s’ils eussent su qu’il était le Roi de gloire, ils
ne l’eussent jamais
crucifié.  Mais ceux-ci voient journellement ses grandes
et admirables
œuvres ; ils jouissent de ses faveurs et de ses bienfaits,
et savent comment
il la faut servir et comment il faut aller à lui.  Mais
hélas ! se
disent-ils, faut-il laisser toutes les choses temporelles
? faut-il rompre
notre volonté et faire la sienne ? Oh ! que ceci est lourd
et insupportable
! Partant, méprisant s volonté et ne voulant pas lui
obéir, ils crucifient
mon Fils par l’endurcissement et l’insensibilité de leurs
cœurs, entassant
sur leur conscience péchés sur péchés.  Ceux-ci sont pires
que ceux qui
l’ont crucifié, car les Juifs le faisaient, poussés par
l’envie et parce
qu’ils ne savaient pas qu’il fût Dieu, mais ceux-ci le
crucifient
spirituellement avec une malice préméditée, avec cupidité
et présomption, et
cela avec plus d’amertume que les Juifs ne le crucifièrent
corporellement ;
car ceux-ci sont rachetés, et ceux-là ne l’étaient point.
Obéissez donc à
mon Fils, ô épouse ! et craignez-le, car comme il est
infiniment
miséricordieux, il est aussi infiniment riche.

Chapitre 38

Colloque agréable de Dieu le Père avec le Fils.  En quelle
manière le Père a
donné l’épouse au Fils.  Comment le Fils l’accepte, et de
quelle sorte
l’Époux instruit l’épouse, par son exemple, à souffrir et
à être simple.

Le Père parlait à son Fils, lui disant : Je suis venu avec
amour à la Vierge
et ai travaillé à l’ineffable incarnation : c’est pourquoi
vous êtes en moi
et je suis en vous. Comme le feu et la chaleur ne se
séparent jamais, de
même il est impossible que la Divinité se sépare de
l’humanité.

Le Fils répond : Que tout honneur et toute gloire vous
soient rendues, ô mon
Père ! que votre volonté soit faite en moi et la mienne en
vous.

Le Père répond : Voici, mon Fils, que je vous donne cette
nouvelle épouse
pour la gouverner et la nourrir comme une brebis.  Vous en
êtes le maître et
le possesseur.  Elle vous donnera du lait pour boire et
pour vous
rafraîchir, et de la laine pour vous vêtir.  Mais vous, ô
épouse ! vous
devez lui obéir, car il faut que vous ayez trois choses :
la patience,
l’obéissance et la franchise.

Alors le Fils dit au Père : Que votre volonté avec la
puissance, la
puissance avec l’humilité, l’humilité avec la sagesse, la
sagesse avec la
miséricorde, soit faite, qui est sans commencement et sera
sans fin en moi.
Je la prends en mon amour, en votre puissance et en la
conduite du
Saint-Esprit, qui ne sont pas dieux, mais un seul Dieu en
trois personnes.

Alors l’Époux dit à sa très chères épouse : Vous avez
entendu comment mon
Père vous a donnée à moi comme une brebis : il faut donc
que vous soyez
simple et patiente comme une brebis, et féconde, pour
nourrir et vêtir vos
enfants spirituels, car il y a trois choses au monde : la
première est toute
nue, la deuxième est pressée par la soif, la troisième est
famélique.

La première signifie la foi de mon Église, qui est toute
nue, d’autant que
tout le monde a honte de parler de la foi, de mes
commandements ; et s’il se
trouve quelqu’un qui en parle, on s’en moque et on
l’accuse de mensonge.
Partant, les paroles qui sortent de ma bouche doivent en
quelque sorte
revêtir de laine cette foi, car comme la laine croît sur
le corps de la
brebis par la chaleur naturelle, de même, de la chaleur de
ma Divinité et de
mon humanité, sortent des paroles qui touchent votre cœur,
qui y revêtent ma
foi sainte par le témoignage de vérité et de sagesse, et
montrent qu’elle
est vraie, bien que maintenant elle soit réputée fausse et
vaine, afin que
ceux qui ont eu la lâcheté jusqu’aujourd’hui de ne pas
revêtir leur foi de
bonnes œuvres, ayant entendu mes charitables paroles,
soient illuminés, et
poussés à parler fidèlement et à faire généreusement de
bonnes œuvres.

La deuxième signifie mes amis, qui désirent, avec autant
d’ardeur que ceux
qui sont dévorés par la soif désirent de boire,
d’accomplir mon honneur, et
se troublent quand je suis déshonoré : ceux-ci, ayant
goûté la douceur de
mes paroles, sont enivrés d’une plus grande charité, et
les morts mêmes
sont, avec eux, embrasés de mon amour, voyant combien de
faveurs je fais aux
pécheurs.

Le troisièmes signifie ceux qui disent en leur cœur : Si
nous savions la
volonté de Dieu, comment il nous faut vivre, et si nous
étions guidés sur le
chemin de la vie parfaite, nous y ferions tout ce que nous
pourrions.
Ceux-ci sont comme des faméliques : ils brûlent de savoir
ma voie, et  nul
ne les rassasie, d’autant que nul ne leur montre
parfaitement ce qu’il faut
faire ; et si on le leur montre, pas un ne vit comme cela.
Et partant, je
leur montrerai moi-même ce qu’ils doivent faire, et je les
rassasierai de ma
douceur, car les choses temporelles et visibles sont
ardemment désirées
presque par tous, et ne peuvent pourtant rassasier
l’homme, mais exciter de
plus en plus en lui l’appétit de les acquérir.  Mais mes
paroles et mon cœur
rassasieront les hommes et les rempliront d’indicibles et
abondantes
consolations.  Donc, vous, mon épouse, qui êtes ma brebis,
tâchez d’avoir la
patience et l’obéissance, car vous m’appartenez par toute
sorte de droits,
et partant, il faut que vous suiviez ma volonté.  Or,
celui qui veut suivre
la volonté d’un autre doit avoir trois choses : 1° un même
consentement avec
lui ; 2° semblables œuvres ; 3° se retirer de ses ennemis.
Or, qui sont mes
ennemis, sinon la superbe et insupportable et tous les
péchés ? Vous devez
donc vous retirer de ceux-là, si vous désirez suivre ma
volonté.
 

Chapitre 39

En quelle manière la foi, l’espérance et la charité,
furent en Jésus-Christ
en sa passion, et sont imparfaitement en nous, misérables
que nous sommes !

J’ai eu trois choses en ma mort : la première, une foi,
ou, pour mieux dire,
une licence que j’avais, sachant que mon Père pouvait me
délivrer de la
passion, quand je l’en suppliais à genoux ; la deuxième,
une espérance, qui
fait dire une attente, quand je disais constamment : Qu’il
soit fait, non
pas comme je veux ;  la troisième, un amour, quand je
disais : Que votre
volonté soit faite.  J’eus aussi des angoisses corporelles
provenant de la
crainte naturelle que j’avais de ma passion, quand la
sueur de sang sortit
de mon corps, afin que mes amis ne se crussent pas
délaissés, quand ils
seraient assaillis par les craintes et les tribulations.
Je leur ai montré
en moi que l’infirmité de la chair fuit toujours les
peines : mais vous
pourriez vous enquérir comment la sueur de sang sortit de
mon corps.
Certes, comme le sang d’un infirme se sèche et se consomme
dans les veines,
de même, par la douleur naturelle que je ressentais de ma
mort prochaine,
mon sang était consommé.  Enfin mon Père, voulant
manifester la voie par
laquelle le ciel est ouvert, et que l’homme, qui en avait
été chassé,
pouvait y rentrer, son amour m’a abandonné dans la
passion, afin qu’après ma
passion, mon corps fût glorifié : car, de droit et de
justice, mon humanité
ne pouvait arriver autrement à la gloire, bien que je le
pusse par la
puissance de ma Divinité.

Comment donc mériteraient d’entrer dans la gloire ceux qui
ont une petite
foi, une vaine espérance et nulle charité ?  Si enfin, ils
avaient la foi
des joies éternelles et des supplices horribles, ils ne
désireraient autre
chose que moi.  S’ils croyaient que je vois et que je sais
toutes choses,
que je suis puissant en tout et que je demande raison de
tout, le monde leur
serait vil, et ils auraient plus de crainte de m’offenser
pour mon respect
que pour le regard des hommes.  S’ils avaient une ferme
espérance, alors
leur esprit et leurs pensées seraient en moi.  S’ils
avaient la charité, ils
penseraient à tout ce que j’ai fait pour l’amour d’eux,
quelle a été ma
peine en la prédication, quelle a été ma douleur en ma
passion, voulant
plutôt mourir que les laisser perdues.  Mais leur foi est
infirme et menace
ruine, car ils croient tant qu’ils ne sont pas tentés, et
se défient de moi
quand ils sont contrariés.  Leur espérance et vaine,
d’autant qu’ils
espèrent que leur péché leur sera pardonné sans justice et
sans vérité de
jugement.  Ils pensent obtenir gratuitement le royaume des
cieux ; ils
désirent obtenir la miséricorde sans justice.  Leur
charité envers moi est
toute froide, car ils ne s’enflamment jamais à me
rechercher, s’ils n’y sont
pas contraints par les tribulations.  Comment pourrais-je
être avec eux, qui
n’ont ni foi droit, ni espérance ferme, ni amour fervent ?
Parant, quand
ils crieraient et me demanderaient miséricorde, ils ne
méritent pas d’être
ouïs ni d’être en ma gloire, car aucun soldat ne peut
plaire à son chef ni
obtenir de lui sa grâce après la chut, s’il ne s’est pas
humilié pour la
faute dont il s’est rendu coupable.
 
 
 
 
 
 

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