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Saint Anselme de Canterbury
docteur de l'église catholique
1033 - 21 avril 1109

article du Dictionnaire de Théologie Catholique
Proslogion   ou Allocution sur l'Existence de Dieu et sur ses Attributs
(Le fichier pdf compte 608 pages, le Proslogion commence à la page 434)

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Saint Anselme de Cantorbery
I. Saint Anselme.
II Argument de saint Anselme.

I. Anselme (saint).

I Vie.
II Œuvres : chronologie et authenticité.
III. Œuvres : idée et contenu.
IV. Traits caractéristiques.

I. VIE.

Dans Anselme, le théologien est inséparable de l’homme et du moine. Il faut donc jeter un coup d’œil sur cette belle vie, non pour tout dire, mais pour dégager ce qui peut servir à comprendre et à juger les écrits de la doctrine. Eadmer, le fidèle compagnon et son consciencieux biographe, est là pour nous guider.

1. Premières années. ? Anselme naquit dans la cit? d’Aoste en 1033 ou 1034, quelques-uns disent le 6 mai 1033, de parents riches et nobles. Son père, Gondulfe ou Gandolfe, était Lombard ; en attendant qu’il se fît moine pour mourir sous le froc, il était tout aux choses du siècle, libéral d’ailleurs et bienfaisant, au point de passer pour un prodigue. Sa mère, Ermemberge, était, dit Eadmer, une parfaite mère de famille. C’est elle qui fut la première éducatrice d’Anselme, et " l’enfant, dans la mesure de son âge, prêtait volontiers aux leçons maternelles ". P. L. t. CLVIII, col. 50. Un trait de ces toutes premières années montre très bien tout ce qu’il était et fait présager ce qu’il sera. Entendant dire qu’il y avait là-haut dans le ciel un Dieu maître de tout, il se figura, utpote puer inter montes nutritus, que le ciel reposait sur la montagne, et qu’en allant au sommet on arrive-

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rait à la cour de Dieu. Cette idée lui trotta longtemps par la tête, et il cherchait à la réaliser. Un jour, il rêva l’avoir fait, et " le matin, sicut puer simplex et innocens, il croyait vraiment avoir été au ciel et y avoir mangé le pain du Seigneur. " Ibid., col. 51. Cependant il grandissait, chéri de tous. Sur ses demandes instantes, il fut mis à l’école. Mais le maître, un parent, ne sut pas prendre cette riche et délicate nature, et l’enfant passa par une terrible crise d’hypocondrie, qui mit sa raison même en danger. Il fallut pour le guérir tout le cat et tout l’amour de sa mère. Enfin, il se rouvrit et les désirs d’étude revinrent. Cette fois il fut confié, semble-t-il, aux bénédictins d’Aoste, et dans cette douce atmosphère, demi-monacale et demi-maternelle, les progrès furent rapides. Ce fait, qu’il racontait plus tard à ses moines du Bec, contribua sans doute à former l’admirable éducateur que fut Anselme. (Eadmer n’en dit rien. Pour savoir comment nous le connaissons, voir Ragey ci-dessous, t. I, p. 11.) Il n’avait pas 15 ans qu’il voulait déjà être moine : c’était pour lui la vie idéale. Mais vinrent les attraits du monde : plus de ferveur, presque plus d’étude. Sa mère le retenait un peu. Elle mourut, et " la barque de son cœur, ayant comme perdu son ancre, fut emportée sur les flots du siècle ". Ibid., col. 52. Dieu y pourvut : son père, on ne sait pourquoi, se mit à lui faire la guerre, autant ou plus, dit le biographe, pour le bien qu’il faisait que pour le mal. Bref, Anselme s’éloigna, en compagnie d’un seul clerc, du donjon paternel.

" Après trois ans passés en partie en Bourgogne, partie en France, il vient à Avranches et y demeure quelques temps. " ? le biographe ne donne pas d’autre d?tail ; ? de l? il se rend au Bec, " pour voir Lanfranc, lui parler, rester près de lui, " comme faisaient tant de clercs, et non des moindres, que le renom du maître attirait de toutes les parties du monde. Le voilà élève de Lanfranc, et bientôt son élève chéri. Nuit et jour il travaille, in litterarum studio ; non seulement il écoute Lanfranc, mais il se prête volontiers à aider lui-même ses condisciples. Sa vie était celle d’un moine. " Si j’étais moine, se dit-il, je n’aurais pas plus à souffrir et je serais sûr du mérite. " Ibid., col. 53. Le voilà donc uniquement soucieux de plaire à Dieu : il sera moine. Mais où ? " Si j’entre à Cluny ou au Bec, pensait-il, le temps que j’ai donné à l’étude des lettres est du temps perdu. A Cluny, pas d’études ; au Bec, la place est prise par Lanfranc. Il faut que j’aille là où je pourrai montrer mon savoir et rendre service à beaucoup. " ? " Je n’étais pas encore dompté, disait plus tard Anselme en racontant cela, je n’avais pas encore le mépris du monde. " Des idées plus hautes et plus justes lui vinrent bientôt, des idées de sacrifice. " Est-ce donc vouloir être moine cela que de vouloir être préféré, plus honoré, plus estimé ? A bas la superbe ! sois moine là où, comme il convient, tu sois mis après tous pour Dieu, compté pour moins que tous, moins estimé que tous. . . Et donc, au Bec. . . Là sera mon repos, là j’aurai en vue Dieu seul, là son amour sera toute ma contemplation, là son bienheureux et continuel souvenir ma consolation et mon rassasiement. " Ibid., col. 53. D’autres fois, il se demandait s’il ne devait pas se faire ermite, ou encore rentrer chez lui et vivre de son patrimoine en faisant le bien. Il s’ouvrit de tout à Lanfranc, qui, ne voulant rien décider, l’adressa au saint évêque de Rouen, Maurille. L’évêque opina pour le Bec. Anselme acquiesça. On voit que cet homme idéal et de sentiment, ce primitif et ce spontané, savait être pratique et réfléchi.

2. Le moine. ? Anselme avait 27 ans quand il devint moine au Bec (1060). Trois ans apr?s, il remplaçait Lanfranc comme prieur et profitait des libertés de sa charge pour être de plus en plus à Dieu et aux sciences célestes. Il se préparait, dit Eadmer, par ces divines spéculations à résoudre, Deo reserante, les questions les plus obscures

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non résolues jusqu’à lui, et à prouver par raison évidentes que les solutions étaient vraies et catholiques. Les jours ne lui suffisant pas, il passait une partie de ses nuits à prier et à corriger des manuscrits. Une nuit qu’il était couché ; il cherchait comment les prophètes avaient pu voir comme présent le passé et l’avenir ; il vit soudain de son lit les moines, chacun suivant son office, allumer, préparer l’autel pour les Matines, sonner la cloche, et à ce son tous les frères se lever. Il comprit qu’il n’était pas plus difficile à Dieu d’éclairer les prophètes. Ce qu’était son enseignement, nous pouvons nous en faire une idée par ses opuscules, par les dialogues surtout, dont quelques-unes, comme De grammatico, sont de petits chefs-d’œuvre pédagogiques. Grand spéculatif, il était aussi grand directeur d’âmes ; et en même temps qu’il gagnait tout le monde autour de lui, il répandait au loin le bon renom du monastère et y attirait une élite avide de science et de perfection religieuse. Il avait grâce pour gagner des jeunes gens et pour les former ; il s’en occupait avec un soin spécial, et maint trait de sa vie, mainte parole ou mainte lettre de lui nous montrent quel art il avait pour gagner les cœurs, comment il savait se proportionner à l’âge et comment il comptait plus sur la douceur que sur la violence. Eadmer, l. I, c. II, n. 13, 17, P.L., t. CLVIII, col. 57-59 ; c. IV, n. 30, col. 67. Cf. Guibert de Nogent, De vita suâ, l. I, c. XVII, P. L., t. CLVI, col. 874.

Le 26 août 1678 mourrait le saint abbé Herluin, fondateur du Bec. Tous les suffrages désignèrent Anselme pour lui succéder ; et, non moins que le prieur, l’abbé fut pour tous comme une vision de la bonté divine. Un plus lourd fardeau lui était réservé.

3. L’évêque. ? Plusieurs fois d?jà les affaires du Bec l’avaient amené en Angleterre et, comme partout, il s’était fait aimer et vénérer. Le siège de Cantorbéry était vacant depuis quatre ans, quand le roi Guillaume le Roux, d’accord pour une fois avec son clergé et avec son peuple, choisit Anselme pour succéder à Lanfranc, 6 mars 1093. Malgré sa résistance, " la pauvre vieille petite brebis " fut attelée au joug avec " le taureau indompté " qu’était le roi. Eadmer, Hist. novorum, l. I, P. L., t. CLIX, col. 368. C’en est fait pour lui de ses doctes loisirs et de la paix monacale. Il ne cessera de les regretter, et sa grande joie sera de se retrouver au milieu des moines : " Le hibou dans son trou est content avec ses petits ; ainsi moi au milieu des moines. " " J’aimerais mieux, disait-il encore, être au milieu des moines l’enfant qui tremble sous la verge du maître, que le primat d’Angleterre sur son siège pontifical. " Eadmer, Vita, l. II, c. I, n. 8, P. L., t. CLVIII, col. 83. On sait sa résistance invincible aux prétentions de ce tyran brutal et gouailleur que fut Guillaume le Roux. La querelle allait plus loin que la question des investitures, plus loin que cette " liberté de l’Eglise, la chose que Dieu aime le plus en ce monde ". C’est au schisme que tendait Guillaume. La grande intelligence d’Anselme, sa vue claire des droits et des prérogatives de l’Eglise furent pour beaucoup dans son attitude : le théologien montrait son devoir au saint. En 1097, il put enfin aller à Rome et voir Urbain II. Son séjour en Italie se prolongea. En 1098, il assista au concile de Bari, on sait avec quel éclat. En avril 1099, il prend part au synode de Rome où furent renouvelés les décrets contre la simonie, le concubinage des clercs, l’investiture laïque. En août 1100, on apprit la triste mort de Guillaume le roux. Son frère, Henri Beauclerc, lui succéda et invita le primat à revenir. La paix ne fut pas longue, et en avril 1103, Anselme reprenait le chemin de Rome. Il ne devait rentrer en Angleterre qu’en septembre 1106. Cette fois, l’accord était sincère et le vieil archevêque put mourir en paix.

4. Derniers jours.  “ Ne pouvant plus marcher, dit Eadmer, l. II, c. II, P. L., t. CLVIII, col. 115, il se faisait porter tous les jours à l’oratoire pour assister à la messe,

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car il avait une dévotion tendre à l’Eucharistie. " C’est seulement cinq jours avant sa mort qu’on parvint à lui faire garder absolument le lit. Ses chères études eurent une part dans ses dernières pensées. " On était au dimanche des Rameaux ; nous restions, comme de coutume, assis près de lui. L’un de nous lui dit : " Seigneur Père, à ce que nous voyons, vous vous en allez de ce monde fêter la Pâque à la cour de votre maître. " Il répondit : " Si c’est son bon plaisir, volontiers je m’y soumets. Mais s’il voulait me laisser encore parmi vous pour me permettre au moins d’éclaircir la question que je poursuis en ce moment, celle des origines de l’âme, je l’accepterais avec reconnaissance ; car je ne sais si personne après moi l’éclaircira. " Dieu ne le voulut pas, et Anselme mourut à l’aube du mercredi saint, le 21 avril 1109. Il allait avoir 76 ans.

La Vita Anselmi d’Eadmer se trouve dans les Bollandistes (21 aprilis) avec quelques notes du P. Henschenius ; Migne l’a rééditée d’après Gerberon, P. L., t. CLVIII, col. 49-120, ainsi que l’Historia novorum, P. L., t. CLIX, col. 347-524. Les deux ouvrages ont été réédités à Londres en 1884, dans les Rolls series, par M. Rule.

II. LES ŒUVRES. CHRONOLOGIE ET AUTHENCITE.

Anselme signait ses écrits, c’est-à-dire qu’il mettait son nom à côté du titre. Il y joignait d’ordinaire une préface qu’il faisait suivre d’une table des chapitres pour donner une première idée de l’opuscule. Voir Monologion, prologue, P. L., t. CLVIII, col. 144 ; Proslogion, préface, col. 225 ; Cur Deus homo, préface, col. 362.

Dans sa correspondance, il est souvent question de ses œuvres ; Eadmer enfin nous en parle aussi et parfois raconte les circonstances où elles ont été composées. Nous avons ainsi, sur les principaux écrits d’Anselme, des renseignements précieux qui nous en garantissent l’authenticité et qui nous permettent, sinon de les classer tous avec certitude dans l’ordre chronologique, au moins de les rapporter à des périodes précises de la vie du saint auteur.

I. OUVRAGES ECRITS PAR ANSELME, PRIEUR AU BEC (1063-1078) OU ABBE (1079-1093).

Eadmer, Vita, l. II, n. 25, P. L., t. CLVIII, col. 62, rapporte à ce temps les trois traités De liberate arbitrii, De casu diaboli, auquels il ajoute le De grammatico. Il mentionne ensuite, toujours comme du même temps, le Monologion qui fut suivi du Proslogion, ibid., n. 26, col. 63, et de la réponse à Gaunilon. Peut-on préciser davantage ? Anselme, dans le prologue ajouté plus tard au De veritate, P. L., t. CLVIII, col. 467, mentionne les quatre premiers traités dans le même ordre qu’Eadmer, en ajoutant pour les trois premiers, qu’il les a écrits à différentes époques ; il veut qu’on les groupe ensemble et dans l’ordre indiqué, mais sans dire que cet ordre est celui de la composition. Le fait qu’on les avait " rangés autrement en les transcrivant avant qu’ils ne fussent achevés " ferait plutôt supposer le contraire, comme aussi le fait que le prologue placé en tête du dialogue De veritate montre que les trois autres dialogues existaient déjà.

Le Monologue d’ailleurs est antérieur au De veritate, puisqu’il y est cité deux fois, P. L., t. CLVIII, col. 468 et c. X, col. 479. Il est même probable que c’est le premier opuscule publié par Anselme (quoique peut-être le De grammatico ait été fait plus tôt). La Préface en effet, semble indiquer un premier écrit et les hésitations d’un débutant, P. L., t. CLVIII, col. 143, comme aussi le fait qu’il ne le croyait pas digne du nom de livre et qu’il le donna d’abord sans nom d’auteur. Proslogion, Proæmium, t. CLVIII, col. 224. Anselme parle souvent du Monologion soit dans ses autres écrits, soit dans sa correspondance. Cf. Epist., I, 63, 65, 68, 74 ; II, 17 ; IV, 183. Il est question du Proslogion dans le De fide trinitatis, c. IV, et dans la correspondance, Epist., II, 11, 17, 27. Quelques Méditations datent aussi du priorat,

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la seconde, par exemple, (Terret nie), et probablement la troisième (Anima mea, anima ærumnosa), entre 1068 et 1078. Voir la Censura de dom Gerberon, P. L., t. CLVIII, col. 29. L’homélie, IX, sur l’Evangile de l’Assomption, Luc, X, 38, fut écrite entre 1088 et 1093, après avoir été prononcées plus d’une fois in conventu fratrum. Voir la préface d’Anselme, P. L., t. CLVIII, col. 644, et la Censura de Gerberon, col. 27. Avec trois prières à la sainte Vierge, Epist., I, 20, et une prière à saint Nicolas (elle n’est pas dans Gerberon) dont il parle dans une lettre écrite d’Angleterre quelque temps avant son élévation à l’épiscopat, Epist. ? II, 51, c’est tout ce que nous pouvons avec certitude rapporter à cette époque.

II. OUVRAGES ECRITS PAR ANSELME EVEQUE (1093-1109).

1. Liber de fide Trintatis et de Incarnatione verbi. ? Anselme nous dit lui-m?me l’avoir commencé sous forme de lettre, quand il était abbé au Bec. Voir c. I, P. L., t. CLVIII, col. 262. Roscelin, contre lequel il est écrit, s’étant soumis, au concile de Soissons (1092), Anselme laissa là son travail. Mais Roscelin revint à ses erreurs, et Anselme, déjà archevêque, acheva son traité (1093 ou 1094) et le dédia au pape Urbain II, qui, dit Eadmer, s’en servit au concile de Bari. Cf. Eadmer, Vita, l. II, n. 10, P. L., t. CLVIII, col. 84 ; Hist. novor., l. II, P. L., t. CLIX, col. 414 ; Anselme, Epist., II, 35, 41, 51. Le Monologion et le Proslogion y sont cités, c. IV, col. 272 ; cf. c. I, col. 284 ; en revanche, il est cité dans De processione S. Spiritus, c. XVII, col. 311.

2. Cur Deus homo. ? Commenc? en Angleterre, sans doute pendant les mois de loisir dus à l’absence du roi (1094), il fut achevé près de Capoue, dans l’été qui précéda le concile de Bari (1098). Préface d’Anselme, P. L., t. CLVIII, col. 361. Eadmer le transcrivit pour le Bec, Epist., III, 25, P. L., t. CLIX, col. 56. Anselme, dans la lettre LV du l. IV, t. CLIX, col. 233, prie les moines de Cantorbéry de le transcrire et de l’envoyer à Pascal II.

3. De conceptu virginali et originali peccato.? Dans le Cur Deus homo, l. II, t. CLVIII, col. 425, Anselme annonce son intention d’écrire sur le péché originel ; c’est annoncer le présent traité. Le prologue, P. L., t. CLVIII, col. 431, nous indique d’ailleurs qu’un mot du Cur Deus homo en a été l’occasion. Au c. XXII, col. 453, il est encore fait allusion au même ouvrage. Eadmer nous dit, Vita, l. II, n. 54, col. 107, qu’il fut écrit à Lyon, au retour d’Italie, après le concile de Bari ; c’est indiquer l’année 1099 ou 1100. Dans une de ses lettres, Epist., IV, 55, t. CLIX, col. 233, Anselme demande qu’on le transcrive avec le Cur Deus homo pour qu’il puisse adresser le volume au pape Pascal II. Il en parle aussi, Epist., IV, 42.

4. Meditatio redemptionis humanæ, Medit. XI. ? Même lieu, au témoignage d’Eadmer, loc. cit. ; par conséquent en 1099 ou 1100.

5. De beatitudine cælestis patriæ (1100), P. L., t. CLIX, col. 587-606. ? Pendant son s?jour à Lyon, Anselme vin à Cluny et fit aux moins une conférence sur le bonheur du ciel. Eadmer, qui était présent, fut prié par ses frères de Cantorbéry de la rédiger. Il s’y mit, ne soupçonnant pas, dit-il, combien le travail devait lui coûter. Preuve qu’il ne travailla pas seulement de mémoire ; il voulut, lui-même le dit, y mettre du style : d’une causerie, il a fait un traité. Ce sont pourtant les pensées d’Anselme, mais quelques-unes exprimées en d’autres circonstances : Scripsi, hoc solum intendens ut ea simpliciter dicerem quæ me in eodem capitulo per id temporis, vel alibi ab ore ipsius Patris, de eadem re accepisse recordari valebam. Préf d’Eadmer, P. L., t. CLIX, col. 587. Il y revient en finissant : Hæc ut ex ore B. P. Anselmi accepi conscripsi, pour expliquer comment la beauté du fond est bien d’Anselme, et comment on ne retrouve plus dans l’expression ni l’esprit pénétrant du maître, ni la grâce de sa parole, col. 604. D’ail-

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leurs, conclut le consciencieux rédacteur, notre Père a lu et relu le travail, il l’a retouché de sa sainte main, il l’a garanti de son autorité, la postérité peut le transcrire et le lire sur sa recommandation. Mgr Malou a trouvé, dans un manuscrit de la bibliothèque royale de Bruxelles, une autre rédaction du serment De beatitudine sous le titre De quatordecim beatitudinus, et l’a jointe à son édition des Méditations, p.296-324. C’est la même marche, les mêmes idées, les mêmes comparaisons, le même fond enfin ; l’expression seul est différente. Il croit cette rédaction de saint Anselme lui-même ; mais rien ne le prouve, et cette opinion se concilie difficilement avec l’affirmation expresse d’Eadmer. Quant au court Proæmium que Mgr Malou ne sait à quoi rapporter, Præf. p. 19, il s’explique quand on se rapporte au De similitudinibus. Là, en effet, les chapitres De quatordecim beatitudinis sont précédés d’un chapitre sur la bonté, c. XLIII, P. L., t. CLIX, col. 623, qui répond exactement à l’appel du proæmium. D’autre part, ces chapitres sont en rapport plus étroit avec l’opuscule De beatitudine, donné par Gerberon, qu’avec celui donné par Mgr Malou, puisque là ce n’est plus seulement le même fond, c’est, sauf les différences que j’appellerais d’encadrement, le même texte. La rédaction trouvée par Mgr Malou ressemble d’ailleurs plus que celle d’Eadmer à un résumé de conférence. Viendrait-elle d’un moine de Cluny, auditeur de l’archevêque ? Il reste que nous avons là les pensées d’Anselme, mais non proprement un écrit de lui.

6. De processione S. Spiritus (1101). ? Eadmer dans la Vie d’Anselme, l. II, n. 47, col. 102, se contente de dire qu’Anselme, à Bari, réfuta victorieusement les grecs ; mais dans l’Historia novorum, l. II, t. CLIX, col. 415, il ajoute qu’il reprit le sujet, et en écrivit egregium opus, qu’il envoya, à la prière de ses amis, partout où l’erreur des grecs était connue. Cet écrit est évidemment le De processione S. Spiritus, et il est étrange que le P. Henschenius ne s’en soit pas douté, loc. cit., note a. Il est vrai qu’un manuscrit l’attribue à saint Augustin, mais un seul contre tous, et l’erreur est palpable ; car les positions sont celles de la polémique avec les grecs, portant surtout sur le Filioque, dont l’addition est mentionnée en termes exprès, c. V, P. L., t. CLVIII, col. 293. Cf. le prologue, col. 285. Anselme en 1101 écrit à Walram qu’il le lui renvoie. P. L., t. CLVIII, col. 541. Il en est encore question, Epist., III, 160, et sans doute aussi 161 (mais cf. 53). Pour la date, cf. Gerberon, Censura, P. L., t. CLVIII, col. 20.

7. Epistola De azymo et fermento (vers 1101), P. L., t. CLVIII, col. 541-548. ? A Walram, ?vêque de Naumbourg, encore engagé dans le parti de l’antipape.

8. De sacramentorum diversitate, vers 1102, P. L., t. CLVIII, col. 551-554. ? A Walram r?concilié avec le pape.

9. De concordia præscientiæ, prædestinationis et gratiæ cum libero arbitrio, vers 1109, P. L., t. CLVIII, col. 507-542. ? Nous savons par Eadmer, Vita, l. II, n. 71, col. 114, qu’Anselme l’écrivit dans les derniers temps de sa vie.

10. On pourrait joindre quelques petits opuscules qui sont restés parmi les lettres, De malo, par exemple et Epist., II, 8, De corpore et sanguine Christi, Epist., IV, 107.

III. OPUSCULES SANS INDICATIONS PRECISES.

Restent quelques opuscules, la plupart de petite importance, pour lesquels manquent les indications pr?cises. Gerberon donne comme authentiques :

1. Le De voluntate, P. L., t. CLVIII, col. 487-489. ? Un manuscrit de saint Victor l’attribue ? Anselme, et tout, dit Gerberon, y est anselmien. Dans le De concordia, c. XI, col. 536, l’auteur dit qu’il écrira peut-être un jour sur les divisions de la volonté actuelle. Ceci pourrait être l’écrit annoncé ; en ce cas, nous au-

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rions là la dernière œuvre du saint docteur. Mais il est possible aussi que l’opuscule ait été rédigé par un disciple d’Anselme, en groupant les indications éparses çà et là dans les écrits du maître. Cf. De conceptu virginali, c. XI, De concordia, c. XI, XII, etc.

2. L’Offendiculum sacerdotum, P. L., t. CLVIII, col. 555-556. ? Simple extrait d’une lettre d’Anselme, Epist., I, 56, P. L., t. CLVIII, col. 1126-1128.

3. Le De nuptiis consanguineorum, P. L., t. CLVIII, col. 557-560. ? R?ponse d’Anselme à la consultation d’un évêque. La suscription porte : Anselmus Cantuariensis fratri dilecto ; la manière et les idées sont bien de lui.

4. Le Judicium de stabilitate monachi, P. L., t. CLIX, col. 333-335, serait peut-être une réponse du même genre.

5. L’admonitio morienti, P. L., t. CLVIII, col. 685-688 que les manuscrits donnent comme d’Anselme. ? C’est bien avec cette suavit? touchante qu’il devait exhorter les mourants à mettre tout leur espoir dans les mérites de Jésus.

6. Comme le De beatitudine, le petit traité De pace et concordia, P. L., t. CLVIII, col. 1015-1021, donné comme d’Anselme dans le manuscrit de Louvain, serait peut-être la rédaction d’une conférence d’Anselme. La Realencyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1896, t. I, p.566, ligne 34, pour montrer que l’œuvre est d’Anselme (ou au moins d’Eadmer), renvoie à la lettre III, 133 ; mais rien ne prouve qu’il y ait ici une allusion au De pace et concordia.

7. Flores psalmorum. ? Anselme en parle dans une des lettres, Epist., IV, 121, t. CLIX, col. 266. Mais le texte ne dit pas clairement de quoi il s’agit, ni de qui est l’œuvre.

IV. CORRESPONDANCE, HOMELIES, MEDITATIONS ET PRIERES.

1. Correspondance. ? Elle comprend plus de 400 lettres espacées sur toute la vie religieuse ou épiscopale. Gerberon en a oublié quelques-unes. Histoire littéraire de la France, t. IX, p. 436. Il a parfois répété la même à deux endroits différents. Cf. Epist., III, 53, 161.

2. Homélies et exhortations. ? Nul doute possible pour la neuvi?me, P. L., t. CLVIII, col. 644-649 ; elle fut écrite par Anselme abbé. Voir ci-dessus. Pour le reste, la critique a beaucoup à faire, soit pour voir si celles qu’on a accueillies sont bien de notre Anselme, soit pour rechercher celles qui dans les recueils pourraient être de lui. Un mot de Gerberon, Censura, P. L., t. CLVIII, col. 26, C, et un autre de dom Cellier, Histoire des auteurs sacrés, Paris, 1729, sq., t. XXI, c. XXVIII, n. 31, p. 593, cf. c. XVI, a. 2, §. 4, n. 1, p. 304, iraient à les lui ôter presque toutes pour les donner à Babion l’Anglais, ou à Hervé de Bourgdieu ; mais leur raison n’a rien de concluant, cf. realencyklopädie, t. I, p. 566, ligne 28. La question est ouverte.

3. Méditations et prières. ? Nous savons qu’Anselme a écrit, et cela à diverses époques, des méditations et des prières. Voir Eadmer, Vita, l. II, n. 10, col. 56 ; Epist., I, 20 et 61. Mais dire à coup sûr ce qui lui appartient dans les recueils si mêlés et si retouchés du moyen âge, c’est chose difficile. Gerberon se tient sur une prudente réserve. En bloc, l’œuvre est d’Anselme. Mais pour plusieurs, il y aurait lieu de reconsulter les manuscrits. La critique interne ne donne guère que des indices. Le meilleur est la façon anselmienne de pousser les idées et les sentiments en marée montante, et de mener ensemble l’activité spéculative et la prière affectueuse.

La neuvième méditation ne paraît pas être d’Anselme, mais d’Eckbert de Schönau ; la méditation tripartite 15, 16, 17 est mise en doute par Gerberon, Censura, col. 31, parce que, dit-il, Anselme n’avait qu’une sœur et que cette sœur se maria, tandis que la sœur de celui qui a écrit la Méditation est restée vierge. Mais la lettre allé-

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guée par Gerberon, Epist., III, 67, ne prouve pas qu’Anselme n’ait jamais eu d’autre sœur que Richera.

Parmi les Oraisons, nous n’avons pas celle à saint Nicolas dont parle Anselme, Epist., II, 51 ; dans la lettre I, 20, il est question de trois longues oraisons à la sainte Vierge ; elles sont sans doute dans notre recueil ; Gerberon conjecture que ce seraient les XLIXe, Le, Lie.

Celles à saint Etienne, LXIX, et à sainte Madeleine, LXXIV, sont indiquées, Epist., IV, 121, parmi les 7 dons dont parle Anselme ; d’autres témoignages nous disent qu’il écrivit des oraisons sur les saints, ce qui confirme la donnée des manuscrits.

Le fait que plusieurs fragments des Méditations ou Oraisons se trouvent soit dans le premier livre des Méditations longtemps attribuées à saint Augustin, soit dans le Manuale dit d’Augustin, soit dans le recueil de l’abbé Jean, ne prouve rien contre l’attribution à Anselme. Cf. Gerberon, Censura, col. 35-38.

L’édition Migne ajoute à Bergeron une méditation sur le Miserere donnée par Mai comme inédite et comme de saint Anselme ; mais elle n’est, selon Mgr Malou, ni inédite, ni de saint Anselme. Meditationes, préf., p. 11.

V. DE SIMILITUDINIBUS,

P. L., t. CLIX, col. 605-708. ? Comme le De beatitudine, ce n’est pas un écrit d’Anselme ; mais ce sont ses idées, ses dits et ses faits, son esprit. C’est un recueil de mots, de causeries, d’instructions familières, en général sous forme de comparaisons. La rédaction est d’un familier du saint docteur, probablement d’Eadmer. Plusieurs des choses rapportées ici se déjà trouvent textuellement dans la Vie par Eadmer, ou dans l’Historia novorum. Noter aussi la ressemblance, parfois l’identité textuelle, entre les chapitres XLVII-LXXI du De similitudinibus et le De beatitudine.

VI. ŒUVRES DOUTEUSES OU SUPPOSEES.

1. Œuvres en vers. ? Ni le beau po?me De contemptu mundi, ni très probablement les deux autres poèmes qui suivent, P. L., t. CLVIII, col. 687-708, ne sont d’Anselme. Parmi les Oraisons, quelques-unes sont en rythmes assonants (40, 61) ; l’attribution est douteuse, comme aussi celle des hymnes et du Psalterium beatæ Virginis, P. L., t. CLVIII, col. 1035-1050. ? Si les vers sur Lanfranc, col. 1049-1050, sont de notre auteur, ils ne donnent pas une haute id?e de ses facultés poétiques.

Le Mariale. Dans ces dernières années, le R. P. Ragey a vivement revendiqué le Mariale pour saint Anselme. Ce serait un joli fleuron à sa couronne poétique. Mais l’attribution reste improbable. Aux autres raisons, on peut ajouter celle-ci : le Mariale appartient aux plus beaux temps de la rime double ; or tout indique que du temps d’Anselme l’assonance seule était en usage.

2. Œuvres en prose Sont douteux ou peu garantis : le De voluntate Dei, P. L., t. CLVIII, col. 581-585 ; le Tractatus asceticus, ibid., col. 1021-1035 ; l’Exhortatio ad contemptum temporalium et desiderium æternorum, ibid., col. 677-686 ; le Sermo de Passione Domini, ibid., col. 673, 676.

Ne sont pas d’Anselme : la Méditation IX, P. L., t. CLVIII, col. 748-761, qui semble être d’Eckbert de Schönau, ni l’Elucidarium (n’est pas dans Migne), ni le dialogue De Passione Domini, ni le De mensuratione crucis, ni le De conceptione beatæ Virginis (avec annexes), ni quelques autres que personne ne revendique pour lui.

La question critique n’a guère progressée depuis Gerberon. C’est donc à la Censura qu’il faut encore renvoyer, P. L., t. CLVIII, col. 15-48. Quelques suppléments d’information dans l’Histoire littéraire de la France, Paris, 1750, t. IX, p. 416-453, et aussi dom Cellier, Histoires générales des auteurs sacrés ecclésiastiques, Paris, 1757, t. XXI, p. 282-339.

Editions. ? La meilleure ?dition complète est celle de dom Gerberon, Paris, 1675, reproduite avec quelques additions à Paris, en 1712 ; à Venise, en 1744 ; à Paris avec beaucoup de fautes, par Migne, en 1853-1854. Sur les éditions antérieures,

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voir Hist. litt. De la France, t. IX, p. 460-464. Celle même de Gerberon est loin d’être parfaite, et une édition critique est très désirable.

Sur la question du Mariale, excellent résumé par J. Mearns, J. Julian, A dictionnary of hymnology, art. Ut jucundus, p. 1200-1201, Londres, 1892 (conclut par Bernard de Cluny). Le P. Ragey a traité la question dans : Annales de philosophie, Paris, mai et juin 1883, t. VIII, p. 138-163, 255-284 (tiré à part) ; Controverse et contemporain, Lyon, nov. 1887 ; Revue des questions historiques, Paris, oct. 1886 et juillet 1887. Cf. Ragey, Histoire de saint Anselme, Paris 1890, t. I, p. 440-457. Voir encore : Controverse et contemporain, Lyon, 1885, t. IV, p. 317-320 ; Léop. Delisle, dans Biblioth.de l’école des chartes, Paris, 1885, t. XLVI, p. 158-159, et surtout dans Annales de philosophie chrétienne, 1885, t. XIII, p. 318-325 ; Hauréau, Les poèmes latins attribués à saint Bernard, Paris, 1890, p. 87. ? Deux ?ditions par le P. Ragey, Londres, 1893 (avec préface et traduction en latin), Tournai, 1885 (texte seul, très élégant dans sa simplicité).

III. ŒUVRES : IDEE ET CONTENU.

Les traités d’Anselme formant chacun une œuvre à part, il faut les étudier un à un, tout en montrant comment ils se relient et finissent par faire un bel ensemble.

1. De grammatico, P. L., t. CLVIII, col. 557-584. ? C’est un exercice pratique de logique formelle ; c’est en même temps une amorce à l’étude des catégories. On peut conclure de là que le grand platonicien de la scolastique a aussi fréquenté Aristote, dans la mesure où Aristote lui était accessible. Saint Anselme se promet, De verit. prol., col. 467, que le traité ne sera pas inutile comme introduction à la dialectique ; il pourrait maintenant encore rendre de grands services, soit comme secours, soit comme modèle, au professeur qui n’aurait pas oublié que la logique est un art et que les arts s’apprennent surtout par l’exercice. C’est en même temps une excellente leçon de pédagogie pratique, tant par la force d’intéresser le disciple, d’éveiller et de diriger la réflexion, que par le choix pour matière d’exercice d’une question importante à élucider (car c’en est une, sous son insignifiante apparence).

2. Monologion, P. L., t. CLVIII, col. 141-224. ? Ainsi nommé, par opposition au Proslogion, parce que tout y est dit sub persona secum sola cogitatione disputantis et investigantis ea quæ prius non animadvertisset. Préf., col. 144. Il parut d’abord avec le Proslogion, sans nom d’auteur, sous le titre Exemptum meditandi de ratione fidei, préf. Du Proslogion. P. L., t. CLVIII, col. 225. Anselme avait jeté en conversation quelques idées sur la méditation de l’essence divine et sujet connexes. Ses frères le prièrent de leur écrire la méditation même, sans appel à l’Ecriture, procédant par simples raisonnements et démonstrations concluantes. Le saint auteur croit " n’y avoir rien dit qui ne soit d’accord avec les Pères et surtout avec saint Augustin dans le De trinitate ". Préf., loc. cit. ; cf. Epist., I, 68. Il a raison, à condition ce qu’il dit ailleurs de ce qui s’y trouve de nouveau et de personnel, De fide Trinit., IV, col. 272-273. Ni les Pères, ni Augustin n’avaient rien de si précis, de si puissamment raisonné, de si fortement lié sur l’essence et les attributs de Dieu, et je ne pense pas que depuis on ait rien fait de si bien comme précis de théodicée.

Lanfranc ne goûta guère le Monologion ; il fut dérouté par cette incursion hardie de la raison dans le domaine de la foi ; Anselme se couvrit derrière Augustin. Epist., I, 68. D’autres s’effarouchèrent également, et l’auteur dut recommander la prudence dans la diffusion du livre. Epist., I, 74. Mais, en général, l’accueil fut enthousiaste.

3. Proslogion, P. L., t. CLVIII, col. 223-242.? Anselme nous explique lui-même dans la préface comment le Monologue l’amena à écrire le Proslogion. Le Monologue est tissé d’arguments divers liés ensemble. L’auteur se demande s’il n’y aurait pas un argument qui,

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pour tenir, n’eût besoin que de lui-même, et qui seul suffit pour établir que Dieu est, qu’il est le souverain bien, n’ayant besoin d’aucun autre, et dont tous les autres ont besoin pour être et pour bien être, tout ce que nous croyons de Dieu. Après bien des lueurs décevantes et fugitives, il désespérait de trouver, et s’était résolu à n’y plus penser, quand l’idée qu’il ne cherchait plus se dégagea soudain du choc de ses pensées obsédants, qu’il s’efforçait de repousser. C’est le fameux argument ontologique dont il sera parlé à l’article suivant. Comme le Monologion, le Proslogion parut tout d’abord sans nom d’auteur, avec le titre destiné à devenir une devise : Fides quærens intellectum. Hugues, archevêque de Lyon, légat du pape en France, lui fit un devoir de mettre son nom aux deux opuscules. Il le redonna donc avec son nom en tête et des titres nouveaux qui permettaient mieux l’adjonction du nom.

Le Proslogion ne contient pas que le fameux argument. A l’idée d’être le plus grand qu’on puisse concevoir, quo majus cogitari nequit, se rattache sans peine celle d’être qui est tout ce qu’il est mieux d’être que de n’être pas, quidquid meliues est esse quam non esse, et celle d’être dépassant toute pensée, major quam cogitari possit ; se rattache aussi la solution des apparentes antinomies que met en Dieu notre façon de concevoir fragmentaire et divisée : comment il est à la fois miséricordieux et impassible, tout-puissant sans tout pouvoir, juste quand il punit et juste quand il pardonne, etc. Bref, le Proslogion complète le Monologion, en étudiant Dieu surtout dans ses rapports avec les idées que nous en avons et les aspirations de notre cœur. L’opuscule est sous forme d’élévations, sub persona conantis erigere nientem suam ad contemplandum Deum et quærentis intelligere quod credit ; et il y a là des cris de l’âme qui seraient à leur place dans les Confessions de saint Augustin. ? Il sera question, ? l’article suivant, de la réponse à Gaunilon.

A l’édition de K. Haas, Tubingue, 1863, mentionnée par Ueberweg, t. II, p. 176, ajouter : De la connaissance de Dieu ou Monologue et Prosloge avec les appendices, par G. C. Ubaghs, Louvain, 1854 ; texte meilleur que celui de Gerberon, d’après un manuscrit de Bruxelles, traduction, notes (parfois ontologistes), bonne table analytique. Bouchitté les avait déjà traduits sous le titre : Le rationalisme chrétien à la fin du XIe siècle, ou Monologium et Proslogium. . . traduits et précédés d’une introduction, Paris, 1844. Texte à bon marché du Monologion, dans Hurter, Patrum opuscula selecta, Inspruck, 1874, t. XXVIII.

4. De fide Trinitatis et de incarnatione Verbi, P. L., t. CLVIII, col. 259-284, contre Roscelin. ? Dans le Monologue, Anselme avait déjà médité sur la Trinité. Ici, il approfondit le mystère, autant qu’il est donné à notre faible raison. Après une humble préface où il dédie son œuvre au pape Urbain II, et des considérations aussi justes que belles sur le rôle de la raison dans la foi, Anselme s’attache à la phrase de Roscelin qui a été l’occasion du livre et dont le livre tout entier n’est que la réfutation. " Si en Dieu, disait Roscelin, les trois personnes ne sont qu’une seule chose, et non trois choses distinctes ayant leur être à part (comme sont trois anges ou trois âmes) de façon cependant à n’être qu’un par la puissance et la volonté, il faut conclure que le Père et l’Esprit-Saint se sont incarnés avec le Fils. " Anselme, après avoir montré qu’il est absurde de lâcher des choses de la foi pour d’apparentes antinomies dialectiques prend la question lui aussi par la raison, mais en partant des données de la foi et uniquement pour résoudre les difficultés ; il montre d’abord à Roscelin qu’il est hérétique et que même avec son hérésie, il se contredit sans cesse. Il lui suffit ensuite de préciser les notions, de distinguer entre nature et personne, entre chose absolue et chose relative, pour faire voir que les conclusions de Roscelin ne tiennent

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pas, et que sa dialectique même est en défaut. On voit que, malgré le titre, l’Incarnation du Verbe n’est pas traitée ici en elle-même. Il est seulement expliqué comment la distinction des personnes en Dieu suffit pour qu’on puisse dire que le Verbe seul s’est incarné, et non le Père ou le Saint Esprit, l’union s’étant faite immédiatement in unitatem personæ, non in unitatem naturæ, c. IV, col. 275 ; il est aussi expliqué en passant comment il étai convenable que le Verbe s’incarnât plutôt le Père ou le Saint Esprit, c. VI, col. 276.

5. De processione Spiritus Sancti contra Græcos, P. L., t. CLVIII, col. 280-326. ? Dan l’ouvrage contre Roscelin, Anselme, pour ne pas brouiller les id?es, s’occupe peu du Saint Esprit. Ici il complète sa théorie de la Trinité en traitant spécialement cette question ; et il montre avec sa précision habituelle, sa dialectique puissante, sa sûreté modeste, que, en partant des données communes aux grecs et aux latins il faut nécessairement admettre que le Saint Esprit ne procède pas seulement du Père, mais aussi du Fils. Chemina faisant, il répond d’un mot aux autres chicanes des grecs sur l’addition du Filioque. Il conclut, avec sa modestie ordinaire : " Mille autres entre les latins eussent mieux fait que moi. Tout donc ce que j’ai dit qui soit digne d’être agréé, qu’on l’attribue non à moi, mais à l’Esprit de vérité. Si j’ai avancé quelque chose qu’il faille corriger en quelque façon, qu’on me l’impute et non au sentiment des latins. " Col. 326.

6. De veritate. ? Suivent trois ouvrages th?ologiques, ? Anselme dit : pertinentes ad studium sacræ Scripturæ, De verit., prologue, col. 467, ? sous la forme de dialogue entre le Ma?tre et le Disciple. Pour entrer dans les intentions de l’auteur, il faut les unir en commençant par le De veritate, mettant ensuite le De libero arbitrio, pour finir par le De casu diaboli. Car, sans former entre eux un tout continu, ils se groupent ensemble, par le sujet come par la forme dialoguée, et il y a de l’un à l’autre une certaine progression, le second s’éclairant par le premier, et le troisième par les deux autres. De verit., prolog., col. 467-468.

Dans le De veritate, col. 467-486, partant de la démonstration de Dieu par la vérité logique donnée dans le Monologion, c. XVIII, Anselme cherche ce qu’est la vérité, où on la trouve, et si elle est diffère avec les objets où on la trouve. Tout en faisant une part à la vérité logique, veritas enuntiationis, et à la vérité morale, rectitudo voluntatis, rectitudo significationis, veritas actionis, il s’occupe surtout de la vérité ontologique. Toute vérité doit se définir, selon lui, rectitudo sola mente perceptibilis, c. XI, col. 480 ; tandis que la justice, qui est aussi une rectitude, est définie rectitudo voluntatis, serrata propter se, c. XII, col. 484. Anselme ne veut pas qu’il y ait plusieurs vérités selon la pluralité des choses vraies, comme il n’y a pas plusieurs temps selon la pluralité des choses qui sont dans le temps. " Il y a, conclut-il, une suprême vérité subsistante qui n’est la vérité de rien, et on parle de la vérité d’une chose en tant que la chose est conforme à cette vérité première. "

Tout n’est pas clair et précis dans cet opuscule, et saint Thomas, en même temps qu’il explique Anselme, a introduit ou vulgarisé dans cette question de la vérité des distinctions utiles et une définition plus nette, cf. Quæst. disp., De verit., q. I, et Sum. theol., la, q. XVI. ? Mais les remarques abondent o? se montre la profondeur d’Anselme ou sa subtilité. Il faut noter les jolies pages inspirées d’Augustin sur la véracité de sens, c. VI, col. 473, sq. ; noter aussi le retour sur la preuve de Dieu comme vérité suprême, preuve bien augustinienne aussi, déjà esquissée dans le Monologion, c. VIII. Voir De verit., c. I et c. X. On dispute encore sur la valeur de cette preuve, et avec plus de raison peut-être que sur la fameuse preuve ontologique. Anselme donne au c. X,

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col. 479, quelques explications qui, en en précisant le sens, la font peut-être rentrer dans la preuve métaphysique reçue de tous, dont elle ne serait qu’une application spéciale, portant plus directement sur l’absence en Dieu de commencement et de fin. Voir ci-dessous, IV, II, 2, col. 1345.

7. De libero arbitrio, col. 489-506. ? Anselme lui-même nous en indique ainsi le sujet : De libertate arbitrii quid sit et utram eam semper habeat homo, et quot sint ejus dioersitates in habendo vel non habendo rectitudinem voluntatis ad quam servandam est data creaturæ rationali. De verit., prolog., col. 467. Il la regarde surtout dans son rapport à l’acte moral, et repoussant l’idée qui fait de la faculté de mal faire un élément de la liberté, il la définit au contraire comme " le pouvoir de garder la rectitude de la volonté pour cette rectitude même, potestas servandi rectitudinem voluntatis propter ipsam rectitudinem ", c. III, col. 494, montrant par de fines distinctions et des analyses délicates comment cette liberté convient à chacun, à Dieu, à l’ange dans l’état d’épreuve, à l’ange fidèle et au démon, à l’homme enfin, dans l’état présent comme dans l’état d’innocence, que l’homme triomphe de l’inclination au péché ou qu’il s’y laisse entraîner.

On a remarqué qu’Anselme ne distingue pas nettement le libre du volontaire, et que par là Luther ou Baius pourraient prendre avantage de telle ou telle formule. Anselme pouvait parler plus librement avant l’erreur.

8. De casu diaboli, col. 325-360. ? Le grand problème de la chute des anges et de l’origine du mal se rattache à la question du libre arbitre, et c’est par le libre arbitre de l’ange qu’Anselme explique comment Lucifer pécha et comment Dieu ne lui donna pas la persévérance qu’il donna aux bons anges, et que lui-même ne pouvait avoir sans un don de Dieu. Il y a là des vues profondes et d’une précision scolastique sur la nature du mal, et sur le libre jeu de la volonté en face de l’attrait nécessaire vers le bien et la béatitude. On remarquera dans cet ouvrage ce que j’appellerais l’aspect moliniste des explications d’Anselme.

9. Cur Deus homo, col. 359-432, en deux livres, sous forme de dialogue entre Anselme et son jeune disciple et ami Boson. ? Le De casu diaboli ouvrait, pour ainsi dire, la voie au Cur Deus homo, Pourquoi l’Incarnation. Anselme se plaint de n’avoir ni eu le temps ni le repos d’esprit nécessaire pour tout dire sur cette grande question. Il dut se hâter, en effet, de l’achever pour ne pas laisser circuler des copies incomplètes, faites à son insu pendant qu’il y travaillait. Je l’ai écrit, ajoute le saint docteur, in magna cordis tribulatione, et l’on ne peut que s’étonner comment il pouvait s’occuper de ces profondes et difficiles spéculations au milieu des troubles qui préparèrent son premier exil et des difficultés qui le poursuivaient jusque dans sa retraite de Capoue. Avec le Monologue, c’est peut-être l’œuvre du saint la plus travaillée et la plus méditée ; c’est aussi l’un des efforts les plus hardis de l’esprit humain s’exerçant sur les choses de la foi pour en avoir l’intelligence. Fidèle à son procédé de chercher à comprendre ce qu’il croit, c’est par raison qu’il procède non par autorité. Le premier livre, dit l’auteur, s’adresse aux infidèles qui repoussent la foi chrétienne comme contraire à la raison : il donne leurs objections et y fait réponse, cherchant même à prouver par arguments nécessaires, à suppose qu’on ne sache encore rien du Christ, qu’il est impossible d’être sauvé sans lui. Dans le second livre, mise à part, de la même façon, l’hypothèse du Christ comme si l’on ne savait rien de lui, on montre avec non moins d’évidence et de vérité que la nature humaine a été faite pour que tout l’homme, corps et âme, jouît un jour de l’immortalité bienheureuse ; que l’homme doit nécessairement arriver au terme pour lequel Dieu l’a fait, mais cela par un

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Homme-Dieu seulement, et que donc tout ce que nous croyons du Christ apparaît comme nécessaire.

L’argumentation d’Anselme revient à ceci : d’une part, le péché, comme offense de Dieu, exige, pour être dignement expié, une satisfaction infinie ; d’autre part, Dieu ne pouvait convenablement ni pardonner sans satisfaction, ni laisser l’homme sans réparation (c’est-à-dire le ciel sans un complément nécessaire pour les anges tombés). Mais ni Dieu ne saurait expier et satisfaire, ni aucune créature le faire dignement. Donc il fallait un Dieu homme.

Anselme, on le voit, semble vouloir prouver la nécessité absolue de l’incarnation. Nous reviendrons sur ce point. Signalons ici que les Allemands nomment la théorie anselmienne de la satisfaction. On s’est ingénié à en chercher les origines qui dans le droit germanique, taxant, selon les offenses, les amendes et les peines ? cela est-il si exclusivement germanique ? ? qui dans l’acceptilatio du droit romain, qui dans une combinaison des idées romaines avec les idées germaniques. Rien ne justifie ces conclusions, d’ailleurs si divergentes. La notion de satisfaction vicaire est au fond même du christianisme ; Anselme, suivant sa méthode, en fit la théorie. Il en trouvait tous les éléments dans les idées courantes, dans le dogme même. Il lui reste l’honneur de les avoir groupés en système pour la solution d’un grand problème théologique, d’avoir dégagé et mis dans la circulation des explications à la fois justes et pieuses, simples et profondes, sur la malice infinie du péché, sur l’insuffisance de toute créature à l’expier, sur la suffisance admirable de l’expiation par l’Homme-Dieu.

Il faut noter, au début du Cur Deus homo, l. I, c. VII, col. 367, l’insistance à combattre l’opinion d’après laquelle c’est au démon plutôt qu’à Dieu qu’aurait été payée la rançon de l’homme. C’est Boson qui parle, mais on voit par la Méditation, XI, col. 764, qu’il exprime la pensée d’Anselme. D’après cette opinion, mise en avant par Origène et déjà rejetée par saint Grégoire de Nazianze, cf. Schwane, t. II, § 35, le démon aurait eu une sorte de droit sur l’homme, le droit du vainqueur sur le vaincu. On prête souvent la même doctrine aux Pères, et, de fait ; plus d’un parmi eux, sans la tenir au fond, parle à peu près comme s’il la tenait. Il est curieux que dans la controverse, entre Abailard et saint Bernard, sur ce sujet, il ne soit jamais question de saint Anselme. Cf. S. Bernard, Tractatus de erroribus Abælardi, c. V, n. 11, P. L., t. CLXXXII, col. 1062. Bernard avait-il lu le Cru Deus homo ?

Le Cur Deus homo a été édité à part, par H. Laemmer, Berlin, 1857 ; par O. Fridolin Fritsche, Zurich, 1868 et 1886 ; à Londres, chez Nutt, 1885, et chez Griffith, 1898, (avec un choix de lettres).

10. De conceptu virginalis et de originali peccato, col. 431, 464. ? Dans le Cur Deus homo, l. II, c. XVIII, col. 425, Anselme, en expliquant que le Christ ne pouvait contracter le péché originel, donnait une raison, et en réservait une autre, à discuter ailleurs. Ce fut l’occasion du présent livre, où il est montré que le Christ en naissant d’une vierge échappait par là même à la loi du péché originel. Mais Anselme ne se contente pas de traiter ce point particulier, il examine à fond la question même du péché originel et de sa transmission. Plusieurs de ses explications sont admirables de précision et de profondeur : saint Thomas n’a pas mieux dit. Mais, faute de se rendre compte avec la netteté suffisante de la nature de l’élévation primitive et de la justice originelle, à laquelle il veut expliquer sa définition de la justice : rectitudo voluntatis propter se ipsam servata, plus d’un point reste obscur et embarrassé. Sur l’effet du baptême, notamment, Anselme en est réduit à employer le langage que l’Eglise doit condamner un jour dans Baius ; non pas qu’Anselme ait l’erreur de Baius,

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mais il n’a pas vu dans toute sa netteté la vérité contraire à cette erreur.

11. De concordia præscientiæ et prædestinationis necnon gratiæ Dei cum libero arbitrio, col. 507-542. ? Trois questions difficiles, au dire du saint auteur : il les avait d?jà rencontrées sur sa route et il en avait dit quelques mots très nets, où il parlait à peu près comme Augustin, mais plutôt comme Augustin, défendant par le libre arbitre contre les manichéens ou les priscillianistes, que comme Augustin revendiquant contre les pélagiens et les semi-pélagiens les droits de la grâce et de la prédestination.

Anselme était content de son traité, et il nous le dit avec cette simplicité charmante qui, chez lui comme chez saint Thomas et saint Augustin, accompagne le génie et sauvegarde l’humilité : " Je pense pouvoir terminer ce traité sur trois questions difficiles que j’ai commençant en comptant sur le secours divin. Si j’y ai dit quelque chose qui satisfasse le chercheur, je ne me l’attribue pas ; car non ego, sed gratia Dei mecum. Je dis cela, car si, au milieu de mes recherches sur ces questions, quand mon esprit allait çà et là pour trouver les réponses de la raison, on m’eût donné celles qui sont écrites ici, j’aurais remercié, car j’eusse été satisfait. Puis donc que ce que j’en ai pu voir, à la lumière de Dieu, m’a beaucoup plu ; sachant que d’autres aussi seraient heureux si je l’écrivais, j’ai voulu donner gratis à leur demande ce que j’ai reçu gratis. " Q. III, c. XIV, col. 540-542.

12. Méditations, col. 709-820. Prières, col. 855-1016. ? Parmi ces m?ditations et ces prières, il en est assez dont l’attribution est certaine pour que nous puissions parler des prières et des méditations d’Anselme. Les critiques n’ont qu’une voix pour louer ces cris de l’âme, si sincères, si profonds, si éloquents ; les protestants, qui s’attendent toujours à ne trouver dans la prière catholique que formalisme vide et sans vie, n’en reviennent pas de voir Anselme si intime avec Dieu, avec Notre Seigneur Jésus-Christ, épanchant toute son âme, criant miséricorde, louant et remerciant, tantôt à l’espérance du ciel et au dégoût de la terre, tantôt tout à l’amour. Les Elévations de Bossuet sont plus intellectuelles et plus objectives ; l’Imitation est généralement plus calme, moins passionnée ; pour avoir quelque chose d’analogue à cette œuvre d’Anselme, c’est aux Confessions d’Augustin qu’il faut aller ou à l’admirable prière qui ouvre les Soliloques, c’est aux Elévations de sainte Thérèse. Ce qu’il faut relever dans un dictionnaire de théologie, c’est comment, chez Anselme, comme chez Augustin, la spéculation intellectuelle et la prière du cœur s’unissent et se donnent la main. Déjà le Proslogion nous a montré cette spéculation priante ou, s’il l’on aime mieux, cette prière spéculative. Comment les mêmes idées qui remplissent l’esprit du penseur nourrissaient le cœur du saint et devenaient d’ardentes effusions devant Dieu, on peut s’en faire une idée en comparant, par exemple, le Cur Deus homo avec la méditation onzième, De redemptione humana. Lui-même nous le fait entendre quand il dit : Fac, precor, Domine, me gustare per amorem quod gusto per cognitionem ; sentiam per affectum quod sentio per intellectum. Médit. XI, col. 769.

Les Méditations (sans les Oraisons) ont été éditées à part, après Gerberon, à Rome, par le card. d’Aguirre, 2e édit., 1697, à Cologne en 1851 ; à Liège en 1859, par Mgr Malou, avec une préface, la Censure de Gerberon, et l’opuscule De quatordecim beatitudinis. Elles ont été traduites en français (avec les Oraisons), par H. Denain, 2 vol., Paris, 1848.

13. Opuscules divers. ? On ach?ve d’y voir et l’influence d’Anselme et les multiples aspects de son riche talent. Ses deux lettres opuscules à Walram sur l’usage du pain azyme et sur les diversités liturgiques montrent combien il avait à la fois de fermeté et de douceur conciliante, de sagesse pratique et de largeur d’esprit. En

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liturgie, il fait la part belle au symbolisme, mais il ne veut pas qu’on raffine trop, ni surtout qu’on soit exclusif.

Liturgiste dans les opuscules à Walram, Anselme est canoniste dans les consultations sur les prêtres concubinaires et sur les mariages entre consanguins. Ce qu’il était dans ses Homélies et ses entretiens spirituels, nous pouvons l’entrevoir par l’homélie IX, par le De beatitudine et par nombre d’entretiens recueillis soient dans sa vie, par Eadmer, soit dans le De similitudinibus ; enfin l’Admonitio morienti, si elle est de lui, nous le montre assistants les mourants, excitant doucement chez eux la foi, le repentir, la confiance aux mérites de Jésus.

14. Correspondance. P. L., t. CLVIII, col. 1059-1208 ; t. CLIX, col. 9-272. ? On sait que la correspondance d’Anselme est très intéressante à plus d’un titre. Il faut se borner ici à signaler les points qui touchent de plus près à la théologie de l’ascétisme.

Quelques lettres sont de vrais opuscules théologiques ou des consultations, non pas seulement celles qui ont été transférées parmi les opuscules, comme la correspondance avec Walram, mais d’autres encore : ainsi les explications De malo, Epist., II, 8 ; ainsi l’opuscule sur l’Eucharistie, Epist., IV, 107. D’autres traitent des questions de morale ou de droit canon : qu’il y a plus de mérite quand on agit par vœu, que l’entrée en religion périme les autres vœux, etc. D’autres sont de petites exhortations ascétiques, portant souvent sur un point particulier, une idée à méditer ; ou ce sont des lettres de direction, sur les tentations ou la manière de s’y comporter, sur les pièges du démon et la manière de se garder ; des avis à de jeunes religieux, à des supérieurs, etc.

Beaucoup de ces lettres touchent en suscription un souhait d’ordinaire en rapport avec l’idée de la lettre ou la position du destinataire : Sancti Spiritus semper regi consilio et consolatione gaudere ; ? Semper ad meliora proficere et nuquam deficere ; ? Semper velle et facere quæ Deo placent et quæ sibi expediunt, etc. Souvent ces souhaits sont, en une phrase, toute une exhortation spirituelle. On en trouve du même genre chez plusieurs des correspondants. ? Les lettres ? ses moines se terminent çà et là par une absolution générale. ? Enfin, non seulement les mêmes pensées reviennent, mais parfois les mêmes phrases et les mêmes développements dans les mêmes termes. Comparer, par exemple, Epist., I, 2, col. 1065, Epist., I, 43, col. 1114, et avec Epist., I, 27, col. 1090. De même Epist., III, 65, avec IV, 13. ? Il est regrettable qu’on n’ait pas de table groupant les lettres d’Anselme par ordre de mati?res.

IV. TRAITS CARACTERISTIQUES.

Il reste à caractériser l’homme et l’auteur, la méthode, les doctrines, la place dans le développement de la science théologique.

I. L’HOMME ET L’AUTEUR.

Il est peu de figures si belles et si sympathiques. Il avait le don de gagner les cœurs, le don d’attirer. " Tous les gens de bien, écrivait-il lui-même, m’ont aimé qui m’ont connu. . . ceux-là davantage qui m’ont connu plus intimement. " Epist., III, 7, P. L., t. CLIX, col. 21. C’est pour Anselme surtout que l’on venait au Bec. " Beaucoup d’entre vous, presque tous, leur écrivait-il un jour, vous êtes venus au Bec à cause de moi. " Il n’usait de sa puissance d’attraction que pour mener à Dieu. " Vous êtes venus à cause de moi, mais pas un ne s’est fait moine à cause de moi. " Ibid., col. 23. Sa correspondance montre comment rayonnaient partout cette bonté et ce génie. Son action intellectuelle et morale était donc très puissante.

Cette puissance d’attraction s’exerce encore sur ceux qui l’approchent. Malgré les différences religieuses, philosophiques, morales, Hasse, Church, les auteurs de l’article Anselme dans la Realenzyklopädie, et dans le Dictionary of national biography, ont cédé à ce charme.

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Les œuvres mêmes d’Anselme en gardent quelque chose ; non seulement la correspondance qui, malgré la langue un peu factice, est si sincère de ton, si aimable, si humaine, le tout dans une atmosphère d’idéal et de sainteté ; mais aussi ses traités, mêmes les plus austères. A quoi tient ce charme de ses écrits ? La chose vaut la peine d’être dite, même dans un dictionnaire de théologie.

C’est d’abord que, chez Anselme, l’homme apparaît partout dans l’auteur. Il est le protagoniste des dialogues. Il intervient au début de tous ses traités, pour nous dire ce qu’il a voulu faire, ou comment telle idée lui est venue et comment il a été amené à écrire ou à publier tel traité, dans quelle circonstance il l’a composé et quelle disposition il désire dans le lecteur ; il intervient à la fin pour prendre congé par un mot aimable et modeste, tout cela avec cette humilité simple et vraie qui parle de soi comme on ferait d’un autre. Là même où l’auteur n’intervient pas en personne, on le sent partout près de soi, et cette demi-présence, discrète mais attentive, soutient même dans les passages les plus difficiles.

Un second trait. Dans Anselme, il n’y a pas seulement un penseur qui écrit ; il y a un écrivain. Par un exemple trop rare, hélas ! dans le monde des Pères et des théologiens, les opuscules d’Anselme sont des morceaux soignés, on pourrait dire achevés dans leur genre. Non pas qu’Anselme ait des prétentions littéraires. Mais il est artiste et à l’amour du beau. Il parle quelque part des belles idées que l’on aime et de la joie qu’on sent à comprendre et à regarder les mystères de la foi, Cur Deus homo, l. I, c. I, col. 361 ; il a partout je ne sais quoi d’esthétique circulant au milieu des méditations les plus abstruses ; il aime les belles choses, et il souffre à voir un vilain tableau de Notre Seigneur. Ibid., c. II, col. 363. Il ne peut s’accommoder au négligé, de l’à peu près ; il préfère avoir une partie d’un manuscrit bien copiée que le tout émaillé de fautes, Epist., I, 51, et l’on sait que, au Bec, il passait une partie de ses nuits à corriger des textes. On trouve partout dans ces œuvres des traces de ce soin, voyez, par exemple, sa lettre à Hugues de Lyon, sur les titres du Monologion et du Proslogion. Epist., II, 17. Il a commencé par remplacer les premiers titres par quelque chose de plus court et de plus délié : Monoloquium et Proslogion. Mais Monoloquium ne lui plaît qu’à moitié ? on entrevoit pourquoi ? et il le remplace par Monologion, qui n’a plus rien de gauche ni pour la langue ni pour la symétrie. Voyez avec quel soin il recommande de copier ses préfaces, de grouper les en-têtes à telle place, de faire suivre les opuscules dans tel ordre. Est-ce minutie ? Non. C’est instinct d’artiste.

De là aussi, c’est lui qui nous le dit, Cur Deus homo, l. I, c. I, col. 362, la forme du dialogue, et jusque dans les sujets les plus arides, dans le De grammatico, par exemple un mouvement, de petites surprises, un sourire qui égaye et anime la discussion. De là le recours continuel aux exemples. Besoin de clarté sans doute mais aussi sentiment d’artiste et de poète ; et ainsi, tandis qu’Aristote et saint Thomas mettent leur comparaison en un mot, Anselme s’y arrête et les développe. Cf. De fide Trinit., c. VIII, col. 280. Il aime à symboliser sa pensée dans une gracieuse image. Et d’autre part, pour lui comme pour tous les méditatifs, les choses les plus simples devenaient symboles et prenaient un sens. Un lièvre qui cherche asile aux pieds de son cheval le fait penser à une pauvre âme au moment de la mort. De similit., c. CLXXXIX, t. CLIX, col. 700. Un oiseau qu’un enfant retient par un fil lui représente l’homme captif dans les liens d’une mauvaise habitude. Ibid., c. XCC, col. 701.

Ainsi, dans Anselme, le penseur est doublé d’un écrivain, sinon d’un poète, et certes son œuvre n’y perd pas.

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II. LA METHODE.

Ce qui fait la grande d’Anselme et qui marque sa place dans l’histoire du dogme, c’est sa méthode, méthode bien connue, c’est la foi qui cherche à comprendre, fides quærens intellectum, c’est l’application de la raison avec toutes ses ressources à l’étude de la foi, ce que l’on a nommé depuis la méthode scolastique. Anselme n’a pas inventé cela. Dès les origines, la foi a cherché à s’éclairer, à comprendre ce qu’elle croyait, et sans parler des alexandrins, de Clément et u grand Origène, il suffit de nommer saint Augustin pour rappeler les puissants efforts dans le domaine du dogme. Augustin a même esquissé déjà les grands traits de cette méthode, De verâ religione, c. V, XXXIV ; De utilitate credendi, c. IX ; De ordine, l. II, c. IX ; In Joan., tr. XL, c. IX. Mais Anselme l’a poussée avec une suite et une conscience de ce qu’il faisait, qui sont bien à lui. Plus encore, il en a fait la théorie avec une netteté parfaite, et il y revient sans cesse. Voir notamment Proslogion, préf. et c. I ; De fide et Trinitatis, c. II ; Cur Deus homo, l. I, c. II. Augustin trouvait dans sa traduction de la Bible un texte d’Isaïe, VII, 9, Nisi credideteris, non intellegetis, qui lui avait mainte fois fourni l’occasion d’expliquer qu’il faut croire d’abord nos mystères sans les comprendre et sans les raisonner ; mais qu’une fois admis la parole de Dieu, ils donnent à la raison dès ici-bas, en attendant la vision, matière à belles considérations et à traitement rationnel et scientifique. C’est de là que part Anselme. Prenant pour acquises les données de la foi, il applique toutes les ressources de sa belle intelligence à s’expliquer les vérités qu’il croit de tout son cœur, à les éclairer des faibles rayons de la lumière créée, à les coordonner en système, à en montrer le lien et les conséquences logiques. Il laisse donc de côté l’Ecriture et l’autorité des Pères, qui ne lui serviraient qu’à établir sa foi, et il médite avec amour sur les vérités que cette foi lui propose. Voir la préface du Monologion. C’est la méthode scolastique en ce qu’elle a d’essentiel. C’est donc avec raison qu’il est appelé le Père de la scolastique et que l’Eglise le présente comme ayant servi de règle à tous les théologiens qui ont traité le dogme scholastica methodo. Brevraium romanum, 21 april., lect. VI.

Il va de soi que cette méthode emporte le raisonnement, l’argumentation. Si la dialectique d’Anselme est plus dégagée et plus libre d’allure que celle de saint Thomas, elle n’en est pas moins serrée et rigoureuse. Nulle part peut-être chez les scolastiques, on ne trouve des raisonnements si poussés, des déductions ainsi menées jusqu’à tirer du principe ou de la vérité acquise tout ce qu’elle contenait pour la raison. Il y a, ce me semble, à cet égard, une différence notable entre saint Anselme et saint Thomas. Saint Thomas, presque partout, là surtout où il fait plus directement de la théologie, raisonne, je dirais, en champ clos. La conclusion lui est généralement donnée, sinon comme acquise, au moins comme en question ; le travail consiste à la rattacher aux principes, à l’éclairer par les vérités reçues, à rejeter l’erreur comme incompatible avec une donnée de la foi ou de la philosophie. Il s’agit pour lui de démontrer une vérité ou de résoudre un problème. La méthode d’Anselme est beaucoup plus une méthode de recherche. Partant d’un principe, il suit pour ainsi dire le fil du raisonnement jusqu’à ce qu’il soit arrivé au bout. Et de là l’unité serrée de la trame et l’ampleur du mouvement dialectique. Le Monologion est le modèle du genre ; le Cur Deus homo est à peu près de même allure : ce sont des voyages de découverte. On est sûr d’ailleurs de ne découvrir que le dogme ou des vérités en accord avec le dogme ; si l’on aboutissait ailleurs, c’est qu’on aurait fait fausse route. Il ne faut pas établir des démarcations trop précises entre les deux méthodes, car saint Thomas procède aussi comme saint Anselme, notamment en maint endroit

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du Contra gentes, et Anselme a des chapitres qu’on pourrait croire de saint Thomas ; mais la différence générale demeure, et l’on peut dire que par là saint Anselme est plus près de Platon, saint Thomas, plus près d’Aristote.

Un dernier trait de la méthode d’Anselme, c’est qu’elle n’est pas, comme on dit aujourd’hui, purement intellectualiste. Sans doute, il y a spéculation, il y a voyage intellectuel ; mais au point de départ et au point d’arrivée, il y a autre chose que la connaissance, et, durant le voyage même entrepris sous la poussée de l’amour pour aboutir à l’objet aimé, l’esprit est rarement seul : on sent que l’âme est là toute entière. Voyez les admirables élévations au début du Proslogion, c. I : Dic nunc, totum cor meum, dic nunc Deo : Quæro vultum tuum. . . Eia nunc ergo, tu Domine Deus meus, doce cor meum, ubi et quomodo te inveniat, etc. ; et ceux de la fin, C. XXVI : Oro Deus, cognoscam te, amem te ut gaudeam de te. . .Meditetur interim inde meus mea, etc. Cf. Medit., XI, début et fin. Ce que nous voyons ici en pratique est donné comme précepte au début du De fide Trinitatis, c. II. On ne doit jamais, dit Anselme, mettre en question une vérité de foi ; mais semper eadem fidem indubitanter tenendo, amando et secundum illam vivendo, humiliter, quantum potest, quærere rationem quomodo sit. . . Prius ergo fide mundandum est cor. . . et prius per præceptorum custodiam illuminandi sunt oculi. . . et prius per humilem obedientam testimoniorum Dei debemus fieri parvuli. . . Qui non crediderit, non intelliget. Nam qui non crediderit, non experietur, et qui expertus non fuerit non intelliget, etc. Et plus brièvement dans une lettre à Lanfranc : Didici in schola christiana quod teneo, tenendo assero , asserendo amo. Epist., I, 41. Ainsi la spéculation devient une douce contemplation de l’objet aimé : eorum quæ credunt intellectu et contemplatione delectentur. Cur Deus homo, l. I, c. I. Les Méditations nous montrent à merveille cette union de la spéculation et de l’amour. Ainsi quand il s’exhorter à méditer la rédemption par Jésus-Christ : Versare in meditatione ejus, delectare in contemplatione ejus. . . gusta bonitetem Redemptoris tui ; accendere in amorem Salvatoris tui, Médit., XI, col. 763 ; et quand il dit à Dieu en finissant : Fac, precor, Domine, me gustare per amorem quod gusto per cognitionem ; sentiam per affectumquod sentio per intellectum, etc., col. 769.

Pour résumer, c’est toujours Anselme tout entier qui cherche et qui aime ; mais dans les ouvrages spéculatifs comme le Monologion, c’est la pensée qui s’exprime, le cœur écoute et s’émeut en silence : dans les Méditations et les Oraisons, c’est le cœur ému par la pensée ; dans le Proslogion l’union est si intime de la de spéculation affectueuse avec l’affection spéculative, que l’on croirait entendre Augustin. Anselme, à cet égard, diffère de saint Thomas, qui, dans ses écrits, n’a directement exprimé son âme que par des mots rares et courts, et ne s’est révélé aimant et poète qu’une fois par les strophes immortelles que l’Eglise immortelle chantera jusqu’à la fin du monde au Dieu de l’Eucharistie.

III. LES DOCTRINES.

En général, la doctrine d’Anselme est la doctrine commune de l’Eglise et il est curieux que les protestants s’étonnent de trouver chez un catholique des actes de confiance aux seuls mérites du Christ et d’abandon à sa seule miséricorde ; comme si ce n’était pas là le fond du catholicisme ! Après ce qui a été dit dans l’examen des ouvrages, il ne reste à signaler que quelques points.

1. Le réalisme de saint Anselme. ? On a pr?té parfois à saint Anselme quelque chose du réalisme panthéistique de Scot Erigène. Rien de moins fondé. Si tout n’est pas net dans le De veritate, tout peut et doit s’entendre en un bons sens, celui que donnait déjà saint Thomas. Voir

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plus haut, De veritate. Anselme a contre le nominalisme grossier de Roscelin des mots durs dont il n’est pas coutumier, De fide Trinit., c. II, col. 265 : il donne une certaine réalité à la nature humaine, identique dans la diversité des individus ; il met une certaine distinction entre cette nature et les individus ; et, comme faisaient déjà les Pères, il tire de là de belles analogies pour l’explication de la Trinité, De fide Trinitatis, c. VI, VII, col 279 ; mieux peut-être qu’on n’avait fait avant lui, il se sert de ces principes pour expliquer la transmission du péché originel. De conceptu virginali, c. XXIII, col. 456. Mais on ne voit là aucun excès de réalisme. Il reproche à Roscelin de ne pas admettre que la couleur soit quelque chose autre que la substance colorée, et de se rendre par là incapable de comprendre les relations qui dans l’unité de la substance divine constituent la trinité des personnes. De fide Trinitatis, c. II, col. 265. Mais on peut admettre des accidents distincts sans en faire des êtres substantiels. Enfin il met en Dieu les idées exemplaires, sur lesquelles le divin architecte a fait le monde. Monol., c. IX, X, col. 157 sq. (il n’a pas le mot idées). Mais rien en cela qui lui soit propre, rien qui présente un réalisme excessif. En somme, Anselme est réaliste, si par là on veut dire qu’il a combattu le nominalisme ; mais il n’a pas les excès du réalisme et, en fait, la question des universaux a chez lui fort peu de place.

2. L’ontologisme de saint Anselme, l’argument des vérités éternelles. ? Les ontologistes l’ont souvent cit? en leur faveur (comme ils ont fait pour saint Augustin et saint Thomas). C’est à tort ; Anselme ne connaît point d’autre vision en Dieu que la vision béatifique ; l’argument du Proslogion n’est pas non plus un argument ontologiste (voir article suivant). Reste la démonstration de Dieu par les vérités éternelles.

Anselme semble admettre cette démonstration dans le Monologion, c. XVIII, col. 165, et dans le De veritate, c. X, col. 479. Quand il l’aurait fait, à la suite d’Augustin et de Boèce, on n’en pourrait pas conclure qu’il est ontologiste. Si Bossuet, Fénélon, d’autres après eux y ont mêlé des éléments ontologistes, ces éléments lui sont accidentels, et plus d’un aujourd’hui encore admet la valeur, qui en ôte tout ce qui sentirait l’ontologisme. Mais il n’est pas même bien sûr qu’il avait voulu prouver par là l’existence de Dieu, ou la prouver sans passer par l’argument de la contingence. En y recourant, il ne semble avoir en vue que de démontrer l’éternité de Dieu ; et les explications qu’il donne dans le De veritate semblent tout ramener à une existence et à une vérité hypothétiques. Ainsi l’entendait déjà, Quæst. disp., De verit., q. I, a. 5.

3. La psychologie de saint Anselme. ? Non plus que pour la logique ou l’ontologie, Anselme ne fit jamais de psychologie pour la psychologie même. Il en fit cependant, en vue de la théologie et de l’Ecriture sainte. Avec quel soin, par exemple, dans ce que l’on nomme d’un seul mot la volonté, il a distingué la faculté, l’acte, etc. De même, selon Guibert de Nogent, il distinguait soigneusement dans l’âme le sentiment, la volonté, la raison, l’intelligence, " toutes les mystérieuses communications de notre vie intime, " pour en montrer, selon les aspects, soit la distinction, soit l’unité. Tout cela, nous dit Guibert, sans s’expliquer davantage, Anselme l’appliquait à quelque texte choisi de l’Evangile. Ce qu’était cette explication, on pourrait, à défaut d’exemples directs, s’en faire une idée en regardant les commentaires moraux ou tropologiques de Guibert lui-même. Celui-ci, en effet, nous dit n’avoir fait que suivre la voie que lui montrait Anselme, cœpi et ego ejus sensa commentis, prout poteram, similibus æmulari. Guibert de Nogent, De Vita sua, l. I, c. XVI, P. L., t. CLVIII, col. 874.

4. La raison et la foi ; la démonstration des mystères. ? On a sembl? parfois faire d’Anselme un ratio-

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naliste qui va où le mène sa raison, sans tenir aucun compte de la foi. C’est entendre étrangement sa méthode si souvent et si nettement expliquée par lui ; c’est lui prêter des idées contre lesquelles protestent et sa vie entière et tous ses écrits. Voir plus haut, IV, 2e, col. 1343. D’autre part, quelques traditionalistes l’ont revendiqué pour eux, parce qu’il met la foi avant la raison : Credo ut intelligam, fides quærens intellectum. Prosolog., proœm. et c. I. C’est ne pas distinguer entre l’usage et la raison avant la foi, entendez : avant la foi surnaturelle, et l’usage de la raison après la foi. De la genèse de la foi, Anselme ne s’est pas directement occupé. Il dit seulement qu’il ne faut pas s’attendre pour croire que l’on ait compris les mystères, car on ne comprendra jamais. Il faut commencer par croire sur l’autorité de Dieu et par agir selon la foi. Après cet acte de soumission intellectuelle et morale, dit Anselme, essayez humblement de scruter ce que vous voyez : on ne saurait faire un plus noble usage de la raison. Et il joint l’exemple au précepte, on sait avec quelle hardiesse et quel succès. Certes, cela n’est pas d’un traditionaliste qui n’attend rien de la raison. Il y a plus. Et le Proslogion et le Cur Deus homo, dirigés au nom de la raison contre les incroyants, supposent évidemment un usa de la raison antérieur à la foi. D’autre part, cette raison qui part de la foi pour scruter humblement les profondeurs de Dieu, n’oublie pas un moment sa dépendance, et qu’elle est soumise à une autorité plus haute. Cf. De fide Trinit., c. II, col. 261, 263, 264 ; Cur Deus homo, l. I, c. II, col. 362-363.

Reste un point à examiner. Anselme prétend-il ou non, je ne dis pas trouver, mais retrouver par la raison les mystères de la foi, la Trinité par exemple ou la nécessité de l’Incarnation ? Il parle, en effet, sans cesse de démonstration, de preuves convaincantes et nécessaires. Quel sens attache-t-il à ces mots ?

Avant tout il ne prétend pas imposer ses raisons. " Voilà ce qui me paraît, redit-il souvent ; mais toujours sauf meilleures raisons ou autorité supérieure. " Croit-il cependant que ces démonstrations rationnelles aient une valeur probante par elles-mêmes ? Oui, sans doute, si on les regarde dans l’ensemble du système catholique, et c’est ainsi qu’il montre fort bien aux Grecs qu’ils ne peuvent logiquement nier que le Saint-Esprit ne procède aussi du Fils. Va-t-il jusqu’à leur attribuer une valeur absolue ? Il faut avouer qu’il en a tout l’air et, dans ce cas, il irait trop loin. Car les mystères intimes de la vie divine, comme la Trinité, restent indémontrables, et aussi les libres dispositions de la providence, comme l’Incarnation. La raison peut répondre aux difficultés, éclairer les mystères par des comparaisons et des analogies prises de l’ordre créé, montrer les convenances du choix divin, lier les vérités ainsi connues et montrer comment elles se tiennent, tirer enfin les conclusions des principes connus par la foi. Là se borne son rôle. Quelques-uns croient que jamais Anselme n’a prétendu faire autre chose. Il faut reconnaître au moins qu’il outre ça et là l’expression ; reconnaître aussi de bonne grâce que, sur la question de la Trinité, sa pensée est confuse, sinon fausse, et que, sur celle de l’Incarnation, il insiste trop sur la nécessité pour Dieu de donner des remplaçants des anges déchus, et sur l’impossibilité du pardon pur et simple, accordé non pas sans repentir, comme il semble l’entendre, mais au repentir. L’incarnation, en effet, n’est nécessaire qu’à cette double condition.

Telles sont les principales questions que soulèvent les doctrines d’Anselme. Il suffira de signaler d’un mot les autres points où il a été inexact ou obscur.

5. Divers points de doctrine. ? Dans la justice originelle, il ne voit gu?re que la rectitude morale de la volonté. Il ne dit rien de cette beauté surnaturelle, de cet ornement divin qui est la grâce sanctifiante, rien de

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l’élévation proprement dite. De là vient qu’il n’a guère, pour expliquer l’effet du baptême dans les enfants, que des explications insuffisantes, celles-là mêmes qui, données comme exclusivement juste par Baius, seront un jour condamnées par l’Eglise. Cf. De conceptu virginali, c. XXIX, col. 463.

On l’a donné parfois comme un défenseur de l’Immaculée Conception de la sainte Vierge ; mais les œuvres d’où étaient tirés les textes ne sont pas lui. Dans le Cur Deus homo, l. II ; c. XVI, XVII, col. 416 sq., la sainte Vierge est englobée trop globalement dans la masse pécheresse (in iniquitatibus concepta, c’est Boson qui parle, mais Anselme admet cela, cf. De conceptu virginali, c. XVIII, XIX, col. 451) Il reste qu’Anselme a dit de Marie un mot admirable qui devint classique, et qui emporte l’Immaculée Conception : Decens erat ut ea puritate qua major sub Deo nequit intelligi Virgo illa niteret, etc. De conceptu virgin, c. XVIII, col. 451.

La liberté du Christ dans sa passion n’est pas suffisamment expliquée. C’est trop peu, en effet, que la personne du Verbe avait librement choisi et accepté le plan divin de la Rédemption. Cela ne donne pas à Notre Seigneur une liberté humaine. Cur Deus homo, l. II, c. XVII, col. 419. Enfin Anselme, à la suite d’Augustin, semble croire que les enfants nés sans baptême souffrent une peine positive. De conceptu virginali, c. XXIII, col. 457. C’est peut-être une des raisons, sinon la seule, qui l’ont poussé à retarder l’animation de l’enfant au sein de sa mère et à traiter d’absurde l’opinion contraire. De conceptu virginali, c. VII, col. 440.

IV. PLACE ET INFLUENCE.

Anselme a sa place dans l’histoire du dogme catholique, à côté de saint Augustin et de saint Thomas. Il n’a pas eu le rôle d’Augustin comme représentant de la doctrine catholique, et il n’a pas comme saint Thomas, des disciples sans nombre à se réclamer de lui. Mais, à ne regarder que le développement intime de la théologie chrétienne, à peine ose-t-on dire qu’il ait personnellement moins fait. Sa lumière s’unit à celle des deux autres colonnes lumineuses pour éclairer non-seulement l’intervalle qui les sépare, mais encore les sentiers de la théologie future. Il est le premier théologien philosophe ; le premier, il a poussé avec suite et méthode ce que son maître Augustin n’avait qu’esquissé, le traitement rationnel du dogme ; il est donc bien le père de la scolastique. Que si, dans la scolastique, on veut distinguer avec Cousin la période de la raison suivant la foi, de raison parallèle à la foi, de raison divergente et s’émancipant de la foi, il faut mettre Anselme dans la première période ; mais, à vrai dire, cette distinction est un peu factice.

Deux traits précis. Anselme dans son œuvre écrite ? on peut négliger ici le De grammatico et le De veritate ? est par excellence le théologien philosophe ; saint Thomas l’est aussi, mais il n’est pas que cela : il est, par exemple : philosophe et théologien. Ensuite, Anselme est l’homme des monographies. Il prend une question très précise, très délimitée, et il y applique toutes les ressources de sa puissante raison avec une dialectique vigoureuse et admirablement soutenue. On sent, d’ailleurs, dans ces sujets relativement restreints, un homme qui domine sa matière et qui est maître de l’ensemble. Cet ensemble même, peu s’en faut que nous ne l’ayons dans l’ensemble de ses opuscules : essence divine, Trinité, Incarnation, théologie des anges, grâce et providence surnaturelle, libre arbitre et jeu de la volonté humaine en face des tendances nécessaires de sa nature, des poussées de la grâce et des exigences de la prédestination infaillible, chute et rédemption de l’homme, traits épars d’une théologie mariale et d’une théorie de l’Eglise à laquelle presque rien ne manquerait si ces traits étaient groupés, indications nombreuses sur les rapports de la raison et de la foi, modèles admirables de prières à Dieu et de toutes les relations de l’âme
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avec lui, ainsi que l’appel aux saints, d’où se dégage une admirable théorie de la grâce, de la prière, de l’intercession des saints, du mérite appuyé sur les mérites de Jésus-Christ, mainte autre chose encore qu’on pourrait signaler : on voit qu’Anselme touche à toute la théologie catholique.

Il n’y a pas touché en vain. Que d’explications il a mise en avant qui sont passées depuis dans l’enseignement commun ! Tantôt c’est une vue profonde, tantôt une distinction lumineuse, tantôt une formule heureuse qui condense en une phrase un dogme qui attendait encore son expression définitive.

Nul n’a mieux raisonné, si je puis le dire, les attributs divins, ni ne les a mieux déduits et groupés (Monologion) et si sa formule de Dieu : ens quo majus cogitai non potest (Proslogion), est moins belle que celle d’acte pur ou d’ipsum esse, il a le mérite d’avoir, le premier, posé pratiquement le problème de ce que l’on devait appeler plus tard l’essence métaphysique de Dieu. Nul n’a poussé avec plus de vigueur, dans toutes ses conséquences, la notion des relations opposées dans la Trinité. N’est-il pas le premier, aussi, qui ait montré clairement ce qu’il y a d’infini dans le péché et comment il fallait un Homme-Dieu pour l’expier dignement ? Sur le péché originel, ses explications sont devenues classiques, il n’y a eu qu’à les compléter ; ? et ainsi sur maint autre point. Ses distinctions sur la volonté antécédente et conséquente, sur les diverses sortes de nécessités éclairent notre route encore aujourd’hui.

Les formules mêmes sont passées dans le langage théologique ou dogmatique. Celle-ci, par exemple, sur la transmission du péché originel : Spoliavit persona naturam bono justitiæ in Adam, et natura egens facta omnes personas quas ipsa de se procreat, eadem egestate peccatrices et injustas facit, De conceptu virginali, c. XXIII, col. 457 ; ou celle qui a été citée plus haut sur la pureté de la Mère de Dieu, ou celle-ci, qui exprime si bien le rôle de Marie co-rédemptrice : Qui potuit omnia de nihilo facere, noluit ea violata sine Maria reficere. Deus igitur est Pater rerum creatarum et Maria mater rerum recreatarum. Orat., LII, col. 956.

Et n’est-ce pas chez lui que l’on trouve pour la première fois, ces formules sur l’unité absolue en Dieu, et les oppositions relatives qui, dégagées et tant soit peu condensées, sont devenues des formules dogmatiques ? In Deo omnia sunt unum ubi non obviat relationis oppositio. Denzinger, Enchiridion, n. 598. Cf. De processionne Spiritus Sancti, c. II, col. 288, et passim. Peu d’hommes ont eu, comme Anselme, le don de semer les idées et les formules immortelles ; et là même où il est discutable et discuté, comme dans le fameux argument ontologique, il a le don d’attirer les esprits les plus puissants et de les passionner. Si Anselme n’a pas proprement fait école ? car ce qu’on nomme parfois l’école anselmienne des bénédictins semble être d’origine assez récente, et ce n’est pas une école au sens strict, et, d’autre part, les réalistes ontologistes ne pouvaient à bon droit se réclamer d’Anselme ? peu d’hommes ont fouillé comme lui les idées théologiques, peu d’hommes ont tant éveillé les esprits et semé tant de germes féconds. Enfin, il est parmi les trois ou quatre qui ont noté avec le plus de vie et de sincérité les cris les plus vibrants de l’âme chrétienne vers Dieu et ses conversations intimes avec le ciel. Anselme est donc une des plus grandes et des plus belles figures du christianisme, attrayante comme peu d’autres par je ne sais quoi d’idéal à la fois et de si humain, admirable par le reflet divin qu’ajoute à tous les dons du génie et du cœur le rayonnement du surnaturel.

I. OUVRAGES GENERAUX.

Parmi les histoires de la Philosophie : Ritter, Geschichte des Philosophie, Christliche Philosophie, Hambourg, 1844, t. III, p. 315-354 ; Stöckl, Geschichte des Philosophie des Mittelalters, Mayence, 1864, t. I, p. 151, sq. ;

col.1348 fin

col.1349 début

Hauréau, Histoire de la philosophie scolastique, Paris, 1872, t. I, p. 265-287 ; Ueberweg-Heinze, Grundriss der Geschichte der Philosophie, Berlin, 1898, t. II, § 23, p. 175-185 (indications bibliographiques).

2° Parmi les histoires du dogme : Schawane, Dogmengeschichte, Fribourg-en-Brisgau, 1882, t. III (les principaux points sont traités, et bien traités) ; voir la table au mot Anselmus ; Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. III, table au mot Anselm (sauf pour la théorie de la satisfaction, p. 341, sq., Anselme n’est pas étudié en lui-même).

3° Parmi les théologiens, Chr. Pesch, Prælectiones dogmaticæ, Fribourg-en-Brisgau, 1894 sq. (La table de chaque volume donne, au mot Anselmus, les références aux doctrines d’Anselme sur les principaux points).

4° Parmi les dictionnaires : Kirchenlexicon, Fribourg-en-Brisgau, 1882, t. I, col. 886-897, article de Schwane ; Dictionary of national biography, Londres, 1885, p. 10-31, t. II (surtout biographique), article du Rev. Canon Stephens ; Realencyklopädie für protest Theologie und Kirche, 3° édit. , Leipzig, 1896, t. I, p. 562-570, article de Kunze ; Ad. Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, 2° édit., Paris, 1875, p. 71-74, article de Bouchitté ; Morin, Dictionnaire de philosophie et de théologie scolastiques, Paris, 1856, t. I, p. 426-537, 1313-1330 (critique et réfute les vues de Cousin, Bouchitté, Rousselot, Rémusa).

5° Parmi les historiens (sans parler des écrits sur les Investitures) : E. A. Freeman, History of the Norman conquest, voir l’Index, Oxford, 1879, au mot Anselm ; le même, History of the Reign of William Rufus, t. I, c. IV ; t. II, c. VII, avec une note intéressante sur les Lettres d’Anselme, Oxford, 1882, t. II, p. 570-584.

II. OUVRAGES SPECIAUX SUR SAINT ANSELME.

A. Möhler, Anselm Erzbischof von Canterbury¸ publié d’abord dans le Théolog. Quartalschrift de Tubingue, 1827, réédité dans les gesammelte Schriften de Möhler, Ratisbonne, 1839, t. I, p.32 sq., trad. angl. par H. Rymer, Londres, 1842 ; G. F. Franck, Anselm von Canterbury, Tubingue, 1842 ; Montalembert, Saint Anselme, dans le Correspondant, 1844, t. VII, p. 145-186, 289-315, souvent réédité, notamment dans les Moines d’Occident, Paris, 1877, t. VII, p. 174-317 ; Franz Rud. Hasse, Anselm von Canterbury, t. I, La vie, Leipzig, 1843 ; t. II, La doctrine, Lepizig, 1852 ; F. Böhringer, Die Kirche und ihre Zeugen, Zurich, 1849, t. II, II° part., p. 229-435, réédité à Stuttgart, 1873 et 1881 ; A. Charma, S. Anselme, dans les Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, Caen, 1853 (aussi à part), et dans Philosophes normands, Caen, 1856, t. I ;Ch. de Rémusat, S. Anselme de Cantorbéry, Paris, 1853, 1868 ; à ce propos, Foucher de Careil, Correspondant, 1853, t. XXXI, p. 637-666 ; t. XXXII, p. 60-83 ; Em. Saisset, dans Revue des Deux Mondes, 1853, t. II, p. 471-501, réédité dans les Mélanges, 1859, p. 1-54 ; Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 1853, t. VI, p. 296-308 ; Anselm von Cantorbury als Vorkämpfter für die kirchliche Freiheitdes XI Jahrund., dans Hist.-Polit. Blätter (de Philipps et Görres), 1858, t. XLII, p. 535-561, 606-627 ; Croset-Mouchet, Histoire de saint Anselme, Paris, 1859 ; G. W. Church, S. Anselm, Londres, 1870 (souvent réédité) ; M. Rule, Life and times of S. Anselm, 2 vol., Londres, 1883 ; Ragey, Histoire de Saint Anselme, 2 vol. Paris, 1890 ; Id., Saint Anselme, professeur, Paris, 1890 ; J. M. Rigg, S. Anselm of Canterbury, Londres, 1896. M. Cochin vient de donner un Saint Anselme à la collection " Les saints " (Paris), et M. Domet de Vorges en a publié dans la collection des Grands philosophes, Paris, 1901.

III. OUVRAGES SPECIAUX SUR LES DOCTRINES D’ANSELME.

1° Pour l’ensemble des doctrines : Card. d’Aguirre, S. Anselmi theologia, 3 vol. in-fol., Salamanque, 1678-1681 ; Rome, 1690 : Jos. Porta, Theologia scholastica secundum principia S. Anselmi, Rome, 1690 ; J. B. Lardito, Commentaire sur les principaux ouvrages d’Anselme, 3 vol., in-fol., Salamanque, 1699-1700, 1703, cf. Hurter, Noclamentor, 2° édit., Inspruck, 1893, t. II, col. 362 ; N. M. Tedeschi, Scholæ S. Anselmi doctrinæ, Rome, 1705, cf. Hurter, loc. cit., col. 1296 ; A. Van Weddingen, Essai critique sur la philosophie de saint Anselme de Cantorbéry, dans les Mémoires couronnés de l’Académie de Bruxelles, t. XXI ; à part, Bruxelles, 1875, VI-408 p. ; Æm ; Höhne, Anselmi Cantuarensis philosphia cum aliorum illius ætatis decretis comparatur, ejusdemque de satisfactione doctrina dijudicatur, dissert. inauf. Leipzig, 1867, 64 p. ; Ans. Oecsényi, De theologia S. Anselmi dissertatio, Brünn, 1884, 243 p. ; Aug. Fosse, Sur la tendance théologique d’Anselme de Cantorbéry, Montauban, 1844, 32p. ; Gius Prisco, nombreux articles dans La scienza e la fede : sur Anselme et l’ontologisme, 1857, t. XXXIII, XXXIV, passim ; sur Anselme accusé de rationalisme, 1860, t. XXXIX, p. 127-151 ; sur Anselme et le panthéisme, 1860, t. XXXIX, p. 545-563 ; t. XL, col.1349 fin-col.1350 début passim. ? 2° Sur les rapports de la raison et de la foi selon Anselme : Et. Vacherot, De rationis auctoritate, tum in se tum secundum S. Anselmum consideratæthèse, Paris, 1834, 44 p. ; L. Abröll, S. Anselmus Cantuarensis de mutuo fidei de rationis consrtio, dissert. inaug., Wurzbourg, 1864, XV-109 p. ? 3° Sur la théorie anselmienne de la satisfaction : C. Schwarz, Doctrina de satisfactione Christi ab Anselmo Cantuarensi exposita, Greiffenberg, 1841 ; H. Cremer, Die Wurzeln des Anselmschen Satisfaktionsbegriffs, dans Theologische Studien und Kritiken, 1880, p. 7-24 ; Id., Der germanische Satisfaktionsbegriff in der Versöhnungslehre, loc. cit., 1893, p. 316-345 ; cf. Id., dans Evangel. Kirch. Zeitschr., 1883, p. 481-492 ; Elis. Pouget, Doctrine de la satisfaction vicaire, d’après le CUR DEUS HOMO de saint Anselme, Genève, 1875, 32 p. ; F. P. J. Sibmacher Zynem, De Anselmi et Calvini placitis de hominum per Christum a peccato redemptione inter se collatis, Utrecht, 1856, 168 p. ; parmi les catholiques Dörholt, Die Lehre von der Genugthuung Christi, Paderborn, 1891, p. 201, sq. Cf. Harnack, ci-dessus, t. III, p.296, sq. La doctrine d’Anselme sur la nécessite de l’Incarnation est déjà regardée comme contraire à tous les pères par l’auteur de la lettre qu’on trouve dans Migne, parmi les œuvres d’Abailard, P. L., t. CLXXVIII, col. 362, dans les termes d’ailleurs les plus élogieux pour l’auteur : quæm et vitæ sanctitatis honorat, et doctrinæ singularitis ultra communem hominum mensuram extollit. Quelques scolastiques l’entendaient d’une simple convenance, et c’est encore l’opinion de Dörholt, ci-dessus, p. 201, sq. Mais cf. Stentrup, dans Zeitschrift für Kathol. Theol., Inspruck, 1892, p. 163 sq. ? 4° Pour les doctrines d’Anselme, sur le pape et sur l’Eglise, J. Bainvel, L’idée de l’Eglise au moyen-âge, saint Anselme dans la Science catholique, 16 février 1899, t. XIII, p. 193 sq. ? 5° Sur le Monologion et le Proslogion, J. G. F. Billroth, De Anselmi Cantuarensis Proslogio et Monologio, Leipzig, 1832, 35 p. ; J. L. Klee, De S. Anselmi Cant. Proslogio et Monologio, Leipzig, 1832 ; H. Bouchitté, ci-dessus, Introduction ; sur le De veritate, article du P. Folghera, dans Revue thomiste, sept. 1900. ? 6° Sur les Méditations, J. Olivier, bachelier ès lettres et bachelier ès sciences, Anselme, de Cantorbéry, d’après ses Méditations, thèse publiquement soutenue devant la Faculté de théologie protestante de Montauban. . . pour obtenir le grade de bachelier en théologie, Toulouse, 1890, 46 p. Selon l’auteur, Anselme est opposé " au catholicisme orthodoxe qui a toujours , plus ou moins, incliné vers le pélagianisme. Il se rapproche de la conception protestante du salut accompli par Jésus-Christ et que le croyant s’approprie par la foi. ” P. 29. ? 7° Pour l’influence de saint Augustin sur saint Anselme, quelques pages dans Nourrisson : La Philosophie de saint Augustin, Paris, 1865, t. II, p. 165-169.

II. ANSELME (Argument de saint).
I. L’argument chez saint Anselme.
II. Histoire de l’argument, accueil et formes diverses.
III. Sens précis.
IV. Critique et discussion.

I. L’ARGUMENT CHEZ SAINT ANSELME.
I. GENESE.
C’est d’Anselme lui-m?me qu’il faut apprendre comment est né ce fameux argument. " Après avoir publié le Monologion, nous dit-il au début du Proslogion, voyant qu’il y avait là toute une chaîne de raisonnements, je me mis à chercher s’il n’y aurait pas un argument unique, qui, sans exiger d’autre preuve que lui-même, suffirait seul à établir que Dieu est, et qu’il est le souverain bien, n’ayant besoin de rien d’autre, et dont tout le reste a besoin pour être et pour être bien, enfin, tout ce que nous croyons de la nature divine. Ma pensée y revenait sans cesse et s’y acharnait, et parfois il me semblait que j’allais saisir ce que je cherchais, parfois il se dérobait au regard de mon esprit ; enfin de guerre lasse, je pris le parti de renoncer à une recherche sans espoir. Mais en vain j’essayais de chasser cette pensée, qui, en occupant inutilement mon esprit, pouvait me détourner d’objets plus profitables : plus je résistais et réagissais, plus elle se faisait importune et obsédante. Un jour donc que je m’épuisais à la repousser, dans le choc même de mes pensées s’offrit à moi ce que je n’espérais plus, et j’accueillis comme la bienvenue l’idée que je m’efforçais d’éloigner. " Proslog., proœmium, P. L., t. CLVIII, col. 223. Cette idée longtemps cherchée en vain, trouvée quand on ne la cherchait plus, c’est l’argument ontologique. col.1350 fin-col.1351 début Eadmer raconte que les tablettes où fut couchée aussitôt la précieuse trouvaille se perdirent on ne sait comment ; Anselme récrit, le lendemain on retrouve les tablettes brisées comme par une main inconnue, et la cire jetée çà et là ; l’auteur arrive, non sans peine, à reconstituer le tout, et craignant une négligence coupable, il fait transcrire son travail sur parchemin, au nom du Seigneur. Vita, l. I, c. III, P. L., t. CLVIII, col. 63. N’y a-t-il pas en tout cela comme un symbole de la destinée future du fameux argument ?

II. TEXTE.
Le voici dans les termes m?mes de l’inventeur, et d’abord les quelques phrases qui lui servent d’introduction et où quelques-uns voient une lumière pour l’interprète : " Je ne prétends pas, Seigneur, pénétrer vos profondeurs, elles sont trop au-dessus de mon intelligence ; mais je voudrais comprendre quelque chose à votre vérité, que mon cœur croit et aime. Car je ne cherche pas à comprendre pour croire ; mais je crois pour comprendre ; plus encore, je crois que, si je ne crois d’abord, je ne comprendrai pas. " Ibid., c. I, col. 227. Suit le titre du c. II, " que Dieu est vraiment. " Ce titre est d’Anselme. Le chapitre s’ouvre par une conclusion, qui résume en deux mots ce qui précède : " Ainsi donc, Seigneur, vous qui donnez à la foi l’intelligence, donnez-moi, dans la mesure où vous le savez utile, de comprendre qui vous êtes, comme nous le croyons, et que vous êtes ce que nous croyons. " C’est de là que part l’argument. " Nous croyons que vous êtes un être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand (aliquid quo nihil majus cogitari possit). Eh bien ! n’existe-t-il pas quelque nature telle (an ergo non est aliqua talis natura), pour que l’insensé ait dit dans son cœur : Il n’y a pas de Dieu ? Mais à coup sûr, ce même insensé, en entendant ces mots, être tel qu’on ne peut en concevoir de plus grand, pense ce qu’il entend, et ce qu’il entend est dans sa pensée (in intellecta), quoiqu’il ne pense pas qu’il soit. Car autre chose est être dans la pensée, autre chose penser que ce soit. Ainsi, quand le peintre conçoit d’abord ce qu’il va faire, il l’a dans sa pensée, mais il ne pense pas que ce soit, avant qu’il ne l’ait fait. Mais le tableau fait, il l’a dans la pensée, et il pense qu’il est. L’insensé doit donc, lui aussi, reconnaître qu’il y a au moins dans la pensée un être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand ; car il pense cela, quand il l’entend (hoc cum audit intellegit), et ce que l’on pense est dans la pensée (et quidquid intellegitur in intellectu est). Mais (et certe) l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand ne saurait être dans la pensée seule. Car s’il est dans la pensée seule, on peut concevoir qu’il est aussi en effet ; ce qui est plus. Si donc l’être tel qu’on n’en peut recevoir de plus grand est dans la pensée seule, cet être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand est l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand (idipsum quo majus cogitari non potest est quo majus cogitari potest) ; mais cela est évidemment impossible. Il est donc, sans aucun doute, un être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand, et cela dans la pensée, et en effet (existetit ergo procul dubio aliquid, quo majus cogitari non valet, et in intellectu et in re). " C. II, col. 227. Aux yeux d’Anselme, la preuve est faite. Il ajoute pourtant un mot encore, tant pour compléter la preuve en la retournant, que pour désigner d’un trait nouveau le grand Dieu qu’il vient de retrouver. " Oui, il est et il est si vraiment qu’on ne peut pas même concevoir qu’il ne soit pas. Car on peut concevoir un être qu’on peut concevoir n’être pas. Si donc l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand peut être conçu n’être pas, l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand n’est plus l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand : ce qui est contradictoire. Il y a donc un être tel qu’on n’en peut concevoir de plus col. 1351 fin- col. 1352 début grand, et qu’on n’en peut même concevoir n’être pas. Et cet être, c’est vous, Seigneur mon Dieu, et si vraiment qu’on ne peut même concevoir que vous soyez pas. " C. III, col. 228. Tel est l’argument de saint Anselme.

III. ATTAQUE ET DEFENSE.

A peine le Proslogion eut-il paru qu’un moine de Marmoutiers, dont la personne a guère été connue que de nos jours (il était d’origine d’allemande et se nommait Gaunilon ou Guanilon, le même mot, je pense, que Ganelon), publia un petit écrit, où, sous forme de doute, et avec tous les égards pour Anselme et tous les éloges pour le reste du livre, il faisait des objections à l’argument et demandait une démonstration plus solide. Gaunilon semble avoir eu plutôt une impression un peu confuse du défaut général de l’argument qu’une vue claire et précise du point où devait porter la discussion ; nulle part, il ne semble se rendre compte de ce qu’il y a de spécial dans cette idée de l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand, et comment l’existence est de l’essence même de cette idée. Gaunilon cependant soulevait déjà les grosses objections qui seront faites plus tard. Il n’est pas si clair, disait-il, que nous ayons cette idée de l’être le plus grand qu’on puisse concevoir comme d’une essence une et distincte, ou du moins que nous l’ayons comme nous avons celle des objets qui se classent par genres et par espèces, car cet être est en dehors des genres et des espèces. Admise cette idée, il ne suit pas que cet être existe ; car autre chose est être conçu comme existant, autre chose exister réellement (exemple de l’Ile fortunée). Ibid., col. 246.

Anselme répondit en maintenant toutes ses positions, et de l’existence dans l’esprit de l’être tel qu’on n’en peut concevoir de plus grand, et le passage logique, absurde partout ailleurs, nécessaire dans ce cas unique, de l’existence idéale à l’existence réelle, de l’idée à l’objet, de l’être conçu à l’être existant.

II. HISTOIRE DE L’ARGUMENT, ACCUEIL ET FORMES DIVERSES. ? I. SAINT AUGUSTIN ET LES SCOLASTIQUES.

On a cherché dans saint Augustin des traces de l’argument d’Anselme. Mais il ne semble pas que les textes cités aillent précisément à conclure de l’idée comme telle à l’objet comme tel, ce qui est le propre de l’argument anselmien. Cf. Ueberverg, Geschichte der Philosophie, Berlin, 1898, t. II, p. 182 ; Schwane, t. III, § 5, p. 58, 65 ; à l’opposé, J. Martin, Saint Augustin, Paris, 1901, p. 99, sq.

L’histoire de l’argument est donc toute entière dans celle de l’accueil qui lui fut fait et des différentes formes sous lesquelles il fut proposé.

Par malheur, il y a là pas mal de points obscurs, soit parce qu’on se méprend sur l’argument d’Anselme, soit parce que les auteurs ne s’expliquent pas clairement. D’où il arrive qu’on trouve le même auteur, et parfois les mêmes textes, cités pour on contre. Je ne puis donner ici que des indications rapides, renvoyant aux études spéciales pour la discussion et la critique.

Le Maître des Sentences se contente de dire que nous ne connaissons Dieu que par ses œuvres. Sent., l. I, dist. III. Alexandre de Halès rapporte l’argument d’Anselme, en le rattachant à ceux d’Augustin sur la vérité suprême, et l’approuve sans le critiquer. Sum. Theol., Ia, q. III, m. III. Cologne, 1622, t. I, p. 20.

Saint Bonaventure dit, comme les scolastiques, que nous ne connaissons Dieu que par ses œuvres, IV Sent., l. I, dist. III, q. II, mais il ne rejette pas l’argument ontologique ; au contraire, il semble l’admettre. Ibid., dist. VIII, part. I, a. 1, q. II, Quaracchi, 1882, t. I, p. 154 (avec les notes p. 155). Mais à regarder de près, l’argumentation de saint Bonaventure semble plutôt régressive (donné que Dieu est, il l’est l’être absolu, nécessaire, etc.). Albert le Grand, là où il traite des différentes voies pour prouver l’existence de Dieu, Sum. Theol., q. XVIII, m. I, Lyon, 1651, t. XVII, p. 64, ne dit rien de col.1352 fin-col.1353 début la voie d’Anselme. Ailleurs, il semble dire que le sage, qui sait le sens du mot Dieu et du mot être, sait par là-même que Dieu est et ne peut être conçu comme n’étant pas. Sum. Theol., Ia, q. XVII, t. XVII, p. 62. Mais il ne s’exprime pas clairement. Cf. q. XIX, m. II, p. 68. Henri de Gand parle à peu près de même, et n’est pas plus clair. Sum. quæst. ordin., I part., a. 22, q. II, ad 3um, Paris, 1520, fol. 131-132.

Saint Thomas rejette l’argument, Sum. Theol., Ia, q. II, a. 1, ad 2um ; cf. IV Sent., l. I, dist. III, a. 2, ad 4um ; Super Bæth., De Trinit., q. I, a. 3, ad 6um ; Quæst. disp. de veritate, q. X, a. 12, ad 2um ; Cont. Gent., l. I, c. X, XI (Le P. Ragey ne veut pas que saint Thomas ait eu en vue l’argument même de saint Anselme. L’argument de saint Anselme, p. IV-VII, p. 88-134). Gilles de Rome (Ægidius), tout en se servant du passage d’Anselme pour montrer que nul ne saurait nier directement l’existence de Dieu (car dès qu’on conçoit Dieu, on le conçoit comme existant), ne semble pas prendre l’argument comme prouvant Dieu. IV Sent., l. I, dist. III, q. II ; cf. q. III. Scot commence par montrer que l’argument d’Anselme suppose la possibilité de l’être parfait, ce qui, dit-il, n’est pas évident du premier coup (il dit même : ce qui ne se prouve pas a priori) ; et il essaie de le colorer, comme il dit, en apportant des raison en faveur de cette possibilité. IV Sent., l. I, dist. II, q. II, n. 31-32, Paris, 1893, t. VIII, p. 478 ; cf. n. 14, p. 418. Le nominalisme, qui rejetait toute démonstration de Dieu, ne pouvait évidemment pas accepter l’argument ontologique.

Denys le Chartreux semble y revenir en se rangeant sur ce point à côté de saint Bonaventure ; Tostat aussi, se l’on en croit Recupito, De Deo uno, q. XVIII, Rome, 1636.

Parmi les scolastiques qui l’admettent, il faut ranger encore : Vasquez, In primam partem, disp. XX, c. IV ; Antione Perez, In I part., disp. I, c. IV sq. ; le cardinal d’Aguirre, Theol S. Augustini, part. I, tr. II, disp. XII ; Viva, Cursus theol., I part., disp. I, q. I, a. 34, n. 15, Padoue, 1712, et, selon Arriaga, De Deo, disp. II, sect. II, beaucoup d’Espagnols modernes ".

II. DESCARTES ; PARTISANS ET ADVERSAIRES.
1. Descartes. ? Descartes reprit sans le dire ? et f?t-ce aussi sans le savoir ? ? l’argument d’Anselme. Il le donne d’abord dans le Discours de la méthode, quatrième partie, p. 44, Œuvres philosophiques de Descartes publiées par Aimé Martin, Paris, 1852. Il y revient dans la Cinquième méditation, p. 84-85. Dans les Réponses aux premières objections, il le ramène à ce syllogisme : " Ce que nous concevons clairement et distinctement appartenir à la nature. . . de quelque chose, cela peut être dit ou affirmé avec vérité de cette chose ; mais, après avoir cherché ce qu’est Dieu, nous concevons clairement et distinctement qu’il appartient à sa. . . nature, qu’il existe ; donc alors nous pouvons affirmer avec vérité qu’il existe. " Ibid., p. 104. Cf. Réponses aux secondes objections, où est affirmée de plus la possibilité de Dieu. Ibid., p. 117 et 118 ; cf. aussi Raisons qui prouvent l’existence de Dieu. . . disposées d’une façon géométrique. Proposition première, ibid., p. 122 ; Réponses aux cinquièmes objections (celles de Gassendi), Des choses qui ont été objectées contre la cinquième méditation, p. 208 ; Principes de la philosophie, Ire part., n. 14-17, p. 291-292. Tous ces témoignages ne permettent pas le doute sur la pensée de Descartes. Il faut cependant noter trois points. D’abord Descartes reconnaît que, dans l’argument anselmien tel qu’il est proposé par saint Thomas, Ia, q. II, a. 1, ad 2um, " il y a une faute manifeste en la forme, " et il essaie d’en distinguer le sien. Réponse aux premières objections, ibid., p. 104. Ensuite, il n’admet pas la valeur de l’argument ainsi proposé : " S’il n’implique point que Dieu existe, il est certain qu’il existe : mais il n’implique point ; donc, etc. " Réponses aux secondes objections, ibid., col.1353 fin-col.1354 début p. 118. Pourquoi ? Parce que " ce mot il implique est pris en deux divers sens ", ou relativement à la seul possibilité interne, ou relativement à la possibilité à la fois interne et externe. Mis il tient pour l’évidence de la possibilité interne, ou non-implicance du concept. Enfin, pour avoir au juste la pensée de Descartes et juger de la valeur de son argument, il faut savoir ce qu’il entend par l’idée de Dieu en nous ; car c’est là le fond même de la question. Sur ce point, outre les endroits cités, cf. la Méditation troisième, passim, et notamment p. 73, 76, 77 ; les Réponses aux troisièmes objections (celles de Hobbes), objection 5e, p. 128, et objection 7e, p. 129 ; les Réponses aux quatrièmes objections (celles d’Arnauld), De Dieu, p. 148 ; Réponses aux cinquièmes objections (celles de Gassendi), Des choses qui ont été objectées contre la troisième méditation, p. 201, sq. ; Lettre à M. de Clerselier, (réponse aux instances de Gassendi), p. 212 ; Lettre 78, mai 1644, ibid., p. 636.

2. Autres partisans. ? Les cart?siens suivirent le maître, souvent en mêlant à la preuve, comme lui-même le faisait parfois, des éléments d’un autre ordre : l’idée d’infini ne pouvant venir que de Dieu, intuition de l’objet dans l’idée. Ainsi Malebranche, Recherche de la vérité, l. IV, c. XI, § 2 et 3, édit. de Genoude, Paris, 1837, t. I, p. 153, sq., après avoir exposé la preuve d’après Descartes, croit " nécessaire d’y ajouter " l’Intuition de Dieu dans l’idée de Dieu, de sorte que l’argument est pour lui analogue au fameux Je pense, donc je suis. C’est ce qu’il dit en propres termes dans le Deuxième entretien sur la métaphysique, § 5, t. II, p. 9 ; cf. 8e Entretien, § 1, t. II, p. 50. ? F?nélon fait la même chose, Traité de l’existence de Dieu, IIe part., c. II, 3e preuve. ? Le P. Lamy, b?nédictin, évita cette confusion, et nous lui devons une des meilleures expositions de l’argument ontologique. Mémoires de Trévoux, janv.-févr. 1701. Mais en octobre 1742, les mêmes Mémoires inséraient un Eclaircissement qui remettait dans l’argument l’ontologisme de Malebranche.

3. Adversaires. ? Si les amis furent nombreux et ardents, les adversaires ne manqu?rent pas.

Gassendi nia énergiquement la valeur de la preuve, et ce fut entre Descartes et lui, entre " l’esprit et la chair ", une vive et longue polémique, où a sa bonne part la question de l’idée de Dieu et de sa valeur probante. On peut voir les objections de Gassendi parmi les œuvres de Descartes, édition citée, p. 165, sq. ; ses instances n’y sont pas, mais seulement la réponse de Descartes, dans la lettre à Clerselier, p. 212.

Locke ne veut pas, dit-il, examiner la valeur de la preuve ; mais il tient pour " évident qu’il y a des gens qui n’ont aucune idée de Dieu ". De l’entendement humain, l. IV, c. X, § 7, Paris, 1839, p. 392.

III. LEIBNITZ. Leibnitz admit d’abord l’argument : De vita beata, part. III, n. 4. Vite, il y trouva " un vide à remplir ", car la possibilité de l’être parfait y était supposée ; elle avait besoin de preuve. En 1864, dans les Méditations sur la connaissance. . . , il insistait pour montrer que l’idée que nous en avons n’est pas une preuve, Œuvres philosophiques de Leibnitz, édit. P. Janet, Paris, 1866, t. II, p. 516-517. Plus tard, il essaya diverses preuves de cette possibilité. Il remarqua d’abord " qu’on a droit de la présumer. . . de sorte que cet argument métaphysique donne déjà une conclusion morale démonstrative ". Nouveaux essais de l’entendement humain, l. IV, c. X, § t, dans l’édition P. Janet, t. I, p. 460-462. Ailleurs il tente une démonstration en prouvant que " si l’être de soi est impossible, tous les êtres par autrui le sont aussi ". Extrait d’une lettre de la démonstration cartésienne de l’existence de Dieu du P. Lami, dans les Mémoires de Trévoux, octobre 1701 (ci-dessous), dans l’édition P. Janet, t. II, p. 568-569. Mais il sortait par là de l’argument ontologique. Il indique une preuve directe dans Discours sur la démonstration de l’exis- col.1354 fin-col.1355 début tence de Dieu, édité par Foucher de Careil, Nouvelles lettres et opuscules inédits, Paris, 1857, p. 22 sq., par le principe "  que toutes les formes simples sont compatibles entre elles ", p. 32.

Enfin dans la Monadologie, § 45, il affirme résolument la possibilité : " Et comme rien ne peut empêcher la possibilité de ce qui n’enferme aucunes bornes, aucune négation, et par conséquence aucune contradiction, cela seul suffit pour connaître l’existence de Dieu a priori. " En somme, Leibnitz donna à l’argument, en groupant les améliorations faites par ses devanciers, sa forme la plus expressive, laquelle revient à ceci : L’être nécessaire, s’il est possible, existe. Or il est possible. Donc il existe. Cf. Nourrisson, La philosophie de Leibnitz, Paris, 1860, l. IV, c. VI ; l. II, c. I.

IV. LES MODERNES.

Kant n’a pas seulement critiqué l’argument ontologique ; il fait tous ses efforts pour y ramener les autres preuves, de sorte que, selon lui, s’il y avait un argument probant, ce serait celui-là. Il le soumet donc à une critique qu’on est convenu de regarder comme spécialement pénétrante. En fait, il s’y trouve, à côté de remarques très fines (celles-ci notamment que l’être n’est pas une perfection qu’on puisse mettre en ligne de compte avec les autres, puisqu’elle en est, si je puis dire, l’actualité), d’autres qui rappellent par trop la confusion que faisait Gaunilon de l’idée de Dieu avec toute autre idée ; d’autres aussi qui laisseraient à supposer qu’il n’a contre son elle que son relativisme général et les prétendues antinomies qui l’amènent à regarder la contingence et la nécessité comme des formes purement subjectives de notre esprit. Voir Critique de la raison pure. Dialectique transcendantale, l. II, c. III, sect. III et IV, n. 700 sq., traduction Tissot, 3e édition, Paris 1864, t. II, p. 207 sq. ; cf. n. 741, 819 et passim. Beaucoup de textes groupés dans Ragey, loc. cit., c. XXVI et XXVII, p. 184-198.

Hegel ne pouvait évidemment accepter le passage syllogistique de l’idée à l’objet ; mais il est très sympathique à l’argument, et peu s’en faut qu’il n’y voie une première ébauche de sa chère théorie de l’identité entre l’idée et l’objet, entre le fini et l’infini. Logique, Ire part., § 51, Remarque, trad. Vera, Paris, 1859, t. I, p. 822 ; cf. IIIe part, § 193.

Les ontologistes acceptèrent l’argument des cartésiens, mais plusieurs en lui donnant un sens ontologiste (intuition de l’objet dans l’idée). Voir, par exemple, Ubaghs, Monologue et Prosloge, note EE, Louvain, 1854, p. 398 sq. Beaucoup de cartésiens semblent l’admettre, mais presque tous en le ramenant, consciemment ou inconsciemment, à une preuve toute différente, valable ou non. Ainsi Cousin, Leçons sur Kant, leçon 6 ; ainsi Saisset, Descartes, ses précurseurs et ses disciples, 2e édit., Paris, 1862, p. 136 sq. ; ainsi Nourrisson, La philosophie de Leibnitz, Paris, 1860, p. 126 ; ainsi Fr. Bouiller, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques de Franck, art. Descartes, 2e édit., Paris, 1875, p.365.

De nos jours, l’argument ontologique, sous quelque forme qu’on le présente, est généralement comme invalide, même en dehors du camp scolastique. Voir, par exemple, J. Simon, La religion naturelle (ci-dessous) ; Ueberweg, Grundriss der Geschichte der Philosophie, Berlin, 1898, t. II, p.182-184. Quelques-uns cependant y tiennent encore, même des professeurs de théologies, très doctes et très scolastiques.

III. SENS PRECIS DE L’ARGUMENT.

Qu’entend-on au juste par “ l’argument de saint Anselme ” ? Quel sens pr?cis lui donnait saint Anselme, et quel sens lui ont donné Descartes et Leibnitz ? Les diverses formes de l’argument ont-elles une valeur différente ? Autant de questions que nous allons essayer de résoudre.

1. Qu’entend-on au juste, par " l’argument de saint Anselme " ? ? On donne le nom d’ “ argument de saint col.1355 fin-col.1356 début Anselme " ou argument ontologique (passant de l’idée à l’être), ou argument a simultaneo (parce que l’idée emporte son objet) à l’argument qui essaie de prouver l’existence de Dieu, en argument de l’idée de Dieu à l’existence de l’objet représenté par cette idée. Au point de départ, un fait psychologique : J’ai l’idée d’un être qui répond à la définition nominale de Dieu, sous une formule ou sous une autre (être le plus grand qu’on puisse concevoir, être parfait, être nécessaire). Au point d’arrivée, je conclus logiquement l’existence réelle de l’être représenté par cette idée. Comme procédé, l’analyse même de cette idée unique en son genre par la propriété d’avoir pour objet un être nécessairement réel. Voilà l’argument anselmien. En un mot, il conclut, par l’analyse de l’idée constatée, à l’existence de l’objet pensé.

2. Quel sens précis lui donnait saint Anselme ?  Est-ce bien  le sens de l’argument, tel que nous le trouvons dans Anselme, dans Descartes, dans Leibnitz ? Pour Leibnitz, nul n’en doute. Pour Anselme et pour Descartes, on a souvent essayé d’autres explications. Nous avons mentionné l’explication ontologiste pour Anselme et pour Descartes ; l’explication hégélienne pour Anselme ; il faut signaler encore la confusion faite par quelques-uns de cet argument avec un autre, proposé par Descartes, sur Dieu seule cause possible de l’idée d’infini en nous, ou avec une autre encore (Dieu seule cause possible d’une âme qui conçoit l’infini) ; signaler enfin l’opinion émise par Piccirelli, qu’Anselme ne prétendait prouver qu’une chose, l’existence nécessaire de Dieu déjà connu par ailleurs ; et celle de dom Adhoch, selon qui l’argument d’Anselme serait purement psychologique et historique. L’examen des textes suffit à montrer que ces opinions ne sont pas fondées. Tout au plus, peut-on admettre que Descartes a passé quelquefois d’un argument à l’autre, et que ses disciples ont fait les mêmes confusions, soit consciemment, comme Malebranche, soit inconsciemment, comme peut-être Fénélon.

3. Y a-t-il des différences profondes entre les diverses formes de l’argument ?
Le P. Ragey semble l’insinuer çà et là. Mais il faut avouer que ces différences ne sont pas fondamentales. Si Descartes admet que l’argument, tel qu’il est rejeté par saint Thomas, ne prouve pas en effet, c’est pour " vice de forme ", parce qu’il y manque la forme d’idée claire et distincte ; si saint Thomas, au lieu de dire l’idée de Dieu, préfère la formule " ce qui est signifié par le mot Dieu ", la chose revient au même, et il est évident que saint Thomas avait bien en vue l’argument de saint Anselme. Toute la différence est donc de forme plutôt que de fond. La forme anselmienne est celle qui dissimule le moins cette " apparence sophistique " que Descartes reconnaissait de bonne foi à son propre argument ; celle de Leibnitz est la plus achevée, et circonscrit le débat sur un point précis : " Concevons-nous, a priori, l’être nécessaire comme possible ? " On peut donc, dans la discussion, négliger les différences accessoires et poser ainsi la question : " En analysant notre idée de Dieu, sommes-nous amenés logiquement à conclure l’existence de Dieu ? "

IV. CRITIQUES ET DISCUSSIONS. ? I. RAISONS POUR LA VALEUR DE L’ARGUMENT.

Les voici, telles que me les donne un professeur distingu?, partisan convaincu de l’argument, le R. P. Auriault : " De l’idée d’Etre infini, on déduit à bon droit l’existence de l’Etre infini. Car si l’objet de cette idée n’est pas dans l’ordre réel, l’idée elle-même périt. Qu’est-ce, en effet, au regard de l’âme, que cet Etre infini, sinon l’Etre ayant en lui toutes les perfections, et partant l’existence, ou mieux la nécessité d’exister, l’Etre dont l’essence est d’être (ou d’exister) ? Il exclut donc toute possibilité de recevoir d’un autre son être, et, s’il y a quelque chose qui lui soit essentiel,col.1356 fin-col.1357début c’est justement la nécessité et l’indépendance. Or un être indépendant, nécessaire, possédant dans son essence même et par son essence seule l’existence, est évidemment dans l’ordre réel. Car s’il n’y est pas, il n’y a qu’une seule raison : c’est qu’il et impossible, un être de rêve, une chimère. Or l’Etre infini, l’Etre le plus parfait est, au contraire, le terme suprême de la pensée, c’est là seulement qu’elle se repose. Il lui apparaît comme le plus possible de tous les êtres, le premier possible, summum cogitabile, summum possibile (pour parler comme Scot). Comment douter de la possibilité intrinsèque d’un Etre où il n’y a que de l’Etre ? Comment y aura-t-il contradiction, choc de qualités, là où il n’y a qu’une note, l’Etre pur ? ? Mais s’il est possible, il est. Car ici, et c’est le seul cas, l’existence idéale emporte l’existence réelle ; et si l’existence réelle n’est pas, l’existence idéale ne peut pas être. Il ne resterait donc qu’à douter de la possibilité d’un tel être. Mais à ceux qui sont dans un tel état d’esprit, on répondra que, soit par la réflexion, soit par la démonstration, ils arriveront à se mettre en possession de cette idée.

" On ne peut donc pas raisonnablement douter de la valeur de l’argument. On peut seulement discuter pour savoir à quelle place il faut le mettre dans la série des preuves de l’existence de Dieu ; ou bien si l’on ne possède pas cette idée par des preuves qui démontrent déjà l’existence de l’Etre infini. Mais ceci n’empêche pas que l’argument qui part de l’idée seule, en faisant abstraction du mode par lequel nous y sommes arrivés, soit valable et utile. En résumé : au sommet de nos conceptions, il y a l’Etre parfait, l’Etre qui a par lui-même son existence. Donc cet être existe. Car, s’il n’existait pas, il ne serait pas celui qui est au sommet de toutes nos conceptions. Celui-ci ne peut pas ne pas exister ; celui-là n’existerait pas. Donc. " Voir encore De Deo uno (autogr.), cours du P. Auriault à l’Institut catholique de Paris, 1892-1893, p. 32 sq., et Univers¸ 14 oct. 1887 : Variétés, par le P. Auriault.

II. RAISONS CONTRE LA VALEUR DE L’ARGUMENT.

Ceux qui nient la valeur de l’argument ne sont pas d’accord sur toute la ligne. Les uns admettent l’idée et la possibilité ou être idéal, et nient qu’on en puisse rien tirer pour l’ordre réel. D’autres vont à nier l’idée même et la vue de la possibilité.

Parmi les premiers, quelques-uns ne mettent aucune différence entre l’idée de l’être nécessaire et toute autre idée. Ainsi semble faire Gaunilon, ainsi Kant. C’est aller trop loin, et cette différence s’impose. Dieu seul est par essence, et concevoir Dieu, c’est concevoir l’être dont l’essence ne peut se concevoir que comme existante. Gassendi au moins serre de plus près la question en disant que " dans l’idée d’un Pégase parfait, la perfection d’avoir des ailes n’est pas seulement contenue, mais celle aussi de l’existence ". Objections contre la cinquième Méditation. Œuvres de Descartes, p. 185. Mais, même dans l’exemple de Gassendi, il n’y a pas de parité complète. Il faut donc accorder qu’on ne conçoit vraiment Dieu que si on le conçoit existant, l’existence étant de l’essence même de Dieu. Mais, disent-ils, il ne suit de là qu’une existence idéale non qu’une existence réelle ; Dieu est nécessairement conçu comme existant ; mais rien ne prouve qu’à ce concept réponde une réalité. Précisément, répliquent les tenants de l’argument, c’est le propre de ce concept d’exiger la réalité de son objet, de sorte qu’il périt lui-même si cet objet n’existe pas (voir plus haut).

Plusieurs se rendent à la force de cette raison, et admettent le lien nécessaire entre le concept et la réalité de son objet. Ils n’admettent pas cependant la valeur de l’argument ; ils nient que nous ayons, à proprement parler, le concept de l’être parfait, de Dieu. Descartes l’accordait d’un concept propre et adéquat. Mais, ajoutait-il, nous en savons assez de cet être pour concevoir [col.1357 fin-col.1358 début] clairement et distinctement que l’Etre lui appartient par essence, que son essence est d’être. Fort bien, mais la question est précisément de savoir s’il y a une telle essence, ou si nous concevons vraiment un tel être ; c’est demander, en d’autres termes, si un tel être est possible. Possible, il l’est en soi. Mais l’est-il pour nous a priori ?

Quelques-uns croient résoudre la difficulté en disant : " Nous le concevons. Il est donc possible, de possibilité interne (laquelle se définit, comme on sait, la non-implicance des termes) ; mais nous ne savons s’il est de possibilité externe (par rapport à la cause productrice, ou plus généralement par la raison suffisante de son être). " On leur objecte avec raison que cette distinction entre la possibilité interne et la possibilité externe (si tant est qu’elle puisse avoir ailleurs une utilité sérieuse) ne saurait être de mise quand il s’agit de l’être nécessaire, qui, s’il est possible, a en lui-même la raison suffisante de son existence : on ne peut distinguer ici essence possible et essence réelle. Ce qui ramène toute la question à celle de possibilité pure et simple. Concevons-nous vraiment et positivement Dieu comme possible ? En termes équivalents, concevons-nous vraiment Dieu ? C’est là, en effet, qu’il faut en venir. Déjà Gaunilon et Anselme avaient lutté sur ce terrain ; Descartes s’occupa de ce point ; Leibnitz, après Scot, y ramena toute la question ; et c’est là que porte le principal effort du subtil professeur dont j’ai cité l’argumentation.

III. DISTINCTIONS ET CONCLUSIONS.

Si c’est là un terrain de lutte, c’est aussi, dans certaines limites, un terrain de conciliation. Il y a une idée de Dieu qui emporte avec elle la réalité de son objet, et il y a une idée de Dieu qui ne l’emporte pas. L’idée propre de Dieu (ou plus exactement l’idée ex propriis) emporterait que Dieu est possible ; car, en ce sens, est possible ce qui est proprement conçu (l’impossible est inconcevable) ; mais si Dieu est possible il est (si Dieu n’est pas il est impossible). Si donc nous concevons Dieu, à proprement parler, Dieu est. Mais il est une idée de Dieu qui n’emporte pas l’existence réelle de son objet, mais seulement l’existence conçue comme réelle ; c’est l’idée analogique que nous nous formons de Dieu, avec les éléments créés, par voie de causalité, de négation, d’éminence : c’est là une idée factice, composite, n’atteignant pas l’essence en elle-même ; et dès-lors, je ne saurais dire s’il n’y a pas, sans que je le voie, qui rende cette essence impossible ? ? peu près comme cela se présente pour l’idée d’un carré équivalent à un cercle.

On peut accorder que si nous avions l’idée de Dieu, cette idée prouverait son existence, en l’entendant d’une idée propre ; mais nous n’avons pas cette idée propre et dès-lors cette existence nécessaire que j’attribue à Dieu peut bien n’être (tant que je ne la connaîtrai pas par une autre voie) qu’un jeu de mon esprit, comme cette essence même que je conçois comme ne faisant qu’un avec son existence. Dès-lors, l’idée de Dieu périt elle-même, comme argument le professeur que j’ai cité ; mais l’idée propre, celle à laquelle correspond une essence déterminée, non pas toute idée de Dieu ; dès lors, je ne conçois pas Dieu comme possible, par un concept positif embrassant cette essence même, excluant de cette notion toute impossibilité ; je ne vois pas d’impossibilité, c’est tout ce que je puis constater. A ceux qui disent : Il est possible, car je puis arriver à le concevoir, à en avoir une idée claire et distincte, Leibnitz faisait déjà remarquer qu’il y a beaucoup d’ambiguïté dans ces mots concevoir, idée, et que souvent nous croyons concevoir une chose et en avoir une idée claire et distincte sans que cependant cette chose soit possible, partant, sans que nous la concevions vraiment, sans que nous en ayons proprement l’idée. Il donne comme [col.1358 fin-col.1359] début exemple l’idée du mouvement le plus rapide qu’on puisse concevoirpour une roue qui tourne. Ce mouvement que nous croyons parfaitement concevoir est impossible, et quand on y regarde de près, on découvre que, en fait, nous n’avons pas vraiment l’idée. Méditations sur la connaissance, etc., dans l’édition de P. Janet, t. II, p. 516-517. Ainsi donc de l’idée seule de Dieu, telle que nous pouvons nous la faire ici-bas, il est impossible de conclure avec certitude à l’existence de Dieu ; ce passage de l’ordre idéal à l’ordre réel ne serait légitime que si, dans l’idée, nous atteignions la réalité de l’objet (ce qui est l’ontologisme), ou du moins si nous avions de Dieu une idée propre, que nous n’avons pas. Mais il reste que, connue par ailleurs l’existence de Dieu, l’argument ontologique nous aide à mieux comprendre cette existence est per se nota quoad se, comme dit saint Thomas, comment elle est l’essence même de l’acte pur ; il reste que la preuve anselmienne, suivant le désir du grand génie qui la trouva, nous amène à tirer de l’idée même de Dieu tout ce que nous pouvons connaître de " Celui qui est " par essence.

I. OUVRAGES GENERAUX.

La plupart des auteurs cités à l’article précédent parle de l’argument ontologique ; quelques-uns fort longuement, Morin, par exemple, et Van Weddingen. Aux auteurs déjà cités dans le présent article (S. Thomas, S. Bonaventure, Scot, Descartes, Leibnitz, Kant, Nourrisson, etc.), il faut joindre les philosophes ou théologiens qui ont traité de Dieu, soit dans les cours, soit dans des ouvrages spéciaux. En particulier Hontheim, Institutiones theodiceæ, Fribourg-en-Brisgau, 1893, p. 53 ; Kleutgen, La philosophie scolastique, Paris, 1869, t. IV, n. 937 ; Farges, L’idée de Dieu, Paris, 1894, p. 208 ; J. Simon, La religion naturelle, Ire part., c. I, Paris, 1856 ; A. de Margerie, Théodicée, Paris, 1874, note A, t. I, p. 359. ? Joindre les études sur l’idée de Dieu ou sur les preuves de l’existence de Dieu, par exemple Bouchitté, Introduction et histoire des preuves de l’existence de Dieu, 1er et 2e mémoires, dans le Recueil de l’Institut ; cf. Morin, p. 450, n. 136 ; J. Köstlin, Die Beweise für das Dasein Gottes, dans les Theologische Studien und Kritiken, 1875, p. 611 ; J. Janda, Kritisch. histor. Entwickelung des Gottesbegriffs, Dissert., Rostock, 1868. ? Joindre enfin aux histoires du dogme et de la philosophie déjà citées : W. G. T. Shedd, History of christian doctrin, New-York, 1864, t. II, p. 111, 263.

II. TRAVAUX SPECIAUX.

Plusieurs pièces dans les Mémoires de Trévoux : du P. Lamy, O. S. B., Lettre à M. l’abbé Brillon, pour la défense d’une démonstration cartésienne de l’existence de Dieu, janvier et février 1701, p. 187 ; de Leibnitz, Extrait d’une lettre de ce qu’il y a dans les Mémoires de janvier et de février touchant la démonstration cartésienne de l’existence de Dieu, par le R. P. Lamy, bénédictin, sept. et oct. 1701, p. 203 ; de Tournemine, Nouvelle preuve de l’existence de Dieu, juillet 1702, p. 108 ; d’un anonyme, Eclaircissement sur la démonstration cartésienne de l’existence de Dieu, prise de son idée, octobre 1742, p. 1732 ; Em. Saisset, De varia S. Anselmi in Proslogio argumenti fortuna, Paris, 1840 ; R. Hasse, De ontologico Anselmi pro existentia Dei argumento, Bonn, 1849 ; A. Stockl, De argumento, ut vocant, ontologico, Munich, 1862 ; Em ; Herwig, Ueber den ontologischen Beweis, dissert., Rostock, 1863 ; Jahnke, Ueber den ontol. Beweis von Dasein Gottes, mit besonderer Berücksichtigung von Anselm und Descartes, Progr. Stralsund, 1874 ; G. Runze, Der ontol. Gottesbeweis, krtische Durstellung seiner Geschichte seit Anselm bis auf die Gegenwart, Halle, 1882 ; Montet, De argumento S. Anselmi, Genève, 1884 ; J. Körber, Das ontologische Argument, Gymn. Progr., Bamberg, 1884 ; J. M. Piccirelli, Dissertatio de mente S. Anselmi in Proslogio, Paris, 1885 (appendice à son De Deo ; cf. M. E. Rivière, Annales de phil. Chrét., 1885, G, t. XII, p. 480) ; Ragey, L’argument de saint Anselme, Paris, 1893 ; H. Ziedtke, Die Beweise für Dasein Gottes bei Anselm und Descartes, diss. inaug., Heidelberg, 1893 ; Combe, An ex ordine logico demonstrari possit existencia Dei, au début d’un livre intitulé : Le panthéisme moderne ; cf. Revue thomiste, 1897, p. 139 ; dans les Annales de philosophie chrétienne, outre l’article à propos de Piccirelli, ci-dessus ; L. Guyeton, L’argument de S. Anselme, 1894, t. XXXI, p. 52, 263 ; Bertin, La preuve de l’existence de Dieu par l’idée que nous en avons, 1895, t. XXXII, p. 155, 277 ; Domet de Vorges, Rapport lu à l’Académie de saint Thomas, séance du 2 mars 1900, ibid., juillet 1900, p. 463 ; dans la Science catholique, Gayraud, L’argument de saint Anselme, 1894, p.784 ; dans la Revue thomiste, Hur-col.1359 fin-col.1360 début taud, L’argument de saint Anselme et son récent apologiste, 1895, p.326 ; dans les Comptes rendus des Congrès scientifiques des catholiques, 1888, IIe sect., p.398 ; 1894, IIIe sect., p. 77, 710 ; 1897, IIIe sect., p. 114 ; dans le Philosophisches Jahrbuch der Gorresgesellschaft, Adhoch, Der Gottesbeweis des hl. Anselm, t. VIII, 1895 ; t. X, 1897 ; L. Heinrichs, Die Genugluungstheorie des h. Anselmus vons Canterbury, 1909.

J. BAINVEL, Dictionnaire de Théologie Catholique.
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La vie de  Saint Anselme de Canterbury, sa biographie :

"Je ne cherche pas à comprendre afin de croire,
mais je crois afin de comprendre.
Car je crois ceci - à moins que je crois,
je ne comprendrai pas. "

"Saint Anselme est vraiment un homme européen:
        il est né en Italie,
        il a ensuite été abbé du Bec, en France,
        et il est ensuite devenu archevêque de Cantorbéry, en Angleterre.
Par sa culture, en tant qu'éducateur, et en tant que prêtre, c'était un Européen".

Saint Aselme, que l'on a souvent présenté comme un relais théologique important entre
saint Augustin et saint Thomas, est resté fameux pour les "Preuves de l'existence de Dieu",
de son "Monologion" et de son "Proslogion".

Né à Aoste, en Piémont, Anselme s'est fait bénédictin à l'abbaye normande du Bec. Il devint
abbé du Bec avant de succéder à Lanfranc comme archevêque de Cantorbéry.

Mais son opposition à Guillaume le Roux qui empiétait sur les biens de l'Eglise lui valut
l'exil. En 1098, il participa au concile de Bari et, à la demande du pape, s'employa à dissiper
les doutes théologiques soulevés par les évêques italo-grecs.

A la mort de Guillaume le Roux, et sur l'invitation du nouveau roi, Henri 1er, il regagna
son siège de Cantorbéry. Mais la querelle des investitures allait de nouveau l'opposer au
souverain anglais. En effet, depuis le IXe siècle, l'investiture des abbés et des évêques
étaient conférés par les princes - laïcs -, la consécration ecclésiastique était seconde. Cet
usage confinait parfois à la simonie, ou en tous cas, elle constituait une ingérence dans le
gouvernement de l'Eglise.

Un second exil se solda par un retour triomphal en 1106. Son secrétaire, Eadmer, un jeune
moine de Christ Church, à Cantorbéry, a laissé à la postérité la biographie du saint. Celui-ci
a été proclamé docteur de l'Eglise en 1720.

" théologien français (Aoste 1033 Canterbury, 1109). Abbé bénédictin de Sainte-Marie du Bec, en Normandie (1078), il devient archevêque de Canterbury en 1093 et fut, quelque temps, exilé. Selon sa théologie, la connaissance, bien que nécessaire pour croire, n’est ni l’origine ni l’achèvement de la foi, car, à son tour, elle doit se transformer en amour et en contemplation de Dieu (Monologion). Mais c’est dans le Proslogion qu’Anselme pense atteindre ce but par l’argument de la preuve ontologique. Cette " preuve " est au point de départ de la controverse sur l’existence de Dieu qui traversa la philosophie jusqu’à Hegel et la théologie jusqu’à K. Barth. " Dictionnaire Encyclopédique Larousse, 1979

  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) fut Abbé de l'abbaye bénédictine du Bec-Hellouin, en Normandie (1078) et par la suite   Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) fut archevêque de Canterbury (1093, d'où son nom...),   Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) dit aussi Anselme d'Aoste, est docteur de l'Eglise,   Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) compte parmi les principaux philosophes du Moyen-Âge.   Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)  expose dans ses oeuvres (Monologion, Proslogion et Cur Deus homo?, entre autres) des preuves rationnelles de l'existence de Dieu et soutient qu'il est possible de concilier la foi et les principes de la logique et de la dialectique. En qualité de primat d'Angleterre,   Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) s'attaque à la corruption du clergé et à l'invasion du pouvoir laïque, au point de se trouver en conflit avec le roi Guillaume II "le Roux", ainsi qu'avec son successeur, Henri II, qui finit par exiler   Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) .

  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) est tenu pour le théologien le plus important du XIe siècle et pour le père de la philosophie scolastique.  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)  est convaincu que la foi elle-même pousse à une compréhension rationnelle plus intelligente (fides quaerens intellectum).
Pour  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) la foi est un don et lun  point de départ, mais selon  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) aucun argument rationnel ne peut renverser et détruire la Foi.

Selon  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) la raison vraie conduit nécessairement aux vérités de la foi.

 Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)  veut  prouver rationnellement l’existence de Dieu, et cela même pour celui qui ne croit pas en Dieu par le célèbre «argument ontologique» de  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)

Dans le Proslogion de  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) ,  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)  définit Dieu comme :

« ce qui est tel qu’a priori rien de plus grand (de plus parfait) ne peut être pensé».
aliquid quo maius nihil cogitari potest

Celui qui cherche à comprendre si Dieu existe, peut comprendre ce principe parce qu’il se trouve dans son intelligence.
Si l’on admet à présent que ce qui est plus parfait n’est pas seulement pensé mais qu’en plus, il existe en réalité a priori, alors doit exister nécessairement "ce qui est tel qu’on ne peut rien penser a priori de plus parfait".

 Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) étend l’argument en constatant que, d’après la définition de départ de Dieu la non-existence d’un tel être est inconcevable, car ce qui existe nécessairement, est plus parfait que quelque chose dont la non-existence peut être pensée, et qui existe donc par contingence.

L’argument de  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) fut âprement discuté tout au long du Moyen Age.

Pour  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) , ce qui est créé ne peut se maintenir dans l’être par soi-même, il a besoin de Dieu pour cela.
 Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) dit que l’âme humaine est une image de Dieu, elle possède 3 facultés principales: mémoire (memoria), intelligence (intelligentia), et amour (amor).

Elle a été créée pour aimer Dieu comme le souverain bien.

Dans le dialogue Sur la vérité,  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)  décrit 3 niveaux de vérité:
Les vérités éternelles en Dieu (les Idées),
la vérité des choses qui repose sur la concordance avec la vérité divine,
et la vérité de la pensée et de l'énoncé qui se trouve dans la concordance avec les choses.

«Ainsi la vérité de l’être des choses est à la fois l’effet de la vérité suprême et, en même temps, le fondement de cette vérité qui vient à la connaissance, et à la vérité contenue dans l’énoncé [...].»

La définition la plus courte de la vérité chez  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)  est la suivante:

« La vérité est la rectitude qui seule est compréhensible par l’esprit (veritas est rectitudo mente solo perceptibilis). »

La rectitude rapportée à l’homme signifie selon  Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury)  : que l’homme tout entier - avec sa pensée, son comportement, et sa volonté - se tourne vers l’éternel fondement qui est Dieu, et qu’il s’engage dans l’être juste qui rend possible la rencontre avec la vérité.
[cf. http://www.multimania.com/yrub/anselmebio.htm.]

Saint Anselme de Canterbury en Angleterre, 1033-1109, considéré comme le plus grand théologien entre Augustin et Thomas d'Aquin, a formulé le principe que dans Dieu tout est un excepté pour les oppositions des relations entre les 3 personnes de la trinité. Ce principe est la théologie de base pour la doctrine de l'habitation mutuelle des 3 personnes divines; la circumincession : le Père est dans le Fils, le Fils est dans le Père Jn.10:37-38, 14:10-11, 17:21, le Saint-Esprit est dans le Fils Jn.3:34 et le Père 1Co.2:10-11, et le Fils et le Père sont dans le Saint-Esprit, Ep.2:21-22, Jn.14:23. Le principe de la circumincession a été adopté au concile de Florence en 1442. [cf. http://www.croixsens.net/saintesprit/personnehistoire.html.]

Il faut noter que   Saint Anselme de Canterbury (ou Cantorbury) n'est pas l'inventeur des finger les célèbres biscuits de monsieur Cadburry.

Les livres écrits par Saint Anselme de Canterbury :

Sur l'accord de la prescience, de la prédestination
et de la grâce de Dieu avec le libre choix :
Prières et méditations

Monologion. Proslogion (Allocution sur l'existance de Dieu)

lisible en PDF sur le site de la BNF
Le Proslogion doit sa célébrité à la preuve métaphysique de l'existence de Dieu qu'on appelle depuis Kant " argument ontologique ". Cette preuve de l'existence de Dieu n'a besoin de rien d'autre, semble-t-il, que de l'idée de Dieu. Si nous avons, par notre foi, cette idée en nous et si nous entendons, par cet être, un être plus grand que tous les êtres, alors cet être qui est dans notre intellect doit être aussi dans la réalité Être dans l'intellect et dans la réalité est en effet plus grand qu'être seulement dans l'intellect.
 
 

Donc, Seigneur, toi qui donnes intellect à la foi, donne-moi, autant que tu sais faire, de comprendre que tu es, comme nous croyons, et que tu es ce que nous croyons. Et certes, nous croyons que tu es quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand. N'y a-t-il pas une nature telle parce que l'insensé a dit dans son cœur: " Dieu n'est pas' " ? Mais il est bien certain que ce même insensé, quand il entend cela même que je dis: " quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand ", comprend ce qu'il entend, et que ce qu'il comprend est dans son intellect, même s'il ne comprend pas que ce quelque chose est. Car c'est une chose que d'avoir quelque chose dans l'intellect, et autre chose que de comprendre que ce quelque chose est. En effet, quand le peintre prémédite ce qu'il va faire, il a certes dans l'intellect ce qu'il n'a pas encore fait, mais il comprend que cette chose n'est pas encore. Et une fois qu'il l'a peinte, d'une part il a dans l'intellect ce qu'il a fait, et d'autre part il comprend que ça est. Donc l'insensé aussi, il lui faut convenir qu'il y a bien dans l'intellect quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, puisqu'il comprend ce qu'il entend, et que tout ce qui est compris est dans l'intellect. Et il est bien certain que ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand ne peut être seule-ment dans l'intellect. Car si c'est seulement dans l'intellect, on peut pen-ser que ce soit aussi dans la réalité, ce qui est plus grand. Si donc ce qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est seulement dans l'in-tellect, cela même qui est tel que rien ne se peut penser de plus grand est tel qu'on peut penser quelque chose de plus grand; mais cela est à coup sûr impossible. Il est donc hors de doute qu'existe quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand, et cela tant dans l'intellect que dans la réalité.
Anselme De Cantorbéry,

chap. II, trad. de B. Pauttat, Patis


 La Conception virginale et le péché originel.

La procession du Saint-Esprit.

Lettres sur les sacrements de l'Église.
Du pouvoir et de l'impuissance

 Le grammairien. De la vérité. La liberté du choix. La chute du Diable

Lettre sur l'incarnation du Verbe. Pourquoi un Dieu-homme

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